PRÉSIDENCE DE M. ADRIEN GOUTEYRON

vice-président

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, donner aux Corses la maîtrise de leur devenir au sein de la République, tel est l'objet du projet de loi dont nous sommes saisis en premier lieu, qui offre pour la première fois aux électeurs de l'île, la possibilité de se prononcer sur son organisation institutionnelle et sollicite leur avis sur un projet de statut destiné à permettre à leurs représentants d'agir conformément à la double exigence de cohérence et de proximité de l'action publique.

Avant de vous présenter les principes, le document et les modalités de la consultation des électeurs de Corse, je tiens à vous faire part des impressions que j'ai retirées de mon déplacement dans l'île, du 22 au 24 avril dernier, où j'ai pu rencontrer les représentants de l'Etat, des différentes collectivités territoriales et des principales formations politiques.

Au cours de ce déplacement, j'ai pu dresser un quadruple constat.

Premier constat : le principe de la consultation des électeurs de Corse sur la modification de l'organisation institutionnelle de l'île recueille un très large consensus. Chacun s'accorde à reconnaître l'importance de ce scrutin, qui permettra de trancher de la façon la plus démocratique qui soit un débat vieux de plus de vingt ans.

Deuxième constat : la nécessité d'une clarification des compétences entre les différentes collectivités territoriales est également très largement ressentie. Je ne reviendrai pas sur les inconvénients de la situation actuelle, qui ont été excellement exposés par M. le ministre.

Troisième constat : il est incontestable que la perspective de la suppression des départements suscite des réticences et des inquiétudes de la part, bien entendu, des conseillers généraux, dont le mandat est remis en cause, mais également de certains maires, pour qui le département apparaît comme l'interlocuteur naturel et privilégié.

Quatrième constat : les Corses souhaitent plus que jamais, d'une part, voir enfin mettre un terme à une violence récurrente qui gangrène la société et, d'autre part, s'engager dans la voie du développement économique.

La démarche entreprise par le Gouvernement pour répondre aux attentes de la population de l'île paraît à la commission des lois tout à fait cohérente et pertinente.

Le projet de loi n'aurait en effet pu voir le jour sans l'adoption préalable de la loi constitutionnelle du 28 mars dernier relative à l'organisation décentralisée de la République.

En premier lieu, la révision constitutionnelle a inscrit les collectivités à statut particulier ainsi que les régions dans la liste des collectivités territoriales de la République reconnues par la loi fondamentale. Elle a donné à la loi la possibilité de les substituer à une ou à plusieurs des collectivités dont l'existence était autrefois protégée par la Constitution : les communes, les départements et, désormais, les régions.

En second lieu, la révision du 28 mars 2003 a inséré dans la Constitution un article 72-1 aux termes duquel, « lorsqu'il est envisagé de créer une collectivité territoriale dotée d'un statut particulier ou de modifier son organisation, il peut être décidé par la loi de consulter les électeurs inscrits dans les collectivités intéressées ».

Ainsi, la consultation doit être décidée par la loi. Contrairement aux référendums décisionnels locaux, elle revêt la valeur d'un simple avis, le Parlement restant libre d'élaborer ultérieurement le statut de son choix.

Les exigences de clarté et de loyauté dégagées par la jurisprudence du Conseil constitutionnel seront évidemment applicables au scrutin. Elles impliquent, d'une part, que le projet de statut soit suffisamment détaillé pour éclairer l'avis des électeurs et, d'autre part, que la valeur purement indicative de la consultation soit explicite.

Assuré d'une base juridique solide, le projet de loi a été élaboré au terme d'une large concertation.

M. le Premier ministre et vous-même, monsieur le ministre, avez effectué de multiples déplacements en Corse depuis la nomination du Gouvernement, afin d'y rencontrer les élus locaux, les représentants de l'Etat et les acteurs de la société civile.

Au mois d'octobre 2002, des assises des libertés locales se sont déroulées en Corse, comme dans chacune des vingt-six régions françaises, sous la forme de cinq ateliers organisés à Corte, à Ajaccio, à Calvi, à Bastia et à Sartène, et de trois tables rondes consacrées à la culture et au patrimoine, à Porto-Vecchio, au développement économique et au dialogue social, à Bastia, et aux évolutions institutionnelles de l'île, à Ajaccio. La réflexion institutionnelle a été approfondie au cours de deux séminaires organisés, le premier à Bastia en décembre 2002, le second à Ajaccio en janvier 2003.

Les trois tables rondes ont réuni chacune environ quatre cents personnes. C'étaient en majorité des élus locaux, mais de nombreux représentants de la société civile étaient également présents.

Si le projet de loi s'inscrit dans le droit-fil du relevé de conclusions élaboré par le gouvernement de M. Lionel Jospin le 20 juillet 2000, la démarche a été plus cohérente, la révision constitutionnelle précédant le changement de statut, et le dialogue a été élargi à l'ensemble de la population de l'île.

J'en viens maintenant au document soumis à la consultation, c'est-à-dire aux orientations proposées pour la modification de l'organisation institutionnelle de la Corse.

Composé d'un préambule et de cinq chapitres, le projet de statut sur lequel les électeurs de l'île seront appelés à donner leur avis propose de substituer une collectivité unique à l'actuelle collectivité territoriale de Corse et aux deux départements de Haute-Corse et de Corse-du-Sud.

Il s'inspire du statut de Paris, Lyon et Marseille, même si l'on ne peut évidemment comparer des départements, au territoire étendu, à des arrondissements urbains.

La collectivité unique se verrait reconnaître une compétence générale pour les affaires de la Corse. Elle resterait administrée par une assemblée de Corse et par un conseil exécutif responsable devant l'assemblée.

Les deux conseils généraux de Haute-Corse et de Corse-du-Sud seraient remplacés par deux conseils territoriaux qui, sur le modèle des conseils d'arrondissement, constitueraient des subdivisions de la collectivité unique. Dotés d'une assemblée délibérante et d'un président, ils seraient chargés par la loi de mettre en oeuvre la plupart des compétences de proximité qui, actuellement dévolues aux départements, seraient désormais exercées par la collectivité unique.

Cette dernière pourrait en outre leur confier la mise en oeuvre de compétences supplémentaires, à l'exception de celles qui engagent la cohérence des décisions prises à l'échelon de la Corse et l'unité des politiques publiques.

A l'instar des conseils d'arrondissement, les conseils territoriaux seraient privés de la personnalité morale, celle-ci n'étant reconnue qu'à la collectivité unique. Ils ne pourraient ni recruter du personnel - celui des départements actuels étant transféré à la collectivité unique, mais pouvant être mis à leur disposition - ni recevoir le produit d'impositions de toutes natures. Ils disposeraient simplement, pour la conduite de leurs actions, de dotations de la collectivité unique prélevées sur son budget. Enfin, les conseils territoriaux agiraient toujours pour le compte de cette collectivité et selon les règles fixées par elle.

La cohérence des politiques publiques serait confortée par la double appartenance des conseillers territoriaux à l'Assemblée de Corse et aux conseils territoriaux de Haute-Corse et de Corse-du-Sud. Contrairement aux conseillers d'arrondissement, dont le nombre est le double de celui des conseillers municipaux de Paris, Lyon et Marseille, les mêmes élus siégeraient à la fois à l'Assemblée de Corse et, selon le lieu de leur élection, dans l'un des deux conseils territoriaux.

En conséquence, le mode de scrutin pour l'élection à l'Assemblée de Corse serait modifié de façon à assurer à la fois la représentation des territoires qui composent la Corse et la représentation des populations. Le scrutin de liste à la représentation proportionnelle avec attribution d'une prime majoritaire serait conservé dans le cadre d'une circonscription unique. Conformément à la décision du Conseil constitutionnel du 3 avril 2003, il conviendrait de prévoir une alternance stricte de chaque sexe sur les listes de candidats, comme pour les élections régionales.

Deux groupes de travail composés de parlementaires et d'élus locaux ont été installés le 25 avril afin de réfléchir, l'un sur les conditions de mise en oeuvre des compétences de la collectivité unique, en particulier sur la répartition des tâches entre la collectivité et les conseils territoriaux, l'autre sur le mode d'élection de leurs membres.

Ces réflexions devront bien entendu s'inscrire dans le cadre tracé par l'annexe au présent projet de loi. Ainsi, le groupe de travail consacré au mode de scrutin devra étudier le nombre d'élus à l'Assemblée de Corse et dans les conseils territoriaux, les différents seuils électoraux, le nombre de tours, le niveau de la prime majoritaire, ou encore le découpage de la circonscription unique en secteurs.

Ces travaux permettront, je l'espère, d'éclairer l'avis des électeurs le jour de la consultation.

Par ailleurs, la collectivité unique aurait la possibilité de déléguer certaines de ses compétences aux communes ou à leurs groupements, cette possibilité s'inscrivant dans le cadre plus large des réflexions sur la nouvelle étape de la décentralisation.

Enfin, conformément à l'objectif d'aménagement du territoire qui, en 1975, avait motivé la bidépartementalisation, il est proposé dans l'annexe d'adapter l'organisation des services de l'Etat en veillant à assurer un équilibre entre toutes les parties du territoire de l'île. Ainsi, un préfet serait maintenu à Bastia.

Le projet de loi a été soumis à l'Assemblée de Corse le 8 avril dernier. Elle lui a donné un avis favorable le 18 avril, tout en formulant diverses recommandations ; la plupart ont été prises en compte dans le texte, qui a été déposé en premier lieu au Sénat.

Trois options s'offraient à la Corse en matière institutionnelle : conserver la collectivité territoriale de Corse et les deux départements en cherchant à améliorer les mécanismes de concertation ; prévoir l'absorption pure et simple des deux départements par la collectivité territoriale de Corse ; ou encore, comme le souhaite le Gouvernement, créer une collectivité territoriale unique mais déconcentrée.

Cette dernière solution est la meilleure, car elle permet de concilier la double exigence de cohérence et de proximité de l'action publique. De plus, elle s'inscrit pleinement dans le cadre de l'organisation décentralisée de la République que nous avons mise en place, où les différences entre collectivités, les particularités de chacune peuvent enfin trouver place.

Loin de l'éloigner de la République, les orientations proposées pour modifier l'organisation institutionnelle de la Corse tendent à l'y ancrer plus solidement. Elles ont non pas pour objet, comme j'ai pu l'entendre, de transformer l'île en laboratoire institutionnel, mais au contraire de proposer un modèle prenant en compte ses spécificités tout en étant susceptible d'être transposé sur le continent.

Certains reprochent au texte d'être trop détaillé, d'autres de ne pas l'être assez. Il me semble important de rappeler que, conformément à la jurisprudence du Conseil constitutionnel, le document présenté aux électeurs doit être suffisamment précis pour éclairer leur avis, mais ne doit pas se muer en un véritable projet de loi, sous peine de transformer la consultation en un référendum.

Aussi la commission des lois a-t-elle adopté un amendement visant à une réécriture complète de l'annexe et destiné à en clarifier le contenu sans aucunement remettre en cause ni sa philosophie ni son dispositif.

Le dernier point de mon intervention portera sur les modalités de la consultation des électeurs de Corse, qui devrait intervenir dans les trois mois suivant la promulgation de la loi probablement, ainsi que vous l'avez annoncé, monsieur le ministre, le 6 juillet prochain.

Pour des raisons de rapidité et de sécurité juridique, nombre de dispositions relevant habituellement du domaine réglementaire ont été intégrées dans le projet de loi.

Le corps électoral sera composé des seuls électeurs de nationalité française inscrits sur les listes électorales de Corse, ce qui exclut, évidemment, non seulement les « Corses de l'extérieur », mais également les ressortissants des pays membres de l'Union européenne, qui ne participent qu'aux élections municipales.

Une commission de contrôle de la consultation, composée de magistrats administratifs et judiciaires, sera chargée de veiller à la régularité et à la sincérité de la consultation, d'établir la liste des partis et groupements politiques habilités à participer à la campagne, de leur attribuer les panneaux d'affichage, de répartir entre eux la durée des émissions de radio et de télévision, et de proclamer les résultats.

Seuls pourront être habilités à participer à la campagne les partis et groupements politiques auxquels auront déclaré se rattacher au moins trois élus parmi les 4 députés et les 2 sénateurs de Corse-du-Sud et de Haute-Corse, les 51 conseillers à l'Assemblée de Corse, le président et les 6 membres de son conseil exécutif, enfin, les 52 conseillers généraux de Corse-du-Sud et de Haute-Corse.

Les partis et groupements politiques habilités bénéficieront, outre d'un panneau d'affichage dans les mairies, d'un temps d'antenne dans les programmes diffusés par les sociétés nationales de programme en Corse. Cette durée sera de deux heures d'émission radiodiffusée et de deux heures d'émission télévisée. Elle sera répartie par la commission de contrôle de la consultation entre les partis et groupements politiques habilités, proportionnellement au nombre d'élus ayant déclaré s'y rattacher. Toutefois, le temps d'émission de chacun ne pourra être inférieur à cinq minutes d'émission radiodiffusée ni à cinq minutes d'émission télévisée.

Les règles générales relatives aux campagnes électorales, aux opérations de vote et de dépouillement ainsi qu'aux sanctions pénales seront applicables à la consultation.

Dans chacun des départements de Haute-Corse et de Corse-du-Sud, une commission de recensement siégeant au chef-lieu du département totalisera, dès la clôture du scrutin et au fur et à mesure de l'arrivée des procès-verbaux, les résultats constatés dans chaque commune.

La commission de contrôle de la consultation procédera au recensement général des votes et proclamera les résultats.

Tout électeur admis à participer au scrutin et le représentant de l'Etat dans la collectivité territoriale de Corse pourront contester le résultat du scrutin devant le Conseil d'Etat dans un délai de cinq jours.

Ces dispositions relatives à l'organisation de la consultation s'inspirent pour l'essentiel de celles qui avaient été prévues lors des consultations qui s'étaient déroulées en 1998 en Nouvelle-Calédonie et en 2000 à Mayotte.

La commission des lois a adopté vingt amendements ayant pour objet d'encadrer les modalités de la consultation, notamment de renforcer les moyens de la commission de contrôle de la consultation et de porter à dix jours le délai de recours devant le Conseil d'Etat contre les résultats de la consultation.

Il me semble important de rappeler en conclusion la nécessité de relever les deux autres défis auxquels la Corse est confrontée : l'arrêt de la violence et le développement économique.

La commission d'enquête du Sénat sur la conduite de la politique de sécurité menée par l'Etat en Corse, que j'ai eu l'honneur de présider et dont le rapporteur était M. René Garrec, président de la commission des lois, a mis en évidence l'imbrication de la violence dont souffre l'île et du phénomène nationaliste, ainsi que la dérive mafieuse des organisations qui se situent dans la mouvance de ce dernier. Elle a formulé dix-sept propositions concrètes destinées à assurer une meilleure coordination et un renforcement des moyens affectés à la sécurité et à la justice en Corse.

Nous ne pouvons que nous féliciter, monsieur le ministre, des mesures déjà prises par l'actuel gouvernement pour améliorer la sécurité en Corse, notamment le déploiement des brigades anti-criminalité et des groupements d'intervention régionaux, et des premiers résultats obtenus depuis le mois de mai 2002, avec 49 arrestations pour violences liées au séparatisme.

Parce que l'éradication de la violence en Corse demandera du temps et de la ténacité, il convient de ne pas perdre une minute pour engager ce combat et de poursuivre avec opiniâtreté les actions que vous avez déjà entreprises.

S'agissant du développement économique de l'île, je tiens à saluer la qualité des analyses et la pertinence des propositions formulées par la commission spéciale du Sénat chargée d'examiner le projet de loi relatif à la Corse, qui était présidée par M. Jacques Larché et dont le rapporteur était M. Paul Girod.

Sur ce point également, il me semble que nous ne pouvons que nous féliciter des initiatives prises par le Gouvernement pour accélérer la mise en place du programme exceptionnel d'investissements ainsi que des premiers résultats des négociations engagées avec la Commission européenne.

Il importe désormais, d'une part, que les maîtres d'ouvrage, en particulier les collectivités territoriales de l'île, redoublent d'efforts pour faire émerger et mener à bien de véritables projets d'aménagement et, d'autre part, que les marchés, encore trop rares, cessent d'être déclarés infructueux en raison de l'insuffisance des offres présentées par les entreprises.

Sous le bénéfice de ces observations et des amendements qu'elle vous soumet, la commission des lois vous propose d'adopter le présent projet de loi. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures quarante-cinq.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-neuf heures quarante-cinq, est reprise à vingt et une heures quarante-cinq, sous la présidence de M. Bernard Angels.)

PRÉSIDENCE DE M. BERNARD ANGELS

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

Nous poursuivons la discussion, après déclaration d'urgence, du projet de loi organisant une consultation des électeurs de Corse sur la modification de l'organisation institutionnelle de la Corse.

J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :

Groupe Union pour un mouvement populaire, 52 minutes ;

Groupe socialiste, 28 minutes ;

Groupe de l'Union centriste, 13 minutes ;

Groupe communiste républicain et citoyen, 11 minutes ;

Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 10 minutes.

Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Nicolas Alfonsi.

M. Nicolas Alfonsi. Ainsi, monsieur le ministre, il ne vous aura pas fallu deux ans pour clôturer de manière positive le processus de Matignon, engagé par Lionel Jospin.

Certes, on a apprécié vos efforts pour tenter de démontrer que ce processus avait « explosé » et pour vouloir nous convaincre, depuis votre arrivée aux affaires, de la rupture provoquée avec la politique de vos prédécesseurs. Lionel Jospin ne s'y est pas trompé, qui approuvait récemment la vôtre dans le droit-fil de celle qu'il avait lui-même mise en oeuvre.

Il faut rendre hommage à votre capacité de persuasion, sinon, comme je l'espère, auprès des électeurs corses, du moins auprès du Président de la République, qui, lors de la campagne présidentielle, rejetant tout concept « d'exception corse », déclarait à Ajaccio : « La Corse a besoin d'autre chose que d'un rafistolage institutionnel. En tout premier lieu, elle a besoin qu'il soit mis un terme à la violence » - saluons cette priorité, que vous avez rappelée - « et je n'accepterai pas, demain ou en 2004, ce que j'ai refusé hier. »

A quoi, dès lors, imputer cette précipitation ? A votre capacité de convaincre même les plus rétifs !

Comme les promesses n'engagent jamais que ceux qui les reçoivent, la déception est grande chez ceux, dont je suis, qui ont pu apporter leur concours au Président de la République, au second tour de la présidentielle, en espérant que le processus de Matignon avait vécu.

Il n'empêche, vous parachevez, dès 2003, avec la création d'une collectivité unique, ce qui n'était prévu que pour 2004, et sous réserve de la condition suspensive « du rétablissement durable de la paix civile ». Vous avez trop de lucidité pour feindre de croire que cette condition est remplie. Si vous l'avez abandonnée, il faut rechercher ailleurs les motifs qui vous conduisent à donner à votre réforme des causes techniques là où elles ne sont que politiques. Celles-ci demeurent essentielles, mais vous ne pouvez l'avouer, car le projet de loi « gigogne » qui nous est soumis comporte deux aspects : le texte lui-même avec la consultation populaire, mais surtout l'annexe engageant gravement, par la création d'une collectivité unique, l'avenir de l'île.

Arrêtons nous y un instant. Après avoir consulté tous les élus, vous avez choisi la collectivité unique. Quoi de plus naturel pour vous qui déclariez, à l'occasion du processus de Matignon - et vous l'avez répété - qu'on finit toujours par négocier avec « l'ennemi ». Mais de qui vous considérez-vous l'ennemi dans un régime républicain, sinon de ceux qui, par la violence, tentent de faire évoluer les institutions ? Quelle meilleure preuve de la cause exclusivement politique de votre projet ?

Ici, un rappel est nécessaire, mes chers collègues. Les accords de Matignon n'avaient qu'un but : mettre fin à la violence politique de l'organisation clandestine. Relisez les débats de l'époque : une paix illusoire était dans tous les esprits. La collectivité unique, que personne n'avait jamais demandée, était une concession faite aux nationalistes. Les accords de Matignon étaient un texte non amendable, d'où l'ambiguïté d'un vote de quarante-quatre élus qui ne souhaitaient pas la suppression des conseils généraux, mais qui considéraient que c'était le prix à payer. De là leur réticence actuelle et vos voyages à répétition - mais juge-t-on la qualité d'une politique sur ce seul critère ? - pour nous convaincre des bienfaits techniques de cette réforme.

Mais comment persuader l'opinion qu'il faut supprimer les conseils généraux quand on sait ceci : le Premier ministre déclarait à Rouen « qu'on n'administre bien que de près » ; on les maintient à la Réunion ; on prépare des textes qui vont augmenter leurs compétences de manière considérable ; ils sont un élément irremplaçable de la proximité tant vantée ; leurs compétences, qui couvrent notamment toute l'action sociale, ne sauraient se confondre avec celles d'une autre collectivité ; enfin, on supprime, dans une île de 8 700 kilomètres carrés - le tiers de la Belgique -, tout lien de l'élu avec un territoire. La Corse devient la seule région française où la proximité n'existera plus, alors même que la désertification de zones rurales immenses devrait conduire, paradoxalement, non pas à supprimer ce lien, mais à maintenir voire à augmenter les intercesseurs exceptionnels que sont les élus locaux. Quoiqu'on en dise, la création des conseils territoriaux, ersatz d'arrondissements parisiens, ne saurait pallier ce déficit de proximité.

Mais, nous dit-on, avec la collectivité unique, la Corse pourra avoir une stratégie unique. Vous avez dû, monsieur le ministre, faire beaucoup d'efforts sur vous-mêmes pour vous en persuader, quand on sait que la collectivité territoriale de Corse est aujourd'hui compétente en plusieurs matières : continuité territoriale par la gestion des appels d'offres maritimes et aériens ; ports de commerce, aéroports, forêts, énergie, patrimoine ; aménagement du territoire, puisqu'elle a la charge d'élaborer un schéma d'aménagement du territoire et de développement durable ; formation professionnelle ; aménagement des lycées et collèges ; culture et environnement ; toute l'action économique, tourisme. J'arrête là cette énumération fastidieuse, qui sera complétée demain par les techniciens et ouvriers de service, les TOS, les personnels non enseignants des lycées et collèges et d'autres compétences nouvelles.

A qui veut-on faire croire qu'avec ces compétences on ne peut avoir une stratégie unique et qu'il est indispensable d'y ajouter le RMI, l'action sociale ou les routes départementales pour pouvoir réaliser, enfin, ce qu'on n'a pas fait pendant vingt ans avec de telles compétences ?

Est-il raisonnable de déclarer à Libération, comme vous l'avez fait, monsieur le ministre, que, désormais, « la collectivité pourra établir un schéma d'aménagement stratégique », alors que ces pouvoirs lui avaient été conférés par la loi Defferre, qui nous accordait un délai d'un an, et renouvelés par le statut Joxe, qui nous donnait - quel immense progrès ! - un délai de dix-huit mois ?

Est-il sérieux de vouloir fusionner trois collectivités au motif que les communes sont subventionnées à la fois par la collectivité territoriale de Corse et les conseils généraux, alors que ces subventions ne représentent que 7 à 8 % du budget général ?

Mais si l'on ne décèle pas les avantages de la collectivité unique, on en devine les inconvénients.

Songez aux risques de recentralisation extraordinaire engendrés par les pouvoirs donnés à une seule collectivité, dans une île minée par la violence, alors que l'on sait, selon la formule célèbre, « que le pouvoir arrête le pouvoir ».

Dès lors, est-il sérieux d'affirmer, comme le fait le Premier ministre, que la situation en Corse justifie « des institutions d'avant-garde » ?

Est-il raisonnable, au moment où l'on prétend modifier le code des marchés publics dans un sens plus libéral, de faire subir tant de pressions à si peu d'élus ?

A qui fera-t-on croire, quand on connaît l'insuffisance de l'encadrement de ces collectivités, que cette fusion se fera sans heurts ?

Songe-t-on au temps perdu qu'il faudra y consacrer ? Et pourquoi dépenser tant d'énergie alors qu'elle pourrait être consacrée à des causes plus utiles ? Tout notre effort doit être tourné vers la consommation des crédits du programme exceptionnel d'investissement. Soulignons, au passage, que le premier appel d'offres concernant ce programme a été réalisé par le département de la Corse-du-Sud.

Les maires, massivement contre ce projet, ne s'y sont pas trompés. Si les élus de l'assemblée de Corse, que vous avez priviligiés, et qui, après des votes surréalistes, sont passés de 44 à 27, traînent aujourd'hui les pieds, c'est qu'ils devinent la véritable nature de ce texte : la concession faite à la famille nationaliste.

Nous sommes au coeur du débat. Vous auriez sans doute souhaité son abstention. Ainsi, il vous aurait été loisible de faire tomber le rideau entre la droite et la gauche, rendant plus assuré le succès du référendum. Las ! les nationalistes, dont la subtilité est l'inverse des suffrages qu'ils représentent, ont joué la partie plus finement et avoué avec cynisme qu'ils voteront « oui », car leur seul souci est d'abattre les dernières parcelles de résistance que sont les conseils généraux, où ils ne peuvent accéder par le scrutin uninominal. « La suppression du système électoral uninominal », affirment-ils dans Le Figaro, et « la généralisation de la proportionnelle permettront de pénétrer tous les centres de décision ». Mais, ils ne sauraient se satisfaire d'une réforme, la quatrième, qui devrait être définitve.

Que nous apprend, en effet, le mouvement Indipendenza, qui regroupe les nationalistes les plus durs ? Ils sont « pour le oui malgré tout ». Je vous livre leur « Nous tenons, par ailleurs, à répondre à Nicolas Sarkosy, qui a avancé qu'à la suite du référendum la question institutionnelle serait réglée pour vingt ans. Personne ne pourra jamais empêcher le peuple corse, et le mouvement national en particulier, de revendiquer une nouvelle avancée institutionnelle. En ce qui nous concerne, nous le disons clairement, afin que personne n'ait de mauvaise surprise le moment venu : dès le lendemain du référendum, nous poursuivrons nos efforts pour convaincre un nombre toujours croissant de Corses de nous rejoindre dans la lutte pour la souveraineté pleine et entière, l'indépendance nationale. »

Et ils poursuivent : « Afin de peser davantage encore sur l'évolution de la situation corse, les nationalistes doivent de toute évidence renforcer la politique d'union initiée depuis quelques mois. Le FLNC » - appréciez la référence ! - « l'avait lui-même préconisé lors de sa communication du 21 octobre 2002 ».

Qui croire, dès lors ? Vous même, monsieur le ministre, qui considérez le problème évacué pour vingt-cinq ans, ou bien ceux qui, ayant obtenu une avancée, ne manqueront pas d'en exiger d'autres ? C'est l'instant où il faut vider la querelle qui nous oppose autour de deux concepts intimement liés : l'immobilisme et la violence ; j'allais ajouter nos postures respectives.

Sont taxés d'immobilisme tous ceux qui s'opposent à la quatrième révision statutaire. Le front du refus n'est pour nous que le refus de la démission : celle de l'Etat, celle de la société. C'est le refus de la connivence, des accommodements.

Lionel Jospin avait cessé de subordonner au préalable de l'arrêt de la violence toute réforme institutionnelle au motif qu'on ne pouvait faire dépendre celle-ci, à supposer qu'elle eût été nécessaire, du dernier poseur de bombe résiduel.

Le processus de Matignon - j'ai voté contre - avait sa logique, dans la mesure où ce préalable reprenait ses droits à la fin de celui-ci, par la condition suspensive que j'ai rappelée. Disparaissant au début, il réapparaissait à la fin.

Curieusement, vous reprenez l'argument mais levez cette condition, car vous faites l'impasse sur le principe de réalité : celle de l'existence d'une organisation clandestine.

Si l'on admet, en effet, que la violence est la cause de la réforme, sa poursuite - et le document que je vous ai fait parvenir, par ailleurs, le rappelle douloureusement - ne pourra qu'appeler de nouvelles réformes puisque l'action d'une organisation clandestine, fascinante par ses méthodes, ne saurait se réduire à Prosper Mérimée ou à une conception culturelle et endémique de la violence dont il faudrait s'accommoder.

L'accusation d'immobilisme est, dès lors, réduite à néant. Celui-ci n'est plus que le refus de la politique de l'autruche qui suggère qu'il faut ignorer la violence, le refus de changements institutionnels permanents créés par la volonté d'une minorité. Qui peut croire que les nationalistes, en votant oui, vont dire oui à la France, comme le souhaitait le Premier ministre à Ajaccio ? Prenez garde à l'ambiguïté que va générer la consultation pour avis prévue par votre projet de loi. J'ai exprimé mes réserves lors du débat sur la réforme constitutionnelle et les risques considérables qu'il y a, compte tenu de l'absence de choix et de la complexité technique du débat, à interroger l'opinion sur ce point.

Le choix de la question ne saurait être neutre. Aucune alternative n'y est contenue.

Le Gouvernement, en pesant de tout son poids dans cette consultation, pourrait arracher un vote positif sur la collectivité unique. Il pourrait tout autant obtenir des électeurs une réponse positive s'il avait demandé à ceux-ci s'ils souhaitaient le maintien des deux collectivités départementales.

Ainsi, si le « oui » l'emporte, ce qu'à Dieu ne plaise, les nationalistes seront légitimés dans leur action. Pareillement, nos compatriotes continentaux pourront penser, à bon droit, le 7 juillet, eux qui ne retiennent que le concept de référendum en en ignorant le contenu, que les suffrages obtenus par le « oui » sont des suffrages nationalistes, puisque seule est valorisée au plan national, par médias interposés, la position de ces derniers.

Que le résultat soit étriqué ou négatif, et le crédit du Président de la République et de l'Etat en sera atteint.

Mes chers collègues, il me faut conclure et donner une perspective à ce débat.

Le Gouvernement, par sa réforme constitutionnelle, a voulu éviter l'obstacle de « l'exception corse ». Ce projet est-il de nature à le lever ? La nouvelle donne constitutionnelle sera-t-elle appliquée à d'autres régions, comme l'affirme le Gouvernement ?

Si tel était le cas, on pourrait y souscrire, mais il aurait fallu pour nous convaincre commencer ces expériences ailleurs. Je pense à la collectivité unique en Alsace, aux deux départements au Pays basque. J'attends avec gourmandise ces consultations, mais il n'y en aura pas.

A l'inverse, cette « première » en Corse ne sera pas la dernière dans notre région, d'autres suivront. Parce que l'exception corse existe bien dans votre esprit, monsieur le ministre, comment accepter sans réagir que vous puissiez écrire dans Le Monde, à propos de la citoyenneté : « c'est cette double obsession qui m'anime, qu'il s'agisse des musulmans, de la Corse ou de tout autre enjeu ».

Nous aurions, pour notre part, tellement préféré lire qu'il s'agissait des musulmans, de l'Alsace, ou du Poitou-Charente.

M. Nicolas Sarkozy, ministre On peine à vous suivre !

M. Nicolas Alfonsi. En 1870, s'élevant contre le plébiscite, Gambetta déclarait : « On peut faire des expériences avec un peuple mais on n'en a pas le droit ».

Parce qu'on demande aux Corses, pour la quatrième fois en vingt ans, de prendre en main leur destin, parce que celui-ci est indissociable de la République, parce que je ne saurais accepter des expériences « pionnières » ou « d'avant-garde », compte tenu de la réalité de l'île, je ne peux qu'exprimer, mes chers collègues, mes plus vives réserves sur le texte qui est aujourd'hui soumis à notre approbation. (Applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. Bernard Frimat.

M. Bernard Frimat. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi en discussion aujourd'hui présente une double caractéristique : il est accessoire dans le contenu de ses dix-sept articles relatifs à l'organisation matérielle de la consultation et il est essentiel dans son annexe, qui présente les orientations de cette modification institutionnelle.

Le débat que nous engageons prolonge de nombreux débats relatifs à la Corse. Il me revient d'évoquer, au nom du groupe socialiste, la création de la collectivité territoriale de Corse par les lois Defferre de 1982 et le statut particulier de la loi Joxe de 1991 qui ont abouti au cadre institutionnel actuel.

Plus récemment, la loi du 22 janvier 2002 relative à la Corse a opéré d'importants transferts de compétences.

Cette loi, issue de ce qu'on a nommé « le processus de Matignon », exprimait la volonté du gouvernement de Lionel Jospin de dégager une solution politique à un problème politique, en ancrant durablement la Corse dans la République, parce que la République avait décidé de reconnaître sa spécificité, de valoriser son identité, de l'accompagner sur la voie du développement économique, culturel et social, tout en assurant la vitalité des principes républicains dans l'île.

Ce processus inachevé, pour les raisons que l'on connaît, avait pour ambition d'extraire la Corse des difficultés qu'elle rencontre depuis des décennies, d'assurer la paix civile en mettant un terme à la violence, aux situations de crise et d'opacité dont tout le monde peut mesurer les conséquences sur le développement de la Corse, les équilibres sociaux dans l'île et ses rapports avec l'Etat.

L'originalité de ce processus, par opposition à certaines pratiques passées, tenait pour l'essentiel à la volonté de clarté et de transparence du gouvernement Jospin. Les discussions ont été menées dans la transparence, avec tous les élus de Corse, choisis comme interlocuteurs parce qu'ils étaient, tous, les élus du suffrage universel et donc les représentants légitimes des citoyens.

Les sénateurs socialistes, comme j'ai eu l'occasion de vous le préciser en commission, monsieur le ministre, abordent la discussion de votre projet de loi avec un esprit constructif, mais ils seront attentifs à la manière dont sera traitée par la majorité l'action du précédent gouvernement. Je vous donne volontiers acte qu'à l'époque vous avez été l'un des rares hommes politiques de droite à ne pas pourfendre le processus de Matignon et à prôner une solution politique. Je me réjouis donc que M. le rapporteur écrive, page 27 de son rapport, que « le projet de loi s'inscrit dans le droit-fil du relevé de conclusions élaboré par le gouvernement de Lionel Jospin le 20 juillet 2000 », mais je déplore qu'il éprouve le besoin de reprendre les termes de la commission spéciale du Sénat qui qualifiait alors ce compromis de « laborieux et ambigu ».

Il faut choisir : soit le processus de Matignon trouve grâce aux yeux de ses pourfendeurs d'hier et, tout en reconnaissant que la démarche de l'actuel gouvernement est différente, nous pouvons y relever une certaine continuité ; soit les désaccords restent profonds, les positions d'hier de la droite sénatoriale sont confirmées et c'est non plus une certaine continuité qui s'affiche mais au contraire une ambiguïté certaine.

La Corse a besoin que la République reconnaisse ses particularités géographiques, historiques et culturelles. Les ignorer, c'est les abandonner à ceux qui voient, dans la violence, la seule manière de les faire reconnaître.

La démarche que vous nous présentez, monsieur le ministre, ne doit souffrir aucune ambiguïté, tant dans la lutte déterminée contre la violence et la criminalité que dans le respect des spécificités insulaires et des principes républicains.

Le contexte général de notre position ayant été précisé, venons-en au texte qui nous est soumis.

Ce projet de loi est la première application de la récente révision constitutionnelle qui donne au législateur la possibilité de consulter les électeurs d'une collectivité territoriale dotée d'un statut particulier lorsqu'il est envisagé d'en modifier son organisation, ce qui est le cas de la Corse. Toutefois, cette consultation n'a rien d'automatique. Seul le Parlement peut l'autoriser.

Si, par commodité de langage, on parle de référendum, il faut rappeler qu'il ne s'agit, en l'occurrence, que d'une consultation pour avis. Nos longs débats, lors de la révision constitutionnelle, ont permis d'expliciter clairement ce point : c'est, en dernier ressort, le Parlement qui, par la loi, décidera des institutions futures de la Corse.

Néanmoins, si, juridiquement, le Parlement n'a pas les mains liées, dans les faits, et compte tenu de la spécificité et de l'histoire de la Corse, le poids de cet avis sera lourd dans nos délibérations futures.

Si nous nous accordons pour considérer cette consultation comme essentielle, il importe qu'elle se déroule dans la clarté et la sérénité maximales.

S'agissant, tout d'abord, de la clarté, il nous faut, monsieur le ministre, surmonter une difficulté. L'annexe au projet de loi doit respecter les décisions du Conseil constitutionnel. Or ce dernier pose une double exigence de loyauté et de clarté.

La question posée ne doit pas comporter d'équivoque quant à l'absence de son effet normatif. Il faut, en conséquence, éviter de laisser croire aux électeurs que les éléments précis d'organisation sont l'objet de la consultation, car ils relèvent de la loi et de la seule décision du Parlement. Mais, dans le même temps, les électeurs de Corse ont droit à la clarté afin que leur avis prenne tout son sens.

Si j'ai bien compris M. le rapporteur, les orientations du futur projet de loi qui serait présenté à l'automne devant le Parlement doivent être suffisamment précises pour que la consultation soit valable, et suffisamment floues pour ne pas attenter aux pouvoirs du Parlement.

Le seul moyen de surmonter cette difficulté, monsieur le ministre, est de vous montrer précis dans vos déclarations lors de notre débat parlementaire. C'est d'autant plus important que, le Gouvernement ayant demandé l'urgence, nous ne disposons que d'une seule lecture.

La recherche de la clarté implique aussi, monsieur le ministre, que nous nous interrogions sur le contenu de l'annexe.

L'Assemblée de Corse a confirmé son adhésion au relevé de conclusions du 20 juillet 2000 et son accord pour la création d'une collectivité territoriale unique avec, pour conséquence, la suppression des départements de Haute-Corse et de Corse-du-Sud. La création d'une collectivité territoriale unique ne rencontrant plus d'obstacle constitutionnel, il est donc possible de réaliser cet élément du relevé de conclusions.

En revanche, il sera nécessaire d'expliquer très clairement aux électeurs que la suppression des départements n'est pas un tour de passe-passe, qu'il ne s'agit pas de recréer dans la pratique, avec les mêmes limites géographiques, ce que l'on fait disparaître dans le droit.

La volonté du Gouvernement de répartir les compétences sans les répartir peut aussi ajouter à l'ambiguïté. Si l'Assemblée de Corse a compétence générale pour les affaires de la Corse, est-il judicieux de préciser que certaines de ses compétences seront obligatoirement assumées demain par des conseils territoriaux, alors que ceux-ci n'auront plus la qualité de collectivité territoriale ? Ne peut-on craindre que cela ne favorise de facto la permanence de départements que le Gouvernement souhaite supprimer ? Certes, le Gouvernement se propose d'assurer la cohérence entre l'Assemblée de Corse et les conseils territoriaux par un cumul de mandats qui fera automatiquement d'un conseiller de Corse un conseiller territorial de son secteur d'élection.

Outre le fait que renforcer le cumul des fonctions électives ne favorise pas forcément la réalité de l'exercice du pouvoir, on voit bien qu'un problème de cohérence de l'action politique peut survenir.

Je conçois qu'un certain pragmatisme soit nécessaire pour passer de la situation actuelle à la situation nouvelle, et que l'on ne peut ignorer les réalités politiques tant de la Haute-Corse que de la Corse-du-Sud. Pour autant, il faut davantage lever les ambiguïtés sur les rapports entre la future collectivité territoriale unique et les deux nouvelles circonscriptions administratives. Si la solution proposée présente des similitudes avec la loi PLM, on peut dans le même temps reconnaître que les compétences envisagées pour les conseils territoriaux n'ont rien de commun avec celles des mairies d'arrondissement. En conséquence, la primauté de l'Assemblée de Corse doit être affirmée de façon indiscutable, sinon son caractère de collectivité territoriale sera de facto remis en cause.

La clarté de la consultation exige encore que soient précisés les mécanismes d'élection à l'Assemblée de Corse. L'instauration de la parité n'appelle pas de remarques particulières de notre part. Elle se fera, et nous le souhaitons dès cette loi, conformément aux indications formulées, dans sa récente décision, par le Conseil constitutionnel, à la suite de sa saisine par les sénateurs de gauche. Il n'en est pas de même des autres éléments de l'annexe. Le nombre de secteurs géographiques retenus, l'importance de la prime majoritaire peuvent confirmer ou dénaturer le caractère du scrutin de liste à la représentation proportionnelle.

Il paraît essentiel de savoir si les orientations du futur projet de loi expriment le souhait de concilier à la fois la représentation à l'Assemblée de Corse des différentes opinions politiques existant dans l'île et la nécessité d'assurer la majorité stable nécessaire au bon exercice des compétences. Il est nécessaire que ce point soit explicité avant la consultation prévue.

Même si c'est à notre Parlement qu'il appartiendra encore de choisir, il serait opportun que les travaux du groupe de travail que vous avez mis en place soient connus des électeurs et que le Gouvernement fasse connaître sa position au-delà de ce que vous avez évoqué lors de la réunion de la commission des lois.

Si la consultation future doit s'effectuer dans la clarté, elle doit aussi s'effectuer dans la sérénité. Ce sera le dernier point de mon intervention.

La violence est le lot commun des Corses. Depuis trop longtemps, ils en sont les premières victimes. La paix civile est indissociable de la démocratie. Faut-il, pour autant, faire du retour à la paix civile la condition préalable à l'évolution institutionnelle ? Nous ne le croyons pas. Subordonner l'évolution institutionnelle à la fin de la violence ferait de ses auteurs les seuls maîtres du jeu. L'ordre public est une priorité en Corse comme sur l'ensemble du territoire national, mais en faire un préalable serait, d'une certaine façon, accepter les diktats de la violence.

Au demeurant, nous nous interrogeons, monsieur le ministre, pour savoir si la date du 6 juillet, évoquée pour la consultation prévue, est la meilleure. Ne faut-il pas allonger le délai prévu à l'article 1er pour que les Corses puissent se prononcer dans les meilleures conditions ?

Si cette date est maintenue, la campagne officielle débuterait le 23 juin, pour une durée de quinze jours. La campagne référendaire coïnciderait avec la fin du procès des assassins présumés du préfet Claude Erignac, à la mémoire duquel il ne faut cesser de rendre hommage et à la famille duquel justice doit être rendue.

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Très bien !

M. Bernard Frimat. Cette coïncidence calendaire doit-elle être maintenue ?

Mes amis Jean-Pierre Bel et Jean-Claude Peyronnet complèteront mon intervention.

Je conclurai, monsieur le ministre, en vous réaffirmant la volonté de mon groupe, par fidélité à la démarche engagée par Lionel Jospin et parce qu'elle témoigne de nos convictions, de se situer dans une démarche qui écarte, sur ce sujet, tout systématisme d'opposition. C'est à l'issue du débat, des réponses de la majorité et du Gouvernement à nos interrogations formulées sous la forme des amendements que nous avons présentés que nous arrêterons notre position de vote.

Il est de notre responsabilité commune de doter la Corse des institutions et des compétences qui, dans l'unité de la République, lui permettront d'assumer sa spécificité et de réussir son développement économique, culturel et social. Je souhaite que nous y parvenions.(Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. Nicolas Sarkozy, ministre. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme Hélène Luc.

Mme Hélène Luc. Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues. Ainsi le Gouvernement décrète l'organisation d'un référendum en Corse, plusieurs semaines d'ailleurs avant que le débat n'ait lieu au Parlement, sans proposer un projet économique et social réel pour la Corse, dans la précipitation donc, bien que vous vous en défendiez, monsieur le ministre. Je crains qu'il ne s'agisse de créer un espace libéral livré aux appétits financiers attisés par la dérégulation !

Monsieur le ministre, vous ne voulez pas d'immobilisme. Nous non plus ! Cependant je constate, avec regret, que votre projet de loi évacue la question économique et sociale, pourtant essentielle en Corse.

Lors de chaque réforme, les sénateurs communistes, avec beaucoup d'autres, ont rappelé que l'épanouissement de la Corse ne pourrait se faire que dans le cadre d'un développement maîtrisé, assurant le progrès social et l'égalité, sur l'île.

Chacun, au fond de lui-même, sait que la violence perdure en Corse du fait, pour l'essentiel, de la fragilité économique et sociale.

Certains nous accuseront de simplisme. C'est pourtant la réalité quant au fond. Comment envisager de sortir d'une dérive politico-mafieuse sans assurer la création d'emplois, sans s'inquiéter du niveau de vie économique ?

M. le rapporteur, après avoir approuvé, sans états d'âme, un projet qu'il n'aurait peut-être pas accepté si facilement il y a trois ans, note qu'il faut « rappeler la nécessité de répondre aux défis du rétablissement de la sécurité et du développement économique ».

Comment ne pas s'étonner - et cela mérite bien un rappel qui, de ma part, sera un rappel à l'ordre - de l'absence complète de perspectives économiques et sociales dans l'annexe qui est jointe au projet de loi et qui est censée éclairer l'électeur ?

Qu'attendent les Corses ? Une collectivité en plus ou en moins ? Même si ce sujet est important, nous considérons, pour notre part, indispensable de conserver l'échelon départemental, en Corse comme sur le reste du territoire national, mais c'est d'autant plus vrai en Corse du fait de l'étendue de l'île.

Le souci des Corses concerne le développement de leur île et la préservation d'un patrimoine que l'on nous envie, dont, à juste titre, ils sont fiers et auquel ils sont attachés comme nous tous.

M. le rapporteur, dans un chapitre intitulé : « Un développement économique insuffisant », rappelait que « le niveau de vie en Corse est inférieur à celui que l'on constate dans beaucoup de régions françaises ».

« En l'an 2000, poursuivait-il, le revenu disponible brut des ménages était inférieur de 2 000 francs par habitant au montant de la province et de 5 900 francs à celui de l'Ile-de-France. »

Ce revenu est constitué pour près de la moitié de prestations sociales.

M. Courtois rappelait aussi que le produit intérieur brut par habitant était inférieur de 26,6 % à la moyenne métropolitaine. Seules les régions Poitou-Charentes et le Languedoc-Roussillon sont plus mal loties.

Je ne reviendrai pas sur l'importance que revêt l'intervention du fait de la faiblesse de l'activité économique. C'est vous-même, monsieur le ministre de l'intérieur, qui notiez que l'employeur le plus important de l'île, après l'Etat, était une manufacture de tabac, qui emploie cinquante-six salariés.

Déjà, le 6 novembre 2001, Robert Bret évoquait nos craintes, qui sont renforcées aujourd'hui. « Pour nous, disait-il, il ne s'agit pas de changer le statut institutionnel de la Corse pour le simple plaisir de le faire ou pour flatter telle ou telle fraction politique. Il s'agit d'adapter au mieux les institutions pour permettre à tous ceux qui vivent en Corse d'être les auteurs du développement de l'île. Or l'ensemble du projet s'articule non pas autour du développement, mais autour de la décentralisation, pour ne pas dire de l'autonomie croissante qui serait accordée à la collectivité territoriale de Corse. »

Ces propos conservent, bien entendu, toute leur valeur, d'autant que le Gouvernement de M. Raffarin est parfaitement silencieux, contrairement au précédent, sur les modalités précises d'un effort de développement et sur le rôle des services publics dans ce cadre. Comment, par exemple, envisager un véritable décollage économique sans politique de grands travaux concernant le chemin de fer, l'hydroélectricité, le réseau routier, l'agriculture, la recherche et, pourquoi pas ? l'électronique ?

Vous le savez, monsieur le ministre, la liaison ferroviaire entre Bastia et Ajaccio prend trois heures trente, soit plus qu'entre Paris et Marseille ! Certes, le parcours est d'une beauté rare, mais, pour favoriser la vie économique, il faut développer des moyens de transports rapides et sûrs, ce qui limiterait aussi un peu la circulation automobile, si meurtrière en Corse !

L'immobilier et le tourisme ne feront pas tout, monsieur le ministre.

Ce qu'attendent les Corses, c'est un vaste projet pour l'île qui se fonde sur un investissement productif dont l'Etat, n'en déplaise aux libéraux, ne pourra, bien entendu, pas être absent.

M. Gérard Larcher, aujourd'hui président de la commission des affaires économiques, avait, le 6 novembre 2001, bien posé le problème : « La solution ne pourra cependant résulter d'une gesticulation institutionnelle. C'est d'abord par des mesures pratiques que nous sortirons de l'impasse, car il s'agit de changer la vie quotidienne des Corses. Par-delà l'insularité et la violence, le problème principal posé à la Corse demeure son développement économique. »

M. Larcher, dont nous apprécions le travail parlementaire, rigoureux, même si nous ne nous situons pas du même côté de l'hémicycle, qualifiera-t-il, comme il l'a déjà fait, la énième péripétie institutionnelle que vous nous proposez de « gesticulation » ? Il s'agit en fait d'une tentative de plébiscite ! Réussira-t-elle ? Rien n'est moins sûr !

Le Gouvernement utilise en effet la spécificité de la Corse, qui est réelle - l'histoire, la culture, la géographie l'ont construite -, pour enclencher au plus vite une réforme institutionnelle qui dépasse la seule île.

Non, monsieur le ministre, malgré les dénégations que je devine, j'estime que votre priorité n'est pas la Corse. Votre priorité, c'est la remise en cause de l'architecture républicaine de nos institutions dans le droit-fil de la réforme constitutionnelle, réforme contre laquelle nous avons voté à Versailles.

Vous prenez date en proposant la suppression des départements, en engageant un processus d'autonomisation d'une collectivité territoriale dans un flou dangereux pour la démocratie française, qui est fondée sur la solidarité nationale.

Nous soutenons depuis longtemps l'idée d'une consultation des Corses sur leur avenir et nous continuerons de le faire, mais nous ne soutiendrons pas une tentative de plébiscite de la droite pour des choix libéraux, qui desservirait rapidement les Corses et, demain, l'ensemble de nos compatriotes.

Le véritable enjeu du référendum n'est pas clairement explicité. C'est pourquoi mon ami Robert Bret défendra une motion de renvoi en commission. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Paul Girod.

M. Paul Girod. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, permettez à celui dont le temps a fait un parlementaire déjà ancien d'exprimer l'émotion qu'il ressent en montant à cette tribune pour participer, pour la quatrième fois, à un grand débat consacré à la Corse.

M. François Autain. Ce n'est peut-être pas la dernière fois !

M. Paul Girod. Il est vrai que ce débat se déroule dans un climat quelque peu brouillé par un texte récent, totalement inadmissible, concernant l'honneur du préfet Erignac. Nous avons tous, me semble-t-il, le souci de réaffirmer notre rejet des thèses qui y sont exprimées.

La Corse, cette montagne plantée dans la mer, si riche par sa beauté, si insuffisante par son développement et si attachante par ses habitants ! Vous avez eu, monsieur le ministre, pour en parler, des accents qui ne trompent pas. Nous vous savions passionné ; nous vous avons découvert tout à l'heure presque lyrique. L'affection que vous portez à cette île, nous la partageons tous.

Pour comprendre la Corse, pour comprendre la société qui la compose, peut-être faut-il se rappeler qu'elle s'est sentie partie prenante de la grandeur de la France et déconcertée jusqu'au désarroi par la réduction du rôle géographique de notre pays dans le monde.

Société en miniature, poussant parfois jusqu'à la caricature qualités et défauts de la nôtre, elle a fourni à la République, et à la France de l'empire colonial, le meilleur et le moins bon.

Repliée dans l'île, relativement parlant en tout cas, elle y a reproduit et développé un tissu de solidarités et de frustrations mal compris sur le continent, mais qui est le filigrane de situations réelles.

Vous l'avez dit, nombreuses ont été les constructions intellectuelles et les essais de solution sur les deux problèmes majeurs de la Corse : son développement insuffisant et l'insécurité qui y règne.

Y a-t-il relation de cause à effet ? Sans doute, encore que l'analyse qui découle de cette interrogation soit un peu celle de l'oeuf et de la poule.

Les efforts conceptuels, disais-je, n'ont pas manqué. Point n'est cependant besoin de chercher beaucoup pour trouver, ici et là, un certain nombre d'effets pervers. Je prends un exemple, celui de la continuité territoriale, séduisante en elle-même, mais qui, en dehors du fait qu'elle a quelquefois plus de réalité sur le port de Marseille qu'en Corse, a eu pour effet négatif de mettre bien des entreprises de l'île en concurrence, mais sans défense, avec des producteurs du continent qui amortissent leurs frais généraux sur des marchés beaucoup plus vastes que ceux de la Corse.

Cela explique peut-être une part du déclin économique de l'île. Il faudra avoir ces données en permanence présentes à l'esprit lorsque nous aborderons la question de la responsabilité.

Par ailleurs, et vous l'avez également souligné, la loi de 2002 fut surtout une loi de transfert de compétences, une tentative pour réveiller les forces économiques de l'île. Je vous remercie de l'avoir mise en oeuvre sans délai et d'avoir prorogé les zones franches, conformément aux souhaits du Sénat. Les effets de ce que l'on disait impossible maintenant viennent se cumuler avec ceux de l'avoir fiscal.

Mais cette loi ne voulait pas être que cela. Elle visait à amorcer une réforme des institutions, à ouvrir la voie à des expérimentations législatives non encadrées et à imposer comme obligatoire l'enseignement du corse, ce qui aurait inévitablement abouti à une dissociation progressive entre la qualité de la formation et la capacité des jeunes Corses à obtenir des diplômes nationaux ou européens. Il s'agit de deux dispositions auxquelles le Sénat s'était opposé, non sans succès et sur lesquelles mon sentiment n'a pas changé.

Vous pensez que la réforme institutionnelle rompra la spirale de l'irresponsabilité et donc celle de l'échec. Sur ce point, je dois rendre hommage au travail de la commission des lois et de son rapporteur, qui a fait ce qu'il fallait pour se rendre compte de l'état d'esprit réel dans l'île et des possibilités qu'ouvrait cette perspective. Il est permis, utile et même salutaire de l'espérer.

Les Corses, sur votre proposition, seront amenés à trancher, nous verrons bien quel sera leur verdict, mais quel qu'il soit, ce sera le leur : soit le statut des villes de 230 000 habitants à l'image de nos grandes cités avec, bien entendu, des aménagements, soit le statu quo actuel.

Cette question institutionnelle tranchée peut, et c'est mon souhait, aider à voir émerger des us et coutumes moins familiaux dans tous les sens du terme. Rien ne remplace la responsabilité dans la gestion, comme l'ont compris ceux qui depuis quelques mois ont pris, quelquefois à la surprise générale, la responsabilité de certaines villes corses, rompant avec certaines traditions anciennes pour se consacrer plus que par le passé à la véritable gestion de leur cité.

Mais quels sont les risques ultérieurs, voire collatéraux de la question que vous allez poser ? Je persiste à considérer comme dangereuse la pression excessive qui risque de s'exercer en faveur de l'expérimentation législative, surtout si elle est portée par des intérêts dits nationalistes et trop souvent mafieux.

En revanche, s'il s'agit de mettre en oeuvre une action dynamique d'adaptation réglementaire, cela me semble de toute évidence indispensable, et, dans d'autres temps, j'avais d'ailleurs fait des propositions afin que toutes les régions françaises puissent disposer d'une réelle marge de manoeuvre sur l'interprétation réglementaire de textes spécifiques. Ce n'est pas la voie qui a été suivie, mais je ne désespère pas de voir un jour un tel dispositif se mettre en oeuvre.

C'est ce choix-là, entre les dérives excessives de l'expérimentation législative et une pratique effective et efficace de l'adaptation réglementaire, qui devra être fait par les nouveaux responsables qui seront prochainement choisis par les Corses.

C'est aussi pour permettre leur émergence que je vous soutiendrai dans l'offre de choix que vous faites aux citoyens français de Corse. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)

M. Nicolas Sarkozy, ministre de l'intérieur. Je vous remercie.

M. le président. La parole est à M. Michel Mercier.

M. Michel Mercier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je ne suis pas un spécialiste de la question corse, que je voudrais donc aborder avec l'humilité qui sied à sa complexité même.

Vous nous avez rappelé, monsieur le ministre, combien nous avions connu d'échecs dans le traitement de cette question : toutes les réformes institutionnelles ont été rapidement remises en cause.

Vous nous proposez ce soir de demander aux Corses de dire comment ils voient l'organisation institutionnelle de la Corse : c'est probablement le bon sens qui parle.

Lorsque nous avons tenté de décider l'avenir de la Corse à l'échelon national, nous n'avons connu que des échecs ou des demi-succès. Il faut sortir des impasses et demander aux Corses qu'ils nous disent une fois pour toutes de quelles institutions ils entendent disposer dans le cadre de la République.

Mon groupe vous soutiendra dans cette démarche.

Vous avez rappelé que les premières victimes de la situation dans l'île étaient les Corses eux-mêmes. Il est donc juste qu'il leur revienne de dire quelle solution ils entendent donner à cette question pour pouvoir passer à d'autres sujets tout aussi importants.

La décision que, je l'espère, nous allons prendre de consulter les Corses sur cette vision institutionnelle constituera aussi, vous l'avez souligné, la première mise en oeuvre des nouvelles dispositions constitutionnelles relatives à la décentralisation. Ce point est extrêmement important. Le fait que vous ayez choisi d'utiliser cette procédure pour la Corse peut se justifier non seulement par l'urgence de la question, mais aussi par sa complexité.

Cela étant, la façon dont on tiendra compte de cette consultation fera jurisprudence. Nous devons donc affirmer très clairement que la consultation n'épuisera pas les prérogatives du Parlement. Si les Corses donnent une réponse positive, une situation politique sera créée, qui permettra de progresser selon les orientations figurant en annexe au projet de loi organisant la consultation. Toutefois, le Parlement pourra bien entendu encore jouer son rôle dans toute sa plénitude : le droit d'amendement ne sera pas supprimé et nous serons saisis d'un texte portant statut de la collectivité unique de Corse.

Je crois important de rappeler cela. Un déblocage politique se produira, c'est vrai, mais il sera également nécessaire d'aller plus loin sur les plans juridique et parlementaire. Nous ne devons pas, à mon sens, anticiper aujourd'hui le débat qui se tiendra à l'automne. Néanmoins, un certain nombre de points doivent être soulignés, puisque les Corses devront se prononcer sur les orientations que j'ai évoquées.

Je formulerai donc maintenant quelques brèves observations au regard d'une situation très complexe, sans avoir la prétention d'apporter des solutions.

Tout d'abord, nous devons tous reconnaître très nettement que l'actuelle Assemblée de Corse ne peut continuer à fonctionner selon le régime électoral qui est pour l'heure le sien. Le Conseil constitutionnel l'a rappelé de façon très claire dans ses commentaires sur l'article 9 de la loi relative à l'élection des conseillers régionaux et des représentants au Parlement européen ainsi qu'à l'aide publique aux partis politiques. Il convient, dans le délai le plus court possible, de mettre ce texte en accord avec le droit commun en matière de parité. A cet égard, le Conseil constitutionnel a d'ailleurs souligné que le principe de parité, de valeur constitutionnelle, était même supérieur au principe d'égalité ; si les assemblées des autres régions se trouvaient dans la même situation que l'Assemblée de Corse, le principe de parité devrait prévaloir sur le principe d'égalité. Nous sommes, par conséquent, dans l'obligation d'agir, et nous pourrons le faire dans un sens clair et avec le soutien de la population corse dès lors que celle-ci se sera prononcée.

Par ailleurs, nous voulons attirer votre attention, monsieur le ministre, sur un point relativement précis touchant aux institutions. Nous comprenons bien qu'il ne puisse exister trois collectivités différentes en Corse et que l'instauration d'une collectivité unique puisse être décidée demain. Cependant, on relève un certain nombre de spécificités corses, ne serait-ce que sur le plan de la géographie : on ne passe pas facilement d'une vallée à une autre. Or le texte figurant en annexe au projet de loi prévoit expressément que les membres de la nouvelle assemblée de Corse représenteront les populations naturellement, mais aussi les territoires, étant élus dans des secteurs géographiques déterminés. Sans que vous vous engagiez aujourd'hui sur le fond, je crois qu'il serait intéressant, monsieur le ministre, que vous nous apportiez des précisions sur cette question de l'ancrage des futurs élus dans des territoires complexes et de la représentation des courants d'opinion.

Sous réserve de la communication de ces éléments d'information, les membres du groupe de l'Union centriste approuvent votre projet de demander aux Corses de prendre leurs responsabilités et d'indiquer dans quel cadre ils souhaitent que se construise leur avenir, au sein, bien sûr, de la République. Cette prise de position pourra être le point de départ vers un futur meilleur pour nos compatriotes et amis corses. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Peyronnet.

M. Jean-Claude Peyronnet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, pas plus que M. Michel Mercier je n'ai une connaissance intime de la Corse, et c'est la première fois que j'interviens à propos d'un texte la concernant.

Mon ami Bernard Frimat vous a dit, après la concertation menée au sein de notre groupe, combien nous portons sur le sujet un jugement nuancé, combien nous pensons qu'il faut être humbles pour l'avenir et combien, enfin, quel que soit le scepticisme des uns ou des autres, nous refusons de prendre des positions qui pourraient interdire à l'espoir de vivre.

J'interviens donc moins sur la Corse que sur la décentralisation en général, moins à propos de l'île, à laquelle je ne conteste pas qu'il soit nécessaire d'affecter un statut particulier, qu'à propos de l'ensemble de notre territoire, pour lequel nous avons voté, voilà quelques semaines, une révision constitutionnelle dont, dès aujourd'hui, nous mesurons l'importance puisque nous en sommes parvenus aux travaux pratiques !

Autant le texte de M. Jospin, auquel vous vous référez souvent, monsieur le ministre, était spécifique à la Corse, autant le vôtre est marqué, par-delà cette spécificité, par une volonté d'exemplarité. Quelques citations clarifieront les choses. Ainsi, sur les accords de Matignon et leur suite législative, le ministre de l'intérieur de l'époque, Daniel Vaillant, s'était-il exprimé de la façon suivante devant la commission des lois de l'Assemblée nationale : « (...) le Gouvernement ne prend pas la Corse comme un champ d'expérimentation en vue d'une généralisation ».

Au regard de cette démarche spécifique et pragmatique, on pourrait dire que le gouvernement actuel et sa majorité affichent au contraire une position idéologique et généralisatrice. Ainsi, M. Jacques Barrot déclare qu' « il ne s'agit pas de supprimer bêtement un échelon départemental, mais de mieux l'imbriquer dans la réalité régionale ». Le Premier ministre a été plus explicite encore le 7 avril dernier à Ajaccio : « La Corse prend la tête de la nouvelle régionalisation française (...). Elle sera pionnière dans l'organisation d'un système simplifié qui vaut pour l'ensemble de la République. » C'est clair !

Vous aussi avez d'ailleurs été parfaitement clair, monsieur le ministre, notamment devant la commission des lois du Sénat, lorsque vous m'avez indiqué que vous approuviez l'« aspiration » - c'est le terme que vous avez employé - d'une collectivité par une autre.

Certes, il y a quelque contradiction à jouer, comme vous le faites, la double partition de la spécificité et de l'exemplarité : si la Corse a besoin d'un statut particulier, c'est qu'elle doit, pour toutes les raisons que l'on sait, se distinguer ; si la réforme menée en Corse est exemplaire, c'est qu'elle a vocation à préfigurer la future organisation territoriale du pays. Ce qui est bon pour la Corse serait donc bon pour le continent : c'est précisément ce dont je ne suis pas persuadé.

Toutefois, il est vrai que ce combat est, dans son principe, en partie déjà dépassé puisque, je vous le concède, cette évolution est bel et bien contenue dans la révision constitutionnelle. A l'époque, j'avais, au nom de mon groupe, dénoncé ces évolutions possibles, affrontant le scepticisme et l'incrédulité de nombre de vos amis. En réalité, c'est bien M. Debré qui avait raison, mais, pas plus que moi-même, il n'a pu réussir à ouvrir les yeux de l'écrasante majorité des membres du groupe de l'UMP, qui n'ont pas voulu voir les conséquences de ce qu'ils votaient.

Pourtant, sur deux points au moins - la tutelle et la suppression des échelons administratifs -, nous avons insisté, d'une façon sans doute quelque peu pesante.

S'agissant de la tutelle d'une région ou d'une autre collectivité sur un autre niveau, votre obstination à refuser toutes les solutions amiables locales, votre refus d'accepter l'idée d'un accord, d'un contrat ou d'un pacte librement consenti entre collectivités - c'est la question du chef de file - étaient bien sûr des signes suspects. Oui, il est clair que certaines collectivités peuvent établir une tutelle sur d'autres, malgré le principe affirmé par la première phrase de l'alinéa 5 de l'article 72 de la Constitution.

Une tutelle pourra donc être exercée par une collectivité sur une autre, à moins - c'est là l'astuce particulière qui vous évitera les foudres du Conseil constitutionnel - que vous ne pratiquiez l'absorption par le haut. Effectivement, la collectivité territoriale à statut particulier de Corse n'établira pas de tutelle sur les départements, puisque ceux-ci seront absorbés, avalés ou ingurgités ! Ils ne disparaîtront pas, restant des circonscriptions administratives de l'Etat, avec à leur tête des préfets. Ils conserveront tous les attributs des anciens départements, mais ils deviendront des subdivisions de mission de la collectivité territoriale, dont ils appliqueront la politique et dont ils recevront les subsides.

Monsieur le ministre, j'ai bien compris que, dans votre esprit, ce système est transposable, et même généralisable. C'est là, je le crois, le modèle que le Premier ministre a en tête depuis le premier jour : de grandes régions levant seules l'impôt et définissant les politiques appliquées, sous leur autorité et avec une dotation affectée par des départements sous tutelle, en attendant que ce système soit étendu par « simplification », par le biais des agglomérations, aux communes !

Je ne suis pas vraiment d'accord avec ce schéma, que je crois contraire non seulement à la tradition républicaine mais aussi au maintien d'une vie démocratique locale active. Supprimer les départements, avant sans doute de supprimer les communes au profit des structures intercommunales, ne va pas vraiment dans le sens de la République des proximités tellement vantée par le Premier ministre. Et quid de l'Europe ? Quid de la France et de son Etat-nation ? La porte s'ouvre décidément toute grande sur une Europe des régions, que nombre d'entre vous, mes chers collègues, appellent de leurs voeux. Quant aux autres, je les invite à résister.

La Constitution a beau avoir été révisée pour faciliter cette évolution, une première application a beau être proposée pour la Corse, je pense que cette évolution, cohérente mais néfaste, est contestable dans la méthode, qu'elle peut être amendée et sans doute fortement infléchie. En effet, c'est bien la méthode que je conteste d'abord.

Je vois bien où vous voulez aller. Je ne vois pas comment vous pourriez aboutir sans constituer un gigantesque patchwork administratif, au nom prétendument des libertés locales et du droit à l'expérimentation.

Vous me répondrez que l'arsenal législatif à venir clarifiera les choses. En attendant, on aimerait pouvoir obtenir dès maintenant des précisions sur ces perspectives d'évolution.

En particulier, quelle sera l'importance du rôle du Parlement - je fais miennes les interrogations de mes collègues Michel Mercier et Bernard Frimat sur ce point - et quels seront le poids et la portée de la jurisprudence qui s'établira en Corse ? Absorption ? Fusion ? Soit, mais qui décide ? La loi, me direz-vous ! Bien sûr, mais qui saisit le législateur, et à partir de quelles données et de quelles initiatives locales ? Est-ce qu'une partie du territoire dont on projette la constitution pourra se prononcer et être écoutée ? Y aura-t-il des OPA - des offres publiques d'absorption ! - comme celle de l'Auvergne, lancée par son président en direction du Limousin ? Celles-ci seront-elles amicales ou hostiles ? Le Haut-Rhin pourra-t-il éventuellement dire qu'ils ne souhaite pas se fondre dans un ensemble alsacien unique, ou bien la consultation sera-t-elle organisée exclusivement à l'échelle de l'ensemble projeté, ce qui donnera tout son poids démographique au Bas-Rhin ?

En outre, monsieur le ministre, après avoir accepté et sans doute suscité des fusions, consulté les populations sur ce sujet, comment pourrez-vous refuser les propositions de défusion ? Ne voyez-vous pas que les perspectives que vous ouvrez sont dangereuses pour certaines régions et certains départements périphériques ?

Cette méthode, apparentée à l'expérimentation, me semble détestable. Un vrai débat conduit sur l'ensemble du territoire français eût été préférable, mais vous allez laisser l'équilibre des pouvoirs de la République s'établir au gré des appétits et arrangements locaux. Je crois, en mon âme et conscience, qu'il s'agit là d'une faute. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. François Autain.

M. François Autain. A la lecture du texte que vous nous présentez, monsieur le ministre, force est de constater que la démarche adoptée s'inscrit clairement dans la ligne du processus de Matignon.

Selon le gouvernement d'alors, une seule raison justifiait ces accords : l'espoir d'un retour à la tranquillité publique et de l'arrêt du terrorisme. Ils prévoyaient, pour 2004, la tenue d'un référendum constitutionnel censé doter la Corse d'une collectivité unique. Deux conditions suspensives étaient en outre fixées : l'accord des pouvoirs publics en place et le rétablissement durable de la paix civile.

Or, depuis que vous avez pris vos fonctions, monsieur le ministre, la violence, n'a hélas ! pas cessé dans l'île. Les attentats succèdent aux attentats. Je sais bien que vous avez dit tout à l'heure que, lorsqu'on en parlait, on les politisait,...

M. Nicolas Sarkozy, ministre. C'est exact !

M. François Autain. ... mais je vais tout de même en énumérer quelques-uns, qui me semblent particulièrement significatifs : des bâtiments administratifs, des entreprises, des commerces, des véhicules ont été pulvérisés, la caserne de Furiani a été dynamitée et, surtout, un attentat a touché le conseil général de Corse-du-Sud en mars. Ce dernier acte a valeur de symbole, tant on sait à quel point il est primordial, pour les indépendantistes, de se débarrasser des départements !

Par conséquent, il ne semble pas, monsieur le ministre, que les conditions soient réunies pour que la consultation projetée puisse se dérouler dans la sérénité. Dès lors que vous avez accepté de discuter sans préalable avec des gens qui refusent de condamner la violence, qui cautionnent, de quelque manière que ce soit, les menées subversives de groupes clandestins, vous avez, monsieur le ministre, fait preuve de faiblesse, au moins à leurs yeux.

N'est-ce pas en effet M. Talamoni, dont on sait le véritable objectif et les moyens qu'il entend utiliser pour l'atteindre, qui déclarait voilà quelque temps à un journal irlandais que « la violence est l'adjuvant indispensable de la lutte pour l'indépendance » ? De telles déclarations augurent mal de l'avenir de la démocratie dans l'île...

La règle commune de la démocratie veut en effet que les différends soient réglés par le biais des bulletins de vote. Dès lors que des groupes s'arrogent le droit de parler au nom de la majorité, dès lors qu'ils parviennent, par la violence ou par la menace d'y recourir, à obtenir ce que les urnes leur refusent, la démocratie est gravement menacée.

Pourquoi faire de la minorité indépendantiste la clé de toute majorité à l'Assemblée de Corse en retenant un mode de scrutin proportionnel qui leur donnera un rôle charnière, qui aboutira à ce qu'une minorité dicte sa loi à la majorité ? Pourquoi leur donner satisfaction en supprimant les conseils généraux, seuls organes démocratiques sur lesquels ils n'avaient pas encore prise ? Au lieu d'encourager ceux qui, en Corse, se consacrent à l'amélioration de l'Etat de droit, s'attachent au respect des règles, on ouvre la voie à tous les passe-droits. Pour ceux qui rêvent de bâtir un grand « Monte-Carlo » au milieu de la Méditerranée, tous les espoirs sont permis !

Les référendums régionaux, en segmentant le peuple français en vingt-deux peuples distincts, conduiront à une rupture juridique qui ne relève pas seulement d'une question de principe : l'usage du référendum régional, en Corse comme ailleurs, dressera la région concernée contre le reste du pays. C'est mettre à mal la notion d'unité du peuple français. Dans sa grande sagesse, le Conseil constitutionnel avait censuré, le 9 mai 1991, la notion de « peuple corse », car il n'existe de peuple que français ! Il considérait que la Constitution ne reconnaît que le peuple français, composé de tous les citoyens français sans distinction d'origine, de race ou de religion.

A défaut de moderniser l'Etat, on le balkanise, en pensant que régionaliser un problème suffit à le résoudre. Au cas où cela ne serait pas suffisant, on fait appel à l'Europe, car l'idée d'une France fédérale éclatée dans une Europe des régions correspond bien à l'objectif du Gouvernement, même si ce projet est inavoué et largement ignoré des citoyens.

La suppression des deux départements de Haute-Corse et de Corse-du-Sud et leur remplacement par des conseils territoriaux s'inscrit bien dans cette perspective. Que l'on ne s'y trompe pas, mes chers collègues : si des conseils territoriaux sont mis en place, ils n'auront en fait aucune réalité tangible, puisqu'ils seront privés de la personnalité juridique. Tout d'abord, leurs compétences seront clairement subordonnées à celles de l'Assemblée de Corse. Ensuite, ce sont les mêmes élus qui siégeront dans les trois assemblées. Autant dire que la pratique conduira à vider les conseils territoriaux de leur substance ; ils seront réduits au simple rôle de « courroie de transmission ».

Jean-Pierre Raffarin le dit souvent : « La Corse constitue un laboratoire en matière de décentralisation. » Ce texte de loi préfigure sans aucun doute ce qui va advenir dans toutes les régions françaises, à savoir la disparition des départements, qui seront transformés en simples subdivisions administratives, avec, à la clé, l'avènement de grandes régions comparables aux Lander allemands, capables de négocier directement avec Bruxelles en faisant abstraction de l'Etat. Est-ce vraiment cela que nous voulons ?

Que l'on cesse d'encourager les féodalités qui se taillent des fiefs et que, pour cela, la loi républicaine soit appliquée fermement et sereinement ! Alors, le développement de l'investissement public et un vigoureux soutien à l'investissement privé permettront de rattraper le retard existant. C'est de cela que la Corse a besoin, et non de la dévolution partielle d'un pouvoir législatif réclamé par une minorité extrémiste. C'est pourquoi les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen voteront contre ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)

Mme Hélène Luc. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Paul Natali.

M. Paul Natali. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes aujourd'hui réunis dans l'hémicycle sénatorial pour débattre, une fois encore, d'un texte relatif à la Corse, une fois encore !

En effet, au cours des trois dernières décennies, le paysage institutionnel de la Corse a été marqué par des transformations successives, avec, d'une part, la bidépartementalisation en 1975 et, d'autre part, l'apparition puis le renforcement de l'échelon régional, à travers les quatre étapes successives de l'établissement public régional en 1972, de la région en 1982, de la collectivité de Corse en 1991 et, enfin, de la loi du 22 janvier 2002. Et je ne parle pas des textes fiscaux.

Avec une collectivité régionale de statut particulier, deux départements, six offices, neuf compagnies consulaires départementales ou régionales, probablement plus d'une centaine de commissions consultatives de différents niveaux et un paysage intercommunal encore très fragmenté, la question de la simplification de l'administration d'un territoire de 260 000 habitants se pose nécessairement, et je tiens à rendre un hommage appuyé à M. Nicolas Sarkozy qui a eu le courage de s'y atteler dans un contexte pourtant rendu plus difficile par la démarche hasardeuse du précédent gouvernement socialiste.

J'en profite pour remercier le rapporteur, M. Jean-Patrick Courtois, qui a effectué un excellent travail, dans un esprit d'ouverture et d'écoute.

Lors de la campagne présidentielle, Jacques Chirac avait dénoncé à juste titre les rafistolages institutionnels en précisant : « Je n'accepterai pas demain, en 2004 ou à quelque autre date, ce que j'ai refusé hier. »

Il est vrai que la réforme que le Gouvernement nous propose aujourd'hui est non pas un rafistolage institutionnel, mais bel et bien un exercice de clarification et de simplification.

Si, au départ, j'ai en effet montré une certaine prudence, c'est parce que je craignais que la concentration absolue des pouvoirs dans les mains de la seule collectivité territoriale ne signifie la fin de la proximité des élus avec les citoyens. Or, les électeurs sont attachés à leurs conseillers généraux, parce qu'ils les connaissent, parce qu'ils sont proches d'eux. J'avais également émis quelques réserves sur la priorité qui doit être donnée en Corse : doit-elle être économique ou politique ? Il me semble en effet complexe de prendre en même temps à bras-le-corps ces deux facettes des difficultés que traverse la Corse. Le développement économique et social constitue en effet notre principal problème.

Toutefois, mes doutes sont maintenant levés, pour deux raisons. D'une part, parce que la proximité sera assurée par l'existence de deux conseils territoriaux et par la représentation des territoires et des populations. D'autre part, parce que la collectivité unique sera dotée des moyens d'action lui permettant, si elle sait se montrer dynamique, d'assurer le développement équilibré et durable de l'ensemble du territoire.

Il n'en demeure pas moins que, selon moi, des efforts doivent être faits s'agissant du dispositif fiscal, qui n'est pas encore suffisamment efficace. Mais c'est un sujet auquel, j'en suis sûr, le Gouvernement saura se montrer attentif.

Monsieur le ministre, vous avez également envisagé des mesures spécifiques pour stimuler notre agriculture dans son ensemble. Je m'en réjouis, car chacun connaît les difficultés de ce secteur pourtant vital de l'économie corse, et je sais pouvoir compter sur vous pour plaider notre cause avec vigueur auprès de vos collègues du Gouvernement.

C'est pourquoi je vous apporte mon entier soutien dans le processus qui s'ouvre aujourd'hui, et je serai à vos côtés pour que, le 6 juillet prochain, le « oui » l'emporte. Je dois cependant vous faire part de mon inquiétude sur le résultat si le débat n'est pas plus clairement tranché sur l'avenir de la Corse dans la République française. Certains républicains auront bien du mal, en effet, à mêler leurs suffrages aux voix des nationalistes.

J'en viens à l'annexe du projet de loi qui sera adressée, pour le scrutin référendaire, aux électeurs afin qu'ils se déterminent. C'est dire combien elle est importante ! C'est la raison pour laquelle je souhaiterais, dans une démarche de clarification du débat et des enjeux, qu'y soient apportées certaines précisions.

Tout d'abord, s'agissant des conseils territoriaux, il me semble primordial, d'ores et déjà, d'aborder la question des moyens qui leur seront alloués pour l'exercice des compétences qui leur seront attribuées, à savoir la gestion de l'aide sociale, les routes et les aides aux communes, c'est-à-dire, en gros, les principales compétences actuelles des départements.

Je souhaiterais aussi vivement que les présidents des conseils territoriaux soient membres de droit du conseil exécutif, car il y va de la cohésion et de la coordination de l'action publique en Corse.

Par ailleurs, dans la mesure où des compétences peuvent être confiées par la collectivité unique, selon son bon vouloir, aux communes et aux établissements publics de coopération intercommunale, il me semble important que ces derniers disposent des moyens concomitants et que les élus municipaux soient consultés sur ces délégations de compétences. Sur ces différents points, je proposerai donc des amendements.

Ne pourrait-on également envisager que des compétences, notamment la gestion des ports et des aéroports, puissent être déléguées par la collectivité unique aux chambres de commerce, qui sont des établissements publics d'Etat ?

M. René Garrec, président de la commission des lois. Cela ne pose pas de problème. Il suffit de passer une convention.

M. Paul Natali. Pour ce qui est du système électoral, le texte d'origine comme celui qui est proposé par notre commission établissent un certain nombre de critères : prime majoritaire, parité, représentation des territoires et des populations. J'adhère à ces principes. Mais alors pourquoi ne pas appliquer le droit électoral qui s'applique dans les autres régions ?

Le texte relatif à l'élection des conseillers régionaux, que nous avons voté voilà quelques semaines, répond à ces critères. Je proposerai donc que la loi du 11 avril 2003 s'applique à l'élection des membres de l'Assemblée de Corse. Tout en comprenant les interrogations que vous avez soulevées sur l'expression des minorités, je tiens à rappeler que, depuis que les nationalistes siègent à l'Assemblée de Corse, le nombre d'attentats n'a pas diminué.

Je profite de l'occasion qui m'est offerte aujourd'hui pour demander au Gouvernement quelques précisions sur trois points.

Tout d'abord, s'agissant de l'élection, le texte de l'annexe fait référence à la notion de secteurs géographiques. Qu'en est-il ? Ensuite, pouvons-nous avoir d'ores et déjà une idée du nombre de conseillers territoriaux pour chaque conseil territorial ? Enfin, peut-on envisager une adaptation constitutionnelle pour que les conseillers territoriaux soient élus au scrutin majoritaire uninominal à deux tours ? Monsieur le ministre, pouvez-vous m'apporter des précisions sur ces trois points ?

En outre, monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j'émets ici solennellement le voeu que s'ouvre dans cet hémicycle le débat essentiel sur la question véritable qui, depuis trois décennies, mine toute tentative de réforme et grève notre existence : les Corses veulent-ils oui ou non rester Français ?

Les nationalistes claironnent qu'ils n'ont pas peur d'une telle consultation. Mais c'est parce qu'ils sont persuadés qu'elle n'aura jamais lieu ! Les Républicains de Corse n'ont pas peur de relever le défi.

C'est afin d'ouvrir ce débat que j'ai déposé des amendements pour que soit organisé un référendum en Corse sur la question : « Voulez-vous oui ou non que la Corse reste dans la République Française ? » Bien sûr, je sens d'ici le vent de l'inconstitutionnalité qui souffle sur ces amendements.

M. René Garrec, président de la commission des lois. Eh oui !

M. Paul Natali. Mais voilà quinze ans, pour répondre au besoin de pacification en Nouvelle-Calédonie, le législateur n'avait pas hésité à modifier la Constitution. Rétablir la paix en Corse, lever les incertitudes sur l'avenir d'une île qui a versé tant de sang pour la mère patrie, cet enjeu ne mérite-t-il pas une réunion du Congrès du Parlement ?

Monsieur le ministre, vous avez choisi de donner la parole au peuple. C'est la plus noble et la plus courageuse des démarches. Pourquoi ne pas laisser aussi au peuple le soin de trancher, une fois pour toutes, la question de l'indépendance dont certains voudraient nous faire croire qu'elle est souhaitée par les Corses ? Nous aurions alors enfin les mains libres pour construire le futur avec sérénité. C'est donc dans l'espoir qu'un débat s'ouvre sur ce sujet que j'ai déposé des amendements.

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, voilà ce que je tenais à dire sur le texte qui nous est soumis.

Lorsque je me suis engagé en politique, c'était avec deux objectifs majeurs, qui sont toujours restés ma ligne de conduite : ancrer la Corse dans la République et travailler au développement de l'île. Je sais, monsieur le ministre, que vous partagez cette vision, et c'est la raison pour laquelle je vous apporte mon soutien total et ma confiance, avec le ferme espoir que, tous ensemble, nous réussirons à construire, pour la jeunesse de Corse, un avenir de paix et de prospérité. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Bel.

M. Jean-Pierre Bel. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, au terme de cette discussion générale, après les interventions, au nom du groupe socialiste, de M. Bernard Frimat, qui a indiqué certaines imprécisions et ambiguïtés du texte, et de M. Jean-Claude Peyronnet, qui a rappelé notre opposition à la remise en cause du principe de libre administration des collectivités locales et territoriales, je m'efforcerai d'être bref.

Je suis d'accord avec vous, monsieur le ministre, l'avenir de la Corse, l'avenir des femmes et des hommes de cette île qui, quotidiennement, depuis près de trente ans, vivent dans l'angoisse, souvent dans l'inquiétude et la violence, c'est là le véritable enjeu, c'est cela qui justifie nos débats sur le sujet et qui doit nous motiver pour prendre de la hauteur et tracer des perspectives afin de mettre un terme à la situation actuelle.

Vous l'avez compris à travers les propos de mes collègues MM. Bernard Frimat et Jean-Claude Peyronnet, le groupe socialiste ne veut pas prendre la Corse en otage. Nous n'en ferons pas le bouc émissaire de calculs politiciens, ni de nos peurs, ni même, d'une certaine manière, de nos fantasmes. Monsieur le ministre, je vais vous parler franchement : j'ai apprécié votre intervention, qui tranche nettement avec la position adoptée voilà un peu plus d'un an, à l'occasion de l'examen du projet de loi Jospin sur la Corse, par ceux qui constitue aujourd'hui la majorité.

J'ai la faiblesse de me souvenir de ma conclusion lors de l'examen de ce texte ici même : face au refus des membres de la majorité sénatoriale d'accepter les avancées que contenait ce projet de loi, nous les avions invités à prendre garde de ne pas répéter l'erreur commise au moment des lois de décentralisation Defferre : ne pas voter la décentralisation pour, ensuite, s'en faire les premiers défenseurs.

S'agissant de la Corse, c'est bien la même chose : après vous être opposés à la loi Jospin sur la Corse, chers collègues de la majorité sénatoriale, vous affirmez aujourd'hui que vous vous inscrivez dans la continuité de ce texte. En ce qui concerne le présent projet de loi, nous, nous ne serons pas nécessairement contre parce que vous êtes pour. Nous prendrons d'abord en compte l'intérêt de nos institutions républicaines, de la Corse et de ses habitants.

Je note, monsieur le ministre, que vous intervenez dans un contexte où, malheureusement, la violence n'a pas diminué. Permettez-moi d'exprimer, après M. Paul Girod, l'indignation que nous éprouvons à la lecture des appels qui visent à présenter le procès des assassins du préfet Erignac comme un procès politique. Notre réponse à l'assassinat lâche, d'une balle dans le dos, d'un préfet de la République ne peut souffrir aucune ambiguïté.

MM. Paul Girod et Jean-Claude Carle. Très bien !

M. Jean-Pierre Bel. Le fait, sous le gouvernement actuel comme sous le gouvernement précédent, de ne pas encore avoir pu appréhender l'auteur de ce crime, c'est un vrai drame pour notre République.

MM. Jacques Dominati et Jean-Claude Carle. Absolument !

M. Jean-Pierre Bel. Si aujourd'hui le contexte a changé, cela est dû non seulement à la récente relance de la décentralisation enclenchée par la révision constitutionnelle, mais aussi, vous en conviendrez, à la dynamique plus ancienne du processus dit « de Matignon » impulsé par M. Lionel Jospin.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, vous le comprendrez, nous sommes conduits à vous faire part de nos réserves. D'abord, sur la précipitation qui vous amène à proposer un référendum dans les trois mois, alors que vous auriez pu prendre le temps nécessaire, par exemple jusqu'au début de l'automne. La campagne va se dérouler dans le contexte du procès Erignac, ce qui risque de jeter le trouble dans les esprits. Elle se déroulera également dans des délais trop brefs pour que l'on puisse en espérer une vraie clarification. Et si l'on y ajoute le fait qu'elle aura lieu pendant la période estivale, qui n'est pas forcément la meilleure en Corse, on voit bien que ce ne sont pas là de bonnes conditions.

Permettez-moi, à ce propos, de m'inquiéter du tour plébiscitaire qui semble être donné à ce référendum. Est-ce bien une consultation pour avis que propose le Gouvernement et ne nous dirigeons-nous pas vers une véritable question de confiance posée aux électeurs corses ? Je le dis en toute cordialité au président du Sénat et au rapporteur de ce texte, il serait maladroit de se laisser aller à des déclarations anticipant la réponse qui sera apportée par les électeurs corses.

Le débat à l'Assemblée de Corse n'hypothèque en rien la réponse des Corses à la question qui leur sera posée.

Je recommande la prudence, d'autant que le projet soumis à référendum recèle des imprécisions et des ambiguïtés, qui ont été relevées par M. Bernard Frimat. Ainsi, le décret de convocation des électeurs ne serait pas soumis, comme il se doit, à l'avis de l'Assemblée de Corse ; certaines dispositions du code électoral sont exclues pour des raisons de rapidité ; l'annexe est imprécise ; s'agissant du mode de scrutin, il faut également se souvenir que le Conseil constitutionnel, dans une récente décision, a émis des réserves, et même plus, en ce qui concerne les sections départementales pour les élections régionales.

Nous ne savons pas vraiment si ce texte est un texte d'exception lié au caractère particulier de l'île ou s'il peut constituer un précédent ou un exemple.

Oui, cela en vaut la peine, les électeurs corses doivent être mieux informés sur l'évolution institutionnelle proposée et sur ses conséquences. Ils doivent pouvoir se prononcer en pleine connaissance de cause, en toute sérénité et en toute indépendance.

Monsieur le ministre, je suis d'accord avec vous : il ne faut pas se moquer des Corses. J'ai entendu le Premier ministre demander de dire non à la violence, non au retard économique en acceptant de changer les institutions de l'île. Mais si, par hypothèse, on refusait la création d'une collectivité unique, cela signifierait-il que l'on accepte la violence ou le retard économique ? Vous avez vous-même reconnu que cette évolution institutionnelle ne pouvait, en tout état de cause, garantir définitivement contre la violence, et j'ajouterai qu'elle ne peut ipso facto garantir le développement économique.

En conclusion, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce qui est en cause aujourd'hui, c'est bien la réponse qui doit être apportée à la souffrance de ceux qui vivent une situation insupportable faite de peurs, d'inquiétudes, parfois de larmes, de ceux qui attendent de nous espérance et foi dans l'avenir. C'est bien ce qui compte. C'est bien cela l'avenir de la Corse et des Corses dans la République, qui guidera la position et le vote du groupe socialiste. Nous adopterons notre position après réflexion, avec gravité, et en toute responsabilité. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Nicolas Sarkozy, ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je souhaiterais apporter quelques éléments de réponse, et je m'adresserai d'abord à M. le rapporteur, si vous me le permettez.

Je porte une appréciation extrêmement positive à la fois sur le voyage que M. Jean-Pierre Courtois a fait en Corse et qui lui a permis d'avoir une trentaine de rencontres approfondies, sur la qualité de son rapport et sur les propositions de réécriture du projet de loi initial. Je veux dire à M. Courtois que ses propositions aboutissent à un texte meilleur.

Croyez bien que, s'agissant d'une question de cette nature, je n'ai aucune vanité d'auteur ; toutes les propositions intelligentes sont les bienvenues. Au demeurant, on ne peut pas venir devant le Parlement en partant du principe de n'accepter aucun amendement.

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Très bien !

M. Nicolas Sarkozy, ministre. J'ai déjà eu l'occasion de travailler avec M. Jean-Patrick Courtois, alors rapporteur d'un de mes projets de loi, et je connais la finesse de son analyse de juriste. Avec ce projet de loi sur la Corse, il démontre aussi sa finesse d'analyse politique. Il me plait de lui rendre hommage, d'autant que, me semble-t-il, ce sentiment est partagé sur tous les bancs de la Haute Assemblée. En plus d'être un sénateur extrêmement « courtois » (sourires), c'est un rapporteur extrêmement précis.

Je puis d'ailleurs porter les mêmes appréciations personnelles sur M. Nicolas Alfonsi, ce qui me donnera une plus grande liberté pour m'exprimer sur les propos qu'il a tenus.

Monsieur le sénateur, toutes les critiques que vous avez formulées sont certes légitimes en démocratie, mais elles auraient beaucoup gagné en crédibilité si vous nous aviez proposé une solution alternative.

J'aurais aimé qu'un homme comme vous, si profondément enraciné dans son île, associé depuis si longtemps à tous les épisodes de la vie politique de Corse, à tous ses combats et à toutes ses expressions, me dise que je fais ici fausse route et m'indique la route à suivre. Or, au lieu de pouvoir m'appuyer, comme je l'aurais souhaité, sur l'expérience et les qualités d'un homme que je connais depuis longtemps, je n'ai droit qu'à une avalanche de critiques, non pas vraiment sur le texte, mais sur les arrière-pensées qu'aurait le Gouvernement.

Convaincu de la nature de mes arrière-pensées, vous en tirez comme conclusion, monsieur le sénateur, que rien ne vaut dans le dispositif que nous proposons. Ainsi, après avoir décrit avec beaucoup de conviction que la situation n'est pas satisfaisante, vous en tirez la conclusion que le cadre institutionnel à l'origine de cet état doit demeurer dans sa pureté originelle !

Où est la cohérence ? Soit vous avez raison, monsieur Alfonsi, et rien ne va. Mais, dans ce cas-là, proposez-nous une voie alternative de changement. Soit la situation n'est pas si mauvaise et, dans ce cas-là, on comprend mieux votre volonté de défendre le statu quo.

Je ne vous en veux pas d'être devenu un départementaliste acharné, vous qui fûtes en 1975 le plus virulent adversaire de la bidépartementalisation. Cela peut arriver à n'importe qui de changer d'avis. Mais expliquez-nous la raison de ce changement ? Pourquoi le Gouvernement, aujourd'hui en charge de la question corse, devrait-il considérer qu'un cadre, qui n'est pas forcément responsable de la situation actuelle, mais qui en tout cas n'a pas permis de la résoudre, doit être conservé ?

M. Nicolas Alfonsi. Monsieur le ministre, me permettez-vous de vous interrompre ?

M. Nicolas Sarkozy, ministre. Je vous en prie, monsieur le sénateur.

M. le président. La parole est à M. Nicolas Alfonsi, avec l'autorisation de l'orateur.

M. Nicolas Alfonsi. Je serai bref. Je dirai tout d'abord que je me suis toujours tenu en dehors de la droite et de la gauche et que, depuis vingt ans, je n'ai été associé à rien.

Je ferai observer ensuite que j'ai été un mono-départementaliste modéré en 1975, parce que je suis contre les réformes institutionnelles qui ne mènent nulle part.

Enfin, n'oublions pas que, depuis trente ans, un fait nouveau est survenu : l'émergence d'une organisation clandestine qui s'appelle le FLNC.

M. le président. Veuillez poursuivre, monsieur le ministre.

M. Nicolas Sarkozy, ministre. Nicolas Alfonsi parle de précipitation. Un tel argument laisse pantois, car ce dont la Corse a bien besoin, c'est que l'on arrête les commentaires et que l'on passe à l'action.

Vous avez dit n'avoir été associé à rien, monsieur Alfonsi, mais vous êtes quand même vice-président d'un des deux conseils généraux de Corse.

M. Pierre André. Bravo.

M. Nicolas Alfonsi. Et alors ?

M. Nicolas Sarkozy, ministre. Vous êtes un parlementaire d'expérience, vous avez été conseiller territorial, vous êtes l'un des représentants de la classe politique insulaire. Il vous est difficile dans ces conditions de dire que vous n'avez été associé à rien. Si nous qui n'avons jamais été élus en Corse, nous portons une part de responsabilité de l'échec collectif, que dire de ceux qui en sont les élus depuis tant d'années ?

Il est quand même audacieux alors qu'on est un homme politique corse - et c'est votre honneur - de s'exonérer de toute responsabilité dans une Corse qui n'a pas pu, pas su, pas voulu faire émerger une classe politique insulaire qui aurait été à même de résoudre elle-même les problèmes de la Corse.

Il serait, certes, parfaitement injuste, cher Nicolas Alfonsi, de vous en faire porter la responsabilité pleine et entière, mais convenez qu'il y aurait quelque outrance à vous en exonérer totalement, surtout lorsque vous vous adressez à des parlementaires d'autres circonscriptions et d'autres départements.

Il n'y a aucune précipitation : nous sommes entrés dans le temps de l'action.

Vous avancez un autre argument extraordinaire : vous qualifiez mon projet de « politique ». Mais vous avez absolument raison ! Je vous le confesse : je suis un homme politique. En effet, comment en démocratie sortir d'une impasse autrement qu'en faisant de la politique ?

M. Pierre André. Eh oui !

M. Nicolas Sarkozy, ministre. C'est toute la vertu de la démocratie. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle je n'avais pas condamné à l'époque les accords de Matignon, non pas parce que je pensais qu'ils allaient réussir, mais parce que je considérais qu'essayer de trouver une solution politique dans une démocratie confrontée à la violence était une bonne chose.

J'aimerais tellement que les responsables politiques arrêtent de critiquer leurs propres engagements. Qu'un homme politique fasse de la politique, c'est plutôt rassurant !

La seule chose qui m'ait un peu blessé dans votre intervention, cher Nicolas Alfonsi, c'est que vous sous-entendiez que j'ai négocié avec qui que ce soit. Je ne négocie ni avec les clans ni avec les clandestins parce que je trouve que les deux portent une lourde responsabilité dans le destin de la Corse.

Je vous le dis solenellement, monsieur le sénateur : il n'y a eu aucune compromission.

M. Nicolas Alfonsi. Je n'ai pas dit cela !

M. Nicolas Sarkozy, ministre. Il y en a eu dans le passé, sans doute, mais je n'ai jamais fait de procès aux prédécesseurs de M. Raffarin de ce point de vue et j'entends qu'on ne m'en fasse pas.

J'ai discuté avec des élus. Le devoir d'un Gouvernement, c'est d'accepter de discuter avec les élus, qu'ils s'appellent Jean-Marie Le Pen, Jean-Guy Talamoni. Le devoir d'un Gouvernement, c'est de prendre comme interlocuteurs les élus que le suffrage universel a désignés, d'Arlette Laguiller à Jean-Marie Le Pen en passant par Jean-Guy Talamoni. C'est la conception que j'ai de la démocratie. (Très bien ! sur les travées de l'UMP.)

J'aimerais qu'on m'indique en quoi elle n'est pas strictement républicaine.

Vous me dites : « Le pouvoir doit arrêter le pouvoir. » Là, c'est parfait : les conseils généraux et la collectivité territoriale n'arrêtent pas de s'arrêter ! La preuve, c'est qu'il n'arrive pas grand-chose. Les conseils généraux sont dans une situation financière qui est rien moins que préoccupante. Quant à la collectivité territoriale, elle est dans une situation extrêmement difficile. S'il est un point sur lequel nous pouvons être tous d'accord, c'est qu'en Corse chacun a les moyens d'arrêter l'autre de faire. Pour empêcher l'autre, il n'y a aucun problème !

Pour autant, l'existence des conseils généraux a-t-elle réglé le problème de l'honnêteté, de la transparence des marchés ? Qui oserait l'affirmer ?

Enfin, vous avez parlé de « concessions à la famille nationaliste » ; je reprends vos mots. Mais enfin, vous qui êtes en place depuis si longtemps, ne vous sentez-vous pas vous-même un peu responsable ? Ne vous posez-vous pas la question de savoir pourquoi depuis tant d'années que vous condamnez cette tendance avec énergie, elle continue de progresser ? Est-ce simplement la faute des autres ?

En tout cas, il n'y a aucune concession de ma part car, pour moi, la question ne se pose même pas : pour moi, la Corse, c'est la France et, quand je me rends dans mon département des Hauts-de-Seine, je n'éprouve pas le besoin de dire toutes les deux minutes : « Ici, c'est la République française. » Si l'on débarque en Corse en disant : « Ici, c'est l'Etat de droit », c'est qu'on se pose une question qui n'a pas lieu d'être.

Quand on va à Dijon, à Marseille ou ailleurs, on ne répète pas continuellement qu'on est dans la République parce qu'on n'a pas de doute. Le Gouvernement, lui, n'a pas de doute s'agissant de la Corse.

Dans votre dernier argument, qui associait musulman, corse ou poitevin, je n'ai pas compris ce qui était choquant.

Je n'en parlerai pas au Premier ministre qui ne doit pas considérer qu'être poitevin soit extrêmement choquant ! (Rires.) Je ne pense pas d'ailleurs qu'être musulman soit vécu comme une insulte.

M. Nicolas Alfonsi. Non, c'est vrai !

M. Nicolas Sarkozy, ministre. La France de 2003 est multiple, n'en déplaise à beaucoup ; c'est sa force et sa tradition. Nous continuerons à en débattre. Quoi qu'il en soit, nous sommes tous d'accord sur ce point, cher Nicolas Alfonsi : la Corse, c'est la France et nous l'incarnons tous à notre manière.

Je n'ai aucune leçon à vous donner certes, mais, sur le point de l'attachement à la République et à la France, j'aimerais que l'on ne m'en serve point non plus.

Monsieur Frimat, oui, le processus de Matignon est un processus inachevé. Je le dis, non pas pour critiquer, mais parce que c'est la réalité. Oui, les discussions étaient transparentes. Mais souffrez que je relève une autre faiblesse de Matignon : quand les nationalistes ont décidé de ne plus venir, les discussions se sont arrêtées.

Pour ma part, je me suis rendu en Corse à six reprises : trois fois, les nationalistes ne sont pas venus ; cela n'a rien changé à mes déplacements.

Le Gouvernement a proposé un texte à la Corse. Les nationalistes ont d'abord dit qu'ils seraient contre, puis qu'ils s'abstiendraient, puis ils ont dit : oui peut-être, oui mais, oui malgré tout. Cela n'a rien changé au texte que nous proposons.

Je ne critique pas le processus de Matignon, je note seulement une différence : dans un cas, on était obligé de faire des concessions pour que quelques interlocuteurs restent, dans l'autre quelle que soit la décision des interlocuteurs, on ne change rien au texte.

Je crois que c'est honnête de dire cela et que ce n'est injurier la mémoire de personne.

D'ailleurs, monsieur Frimat, c'est parce que j'avais considéré la situation de près qu'avec M. Raffarin nous avons proposé cette stratégie au Président de la République. Je ne pense pas que nous soyons à ce point meilleurs que nos prédécesseurs que nous puissions éviter de tomber dans les mêmes pièges qu'eux si nous ne les contournons pas.

Vous avez dit : « texte laborieux, ambigu ».

Pour ce qui est de laborieux, vous avez raison : si je pensais que tout était facile, je ne m'apprêterais pas à me rendre en Corse pour la septième fois ! Par conséquent, ce mot « laborieux » me convient parfaitement. J'en propose même un autre : « besogneux ». Il fallait trouver une solution, mais j'ai dit que je n'étais sûr de rien et que, peut-être, l'échec serait au rendez-vous. Voyez comme je suis prudent !

En revanche, je n'accepte pas le mot « ambigu ». Où est l'ambiguïté ? La Corse fait partie de la France, de la République, mais nous sommes tous d'accord pour reconnaître sa spécificité. Il n'y a aucune ambiguïté.

Il y aura consultation pour avis par référendum ; nous sommes d'accord. L'avis des Corses pèsera d'un grand poids. Je me suis peut-être laissé aller à dire que, s'ils votaient non, il me semblait difficile de demander au Parlement d'adopter en l'état. Pour autant, le pouvoir du Parlement, son droit d'amendement, restera plein et entier.

La suppression des départements est-elle un tour de passe-passe ? Non ; je le dis devant mon ami Paul Natali : dans l'affirmation de la collectivité territoriale unique, je crois avoir été, au nom du Gouvernement, d'une franchise qui n'a rien à voir avec l'ambiguïté. Celle-ci n'aurait d'ailleurs pas été à la hauteur de l'enjeu.

Cela dit, je serai attentif à vos propositions pour affirmer la primauté de la collectivité unique. Disons que celle-ci sera la seule à pouvoir engager une politique, la seule à lever l'impôt, la seule à avoir la personnalité juridique ; je ne vois pas ce que l'on peut faire de plus.

En ce qui concerne le mode de scrutin par secteur géographique, trois formules sont possibles : une circonscription régionale avec sections départementales, c'est la première formule ; cinq arrondissements, c'est la deuxième formule ; enfin, sept territoires, c'est la troisième formule. Cette question a fait l'objet de discussions au sein du groupe de travail ; il faudra y voir plus clair avant le référendum, cela va de soi.

Enfin, je vous remercie de votre attitude extrêmement responsable. Je crois que c'est à l'honneur de la Haute Assemblée que nous puissions avoir un débat civilisé sur une question qui - chacun en est convenu - doit être abordée avec humilité.

Madame Luc, si j'ai bien compris, vous reprochez au Gouvernement de faire de la Corse « un espace libéral lié aux appétits financiers » et, dans le même temps, vous lui reprochez de ne rien faire sur le plan économique. Mais, madame, si nous voulons faire un espace libéral lié aux appétits financiers et que nous y réussissons sans toucher à l'économie, c'est que vraiment nous sommes des magiciens ! Soit nous touchons à l'économie, et c'est, selon vous, le libéralisme qui revient, soit nous ne parlons pas d'économie, auquel cas il est difficile de nous faire un procès en libéralisme ! En tout cas, on ne peut pas nous reprocher les deux.

Quoi qu'il en soit, je mets ces déclarations plus sur le compte des obsessions du parti communiste que sur la mauvaise foi de leur auteur...

Là où les choses sont encore moins claires, c'est sur le référendum.

Quand il n'y a pas de référendum, vous protestez : j'ai vu, dans toutes les régions, des élus communistes déclarer qu'il était scandaleux qu'il n'y ait pas de référendum sur la décentralisation. Voilà que nous en organisons un en Corse, et vous dites tout autant que c'est scandaleux. Il faut savoir : soit vous voulez des référendums, soit vous n'en voulez pas. Aux assises des libertés locales, vous avez organisé une manifestation, il est vrai peu nombreuse et pas gênante, pour demander un référendum sur la décentralisation. Nous venons en proposer un pour la Corse et vous vous y opposez !

Mais il y a mieux encore !

M. Robert Bret. C'est de la caricature !

Mme Hélène Luc. Je n'ai jamais dit que c'était scandaleux, monsieur le ministre.

M. Nicolas Sarkozy, ministre. Madame Luc, quand la critique fait mal, il ne faut pas protester parce que cela prouve qu'elle a touché juste. (Sourires.) Quand, au banc du Gouvernement, je vous écoute, je ne proteste pas à chaque instant.

Mme Hélène Luc. J'ai simplement dit qu'il ne fallait pas se précipiter.

M. Nicolas Sarkozy, ministre. Enfin, je relève une troisième incohérence qui est encore savoureuse : la défense et illustration du scrutin majoritaire uninominal par les communistes. C'est du jamais vu ! A l'occasion de chaque réforme électorale, le parti communiste, et c'est son droit le plus absolu, répète que le seul scrutin juste, c'est le scrutin à la proportionnelle. Cette affirmation serait donc valable partout, sauf en Corse, où il faudrait un scrutin majoritaire uninominal allez y comprendre quelque chose !

Mme Hélène Luc. Je n'ai pas parlé du scrutin !

M. Nicolas Sarkozy, ministre. En tout cas, ce que je comprends, c'est que, lorsque l'on est à ce point incohérent et que, sur trois sujets, on dit le contraire de ce que l'on a affirmé précédemment, il n'est pas étonnant que les électeurs les mieux disposés aient du mal à suivre. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

Enfin, ne se refusant aucun petit plaisir, Mme Luc, pour qui j'ai le plus grand respect, nous dit : « Mais ce qu'il faut à la Corse, comment n'y avez-vous pas pensé, monsieur Sarkozy, c'est une politique de grands travaux ambitieuse. »

Mme Hélène Luc. Absolument !

M. Nicolas Sarkozy, ministre. Mais elle oublie le plan exceptionnel d'investissement prévu par Lionel Jospin, que nous avons intégralement financé, pour un montant de 2 milliards d'euros sur quinze ans ! Si ce plan exceptionnel d'investissement n'est pas le plan de grands travaux que réclame Mme Luc, qu'est-ce alors ?

Voilà donc quatre incohérences dans le discours de Mme Luc. Je crois qu'il vaut mieux que je m'arrête là pour répondre à M. Paul Girod.

Mme Hélène Luc. Vous êtes bien méprisant, monsieur le ministre !

M. Nicolas Sarkozy, ministre. Je ne vois pas en quoi ! Quand on a des bons auteurs, on les cite, et si ces bons auteurs ont eu quelques faiblesses, il n'est pas interdit, dans le cadre d'un débat démocratique, de les souligner. C'est la liberté d'expression des uns et des autres. Au demeurant, si je vous ai blessée en quoi que ce soit, je vous prie de m'en excuser, car ce n'était pas mon objet.

Mme Hélène Luc. Vous ne m'avez pas blessée. Vous n'êtes pas objectif, c'est tout !

M. Nicolas Sarkozy, ministre. Monsieur Girot, vous avez bien voulu relever que j'aimais la Corse. C'est vrai ! Je ne prétends pas pour autant la comprendre, et encore moins la connaître. En vérité, la passion que j'éprouve se porte plus vers ses habitants que sur son territoire tel qu'il est illustré par les cartes postales.

A propos de la Corse et des Corses, je me demande toujours comment tant d'énergie, tant de finesse, tant d'intérêt pour la chose publique, tant d'appétit pour le débat public peuvent conduire à un tel désastre. Comment cette région de France, la plus passionnée qui soit pour la politique - qui n'a eu cette expérience, en Corse, quels que soient le lieu et l'heure, de participer ou d'assister à une discussion passionnée sur les grandes affaires du monde, de la France ou de la Corse ? -, peut-elle connaître un tel échec au regard de la citoyenneté collective ? C'est pour moi un sujet de grande incompréhension en même temps que de fascination. Car il y a bien quelque chose de fascinant à voir les femmes et les hommes de Corse, si pleins de talent politique et d'intérêt pour la politique, avoir tant de mal à dégager une majorité dès qu'il s'agit d'eux-mêmes. Sur les autres, ils sont capables de sursauts extraordinaires mais, dès qu'il s'agit de l'île qu'ils chérissent tant, rien ne va plus ! C'est peut-être que trop d'amour, parfois, aveugle.

Oui, monsieur Girod, je crois à la zone franche. Moi, je n'ai jamais cru au crédit d'impôt, et cela pour une raison simple : dès lors que le crédit d'impôt s'applique aux bénéfices, il faut au moins qu'il y ait des bénéfices ! Or les entreprises corses qui réalisent des bénéfices sont si peu nombreuses que, quand vous annoncez aux entrepreneurs corses que, s'ils font des bénéfices, ils paieront moins d'impôts qu'ailleurs, ils vous répondent : « Attendez ! Ce ne sont pas tant des bénéfices que nous cherchons à faire, c'est du chiffre d'affaires ! » Voilà pourquoi je crois davantage à la zone franche. Mais il est vrai que la lutte fut rude pour l'obtenir.

Permettez-moi de dire un mot sur l'expérimentation législative, parce que je ne voudrais pas laisser le doute s'installer. Mais je vais m'éfforcer de ne pas être trop long, monsieur le président...

M. le président. Si vous voulez que nous commencions l'examen des amendements, il vous faut vous hâter de répondre aux orateurs ! Je vous le dis gentiment. (Sourires.)

M. Nicolas Sarkozy, ministre. J'avais compris que c'était gentil, mais le sujet est passionnant ! (Nouveaux sourires.)

Prenons l'exemple de la loi montagne : elle a été faite, notamment, pour les stations de sports d'hiver, elle est adaptée à toutes les montagnes, sauf à la montagne Corse. Oui ou non, la Corse mérite-t-elle une adaptation de la loi montagne ? Je suis de ceux qui pensent que oui.

M. Nicolas Alfonsi. Et la loi littoral ?

M. Nicolas Sarkozy, ministre. S'agissant du littoral, les Corses n'ont aucune leçon à recevoir, compte tenu de ce qui s'est passé dans d'autres régions de France. Les Corses n'ont pas à porter tous les péchés du monde ! De ce point de vue, la Corse est même plutôt un exemple à suivre.

Mais je reviens à l'adaptation de la loi montagne à la Corse. Comment cela se passera-t-il concrètement ? La collectivité unique demandera une adaptation législative et c'est le Parlement, et lui seul, qui décidera si, oui ou non, il y a lieu de faire droit à cette adaptation législative. Si d'autres régions souhaitent une telle adaptation, elles pourront la demander.

Monsieur Mercier, vous avez dit que vous n'étiez pas un spécialiste. Cela tombe bien : je ne prétends pas en être un non plus ! Vous nous avez tous appelés à l'humilité : comme vous avez raison !

Merci du soutien de votre groupe en ce qui concerne le référendum. Merci d'avoir rappelé que la consultation n'épuisera pas les droits du Parlement.

S'agissant de la représentation du territoire, je vous l'ai dit, trois formules sont possibles. J'ai ma préférence. La simplicité est quand même ce qu'il y a de mieux, mais nous aurons l'occasion d'en débattre.

Monsieur Peyronnet, je vous remercie de votre jugement nuancé, du moins sur la question corse. Vous ne m'en voudrez pas de ne pas refaire le débat sur la décentralisation. En vous voyant si éloquent sur la décentralisation et si discret sur la Corse, je me suis demandé si, par hasard, vous aviez du mal à trouver des défauts au projet de loi relatif à la Corse et plus de facilité à vous exprimer quand il s'agit de la décentralisation.

Ne voyez pas abdication de ma part si je ne vous réponds pas sur la décentralisation. C'est un débat qui vous a opposé au Gouvernement, et sur lequel vous avez pu exposer, avec le talent que l'on vous connaît, vos arguments. Ne m'en veuillez pas de ne pas vouloir prolonger ce débat.

Monsieur Autain, ce soir, vous n'avez pas eu de chance ! (Rires sur les travées de l'UMP.) En effet, après m'avoir dit que vous ne vouliez pas politiser les attentats, vous l'avez fait !

M. François Autain. Je n'ai pas dit cela !

M. Robert Bret. Il a dit exactement le contraire !

M. Nicolas Sarkozy, ministre. Vous avez dit : « Monsieur le ministre de l'intérieur, l'attentat contre la caserne de Furiani, quel scandale ! » Vous avez raison, mais vous avez simplement oublié de préciser que les auteurs de cet attentat dorment en prison parce qu'il ont été interpellés et que leur réseau a été démantelé ! Votre démonstration aurait gagné en puissance si vous étiez allé jusqu'au bout du raisonnement. Quand on évoque l'attentat contre la caserne de CRS de Furiani, on doit, me semble-t-il, avoir l'honnêteté de dire au ministre auquel on s'adresse : « Il est vrai que, pour la première fois depuis longtemps, les auteurs d'un attentat ont été arrêtés et déférés à la justice. »

Par ailleurs, quand vous affirmez que j'ai fait preuve de faiblesse en acceptant de discuter avec certains,...

M. François Autain. A leurs yeux !

M. Nicolas Sarkozy, ministre. ... permettez-moi de vous le dire, ce n'est pas très gentil !

J'ai beaucoup de conseils à recevoir - cela fait toujours du bien ! - mais, s'il y a une personne auprès de laquelle je n'irai pas prendre conseil pour savoir ce que l'on doit faire en Corse, c'est certainement M. Chevènement. Il a beaucoup parlé mais il a mené l'Etat en Corse à un désastre sans précédent.

Il est une question que je souhaite poser devant la Haute Assemblée : est-ce que l'Etat et la République sont sortis renforcés du choix du préfet qui a été fait par un ministre de l'intérieur qui s'appelait Jean-Pierre Chevènement ? Peut-on dire que, à la suite de ce choix, la République et l'Etat de droit ont été renforcés ou qu'ils ont été caricaturés et abaissés ? Nous sommes nombreux à penser qu'ils ont été caricaturés et abaissés !

M. Jacques Dominati. Très bien !

M. Nicolas Sarkozy, ministre. Dans la vie, il ne suffit pas de prendre des postures, de faire des affirmations ! Surtout si c'est pour, finalement, se tromper à ce point dans son jugement sur les hommes ! Tout le monde peut commettre des erreurs, mais reconnaissons que le choix d'un certain préfet a été calamiteux ! Cela étant, je ne veux pas accabler cet homme, parce qu'il n'est pas digne de s'acharner sur quelqu'un qui est à terre. Je veux simplement dire que, si j'étais M. Chevènement, je garderais mes convictions, mais je m'abstiendrais de donner des avis et des leçons à ceux qui me succèdent aux mêmes responsabilités. Pour donner des leçons, il faut avoir un bilan. Or, lui, s'agissant de la Corse, ce n'est pas un bilan qu'il a laissé, c'est un désastre, et je le dis tout en respectant beaucoup l'homme.

Monsieur Autain, vous me reprochez d'avoir retenu le scrutin proportionnel. Mais je vous rappelle que c'est le mode de scrutin qui s'applique actuellement ! C'est celui que nous avons trouvé en arrivant. Il me semble d'ailleurs assez adapté à la réalité insulaire. Ce n'est pas une idée du gouvernement de Jean-Pierre Raffarin : c'est une réalité insulaire !

Monsieur Natali, votre soutien a du prix, car il est vrai que nous avons longuement discuté et que nous avons, l'un et l'autre, évolué. Le reconnaître, ce n'est pas faire preuve de faiblesse ; c'est, au contraire, prendre acte du bout de chemin que chacun a voulu faire vers l'autre, chacun ayant senti que l'intérêt général et l'intérêt de la Corse le méritaient. C'est tout à notre honneur !

Pour ma part, j'ai entendu un certain nombre de vos propositions, monsieur Natali, je ne m'en cache point, et votre soutien sans ambiguïté est, à mes yeux, très important.

Le développement économique est une priorité. Je me rendrai de nouveau en Corse les 22 et 23 mai et nous parlerons de l'agriculture, sujet considérable en Corse, qui va bien au-delà de l'économie, car le rapport à la terre a aussi un aspect culturel fondamental.

J'examinerai vos amendements avec beaucoup d'intérêt, monsieur Natali. La question ne peut pas être : « Chers compatriotes corses, voulez-vous rester dans la République française ? » D'abord, cette question ne concerne pas que les Corses : la question de l'appartenance à la République française ne se tranche pas simplement par la consultation des habitants d'une région. Ensuite, notre Constitution ne permet pas de poser une telle question. Je vous rappelle que la question commencera par la formule : « Dans le cadre des institutions de la République française... ».

Peut-être pourrons-nous, monsieur le sénateur, grâce à vos amendements, améliorer encore le texte. Le Gouvernement y sera extrêmement attentif.

Monsieur Bel, je vous remercie de ne pas vouloir prendre la Corse en otage. C'est tout à votre honneur et je n'ai rien à ajouter.

Qu'il me soit permis de terminer en évoquant trois chiffres qui, pour relever d'une comptabilité sordide, n'en permettent pas moins d'éclairer les esprits. En 1982, il y a eu 766 attentats en Corse. En 1995, il y en a eu 333. En 2002, il y en a eu 251. Bien sûr, c'est trop. Tout attentat est odieux, et je n'ai jamais prétendu avoir réglé le problème en un an. Pour autant, puisque je m'efforce, moi aussi, de ne pas politiser le décompte des attentats, je ne voudrais pas que l'on fasse assumer par le Gouvernement un bilan qui n'est pas le sien.

Je vous le concède bien volontiers, je n'éprouve aucune satisfaction, mais convenons que, depuis Aléria, certaines années ont connu, à cet égard, des pics considérables.

On pourrait aussi parler des assassinats. Cependant, je ne veux pas me réjouir qu'il y en ait eu beaucoup moins l'an passé, parce que, en Corse, cette courbe-là peut toujours repartir à la hausse ! Satisfait, je ne le serai donc que lorsque la Corse sera vraiment devenue une région comme les autres.

Chacun doit comprendre que je n'ai voulu blesser personne. S'il y a de la vivacité dans mon propos, c'est parce que le Gouvernement essaie d'être à la hauteur du rendez-vous de la Corse. Et je sais que nous sommes regardés dans l'île, tout comme sur le continent.

Je n'ai qu'un souhait en tête : que nos compatriotes de Corse, à l'issue de ce débat à la Haute Assemblée, se disent : « Ils ont vraiment décidé de s'intéresser à nous. Ils ne veulent pas nous utiliser comme un prétexte. Peut-être, cette fois-ci, ensemble, vont-ils réussir à nous donner le coup de main dont nous avons besoin. » (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.

M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...

La discussion générale est close.