M. le président. Je suis saisi, par M. Sueur et les membres du groupe socialiste, apparenté et rattachée, d'une motion n° 18, tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité.
Cette motion est ainsi rédigée :
« En application de l'article 44, alinéa 2, du règlement, le Sénat déclare irrecevable le projet de loi organique relatif au référendum local (n° 297, 2002-2003). »
Je rappelle que, en application de l'article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l'auteur de l'initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d'opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n'excédant par cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, auteur de la motion.
M. Jean-Pierre Sueur. Je formulerai trois remarques techniques.
La première a déjà été présentée par M. Peyronnet : à l'origine, au lieu de deux projets de loi, monsieur le ministre, il y en avait un seul. La réforme se présente désormais en deux volets. Nous constatons que le Sénat est saisi en première lecture de l'un de ces volets tandis que l'autre sera d'abord soumis à l'Assemblée nationale.
Or vous n'ignorez pas, monsieur le ministre, que la Constitution, dans sa rédaction actuelle, prévoit que les projets de loi ayant pour principal objet l'organisation des collectivités territoriales sont soumis en premier lieu au Sénat. Il faudra que vous expliquiez que l'expérimentation n'a rien de commun avec l'organisation des collectivités territoriales !
Deuxième remarque technique, le champ des projets de délibération susceptibles d'être soumis au référendum local ne fait l'objet d'aucune restriction, ce que, dans son rapport, M. Hoeffel justifie dans les termes suivants : « Selon les indications fournies à votre rapporteur, l'absence de limitation dans le projet de loi organique des actes susceptibles d'être soumis au référendum s'expliquerait par le risque d'inconstitutionnalité d'une telle restriction. »
Vous renvoyez à juste titre, monsieur le rapporteur, au deuxième alinéa de l'article 72-1 de la Constitution.
Cependant, je voudrais aborder la question des compétences partagées. Vous savez qu'est désormais inscrit dans la Constitution ce qui figurait dans la loi Defferre, à savoir qu'il ne saurait y avoir de tutelle d'un niveau de collectivité sur un autre.
Or les compétences ne sont pas si strictement réparties qu'aucune d'elle ne serait dévolue à plusieurs niveaux de collectivité à la fois. Il existe des compétences qui sont communes ou dont l'exercice est commun, situation dont nous avons d'ailleurs discuté lors de l'examen de la révision constitutionnelle.
Quand il s'agit de compétences ainsi partagées, le recours au référendum par une collectivité, département ou région, ne risque-t-il pas de prendre la forme d'une tutelle exercée sur une autre collectivité, qu'il s'agisse du département ou de la commune ?
Troisième et dernière remarque technique, monsieur le ministre : vous avez pris connaissance, avec beaucoup d'attention, je pense, de la décision du Conseil constitutionnel du 3 avril 2003 relative à l'examen des projets de loi par le Conseil d'Etat. Je vous rappelle néanmoins certains des considérants.
« Considérant que les députés et les sénateurs requérants soutiennent que la procédure législative serait viciée du fait que le texte du projet de loi déposé sur le bureau de l'Assemblée nationale aurait été différent tant de celui soumis au Conseil d'Etat que de celui adopté par lui ; ».
Un peu plus loin, après la référence à l'article 39 de la Constitution, on lit : « Considérant que, si le conseil des ministres délibère sur les projets de loi et s'il lui est possible d'en modifier le contenu, c'est, comme l'a voulu le constituant, à la condition d'être éclairé par l'avis du Conseil d'Etat ; que, par suite, l'ensemble des questions posées par le texte adopté par le conseil des ministres doivent avoir été soumises au Conseil d'Etat lors de sa consultation. »
Or il est un point très important - vous venez de l'aborder -, à savoir le bien-fondé de l'institution d'un seuil fixé à un certain pourcentage d'inscrits qu'il serait nécessaire de dépasser pour qu'un texte soit adopté.
A cet égard, monsieur le ministre, je vous ai entendu tout à l'heure avec quelque surprise dire que le Gouvernement n'était pas fondé à instaurer un tel seuil pour les consultations nationales, car je me souviens tout à fait du débat qui s'est déroulé ici le 5 novembre 2002, à l'occasion de l'examen du projet de loi constitutionnelle relatif à l'organisation décentralisée de la République.
M. Patrick Devedjian, ministre délégué. C'est dans le rapport !
M. Jean-Pierre Sueur. A M. Charasse, qui avait déposé un amendement visant à préciser que la délibération ou l'acte ne peut être adopté que si la moitié au moins des électeurs inscrits a participé au scrutin, vous répondiez alors ceci, monsieur le ministre : « Cependant, monsieur Charasse, ces précisions relèvent de la loi organique et le Gouvernement veillera, bien entendu, à ce qu'un seuil de participation figure dans celle-ci. C'est indispensable. »
Ce sont vos propres paroles, monsieur le ministre. Or elles sont tout à fait contraires au projet de loi que vous présentez au Parlement.
M. Patrick Devedjian, ministre délégué. Non !
M. Jean-Pierre Sueur. Mais si ! Le Gouvernement n'a pas veillé à ce qu'un seuil de participation y figure !
Il y a eu, à une certaine période, nombre d'articles dans la presse où il était question de ce seuil de participation. Ainsi, notre collègue M. Hoeffel, aujourd'hui rapporteur, se voyait poser le 28 avril dernier dans la Gazette des communes la question suivante : « Dans quelles conditions le référendum revêtira-t-il un caractère décisionnel ? », question à laquelle il répondait, de la manière la plus naturelle : « Le projet sera adopté si la moitié au moins des électeurs inscrits a pris part au scrutin et s'il réunit la majorité des suffrages exprimés. »
M. René Garrec, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. C'est très logique.
M. Jean-Pierre Sueur. J'imagine, monsieur le rapporteur, que vous pensiez traduire très justement ce que vous saviez du projet en cours d'élaboration, alors soumis au Conseil d'Etat.
J'ai une question à vous poser, monsieur le ministre, mais, au préalable, je veux donner lecture d'un extrait de l'avis du Conseil d'Etat devenu célèbre pour avoir servi de fondement à l'annulation de l'article 4 de la loi relative aux élections régionales et européennes par le Conseil constitutionnel : « Sans méconnaître l'intérêt qui s'attache à une meilleure participation des citoyens à la prise de décision au sein des collectivités territoriales, le Conseil d'Etat n'a pu accepter la généralisation du référendum à tous les actes relevant de la compétence des collectivités territoriales que se proposait d'introduire le deuxième alinéa du nouvel article 72-1 résultant de l'article 5. Il a noté qu'au plan national l'introduction du référendum en matière législative en 1958 s'était accompagnée de nombreuses restrictions quant à la procédure permettant d'y recourir et aux matières qui pouvaient en faire l'objet et dont la liste n'a été que très partiellement complétée en 1995. Il a donc renvoyé à une loi organique le soin de préciser les conditions et réserves auxquelles seraient soumises de telles consultations. »
Monsieur le ministre, j'en viens à ma question, qui est très précise. Je ne sais pas - mais, vous, vous le savez - quel texte vous avez soumis à l'examen préalable du Conseil d'Etat.
M. Patrick Devedjian, ministre délégué. Puisque vous ne le savez pas, vous ne pouvez pas en tirer de conséquence !
M. Jean-Pierre Sueur. En effet, et je n'en tire pas de conséquence, mais, tout à l'heure, vous avez dit être opposé à l'existence d'une condition subordonnant la validité du référendum à un seuil de participation de 50 % des électeurs inscrits.
Etes-vous sûr, monsieur le ministre, que cette condition ne figurait pas dans le texte soumis par le Gouvernement au Conseil d'Etat ? Si elle y figurait, c'est assurément que le Gouvernement a tenu un double langage, devant le Conseil d'Etat, puis devant le Parlement !
Je pense donc, monsieur le ministre, qu'il serait bon que vous rassuriez le Sénat sur ce point. Sinon, vous prenez un risque, car je vois mal comment le Conseil constitutionnel pourrait méconnaître les considérants de sa décision du 3 avril dernier ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. - Mme Nicole Borvo applaudit également.)
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Daniel Hoeffel, rapporteur. J'ai écouté avec beaucoup d'attention les arguments présentés par notre collègue Jean-Pierre Sueur.
Si je me suis exprimé dans tel ou tel organe de presse voilà quelques semaines, c'était plutôt pour présenter par anticipation la position probable, à mes yeux, du Sénat que pour exposer le texte soumis par le Gouvernement au Conseil d'Etat. Connaissant la sensibilité des sénateurs, j'ai en quelque sorte préjugé leur position.
S'agissant de l'inconstitutionnalité, je pense pour ma part que le texte est fidèle à la lettre mais aussi à l'esprit de l'article 72-1 de la Constitution.
Par ailleurs, pendant l'examen du projet de loi constitutionnelle relatif à l'organisation décentralisée de la République, il était déjà envisagé que, d'une part, seraient exclus du champ du référendum les actes individuels et que, d'autre part, un seuil de participation minimal des électeurs serait institué.
Nous examinerons tout à l'heure deux amendements, l'un tendant à exclure les actes individuels, l'autre à instituer un quorum de 50 % - amendement sur lequel le Gouvernement vient de s'en remettre par anticipation à la sagesse du Sénat -, qui démontrent que nous restons fidèles non seulement à la lettre, mais aussi à l'esprit des débats d'alors.
Sachant que l'un de ces deux amendements au moins, et non le moindre, rejoint une préoccupation qui a été et qui demeure la vôtre, mieux vaut passer au débat plutôt que d'adopter une motion tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité, car il serait dommage de ne pas rendre le projet de loi organique conforme aux objectifs affichés lors de nos discussions consacrées à la révision constitutionnelle. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Patrick Devedjian, ministre délégué. Je tiens à apporter quelques éléments de réponse à M. Sueur.
S'agissant tout d'abord de la question du champ du référendum, il est vrai, comme l'a souligné tout à l'heure M. Hoeffel, que le dispositif constitutionnel n'opère pas de distinction entre les actes individuels et les actes généraux. Cependant, le Gouvernement a indiqué - c'est une déclaration que vous auriez aussi pu citer, monsieur Sueur, parce qu'elle constitue la réponse à votre question - qu'il ne s'appliquerait pas aux actes individuels. C'est la raison pour laquelle le Gouvernement émettra tout à l'heure un avis favorable sur l'amendement de la commission visant à exclure ceux-ci du champ du dispositif. La question est donc tranchée.
Par ailleurs, s'agissant de l'instauration éventuelle, par le biais d'un référendum local, d'une tutelle de facto d'une collectivité sur une autre à partir de compétences qui leur sont communes, l'écueil de l'inconstitutionnalité peut être évité, à mon avis, grâce au concept de chef de file, qui figure également dans la Constitution.
Enfin, je vous ai entendu, monsieur Sueur, citer la décision du Conseil constitutionnel du 3 avril dernier. J'ai cru comprendre que vous aviez eu connaissance - cela ne me scandalise pas du tout - de l'avis du Conseil d'Etat sur le projet de loi organique, et vous avez donc pu constater que celui-ci avait bien statué sur la question du taux de participation. Par conséquent, le Conseil d'Etat a été saisi de l'ensemble du problème, et nous n'encourons pas les reproches du Conseil constitutionnel. Ensuite, le Gouvernement est libre de suivre ou non l'avis du Conseil d'Etat.
Tel est bien le cas en l'occurrence, comme il résulte de l'avis du Conseil d'Etat, que vous semblez, monsieur Sueur, n'avoir fait que parcourir.
M. le président. Je mets aux voix la motion n° 18, tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité.
Je rappelle que l'adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi organique.
(La motion n'est pas adoptée.)
Demande de renvoi à la commission
M. le président. Je suis saisi, par Mme Borvo, M. Bret, Mme Mathon et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, d'une motion n° 35, tendant au renvoi à la commission.
Cette motion est ainsi rédigée :
« En application de l'article 44, alinéa 5, du règlement, le Sénat décide qu'il y a lieu de renvoyer à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale le projet de loi organique relatif au référendum local (n° 297, 2002-2003). »
Je rappelle que, en application de l'article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l'auteur de l'initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d'opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie du fond et le Gouvernement.
Aucune explication de vote n'est admise.
La parole est Mme Nicole Borvo, auteur de la motion.
Mme Nicole Borvo. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, si nous défendons aujourd'hui cette motion tendant au renvoi du projet de loi organique à la commission, c'est parce qu'il nous paraît pour le moins inopportun de débattre d'un texte qui constitue l'une des premières applications d'un processus législatif largement contesté.
Ma collègue Josiane Mathon l'a dit avant moi : il est nécessaire et urgent qu'une véritable démocratie locale voie le jour. A cet égard, monsieur le ministre, vous nous avez fait part de votre interprétation des comportements électoraux de nos concitoyens. En outre, lors du débat relatif à la réforme des modes de scrutin, vous aviez affirmé que cette dernière avait pour objet de modifier les comportements électoraux. En tout état de cause, je ne suis pas certaine que votre interprétation de ceux-ci soit la bonne, à l'heure où plusieurs millions de nos concitoyens expriment dans la rue le mécontentement que leur inspirent vos projets de réformes !
M. Henri de Raincourt. De moins en moins !
Mme Nicole Borvo. M. Karoutchi, quant à lui, pense qu'il existe une opposition entre démocratie participative et démocratie représentative.
M. Roger Karoutchi. Il n'y en a pas !
Mme Nicole Borvo. En tout cas, certains les opposent, c'est ce que vous venez de dire !
Si j'en crois les résultats électoraux du 21 avril 2002, qui nous ont tous marqués, ...
M. Henri de Raincourt. Surtout vous !
Mme Nicole Borvo. ... la démocratie représentative a besoin d'être revivifiée par des formes nouvelles de démocratie, dont la démocratie participative, sans lesquelles la crise profonde de la représentation politique que nous connaissons - désaffection des citoyens pour les urnes, votes extrêmes - continuera d'engendrer des catastrophes.
Certes, dans d'autres pays, moins de 50 % du corps électoral prend part aux scrutins. Cependant, je ne pense pas qu'il s'agisse là de modèles pour notre République.
Revivifier la démocratie locale me paraît donc absolument nécessaire, mais nous sommes bien loin de cet objectif avec l'ensemble des projets de décentralisation du Gouvernement et la proposition d'instaurer une procédure de consultation par référendum local qui nous est présentée aujourd'hui.
Monsieur le ministre, vous avez opportunément rappelé que le texte que nous examinons est le premier de six textes relatifs à la mise en oeuvre de la révision constitutionnelle,...
M. Patrick Devedjian, ministre délégué. C'est le deuxième !
Mme Nicole Borvo. ... à laquelle nous nous étions opposés.
Vous nous avez également indiqué que ces textes faisaient suite à un débat démocratique lancé à l'occasion des assises des libertés locales. Certes, on peut pratiquer la méthode Coué et répéter sans cesse que la démocratie est à son summum, mais il n'empêche que la réalité est tout autre.
D'ailleurs, nos concitoyennes et concitoyens, notamment celles et ceux d'entre eux qui perçoivent ce qu'il en est de cette décentralisation à la mode du Gouvernement, lequel impose sans même les en avertir des transferts de compétences, ne s'y trompent pas. Devant leur détermination, M. Sarkozy vient de décider le report de l'examen du projet de loi relatif aux transferts de compétences, pour permettre de débattre non pas sur le fond, mais seulement sur les modalités de mise en oeuvre, les dispositions statutaires et les missions.
Je rappellerai à cet instant les propos que je tenais, voilà près de trois mois, devant le Congrès : « Les agents publics ne sont pas opposés par principe à la décentralisation, si elle permet une réelle amélioration du service public et de rapprocher le pouvoir de décision des citoyens. Mais ils refusent, avec leurs organisations, d'être mis devant le fait accompli et de devoir discuter des modalités de transfert alors qu'aucune réflexion n'a été engagée au préalable sur l'évolution de leurs missions et de celles de l'Etat. Ils craignent, à juste titre, pour l'avenir du service public lui-même. Il est urgent de les entendre. » C'est précisément ce que le Gouvernement a refusé de faire !
Trois mois plus tard, les agents publics demandent avec une certaine détermination à être entendus. Si, comme je l'ai indiqué, M. Sarkozy a été amené à annoncer le report de l'examen du projet de loi relatif aux transferts de compétences, M. Copé a jugé, pour sa part, que cela ne changerait rien au calendrier prévu pour ces transferts : le Gouvernement n'en est pas à une contradiction près ! J'estime, quant à moi, qu'il conviendrait de retirer purement et simplement le texte et d'engager des discussions de fond. Sinon, il ne faudra pas s'étonner que des milliers et des milliers de salariés fassent grève et descendent dans la rue, qu'ils soient agents de l'éducation nationale, de l'équipement, des transports, de la culture, etc., pour s'opposer aux projets gouvernementaux, à la décentralisation envisagée, à la remise en cause des services publics et à la réforme des retraites.
Les retraites par répartition, la sécurité sociale, les services publics fondent - avec certes de nombreuses insuffisances - une société dans laquelle la solidarité intergénérationnelle, l'égalité devant l'accès aux soins et aux services sont des principes essentiels. Ces valeurs qui ont sous-tendu les luttes et les conquêtes démocratiques, la majorité actuelle cherche à les déconstruire, pour mettre en place une société fondée sur un individualisme justifiant toutes les déréglementations sociales, une société où la vie, au travail et en dehors de celui-ci, serait placée sous le signe de la flexibilité et de la précarité, une société dans laquelle la réponse au mal-vivre, à l'insécurité, serait le repli sur soi, le rejet de l'autre, dans une recherche permanente du bouc émissaire et la stigmatisation de certaines catégories de la population.
Dans ce cadre, la réforme des retraites, comme la prétendue décentralisation, n'est qu'un acte fondateur d'une remise en cause généralisée de tous les systèmes de protection sociale et de solidarité, qui s'accompagnerait d'une réduction drastique des services publics et donc du nombre des fonctionnaires. Il s'agit de casser des mécanismes qui sont autant de freins à la mise en oeuvre de la politique libérale que le Gouvernement a adoptée, dans la droite ligne des préconisations du MEDEF.
Les salariés, la population ont bien compris l'enjeu et ne se laissent pas manipuler si facilement, alors que le Gouvernement mène campagne pour opposer le secteur public au secteur privé, les syndicats à la population, les parents d'élèves aux enseignants...
On le voit, l'ensemble de la communauté éducative est extrêmement attachée à ce que l'Etat reste le garant de l'égalité républicaine et du droit pour tous les citoyens d'accéder dans les mêmes conditions aux différents services publics. Son inquiétude est grande que la décentralisation à la mode du Gouvernement qui s'engage n'aboutisse à la mise en concurrence des collèges et des lycées et à un véritable « dépeçage » du service public de l'éducation.
Quant aux personnels administratifs, techniques, ouvriers, de service et de santé, dits ATOSS, ils craignent de surcroît, et à juste titre, d'être affectés à d'autres tâches, en fonction des priorités et des orientations de la collectivité qui les emploiera. Le ministre de l'éducation nationale ne leur avait-il pas affirmé, avant le 28 février, qu'ils n'étaient pas concernés par la décentralisation ? Mais les paroles s'envolent...
En outre, dans une lettre « flash » aux chefs d'établissement, le même ministre de l'éducation nationale a confirmé que les agents administratifs gérant les personnels techniques, ouvriers, de service et de santé, les TOSS, seront également transférés. Il avait pourtant été annoncé que les personnels administratifs n'étaient pas concernés par la décentralisation. L'effectif touché par celle-ci, qui était initialement de 110 000 personnes, a ainsi subitement crû de plus de 30 000 personnes.
On affirme souvent que le dispositif des agents spécialisés des écoles maternelles, les ASEM, fonctionnerait particulièrement bien ; c'est oublier que leur taux de présence varie de un à sept selon les collectivités. Quant au paiement des livres scolaires par les régions, ne nous leurrons pas : celles qui l'assument ont pris la place de l'Etat défaillant, que rien ni personne n'empêchait de prendre la même décision.
Si l'on ajoute à cette énumération les négociations engagées dans le cadre de l'accord général sur le commerce des services, l'AGCS, on comprend qu'il y a de quoi être extrêmement inquiet. La décentralisation du Gouvernement est bien le « cheval de Troie » de la libéralisation de l'enseignement et de bien d'autres services publics. Les expérimentations permettront d'ouvrir la voie vers encore plus de déréglementation, de libéralisation.
En ce qui concerne les personnels de l'équipement, ils savent bien que le transfert affectant leurs services va coûter extrêmement cher aux collectivités locales : 60 % des ouvrages d'art appartenant à l'Etat doivent être rénovés ; qui va payer ? Il faut s'attendre à un relèvement sans précédent des péages. Il faudra payer pour aller travailler !
En matière culturelle, les salariés ne sont pas hostiles à une décentralisation et à l'exercice de compétences locales, qui existent d'ailleurs déjà. Cependant, le rôle de l'Etat ne peut pas être défini « en creux » : il faut préciser clairement ses missions, plutôt que les démanteler sans apporter aucune garantie.
Par ailleurs, dans tous les domaines concernés, les agents publics savent bien que l'option statutaire qui leur est offerte et les possibilités de réintégration sont un leurre. Comment l'Etat fera-t-il pour réintégrer un fonctionnaire dans un secteur dont il se sera débarrassé ?
De plus, la question du financement des transferts de compétences reste entière. Les collectivités locales seront obligées d'externaliser, de privatiser leurs services. En tout état de cause, ce sera au contribuable local de payer davantage, bien davantage, s'il veut le maintien des services existants. Dans certains endroits déjà, les cantines scolaires, la maintenance et le chauffage des établissements sont confiés au secteur privé, pour lequel il s'agit là de marchés tout à fait intéressants !
Les élus locaux ont de bonnes raisons d'être inquiets. N'est-ce pas M. de Rohan qui, à en croire un journaliste, tenait récemment les propos suivants : « Nous ne sommes pas là simplement pour obtempérer sur un transfert décidé par le Gouvernement. Les personnels sont inquiets, mais nous aussi. » Il ajoutait, évoquant le fait que l'effectif des personnels de la région Bretagne allait être multiplié par six, que ce serait « une source de coût supplémentaire importante ». J'aurais souhaité que M. de Rohan soit présent dans cette enceinte pour nous faire part de ses craintes !
Dès le mois d'octobre dernier, le groupe CRC demandait que soit engagé un large débat public sur la décentralisation et qu'il soit permis aux citoyens de connaître les tenants et les aboutissants des projets gouvernementaux, afin qu'ils puissent se prononcer en toute connaissance de cause par référendum, comme M. Chirac l'avait lui-même suggéré au cours de sa campagne électorale.
Le Gouvernement a refusé de tenir cette promesse du candidat Chirac ; or nous ne serions pas dans la situation qui prévaut aujourd'hui si ce débat avait eu lieu, si les citoyennes et les citoyens, si les salariés avaient pu donner leur avis.
Cela étant, M. le Premier ministre affirme que « ce n'est pas la rue qui gouverne », que c'est au Parlement de décider. Pourtant, du débat parlementaire aussi, le Gouvernement fait souvent fi. De déclaration d'urgence en recours au 49-3, d'avant-projets de loi dont le contenu nous est dévoilé par la presse en changements de dernière minute apportés au calendrier parlementaire, c'est le mépris du Parlement qui domine. Mais il faut bien dire que la majorité donne quitus au Gouvernement de cette attitude, puisqu'elle accepte sans sourciller de voter les projets de loi qu'il présente sans même parfois déposer le moindre amendement. Nous l'avons d'ailleurs entendu tout à l'heure annoncer qu'elle voterait ce texte et les suivants alors qu'elle n'en connaît pas encore la teneur !
M. Roger Karoutchi. C'est la logique !
Mme Nicole Borvo. La manière dont a été engagé le processus législatif en ce qui concerne les lois de décentralisation est, sur ce chapitre, éclairante. Nous n'avons pas manqué de souligner que le Gouvernement nous demandait de voter une réforme constitutionnelle touchant aux fondements de nos institutions et devant provoquer des bouleversements importants dans la vie des citoyens, sans que nous puissions avoir connaissance du contenu des projets de loi à venir et bénéficier d'une vision d'ensemble. De fait, les textes nous sont présentés un à un sans débat sérieux ; au fond, on a quelque peu l'impression d'être en présence de « poupées gigognes », chaque texte en cachant un autre.
C'est ainsi que nous apprenons par le biais du rapport de la commission des lois que le projet de loi relatif aux transferts de compétences devrait comporter des dispositions visant la démocratie locale ! Que ne débattons-nous aujourd'hui de la démocratie locale ? Ce serait plus intéressant !
Dans ces conditions, présenter très vite un projet de loi organique relatif au référendum local fait presque figure de provocation. Vous nous soumettez ce texte alors que vous avez refusé un débat portant sur le fond des problèmes.
Il est vrai que le Gouvernement est lié par le contrat qu'il a passé avec le MEDEF. Il s'agit d'affronter les échéances électorales de 2004 en ayant aligné la France sur les « normes européennes », grâce en particulier à la réforme des modes de scrutin.
Le 11 décembre dernier, je m'étais exprimé ici même en ces termes : « Les enseignants étaient dans la rue, ce dimanche, pour dire leur refus de la mise en cause de l'unicité de l'enseignement, de son égalité. Les cheminots et les salariés de divers services publics, qui ont manifesté en grand nombre le 26 novembre, ont dit, eux aussi, leurs inquiétudes devant la décentralisation telle qu'elle se profile. »
Aujourd'hui, c'est par millions qu'ils défilent, font grève ou sont solidaires pour dire leur refus du démantèlement du pays, du service public. Et que l'on n'essaie pas de nous faire croire qu'il ne s'agirait là que d'opposants à toute décentralisation !
Comme nous-mêmes, la plupart d'entre eux ne sont pas pour le statu quo, car trop de besoins sont insatisfaits. Mais la décentralisation doit être solidaire, citoyenne, porteuse d'égalité dans le cadre d'une cohésion sociale et territoriale renforcée. Elle doit permettre une plus grande prise d'initiative par les citoyens eux-mêmes. C'est une conception fondamentalement opposée que vous défendez.
A l'évidence, il y a place, dans notre pays, pour un service public national, solidaire, répondant aux besoins des usagers. Les luttes massives de ces derniers jours expriment cette exigence.
Monsieur le ministre, je le dis solennellement : le 21 avril 2002 a eu lieu parce que les Françaises et les Français avaient le sentiment de n'avoir pas été entendus. En continuant de ne pas les écouter, en choisissant le rapport de force plutôt que la discussion et la négociation, le Gouvernement prend des risques extrêmement graves au regard de l'avenir.
Il est encore temps pour lui de retirer ses projets et de lancer une véritable négociation et un vrai débat citoyen sur d'autres bases. C'est la raison pour laquelle nous demandons de renvoyer à la commission ce projet de loi organique relatif au référendum local. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Daniel Hoeffel, rapporteur. En réponse à l'argumentaire présenté par Mme Borvo, j'indiquerai que nous avons eu l'occasion, en commission, d'avoir une discussion de fond sur les différents points de ce projet de loi organique. Nous en avons débattu, je le crois, en connaissance de cause. Par ailleurs, au vu de la consultation à laquelle, en tant que rapporteur, j'ai pu procéder avec l'ensemble des associations d'élus concernées par ce projet de loi organique, le renvoi à la commission me paraît inutile.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Patrick Devedjian, ministre délégué. Toutes les considérations de Mme Borvo sont extérieures au texte que nous examinons. Par conséquent, je ne saisis pas la logique qui justifierait le renvoi à la commission. Celui-ci me paraît donc inutile.
M. le président. Je mets aux voix la motion n° 35, tendant au renvoi à la commission.
Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant de la commission.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?...
Le scrutin est clos.
(Il est procédé au comptage des votes.)
M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 160 :
318314158107207 M. Jean-Pierre Sueur. C'est dommage !
M. le président. En conséquence, nous passons à la discussion de l'article unique.
M. le président. « Article unique. - Le titre unique du livre Ier de la première partie du code général des collectivités territoriales est ainsi modifié :
« I. - Le chapitre II "Coopération décentralisée" devient le chapitre IV. Les articles L. 1112-1 à L. 1112-7 deviennent respectivement les articles L. 1114-1 à L. 1114-7.
« A l'article L. 1722-1, les références aux articles : "L. 1112-1" et "L. 1112-5 à L. 1112-7" sont remplacées par les références aux articles : "L. 1114-1" et "L. 1114-5 à L. 1114-7" et au 3° de l'article "L. 1781-2" la référence à l'article : "L. 1112-1" est remplacée par la référence à l'article : "L. 1114-1".
« II. - Il est rétabli un chapitre II intitulé "Participation des électeurs aux décisions locales" ainsi rédigé :
« Chapitre II
« Participation des électeurs aux décisions locales
« Section unique
« Référendum local
« Sous-section 1
« Dispositions générales
« Art. LO 1112-1. - L'assemblée délibérante d'une collectivité territoriale peut soumettre à référendum local tout projet de délibération tendant à régler une affaire de la compétence de cette collectivité.
« Art. LO 1112-2. - L'exécutif d'une collectivité territoriale peut soumettre à référendum local, après autorisation donnée par l'assemblée délibérante de cette collectivité, tout projet d'acte relevant de ses attributions.
« Art. LO 1112-3. - Dans les cas prévus aux deux articles qui précèdent, l'assemblée délibérante de la collectivité territoriale détermine les modalités de l'organisation du référendum local, fixe le jour du scrutin et convoque les électeurs. Ces derniers font connaître par oui ou par non s'ils approuvent le projet de délibération ou d'acte qui leur est présenté.
« La délibération prise en application de l'alinéa précédent est transmise deux mois au moins avant la date du scrutin au représentant de l'Etat. Si celui-ci l'estime illégale il dispose d'un délai de dix jours à compter de sa réception pour en saisir le juge administratif et assortir sa demande de conclusions de suspension dans les conditions prévues à l'article L. 521-1 du code de justice administrative.
« Art. LO 1112-4. - Si la délibération émane de l'assemblée délibérante d'une collectivité territoriale autre que la commune, le représentant de l'Etat dans cette collectivité la notifie dans un délai de quinze jours aux maires des communes dans le ressort de la collectivité, sauf s'il a été fait droit à sa demande de suspension.
« Les maires organisent le scrutin. Si un maire refuse de procéder à cette organisation, le représentant de l'Etat, après l'en avoir requis, y procède d'office.
« Art. LO 1112-5. - Les dépenses liées à l'organisation du référendum constituent une dépense obligatoire de la collectivité territoriale qui l'a décidée.
« Il en est de même lorsqu'il est fait application du deuxième alinéa de l'article LO 1112-4.
« Art. LO 1112-6. - Aucun référendum ne peut être organisé par l'assemblée délibérante d'une collectivité territoriale après le premier jour du sixième mois précédant celui au cours duquel il doit être procédé au renouvellement général ou au renouvellement d'une série sortante des membres de son organe délibérant.
« Aucune campagne en vue d'un référendum ne peut être organisée, ni aucun scrutin se dérouler pendant la durée de la campagne électorale ou les jours du scrutin prévus pour le renouvellement général des membres des assemblées délibérantes des collectivités territoriales, des députés ou de chacune des séries des conseillers généraux et des sénateurs, pour l'élection des membres du Parlement européen, ainsi que pour l'élection du Président de la République. Il ne peut davantage être organisé de référendum local pendant la durée de la campagne ni le jour du scrutin pour un référendum décidé par le Président de la République ou dans la collectivité où il est fait application de ces dispositions, pour les consultations qui ont lieu sur le fondement du dernier alinéa de l'article 72-1, de l'article 72-4 et du dernier alinéa de l'article 73 de la Constitution non plus que les jours prévus pour ces scrutins.
« La décision de recourir au référendum devient caduque en cas de dissolution de l'assemblée délibérante d'une collectivité territoriale ou de démission de tous ses membres en exercice ou en cas d'annulation devenue définitive de l'élection de tous ses membres.
« Pendant un délai d'un an à compter de la tenue d'un référendum à l'initiative d'une collectivité territoriale, celle-ci ne peut recourir à un autre référendum portant sur le même objet.
« Art. LO 1112-7. - Le projet soumis à référendum local est adopté s'il réunit la majorité des suffrages exprimés.
« Le texte adopté par voie de référendum est soumis aux règles de publicité et de contrôle applicables à une délibération de l'organe délibérant de la collectivité ou à un acte de son exécutif.
« Sous-section 2
« Information des citoyens, campagne électorale
et opérations de vote
« Art. LO 1112-8. - Un dossier d'information sur l'objet du référendum décidé par la collectivité territoriale est mis à disposition du public dans les conditions fixées par décret en Conseil d'Etat.
« Art. LO 1112-9. - La campagne en vue du référendum local est organisée par la collectivité qui en a pris l'initiative dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat ; elle est ouverte le deuxième lundi qui précède le jour du scrutin à zéro heure. Elle est close la veille du scrutin à minuit.
« Sont habilités, sur leur demande, à participer à la campagne mentionnée à l'alinéa précédent :
« - les groupes d'élus constitués au sein de l'assemblée délibérante ;
« - les partis ou groupements politiques dont les candidats ou les listes de candidats ont obtenu au moins 5 % des suffrages exprimés lors du dernier renouvellement général de l'assemblée délibérante de la collectivité.
« Art. LO 1112-10. - Peuvent seuls participer au scrutin les électeurs inscrits :
« - sur la liste électorale des électeurs de nationalité française arrêtée à la dernière révision, ou lors du plus récent scrutin organisé postérieurement à celle-ci, éventuellement complétée dans les conditions prévues par le code électoral ;
« et, pour un référendum local décidé par une commune, sur la liste électorale complémentaire arrêtée dans les mêmes conditions que la liste électorale.
« Art. LO 1112-11. - Un décret en Conseil d'Etat fixe les dispositions relatives aux opérations préparatoires au scrutin, au déroulement des opérations de vote, au recensement des votes et à la proclamation des résultats.
« Art. LO 1112-12. - Tout électeur défini à l'article LO 1112-10 ainsi que le représentant de l'Etat peut contester la régularité du scrutin par une protestation présentée devant la juridiction administrative dans les délais, formes et conditions fixés par décret en Conseil d'Etat. »