COMPTE RENDU INTÉGRAL
PRÉSIDENCE DE M. GUY FISCHER
vice-président
M. le président. La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à quinze heures.)
PROCÈS-VERBAL
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n'y a pas d'observation ?...
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.
DÉPÔT DE RAPPORTS
EN APPLICATION DE LOIS
M. le président. M. le président a reçu de M. le Premier ministre : le rapport d'évaluation de l'état de la réserve militaire en 2002, établi en application de l'article 29 de la loi du 22 octobre 1999 portant organisation de la réserve militaire et du service de défense ; le rapport sur la protection et le contrôle des matières nucléaires, établi en application de l'artice 10 de la loi du 25 juillet 1980 sur la protection et le contrôle des matières nucléaires.
Par ailleurs, M. le président a reçu de M. le président du conseil de surveillance de la Caisse nationale d'assurance vieillesse le rapport au Parlement sur la réalisation de la convention d'objectifs et de gestion entre l'Etat et cette caisse pour 2001-2002, établi en application de l'article L. 228-1 du code de la sécurité sociale.
Enfin, M. le président a reçu de M. le président de la commission de régulation de l'énergie le rapport d'activité de cette commission pour la période de juillet 2002 à juin 2003, établi en application de l'article 32 de la loi du 10 février 2000 relative à la modernisation et au développement du service public de l'électricité.
Acte est donné du dépôt de ces rapports.
RESPONSABILITÉS LOCALES
Suite de la discussion d'un projet de loi
M. le président. L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi (n° 4, 2003-2004) relatif aux responsabilités locales. [Rapport n° 31 (2003-2004) ; avis n°s 32, 33, 34 et 41 (2003-2004).]
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Claude Biwer.
M. Claude Biwer. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, lorsque M. le Premier ministre et M. le ministre de l'intérieur nous ont présenté hier après-midi leurs orientations, ils ont précisé qu'ils étaient prêts à étudier avec la plus grande bienveillance à la fois les propositions d'avenir que nous pourrions formuler depuis nos collectivités territoriales et les amendements que nous déposerions. Je me suis alors pris à rêver d'un gouvernement enfin ouvert au dialogue et à la réflexion constructive, ce qui, bien sûr, m'a rempli de joie !
C'est empreint de cette première réaction que je vous expose à présent mes souhaits et, peut-être aussi mes craintes, tout en vous assurant de mon soutien lorsque vos propositions apparaîtront constructives et positives.
Monsieur le ministre, la décentralisation ne consiste pas simplement, me semble-t-il, à prendre un brin de pouvoir depuis la capitale pour le transférer vers nos grandes régions et nos métropoles régionales. Il est nécessaire de tenir compte de toutes les collectivités locales existant sur l'ensemble de notre territoire. Dans la mesure où les représentants du Gouvernement précisaient hier combien ils étaient à l'écoute de notre démarche, j'aurais tendance à dire : « Eh bien, banco ! Nous sommes prêts, allons-y ! »
Nous n'avons pas toujours, il est vrai, ressenti la même bonne volonté, puisqu'il a fallu attendre plus de vingt ans après les premières lois de décentralisation pour qu'un gouvernement se décide à donner une impulsion à cet indispensable mouvement, tant il est vrai que notre pays a souffert depuis trop longtemps d'un centralisme technocratique aussi archaïque que contre-productif.
On peut légitimement s'interroger sur le fait de savoir pour quelles raisons l'élan de 1981 a été brisé net quelques années plus tard, alors que les collectivités territoriales avaient fait la preuve de leur capacité à assumer avec brio les premières compétences qui leur furent transférées.
Les administrations centrales ont sans doute eu peur de se voir dépouiller de leurs prérogatives en la matière. Le corps préfectoral, qui n'a pas véritablement apprécié les transferts de responsabilités aux présidents de conseils généraux ni la nouvelle appellation de « préfet, commissaire de la République », n'a sans doute guère plaidé pour la poursuite du processus. Le ministère de l'économie et des finances ne voyait pas d'un bon oeil lui échapper la gestion de recettes et de dépenses supplémentaires ; en supposé gardien de l'orthodoxie budgétaire et fort du principe selon lequel lui seul est capable de maîtriser la dépense publique, il mettait en doute la capacité de gestion des deniers publics par les élus locaux.
C'est ainsi qu'une campagne fut orchestrée sur le caractère dispendieux de certaines initiatives prises par les conseils généraux ou les conseils régionaux, comme la construction de nouveaux hôtels du département ou de région, alors que, dans la très grande majorité des cas, il s'agissait de rassembler des services et de rationaliser le travail des fonctionnaires territoriaux.
Cette méthode ministérielle consistant à observer et à juger bien mal à propos plutôt qu'à se lancer dans sa propre réorganisation nous a conduits à cette fameuse « pause dynamique » dans le processus de décentralisation, qui a duré plus de quinze ans et s'est traduite par une recentralisation rampante, par une reprise en main de l'administration préfectorale et par une tutelle financière de plus en plus tatillonne.
Je ne peux que féliciter M. le Premier ministre et son gouvernement d'avoir eu le courage de donner un nouvel élan à la décentralisation. C'est d'ailleurs avec intérêt que j'ai pris connaissance du projet de loi que nous examinons aujourd'hui et dont j'ai apprécié la teneur.
Ce projet de loi opère un très important transfert de compétences, de charges et de ressources, notamment aux régions et aux départements. Les communes et l'intercommunalité sont, en revanche, peu concernées. Personnellement, je le regrette, espérant une amélioration dans ce domaine.
Etant élu départemental, je m'attacherai à analyser les conséquences heureuses et moins heureuses, selon moi, de ce texte pour les départements.
Je ne peux que me féliciter de voir le rôle et la place des départements confortés : que n'a-t-on entendu sur l'inutilité et l'archaïsme de ceux-ci, sur la prétendue nécessité de les faire disparaître et de rassembler toutes les compétences au niveau régional ! Certains ont même affirmé que, à l'avenir, il n'y aurait plus que les communes et leurs groupements ainsi que les régions et l'Europe et que les départements, voire l'Etat, pourraient disparaître, purement et simplement, de l'action proprement dite au niveau de notre vie quotidienne !
Or le Gouvernement nous a bien précisé hier que la situation était différente et qu'il prévoyait de transférer aux départements de nouvelles et importantes missions comme la gestion de l'essentiel du réseau routier national. Cette mesure paraît logique dans la mesure où ils disposent déjà d'une grande expérience en matière d'entretien des routes départementales et où il s'agit de la continuité des itinéraires. On ne pourrait, en effet, concevoir une rupture de certains itinéraires relevant de la compétence tant départementale que nationale. Ce serait une grave erreur à ne pas commettre.
Vous prévoyez de confier aux départements la gestion complète du RMI-RMA, un bloc de compétences homogène en matière d'action sociale qui constitue déjà le poste le plus important de leurs dépenses. Les départements verront également leur compétence renforcée en ce qui concerne l'aide aux personnes âgées, l'accueil, la restauration, l'entretien et l'implantation des collèges, ainsi qu'en matière de logement, d'aides à la pierre, de monuments historiques ou d'élimination des déchets.
Vous prévoyez aussi de leur transférer d'importants moyens financiers, à savoir plus de 5 milliards d'euros de TIPP dès 2004 pour le RMI-RMA et 3 milliards d'euros supplémentaires à compter de 2005 prélevés, pour l'essentiel, sur la taxe sur les conventions d'assurance, pour compenser le transfert des autres compétences.
Il est vrai que, pour la première fois, la Constitution que nous avons révisée impose de compenser intégralement les transferts de charges par des transferts de ressources correspondants, sous le contrôle sourcilleux, je le souhaite, du Conseil constitutionnel lors de l'examen des lois de finances.
Mais ces compensations seront calculées en prenant en compte les dépenses engagées par l'Etat au cours des années précédant les transferts de compétences et certainement pas en fonction des besoins futurs. Raisonnons par l'absurde : si l'Etat a dépensé 0 euro de 2001 à 2004 pour l'entretien des routes nationales déclassées, il sera en droit de transférer 0 euro aux départements en 2005 et le Conseil constitutionnel ne pourra qu'avaliser cet état de fait, les conseils généraux ne disposant dès lors plus que de leurs yeux pour pleurer !
Monsieur le ministre, mes chers collègues, je n'ai pas pris cet exemple au hasard : nous sommes tous très bien placés pour savoir que la plupart des routes nationales dites « secondaires » ne sont plus véritablement entretenues depuis de longues années. Or ce sont justement celles-là qui vont être transférées aux départements avec les maigres crédits d'entretien correspondants.
Les départements auront dès lors le choix : soit les laisser dans leur triste état, soit les entretenir correctement. Il va de soi que les dépenses supplémentaires devront être compensées.
S'agissant de la gestion du RMI-RMA, on ne peut que se réjouir du caractère cohérent de sa dévolution aux départements. Mais, dans le même temps, on apprend qu'un « tour de passe-passe » - comme l'a appelé un quotidien national, qui faisait sans doute allusion au désengagement de l'Etat concernant l'allocation de solidarité spécifique - fera basculer, dès 2004, 150 000 chômeurs supplémentaires vers le RMI et, en 2005, plus de 300 000. Les départements seront alors bien obligés de les prendre en charge. Qui va compenser ces dépenses supplémentaires ?
J'en viens aux dépenses d'aide sociale, notamment celles qui concernent les personnes âgées. Chacun sait que s'il y a un domaine où les dépenses des départements vont véritablement exploser, c'est bien celui qui est lié à l'accueil, à l'hébergement ou à la prise en charge d'un nombre de plus en plus élevé de personnes âgées dépendantes. Là encore, les départements pourront décider de ne leur consacrer que le volume de crédits qui leur aura été transféré par l'Etat. Mais ils ne pourront s'en tenir à cette position dans la mesure où la solidarité à l'égard de nos aînés ne saurait être réduite. Mais alors, qui va compenser ces dépenses supplémentaires ?
Les aides financières à la construction de logements sociaux seront transférées aux départements pour les zones rurales et aux grandes intercommunalités. S'il existe des intercommunalités plus ou moins grandes, ne sommes-nous pas responsables, les uns et les autres ? J'espère que la construction de logements sociaux pourra ainsi être accélérée. Il convient, monsieur le ministre, de nous rassurer sur ce thème, car les 530 millions d'euros transférés ne seront pas suffisants, nous le savons bien. Ne pourrions-nous pas envisager des économies substantielles sur l'environnement des coûs de construction ? Je pense aux frais d'étude, aux frais annexes de différentes natures, aux frais de contrôle qui, actuellement, atteignent près d'un tiers de la dépense de construction.
Nous avons tous en mémoire ce qui s'est passé précédemment pour le transfert des collèges aux départements : dans sa note de présentation, le Gouvernement nous précise à ce sujet que, de 1986 à nos jours, l'effort consenti par les départements en faveur des collèges a été bien supérieur à celui de l'Etat et il serait utile que nous ne connaissions pas la même situation à l'avenir. Il en a d'ailleurs été de même pour l'APA.
Ne soyez pas étonné, monsieur le ministre délégué, que les élus territoriaux d'expérience que nous sommes ne puissent laisser passer une réforme qui se traduirait par de nouveaux transferts de charge sans véritables compensations. Mais les propos que vous avez tenus hier nous ont rassurés et j'ose espérer que les choses se passeront normalement.
Pour ce qui me concerne, je crois avoir démontré, par mes propos et par mes écrits, que je suis un farouche partisan de la décentralisation, mais un partisan lucide et exigeant. J'ai les yeux bien ouverts et je déteste les marchés de dupes. Dans les situations que j'ai évoquées tout à l'heure, nous avons encore, je n'en doute pas, du travail à accomplir ensemble.
M. le président. Veuillez conclure, monsieur Biwer !
M. Claude Biwer. Dans ces conditions, il serait cohérent d'envisager, dans la mesure du possible, une péréquation des opérations, car les « plus » que nous pouvons apporter au niveau gouvernemental devraient permettre aux départements les plus faibles de subvenir à leurs besoins.
Monsieur le ministre, si les compensations sont correctement évaluées, si la collaboration que vous avez souhaitée hier est réussie, nous mettrons en place ensemble le dispositif envisagé. Hormis les quelques amendements que nous avons déposés et que nous souhaitons défendre, nous pourrons trouver le juste équilibre qui nous permettra d'approuver votre projet de loi. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et de l'UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Jean Puech.
M. Jean Puech. Monsieur le ministre, promesse tenue : le Gouvernement est à l'heure au rendez-vous de la décentralisation. Et c'est au Sénat, comme prévu, que s'ouvre le temps du débat. Savoir à la fois se donner du temps pour la démocratie, puisque vous n'avez pas demandé l'urgence sur ce texte, et tenir ses promesses d'actions réformatrices, c'est déjà un résultat que j'apprécie.
C'est le résultat d'une volonté politique que je salue et le résultat d'une méthode. Cette fois, le chantier a été pris comme il doit l'être, dans le bon ordre. On a commencé par les fondations, c'est-à-dire par la réforme constitutionnelle.
Au terme d'une année de travail, de réflexions, de concertation, l'édifice a pris forme. Le texte qui nous est présenté aujourd'hui nous permet de penser que, cette fois, il ne s'agira pas d'une occasion manquée, d'un simple effet d'annonce. Il ne s'agira plus de parler de décentralisation tout en faisant le contraire. Il ne s'agira plus de repeindre la façade, de refaire les tapisseries sans toucher à la structure même de cette maison commune des Français qu'est l'organisation de leur vie quotidienne.
Il ne s'agira plus de déléguer les responsabilités de gestion - donc des responsabilités politiques - aux élus sans leur en donner les moyens, notamment financiers et budgétaires. (M. Michel Dreyfus-Schmidt s'exclame.) Il ne s'agira plus de déléguer compétences et missions sans réorganiser en profondeur l'appareil central et territorial de l'Etat.
Ce texte vient logiquement après une réforme constitutionnelle dont la portée politique et institutionnelle n'a échappé à personne. Cette étape essentielle, complétée par les trois lois organiques, va fixer le cadre des réformes et confirmer les principes directeurs.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, la décentralisation, j'y crois ! Je ne doute pas un seul instant de son succès tant cette démarche est inéluctable.
C'est ce qui m'autorise à vous livrer une de mes craintes : que la décentralisation ne soit, en dépit de notre vigilance, réduite à une évolution d'ordre financier, à un processus technique ou administratif.
Certes, la décentralisation, c'est un peu tout cela pour arriver à l'efficacité souhaitée, mais la décentralisation, mes chers collègues, est d'abord d'ordre culturel. Elle s'inscrit dans un projet de société.
La décentralisation concerne le pays tout entier. Elle doit faire partie des habitudes de nos concitoyens, de l'ensemble des acteurs politiques, sociaux, économiques et associatifs. Cela devrait être tout naturel.
La décentralisation, c'est un mode de fonctionnement de la société que la France n'a pas osé jusqu'à ce jour mettre en oeuvre pleinement. Cette culture de la décentralisation a du mal à se conjuguer « à la française », car les résistances « d'en haut » sont fortes. C'est un constat que tout le monde fait.
Pourtant, quoi de plus normal pour nous et pour la très grande majorité de nos concitoyens que de fonder l'organisation de notre société sur les corps intermédiaires, au premier rang desquels les collectivités territoriales élues au suffrage universel ?
C'est un des piliers de la République.
Ce pilier serait-il trop démocratiquement simple pour être sinon admis du moins respecté par une « intelligentsia » coupée des réalités et qui fait malheureusement école ?
Nous ne sommes pas dans un débat opposition-majorité. C'est un débat que nous retrouvons dans toutes nos formations politiques.
Aussi, je souhaite ardemment que le Gouvernement, avec notre aide, puisse vaincre ou plutôt dépasser les résistances jacobines. Cependant, monsieur le ministre, vous le savez, ce sont des résistances têtues. Elles s'opposeront par tous les moyens à votre politique.
Nos administrations centrales et la haute fonction publique ne sont pas les seuls gardiens du temple jacobin. Les structures nationales de la société civile et médiatique ne fonctionnent pas autrement. Le moteur est le même partout : conserver une structure de pouvoir dans tous les secteurs centralisés.
Je citerai, pour mémoire, les appareils des partenaires sociaux et économiques. Par exemple, comment gèrent-ils notre système de sécurité sociale ? Par circulaires. Ils sont plus centralisateurs que la plus centralisatrice des administrations centrales !
Autre exemple : les milieux associatifs s'insurgent contre toute réforme qui consiste à rapprocher le citoyen des pouvoirs de décision. On a pu, malheureusement, le constater au printemps dernier. On a assisté alors à une formidable campagne de désinformation sur une prétendue volonté de « privatiser » l'éducation nationale.
Les élus locaux, sur le terrain, le constatent quotidiennement : ils savent bien que les propres échelons déconcentrés de ces appareils économiques et sociaux, qui ont une vision réaliste du terrain, sont très souvent en parfait décalage avec les positions de leurs organisations nationales.
Bref, la culture de la décentralisation, cette culture de la proximité, de la réalité quotidienne, n'a pas, malgré tous les efforts déployés à ce jour, pénétré l'ensemble de la société française.
Tout cela justifie que cet « acte II » de la décentralisation donne lieu à un grand débat. Ce débat, que le Gouvernement a souhaité, doit permettre l'expression d'une volonté politique claire de l'ensemble du Parlement.
Je l'ai dit et je le répète : il faut y aller et y aller tambour battant ! J'en suis de plus en plus convaincu.
J'ai toujours dit qu'il fallait que les collectivités de tous niveaux s'attellent à un travail commun avec le Gouvernement pour aboutir à des propositions équilibrées, transparentes et lisibles par tous.
Je n'ai pas ménagé mes efforts en ce sens, vous le savez, avec mes collègues Daniel Hoeffel et Gérard Longuet, responsables respectivement de l'Association des maires de France et de l'Association des régions de France. Notre concertation a été permanente.
Je m'en félicite, car les tentatives de division n'ont pas manqué. Ce travail n'est pas achevé et nous le poursuivrons avec la même détermination, en lien constant avec le Gouvernement et les assemblées parlementaires.
Tout au long de la préparation, j'ai aussi constamment dit que ce texte devait être un texte de décentralisation et non de délégation de gestion. Il l'est pour l'essentiel, et je compte sur la sagesse de notre assemblée pour le parfaire sur ce point. En effet, ainsi que M. le Premier ministre l'a réaffirmé avec une force particulière, on ne peut laisser subsister des « ersatz » de cogestion.
Par exemple, si l'Etat veut créer, comme certains le demandent, un cinquième risque de la sécurité sociale pour les personne âgées, qu'il le fasse, mais qu'il laisse les collectivités territoriales tranquilles ! Si, en revanche, il souhaite une gestion proche de la personne, ce que nous savons faire, qu'il sache nous faire confiance !
Autre exemple, si l'Etat veut garder une maîtrise, même déconcentrée, de la politique des aides à la pierre dans le secteur du logement, il n'a pas besoin d'un texte législatif pour améliorer sa propre gestion. Le texte qui nous est présenté est, en l'état, un texte de simple déconcentration. Dans sa version actuelle, les collectivités territoriales porteraient la responsabilité politique, alors que l'Etat et ses préfets répartiraient les crédits. J'ajoute, mais vous le savez déjà, que les départements cautionnent déjà trois quarts du financement des investissements et que les offices départementaux gèrent plus de la moitié du parc locatif HLM ! Il y a là une expérience, une pratique du terrain, et il me semble que l'on devrait parvenir à une conclusion qui satisfasse tout le monde.
M. le ministre de l'intérieur a dit, et j'ai relevé ses termes, que la décentralisation devait être « loyale » et « transparente » : c'est une exigence pour nos concitoyens et pour les personnels de la fonction publique.
Les événements du printemps dernier que je rappelais sont révélateurs de la confusion qui peut régner dans les esprits. Il ne faut pas donner prise à la rumeur, à la désinformation, aux peurs injustifiées.
Monsieur le ministre, le Gouvernement nous a donné ces derniers jours de nombreuses assurances sur les modalités des transferts envisagés, qu'ils soient financiers ou en personnels. M. le ministre de l'intérieur les a réitérées hier au cours de son intervention devant notre assemblée. J'en suis heureux.
Nous vous demanderons toujours, vous le comprendrez, la clarté et la lisibilité. Elles sont d'autant plus nécessaires que la conjoncture économique oblige Etat et collectivités territoriales à un jeu à somme nulle. L'essentiel de nos préoccupations, pour nous responsables territoriaux comme pour les responsables de l'Etat, c'est d'établir une feuille de route fiscale pour nos concitoyens contribuables, c'est-à-dire des budgets loyaux, vrais, sans face cachée. Nous sommes donc bien sur les mêmes longueurs d'onde.
Je conclurai en saluant le travail considérable accompli, en un temps record, par M. le rapporteur ainsi que par Mme et MM. les rapporteurs pour avis, que je remercie très sincèrement.
Sachez que vous aurez toujours à vos côtés les représentants des élus locaux, notamment les conseillers généraux dans leur ensemble. Tout au long de ce débat, aujourd'hui comme hier et demain, ils vous apporteront un soutien sans faille...
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Pas tous !
M. Jean Puech. ... et voteront tout amendement de nature à clarifier et à simplifier toujours davantage.
Nous le ferons, car dès le premier jour, depuis les prémices de son élaboration sous l'égide du Premier ministre, nous avons approuvé les orientations fondamentales de ce texte, et nous continuons à le faire avec détermination tant il nous paraît indispensable et urgent de réformer et de moderniser l'administration de notre pays. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Thierry Foucaud.
M. Thierry Foucaud. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, on pourrait évidemment se demander, au seuil de cette discussion, si la question des finances locales mérite d'être posée, alors même que l'essentiel du texte de loi qui nous est soumis porte, à la vérité, sur le nouveau partage opéré entre l'Etat et les collectivités territoriales pour répondre aux besoins sociaux collectifs.
A dire vrai, et cela apparaît à la lecture même du texte, la question financière n'est finalement que secondaire, couvrant seulement 2 des 126 articles originels. Cela cache forcément quelque chose, monsieur le ministre, s'agissant notamment des financements...
Pour autant, c'est une autre question qui doit se poser à l'occasion de cette discussion générale : celle de savoir s'il suffirait de résoudre les contraintes financières inhérentes aux tranferts de compétences entre Etat et collectivités territoriales pour s'assurer de leur plein accomplissement.
Dans les faits, la première question à poser est celle de la pertinence même de la décentralisation des compétences, du bien-fondé même des transferts de responsabilités nouvelles que l'on s'apprête à opérer en direction des collectivités locales.
Dans le projet de loi, le cadre est en apparence clair et les ambitions affichées pour le moins évidentes.
Il s'agit de « faire émerger une République des proximités [...] pour rétablir la légitimité même de l'action publique ».
« Cet acte II de la décentralisation », nous dit-on aussi, « sera l'aiguillon de la nécessaire modernisation de notre pays et de l'évolution de ses structures administratives. Rapprochant la décision publique du citoyen, il la rendra plus simple, plus efficace et plus démocratique. Clarifiant la répartition des compétences, il permettra aux citoyens de mieux identifier les responsables des politiques publiques. »
On pourrait évidemment souscrire à ces intentions, mais les choses ne sont pas aussi claires. Posons quelques questions.
Le développement économique doit-il être porté par l'action des collectivités locales, alors même que nous assistons à l'internationalisation et à l'intégration de notre économie, et que la Commission européenne s'oppose, sous les prétextes les plus discutables, à toute initiative de politique économique nationale qui « sortirait des clous » de l'économie de marché, comme l'a montré l'affaire Alstom ?
L'efficacité de notre système scolaire, que bien des pays nous envient, gagnerait-elle à voir la charge de son financement encore plus décentralisée, alors même qu'il est évident que bien des collectivités locales seront dans la plus parfaite incapacité de consacrer à cette mission publique essentielle les moyens qu'elle mérite ?
Que dire encore de l'action en matière de santé, qui, d'ailleurs, aux dernières nouvelles, est souvent largement financée par la sécurité sociale, l'Etat se contentant, au travers des lois de financement, de jouer le rôle de gendarme de la dépense publique en la matière ?
Dans les faits, nous ne pouvons évidemment oublier le débat essentiel : le transfert de compétences risque fort d'être avant tout l'occasion d'alléger quelque peu les charges de l'Etat, alors même que la dérive des comptes publics, vous le savez, est particulièrement sensible cette année. Elle atteindra en effet près de 64 milliards d'euros et sera fixée à 55 milliards d'euros dans la loi de finances initiale pour 2004.
Si l'on se livrait d'ailleurs à l'exercice consistant à repérer effectivement les dépenses transférées, on découvrirait sans trop de surprise que la plupart des chapitres concernés sont affectés cette année par une réduction des engagements de dépenses.
Nous ne parlerons pas, pour ne vexer personne, de la réduction des dépenses en matière de logement, de construction et d'entretien des routes, ou encore d'action sociale, mais les faits sont là.
Autre point : l'article 40 du projet de loi de finances pour 2004 montre qu'une partie des compétences transférées va être financée au travers d'une affectation de produits fiscaux d'Etat.
Nous estimons pour notre part que la solution n'est sans doute pas là, puisque le transfert portera sur des impôts et taxes sans rapports immédiats avec les dépenses couvertes.
La justice fiscale et sociale risque fort d'être encore aux abonnés absents - cela commence mal avec le partage de la taxe intérieure sur les produits pétroliers - et ce alors même que la fiscalité locale a connu en cette fin d'année un nouveau « coup de chaud » et que rien ne laisse penser qu'il en sera autrement durant les années à venir...
De fait, nous ne pouvons, au moment où s'ouvre ce débat, faire abstraction d'une nécessaire réforme des finances locales permettant de poser la question essentielle de l'autonomie financière des collectivités territoriales et de leur capacité à répondre aux besoins collectifs, et ce d'autant que, bon an mal an, de nouveaux transferts de charges sont opérés.
On peut ainsi citer l'instruction des documents d'état civil, comme les passeports ou les procurations électorales, sources de nouveaux coûts de gestion pour les collectivités locales.
Dans ce qui nous est proposé, monsieur le ministre, il n'y a rien pour permettre de faire face aux transferts de compétences.
Au-delà, l'une des finalités du projet de loi serait de permettre au travers des transferts de compétences et de la « proximité » une réduction des prélèvements obligatoires.
Il est vrai que les impôts baissent pour certains tandis que les taxes augmentent...
A cet égard, l'on ne peut oublier que, si le redevable de l'impôt sur le revenu voit sa contribution légèrement allégée, l'usager des voies express sera invité à acquitter tous les péages que l'article 14 du projet de loi permettra d'instituer. Moins d'impôts, donc, pour le contribuable, plus de dépenses pour l'usager ! Cherchez l'erreur !
Cela étant, ce que ce débat met également en exergue, c'est la nécessité du retour de l'Etat à ses missions essentielles, qui ne sauraient se résumer au seul triptyque « défendre, assurer et juger », mais comprennent aussi la lutte contre les exclusions, l'éducation, la formation, le développement de l'économie et des infrastructures du pays.
La décentralisation ne saurait donc être le prétexte à un simple « délestage » de l'Etat au profit des collectivités territoriales, qui permettrait à la France de respecter coûte que coûte les critères de convergence européens, critères dont le moins que l'on puisse en dire est qu'ils ont été définis au plus loin des citoyens.
Le débat financier autour de la décentralisation est donc un débat sur la pertinence même des transferts de compétences, car ce qui doit nous guider, c'est le souci de répondre aux attentes sociales de la population de notre pays.
Mes chers collègues, vous l'aurez compris : comme l'a indiqué hier mon amie Josiane Mathon, il ne peut y avoir de décentralisation qui ne soit porteuse de nouveaux droits pour les collectivités et leurs habitants, qui ne soit porteuse de nouvelles ambitions pour le service public ; la décentralisation doit être réellement démocratique, et assortie de moyens financiers à la hauteur de la réponse à apporter aux besoins des populations. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Claude Lise.
M. Claude Lise. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, la question de la responsabilité locale revêt, comme vous le savez, une importance toute particulière dans les départements d'outre-mer. C'est dire avec quelle attention le projet de loi que nous allons examiner a été étudié par les conseillers généraux et régionaux martiniquais, consultés pour avis par le Gouvernement. Ceux-ci ne se sont pas contentés de critiquer les insuffisances du texte, notamment en ce qui concerne les compensations de charges et les transferts de personnel ; ils se sont prononcés, et ce à la quasi-unanimité, contre toute application de ce projet de loi au département de la Martinique.
Cette position ne saurait surprendre le Gouvernement, messieurs les ministres, puisque ce dernier a engagé un processus de réforme institutionnelle spécifique, qui concerne non seulement la Martinique, mais aussi la Guadeloupe. Ce processus prévoit une prochaine consultation des citoyens de ces deux îles, probablement le 7 décembre de cette année.
Ce qui est surprenant, en revanche, c'est que, en présentant l'actuel projet de loi, le Gouvernement se comporte comme s'il ignorait l'existence de ce processus ou comme s'il préjugeait d'une réponse négative des électeurs.
Il faut, en tout cas, que la représentation nationale prenne bien la mesure du caractère totalement inadapté de ce projet de loi à la situation, on ne peut plus singulière, des régions monodépartementales que sont les départements d'outre-mer.
Cette situation, qui résulte de la farouche opposition de la droite, en 1982, au projet d'assemblée unique du gouvernement Mauroy, se caractérise par un enchevêtrement des compétences des deux collectivités, départementale et régionale, coexistant sur un même territoire.
On en connaît les conséquences, que personnellement je vis au quotidien en tant que président de conseil général : confusion des responsabilités, manque de cohérence des politiques publiques locales, manque d'efficacité dans leur mise en oeuvre, nombreux surcoûts, ou encore absence de lisibilité pour les citoyens.
Or l'actuel projet de loi, loin de clarifier l'exercice des compétences, tend à accentuer leur enchevêtrement, notamment dans les domaines du développement économique, du tourisme, de la politique du logement ou du patrimoine culturel. Son application ne pourrait donc qu'aboutir à une nette aggravation d'une situation de plus en plus unanimement déplorée.
C'est dire que, dans l'hypothèse - pour moi inimaginable - où seraient maintenues, en Martinique, les deux collectivités actuelles, il deviendrait indispensable de concevoir un dispositif de liaison entre leurs assemblées, pour tenter de réduire les graves dysfonctionnements évoqués. Peut-être faudrait-il alors revenir à l'une des fonctions du congrès que j'avais initialement proposé d'instaurer dans l'avant-projet de loi d'orientation pour l'outre-mer, ce qui nécessiterait, là encore, un dispositif législatif spécifique.
Pour l'heure, il m'apparaît que l'évidente inadaptation du texte soumis à notre examen constitue une raison supplémentaire, s'il en était besoin, de souhaiter que le processus de réforme institutionnelle mis en oeuvre aux Antilles aboutisse.
Cette réforme a été, on le sait, engagée par le gouvernement précédent, après une large consultation des forces vives locales. Elle a permis la mise en place, en Martinique et en Guadeloupe, des congrès des élus départementaux et régionaux. Ceux-ci ont, au terme de leurs travaux, formulé des propositions tendant, d'une part, à simplifier le cadre institutionnel existant par la substitution au département et à la région d'une collectivité territoriale unique, et, d'autre part, à doter cette collectivité nouvelle de compétences supplémentaires, ainsi que d'un pouvoir réglementaire d'adaptation, pour permettre aux élus de répondre, avec beaucoup plus d'efficacité, aux besoins et aux aspirations des populations.
C'est sur la base de ces propositions que les Martiniquais seront très prochainement consultés. Si, comme j'en suis convaincu, le « oui » l'emporte, un projet de loi spécifique sera ensuite élaboré, selon l'engagement pris - je le souligne - par l'actuel gouvernement.
Ces femmes et ces hommes, que je représente ici, ne comprendraient pas que, dans l'intervalle, je tente d'amender un texte législatif relevant du droit commun et qui s'avère très peu satisfaisant, même pour les citoyens de l'Hexagone, pour qui il a été avant tout pensé.
Je ne présenterai donc pas d'amendements dans la suite des débats. Je me contenterai de souhaiter, mes chers collègues, que vous soyez saisis, le plus tôt possible, d'un projet de loi spécifique visant à permettre aux deux départements des Antilles de faire un pas en avant, aussi modeste soit-il en réalité, sur la voie de la responsabilité et du développement. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Jean Boyer.
M. Jean Boyer. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, la décentralisation doit favoriser la mise en place d'une véritable démocratie de proximité, en fixant un échelon de gestion plus pertinent et mieux adapté aux réalités quotidiennes. On doit avoir pour objectif de simplifier la prise de décision et de renforcer la cohérence et la légitimité du pouvoir local. L'évolution de nos institutions a profondément bouleversé les niveaux de compétence et a dilué, en quelque sorte, le pouvoir de décision dans des structures complexes, opaques et vieillissantes.
En effet, à côté des communes, des départements et des régions, nous avons vu fleurir les instances de coopération intercommunale - syndicats, communautés de communes, communautés d'agglomération, pays, schéma de cohérence territoriale, et j'en passe... -, ce qui a abouti à neutraliser les responsabilités locales. A cela s'ajoute la présence de l'Etat et de l'Europe.
Afin de mieux cerner « qui fait quoi », la clarification des compétences doit permettre de définir l'interlocuteur privilégié en mesure de répondre aux attentes et aux préoccupations. Est-il bien raisonnable de saisir deux, trois, voire quatre collectivités différentes afin d'arrêter le financement d'un projet ? Que de temps et de moyens gaspillés pour analyser et « décortiquer » un seul dossier !
La multiplication des financements croisés ne permet pas la nécessaire lisibilité des différents échelons d'intervention. La superposition des structures réduit considérablement la transparence des politiques publiques locales et engendre inévitablement des conflits d'intérêts. L'émancipation du pouvoir local est une revendication légitime, renvoyant au principe même de la démocratie locale. La garantie du suffrage universel doit suffire à préserver l'équilibre de nos institutions de proximité.
Veillons également à maintenir à un très haut degré la raison d'être et la capacité d'expression de nos élus locaux : rien ne serait plus dangereux qu'une gestion directement inspirée par des revendications ou des manifestations diverses. Nos élus sont suffisamment responsables pour conduire leur mission avec abnégation, dans le souci de l'intérêt général. A l'échéance de leurs mandats, leurs juges seront les électeurs !
Décentraliser, c'est aussi responsabiliser le développement local, c'est aussi humaniser la gestion de proximité. Certes, les moyens sont importants, les transferts de charges également, mais nous ne gagnerons notre indépendance qu'à la seule condition d'organiser l'autonomie fiscale de nos collectivités et d'améliorer le système fiscal.
Ouvrir nos collectivités locales à la décentralisation constitue une juste reconnaissance de leur rôle, mais, dans le même temps, n'acceptons pas que cette évolution soit perturbée par le jeu d'une administration trop pointilleuse, plus soucieuse parfois de chercher l'obstacle que de contribuer davantage à résoudre les difficultés.
Je voudrais maintenant m'arrêter très brièvement sur trois cas concrets de transferts de compétences.
Premièrement, la gestion des infrastructures et des réseaux routiers au plus près des territoires représente une exigence essentielle, car elle permettra de répondre aux besoins propres de chacun d'entre eux. Les départements, qui gèrent déjà 300 000 kilomètres de routes, seront responsables de 20 000 kilomètres supplémentaires, l'Etat ne conservant la compétence que pour les grands itinéraires nationaux. C'est une très bonne chose, car nous éviterons ainsi les doublons entre les départements et les services de l'Etat.
Cependant, messieurs les ministres, sur quelles bases l'évaluation des moyens financiers nécessaires sera-t-elle effectuée ? En effet, à cet égard, deux situations extrêmes peuvent se présenter : dans certains cas, très peu d'aménagements ont été réalisés au cours des cinq dernières années ; dans d'autres, à l'inverse, de nombreuses améliorations ont été apportées au réseau, par exemple grâce à la création de contournements. Par conséquent, ne conviendrait-il pas de prévoir une évaluation plutôt qu'une référence ?
Deuxièmement, la région devient le moteur du développement économique et de l'emploi, ce qui la qualifiera pour être, dans l'avenir, l'interlocuteur principal des entreprises. Le conseil général pourra ainsi abonder l'aide régionale. La décentralisation doit rester une démarche pragmatique en termes de bassin d'emploi ; le lien avec le département doit être maintenu, pour assurer une concertation en vue de la nécessaire coordination des politiques de développement local. Le département connaît mieux que n'importe quel autre acteur les forces et les faiblesses de son territoire. Aucune disposition ne semble pourtant définir très précisément cette concertation.
Troisièmement, enfin, les personnels techniciens ou ouvriers spécialisés des collèges et lycées, au nombre de 95 000, ainsi que les 35 000 personnels de l'équipement, ont tout à gagner à une gestion de proximité. La fonction publique territoriale offre les mêmes garanties que celles de l'Etat et a fait la preuve de son attractivité. Cependant, n'y a-t-il pas quelque incohérence à engager cette évolution en maintenant les intendants chargés de gérer les techniciens ou ouvriers spécialisés dans la fonction publique d'Etat ? Pourquoi ne pas opérer un transfert complet aux régions et aux départements des personnels concernés ?
M. Claude Domeizel. Bien sûr !
M. Jean Boyer. Je regrette également, comme certains de mes collègues, que les communes et les communautés de communes ne soient pas clairement visées dans ce message décentralisateur. Nous aurions peut-être pu créer un véritable mouvement de reconnaissance d'une intercommunalité mal connue de nos concitoyens. A cet échelon aussi, bien souvent, les chevauchements de compétences conduisent à un certain immobilisme. Ne pourrions-nous profiter de cette occasion pour mieux définir les domaines respectifs de l'action intercommunale et de l'action municipale ?
L'Etat doit rester le garant d'une certaine égalité entre les territoires. Il doit arbitrer en matière de solidarité et de péréquation entre les régions. Il doit maintenir une vision d'ensemble de l'aménagement du territoire et des disparités existant en cette matière, lesquelles peuvent être criantes.
Toutefois, l'Etat doit faire preuve de bon sens et de réalisme dans ses prescriptions afin de ne pas imposer des surcoûts trop pénalisants pour les payeurs que seront les collectivités locales et, en aval, les entreprises.
Telles sont, messieurs les ministres, mes chers collègues, les remarques que je souhaitais formuler. Cette décentralisation, nous l'avons voulue, nous l'appelons de nos voeux ; construisons-la ensemble dans un bon état d'esprit, afin de la réussir.
M. Nicolas Sarkozy, ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Tout à fait !
M. Jean Boyer. Je la soutiendrai, avec mes collègues du groupe de l'Union centriste. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'Union centriste et de l'UMP.)
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Bravo !
M. le président. La parole est à M. Daniel Hoeffel.
M. Daniel Hoeffel. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, lors du débat sur le projet de loi constitutionnelle relative à l'organisation décentralisée de la République, l'année dernière à pareille époque, nous avions eu l'occasion d'exprimer notre attachement sans équivoque à la poursuite de la décentralisation et de préciser les principes qui conditionnent sa mise en oeuvre.
Un an après, la nécessité de franchir une deuxième étape doit être clairement réaffirmée, alors que le contexte économique et budgétaire dans lequel nous nous trouvons aujourd'hui rend plus difficiles, mais non pas impossibles, des avancées nouvelles.
Le projet de loi qui nous est soumis va donc globalement dans la bonne direction, un certain nombre de dispositions pouvant et devant être complétées et modifiées. Ce sera l'objet d'amendements qui permettront de clarifier certains aspects et aussi de combler certaines lacunes.
Mes observations porteront sur deux points : le contenu du projet de loi et le contexte dans lequel il doit être replacé.
En ce qui concerne le contenu du texte, les transferts de compétences proposés pérenniseront la structure territoriale française actuelle, comme l'avait d'ailleurs déjà fait la loi de 1982. La région, chef de file sur le plan économique et du point de vue de la formation, et le département, renforcé dans sa vocation sociale, qui n'est cependant pas sa vocation unique, seront l'un et l'autre confirmés dans leurs rôles respectifs. Il était d'ailleurs illusoire de penser que l'un de ces échelons prendrait le pas sur l'autre.
En revanche, la commune n'apparaît pas avec suffisamment de clarté dans le projet de loi (Marques d'approbation sur les travées du groupe socialiste), alors qu'elle dispose tout de même d'une compétence générale...
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Très bien !
M. Daniel Hoeffel. ... et qu'elle est en mesure d'assumer quelques compétences complémentaires.
M. Nicolas Sarkozy, ministre. C'est nécessaire !
M. Daniel Hoeffel. J'espère toutefois que sa place et sa mission seront réaffirmées par voie d'amendements. Je sais, messieurs les ministres, que vous y êtes favorables, et je profite de cette occasion pour rendre hommage au sens du dialogue dont vous avez fait preuve tout au long de la préparation de ce texte.
Cela étant, à l'heure où la proximité est à l'ordre du jour - cela est encore apparu cet été -...
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Eh oui !
M. Daniel Hoeffel. ... et où elle est tant prônée, il convient de rappeler que la commune, quelle que soit sa taille, est l'échelon de base, le socle de la structure territoriale française.
M. Bernard Murat. Très bien !
M. Daniel Hoeffel. Faut-il étayer cette évidence...
M. Robert Bret. Oui !
M. Daniel Hoeffel. ... par le constat qu'une part prépondérante des investissements publics est réalisée par l'échelon communal et que la majorité des fonctionnaires territoriaux relèvent de celui-ci ? Pensons, en particulier, au rôle de plus en plus important joué par les villes, les agglomérations, les communautés d'agglomération et les communautés urbaines. Et c'est un maire rural qui vous le dit...
M. Gérard Collomb. Très bien !
M. Daniel Hoeffel. D'autres membres de cette assemblée seraient plus qualifiés que moi pour souligner ce fait.
M. Gérard Collomb. Très bien !
M. Daniel Hoeffel. Bien entendu, l'intercommunalité est le complément naturel de l'échelon communal, sa prolongation, voire la condition de son existence. A cet égard, j'approuve les dispositions inscrites dans le projet de loi qui tendent à une adaptation et à un assouplissement des textes régissant l'intercommunalité, dans la fidélité à l'esprit de la loi de 1999,...
M. Yves Fréville. Très bien !
M. Daniel Hoeffel. ... et c'est le rapporteur au Sénat du texte d'alors qui se permet de l'affirmer.
Je suis d'accord avec ceux qui rappellent que l'intercommunalité ne se justifie que si elle apporte un supplément de qualité et d'économies à ce que les communes peuvent offrir en restant isolées.
L'intercommunalité doit être stimulée et partie prenante dans certains transferts de compétence de l'Etat vers les collectivités, et j'approuve à cet égard tout particulièrement la compétence d'aide à la pierre, qui est typiquement une compétence que les structures intercommunales, et parfois les communes, sont en mesure d'assumer dans de bonnes conditions.
Veillons aussi, à propos de l'intercommunalité, à ce que les pouvoirs des maires, et je pense particulièrement aux pouvoirs de police, ne soient pas réduits, totalement ou partiellement, sans leur assentiment. Nous abordons là un point fondamental dans la répartition des pouvoirs entre maires et présidents de structures intercommunales et, à travers cette question de fond, se profile tout le problème de l'avenir de la commune en France.
Et là où communes et communautés sont amenées à être associées à la mise en oeuvre de certaines compétences, il est évident qu'elles le feront en tant que partenaires de l'Etat, de la région et du département. Et le partenariat se concrétise naturellement à travers la contractualisation, à laquelle nous sommes attachés et qui, mieux que toute autre formule, est garante de non-tutelle d'une collectivité sur une autre.
M. Patrick Devedjian, ministre délégué aux libertés locales. Très juste ! Très bonne observation !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Comme d'habitude !
M. Daniel Hoeffel. Monsieur le ministre, comment ne me féliciterais-je pas de l'approbation que, publiquement, vous apportez à cette formulation ? (Sourires.)
M. Gérard Collomb. Elle va faire jurisprudence ! (Nouveaux sourires.)
M. Daniel Hoeffel. Quant au contexte dans lequel est placé le projet de loi, il m'amène à insister sur le fait que les transferts de compétences, de moyens financiers et de personnels sont trois éléments indissociables, qui conditionnent la réussite de la décentralisation.
La loi constitutionnelle garantit dans son principe - cela a été dit maintes fois depuis hier - qu'aucun transfert de charges ne saurait se faire sans le transfert des moyens financiers correspondants. C'est une assurance, parce qu'il s'agit d'une disposition d'ordre constitutionnel. Mais de là à pouvoir affirmer que les contribuables seront gagnants, il faudra quelques précautions supplémentaires,...
M. Jean-Yves Mano. Cela ne suffira pas !
M. Robert Bret. C'est le moins que l'on puisse dire !
M. Daniel Reiner. Quel euphémisme !
M. Daniel Hoeffel. ... sans dénaturer pour autant votre pensée, monsieur le ministre. Et il me paraît souhaitable que, rapidement, nous puissions avoir des informations complémentaires sur les perspectives de la péréquation,...
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Ah !
M. Daniel Hoeffel. ... sur l'interprétation à donner à la part déterminante des ressources des collectivités locales (Oui ! sur les travées du groupe socialiste), sur la réforme fiscale envisagée (Oui ! sur les mêmes travées), sur la réforme de la DGF (Oui ! sur les mêmes travées), en veillant à ce que la révision de la DGF respecte la part qui doit revenir à la commune et à l'intercommunalité. (Oui ! sur les mêmes travées.) Certains éléments concernant ces réformes sont d'ores et déjà intégrés dans le projet de loi de finances pour 2004.
M. Patrick Devedjian, ministre délégué. En effet ! L'article 30 !
M. Daniel Hoeffel. Nous nous en félicitons. Puisse l'amorce de ce mouvement être poursuivie et même accélérée dans les mois à venir ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)
M. Claude Domeizel. C'est bien dit !
M. Daniel Hoeffel. Nous savons aussi que chacun de ces volets, que l'on ne peut séparer du reste, est - nous devons le reconnaître - infiniment plus difficile à mettre en oeuvre en période de récession qu'en période d'expansion. Pourtant, chacune de ces questions est indissociable des autres, y compris et surtout lorsqu'il y a une crise des finances publiques à tous les niveaux.
Au-delà du cadre proprement dit de la décentralisation, nous devons être vigilants quant à la cohérence entre des lois déjà votées et qui peuvent avoir des conséquences financières sur les finances locales, par exemple la loi sur la ville, et des lois en préparation comme celle qui est relative à la sécurité civile sous l'aspect SDIS - service départemental d'incendie et de secours - ou celle qui concernera, demain, les réseaux d'écoles.
Cela me conduit, en conclusion, à souhaiter que la décentralisation, si nécessaire et plus que jamais indispensable, soit perçue positivement, non seulement par les élus locaux, mais aussi par la population,...
M. Claude Domeizel. Très bien !
M. Daniel Hoeffel. ... c'est-à-dire par nos concitoyens, qui sont aussi des contribuables.
Leurs aspirations sont de trois ordres.
La première est que la décentralisation ait un moindre coût, ou qu'elle entraîne au moins la stabilité de la fiscalité locale.
M. Claude Domeizel. Très bien !
M. Daniel Hoeffel. Or, le mouvement ne va pas à l'heure actuelle dans ce sens, alors même que la deuxième étape de transfert des compétences n'est pas entrée en vigueur. Et pourtant, dans l'esprit des gens - et c'est cela qui est redoutable -, cette hausse des impôts locaux risque d'être imputée à la décentralisation,...
M. Robert Bret. Effectivement !
M. Daniel Hoeffel. ... et faussement d'ailleurs.
La deuxième aspiration est liée à la réduction des inégalités territoriales.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Absolument !
M. Claude Domeizel. Très bien !
M. Daniel Hoeffel. Nous avons vécu ce débat à l'occasion de l'expérimentation. Il est nécessaire que cette crainte, vraie ou fausse, se trouve apaisée par une définition claire de la politique de péréquation.
M. Michel Teston. Très bien !
M. Daniel Hoeffel. N'hésitons pas à nous inspirer, cela a été rappelé hier soir par M. Jean François-Ponçet, de la loi d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire de 1995 et veillons à ce que les règles qui ont été proposées hier soir ne se limitent pas au seul échelon départemental, car ce sont toutes les collectivités territoriales réunies qui sont partie prenante d'une véritable politique de péréquation.
La troisième aspiration, c'est une meilleure lisibilité - je n'ose parler de simplification car je sais, monsieur le ministre, que ce terme peut recouvrir plusieurs définitions -...
M. Nicolas Sarkozy, ministre. C'est bien la pédagogie sincère !
M. Daniel Hoeffel. ... et, surtout, une meilleure qualité de service. Je le reconnais, c'est plus facile à dire qu'à mettre en oeuvre. Et c'est pourtant l'une des raisons d'être de toute politique de décentralisation.
Pour conclure, il convient de rappeler que la décentralisation ne saurait être considérée comme tenant lieu, à elle seule, de réforme de l'Etat. Elle n'en est que l'un des aspects et elle ne saurait exonérer l'Etat de sa propre réforme. Et nous savons que la tâche est considérable, mais urgente. (Applaudissements sur les travées de l'UMP, de l'Union centriste et du RDSE, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Mano.
M. Jean-Yves Mano. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, nous sommes donc au rendez-vous de l'acte II de la décentralisation, voulu par le Premier ministre.
La décentralisation fut un acte fort de la gauche en 1982, porté par Pierre Mauroy, alors Premier ministre, et Gaston Defferre, ministre de l'intérieur. Ce fut, à l'époque, une révolution dans les esprits, dans une période où la décentralisation était de règle. Cette évolution dans les relations des citoyens avec l'organisation de l'Etat a marqué les vingt dernières années.
Pourtant, reconnaissons-le, un deuxième souffle est nécessaire. Le rapport de Pierre Mauroy a ouvert de nombreuses pistes, mais qu'en reste-t-il dans vos propositions ? Vous aviez l'occasion, avec cette réforme, de rapprocher les Français du politique et de la politique, au sens noble du terme. Hélas, quelle occasion gâchée !
Un constat simple s'impose : les Français se désintéressent de cette initiative. La France à deux vitesses nous guette. Selon moi, il n'existe pas de cohérence dans l'organisation des territoires structurés par la loi Chevènement et la confusion des responsabilités instaurée par le texte qui est présenté aujourd'hui.
Vous n'avez pas voulu choisir entres les régions, les départements, l'intercommunalité, les communautés urbaines.
M. Jacques Blanc. Heureusement !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. On attend vos idées et votre choix !
M. Jean-Yves Mano. Vous les entendrez dans le cours du débat, sans aucun soute.
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Oui, mais maintenant ?
M. Jean-Yves Mano. Cet enchevêtrement complexifie encore davantage les processus des décisions. Vous voulez rapprocher les Français, mais, dans les faits, vous les éloignez.
La région aurait pu devenir l'axe central de votre réforme. Certes, celle-ci contient des avancées, mais elles sont insuffisantes pour structurer notre pays autour de pôles économiques forts, à la mesure des enjeux internationaux.
Alors que cette réforme aurait pu constituer un grand dessein, vous en avez fait uniquement une variable d'ajustement budgétaire. C'est essentiellement à un transfert des déficits que nous allons assister.
Ce constat accablant, vos propres amis le partagent et s'en inquiètent ouvertement.
Toutefois, dans un domaine essentiel à la vie des Français, le secteur du logement, l'Etat a su garder, en matière d'aide à la personne, ses responsabilités à l'égard des citoyens.
Conscient de l'importance de ce sujet, l'Etat, par la simple délégation de compétence de l'aide à la pierre, donne l'impression de garantir à tous les Français le droit au logement inscrit dans la Constitution.
Mais l'organisation envisagée place les préfets de région dans un rôle de distributeurs d'enveloppes budgétaires. Cela ne garantit pas la pérennité de la participation de l'Etat dans les secteurs aussi importants que le logement d'urgence, la construction, l'acquisition et la réhabilitation.
Certes, des conventions pluriannuellles avec les collectivités sont prévues. Cependant, si le logement est, à l'évidence, une politique à moyen terme, nous n'avons aucune visibilité quant aux intentions du Gouvernement, ou, du moins, nous n'avons que des inquiétudes. Il suffit, pour cela, de regarder le projet de budget pour 2004 en matière de logement.
Les collectivités locales ne pourront pas s'engager dans la durée ou ne le feront qu'en contrepartie d'une loi-programme sur le logement. C'est d'ailleurs le sens d'un amendement que j'aurai l'honneur de défendre devant notre assemblée.
Par ailleurs, le transfert du contingent préfectoral en matière de droit d'attribution suscite des appétits certains. Et sur ce sujet, messieurs les ministres, je vous invite à rester extrêmement prudents. Le volet conditionnel de cette démarche contenue dans le projet de loi doit être précisé. Il doit être réaffirmé clairement que le contingent préfectoral doit être utilisé pour des personnes en difficulté.
En outre, quelle cohérence y a-t-il entre le projet de décentralisation présenté et la création de l'Agence nationale de renouvellement urbain, décidée en juillet dernier ?
Autant de sujets, messieurs les ministres, mes chers collègues, que nous aurons l'occasion de développer au cours de nos débats. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Louis de Broissia. (Applaudissements sur plusieurs travées de l'UMP.)
M. Louis de Broissia. Messieurs les ministres, nous avons vécu une époque quelque peu oiseuse où l'on parlait de « l'échelon de trop », seule perspective offerte aux responsables des collectivités locales. Actuellement, nous vivons une période positive. Aujourd'hui est un beau jour pour la démocratie participative, pour la démocratie locale, et même pour le Sénat qui, légitimement, est l'assemblée qui est saisie en premier lieu des textes touchant aux collectivités locales.
Vingt et un ans après les premières lois Mauroy-Defferre, le Gouvernement auquel vous appartenez, messieurs les ministres, s'engage sur la voie d'un partage des responsabilités publiques. L'intitulé du projet de loi est beau. Ce texte a été très soigneusement préparé - c'est inédit - entre les représentants des communes, des départements et des régions. Vous y avez expressément tenu, monsieur le ministre de l'intérieur. A l'issue des Assises des libertés locales, qui ont eu, en France, un véritable écho, même si, ici ou là, il y avait...
M. Nicolas Sarkozy, ministre. ... des absents !
M. Louis de Broissia. ... des doutes qui se sont exprimés, reconnaissance avait déjà été donnée aux fantassins installés aux postes avancés de la démocratie, par l'inscription dans la Constitution de cette fameuse « République décentralisée » et par la mention, importante pour nous, de la compensation des transferts de compétences.
J'aimerais donc insister sur la confiance que le Parlement doit porter à un texte de loi fondamental qui réinstalle de façon visible et transparente l'action publique au coeur de nos villes, de nos quartiers, de nos bourgs et de nos villages.
Ici, messieurs les ministres, personne ne vous fera de procès d'intention. Ou très peu ! (Sourires.)
M. Jacques Blanc. Aucun !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Ne les provoquez pas !
M. Louis de Broissia. En tout cas, c'est ce que j'ai cru comprendre à travers les propos que j'ai entendus jusqu'à présent.
Le Premier ministre a, en effet, inscrit son action gouvernementale sous cet engagement clair : il veut un partage des responsabilités de l'action publique pour obtenir une réforme possible de l'Etat, afin que les Français soient mieux servis, et non pour que la gauche ou la droite y trouve son intérêt.
Vous l'avez compris, messieurs les ministres, j'ai, comme tous les élus du pays, attendu, parfois avec passion, les cent vingt-six articles qui composent ce texte de loi.
Le Sénat avait, avec une opiniâtreté qui lui est propre, inscrit dans la Constitution un article majeur précisant que « tout transfert de compétence entre l'Etat et les collectivités territoriales devra s'accompagner de l'attribution de ressources équivalentes à celles qui étaient consacrées à leur exercice ».
Cette inscription, chers collègues de l'opposition,...
M. Michel Dreyfus-Schmidt. C'est insuffisant !
M. Louis de Broissia. ... nous l'attendions depuis 1982. Or, et c'est l'objet de mon propos cet après-midi, nos collectivités, en particulier les conseils généraux, toujours très dignement représentés dans cet hémicycle, traînent et traîneront encore longtemps le poids d'une fiscalité d'origine antérieure due à trois raisons principales.
En premier lieu, elle est due - il faut le rappeler, même si je ne suis ni le premier ni le dernier à le faire - à l'application des 35 heures non compensées. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
M. Jacques Blanc. Eh oui !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Ils n'aiment pas ! Cela fait mal !
M. Louis de Broissia. Il est étrange que Mme Aubry ait tenu à compenser - et je m'adresse à ceux de mes collègues qui siègent à l'extrémité gauche de cet hémicycle -...
M. Ivan Renar. Raisonnables comme nous le sommes, vous ne pouvez pas nous traiter d'extrêmes !
M. Louis de Broissia. Cher Ivan Renar, les 35 heures des grandes entreprises furent compensées, mais pas les 35 heures des collectivités territoriales !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Elles en faisaient 32 !
M. Patrick Devedjian, ministre délégué. On le dira aux personnels !
M. Louis de Broissia. Pourquoi ne pas avoir prévu de compensation s'agissant des collectivités territoriales ? Quelle injustice !
En deuxième lieu, cette fiscalité est due au financement des SDIS, qui avait été passé sous silence, escamoté avec les dispositions de la loi Vaillant...
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Quel réquisitoire !
M. Louis de Broissia. ... aux termes desquelles les conseils généraux, en particulier, prennent en charge financièrement toutes les augmentations de charges. Ce n'est pas compliqué, chez moi, cela représente quatre fois plus en quatre ans.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Regardez devant !
M. Louis de Broissia. Attendez, cher monsieur Dreyfus-Schmidt !
Troisièmement, cette fiscalité tire son origine de la mise en place, depuis deux ans, de l'allocation personnalisée d'autonomie...
M. Jean-Pierre Schosteck, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Qui n'est pas compensée !
M. Louis de Broissia. ... pour laquelle aucun financement pérenne n'est prévu. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
M. Nicolas Sarkozy, ministre. C'est accablant !
M. Claude Domeizel. Mais si, le financement est prévu !
M. Jean-Pierre Schosteck, rapporteur. Mais non !
M. Louis de Broissia. Il a fallu que, dans cet hémicycle, avec d'autres collègues, j'autorise le Gouvernement - c'est une honte pour un parlementaire - à faire un emprunt pour payer le surcoût qui n'était pas prévu !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Il était prévu !
M. Louis de Broissia. La fiscalité locale héritée du gouvernement de Lionel Jospin a été plombée volontairement et sciemment par une série de mesures aux effets indubitables et durables.
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Quel réquisitoire !
M. Louis de Broissia. Certaines ont même été qualifiées de « bombes retards » ! (Sourires.)
Certes, la compensation s'appliquera aux responsabilités nouvelles, mais que ferons-nous pour éviter une nouvelle hausse de la fiscalité ?
M. Michel Dreyfus-Schmidt. L'impôt, qui le vote ?
M. Louis de Broissia. Comment éviter une nouvelle hausse de la fiscalité assumée par les plus modestes de nos concitoyens sur les bases que vous avez retenues ?
Les taxes d'habitation, les taxes foncières et la taxe professionnelle permettent de payer ces charges non prévues !
Pourquoi voulez-vous que ce soient les habitants les plus modestes de ce pays qui supportent ces charges non compensées ?
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Mais non !
M. Louis de Broissia. Pourquoi voulez-vous que ce soient les générations les plus entreprenantes ?...
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Les plus pauvres sont exemptés !
M. Louis de Broissia. Vous me direz, monsieur Dreyfus-Schmidt, que vous préférez que ce soit l'emprunt qui finance, c'est-à-dire les générations futures. (M. Michel Dreyfus-Schmidt s'exclame.)
Le voyage n'est pas terminé, monsieur Dreyfus-Schmidt !
Pour aggraver le phénomène, le gouvernement précédent a supprimé d'un trait de plume - c'étaient un certain Laurent Fabius...
M. Patrick Devedjian, ministre délégué. Oh !
M. Louis de Broissia. ... et une certaine Florence Parly -...
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Oh !
M. Louis de Broissia. ... sans aucune concertation, un impôt affecté à une collectivité locale : il s'agissait de la taxe différentielle sur les véhicules à moteur,...
M. Jean-Pierre Schosteck, rapporteur. Exactement !
M. Louis de Broissia. ... improprement appelée « vignette automobile ».
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Remettez-la !
M. Jean-Pierre Schosteck, rapporteur. Pourquoi l'avez-vous suprimée ?
M. Louis de Broissia. A l'époque, où était l'autonomie des collectivités locales alors même qu'il s'agissait d'un impôt simple, équitable et, chers collègues de gauche, lourd pour les riches, faible pour les pauvres, modulable pour les départements, et permettant à chacun d'entre eux d'engager sa responsabilité propre ?
Messieurs les ministres, quels que soient les amendements qui seront ou non adoptés, le texte qui nous est soumis restera un très bon texte. Mais, chat échaudé craignant même l'eau tiède,...
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Il a raison !
M. Louis de Broissia. ... n'oublions pas que nous aurons deux années difficiles - 2004 et 2005 - au cours desquelles nos concitoyens nous jugeront tous ensemble, où que nous soyons, non pas sur le terme « décentralisation », qui est à leurs yeux ésotérique, non pas sur le service de proximité, qui est une notion qu'ils appréhendent, mais bien plus encore sur les impôts locaux, qui deviennent insupportables à chacun et à chacune. (Marques d'approbation sur les travées du groupe socialiste.)
Au moment où va s'ouvrir le débat d'orientation budgétaire, nous devons, pour ne pas polluer le bon esprit de ce texte, veiller à accompagner les régions, les départements, les communes et les intercommunalités dans leur lutte pour une fiscalité la plus mesurée possible.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Pour un an !
M. Louis de Broissia. De grâce, messieurs les ministres en charge des libertés locales, veillez dès aujourd'hui - mais je sais que vous le faites - à ce que les technostructures très compétentes, très organisées, très parisiennes...
M. Nicolas Sarkozy, ministre. ... et souvent socialistes...
M. Louis de Broissia. ... ne se lancent pas en permanence dans la rédaction de circulaires, de règlements, de normes, qui condamnent les collectivités territoriales à toujours plus de dépenses.
Je citerai quelques exemples : les puéricultrices sont devenues, d'un trait de plume, des cadres de catégorie A ; les strapontins des bus scolaires ont été supprimés. Je pourrais poursuivre cette énumération la soirée entière !
M. Jean-Pierre Schosteck, rapporteur. Cela coûte cher en effet, car ce n'est pas compensé.
M. Louis de Broissia. De grâce, messieurs les ministres, veillez, avec les membres du Gouvernement qui vous sont proches, à ce que, avant la fin de l'année, ait lieu une réunion du fonds de financement de l'APA, car nous ne savons pas sur quelle base nous fonderons nos budgets !
De la même façon, nous devrons dégager, avant la fin de l'année, une ressource spécifique pour les SDIS.
Pour conclure, je dirai que, pour que cette importante réforme aboutisse, il nous faudra veiller au maintien de l'autonomie financière. Celle-ci sera corrigée dans le bon sens, si j'en crois l'excellent rapport de notre collègue Jean-Pierre Schosteck, puisque 11 milliards d'euros de ressources seront réattribués aux collectivités. Après les 15 milliards d'euros qui leur ont été retirés depuis quelques années, le solde restera cependant négatif.
Il nous faudra aussi veiller au maintien de la compensation financière, ignorée par le gouvernement précédent et bafouée pour l'APA, les SDIS, les 35 heures. J'ai appelé cela des « bombes retards », mais je pourrais tout aussi bien les qualifier de « poisons retards ».
Pour quelles raisons profondes l'ensemble des groupes du Sénat n'accepterait-il pas ce texte ?
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Et la péréquation !
M. Louis de Broissia. J'y ai beaucoup réfléchi. J'ai écouté M. Mauroy hier soir et j'ai relu son discours, j'ai écouté attentivement les élus de l'opposition, y compris dans mon propre département. J'en ai déduit que la gauche, parce que le mouvement a été initié de son temps, considère qu'elle est propriétaire du concept de décentralisation.
M. Patrick Devedjian, ministre délégué. Très juste !
M. Louis de Broissia. Faisons en sorte d'honorer ce concept à travers les acteurs de la démocratie locale, à travers les centaines de milliers d'élus communaux, intercommunaux, départementaux et régionaux, à travers les centaines de milliers de membres de la fonction publique territoriale.
Messieurs les ministres, il était temps que votre texte arrive pour que la République soit non pas simplement décentralisée mais incarnée, faite de chair et de sang. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Bravo !
M. le président. La parole est à M. Claude Domeizel.
M. Claude Domeizel. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, je ne reviendrai pas sur les considérations générales qu'appelle ce projet de loi, mes collègues, Jean-Claude Peyronnet, Bernard Frimat et Pierre Mauroy les ayant brillamment exposées. Pour ma part, j'aborderai essentiellement le volet du transfert des personnels, sujet qui a grandement motivé bon nombre de nos concitoyens à descendre dans la rue au printemps de cette année.
Ces agents, les techniciens ouvriers et de service, sont-ils plus proches d'une fonction technique que de l'équipe pédagogique ? Sont-ils au service du propriétaire ou de l'occupant des lieux d'enseignement ? Ces questions peuvent se poser.
Monsieur le ministre, il faut le rappeler, cette idée a été accueillie très froidement par plusieurs membres de votre gouvernement, et non des moindres, si l'on se souvient de la première réaction de M. Luc Ferry. Cette hostilité spontanée du ministre de l'éducation nationale s'est très vite propagée chez les fonctionnaires et, à un degré variable, mais toutes tendances confondues, chez les élus locaux.
Quels sont vos arguments ?
Vous faites un parallèle avec ce qui existerait dans l'enseignement primaire depuis 125 ans. Monsieur le ministre, écoutez-moi bien !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Mais je vous écoute ! Ce n'est pas si compliqué que je ne puisse le faire !
M. Claude Domeizel. Je voudrais tordre le cou à cette idée fausse. Non, les communes n'assurent pas l'entretien des écoles primaires depuis l'époque de Jules Ferry ! A l'origine, elles n'avaient que l'obligation du propriétaire, en particulier en vertu d'une circulaire de 1887 qui les invitaient seulement à blanchir et à désinfecter les locaux une fois par an.
M. Eric Doligé. Et alors ! C'est nul comme argument !
M. Claude Domeizel. Il a fallu attendre les années 1960 pour que les communes aient réellement et totalement à assurer l'entretien des écoles primaires.
Selon vous, il s'agirait d'une loi de simplification et de clarté. Dans les armoires des rectorats et des collectivités, vont s'accumuler des dizaines de conventions, lequelles additionneront des motifs de révisions permanentes.
Dans l'immédiat, et au moins pour une quarantaine d'années, vont coexister des fonctionnaires intégrés, des détachés à durée limitée, des détachés à vie, des non-titulaires traditionnels, des non-titulaires dérogatoires, des fonctionnaires mis à disposition pour lesquels il faudra, en plus, passer des conventions individuelles. Sans parler de la confusion, doublée d'un sentiment d'inégalité, qu'engendreront les expérimentations différentes d'un département à l'autre ou d'une région à l'autre.
Nous naviguons à vue ! Vous ne fournissez aucune pyramide des âges des corps à transférer, ce qui ne permet pas d'appréhender l'avenir en termes de retraites, de renouvellement, de formation. Vous restez dans le flou sur d'éventuelles créations de cadres d'emplois spécifiques. Une nouvelle fois, vous êtes les champions de l'improvisation.
M. Jacques Blanc. C'est parce qu'il est bon !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Voilà une intervention intellectuelle !
M. Claude Domeizel. Les compensations financières, correspondront-elles à la réalité ? Nous sommes en tous cas certains que les présidents de région ou de département doivent s'attendre à de nombreuses demandes de créations de postes dans les secteurs souvent en sous-effectifs, particulièrement pour la médecine scolaire dont le transfert est proposé par la commission des lois.
Par ailleurs, une arrivée massive de nouveaux fonctionnaires va nécessiter un renforcement des directions des ressources humaines.
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Vous êtes contre les fonctionnaires ?
M. Claude Domeizel. En sera-t-il tenu compte pour le calcul du transfert des moyens ?
Les conseils généraux savent déjà ce que signifie désengagement de l'Etat et cadeaux empoisonnés. Vous comprenez que je parle de RMI, de RMA, d'ASS.
M. Jean-Pierre Schosteck, rapporteur. Vous êtes un spécialiste en matière de cadeaux empoisonnés !
M. Jacques Blanc. Et l'APA ? Elle est financée par qui ?
M. Claude Domeizel. Permettez-moi d'ouvrir une parenthèse. Monsieur Devedjian, vous avez déclaré que : « Les quatre départements qui ont le plus augmenté leurs impôts sont de gauche : le Gers, la Creuse, les Alpes-de-Haute-Provence - que je représente - et la Corse. »
M. Patrick Devedjian, ministre délégué. La Haute-Corse !
M. Claude Domeizel. La Haute-Corse, en effet ! C'est inadmissible !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. C'est vrai !
M. Claude Domeizel. Vous auriez au moins pu, monsieur le ministre, avoir l'élémentaire correction de noter que ces départements sont essentiellement constitués de zones sensibles de moyenne montagne.
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Et d'élus socialistes !
M. Claude Domeizel. Il s'agit de départements aux finances modestes,...
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Aux élus aux compétences modestes !
M. Claude Domeizel. ... alors que leurs besoins sont énormes. Ces départements doivent consacrer une bonne partie de leurs dépenses aux routes, lesquelles, en montagne,...
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Dans la Creuse, par exemple !
M. Claude Domeizel. ... nécessitent un entretien ruineux du fait de la succession des ponts, des tunnels et en raison des éboulements fréquents.
Les présidents de conseil régional et général vont être cantonnés dans un rôle de gestionnaires d'agents qui n'auront, pour eux, qu'une existence fictive, sauf qu'ils devront les payer, les sanctionner, régler les situations délicates dans les commissions administratives paritaires, les comités techniques paritaires ou les conseils de disciplines, et, enfin, recevoir les délégations syndicales ou de parents d'élèves.
Durant cette période transitoire qui va s'étaler sur quarante ans, comment seront compensées les pensions servies aux fonctionnaires intégrés qui n'auront cotisé à la CNRACL que pour une partie de leur carrière ! Sans compensation, ce sont in fine les collectivités territoriales et les hôpitaux qui, une nouvelle fois, paieront ! Rien n'est prévu dans le projet de loi à ce sujet. C'est pourtant un point important.
Et les fonctionnaires eux-mêmes, combien seront-ils ? 125 000 ? 130 000 ? 150 000 ? On ne sait pas trop !
Mais pourquoi y sont-ils donc opposés ? Pour les TOS, et il en sera de même pour les médecins scolaires,...
M. Jean-Pierre Schosteck, rapporteur. Vous n'en savez fichtre rien !
M. Claude Domeizel. ... tout laisse à penser qu'ils tiennent à conserver l'appartenance à l'équipe pédagogique, appartenance qu'ils perdraient sensiblement s'ils n'avaient pas le même statut que les enseignants. Cette appartenance à l'équipe pédagogique doit être l'élément fort qui soude tout le personnel d'un établissement, dans l'intérêt des élèves. Tous les éducateurs le savent !
M. le président. Veuillez conclure, monsieur Domeizel.
M. Nicolas Sarkozy, ministre. C'est une très bonne nouvelle !
M. Claude Domeizel. Dans une brochure que vous avez largement diffusée, vous versez à votre actif les Assises des libertés locales. Ces grand-messes auraient rassemblé 55 000 personnes ! Que faites-vous des dizaines de milliers de citoyens qui ont manifesté leur désaccord dans les rues ? Ils sont, pour vous, quantité négligeable !
Vous citez aussi les réunions du Conseil supérieur de la fonction publique territoriale, mais vous omettez de mentionner son vote contre.
M. Jean-Pierre Schosteck, rapporteur. Avec quelle majorité ?
M. Claude Domeizel. Ils ont voté contre !
M. Jean-Pierre Schosteck, rapporteur. Vous dites n'importe quoi !
M. Claude Domeizel. Dans ces mêmes fiches, vous écrivez : « La décentralisation au service d'un cadre scolaire rénové pour vos enfants ». En quoi le service sera-t-il meilleur ? Quelle sera la valeur ajoutée ?
Que penser du détachement à vie pour le personnel en place qui n'opterait pas pour la fonction publique territoriale ? Cette vraie-fausse mise à disposition révèle surtout votre incapacité à prendre vos responsabilités en créant, pour demain, des situations inextricables.
Voilà ce que je voulais dire sur l'une des parties de ce projet de loi...
M. Nicolas Sarkozy, ministre. C'était très utile ! Cet exposé nous aurait manqué !
M. Claude Domeizel. ... que nous considérons contraire aux règles républicaines...
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Rien que ça !
M. Claude Domeizel. ... parce qu'il instaure des inégalités entre les territoires, les citoyens et les services publics.
Je vous remercie, mes chers collègues, de votre attention. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Vous pouvez nous remercier, monsieur Domeizel, c'était méritoire de notre part !
M. le président. La parole est à M. Jacques Blanc.
M. Jacques Blanc. Monsieur le ministre, je vais tenir un autre langage : c'est en effet avec enthousiasme que je présenterai ma réflexion sur ce qui doit être une chance pour les Françaises et les Français.
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Ah ! Voici une bonne intervention !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Tout est blanc ou tout est noir !
M. Jacques Blanc. Personne ne conteste qu'il fait meilleur vivre dans nos lycées depuis la régionalisation. Ce n'est pas M. Gérard Longuet qui va me démentir !
M. Gérard Longuet. Tout à fait !
M. Jacques Blanc. Personne ne conteste qu'il fait meilleur vivre dans nos collèges. Les présidents des conseils généraux le savent bien !
Il s'agit aujourd'hui d'aller plus loin pour apporter une réponse aux problèmes de la France, pour permettre une réforme de l'Etat et offrir un meilleur service à l'ensemble des Françaises et des Français. Le Gouvernement fait ce qu'il a dit.
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Tout est là !
M. Patrick Devedjian, ministre délégué. Ça change !
M. Jacques Blanc. C'est un changement, effectivement ! Le Premier ministre, vous-mêmes, messieurs les ministres, aviez annoncé qu'on allait s'engager sur la voie d'une véritable décentralisation.
Vous l'avez fait avec intelligence, parce que, au lieu de tomber dans le simplisme,...
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Ce n'est pas facile !
M. Jacques Blanc. ... qui consistait à opposer les départements, les régions, les communes, vous avez au contraire proposé - et je vous en remercie - un couple, département-commune et intercommunalité. Le problème demain sera celui des grandes intercommunalités par rapport aux départements. Mais il se posera en son temps. La décentralisation, ce n'est jamais terminé !
Vous avez également permis que le couple région-Etat, en intégrant la dimension européenne d'ailleurs, puisse réellement préparer l'avenir de ce pays.
Hier, monsieur le ministre, vous avez rappelé qu'il ne fallait pas tomber dans le simplisme. Le simplisme aurait pu consister, par exemple, à proposer la solution que certains maires, dont celui de Montpellier (Protestations sur les travées du groupe socialiste),...
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Quelle référence !
M. Jacques Blanc. ... avaient émise : supprimer les départements.
Jamais cela ne vous serait venu à l'esprit, monsieur le ministre. Vous avez résisté au simplisme, et vous nous proposez des solutions.
Hier, vous avez souhaité clarté, loyauté et ouverture. Pendant plusieurs mois, M. Devedjian et vous-même - et nous vous en remercions - avez sillonné ce pays, écouté lors des Assises non seulement des élus, mais l'ensemble des responsables socio-économiques et des forces vives de notre pays.
Certains avaient annoncé que la décentralisation était en panne. Il n'en est rien puisqu'une étape constitutionnelle a été franchie. La région est désormais inscrite dans la Constitution, et l'exigence de la péréquation aussi.
Ceux qui nous donnent des leçons et qui soutiennent que la décentralisation va appauvrir demain les plus pauvres, ferment les yeux sur cette péréquation.
Je suis l'élu d'une région où le PIB n'est pas très élevé et où la péréquation doit jouer. Or, monsieur le ministre, vous avez annoncé qu'il n'y aurait pas de transfert de compétences sans transfert de ressources fiscales et non sans dotations budgétaires.
Je vais vous faire part de mon expérience. Ma région a dû accueillir 25 000 lycéens supplémentaires depuis 1986. Elle n'a vu sa dotation évoluer qu'en fonction de l'indice des prix. Or cette dotation était très basse au départ. En tant que président de cette région, je me réjouis que vous nous proposiez de transférer demain une part de la TIPP et de la taxe sur les conventions d'assurances qui reflètent l'activité économique et la réalité d'une région ou d'un département. Ces ressources fiscales nous permettront d'exercer nos responsabilités, alors que, sous le gouvernement Jospin, nous avons perdu la petite parcelle d'autonomie financière qui nous restait.
Vous avez dit, et je crois que tout le monde le reconnaît, que c'est à la région de piloter le développement économique. J'ai précisé à mes amis responsables de départements que ce n'était pas dirigé contre eux. En fait, il est nécessaire d'avoir un niveau de responsabilité clairement défini. Il appartiendra ensuite aux régions d'ouvrir le dialogue.
Transfert de développement économique, qu'est-ce que cela veut dire ? Cela signifie le transfert de moyens en hommes et en financements pour tout ce qui concerne l'animation économique, qu'il s'agisse du traitement des problèmes liés à l'export, de l'animation technologique, de l'octroi des aides aux entreprises.
Permettez-moi d'ouvrir en cet instant une petite parenthèse.
Dans le département du Gard, une expérimentation de transfert à la région du FISAC, le fonds d'intervention pour la sauvegarde, la transmission et la restructuration des activités commerciales et artisanales, a été faite, et personne ne conteste qu'elle a permis une accélération. Elle s'est déroulée parfaitement et les entreprises artisanales ou commerciales ont mesuré l'intérêt de cette démarche.
Donc, demain, il pourrait être procédé au transfert du FISAC, avec l'ensemble de ses aides, et, bien entendu, à titre expérimental ou définitif, au transfert de la gestion des crédits européens du FEDER, le fonds européen de développement régional.
Dans les domaines de l'agriculture et du tourisme également est reconnue la nécessité d'une compétence de pilotage du développement économique.
Je souhaite qu'au cours du débat l'ensemble des décisions prises à cet égard puissent être précisées et que soit défini avec cohérence le rôle de pôle économique régional nécessaire à la dynamisation et à l'attractivité de nos territoires.
J'approuve aussi la logique du transfert total en matière de formation. Dans ce domaine, nous avions en effet assisté à des récupérations au niveau national de ce qui, théoriquement, était attribué aux régions. Il est capital d'apporter de la cohérence dans l'ensemble des actions de formation et donc dans la gestion des crédits du fonds social européen, de manière à ce qu'on sorte de cet imbroglio dans lequel plus personne ne se retrouve. J'espère que nos débats permettront de conforter cette vocation de la région.
Permettez-moi d'ajouter un mot sur les expérimentations.
M. le Premier ministre le rappelait hier, l'expérimentation menée dans le domaine des TER a démontré que cette démarche pouvait être positive.
Pour ma part, je souhaiterais qu'une expérimentation de transfert puisse avoir lieu dans le domaine des équipements sanitaires et dans le domaine de la prévention.
En effet, nous sommes dans une situation telle que, si de nouvelles mesures ne sont pas prises, le plan pourtant remarquable engagé par le Gouvernement, le plan Hôpital 2007, ne sera jamais réalisé à la date prévue.
M. Patrick Devedjian, ministre délégué. C'est exact.
M. Jacques Blanc. Je souhaiterais donc que les régions qui le veulent puissent procéder de façon expérimentale à la réalisation des équipements sanitaires nécessaires, avec des formules adaptées, de façon à ne pas perdre trois ou quatre ans sur chaque dossier. C'est ce que nous avons fait en Languedoc-Roussillon lorsque, avec Gérard Saumade, alors président du conseil général, nous avons construit un CHU, ce qui a débloqué l'ensemble de la situation.
En tous les cas, dans une région comme la nôtre, et je parle sous le contrôle de notre collègue le sénateur maire de Perpignan, mais aussi de notre collègue Paul Blanc, la dimension sanitaire est très importante.
Il faudrait dire très clairement que les régions qui le souhaiteront pourront lancer, au cours des cinq ans à venir, de façon expérimentale, la mise en oeuvre de programmes complémentaires d'équipement sanitaire, par le biais d'une société d'économie mixte par exemple ; on pourra discuter ultérieurement des différents acteurs possibles.
Nous n'empiétons pas, dans ce domaine, sur la compétence sociale des départements, monsieur Puech. Je profite de l'occasion pour dire combien je suis heureux de voir réunis ici, dans cette assemblée, le président de l'Assemblée des départements de France, le président de l'Association des régions de France et le président de l'association des maires de France. C'est une grande réussite, car c'est ensemble que l'on pourra bâtir l'avenir de notre pays.
Messieurs les ministres, vous avez du courage, nous le savons.
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Merci !
M. Jacques Blanc. Vous êtes déterminé, vous avez restauré l'autorité de l'Etat. Mais c'est aussi par la décentralisation que l'on permettra à l'Etat d'être de nouveau respecté, et c'est cela dont notre démocratie a besoin. Vous pouvez compter sur nous pour vous soutenir dans cette action de réforme indispensable pour notre pays ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Gérard Collomb.
M. Gérard Collomb. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, rien ne serait pire que de n'avoir à l'esprit, lors de la discussion de cette loi de décentralisation, le seul cadre hexagonal.
Nous sommes, comme le rappelait hier Jean François-Poncet, dans une économie mondialisée, dans une Europe où les métropoles, grandes ou moyennes, se trouvent en compétition les unes avec les autres. Dans cette compétition entre les villes, nos agglomérations, comme le soulignent les auteurs du rapport de la DATAR, la délégation à l'aménagement du territoire et à l'action régionale, paru en début d'année, peinent à faire le poids par rapport aux grandes métropoles européennes.
Or ce mouvement va encore s'accentuer avec l'ouverture de l'Union européenne aux pays de l'Europe centrale et orientale et aux pays Baltes. Les métropoles de ces pays sont en phase de rattrapage rapide et viendront à leur tour concurrencer demain nos propres villes. Leur dynamisme va d'ailleurs contribuer à déplacer encore le centre de gravité de l'Europe plus à l'est et faire courir le risque à notre pays de se retrouver isolé au bout du continent.
Pour contrecarrer un tel mouvement, pour que la France puisse continuer à peser demain en Europe, il aurait fallu une réforme audacieuse qui puisse renforcer la dynamique de nos villes de manière à permettre un développement qui pourrait ensuite irradier tout un territoire, urbain aussi bien que rural. Car je m'inscris en faux contre une analyse qui voudrait continuer à opposer urbain et rural. Désormais, les intérêts de l'ensemble des territoires sont profondément liés.
C'est pourquoi, quand M. le Premier ministre a annoncé qu'il souhaitait amorcer une phase nouvelle de la décentralisation, nous nous attendions à ce que le projet proposé puisse prendre appui largement sur les villes, qu'il renforce les grandes métropoles, mais aussi ces agglomérations moyennes qui avaient, ces dernières années, profité pleinement des lois sur l'intercommunalité.
En effet, c'est bien autour des villes que se structure désormais notre territoire, des villes où vivent 80 % de nos concitoyens, des villes qui, comme je viens de le dire, ont un effet d'entraînement de plus en plus fort sur le territoire rural, des villes qui concentrent la richesse économique, intellectuelle, culturelle, mais qui sont aussi en première ligne face aux grands problèmes de notre société : cette fracture sociale et spatiale qui risque de marginaliser une partie de nos populations ; ces problèmes environnementaux auxquels nos concitoyens sont aujourd'hui de plus en plus sensibles. Les villes nous semblaient donc devoir être au coeur du projet de décentralisation qui allait prendre forme. Et voici qu'aujourd'hui elles en sont les grandes oubliées !
Les régions se voient reconnaître un rôle, des compétences fondamentales en matière d'économie, de formation professionnelle, de développement touristique, de mise en oeuvre des programmes de santé, de gestion des fonds européens.
Les départements se voient reconnaître le rôle de pivot de la proximité avec l'attribution du RMI et du RMA, de l'action sociale, des routes nationales et de tant d'autres compétences, à tel point que ce transfert finit même par inquéter les plus avisés de nos collègues conseillers généraux, qui se demandent, malgré votre engagement, messieurs les ministres, si les financements correspondants seront bien au rendez-vous.
Les agglomérations, les intercommunalités devont se contenter non pas même de la totalité de la compétence « logement social », mais d'une simple délégation de crédit sur la base d'une convention négociée avec le préfet de région, sans engagement de l'Etat ni sur les transferts financiers associés ni sur la pérennité de la politique du logement au niveau national. Et l'on a vu, au cours de ces deux dernières années, les réductions de crédit qui ont été opérées !
On leur donnera, il est vrai, la gestion d'un parc de logements d'étudiants, aujourd'hui largement obsolète et qu'il leur faudra entièrement réhabiliter.
Est-ce que ce sont là des leviers suffisants pour dynamiser des villes privées de la possibilité de mener une politique d'ensemble mettant en concordance développement économique et technologique, prise en compte de la fracture sociale et rénovation urbaine ? En matière économique, elles vont se retrouver en position seconde. En matière d'insertion sociale, elles n'auront plus de vrai pouvoir.
Sur un sujet aussi sensible en milieu urbain que celui de l'insécurité, elles n'auront, monsieur le ministre, aucun moyen nouveau d'agir en matière de protection et de suivi de la jeunesse ni en ce qui concerne les services de prévention.
Il n'est pas étonnant, dans ces conditions, que l'Association des maires de grandes villes de France et l'Association des communautés urbaines de France se soient massivement élevées contre cette vision réductrice de l'aménagement du territoire.
Dans la compétition qui existe entre les grandes villes européennes pour attirer les investisseurs, l'innovation, les universitaires, les chercheurs et les acteurs culturels de haut niveau, les maires et les présidents des grandes agglomérations savent tous qu'avec cette loi les villes françaises vont prendre quelques longueurs de retard.
Alors, messieurs les ministres, je crains que l'on ne soit parti à la recherche du temps perdu.
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Perdu par qui ?
M. Gérard Collomb. Du temps perdu, au sens proustien, monsieur le ministre ! Je comptais sur votre culture !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Ah ! (Sourires.)
M. Gérard Collomb. Mais cultiver la nostalgie d'une France passée ne saurait changer la réalité : c'est largement dans les villes, qu'elles soient grandes ou petites que se jouera demain l'avenir de la France, l'avenir de toute la France, de la France rurale aussi bien que de la France urbaine. Je regrette, messieurs les ministres, que votre projet de loi l'ait totalement oublié et n'ait pas donné à notre pays le souffle dont il a besoin pour équilibrer le dynamisme de l'ensemble des pays voisins. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. - M. Ivan Renar applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Jacques Oudin.
M. Jacques Oudin. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, le texte dont le Sénat est aujourd'hui saisi est fondamental pour l'organisation future de notre République. Le Président de la République s'était fermement engagé dans cette voie ; le Gouvernement tient ces engagements. Il peut être assuré de notre soutien.
Certes, il existe encore des incertitudes, voire des zones d'ombre ; mais le débat parlementaire permettra d'atteindre l'équilibre le plus consensuel possible.
Monsieur le ministre, lors de votre audition devant le Sénat, vous avez tenu à souligner combien ce mouvement de décentralisation, amorcé dès le début de la Ve République avec la création des régions, a connu des fortunes diverses. L'échec du référendum de 1969 a été suivi de l'avancée significative de 1982, que notre majorité a appliquée loyalement ; maintenant arrive cette étape audacieuse et courageuse.
La nouvelle organisation de la République donnera à notre pays, plus particulièrement à nos territoires, davantage d'efficacité, de compétitivité et d'attractivité.
Dans le domaine financier, je crois que cette réforme aura un double impact positif.
Le premier, c'est que la gestion de certains équipements de proximité sera mieux assurée. L'exemple des collèges et des lycées ou celui de la voirie ont été abondamment cités.
Le second, c'est que le principe de l'équilibre obligatoire des budgets locaux, doublé d'un contrôle amélioré des chambres régionales des comptes - et le Sénat y a été pour quelque chose - apporte à nos concitoyens une certaine garantie de bonne gestion.
Parmi les multiples avancées contenues dans le projet de loi, un grand nombre concernent les transports : les ports, les aéroports, les cours d'eau, les infrastructures de transport ferré ou guidé de voyageurs, enfin, les infrastructures routières.
J'évoquerai essentiellement le réseau routier, car c'est lui qui irrigue le plus nos territoires, jusqu'aux zones les plus reculées.
C'est également le mode de transport auquel nos concitoyens ont le plus recours pour leurs déplacements personnels comme pour les marchandises.
Certes, les dispositions de ce projet de loi ne règlent pas tous les problèmes liés aux transports ; je pense notamment à celui du financement. A cet égard, le Gouvernement devra prendre prochainement des décisions importantes concernant la poursuite ou non de la privatisation de notre système autoroutier.
Je me suis, pour ma part, exprimé à plusieurs reprises sur ce sujet, notamment dans mon rapport, approuvé par la commission des finances du Sénat, sur la politique financière des transports. Je suis persuadé que, tant que l'ensemble du maillage de notre réseau autoroutier ne sera pas achevé, l'Etat a intérêt à garder dans son domaine les sociétés d'autoroutes et donc les recettes, ce que j'appelle la « rente autoroutière ».
Chacun comprend que les régions les plus développées, que les sections ayant le plus fort trafic, ont été logiquement équipées les premières. Ce sont donc les plus rentables, et cela explique la forte croissance du chiffre d'affaires sur ce réseau autoroutier à péage et les bénéfices importants qui en résultent.
Privatiser ces sociétés à ce stade de notre développement, alors que les besoins sont encore considérables - je les estime à près de 4 000 kilomètres - reviendrait à alimenter généreusement le marché financier et à priver l'Etat de recettes à long terme qui lui permettraient de financer les autoroutes et les autres modes de transport des régions les moins favorisées.
Certes, les revenus immédiats de la privatisation ne seraient pas négligeables, mais ils seraient largement inférieurs à l'ensemble des bénéfices recueillis par l'Etat jusqu'à la fin des concessions. S'il n'en était pas ainsi, on ne s'expliquerait pas l'intérêt que suscitent dans certains grands groupes les perspectives de privatisation. Les débats qui se sont déroulés le 20 mai à l'Assemblée nationale et le 3 juin au Sénat ont parfaitement montré les préoccupations et les attentes des élus dans ce domaine.
L'Etat doit assumer l'élaboration et la mise en oeuvre de nos réseaux structurants à long terme des différents modes de transport. Il doit assumer son rôle de financeur et de péréquateur. J'ai proposé, à cet égard, la création d'un fonds national de financement et de péréquation des infrastructures de transport.
En attendant que des décisions positives soient prises dans ces domaines, nous évoquerons à nouveau dans cet hémicycle, le 12 novembre prochain, à propos d'une question orale avec débat, les suggestions que j'ai formulées dans ma proposition de loi n° 377 portant diverses mesures en matière de transport.
Pour ce qui est du présent texte, je formulerai trois observations.
La première concerne l'ampleur des transferts, qui ne sont que le prolongement des mesures antérieures.
J'ai moi-même participé, au côté d'Olivier Guichard, alors ministre de l'équipement et des transports, à la mise en oeuvre de la loi du 29 décembre 1971 transférant à la voirie départementale 53 000 kilomètres de voirie nationale.
La loi du 2 mars 1982 a confié au conseil général la gestion du domaine public routier départemental. Je pense que personne ne regrette cette évolution.
Le transfert actuel porte sur 20 000 kilomètres supplémentaires, mais la situation n'est pas comparable, car, il y a trente ans, notre réseau autoroutier était encore embryonnaire ; or il est actuellement largement développé, et ce transfert me paraît donc souhaitable.
Pour ma part, je préfère que l'Etat réserve ses moyens à la réalisation des grandes liaisons nationales et transeuropéennes.
Ma deuxième observation concerne la planification et la programmation des infrastructures de transport.
Celles-ci sont essentielles, car les infrastructures de transport durent des décennies et nécessitent des investissements considérables. Leur rentabilité n'est pas toujours immédiate, mais leurs répercussions en termes de croissance et d'aménagement du territoire sont toujours positives.
La loi d'orientation des transports intérieurs de 1982 a décidé la mise en place de schémas directeurs routiers nationaux ainsi que de schémas régionaux d'infrastructures de transport.
A ce jour, la notion de « schéma de structure » a été abandonnée au profit de celle de « schéma de service » et les schémas régionaux n'ont pas tous été réactualisés. Je me réjouis donc des dispositions de l'article 12, qui évoque les schémas régionaux ainsi que le contenu du « domaine public routier national ».
Je pense que plus les opérateurs seront nombreux dans le domaine des infrastructures de transport, plus la nécessité d'une coordination et d'une planification se fera sentir.
Au-delà des dispositions actuelles, un effort accru de conception devra être poursuivi. En particulier, un rôle plus important pourrait être confié à un Conseil national des transports rénové - où seraient représentés, outre l'Etat, la totalité des collectivités territoriales - et doté d'une réelle autorité, au moins morale.
Ma troisième observation concerne le financement.
Je ne peux qu'approuver les dispositions du paragraphe II de l'article 14 autorisant le département, les communes ou leurs groupements à aménager des routes express à péages. J'avais d'ailleurs formulé les mêmes propositions dans les articles 4 et 8 de ma proposition de la loi n° 377.
En revanche, je pense que nous devons compléter notre réflexion sur les dispositions du paragraphe I de ce même article 14 concernant les autoroutes concédées à péage.
Au-délà du problème de la privatisation, que j'ai déjà évoqué, la question que je souhaite voir résolue est celle des participations financières des collectivités territoriales pour l'aménagement de sections d'autoroutes ou pour des aménagements accessoires qui peuvent se révéler utiles au cours de l'existence d'une concession dont la durée peut varier de trente à soixante ans, voire plus puisque des concessions ont été délivrées pour quatre-vingts ans.
Personne ne peut raisonnablement prévoir dans un cahier des charges initial tous les besoins futurs en termes de trafic ou de développement local qui peuvent surgir au cours d'une concession de si longue durée.
J'estime, pour ma part, que le péage a été institué et confié, en monopole, à un concessionnaire pour qu'il finance la totalité de l'ouvrage et de ses équipements accessoires.
Ce système a parfaitement fonctionné jusqu'en 2000, grâce à la procédure de l'adossement. Après que ce mécanisme eut donné lieu à un long débat dans cet hémicycle, il a été supprimé et n'a pas été remplacé par un système clair de péréquation. De ce fait, des participations financières massives ont été ou sont demandées aux collectivités territoriales pour les aménagements autoroutiers.
Dans ce cas de figure, nous passons de la logique du financement par l'usager à celle du financement par le contribuable local pour un équipement à vocation nationale. A l'évidence, une telle situation n'est pas satisfaisante.
Je proposerai donc, monsieur le ministre, par amendement, deux adaptations qui me paraissent nécessaires pour préserver l'intérêt des collectivités locales.
Le premier amendement vise à une meilleure intégration des participations financières des collectivités locales, lorsqu'elles sont nécessaires, dans l'équilibre financier global de la concession. Les collectivités locales doivent pouvoir, à un moment déterminé, commencer à être remboursées de leur mise de fonds. Cela implique un examen périodique et régulier des comptes de la concession dans l'esprit des dispositions de la loi sur la transparence et la sécurité financière, sachant que les concessions autoroutières sont les seules à échapper au dispositif de cette loi.
Le second amendement concerne le financement de ce que l'on appelle les « petits bouts » et les nouveaux échangeurs souhaités par les collectivités pour une meilleure desserte et une meilleure irrigation de leur territoire.
Il n'est pas acceptable que, lorsqu'une collectivité demande à juste titre un tel aménagement, elle soit contrainte de financer la totalité de l'investissement et du fonctionnement, alors que le concessionnaire continue à se réserver le bénéfice de la totalité des recettes.
Monsieur le ministre, le problème des transports est essentiel pour notre développement économique et pour notre aménagement du territoire.
Compte tenu de l'ampleur des investissements nécessaires et des bouleversements que nous avons connus, il convient de refonder notre politique financière des transports autour des trois objectifs suivants : l'efficacité, l'équité, la clarté.
Je suis sûr que le présent projet de loi nous y aidera. Il ne fait toutefois qu'ouvrir le chemin à d'autres décisions tout aussi importantes. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Gérard Miquel.
M. Gérard Miquel. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, le présent projet de loi nous offre l'occasion d'exercer le droit à l'expérimentation récemment reconnu par la Constitution. Les initiatives actuelles ont en commun de prévoir, à titre expérimental, un transfert des compétences de l'Etat vers les régions, les départements ou les communes.
Il s'agit en quelque sorte d'un transfert hiérarchique, vertical et de haut en bas. C'est évidemment le mouvement le plus attendu. Mais rien n'interdit une expérimentation en sens contraire qui consisterait, par exemple, à transférer une compétence des communes vers les départements.
Le domaine dans lequel je souhaite proposer ce droit à l'expérimentation départementale est celui de l'eau.
Cette initiative s'appuie sur une longue expérience d'élu local et sur les travaux que j'ai conduits au nom de l'office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques. Je suis convaincu que, en milieu rural, l'échelon communal n'est pas le mieux adapté pour traiter les questions d'environnement. C'est le cas dans le domaine des déchets ; c'est aussi le cas dans le domaine de l'eau.
Il me semble que les seules communes peuvent difficilement prélever, transporter, traiter, analyser, contrôler, distribuer l'eau et assurer l'assainissement. C'est une question de compétences et de moyens.
La plupart des communes sont démunies face aux contaminations des eaux, aux inquiétudes de nos concitoyens et aux contraintes des directives européennes. Elles n'ont pas les moyens de financer les nouveaux traitements physico-chimiques ou le changement des canalisations qui sont parfois des foyers d'infection.
Compte tenu des évolutions sociales en cours, la responsabilité pénale des maires sera de plus en plus souvent engagée. Pour beaucoup d'élus ruraux, cette évolution est vécue comme une injustice.
Il faut un autre niveau de responsabilité.
Autre exemple : la tarification de l'eau par les communes entraîne des écarts considérables entre communes selon qu'elles sont dotées ou non en ressources et selon qu'elles ont ou non investi. Des écarts de prix peuvent se comprendre entre régions, mais la situation actuelle n'est pas satisfaisante. Dans ce domaine, il faut parvenir à une péréquation des charges afin d'établir un minimum d'égalité entre les citoyens. Cette péréquation peut être assurée dans un cadre départemental.
Le cadre communal me paraît également inadapté pour protéger la ressource. La dégradation de la ressource se poursuit. Aujourd'hui, quand une source est mauvaise, on ferme le forage et l'on en creuse un autre ailleurs. Mais le problème c'est qu'il n'y a plus d'« ailleurs » ! La fuite en avant technologique n'est pas une solution pour assurer un développement durable. Il nous faut désormais préserver la ressource.
L'un des instruments de cette protection est le périmètre de protection, qui continue de relever de l'initiative des communes. Cependant, dix ou quarante ans après l'obligation légale, selon les captages, seul un tiers d'entre elles en sont pourvues. Sans changement de notre organisation, il ne faut pas attendre d'amélioration. Le dispositif est inadapté aux pollutions diffuses et inapplicable après un demi-siècle d'urbanisation. Compte tenu des contraintes, les communes ont intérêt à définir les plus petits périmètres possible, alors que les pollutions diffuses imposent d'intervenir sur de larges espaces. Enfin, il y a une distorsion entre la protection de la ressource, qui bénéficie à tous, et les servitudes du périmètre de protection, qui, elles, ne sont supportées que par une seule commune.
La protection de la ressource est l'affaire de la collectivité et non d'une commune en particulier. Dans cet exemple, encore, le département est le niveau le plus pertinent.
Certes, les communes ne sont pas seules. L'eau est un domaine où les barrières institutionnelles traditionnelles ont éclaté. Les agences de bassin, créées selon une logique hydrogéologique, sont une structure indispensable à la planification et au financement des travaux. Mais l'agence de bassin n'est pas une structure de gestion et elle a besoin de relais locaux.
L'eau est aussi le domaine par excellence de la coopération intercommunale. Pourtant, ce cadre ne me paraît pas toujours idéal. L'intercommunalité en milieu rural ne donne ni les moyens financiers, ni les compétences humaines, ni le poids nécessaire dans la négociation avec les grands groupes industriels qui maîtrisent les équipements, la technologie et les concessions.
La coopération intercommunale est aussi une réponse imparfaite au problème de la dispersion. Avec des syndicats de pompage, de barrage, de distribution, d'assainissement, dont les périmètres sont à chaque fois différents, l'enchevêtrement des structures a remplacé l'éclatement des communes.
Enfin, en milieu rural, communes et syndicats restent largement tributaires des recommandations des services de l'Etat, qui sont donc à la fois conseillers et contrôleurs et cette confusion des rôles nuit à tous. En outre, cette mission de conseil est de moins en moins bien remplie : dans de nombreux cas, les communes ne peuvent plus compter sur les services de l'Etat. Je proposerai d'ailleurs un amendement visant à clarifier cette situation et à transférer, à titre expérimental, les missions d'ingénierie au département.
Il est admis que le cadre communal est le cadre naturel du service des eaux. Mais cette compétence est plus implicite et indirecte qu'explicite et expresse. Elle résulte aujourd'hui d'un maillage de textes très divers. Cependant, sauf erreur de ma part, nulle part la compétence des communes en matière de distribution d'eau n'est formellement et expressément établie.
Cette ambiguïté est même entretenue par plusieurs dispositions majeures. D'une part, la loi sur l'eau de 1992 et la charte de l'environnement énoncent que l'eau est « patrimoine de la nation », et non patrimoine des communs, ce qui laisse la place à d'autres niveaux de collectivité. D'autre part, si la jurisprudence considère que les eaux destinées à l'alimentation humaine font partie du domaine public communal, la distribution de l'eau ne fait pas partie des services publics locaux obligatoires énumérés par la loi, parmi lesquels on compte l'assainissement, mais non la distribution de l'eau.
Enfin, on observera que le budget du service de l'eau est un budget annexe au budget communal. Le législateur a marqué une différence entre les dépenses, ce qui peut constituer la première étape d'une déconnexion, au moins à titre expérimental.
On pourrait discuter sur l'échelon local idéal, mais je défendrai, à titre expérimental, l'échelon départemental. Déjà, le département élabore des SAGE, les schémas d'aménagement et de gestion des eaux, pour planifier et il accorde des subventions aux travaux de captage, d'adduction et d'assainissement. Ainsi, il est clair que le département a déjà non seulement une légitimité, mais aussi une expérience dans ce domaine.
Même si je suis parfaitement conscient de proposer un bouleversement déroutant, bousculant l'ordre établi et difficile à mettre en oeuvre sur le plan juridique, je proposerai, dans le cours de la discussion, des amendements visant à expérimenter cette compétence départementale dans le domaine de l'eau. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Paul Alduy.
M. Jean-Paul Alduy. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je consacrerai mon intervention à la question du logement.
La politique du logement renvoie à de nombreux objectifs : le droit au logement pour les plus démunis, la cohésion et la mixité sociales, la cohérence des territoires urbains et ruraux, l'économie de la construction, qu'il s'agisse des entreprises du bâtiment ou des industriels fabriquant les composants et les matériaux.
En France, la politique du logement a toujours été une affaire d'Etat, je dirai même une affaire de l'Etat central. Néanmoins, au fil du temps, les collectivités locales - les communes, leurs groupements, les départements, parfois même les régions - sont intervenues de manière importante, voire incontournable, par la mise à disposition de terrains, par l'octroi de subventions ou par des garanties d'emprunt.
La situation actuelle est telle que la multiplication des intervenants, la complexité des mécanismes de programmation et d'agrément des opérations, à quoi s'ajoutent les aléas des appels d'offres, ont pour résultat la dilution des responsabilités et l'inefficacité globale de l'intervention politique.
Chaque maire ou chaque président de conseil général - souvent, d'ailleurs, également président d'office d'HLM - en fait l'amer constat : tous les ans, il existe un important décalage entre les autorisations de programme votées par le Parlement dans la loi de finances et le volume réel des logements construits ou réhabilités.
C'est précisément pour garantir une intervention plus efficace dans les cités HLM dégradées que la récente loi sur le renouvellement urbain a créé une agence regroupant les financements, ce qui permet d'échapper aux décisions d'agrément rendues au coup par coup.
Il faut donc clarifier, simplifier et responsabiliser, mais en respectant, en tout cas dans le domaine du logement, une double obligation.
Tout d'abord, l'Etat doit être le garant des grands équilibres et de la solidarité nationale. Dès lors, les aides à la personne, les aides fiscales, doivent rester de la responsabilité de l'Etat.
Par ailleurs, les collectivités locales, les communes et leurs groupements - plus précisément les communes qui ont élaboré un plan local de l'habitat -, les départements - plus précisément ceux qui ont élaboré un plan départemental d'aide au logement des personnes défavorisées - doivent avoir la responsabilité de la mise en oeuvre d'une politique de l'habitat cohérente avec leurs projets de ville ou avec leurs projets de territoire.
La première option consistait dans la décentralisation pure et simple des aides à la pierre ; les élus, responsables devant les électeurs auraient ainsi assumé pleinement les arbitrages politiques de l'équilibre social des quartiers et des villages, de la démolition des quartiers obsolètes ou encore de la relance de la construction locative sociale.
Le choix qui a été fait, celui de la délégation de pouvoir, correspond à une démarche de prudence. Je comprends cette prudence eu égard à l'implication très inégale des collectivités locales dans le combat pour le droit au logement ou l'éradication de l'habitat indigne. Je comprends cette prudence sachant que l'intercommunalité est encore, dans de nombreuses villes, une aventure récente et que la compétence en matière de politique sociale du logement y est souvent exercée a minima.
Je comprends votre prudence, messieurs les ministres, même si un grand nombre de communautés urbaines, de communautés d'agglomération ou de départements font la preuve de leur capacité à assumer pleinement la responsabilité de l'aide à la pierre, et donc de la politique du logement social.
Le projet actuel de délégation de pouvoir dans le cadre de conventions est donc pour moi une étape, décisive certes, mais une étape seulement, dans le processus de décentralisation de la compétence en matière de logement aux agglomérations et aux départements. Il faudra demain aller plus loin, sans doute par voie expérimentale.
Encore faut-il que cette étape soit utile et ne constitue pas une source de complexité supplémentaire. Il faut donc être très clair sur quatre points au moins.
Premièrement, il doit être bien compris que l'agrément des opérations relèvera désormais des communes, de leurs groupements ou des départements.
M. Jean-Yves Mano. Très bien !
M. Jean-Paul Alduy. Cela doit figurer expressément dans l'ensemble du texte, ce qui signifie qu'il nous faut faire la chasse au mot « opérations ». J'ai déposé plusieurs amendements en ce sens.
Deuxièmement, le contingent préfectoral de réservation HLM n'a, selon moi, plus lieu d'être. Si l'on parle de « délégation de tout ou partie », ce n'est plus de la prudence, c'est de la méfiance !
Troisièmement, les conventions de délégation doivent être également l'occasion d'adapter les règles nationales en matière de plafond de ressources, de loyer plafond ou encore s'agissant de certaines normes techniques. On ne construit pas, dans le contexte social, économique, climatique de Perpignan, de la même manière qu'à Dunkerque !
Quatrièmement, enfin, dès lors que l'Etat reste le seul décideur de la répartition des aides accordées année après année entre les régions, puis, au sein de chaque région, entre les communautés urbaines et les départements, il convient de renforcer les procédures d'information - et donc de contrôle - du Parlement sur les répartitions effectuées.
Ainsi, sous réserve de ces quelques clarifications, que je juge nécessaires, je crois, monsieur le ministre, que votre projet de loi marque, dans le domaine du logement comme dans les autres domaines, une vraie rupture avec les pratiques passées, où l'Etat décidait de l'opportunité et du contenu de la moindre opération sur les 36 000 communes du territoire.
C'est une première étape, souvent évoquée depuis de nombreuses années mais jamais engagée. Il fallait une vraie volonté décentralisatrice pour bousculer les administrations centrales. Je ne suis pas trop mal placé pour en parler !
M. Jacques Blanc. Vous vous y connaissez un peu ! (Sourires.)
M. Jean-Paul Alduy. Cette volonté est aujourd'hui clairement affirmée, et je vous en félicite.
Il appartient aux élus de tous bords de se saisir de ces responsabilités nouvelles pour permettre, demain, de franchir une autre étape, celle d'une décentralisation de plein droit de l'aide à la pierre. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Daniel Percheron.
M. Daniel Percheron. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, il n'y a pas, il n'y aura pas de grand rendez-vous de la décentralisation. Certes, j'ai bien entendu les accents parfois pathétiques du Premier ministre hier. J'ai bien noté aussi la démonstration financière implacablement malicieuse du ministre de l'intérieur,...
M. Nicolas Sarkozy, ministre. C'est un reproche ?
M. Daniel Percheron. Non ! C'est un compliment !
M. Gérard Longuet. On a le droit d'être intelligent !
M. Daniel Percheron. ... ministre qui est lui-même bien protégé au coeur des Hauts-de-Seine.
M. Nicolas Sarkozy, ministre. C'est une attaque personnelle ! Elle disqualifie tout le reste ! C'est une occasion perdue !
M. Daniel Percheron. Mais le modeste président de région que je suis n'est guère convaincu. C'est qu'il faut un Etat fort pour entraîner le pays le plus centralisé du monde vers le partage équitable des pouvoirs !
Il faut aussi des élus confiants pour accepter, au nom de leurs concitoyens, le tranfert de compétences que le contrat démocratique - la mode impose aujourd'hui de parler de « proximité » - transforme peu à peu en impôts supplémentaires et en services publics plus performants.
Mais c'est au nom de sa faiblesse que le Gouvernement s'apprête à imposer aux régions et aux départements de nouvelles responsabilités et de nouvelles charges.
Faiblesse : le budget de la nation, gravement déséquilibré, est sous haute surveillance. C'est donc pied à pied, sou à sou, que les évaluations et les compensations vont être discutées, disputées, tronquées, je le crains, Constitution ou non.
En écoutant hier, avec respect et admiration, M. Sarkozy...
M. Nicolas Sarkozy, ministre. C'est bien ! Vous progressez ! (Sourires.)
M. Daniel Percheron. ... nous promettre, 30 milliards d'euros en bandoulière, le paradis des finances locales pour demain, je pensais irrésistiblement à Mirabeau au sein du tiers état, parlant d'un de ses collègues promis à un avenir glorieux : « Il ira loin, il croit ce qu'il dit. » (Rires sur les travées du groupe socialiste.)
M. Patrick Devedjian, ministre délégué. Vous riez ? Ce n'est pourtant pas votre culture !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Honnêtement, nous ne sommes pas en désaccord !
M. Robert Bret. Pauvre Mirabeau !
M. Daniel Percheron. La croissance proche de zéro ? Faiblesse là aussi. La croissance, au moins dans un premier temps, ne soulagera pas les injustices que cette deuxième vague de décentralisation a déjà entraînées et entraînera encore.
Faiblesse aussi, la protection sociale est menacée au travers de l'assurance vieillesse, de l'assurance maladie, de l'assurance chômage, autant d'inquiétudes, de reculs et de faiblesses.
Et ne croyez pas que je m'écarte de mon sujet ! Plus de 50 % des revenus des habitants du Nord - Pas-de-Calais proviennent de la protection sociale ! Comment voulez-vous intéresser les ouvriers de Metaleurop ou de la Comilog au rôle illusoire de chef de file du développement économique assumé par leur région lorsque les droits de chômeurs sont amputés ?
Non, mes chers collègues, il n'y a pas et il n'y aura pas pour les régions de France de grand rendez-vous de la décentralisation.
Qu'est devenu, monsieur le ministre, le fameux couple Etat-région rêvé, annoncé et célébré à l'avance par le Premier ministre, M. Raffarin, juché sur les collines de son Poitou ? Il n'existe plus !
Oui, il faut un Etat ambitieux pour décentraliser.
La décentralisation des lycées a pris toute son ampleur et toute sa place, irremplaçable, parce que les gouvernements de gauche ont décidé et réussi, les premiers en Europe, la massification et la démocratisation de l'enseignement secondaire.
Que signifierait la responsabilité des lycées et de la vie lycéenne si nous n'avions pas aujourd'hui l'un des meilleurs systèmes scolaires du monde ? Que signifierait cette responsabilité si les lycées ne s'étaient pas ouverts avec nous au monde, à la société, à l'entreprise et à la ville, eux qui sont des villes dans la ville ?
Au succès de cette décentralisation ont participé la communauté éducative tout entière, les emplois-jeunes, les contrats emplois solidarité et les contrats emplois consolidés, CES et CEC aujourd'hui condamnés.
Qu'allez-vous apporter à cette décentralisation exemplaire ? Le transfert des personnels administratifs, techniques, ouvriers, sociaux, de santé et de service, les ATOSS, contre leur volonté. Est-ce là un approfondissement de la décentralisation ? Non ! C'est une simple astuce comptable qui va faire peser 50 % du coût de la décentralisation en direction des régions.
Il faut aussi un gouvernement confiant dans la fonction publique, dans le service public, dans les entreprises publiques pour réussir la décentralisation. La décentralisation du rail en est l'exemple vivant.
C'est dans le domaine portuaire, domaine où l'Etat est absent, où il est indifférent depuis près de trente ans, que vous nous proposez d'avancer. Il suffit de relire le rapport de la Cour des comptes : il en faudra, des centaines d'euros de modulation de la TIPP pour que Boulogne-sur-Mer, le premier port de pêche d'Europe, retrouve toutes ses chances ! Ces centimes de modulation aggraveront les fractures et les inégalités, comme le disait le président François-Poncet.
Toute décentralisation est ambivalente, c'est une chance et c'est un fardeau. Au lendemain des élections introuvables du printemps 2002, vous espériez sans doute sincèrement la décentralisation « chance ». L'échec global de votre gouvernement nous impose la décentralisation « fardeau ». Nous le regrettons ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Bernard Murat.
M. Bernard Murat. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, engager l'acte II de la décentralisation afin d'accroître l'efficacité des politiques publiques en les confiant à l'échelon territorial le mieux à même de les conduire tout en permettant aux citoyens de mieux identifier les responsables devenait primordial.
Le texte présenté par le Gouvernement va permettre, si ce dernier accepte certains amendements, de répondre aux attentes exprimées tant par les collectivités territoriales que par les citoyens, ceux-ci se reconnaissant d'abord et avant tout, tout le monde le sait ici, dans les maires, les élus locaux et intercommunaux.
En tant que membre de la commission des affaires culturelles, je m'attarderai plus particulièrement sur deux volets de ce projet de loi, l'un consacré à la culture, l'autre à l'enseignement.
Héritage commun de notre collectivité, partie intégrante de notre cadre de vie, atout essentiel pour le tourisme, notre patrimoine national est au coeur d'enjeux multiples et fondamentaux.
Dans ce secteur, la décentralisation a été jusqu'alors très restreinte, si bien que la protection du patrimoine est souvent dénoncée comme le dernier bastion du centralisme.
Or ce que l'on pourrait appeler le « réveil patrimonial » des collectivités territoriales ces dernières années, qui s'est d'ailleurs accompagné d'une montée en puissance de leurs interventions financières, ne pouvait plus continuer à être ignoré.
En effet, tout le monde sait aujourd'hui que 90 % des dépenses culturelles engagées à l'échelon local le sont par les collectivités territoriales, qui consacrent désormais un effort financier équivalent à celui de l'Etat, tous ministères confondus.
La conviction du Gouvernement que l'action des collectivités territoriales en faveur du patrimoine, et plus généralement de la culture, doit trouver un nouveau souffle est d'ailleurs tirée d'un constat de carences graves de notre système.
De fait, l'intégration de la décentralisation culturelle qui accompagne le mouvement général de décentralisation et la prise en compte d'un patrimoine de proximité tendent à ériger naturellement les collectivités territoriales en partenaires actifs de la politique du patrimoine.
L'objectif poursuivi par le texte est donc de proposer un projet de développement des responsabilités des collectivités territoriales dans une articulation cohérente avec les missions qui doivent rester de la compétence de l'Etat.
Notre excellent rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles, M. Philippe Richert, vous a présenté précisément les transferts proposés, et il s'est attaché à en accroître la cohérence, en particulier s'agissant de l'inventaire général et de la gestion des crédits du patrimoine. Je n'y reviendrai donc pas. Je tiens simplement à préciser que l'ensemble de ces mesures ne trouvera son plein effet qu'en étant accompagné d'une série d'autres dispositions permettant d'accroître l'effort de la collectivité nationale pour son patrimoine et tendant à la réforme de l'Etat, qu'il s'agisse des simplifications des procédures ou du développement de la déconcentration et de la réflexion sur l'organisation des services centraux et déconcentrés compétents en matière de patrimoine. M. le ministre de la culture s'est d'ailleurs engagé à agir en la matière.
Le second point que j'aborderai concerne les dispositions relatives à l'éducation.
Dans les années quatre-vingt, la France s'engageait dans une importante action de décentralisation. La responsabilité du fonctionnement matériel et de l'investissement dans les établissements scolaires revenait ainsi aux collectivités locales. L'Etat conservait son rôle fondamental dans le champ pédagogique et l'organisation du système éducatif. Je n'irai pas, comme M. Percheron, jusqu'à dire que notre système scolaire était le meilleur du monde, mais je constate qu'un partage de compétences intervenait entre les collectivités locales et l'Etat pour la prise en charge de la planification scolaire.
Cette entreprise a produit des effets particulièrement bénéfiques, dont la grande majorité des usagers et des acteurs du système éducatif se félicite encore aujourd'hui.
C'est donc tout naturellement qu'une deuxième étape de décentralisation est aujourd'hui en marche pour l'éducation nationale.
Le projet de loi que nous allons examiner maintient l'ambition d'assurer sur l'ensemble du territoire l'égalité d'accès de tous les jeunes Français au service public de l'éducation, en même temps qu'il assure la laïcité. L'Etat reste donc garant de l'organisation et du contenu des enseignements, de la définition et de la délivrance des diplômes, du recrutement et de la gestion des personnels qui relèvent de sa responsabilité, de la répartition des moyens, de la régulation de l'ensemble du système, du contrôle et de l'évaluation des politiques éducatives, en vue de faire respecter le principe d'égalité.
Mais une association plus marquée avec les collectivités territoriales permettra d'améliorer le service public de l'éducation nationale au bénéfice des élèves et de leurs familles, qu'il s'agisse du fonctionnement matériel des établissements scolaires ou de la planification des formations.
Je n'énumérerai pas les mesures contenues dans le projet de loi et dans les amendements de la commission des affaires culturelles, qui ont tous été déposés afin de répondre à un double souci de cohérence et d'efficience.
Je souhaite simplement revenir sur l'inquiétude ressentie face au transfert de certains personnels de l'éducation nationale vers le fonctionnariat territorial. En effet, il me semble que les craintes des personnels de l'Etat devant la perspective d'être placés sous l'autorité des maires ou des présidents de conseil général ou de conseil régional paraissent injustifiées au regard de ce qu'est la fonction publique territoriale.
En tant que maire, je me dois de rendre un hommage mérité à ceux qui font vivre chaque jour, à nos côtés, la réforme si bénéfique de la décentralisation, qui libère les énergies et stimule les initiatives locales. Grâce à leur bonne connaissance des besoins, grâce à leur expertise, leur éthique, en un mot leur professionnalisme, les fonctionnaires territoriaux ont contribué au succès de la décentralisation. Ce n'est donc pas sacrilège que d'appartenir à la fonction publique territoriale.
M. Gérard Longuet. C'est vrai !
M. Bernard Murat. Dans une société qui se tourne vers la proximité, qui doit renforcer le dialogue social et accompagner l'émergence des talents et des savoirs, il semble légitime de vouloir rapprocher au plus près les agents de l'Etat des citoyens, pour plus d'efficacité et plus de service au public.
De plus, vous le savez, mes chers collègues, la fonction publique territoriale, dont le statut est aussi protecteur que celui de la fonction publique d'Etat, s'inscrit pleinement dans notre modèle de service public à la française et, depuis 1983, elle a fait la preuve de son attractivité.
Ces craintes me semblent donc injustifiées, d'autant plus qu'un certain nombre de garanties ont été reconnues dans le projet de loi aux agents des services transférés et que le Sénat a engagé une vaste réflexion afin de « réformer la fonction publique territoriale pour mieux réussir l'acte II de la décentralisation ».
Avant de conclure, étant un défenseur des activités sportives, je ne pourrai que regretter, messieurs les ministres, le fait que le projet de loi ne contienne que très peu de mentions visant expressément le sport, et j'aurai l'occasion de défendre quelques amendements pour rectifier cette absence. L'inscription du sport dans les lois de décentralisation constituerait pourtant, me semble-t-il, l'occasion de reconnaître son importance en matière sociale et économique et pour le développement territorial durable, ainsi que le rôle non moins considérable que jouent dans ce domaine les collectivités, tout particulièrement les communes.
Les états généraux du sport, en décembre 2002, avaient permis de souligner la nécessité de faire du sport, jusqu'alors grand oublié de la décentralisation, un acteur de la vie des territoires. Ce souhait est toujours d'actualité, comme l'a évoqué tout dernièrement le ministre des sports.
Messieurs les ministres, permettez-moi de rappeler que les communes constituent le premier et indispensable niveau d'administration publique, le premier échelon de proximité pour les Français. A mes yeux, la place de la commune et celle du maire, élu le plus proche du terrain, doivent être clairement réaffirmées et le maire confirmé dans ses compétences de premier magistrat dans sa commune.
Cela va de pair avec la nécessité de rappeler ici que l'intercommunalité est plus que jamais le prolongement naturel, voulu par le législateur, des conseils municipaux, lieux de décision privilégiés pour une veille permanente des politiques de proximité au service de nos concitoyens.
Comme le Gouvernement le constate lui-même, les EPCI ont su faire la démonstration de leur capacité à faire face aux enjeux locaux. Leur jeune légitimité est reconnue par tous et ils sont devenus un acteur à part entière du grand mouvement de décentralisation que le Gouvernement veut promouvoir. Il doit le faire avec eux et non pas contre eux.
M. Pierre Jarlier. Monsieur le président, je défendrai en même temps l'amendement n° 618 rectifié.
L'amendement n° 617 rectifié vise à organiser un partenariat entre la région et le département, dans un cadre conventionnel, afin de faciliter la mise en oeuvre de programmes d'action territorialisée.
Une telle disposition complèterait inutilement les mesures d'association des collectivités territoriales à l'exercice des compétences économiques des régions, prévues au Ii de l'article 1er relatif à la consultation et à l'élaboration du schéma régional de développement, ainsi qu'au IV du même article en ce qui concerne la possibilité, pour les collectivités territoriales, de majorer les aides régionales.
En effet, dans certains départements ruraux à faible densité en particulier, le partenariat de proximité s'avère efficace. La région, si elle le souhaite, doit pouvoir déléguer au département la mise en oeuvre de programmes de développement territoriaux qui le concernent spécifiquement. Ce peut être le cas, par exemple, s'agissant de l'accompagnement de projets de développement pluriannuels menées par certains départements, ayant pour objet la lutte contre l'exode rural ou la valorisation de filières particulières de développement.
Ainsi, certaines expérimentations ont été conduites en partenariat entre l'Etat et des départements qui, par convention et cofinancement, se sont engagés en vue de susciter de nouvelles dynamiques de développement. Il serait donc utile que ce type de partenariat puisse poursuivre en liaison avec les régions après la ratification de la loi que nous élaborons.
Ainsi, le projet de loi contient des dispositions qui vont simplifier les procédures de fusion des EPCI ou permettre la transformation des syndicats intercommunaux en communautés de communes.
Plus important encore, à mes yeux, le titre IX du projet de loi tend à consacrer l'essor de l'intercommunalité en ouvrant aux établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre la faculté de demander aux départements et aux régions de leur déléguer l'exercice de certaines de leurs compétences. Nous ne pouvons que nous en réjouir.
M. le ministre de l'intérieur nous a assuré hier que le Gouvernement accepterait tous les amendements s'ils font avancer les choses, « sans faire de la démocratie à la serpe ».
Comme l'a dit M. Daniel Hoeffel, gageons que nous aurons l'opportunité, au cours du débat, d'approfondir le sujet, de renforcer encore plus la légitimité des structures intercommunales et surtout, messieurs les ministres, de faciliter les négociations entre les EPCI, les conseils régionaux et les conseils généraux afin d'établir des conventions pour l'exercice de compétences qui sont souhaitées par les maires, par les communautés de communes ou d'agglomération, mais plus encore par l'ensemble de nos concitoyens, qui se reconnaîtront toujours dans des décisions prises à l'échelon le plus proche d'eux et de leurs besoins. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Daniel Reiner.
M. Daniel Reiner. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, ce projet de loi est le quatrième en un an qui concerne la décentralisation. Guère satisfaits des trois premières lois, nous attendions avec impatience et avec espoir le vrai projet de loi, celui qui traite des transferts de compétences, qui simplifie, qui clarifie et qui rend lisible aux yeux des élus et de nos concitoyens les rôles des diverses catégories de collectivités locales, car là également se situe l'enjeu de la décentralisation.
Hélas ! Le but ne nous paraît pas être atteint. A cet égard, je ne citerai qu'un seul exemple, celui de l'intercommunalité.
Dans le projet de loi qui nous est soumis, les EPCI ne trouvent guère grâce à vos yeux. Au pire, ils sont exclus du processus, au mieux ils agiront dans l'ambiguïté. Pourtant, ils existent. Leur essor a d'ailleurs été assez exceptionnel depuis les lois de 1992 et de 1999. Ils touchent aujourd'hui 80 % de la population et la plus grande partie du territoire, tant en zones urbaines - où ils associent les villes et leurs périphéries autour d'un projet permettant de mieux partager les moyens - qu'en zones rurales, où ils permettent de poursuivre et d'amplifier un mouvement de développement local que les villages seuls ne pouvaient mettre en oeuvre. Les EPCI réalisent désormais la plus grande part des investissements publics locaux et gèrent l'essentiel des grands services de proximité essentiels à la vie quotidienne.
Vous aviez en d'autres temps - c'était un signe - refusé d'inscrire les EPCI dans la Constitution. Aujourd'hui, vous ne leur octroyez guère de nouvelles compétences obligatoires. Vous leur proposez quelques secteurs facultatifs sur la base du volontariat. Et, comme si vous étiez conscients de les maltraiter, vous leur ouvrez une magnifique boîte de Pandore, je veux parler de l'article 101 de votre projet de loi.
Je m'en tiendrai à cet article. Celui-ci offre la possibilité à tout EPCI, de la plus petite communauté de communes à la plus puissante communauté urbaine, de demander à exercer n'importe quelle compétence du département ou de la région ! Ou c'est un article de rattrapage et donc d'affichage, dont vous n'attendez pas grand-chose en termes d'application ; ou c'est un véritable cadeau empoisonné !
A la question maintes fois posée : « Qui fait quoi », la réponse pourraît être : « N'importe qui ! » Comment les élus, les usagers, les citoyens pourront-ils s'y reconnaître ? L'illisibilité sera totale. Enseigner l'instruction civique aux jeunes va devenir un exercice délicat. Par simple voie contractuelle - et les conventions pourraient être légions - les EPCI deviendront de simples sous-traitants multicartes.
Interrogeons-nous : pour quelles raisons un EPCI, une communauté de communes ou une communauté d'agglomération urbaine demanderaient-ils à exercer ces nouvelles responsabilités ? Pour faire la même chose ? Quel intérêt ? Pour faire moins bien ? Ce serait inquiétant ! Pour faire mieux, imagine-t-on ?
En effet, une communauté riche et puissante pourrait être tentée d'en faire plus que la collectivité qui lui a délégué sa compétence. Mais alors, c'est accepter de fait une inégalité de traitement entre les citoyens, entre les entreprises, selon la compétence, et ce dans un même département, dans une même région. Que vaut le principe de subsidiarité si l'on admet désormais que peuvent coexister plusieurs « meilleurs niveaux » pour exercer une même compétence ?
M. Jean-Claude Peyronnet. Très bien !
M. Daniel Reiner. La cohérence du couple Etat-région, évoquée par M. le Premier ministre, la proximité du couple département-communes et intercommunalités, sur laquelle vous avez insisté, monsieur le ministre, qu'en restera-t-il si un EPCI peut se substituer à la région ?
Certes, il ne s'agit que d'une délégation de compétences, mais que restera-t-il de la cohérence d'un plan départemental si les exécutants sont multiples ? Ne risque-t-on pas d'aboutir à de véritables « patchworks territoriaux » ?
De plus, la délégation de compétences n'est pas de droit : n'assisterons-nous pas à une multiplication des conflits entre les communautés qui demanderont à exercer de nouvelles compétences et les collectivités qui les délègueront, ou non ? Sur quelle base seront résolus ces conflits ? Et je ne pense pas uniquement aux cas dans lesquels des majorités politiques opposées pourraient trouver là un terrain d'affrontement, naturellement stérile. Dans ce domaine, le risque d'instrumentalisation politicienne est évident.
Aussi, messieurs les ministres, mes chers collègues, vous l'aurez compris, pour nous, cet article 101, au demeurant assez révélateur de l'ensemble du texte, soulève de nombreux problèmes de fond.
La discussion requerra la sagesse traditionnelle du Sénat afin que cette nouvelle étape de la décentralisation n'ouvre pas la voie, sous couvert de liberté, à une administration territoriale plus confuse aux yeux des élus locaux et des citoyens, et dont le juge administratif serait un garant sans cesse sollicité.
En ce sens, il n'est pas sûr que le présent texte ouvre la voie à une administration plus efficace et plus économique. De plus, il est à craindre que non seulement il ne contribue pas à corriger les inégalités entre les territoires, mais encore qu'il ne soit source d'inégalités nouvelles entre eux. Avouons qu'il serait dommage de laisser passer l'occasion de mettre en oeuvre cette belle ambition ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Eric Doligé.
M. Eric Doligé. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, sans vouloir paraphraser M. le Premier ministre, je me permettrai de reprendre à mon compte certaines de ses expressions, que je fais miennes, et qui ne pourront que valoriser ma présente intervention : « Ce gouvernement est un gouvernement de missions. Nous sommes des collectivités de missions. Notre feuille de route est claire, nous a-t-il dit hier. Il s'agit d'être au service de nos concitoyens et de répondre au mieux à leurs attentes légitimes, sans être pour autant condamnés à augmenter les impôts locaux. Imposer toujours un peu plus pour assouvir les envies des autres ne doit pas être une fatalité pour un exécutif.
Notre rôle en tant que collectivité est capital dans l'organisation de notre société et nous avons depuis vingt ans accompli des prouesses avant d'être brutalement stoppés, une première fois par le revenu minimum d'insertion, le RMI, puis plus récemment par le poids des 35 heures, de l'allocation personnalisée d'autonomie, l'APA, ou encore des services départementaux d'incendie et de secours.
Vous nous proposez, messieurs les ministres, de repartir sur de bonnes bases, grâce à l'engagement constitutionnel et à la clause de rendez-vous. Je vous fais naturellement confiance, bien que l'Etat nous ait habitués à certaines trahisons par le passé. « Je décide, vous payez », telle était en effet sa méthode.
La confiance n'exclut pas toutefois une profonde vigilance. Entre la volonté claire des ministres et la mise en oeuvre de cette volonté au plus près du terrain, il peut y avoir des adaptations administratives particulièrement coûteuses.
M. le Premier ministre nous a encore dit récemment : « C'est lorsque c'est celui qui ne paye pas qui commande que l'on voit les coûts s'envoler », ce qui, en langage de terrain, se traduit par : « C'est celui qui paye qui doit commander. » Si cette affirmation semble être une lapalissade, elle constituera dans les faits une réelle nouveauté. Nous étions en effet trop habitués, depuis des années, à payer, avec pour unique contrepartie une mise sous tutelle de fait des directions locales de l'Etat. Il règne encore, dans l'attente de l'adoption du présent projet de loi, une véritable omerta d'Etat. A tort, l'Etat local pense tirer son autorité du silence et du secret. C'est là la marque des faibles. Cela ne sera dorénavant plus possible.
Je prendrai un exemple au hasard : les routes nationales. Les départements, associés aux régions, règlent couramment 66 % de la facture, l'Etat se réservant les 33 % à 34 % restants, sans omettre, au passage, de récupérer la TVA, tout en étant le dernier à régler sa part. Comme vous l'aurez calculé, celle-ci ne dépasse pas 15 %.
Assurant 85 % du financement, nous serions donc légitimement fondés à penser que nous pourrions avoir un droit de regard sur les délais, sur les caractéristiques techniques, sur les marchés et sur les difficultés, etc. Eh bien non, la porte nous est fermée ! Le mot transparence fait rarement partie du vocabulaire de l'administration locale de l'Etat. Ce sera bientôt du passé. Quelle révolution ! Que d'espoir ! Quelle marge d'efficacité !
M. le ministre de l'intérieur nous a dit voilà quelques jours : « Je sais que je ne serai pas ministre à vie, et que je ne suis que de passage à cette responsabilité. Je me retrouverai un jour parmi vous et devrai m'appliquer les lois que j'ai présentées. »
M. Gérard Longuet. Nous sommes tous des passagers sur terre !
M. Eric Doligé. Je ne peux que saluer cette clairvoyance, ce réalisme, qui renforcent la confiance que je porte au Gouvernement.
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Il faut bien laisser une place aux autres !
M. Eric Doligé. Enfin, grâce à un texte fort, les portes vont s'ouvrir. Ce projet de loi contient en lui les promesses d'un vent de liberté, même si quelques nuages sont peu à peu venus obscurcir la volonté claire et décentralisatrice du Premier ministre et des deux ministres, ici présents, qui avec lui portent ce texte.
L'intitulé du texte a été modifié. Ce projet de loi est relatif non plus à la « décentralisation », mais aux « responsabilités locales », ce que j'interprète comme suit : pour décentraliser, il faut profondément réformer l'Etat. Or la réforme de l'Etat est quelque peu passée à la trappe. Localement, depuis quelques mois, nous sentons se manifester une forte résistance.
Lorsque l'on interroge les services déconcentrés de l'Etat pour savoir qui s'occupe du RMI, des routes nationales, de la carte scolaire, comme par enchantement, il n'y a plus personne ! Finalement, tout cela se faisait jusqu'à présent naturellement et sans moyens. Il n'y aurait donc pas grand-chose à transférer, hormis les charges. Vous devrez, avec nous, être vigilants sur ce sujet.
Comme vous le savez, de nombreux amendements ont été déposés sur ce texte. Vous-même, comme M. le Premier ministre, avez ouvert la porte du dialogue. Vous constaterez que votre majorité a su saisir cette main tendue. C'est une grande première pour une majorité ! (Sourires.)
Pour ma part, je me situe non pas dans un schéma de compétition entre les niveaux de collectivités, mais dans une complémentarité, une subsidiarité et une solidarité. Pour que ces grands principes soient appliqués, il ne doit en aucun cas exister de risques de tutelle ou de blocage. Je ne peux en effet envisager qu'un niveau puisse être en mesure, par son inaction, d'en bloquer un autre.
Avant-hier, les six présidents des départements de la région Centre, dont je fais partie, ont été conviés à une réunion particulièrement surréaliste de « revoyure » - quel joli terme ! - du contrat de plan Etat-région. Ce fut probablement la plus belle partie de poker menteur à laquelle il nous fut donné d'assister.
Tout fut organisé pour que rien ne bouge. Dès que le préfet avançait, le président de la région reculait, et vice-versa. En définitive, les départements, invités dès 2002 à financer, mais non à négocier, ont une fois de plus été les dindons de la farce. Cela peut être également vrai dans l'autre sens. Peut-être est-ce là une exception locale. Mais veillons à ce que le présent texte n'entérine pas l'inexistence de la plus grande région française.
Ne pêchons pas par angélisme ou par naïveté. Le projet de loi doit définir sans aucune ambiguïté les rôles respectifs de l'Etat, des régions, des départements, des communes ou de leurs groupements.
Les amendements permettront de bien préciser par des mots le fond de la pensée de chacun. C'est à nous de dire ce que nous voulons, et non à l'administration d'interpréter notre pensée, sinon elle le fera naturellement à son avantage. Des précisions me seront nécessaires sur l'économie, les routes, le transport, l'enseignement ou encore le logement.
Messieurs les ministres, merci de nous avoir apporté l'espoir de retrouver enfin l'efficacité, mais il faut afficher une véritable volonté de réformer l'Etat. C'est là une chance inespérée de regagner la confiance des citoyens. Offrez aux collectivités un autre horizon que celui d'être condamnées à augmenter les impôts afin de satisfaire des visées politiciennes, comme ce fut le cas il n'y a pas si longtemps. La Constitution nouvelle doit enfin nous rassurer. Donnez à la base de l'Etat des instructions pour qu'elle joue le jeu. La décentralisation doit en effet se faire à la base, au plus près du terrain.
Comme vous l'avez compris, ma confiance est totale, mais mes attentes sont fortes. Dans cet esprit, vous avez tout mon soutien, ce qui n'est pas une nouveauté. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Yves Dauge.
M. Yves Dauge. Monsieur le président, messieurs les ministres, j'interviendrai sur le titre VIII du projet de loi, qui porte sur les missions et l'organisation de l'Etat, pendant naturel de la décentralisation, tout le monde, y compris vous et M. le Premier ministre, l'a dit.
Il est vrai que, sur ce chapitre - sans méconnaître l'intérêt d'un article concernant le rôle du préfet de région -, nous restons un peu, vous en conviendrez, sur notre faim. Sans doute une suite viendra-t-elle, mais il existe, c'est vrai, un grand déséquilibre entre, d'une part, un projet de décentralisation que vous voulez mobilisateur - c'est en effet une grande cause - et, d'autre part, le chapitre « réforme de l'Etat », qui est pratiquement vide !
J'irai même un peu plus loin, messieurs les ministres, en vous disant, sans intention d'être désagréable, que la manière dont vous avez abordé cette question - et je me fais ici l'écho de mon collègue Eric Doligé - a créé un malaise au sein des administrations.
Pour elles, qui ont souvent le sentiment de n'être guère aimées, la décentralisation signifie d'abord le transfert de certains fonctionnaires. Pourquoi pas un tel transfert, en effet ? Encore faut-il veiller à la manière dont on le fait. Elle signifie ensuite réduction du nombre de fonctionnaires. Là encore, pourquoi pas, à condition d'en discuter sérieusement, car ce sujet est difficile. Enfin, elle veut dire traitement au mérite.
Je vous le dis en toute franchise, car je suis en contact avec les administrations, aborder le sujet de cette façon, c'est, que vous le vouliez ou non, vous placer d'entrée de jeu dans une situation difficile pour mener à bien une réforme de l'Etat. Je vous invite donc à changer de méthode vis-à-vis des administrations. En effet, lorsqu'il s'agit de réformer l'Etat, tout le monde est d'accord, mais l'on se comporte ensuite de manière telle avec les administrations que l'on se trouve alors dans une situation de blocage ou, pour le moins, de crispation.
Je plaide donc en faveur d'une réforme qui soit aussi mobilisatrice pour l'Etat que pour les collectivités territoriales. Tel est d'ailleurs notre voeu à tous. Mais nous avons pris, et depuis longtemps, un retard considérable. Je ne dis pas que ce retard date de votre arrivée, mais les choses ne se sont pas arrangées depuis, malgré votre volonté manifeste de réformer l'Etat, messieurs les ministres.
Je ne parlerai pas ici des prérogatives de l'Etat, mais je vous rappellerai les mots du Premier ministre : « sécurité, armée, justice ».
Mais tel n'est pas l'objet de mon propos, qui portera sur le rôle majeur que l'Etat doit jouer dans les politiques nationales qui font l'objet d'une décentralisation, politiques à la réussite desquelles nous souhaitons que les communes et leurs groupements, les départements et les régions participent plus activement, en ayant plus de responsabilités.
On a en effet souvent l'impression que la décentralisation équivaut pour l'Etat à abandonner son rôle dans la mise en oeuvre d'une politique nationale, par exemple en matière de patrimoine, d'environnement, d'urbanisme ou d'aménagement du territoire. Telle est ma préoccupation : comment faire en sorte que, malgré la décentralisation, l'Etat demeure un acteur majeur et ne devienne pas - le risque est grand, messieurs les ministres - un simple contrôleur ?
Il est vrai en effet que nous faisons tous face à un nombre de plus en plus élevé de contentieux. Il est vrai aussi que, pour différentes raisons - circulaires européennes, niveaux de sécurité requis en matière d'équipements, multiplication des normes -, la demande de contrôle est forte.
Si nous n'y prenons pas garde, l'Etat ne remplira plus le rôle qui doit être le sien s'agissant des politiques nationales, le contenu de son message s'en trouvera asséché. Il deviendra un Etat contrôleur. Il ne faudra pas alors s'étonner du fort rejet qu'il suscitera de la part des administrations, notamment des préfectures et des sous-préfectures qui exercent le contrôle de légalité. L'enjeu est, à mon avis, considérable.
Si nous voulons être opérationnels sur ce sujet, il faut poser de façon très ambitieuse le problème de l'organisation de l'Etat, notamment au niveau des régions, parce que c'est bien là que vont se rencontrer la politique nationale voulue par l'Etat et la décentralisation avec ses relais puissants que sont les collectivités locales.
Il faut donc absolument que l'Etat s'organise et renforce ses services. Le fait que vous fassiez du préfet de région un coordonnateur des politiques ayant un champ de compétences plus vaste est une excellente chose. Mais il ne dispose pas d'un personnel suffisant pour assurer une telle mission. Par conséquent, je pense que vous serez d'accord avec moi pour dire qu'il faut aussi, si nous voulons réussir nos politiques nationales, renforcer les secrétariats généraux pour les affaires régionales, les SGAR, ainsi que les directions qui travaillent sur des sujets d'avenir : je pense aux directions régionales de l'industrie, de la recherche et de l'environnement, les DRIRE, ainsi qu'aux directions régionales de l'environnement, les DIREN. Ce sont des créations positives de ces dernières années.
Je pense encore aux directions régionales des affaires culturelles. Dieu sait si nous nous inquiétons quelquefois de leur affaiblissement alors qu'une politique nationale de la culture reste un enjeu partagé par tous !
Monsieur le ministre, je voudrais bien que, sur ces questions-là, vous nous apportiez au cours du débat, ou dans d'autres lieux, des éclaircissements, et que vous nous montriez que vous avez des propositions à faire, y compris en matière de restructuration des services dans les départements.
Il y a longtemps, c'est vrai, que l'on se demande ce qu'il faut faire dans les départements des directions départementales de l'agriculture, les DDA, et des directions départementales de l'équipement, les DDE.
Comment l'Etat va-t-il reconstituer ses services et comment les départements organiseront-ils de façon plus claire leurs services en fonction des compétences anciennes qu'ils avaient et des compétences nouvelles qu'ils recevront ? Il y a, autour des DDA et des DDE, un malaise qu'il faut absolument régler. Cela fait partie du sujet d'aujourd'hui, comme l'a dit notre collègue Doligé, dont je me fais l'écho. Si l'on ne clarifie pas ces points, nous nous mettrons tous dans une situation de non-efficacité et de non-clarté que nous ne souhaitons pas.
M. Puech a fait observer tout à l'heure que nous étions tous opposés à ces forces de résistance qui bloquent : les technostructures. S'il est vrai que, sur toutes les travées, elles nous agacent, je crains - je le dis à M. le ministre et à tous nos collègues - qu'elles ne nous concernent aussi car, sans vouloir être injurieux à l'égard des collectivités territoriales que nous représentons, il nous arrive, aux uns et aux autres, d'être au coeur d'une technostructure locale qui n'a rien à envier à celle de l'Etat !
Cessons par conséquent de faire un procès constant à l'Etat sous prétexte que les administrations sont technocratiques ! Personnellement, j'ai avec les administrations - nos collègues qui sont ici peuvent en témoigner - une relation nullement marquée par une technocratie absolue ! Les administrations ont beaucoup évolué et il faut le dire pour ne pas donner à penser que, du côté des collectivités, il y a les bons, mais que, du côté de l'Etat, la situation est tellement épouvantable qu'il faut détruire les administrations et vite décentraliser afin que tout le monde soit content. Ce serait caricatural. Evitons de tomber dans ce piège, mais on n'en est pas loin ! Je mets en garde contre ce simplisme-là, qui est très dangereux pour la cause que nous défendons. Je vous remercie. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Etienne.
M. Jean-Claude Etienne. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, rarement un projet de loi a été aussi important et aussi déterminant pour la vie d'une nation. Il s'agit de faire entrer la France dans la modernité, d'offrir aux forces vives de ses territoires la possibilité, enfin, de prendre des initiatives.
Pas plus tard qu'hier, à Poitiers, autour de MM. Raffarin et Schroder, les élus de nos régions se retrouvaient avec leurs homologues allemands des Länder. On a pu mesurer combien ce projet de loi relatif aux responsabilités locales en France arrivait à point nommé. Il n'y avait pas là de représentants des régions espagnoles ou italiennes, qui peuvent se prévaloir de la possibilité de prendre des initiatives d'importance.
Oui, ce projet va dans le bon sens, celui d'une remise à niveau en France des responsabilités locales au regard de ce qui existe dans les pays les plus dynamiques en Europe.
Messieurs les ministres, je voudrais vous remercier des nombreuses réunions de concertation qui ont eu lieu avec les représentants des collectivités territoriales. Il vous est d'ailleurs arrivé - je l'ai vu dans vos regards, parfois ! - de vous interroger sur le manque d'appétence pafois avéré de ces collectivités locales en matière de ressources. Elles sont d'accord pour se faire « repasser des bébés », mais elles craignent de ne pas avoir les biberons remplis à la mesure nécessaire pour les nourrir. (Sourires.) Pourtant, jamais projet de transfert n'a été accompagné d'autant de garanties. Mais chat échaudé craint l'eau froide. Compte tenu de la façon dont ont été effectués certains transferts, notamment au niveau des régions, nous avions quelques raisons d'avoir des appréhensions !
Mais le balisage est réalisé au mieux par la donne constitutionnelle. Comme nous n'y étions pas habitués, il nous a fallu quelque temps pour nous reprendre et pour mesurer que, dans ce domaine, pour une fois au moins, les ressources devaient nous être garanties, et nous y comptons bien !
Parmi les nombreux secteurs où les envies de « gourmandises » exprimées par les collectivités locales - notamment les régions - ont été particulièrement effrénées, il en est un, singulier, dont je voudrais pourtant souligner l'importance : celui des questions de santé, qui concernent l'économie et l'aménagement du territoire, compétences désormais reconnues aux régions.
S'il y a des politiques nationales qui ne peuvent être véritablement opérationnelles sur le terrain que dans la mesure où elles prennent en compte les spécificités et les disparités régionales, c'est bien dans le domaine de la santé !
Aucune collectivité, et singulièrement pas les régions, ne peut prétendre organiser une politique générale sans prendre en compte la plus transversale de toutes les préoccupations de nos concitoyens, celle qui, dans tous les sondages, arrive en tête de leurs priorités : la santé. Il y aurait un manque de pertinence dans l'action régionale à ne pas intégrer cette volonté partagée par tous nos concitoyens.
Le texte qui nous est proposé apporte des éléments de réponse importants, notamment au chapitre IV, qui a trait à la santé. Ne serait-ce que sur le terrain des compétences nouvelles, il permet aux régions de prendre place dans un paysage institutionnel complexe - DRASS, DDASS, ARH, URCAM, URML,... -, mais avec le rôle de catalyseur qui leur est désormais reconnu.
C'est la voix consultative, au sein des ARH, des partenaires recherchés ; c'est la fameuse voix délibérative pour assurer l'accompagnement de certains projets en matière d'équipements qui peuvent prendre un relief particulier dans telle ou telle région.
C'est aussi, et peut-être surtout, le rôle que les régions vont pouvoir jouer en matière de réduction des inégalités d'accès aux soins, en corrigeant par des politiques de prévention régionalement ciblées les disparités que l'on peut noter sur le territoire de l'Hexagone.
Ce projet de loi relatif aux responsabilités locales est aussi, en matière de santé, une invite à expérimenter sur le terrain des initiatives que la procédure d'expérimentation locale peut porter, aussi bien d'ailleurs dans ses dimensions communales ou intercommunales que départementales déjà reconnues - notamment dans le secteur sanitaire et social - mais aussi régionales.
Notre pays, qui est en retard en Europe pour la prévention en matière de santé - cela a été souligné tout à l'heure par le président du conseil général de Languedoc-Roussillon -, se doit d'entreprendre, comme le président de la République et le Premier ministre le souhaitent, une politique offensive trop longtemps laissée pour compte au cours de ces dernières décennies.
L'expérimentation, corollaire de ce projet de loi, offre, notamment pour la déclinaison en région de certaines politiques, des possibilités d'adaptation nécessaires, sans lesquelles la performance nouvelle recherchée dans ces secteurs ne sera jamais obtenue.
On le sait tous, les politiques nationales de prévention de santé n'ont un véritable caractère opérationnel que dans la mesure où elles sont correctement déclinées au niveau régional. C'est vrai ailleurs. Pourquoi cela ne serait-il pas vrai chez nous ? Les maladies cardio-vasculaires, les cancers colorectaux, les cancers gastriques sont très inégalement répartis sur le territoire. Et je ne parle pas du suicide, notamment du suicide des jeunes, dont le taux peut varier considérablement d'une région à l'autre.
Il nous faut des adaptations régionales, des expérimentations, pour relancer en France cette politique de prévention nationale, et hisser notre pays afin de compenser le retard qui est le sien. Ce projet de loi nous offre des possibilités dans ce domaine. Ce serait nier les réalités du terrain que de pratiquer autrement.
Messieurs les ministres, je voulais simplement vous dire ma reconnaissance, en tant que médecin, pour les perspectives qui nous sont ainsi offertes, non seulement en matière de santé de nos concitoyens - je n'ai abordé que ce point, car c'est celui que je connais le moins mal ! -, mais aussi dans d'autres domaines.
Nous sommes un certain nombre d'élus à penser que ce projet de loi constitue une nouvelle chance pour que, parmi les nations du monde, notre pays soit respecté et entre résolument dans la modernité ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Merci !
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Patrick Devedjian, ministre délégué. Monsieur le président, monsieur le ministre, mesdames, messieurs les sénateurs, au terme de cette discussion générale, qui a permis d'entendre, outre le Gouvernement, six rapporteurs et trente-quatre orateurs, je voudrais remercier le Sénat dans toute sa diversité, y compris ceux qui ont été critiques ou, de mon point de vue, injustes,...
M. Jean-Pierre Sueur. Quelle mansuétude, monsieur le ministre !
M. Patrick Devedjian, ministre délégué. ... de l'intérêt qu'il a porté à ce texte et par là même de la reconnaissance de son importance décisive pour l'avenir de l'organisation publique dans notre pays.
Je répondrai tout d'abord au rapporteur, M. Jean-Pierre Schosteck.
M. Gérard Longuet. Très bien !
M. Patrick Devedjian, ministre délégué. Son important rapport, dont le premier volume, à lui seul, fait plus de cinq cents pages, représente un énorme travail de commission. Sur les 1 272 amendements qu'elle a examinés, beaucoup, comme l'a fait observer Eric Doligé, émanent de la majorité, mais il y a aussi des amendements de l'opposition.
Je confirme, si tant est que je puisse le faire, les propos de M. le Premier ministre.
Le Gouvernement aborde le débat avec un grand esprit d'ouverture et ne retient qu'un seul critère : les amendements - M. le ministre de l'intérieur l'a affirmé hier - qui iront dans le sens du projet de loi et qui tendront à l'améliorer seront accueillis par le Gouvernement avec un maximum de compréhension.
M. Jean-Pierre Schosteck a parfaitement mené à bien sa tâche en commission et son rapport illustre éloquemment le travail accompli. Les rapporteurs pour avis ont également apporté une importante contribution. MM. Philippe Richert, Georges Gruillot, Mme Annick Bocandé, M. Michel Mercier et le président de la délégation à l'aménagement du territoire, M. Jean François-Poncet, ont soulevé un certain nombre de problèmes ponctuels qui seront étudiés à l'occasion de l'examen du texte, et la plupart des amendements qui ont été déposés seront certainement de nature à apporter des précisions, et donc cette clarté qui a très souvent été demandée.
J'ai surtout été frappé par les travaux du groupe de travail sur la péréquation, dont M. Jean François-Poncet nous a parlé hier soir. J'ai regretté que nous n'ayons pas encore reçu, au courrier de ce matin, le rapport annoncé, parce que nous avons, en effet, été alléchés hier par les conclusions qui semblent être les siennes. (Sourires.)
Je vais maintenant m'efforcer de répondre aux nombreuses questions posées par chacun des orateurs.
M. Demilly a demandé que les ressources transférées soient réactualisées chaque année. C'est évidemment une utopie ! Quoi qu'il en soit, son soutien à ce projet de loi est apprécié du Gouvernement - je le dis très naturellement. Je ne crois pas que les compétences transférées soient réévaluables chaque année en fonction des besoins. C'est d'ailleurs pour cette raison que le Gouvernement a envisagé de financer les compétences transférées par la fiscalité. En effet, la fiscalité, sous la responsabilité des collectivités locales, est évolutive et permet des adaptations.
Certes, il faut que le transfert soit loyal, et j'y reviendrai tout à l'heure. Mais l'évolution des compétences transférées, l'évolution des besoins, trouve sa contrepartie dans l'évolution de la fiscalité et du produit fiscal.
Monsieur Peyronnet, en dépit d'une modération de ton...
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Inhabituelle !
M. Patrick Devedjian, ministre délégué. ... et de l'agrément de votre propos, vous vous êtes montré injuste envers le Gouvernement. (M. Bernard Frimat proteste.) Monsieur Frimat, si vous me le permettez, j'ai relevé au sein de la gauche une contradiction éloquente,...
M. Jean-Pierre Sueur. Une seulement ?
M. Patrick Devedjian, ministre délégué. Bien des contradictions !
M. Bernard Frimat. C'est rassurant !
M. Patrick Devedjian, ministre délégué. Mais il en est une qui est éloquente et je résiste difficilement à la tentation d'en faire la démonstration.
Monsieur Peyronnet, je vous citerai parce que je veux être rigoureux. Vous avez stigmatisé « le régionalisme outrancier du Premier ministre, qui va faire des dégâts, la région étant mise à toutes les sauces ».
M. Josselin de Rohan. Quelle horreur !
M. Patrick Devedjian, ministre délégué. Et j'ai observé que vous aviez écouté religieusement M. Mauroy,...
M. Jean-Pierre Sueur. Et laïquement ! (Sourires.)
M. Gérard Longuet. Avec révérence !
M. Patrick Devedjian, ministre délégué. ... laïquement, naturellement, qui s'est constamment référé à vous pour illustrer son propos et qui reproche au contraire au Gouvernement de ne pas donner toutes ses chances à la région. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
Le groupe socialiste devrait essayer de se mettre d'accord sur son argumentation. Ce serait un minimum !
M. Jean-Pierre Sueur. On s'en expliquera !
M. Patrick Devedjian, ministre délégué. D'après vous, monsieur Peyronnet, le Premier ministre pratiquerait, d'une manière générale, l'intégrisme décentralisateur. Sur ce point aussi, M. Mauroy a tenu un discours tout à fait contraire, puisqu'il a parlé de déception. En entendant M. Mauroy, j'avais surtout le sentiment d'entendre quelqu'un exprimer un certain dépit. La décentralisation, qui est devenue une grande fille - elle a vingt ans -, convole malheureusement avec d'autres que ceux qu'espérait M. Mauroy. Cela lui procure bien évidemment quelque déception !
Aujourd'hui, la décentralisation, c'est nous qui la faisons. Il est vrai, monsieur Peyronnet, que nous avons été, à droite, un peu contraints, déçus, de vous entendre dire que nous étions les « ralliés » de la décentralisation. Ce n'est ni très gentil ni très juste !
Puisqu'il faut mettre les choses au point, rappelons-les.
En 1969, c'est le général de Gaulle qui, après mille ans de centralisme - le centralisme a commencé avec Hugues Capet (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC) -,...
M. Jean-Pierre Sueur. Cela a commencé avec Ramsès II ! (Sourires.)
M. Ivan Renar. Charlemagne !
M. Patrick Devedjian, ministre délégué. ... a relancé le processus de décentralisation. Il a échoué, mais le parti socialiste et la gauche tout entière y ont contribué pour une bonne part, et Gaston Defferre lui-même a voté contre la décentralisation du général de Gaulle !
M. Adrien Gouteyron. Eh oui ! C'est une belle leçon d'histoire !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. N'oubliez pas le rôle du Sénat !
M. Patrick Devedjian, ministre délégué. En 1982, nos amis - je ne les désavoue pas - ont eux aussi voté contre la décentralisation.
M. Gérard Longuet. Parce qu'elle n'était pas assez ambitieuse ! (Sourires.)
M. Patrick Devedjian, ministre délégué. Nous sommes ainsi, nous les Gaulois : nos passions politiques sont plus fortes que nos convictions.
Aujourd'hui, vous n'échappez pas à cette règle. Tout est en ordre. Vous allez voter également contre vos convictions, c'est-à-dire contre notre projet de décentralisation, en essayant d'en réduire la portée. Mais cette portée est tout de même ce qu'elle est. C'est pour cette raison que vous en êtes venus à dire, par exemple, sur le RMI-RMA, que le dispositif n'était pas satisfaisant. Je vous ferai observer que le RMI ne figure pas dans le texte. Bien sûr, il est un élément de l'ensemble du projet du Gouvernement, et nous l'assumons.
Vous avez déclaré, à plusieurs reprises, que la réforme de l'allocation de solidarité spécifique, l'ASS, aurait des conséquences et que, d'une certaine manière, la loyauté à laquelle nous nous sommes engagés, s'agissant de la compensation, serait une vaine promesse. Nicolas Sarkozy vous a répété hier avec force - et j'espérais que cela avait été entendu, puisqu'il l'a dit avant que n'interviennent tous les orateurs - que le Gouvernement voulait une clause de rendez-vous pour dresser un bilan à l'issue de l'année prochaine, et qu'il en serait tenu compte.
Ce n'est pas seulement un voeu pieu. Il a été dit, à plusieurs reprises, que chat échaudé craint l'eau froide. Toutefois, une garantie constitutionnelle est maintenant prévue (Exclamations sur les travées du groupe socialiste) à peine de nullité.
J'ai été un peu déçu d'entendre, de la part de sénateurs avisés, comme M. Bernard Frimat, que cette garantie constitutionnelle était factice, que nos lois ne prévoyaient pas de mesures financières pour compenser le transfert de compétences envisagé dans la loi portant décentralisation en matière de revenu minimum d'insertion et créant un revenu minimum d'activité ou dans le texte qui vous est soumis.
Vous avez également critiqué le fait que le chiffre était variable : entre 11 et 13 milliards d'euros. Dans le même temps, vous ne tenez pas compte du fait que le dispositif financier que nous mettons en place instaure une véritable garantie, ce qui n'était pas le cas antérieurement.
Tout d'abord, aux termes de la loi organique relative aux lois de finances, les dispositions financières doivent figurer dans la loi de finances, et c'est une bonne chose. Vous avez pu vérifier que, s'agissant du RMI, elles y étaient bien ! Ensuite, le projet de loi prévoit - c'était presque superfétatoire, car c'était une évidence juridique - que si les financements ne sont pas assortis de mesures prévues par la loi de finances, le nouveau dispositif ne pourra pas entrer en application. C'est, là aussi, une vraie garantie qui vous est offerte.
Je comprends que le Sénat soit échaudé par le passé ; cela a été dit sur l'ensemble des travées. Mais il faut quand même se souvenir que la décentralisation de 1982 n'offrait pas toutes les garanties qui se trouvent dans le projet de loi qui vous est soumis : il y en a beaucoup plus !
Je veux simplement les rappeler. Tout d'abord, l'article 72-2 de la Constitution donne une véritable garantie. Certes, on peut dire qu'elle n'est pas suffisante, que l'on verra quelle sera la jurisprudence du Conseil constitutionnel, mais, avant, aucune garantie n'était prévue ! Ensuite, il y a la question de l'évaluation. Il existait une commission d'évaluation qui, dans la pratique, a plutôt déçu. Là aussi, Nicolas Sarkozy vous a assurés hier, offrant ainsi une véritable garantie, que le Gouvernement se ralliera, dans le cadre de la discussion des amendements, au dispositif d'évaluation qui recevra la faveur du Sénat.
On ne peut donc pas être de meilleure foi : c'est vous qui allez déterminer comment sera réalisée l'évaluation.
Nous avons également annoncé - et cela figure déjà pour partie dans le projet de loi de finances - la façon dont seront financées les compétences transférées. Elles le seront par la taxe intérieure sur les produits pétroliers, la TIPP, et par la taxe sur les conventions d'assurance, la TCA.
Il y a l'engagement du Gouvernement, la clause de rendez-vous. Nous avons également organisé une concertation, qui, permettez-moi de le dire, était parfois assez virile, avec les destinataires des compétences transférées. Ils veulent, en effet, que les choses soient solidement établies, car ils se méfient. Cette concertation elle-même est un instrument de garantie.
Sur la question de l'année de référence pour l'évaluation des compétences, Nicolas Sarkozy vous a dit que c'est vous qui choisiriez, par voie d'amendements, le système de référence. Car, que l'on retienne la dernière année ou les trois dernières années, on est de toute façon taxés de turpitudes ou, à tout le moins, d'arrière-pensées. Vous choisirez donc l'année de référence. Là encore, je vois difficilement comment le Gouvernement pourrait montrer de meilleure façon sa bonne foi.
Tout cela n'était pas prévu dans les lois de 1982, 1983 et 1985. C'est donc, de ce point de vue, en termes de garanties financières offertes, un véritable progrès.
Je répondrai également à tous les arguments qui on été avancés sur la question de l'intercommunalité.
J'ai entendu en particulier M. Mauroy, mais aussi bien d'autres orateurs, nous expliquer que l'intercommunalité était une vraie déception. Là aussi, très honnêtement, cela me paraît profondément injuste. Permettez-moi de vous rappeler les mesures dont bénéficie l'intercommunalité.
Il s'agit, d'abord, d'un certain nombre de dispositions que M. Mauroy a bien voulu qualifier lui-même de « bienvenues » et qui sont de nature à faciliter le développement des intercommunalités. Ce sont toutes les mesures relatives à la fusion, la transformation des syndicats intercommunaux, les fonds de concours et l'intérêt communautaire. Là encore, le Gouvernement a indiqué qu'il serait ouvert à tous les amendements qui viseraient à faciliter la vie et le développement de l'intercommunalité.
Il s'agit, ensuite, du transfert aux intercommunalités de l'aide à la pierre. M. Jean-Paul Alduy en a fait une juste appréciation en disant que c'était une étape considérable. Ce transfert concerne le logement universitaire, c'est-à-dire le logement social, car le logement universitaire n'est qu'une variante du logement social. Des amendements prévoient également le transfert des crédits de rénovation urbaine aux EPCI. Peuvent leur être attribués, à leur demande, les monuments historiques, les ports et les aéroports, le droit à l'expérimentation, le droit à être chef de file, deux droits qui sont reconnus par la Constitution. Il est donc inexact de dire que la réforme constitutionnelle a ignoré l'intercommunalité.
Tout cela forme un ensemble important, y compris s'agissant de la référence à la commune. A cet égard, je me tourne vers Daniel Hoeffel pour lui dire que, naturellement, le Gouvernement a écouté avec intérêt son discours sur la commune, pilier de l'organisation administrative française et fondement de notre démocratie. C'est au sein de la commune que les Français ont appris la liberté. Le Gouvernement acceptera donc bien volontiers les amendements tendant à marquer ce rôle de la commune.
S'agissant de l'intercommunalité, le seul point de divergence qui subsiste porte sur le suffrage universel. Quand M. Mauroy déclare, ici ou à Cherbourg, qu'il est déçu en ce qui concerne l'intercommunalité, cette déception porte sur le passage au suffrage universel pour l'élection des intercommunalités.
M. Jean-Jacques Hyest. On en a débattu il y a un an et demi !
M. Patrick Devedjian, ministre délégué. Ce n'est pas sérieux ! Tout d'abord, la gauche elle-même, en 2001, lors de l'examen du projet de loi relatif à la démocratie de proximité en commission mixte paritaire, a renoncé au suffrage universel, et elle a eu raison. En effet - et j'ai déjà eu l'occasion de l'expliquer à M. Mauroy -, pour les communes, les choses ne sont pas mûres : les maires des petites villes auraient le sentiment de perdre leur légitimité démocratique si la communauté de communes était élue au suffrage universel.
J'ai cru comprendre que la gauche voulait bien convenir que, pour les communautés de communes, ce n'était pas opportun. Mais, dit-elle, il reste les communautés d'agglomération et les communautés urbaines : rien ne s'oppose à une élection au suffrage universel. C'est sur ce point que porte le désaccord.
Je voudrais dire pourquoi, à mon sens, nous ne pouvons prévoir cette mesure.
S'agissant des communautés d'agglomération, les choses sont assez simples : il est vrai que l'intercommunalité a connu un élan décisif depuis la loi de 1999, et il est non moins vrai que nous sommes dans un mouvement tout à fait extraordinaire qu'il faut favoriser et qui est très porteur d'avenir.
Cependant, ce mouvement, précisément, est très récent : il a quatre ans. Or près de la moitié des communautés d'agglomération ont un pacte fondateur qui n'est pas proportionnel à leur démographie. C'est le résultat raisonnable d'un compromis politique entre les adhérents d'une même intercommunalité : souvent, la ville-centre a accepté d'avoir des droits de vote moindres que ceux que sa population aurait pu lui donner.
Si nous passons au suffrage universel direct - un homme, une voix -, le pacte fondateur d'origine explose, et ce moins de quatre ans après la fondation de ces organes. C'est une folie ! Par votre impatience, vous conduirez à l'échec les intercommunalités, que tout le monde veut voir réussir. (M. Philippe Richert applaudit.) Faut-il changer la règle du jeu alors que les choses fonctionnent et que, simplement, l'on est impatient ?
Il reste les communautés urbaines, pour lesquelles se pose simplement un problème d'ordre constitutionnel : peut-on faire le choix, parmi les intercommunalités, d'une sous-catégorie d'intercommunalités pour passer au suffrage universel ? J'en doute fortement, monsieur Dreyfus-Schmidt, et vous qui êtes juriste vous devriez vous interroger sur les incidences constitutionnelles d'une telle mesure.
C'est la raison pour laquelle nous n'avons pas progressé sur cette question. Mais le temps viendra où nous pourrons le faire. Si c'est la seule chose que vous ayez à nous reprocher sur l'intercommunalité, ce n'est pas important.
Enfin, sans prolonger les débats, je souhaite indiquer que, souvent, on n'a pas pris la juste mesure de notre attitude à l'égard des lois de décentralisation de Gaston Defferre, qui sont de bonnes lois, qui ont acclimaté la décentralisation en France et qui ont permis d'aboutir en particulier au projet de loi dont nous débattons aujourd'hui. Nous rendons cette justice à Gaston Defferre et je pense qu'il y a une forme d'élégance de notre part à le dire, après que, effectivement, nos amis politiques ont combattu ces lois de décentralisation. Alors, nous traiter de « ralliés », parce que nous avons cette élégance, c'est en manquer soi-même, permettez-moi de vous le dire. Cette élégance, vous ne l'avez pas à l'égard du général de Gaulle, car vous pourriez reconnaître qu'il a eu raison avant tout le monde.
Malgré l'hommage que je rends volontiers à Gaston Defferre, je tiens à dire que la réforme qu'il a mise en oeuvre est tout de même plus limitée que celle que nous vous proposons aujourd'hui.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Effectivement !
M. Patrick Devedjian, ministre délégué. Nous avons d'abord procédé à une révision constitutionnelle, afin d'inscrire la décentralisation dans la durée. Ensuite, nous avons engagé une très large concertation. Gaston Defferre n'a effectué aucune consultation ! Il a peut-être eu raison sur un plan tactique - sans doute était-ce plus facile ! -, mais j'ai observé qu'il a rencontré de nombreuses difficultés pour faire aboutir son texte, y compris au sein de sa propre majorité. En effet, un certain nombre de dispositions qui étaient annoncées, telle la régionalisation de l'université, ont été abandonnées en cours de route, car, parmi ses propres amis, les décentralisateurs n'étaient pas si nombreux que cela.
M. Jean-Pierre Sueur. Les vôtres étaient absents !
M. Patrick Devedjian, ministre délégué. Nous, c'est très simple, ils étaient contre, comme vous l'êtes aujourd'hui ! La situation est rigoureusement la même !
M. Jean-Pierre Sueur. Non !
M. Patrick Devedjian, ministre délégué. Nos erreurs ne vous servent à rien !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Si !
M. Patrick Devedjian, ministre délégué. C'est d'ailleurs normal : les erreurs des uns ne servent jamais aux autres. Nous avons donc eu tort en 1982, vous avez eu tort en 2002 et vous avez tort en 2003. Ainsi va la vie !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. L'avenir le dira !
M. Jean-Pierre Schosteck, rapporteur. En 1982, il n'y a pas eu de concertation ! On n'a pas eu le temps de se préparer !
M. Patrick Devedjian, ministre délégué. Quant à la question de la popularité de la décentralisation, je veux vous rafraîchir la mémoire. Vous nous dites que la décentralisation n'est pas populaire. Je vous concède volontiers qu'elle ne mobilise pas les foules, et qu'elle se déroule souvent dans l'indifférence. Malgré tout, elle constitue un progrès considérable. En 1969, la décentralisation a été rejetée par les Français : ils n'en ont pas voulu !
M. Gérard Longuet. C'est trop compliqué !
M. Patrick Devedjian, ministre délégué. A partir de 1982, pendant dix ans, et même un peu plus, on a entendu dire, à tort, que la décentralisation était synonyme de corruption : qu'elle permettait aux élus de se livrer à tous les débordements. C'était d'autant moins vrai que la décentralisation a permis de mettre en place des instruments de contrôle et d'éradication qui n'existaient pas et de révéler une corruption latente.
Au bout de vingt ans, la corruption a considérablement reculé - je ne suis pas angélique : je ne pense pas qu'elle ait disparu -, malgré l'opprobre dont a fait l'objet la décentralisation à cette époque-là.
Le projet de décentralisation que nous vous présentons aujourd'hui n'encourt pas tous les reproches que l'on a alors entendus. Nous sommes donc plutôt en progrès.
Le dispositif est nécessairement complexe puisqu'il s'agit de décentraliser des compétences alors que la situation est déjà compliquée. L'opinion publique ne comprend même pas comment cela fonctionne aujourd'hui. Elle aurait d'ailleurs bien du mérite ! Je prendrai l'exemple du système de dotations des collectivités locales : je serais curieux de connaître - ne serait-ce que dans cet hémicycle - le nombre de personnes qui savent précisément comment cela marche. Par conséquent, on ne peut pas reprocher aux Français de ne pas s'y retrouver ! C'est la complexité invraisemblable de notre système qui en est la cause. Il faudra nécessairement démêler cet écheveau, dont les fils sont fortement enchevêtrés.
Enfin, je voudrais répondre à tout ce qui a été dit sur l'Etat. M. Dauge, par exemple, a regretté que l'Etat ne soit pas suffisamment mis en valeur par la décentralisation, laquelle doit inévitablement - je suis entièrement d'accord avec lui - s'accompagner d'une réorganisation de l'Etat.
Je préciserai d'abord que la loi de décentralisation n'est pas une loi de déconcentration. La question de la réorganisation de l'Etat et de la déconcentration dépasse le cadre de cette seule loi. Pour autant, le présent texte traite du sujet - vous l'avez sans doute remarqué - au travers du rôle du préfet. La loi constitutionnelle avait clarifié un point - c'était nécessaire ! - en précisant que le préfet est le représentant de tous les ministres. Au niveau de la coordination des administrations centrales, à l'échelon local, ce n'est pas purement formel.
Par ailleurs, la réorganisation des rapports hiérarchiques entre le préfet de département et le préfet de région, qui était voulue par le ministre de l'intérieur, représente également un grand progrès. Du reste, cette réorganisation n'a pas été toujours très facile à mettre au point, mais elle a produit ses effets.
J'ajoute, mais personne n'en a parlé, ce que j'ai trouvé tout à fait extraordinaire, que la loi contiendra un certain nombre de dispositions sur le contrôle de légalité.
M. Jean-Pierre Sueur. Adoptées par ordonnance !
M. Patrick Devedjian, ministre délégué. Non ! Par voie d'amendement !
M. Jean-Pierre Sueur. Non, par ordonnance, monsieur le ministre !
M. Patrick Devedjian, ministre délégué. Mettez-vous à jour, monsieur le sénateur : la solution avait été effectivement envisagée, vous avez raison, mais elle a été abandonnée car, s'agissant d'une loi pour les élus, elle doit être faite par les élus !
M. Jean-Pierre Sueur. Mais le Gouvernement y était prêt !
M. Patrick Devedjian, ministre délégué. Donc, le contrôle de légalité figure dans le texte, ce qui est indispensable.
M. Gérard Longuet. Très bien !
M. Jean-Pierre Sueur. Attendez que l'amendement soit adopté !
M. Patrick Devedjian, ministre délégué. Nous en sommes arrivés aujourd'hui à une situation de crise, une crise quantitative, du fait de la multiplicité des actes qui, souvent, ne mériteraient pas d'être soumis au contrôle de légalité, une crise qualitative, aussi, du fait de la complexité de certains actes qui exigent de véritables expertises et, finalement, des pôles de compétences très précises.
Je suis bien obligé de dire, tout en reconnaissant d'ailleurs que M. Dauge a fait la part des choses, que personne ici n'a eu le sentiment, depuis que le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin est aux responsabilités, que l'Etat était abaissé ou en voie de régression. Je réponds ici en partie au groupe communiste, qui voudrait nous faire croire que la décentralisation est un avatar du libéralisme et un moyen de faire disparaître l'Etat. Pas du tout ! Il suffit, pour s'en convaincre, de considérer ce qu'a accompli, en termes de réorganisation de la sécurité, M. Nicolas Sarkozy sur l'ensemble du territoire.
Par rapport à la situation que nous avons trouvée, si la délinquance a baissé, ce n'est pas par l'opération du Saint-Esprit, ni par des discours, mais bien par une réorganisation profonde de l'Etat et une présence sur le terrain beaucoup plus efficace, avec des moyens certes, en augmentation, mais pas aussi extraordinairement que cela, compte tenu du contexte budgétaire difficile qui est le nôtre. Ce qui a compté,...
M. Gérard Longuet. C'est l'autorité du patron !
M. Patrick Devedjian, ministre délégué. ... c'est l'ampleur de la réorganisation. Croyez-moi, allez interroger les délinquants, et ils vous diront que l'Etat est de plus en plus présent ! (Très bien ! sur les travées de l'UMP.) Et il le sera davantage encore demain !
En outre, s'agissant de la place de la France sur la scène internationale, le monde entier s'est aperçu que dorénavant la France existe. Non seulement, d'ailleurs, elle existe, mais encore elle est entendue.
Donc, je ne crois pas du tout que la décentralisation, contrairement au mauvais procès que l'on a voulu nous faire, soit l'occasion d'abaisser l'Etat, de le réduire à la portion congrue, et j'ai la conviction, bien au contraire, qu'il s'agit ici de le réhabiliter dans ses missions essentielles.
Dans un rapport récent du ministère de l'intérieur, on peut lire que les préfets doivent présider trois cent cinquante commissions par an ! Or ce n'est pas dans la mission de l'Etat que d'avoir des préfets qui passent leur vie à présider des commissions !
M. Jean-Pierre Sueur. Avec M. Plagniol, cela va sans doute changer !
M. Patrick Devedjian, ministre délégué. Le devoir de l'Etat, c'est d'être stratège, c'est d'être le gardien de la cohésion sociale. Or, précisément, en inscrivant la péréquation dans la Constitution,...
M. Jean-Pierre Sueur. Mais pas dans le budget pour l'année prochaine !
M. Patrick Devedjian, ministre délégué. ... nous avons réhabilité le rôle de l'Etat. Par la péréquation, l'Etat est le gardien de l'égalité et de la cohésion nationale.
M. Gérard Delfau. Nous voulons des actes !
M. Patrick Devedjian, ministre délégué. On nous dit : « Nous voulons voir. Nous voulons davantage. » Si vous vous reportez au projet de loi de finances, actuellement examiné par l'Assemblée nationale, vous pouvez constater que pas moins de dix articles amorcent la première étape de l'organisation de la péréquation et des dotations aux collectivités locales.
M. Jean-Pierre Sueur. Nous en reparlerons !
M. Paul Loridant. Il faut en parler, en effet !
M. Patrick Devedjian, ministre délégué. Attendez : vous pouvez être d'accord ou pas, libre à vous, mais ne dites pas que nous n'avons rien fait et que nous avons ignoré le problème. C'est un tout autre débat !
En tout cas, aujourd'hui, la péréquation, nous la faisons ; la réorganisation de l'Etat, nous la faisons, quand la gauche, elle, n'avait rien fait en ces domaines ! En 1982, vous avez ouvert le débat de la décentralisation, mais vous n'avez pas institué de péréquation ! Jean François-Poncet a dit fort justement que c'était même un souvenir pieux.
C'est donc nous qui avons introduit la péréquation dans la Constitution - ce n'est pas rien - et, même si la majorité change, vous la garderez, et vous regretterez de ne pas l'avoir votée. Vous viendrez dire - comme nous quand nous regrettons aujourd'hui de ne pas avoir voté la décentralisation en 1982 - combien vous aurez eu tort de ne pas voter au moins la péréquation. J'en prends le pari, un jour, vous le direz ! Vous devriez en tenir compte dès aujourd'hui et soutenir notre texte ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)
M. Gérard Longuet. Ils ne le reconnaîtront jamais !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Bravo ! Il fallait le dire !
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.