M. le président. Je suis saisi, par Mme Borvo, M. Renar, Mme Mathon, M. Bret et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, d'une motion n° 450, tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité.
Cette motion est ainsi rédigée :
« En application de l'article 44, alinéa 2, du règlement, le Sénat déclare irrecevable le projet de loi relatif aux responsabilités locales (n° 4 - 2003-2004). »
Je rappelle que, en application de l'article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l'auteur de l'initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d'opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n'excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à M. Ivan Renar, auteur de la motion.
M. Ivan Renar. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, d'emblée, je tiens à vous faire part d'une inquiétude profonde. Quelle est, dès à présent, et quelle sera, à l'avenir, la valeur d'un rappel à la Constitution de notre pays ?
Le démembrement de la République, que vous appelez « décentralisation », monsieur le ministre, et l'accélération de l'intégration européenne proposée par M. Giscard d'Estaing n'auront-ils pas comme conséquence de rendre caducs les principes qui ont fait la force de la République, qui ont forgé son aura dans le monde ?
Ces principes ne s'appellent pas « étatisme », « autoritarisme bureaucratique » et « centralisation ». Ils sont, dois-je le rappeler ?, justice, liberté, égalité et fraternité.
Pourra-t-on affirmer demain la continuité de ces valeurs qui ont vu tant d'hommes s'enthousiasmer, y consacrer leur vie, parfois même la perdre ? Cette espèce de restauration libérale qui est en cours met-elle en danger l'idée même de la République ? Non seulement avec mes amis, mais aussi avec beaucoup d'élus de différents horizons, j'en suis profondément convaincu.
Aussi, l'exception d'irrecevabilité que je défends ne se fonde pas sur les seules dispositions du bloc de constitutionnalité. Elle s'appuie sur l'histoire même de notre démocratie, sur les fondements de notre contrat social.
Cela a déjà été dit lors de la discussion générale : il est temps de cesser de jouer avec les mots. Non, ce texte ne constitue en rien une avancée démocratique au nom de la proximité.
Le Premier ministre ne croyait pas si bien dire lorsqu'il affirmait, ici même, le 29 octobre 2002 : « C'est dans la proximité que doivent s'exprimer les complexités. »
M. Raffarin enfonçait le clou, puisqu'il indiquait : « Je compte sur la Haute Assemblée pour simplifier les textes importants qui ajoutent la complexité à la complexité. »
Le travail de clarification ne va pas manquer, en effet. M. Sarkozy l'a reconnu lui-même devant la commission des lois, même si notre rapporteur, M. Schosteck, a pu, lui, déclarer à la presse que ce projet de loi montrait beaucoup de simplicité et de cohérence.
Il ne s'agit pas d'une simple question de forme. La « République de proximité » constitue un slogan gouvernemental, depuis le discours de politique générale du 3 juillet 2002. C'est dans la proximité que se trouverait l'essence de la démocratie, cette proximité qui, dans une lecture simpliste de la tradition girondine, constituerait une fin en soi pour l'épanouissement de chacun.
La réalité, en fait, est tout autre.
La déstructuration de l'Etat qui est proposée aboutit à une extraordinaire confusion des rôles entre les différents échelons institutionnels, notée par la plupart des observateurs.
Nous allons inévitablement assister à une nouvelle désaffection de nos concitoyens à l'égard de l'action politique, du fait non pas de l'éloignement géographique, mais de la méconnaissance du lieu réel de décision.
Avant, le centre était trop éloigné. Demain, il aura disparu. Il sera partout et nulle part !
Ce projet de loi n'est pas un texte de décentralisation. Il vise à accélérer l'adaptation de notre pays à la poussée libérale. Il tend à faire sauter les verrous posés par deux siècles de progrès social et démocratique.
Votre but, monsieur le ministre, est de déresponsabiliser la collectivité au profit des particularismes.
Quelle est votre potion magique pour briser les solidarités ? La mise en concurrence des territoires ! M. Barrot, président du groupe UMP à l'Assemblée nationale, ne déclarait-il pas en octobre 2002 : « Les territoires doivent être compétitifs » ?
C'est clair, et la messe est dite ! Ce n'est plus la solidarité, l'unité de la République qui prévalent, c'est la loi du plus fort ou du plus prospère.
Ce projet libéral de décentralisation qui, déjà, n'en porte plus le nom - on parle désormais de « responsabilités locales », - a déjà dû essuyer des vents contraires. La forte mobilisation du printemps dernier a modifié le calendrier initial. Le Gouvernement cependant est persévérant, pour ne pas dire têtu. Dans l'exposé des motifs du projet de loi, il continue d'affirmer que ce texte répond à l'attente des citoyens.
Qui peut ici prétendre que la mise en danger mortel de la commune, inscrite dans le projet de loi, correspond à un souhait populaire ? Qui peut dire que la généralisation des péages et la possible privatisation de nouveaux réseaux correspondent à ce souhait ?
Qui peut affirmer sans rougir que la fin du logement social étudiant, programmée par ce texte, répond aux attentes « d'en bas » ?
Qui peut justifier, au nom des intérêts du peuple, la généralisation de la privatisation de services parascolaires, comme la restauration ?
Qui peut se satisfaire des menaces réelles pesant sur l'unicité du service public ?
Ce projet de loi heurte frontalement la conception républicaine de notre pays. C'est bien entendu le principe d'égalité, noeud gordien de la République, qui est attaqué par ce projet de loi.
M. Jean Gicquel, professeur de droit constitutionnel, écrivait au printemps dernier : « Reste que cet ébranlement de la norme législative, nettement accentué pour l'outre-mer, devra impérativement être canalisé pour les futures lois organiques et que l'ensemble aura aussi à se concilier avec l'article VI de la déclaration de 1789, qui proclame que la loi doit être la même pour tous. »
Monsieur le rapporteur, vous affirmez dans votre rapport que « l'égalité n'est pas l'uniformité ». Assurément !
C'est pourquoi je suis, avec mes amis, un farouche partisant de la spécificité, de la valorisation des différences. Dès 1977, par exemple, les parlementaires communistes déposaient une proposition de loi favorable à un essor du rôle des régions.
Nous sommes toujours aux côtés de l'expression des cultures locales et régionales, en un mot, de la diversité des cultures qui fondent ainsi l'exception culturelle. Nous avons une vision plurielle de la collectivité. Mais nous avons aussi un objectif : l'égalité et la mise en commun des solidarités.
Je refuse catégoriquement cette idée de la concurrence insufflée comme valeur fondamentale de notre société, concurrence qui serait la version moderne de l'esprit de clocher.
Votre projet de loi, monsieur le ministre, ne respecte pas l'article VI de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789. (M. Patrice Gélard, vice-président de la commission des lois, s'exclame.)
Il le contourne, il le dénature, il le vide de son sens.
En premier lieu, votre projet de loi accentue les inégalités entre les collectivités locales elles-mêmes. En bon élève de la méthode Coué, vous répétez que la décentralisation réduit les inégalités entre les territoires. Cela ne suffit pas, car la réalité est tout autre.
La mise en concurrence des territoires voulue et affichée comme telle, aura une conséquence bien prévisible : les régions, les départements, les communautés ou les communes à fort potentiel se détacheront plus encore.
Le projet de loi est traversé de dispositions empreintes de cette rupture du principe d'égalité entre les collectivités. J'en veux pour preuve la santé. Les dispositions du texte qui autorisent la région à financer la politique de santé créeront de toute évidence une disparité entre collectivités territoriales sur ce plan.
Ce qui est vrai pour la santé l'est aussi pour le développement économique. Comment imaginer que l'intervention de la région dans ce domaine réduira les inégalités déjà constatées entre les territoires ?
L'absence de clarification dans le domaine de la péréquation, présentée hier comme la solution cruciale, conforte mon inquiétude. Je reviendrai sur ce point.
L'égalité entre les collectivités locales est mise en cause. Mais, au travers de cette compétition entre institutions locales, c'est surtout l'égalité des citoyens qui est contestée.
La rupture d'égalité est inhérente à l'attaque frontale qu'opère le projet de loi contre la notion même de service public.
De toute évidence, le transfert massif de compétences, le transfert de responsabilités de service public vont entraîner une mise en cause grave du principe du traitement équitable des citoyens sur l'ensemble du territoire.
M. Jean-Pierre Raffarin nous répondrait que les inégalités existaient déjà. Il aurait raison, mais elles étaient déjà contestables. Demain, elles seront légitimées par la décentralisation libérale.
Je considère, avec mes amis du groupe communiste républicain et citoyen, que le projet de loi porte atteinte au concept constitutionnel de « service public », à la notion même de « service public constitutionnel » reconnue par la jurisprudence du Conseil constitutionnel s'appuyant tant sur la déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 que sur le préambule de la Constitution de 1946, textes qui font partie intégrante du bloc de constitutionnalité, au même titre que la Constitution de 1958.
Le Conseil constitutionnel, par trois décisions - du 25 juin 1986, du 7 juillet 1986 et du 18 septembre 1988 - a dégagé les notions de « service public exigé par la Constitution » et d'« activité de service public ayant son fondement dans des dispositions de nature constitutionnelle ». Il précise, dans la première décision, que « la nécessité de certains services publics nationaux découle de principes ou de règles de valeur constitutionnelle ».
Cette jurisprudence renvoie à une ancienne mais célèbre décision du Conseil d'Etat, bien connue des étudiants en droit : l'arrêt Heyries, du 28 juin 1918, qui rend l'Etat responsable de la bonne marche des services publics.
M. Patrice Gélard, vice-président de la commission des lois. Ce n'est pas le bon arrêt !
M. Ivan Renar. Cette jurisprudence historique du Conseil d'Etat fut explicitée par l'un des maîtres du droit public français, Léon Duguit. Ainsi le service public doit être considéré comme : « toute activité dont l'accomplissement doit être assuré, réglé et contrôlé par les gouvernants, parce que l'accomplissement de cette activité est indispensable à la réalisation et au développement de l'interdépendance sociale et qu'elle est de telle nature qu'elle ne peut être réalisée complètement que par l'intervention de la force gouvernementale ».
Lorsque l'on croise la jurisprudence récente du Conseil constitutionnel avec la jurisprudence, plus commune, du Conseil d'Etat, on perçoit les menaces dont le texte est porteur à l'égard des services publics reconnus comme constitutionnels.
M. Pierre Esplugas, dans son ouvrage préfacé par M. Georges Vedel, est clair : « Les services publics sont nationaux, dans la mesure où ils sont justifiés, notamment par le souci de faire bénéficier chacun des membres de la collectivité nationale des droits créances proclamés par le préambule de 1946. Ils correspondent donc incontestablement à des intérêts nationaux. Les services publics constitutionnels paraissent à ce titre devoir relever de l'Etat. »
Il serait dommage, monsieur le ministre, mes chers collègues, que ces analyses fines soient abandonnées à la critique rongeuse des souris ! (Sourires.)
D'ailleurs, M. Esplugas précise même que « cette solution n'exclut pas toute intervention des collectivités locales dès l'instant où le caractère unitaire de l'Etat français est préservé ».
Nous y voilà, me direz-vous : ce caractère est-il préservé ? Le doute est pour le moins permis. Qui peut nier les visées fédéralistes de M. Raffarin ? Celui-ci s'est même permis d'infliger un camouflet au Conseil d'Etat qui lui faisait remarquer, à demi-mot, le caractère dogmatique de la modification de l'article 1er de la Constitution par l'ajout d'un concept d'« organisation décentralisée de la République » ?
M. Jean-Claude Peyronnet. Vous voyez que j'ai raison !
M. Patrick Devedjian, ministre délégué. Ce n'est pas le Conseil d'Etat qui fait la loi, tout de même !
M. Ivan Renar. Où en sommes-nous exactement ? Peut-on se fier à un concept tel que celui de la « République unitaire décentralisée », prôné l'an dernier par M. Perben, garde des sceaux ? Faut-il être perdu sur le plan des valeurs pour avancer une formule aussi contradictoire !
La confusion remarquable, et remarquée, entre le droit administratif - « organisation décentralisée de l'Etat » - et l'idéologie - « organisation décentralisée de la République » - ne relève pas du hasard.
Ce dernier concept, dans l'esprit du Gouvernement, autoriserait la mise en cause des services publics nationaux, des services publics constitutionnels, dont on a trop peu parlé, depuis un an.
Les questions de pouvoir entre régions et départements, entre communes et établissements publics de coopération intercommunale, sont importantes, mais elles ne doivent pas masquer ce qui est l'essentiel à nos yeux.
Le texte du 28 mars 2003 vise à créer les conditions d'une mise en cause massive du concept de « service public à la française », concept qui s'oppose, de fait, au « tout-libéral » qui imprègne l'Europe de Maastricht.
Le Gouvernement et la commission me répondront : « Nous ne touchons pas aux prérogatives régaliennes de l'Etat. » Ce vocabulaire est celui d'une conception libérale de l'Etat. La réforme de l'Etat que l'on nous propose, ce n'est pas sa démocratisation, ô combien nécessaire, mais son repli.
Vous vivez encore dans le dogme de la lutte contre l'Etat-providence, et votre but est de revenir à l'Etat-gendarme !
Les compétences régaliennes ne sont pas celles que vous croyez, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur. La Constitution et la jurisprudence du Conseil constitutionnel ont étendu ce concept au-delà de la justice, de la sécurité ou de la politique étrangère.
La souveraineté nationale sera mise en cause si la liberté d'aller et venir est atteinte. C'est le cas avec les transferts de compétences en matière de voirie et la privatisation annoncée de grands réseaux. Ce sont également les services publics constitutionnels, les secteurs de la santé et du logement, la protection sociale, ainsi, bien sûr, que l'éducation.
M. Esplugas, que j'ai déjà cité, l'affirme : « L'intervention du constituant est requise pour supprimer les services publics constitutionnels. Cela nécessiterait des modifications de textes fondateurs de la démocratie constitutionnelle française formés de la Déclaration des droits de l'homme de 1789 et du préambule de 1946, ce qui semble, sur un plan politique, délicat. Aussi, ces services publics constitutionnels semblent dotés d'une vie quasi éternelle en étant protégés tant des interventions du législateur que de l'autorité administrative. Toutefois, le législateur pourrait contourner l'obstacle constitutionnel, s'il ne se trouvait pas une autorité pour saisir le Conseil constitutionnel de la loi remettant en cause ces services publics. »
M. Raffarin est en difficulté, mais il demeure habile, monsieur le ministre. En avançant le mirage de la démocratie de proximité, il maintient dans l'ombre la casse de services publics essentiels à la cohésion de la nation et à sa souveraineté.
Non content de s'attaquer aux services publics, garants du principe d'égalité, le Gouvernement semble avoir oublié ses engagements inscrits dans la loi du 28 mars 2003 sur la fiscalité locale. Mon ami Paul Loridant développera ce point en défendant la demande de renvoi en commission déposée par notre groupe, à moins que, séduit par une argumentation de la solidité de laquelle je ne doute pas, le Sénat ne confirme l'inconstitutionnalité du texte.
M. Ivan Renar. On peut toujours rêver ! Vous connaissez, monsieur le ministre, ce rêve qui précède l'action ! (Sourires.)
La loi du 28 mars 2003 exige la concomitance des transferts de compétences et des transferts de ressources. La notion de « concomitance » était dans toutes les bouches, il y a un an : elle a disparu aujourd'hui. A mon sens, cette concomitance doit s'apprécier au moment de l'annonce. Comment, en effet, accepter de voter un transfert de compétences si l'annonce chiffrée du transfert de ressources n'est pas livrée simultanément au débat ?
Cela est d'autant plus vrai que le financement de la décentralisation, tel qu'il est prévu par le Gouvernement, est en partie fondé sur un versement aux collectivités locales du produit de la taxe intérieure sur les produits pétroliers dont le montant serait défini proportionnellement à l'importance des charges transférées.
Or, on apprend que cette décision est liée à un accord de la Commission de Bruxelles qui ne sera pas délivré avant le printemps. Le mépris à l'égard du Parlement serait-il tel que ses débats sont considérés comme virtuels ?
De même, le principe, organisé dans la loi du 28 mars 2003, de la péréquation, censée garantir l'égalité entre les territoires, n'est pas respecté. Quand celle-ci sera-t-elle votée, et dans quelles conditions ?
Enfin, la place des ressources propres conférées aux collectivités locales pour mettre en oeuvre ce projet de loi est-elle conforme aux intentions constitutionnelles ? Nous ne le pensons pas.
Comment s'étonner - et ce sera ma conclusion - que le Gouvernement demeure dans le flou pour ce qui est des moyens financiers du transfert de responsabilités ? L'objectif réel, affirmé par MM. Raffarin et Lambert à l'automne dernier, est d'utiliser la décentralisation libérale pour faire des économies. Comment ne pas comprendre l'inquiétude des élus locaux de tous bords quand ils constatent le délestage massif dont ils sont les premières victimes, fiscalement et politiquement ? Car c'est à eux que reviendra le privilège d'annoncer à leurs concitoyens la hausse de la fiscalité, la réduction des dépenses publiques, la suppression ou la privatisation des services publics faute de moyens. On va, en quelque sorte, décentraliser l'impopularité !
A une stratégie historique de libéralisation des institutions françaises s'ajoute désormais un objectif immédiat de réduction de la dépense publique. Notre responsabilité est de faire face à cette offensive sans précédent contre des acquis historiques.
Par cette analyse de l'inconstitutionnalité du projet, j'ai souhaité éveiller la vigilance critique de la Haute Assemblée et alerter tout nos collègues élus locaux que les acteurs sociaux et nos concitoyens.
Nous proposons donc au Sénat de voter cette motion pour qu'enfin soient, non pas remises en cause, mais au contraire réhabilitées et promues les trois valeurs fondamentales de la République : la liberté, l'égalité, la fraternité, auxquelles il faut ajouter cette valeur qui est devenue essentielle pour notre société, la justice. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Fourcade, contre la motion.
M. Jean-Pierre Fourcade. Les propos de M. Renar étaient certes émouvants, mais il y était beaucoup question de 1789 et de 1946. Or nous sommes en 2003 : l'Europe se fait, on discute de la Constitution européenne, et cette espèce de rétroviseur sur le passé me gêne un peu...
J'ai cependant retenu trois points dans l'argumentation de M. Renar, fondée sur des déclarations de juristes, des décisions du Conseil constitutionnel, etc.
M. Ivan Renar. Sur des valeurs !
M. Jean-Pierre Fourcade. Pourquoi s'est-on heurté, lors de la première étape de la décentralisation, à des difficultés ? Première étape que j'appellerai d'ailleurs la deuxième, car, la première étape, c'est moi qui l'ai accomplie en 1975. La dissociation des notions d'emprunt et de subvention a en effet été un élément fondamental de l'autonomie financière des collectivités territoriales.
Quoi qu'il en soit, quelle a été la double erreur de 1982 ?
Première erreur, le principe de la liaison entre le transfert des compétences et l'affectation par l'Etat de ressources aux collectivités était bien inscrit dans la loi de 1982, mais les gouvernements successifs - ne jetons la pierre à personne ! - se sont affranchis de l'obligation de respecter ce principe en faisant voter des textes qui ont modifié la loi de 1982.
Nous, nous avons changé la méthode : nous avons obtenu du Gouvernement, après un long débat, que le principe soit inscrit dans la Constitution de manière à ce qu'aucun gouvernement ne puisse demain faire voter un texte qui remette en cause le lien entre transfert de compétences et transfert de ressources.
La seconde erreur a tenu à la concomitance entre les transferts de responsabilités et les transferts de ressources budgétaires ou fiscales. Les fonctionnaires des différents ministères ont en effet procédé à des évaluations instantanées dans le cadre des fameuses concertations interministérielles arbitrées par le cabinet du Premier ministre, puis, en fonction de ces évaluations, on a accordé une part de la vignette, de la taxe sur les cartes grises ou des droits d'enregistrement aux collectivités locales.
C'est là qu'était l'erreur ! Aujourd'hui, le Gouvernement propose au Parlement, et le changement est d'importance, de définir d'abord par le menu, dans le détail, le domaine d'application des différents transferts aux régions, aux départements, aux communautés d'agglomération ou aux communautés urbaines, et aux communes.
Ce n'est qu'ensuite, une fois que le texte sera définitif, qu'il sera passé dans les deux assemblées, qu'il aura été déféré au Conseil constitutionnel par les soins de l'opposition et que le Conseil constitutionnel aura statué, qu'aura lieu l'évaluation.
L'évaluation sera beaucoup plus sérieuse et beaucoup plus efficace dans ce cadre que dans celui de la loi de 1982. M. Sarkozy hier et M. Devedjian aujourd'hui l'ont affirmé. Il n'y aura dès lors plus de distorsion entre le montant des tranferts et l'évaluation des charges transférées.
Ce sont les deux innovations fondamentales entre l'« acte Defferre » et l'« acte Raffarin ». Elles constituent une double garantie donnée aux collectivités territoriales : d'une part, la garantie constitutionnelle, sous le contrôle du Conseil constitutionnel, et, d'autre part, la garantie de l'évaluation, à condition, bien entendu, que l'on transforme la commission d'évaluation des charges. Je n'ai pas eu le temps de développer ce point, mais il me paraît en effet évident que l'on ne peut pas laisser cette commission fonctionner selon le mode administratif qu'elle a adopté depuis un certain temps. C'est le premier point.
Deuxième point, vous avez soulevé le problème de la concurrence entre territoires, dont a en effet parlé, vous l'avez rappelé, Jacques Barrot. Mais, cher ami, cette concurrence existe déjà et, si nous avons inscrit dans la Constitution le principe de la péréquation, c'est justement pour prévoir un filet de sécurité.
Jean François-Poncet a décrit les effets de la péréquation à l'échelon des départements. Le comité des finances locales étudie la péréquation au niveau communal. Nous l'avons nous-mêmes étudiée.
Permettez-moi d'ailleurs de vous rappeler après Patrick Devedjian que, lors de la réforme de la DGF et de l'institution d'une DGF pour les régions, pour les communes et pour leurs groupements - les départements en bénéficiaient déjà -, on a mis en place pour chacune d'elles un système de dotation forfaitaire et un système de péréquation.
Dans la loi de finances pour 2004, le système de péréquation sera renforcé, sous le contrôle du comité des finances locales, qui dispose d'un curseur et peut faire varier la partie péréquation et la partie forfaitaire en fonction de la situation de la collectivité, de la conjoncture générale, de l'évolution, des masses salariales, etc.
Par conséquent, dire qu'il n'y a pas de péréquation et que l'on va aggraver la compétition est faux. Au contraire, on essaie d'avoir des territoires compétitifs, mais on garde un filet de sécurité.
Le système n'avait pas mal fonctionné à l'échelon départemental dans le cadre de l'ancienne DGF à travers la dotation de fonctionnement minimale. Le comité a fait un énorme effort depuis quatre ou cinq ans pour réévaluer celle-ci, qui a évolué de 8 ou 10 % par an, alors que la dotation forfaitaire n'évoluait que de 2 %.
Désormais, c'est un principe constitutionnel, et il sera appliqué.
Enfin, troisième et dernier point, monsieur Renar, vous avez mis en cause la notion de service public.
Nous sommes tous attachés au service public. Ce qui me gêne, c'est que vous parliez de service public « à la française ». En effet, le service public « à la française » n'est pas fondé sur la notion, fondamentale en Europe et dans le monde entier, de la continuité du service. L'objectif ne doit pas être la défense des personnes qui participent à l'exercice du service public, mais la protection des usagers, d'où l'importance de premier plan à nos yeux du principe de la continuité des services publics. Je n'ai jamais entendu ce mot de « continuité » dans votre bouche.
M. Ivan Renar. C'est le service minimum !
M. Patrick Devedjian, ministre délégué. Non, continu !
M. Patrice Gélard, vice-président de la commission des lois. Le service minimum n'existe pas, de toute façon !
M. Jean-Pierre Fourcade. Il y a une conception du service public reconnue par l'ensemble de la corporation des professeurs de droit, par le Conseil d'Etat, etc., mais notre conception du service public, c'est qu'il peut être exercé aussi bien par l'Etat central que par les collectivités territoriales. Je vous trouve d'ailleurs injurieux pour les régions, pour les départements, pour les communes, pour les communautés d'agglomération que vous voulez bien voir « concourir » au service public sous réserve que l'Etat continue à prévaloir. Tout cela, c'est fini, et on se fonde désormais sur deux éléments : l'égalité de tous face au service public que garantit la péréquation tarifaire et la continuité du service public.
Ce n'est pas votre conception, mais c'est la nôtre !
J'ai noté enfin dans votre intervention si bien documentée que vous aviez oublié, d'une part, que le Parlement réuni en Congrès à Versailles avait adopté la réforme constitutionnelle et, par conséquent, que cette affaire était derrière nous, d'autre part, que le texte que nous examinons est un texte d'application de cette réforme constitutionnelle.
Pour toutes ces raisons, je demande au Sénat de ne pas adopter votre motion tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Patrice Gélard, vice-président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Je ferai deux remarques préliminaires.
La première, c'est que nous avons le droit, nous Sénat, de déclarer un texte qui nous est proposé par le Gouvernement ou par un sénateur comme contraire à la Constitution. En d'autres termes, nous aussi, nous pouvons être juges constitutionnels, au même titre que l'Assemblée nationale, qui cependant pourra, dans la navette, avoir le dernier mot.
M. Jean-Pierre Sueur. Jusque-là, c'est très bien !
M. Patrice Gélard, vice-président de la commission des lois. Seconde remarque : on a beaucoup entendu parler ces derniers temps du Conseil d'Etat.
Je voudrais rappeler que le Conseil d'Etat, lui, n'est pas législateur. Au contraire, il est chargé de veiller à ce que la loi soit respectée. Il est donc à notre service, et pas l'inverse. Et, lorsqu'il donne des avis au Gouvernement, il est le conseiller du Gouvernement, pas celui du Parlement.
Par conséquent, le Conseil d'Etat n'a pas tout à fait sa place dans ce débat.
J'ajoute que l'arrêt Heyries n'a rien à voir avec la notion de service public. Eventuellement, on aurait pu en l'espèce citer l'arrêt Bianco, mais pas l'arrêt Heyries.
J'en viens maintenant aux deux principes évoqués par notre collègue Ivan Renar concernant, d'une part, l'égalité et, d'autre part, les services publics.
S'agissant de l'égalité, je suis obligé de dire que vous déformez la définition du principe d'égalité, monsieur Renar.
En effet, le principe d'égalité signifie l'égalité devant la loi. Ce n'est pas l'égalité de la taille, l'égalité devant le climat, ou encore l'égalité des diplômes.
Les régions, les départements, les communes sont égaux devant la loi. Cela ne veut naturellement pas dire que la commune de Marseille a les mêmes pouvoirs qu'une commune de 300 habitants, car, bien qu'étant égales devant la loi, elles sont différentes. L'égalité ne signifie pas gommer les différences.
C'est d'ailleurs pourquoi, dans notre sagesse, lors de la révision constitutionnelle, nous avons justement prévu de faire en sorte que les distorsions liées à la taille et au climat puissent être corrigées par la péréquation.
L'égalité est donc même un peu contournée, puisque l'on va donner un coup de pouce aux plus démunis, non pas en termes d'égalité mais en termes de moyens, car l'égalité n'est absolument pas remise en cause dans ce texte.
A aucun moment, ce principe ne peut donc servir de fondement à un recours constitutionnel.
En ce qui concerne la notion de service public, faut-il rappeler que les services publics constitutionnels n'existent pas ? Il existe des services publics que l'Etat doit organiser, mais, dans la Constitution, rien ne renvoie à l'obligation de créer tel ou tel service public constitutionnel. Cette notion de service public constitutionnel n'existe pas en droit français.
Il y a des services publics que l'Etat doit assumer, mais je rappelle qu'il existe aussi des services publics municipaux, départementaux...
M. Patrick Devedjian, ministre délégué. Les cantines, par exemple !
M. Patrice Gélard, vice-président de la commission des lois. ... départementaux ou régionaux. Il n'est absolument pas porté atteinte au principe du fonctionnement du service public que ce dernier soit géré par l'Etat, par une région, par un département, par une commune, voire par une société privée lorsque celle-ci a la concession.
Le service public ne relève donc pas exclusivement de l'Etat, et l'on peut même dire que, quand l'Etat assume le service public, ce n'est pas toujours fameux ! C'est ainsi que si la SNCF avait continué à assurer le service public de la desserte régionale des transports ferroviaires, eh bien, il n'y aurait plus de transports ferroviaires régionaux. Ce sont maintenant les régions, avec les TER - les transports express régionaux -, qui ont repris cela en main. La SNCF était incapable d'assumer ce service public !
La décentralisation est au contraire le moyen de faire en sorte que l'Etat se recentre sur ses véritables missions, sur ces services publics nationaux que le Conseil constitutionnel l'oblige, c'est vrai, à assurer, la justice, par exemple. Mais laissons aux collectivités locales le soin de gérer ce qu'elles savent gérer mieux que l'Etat. Convenez par exemple que certaines routes départementales sont mieux entretenues que les routes nationales !
Il n'y a absolument aucune base, compte tenu de la révision constitutionnelle qui est intervenue, pour contester la constitutionnalité du présent projet de loi et donc pour adopter la motion.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Patrick Devedjian, ministre délégué. J'ai scrupule à intervenir, l'essentiel ayant été dit par MM. Fourcade et Gélard. Quoi qu'il en soit, le Gouvernement s'oppose, bien évidemment, à la motion.
J'ai entendu, monsieur Renar, vos critiques sur la Constitution, mais là n'est pas l'objet du débat. Je conçois que la Constitution ne vous plaise pas, mais notre devoir est de l'appliquer. D'ailleurs, dans ces domaines, la réforme de la Constitution n'a en pratique rien changé. Ainsi, vous avez manifesté la crainte que nous n'allions à la catastrophe pour ce qui est de la voierie, mais je vous rappelle qu'en 1972, sous l'empire donc de la Constitution ancienne formule, ce sont 50 000 kilomètres de route nationale qui ont été décentralisés contre 20 000 aujourd'hui, et le service public n'a pas été pour autant été affaibli.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Il a coûté plus cher !
M. Patrick Devedjian, ministre délégué. Bien ou pas bien, c'était parfaitement légal.
Par ailleurs, le service public n'est pas nécessairement un service d'Etat. L'exemple des cantines dans nos municipalités le démontre assez !
Enfin, pour répondre à votre objection relative à la concomitance, j'ajouterai un argument. Je vous rappelle que le présent projet de loi ne sera applicable qu'au 1er janvier 2005, et non au 1er janvier 2004. C'est donc dans la loi de finances pour 2005 qu'il nous faudra impérativement prévoir les dispositions financières nécessaires, ce qui nous laisse l'année qui vient pour procéder à une évaluation indiscutable, rénovée et contradictoire, ce qui sera un grand progrès par rapport au passé.
A cet égard, l'article 126 du projet de loi vous apporte une véritable garantie : « Les dispositions de la présente loi sont applicables, sous réserve de l'entrée en vigueur des dispositions relevant de la loi de finances et sauf disposition particulière de la présente loi, à compter du 1er janvier 2005. »
J'espère d'ailleurs, compte tenu de vos observations, que vous voterez cet article ! En tout cas, il y a bien concomitance.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Et les décrets en Conseil d'Etat ?
M. le président. La parole est à M. Robert Bret, pour explication de vote.
M. Robert Bret. Ni les interventions de MM. Raffarin et Sarkozy hier ni celle de M. Devedjian aujourd'hui, pas plus que les propos des rapporteurs, ne nous ont éclairés sur les véritables intentions du Gouvernement et de sa majorité.
Comme cela a été rappelé par la presse ces derniers jours, M. le Premier ministre fait de la dissimulation une méthode de gouvernement.
Ainsi déclarait-il dans l'hebdomadaire américain Times du 13 octobre dernier : « Nos élites parisiennes ne se sont pas rendu compte que je décentralisais le pays. Ne le leur dites surtout pas ! Le temps qu'ils s'en aperçoivent et ce sera trop tard pour eux. »
Monsieur le ministre, quel est ce sens que certains ne devraient pas voir ?
M. Patrick Devedjian, ministre délégué. Le sens de l'humour ! (Sourires.)
M. Robert Bret. Ce ne sera pas une réponse satisfaisante pour les élus !
Je confirme la démonstration de mon ami Ivan Renar : la volonté du Gouvernement est de déstructurer la République solidaire en engageant une réduction importante des dépenses publiques par le délestage considérable qu'organise le projet de loi de l'Etat vers les collectivités territoriales.
Il ne doit pas y avoir de tartufferie en la matière.
L'immense majorité des élus locaux savent qu'ils ne pourront pas faire face au transfert massif de compétences que vous engagez et que l'aternative se réduira à la fermeture de services publics ou à leur privatisation.
La conséquence d'un tel choix, c'est l'approfondissement des inégalités entre les territoires et entre les populations.
Il n'est pas dans nos habitudes de citer M. Jean François-Poncet, mais je dois remarquer que la limpidité de son intervention est à la hauteur de son scepticisme : « Ces collectivités attributaires des compétences transférées sont loin de disposer des moyens équivalents. D'où le risque que la décentralisation accroisse les inégalités de développement entre collectivités, l'argent des riches leur permettant de faire pleinement usage de nouveaux pouvoirs, tandis que les collectivités pauvres auront de la peine à les assumer. »
M. Jean François-Poncet rappelait même que « l'Etat veillait à ce que les écarts de richesses entre collectivités territoriales ne menacent pas la cohésion de la communauté nationale ».
Aujourd'hui, monsieur Fourcade, chacun attend le respect des principes - ils sont constitutionnels depuis le 28 mars 2003 - de concomitance entre les transferts de compétences et de ressources, d'une péréquation efficace et de la création de ressources propres à la hauteur des enjeux.
Soyez sincère, monsieur le ministre, ce qui est demandé aujourd'hui au Parlement, c'est de voter les transferts de compétences sans savoir comment ils seront financés. Voilà quelques instants, vous nous avez renvoyés à la loi de finances pour 2005. Il n'y a pas concomitance dans la décision, et c'est un viol de l'article 72-2 de la Constitution, que vous avez pourtant vous-même créé et approuvé !
Hier, M. Raffarin indiquait : « Nous allons débattre ensemble des transferts de compétences : dès que le Parlement les aura votés, fin 2003, début 2004, nous pourrons évaluer leur coût. » Quel aveu ! Il est demandé au Parlement de voter des transferts sans évaluation des coûts. Ce n'est pas sérieux, c'est dangereux pour la cohésion nationale et c'est bien sûr contraire à la Constitution.
Dans la Revue du droit public, un article de M. Doat, maître de conférence à l'université de Bretagne occidentale, montre la portée réelle de cette réforme : « Aujourd'hui, il semble que la réforme (...) marque une véritable rupture dans la manière d'être de l'Etat (...) On est en train de passer d'un mode d'organisation unifiée, hiérarchique, avec des échelons territoriaux bien identifiés, à un système complexe, indéterminé, qui prend la forme d'un rhizome. » Nous connaissons tous cette tige souterraine vivace, qui donne naissance à une tige aérienne.
Selon M. Doat, cette réforme « met en place des mécanismes qui annoncent le passage à une conception nouvelle, une organisation a-centralisée de la France », autrement dit, une organisation éclatée. L'ordre juridique qui s'impose au local devient, par cette réforme, un ensemble extensif et modulable. Il ordonnance non plus le territoire, mais un système de normes, ce qui n'a plus rien à voir avec la décentralisation.
Aussi, chers collègues, je vous invite à voter cette motion tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité pour appeler au respect des valeurs de solidarité et d'égalité, qui font la force de notre pays, et pour alerter notre peuple sur la réalité et la gravité des projets du Gouvernement. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à Mme Gisèle Gautier, pour explication de vote.
Mme Gisèle Gautier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, selon moi, le texte que nous examinons aujourd'hui, et qui vise à l'approfondissement du processus de décentralisation de l'Etat, a été soutenu depuis toujours par le groupe de l'Union centriste. Loin d'être en rupture avec la conception actuelle du service public, il en concrétise l'esprit.
Il le concrétise parce que décentraliser, c'est aussi satisfaire de mieux en mieux les besoins des Français.
En effet, un service public de qualité passe d'abord par une plus grande proximité, gage d'une bonne connaissance des besoins et des attentes de la population. Elle permet la mise en oeuvre d'actions adaptées aux usagers, qui sont les principaux bénéficiaires de la décentralisation. Dans cet objectif, le texte apporte un début de rationalisation et de clarification des compétences des différents échelons de collectivités territoriales, tout en élargissant les missions qui leur sont attribuées.
Le groupe de l'Union centriste estime donc que le texte qui nous est soumis aujourd'hui n'est nullement contraire au fondement constitutionnel du service public ni à celui d'égalité. Au contraire, il considère que ces deux notions sont renouvelées et renforcées par le processus de décentralisation, dont ce texte ne marque qu'une étape, de moindre ampleur que celle qui nous avait d'abord été annoncée.
C'est pourquoi mon groupe votera contre cette motion tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste. M. Yves Détraigne applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Michel Dreyfus-Schmidt, pour explication de vote.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Le groupe socialiste votera cette motion tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité. Si elle n'est pas adoptée, c'est bien sûr le Conseil constitutionnel qui, le moment venu, nous départagera.
Monsieur le ministre, vous avez dit : « Oui, c'est vrai, nous, l'actuelle majorité, nous étions, en 1982, contre la décentralisation, mais il n'est pas décent de nous le rappeler. »
M. Patrick Devedjian, ministre délégué. Je n'ai pas dit cela !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Vous me permettrez de vous dire que c'est la moindre des choses que nous vous le rappelions.
Vous avez ajouté : « A l'époque, nous avons eu tort, mais, aujourd'hui, c'est vous qui avez tort. » Si, finalement, votre texte est adopté en l'état actuel, c'est non pas en l'instant mais dans vingt ans...
M. Patrick Devedjian, ministre délégué. Je nous le souhaite !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. ... que l'on pourra savoir si vous avez raison aujourd'hui, ou si, de nouveau, vous avez tort. Cela devait être dit !
La vérité, c'est que, malgré les arguments avancés par M. Fourcade, qui a des souvenirs sélectifs de l'époque où il était ministre des finances, nous ne sommes nullement rassurés en ce qui concerne la péréquation.
Hier, M. Jean François-Poncet nous a expliqué ce qui pourrait en être pour les départements. S'agissant des communes, nous savons bien que la plus grande inégalité règne. La Constitution ne dispose pas qu'il faut appliquer la péréquation, elle dispose qu'il faut y tendre. Or, dans les textes qui nous sont proposés, nous ne voyons rien qui y tende.
M. Patrick Devedjian, ministre délégué. Le budget !
M. Jean-Pierre Sueur. Il n'y a rien dans le budget !
M. Patrick Devedjian, ministre délégué. Mais si !
M. Jean-Pierre Sueur. On va en parler !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Notre réforme a beaucoup plus d'ampleur que celle de 1982, avez-vous dit. C'est précisément le problème ! A l'époque, les collectivités ont été capables de faire un effort financier supplémentaire pour les lycées et pour les collèges. Mais ce qui était possible dans un cas ne l'est pas dans cinquante. C'est parce que vous généralisez ce qui avait été fait à cette époque que nous sommes en droit de vous dire que, après l'acte I de la décentralisation, l'acte II devrait traiter d'abord de l'égalité entre les contribuables du pays, quelles que soient leur commune ou leur région. Or vous savez bien que tel n'est pas le cas.
Tout à l'heure, vous avez évoqué les départements qui ont le plus augmenté leurs impôts et vous avez bien sûr cité les quatre plus pauvres,...
M. Gérard Delfau. Effectivement !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. ... c'est-à-dire ceux qui sont contraints d'augmenter le plus l'impôt pour répondre aux obligations que la loi met à leur charge.
M. Eric Doligé. L'APA !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Telles sont quelques-unes des raisons pour lesquelles nous voterons, avec détermination, cette motion. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC. - M. Gérard Delfau applaudit également.)
M. le président. Je mets aux voix la motion n° 450, tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité.
Je rappelle que l'adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi.
Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant de la commission des lois. (Sourires sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
Plusieurs sénateurs du groupe CRC. Où sont les membres de la majorité ?
M. Patrice Gélard, vice-président de la commission des lois. Nous sommes là !
M. le président. Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?...
Le scrutin est clos.
(Il est procédé au comptage des votes.)
M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin
n° 33
:
Nombre de votants | 315 |
Nombre de suffrages exprimés | 314 |
Majorité absolue des suffrages | 158 |
Pour | 114 |
Contre | 200 |
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures trente, est reprise à vingt et une heures trente, sous la présidence de M. Daniel Hoeffel.)