COMPTE RENDU INTÉGRAL
PRÉSIDENCE DE M. ADRIEN GOUTEYRON
vice-président
M. le président. La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à quinze heures.)
PROCÈS-VERBAL
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n'y a pas d'observation ?...
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.
MODIFICATION DE L'ORDRE DU JOUR
M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. Jean-François Copé, secrétaire d'Etat aux relations avec le Parlement, porte-parole du Gouvernement, la lettre suivante :
« Monsieur le président,
« J'ai l'honneur de vous informer qu'en application de l'article 48 de la Constitution et de l'article 29 du règlement du Sénat, le Gouvernement modifie comme suit l'ordre du jour du Sénat :
« Jeudi 20 novembre, le matin, l'après-midi et le soir :
« - suite éventuelle du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2004 ;
« - projet de loi de finances pour 2004 ;
« - projet de loi autorisant la ratification du traité entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord relatif à la mise en oeuvre de contrôles frontaliers dans les ports maritimes de la Manche et de la mer du Nord des deux pays, fait au Touquet le 4 février 2003.
« Je vous prie d'agréer, monsieur le président, l'expression de mes sentiments les meilleurs.
Jean-François Copé. »
Acte est donné de cette communication et l'ordre du jour de la séance du jeudi 20 novembre 2003 est ainsi modifié, sachant qu'en tout état de cause la discussion du projet de loi de finances pour 2004 ne commencera pas avant dix heures trente.
FINANCEMENT DE LA SÉCURITÉ SOCIALE
POUR 2004
Suite de la discussion
et adoption d'un projet de loi
M. le président. L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi (n° 54, 2003-2004) de financement de la sécurité sociale pour 2004, adopté par l'Assemblée nationale [Rapport n° 59 (2003-2004) et avis n° 60 (2003-2004).]
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Christian Jacob, ministre délégué à la famille. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais tout d'abord vous remercier de me permettre, à l'occasion de l'examen de ce projet de loi de financement de la sécurité sociale, de vous présenter la politique familiale voulue par le Président de la République et le Premier ministre, politique qui sera mise en place à partir du 1er janvier prochain.
J'ajoute que, si nous avons réussi à bien préparer cette partie du PLFSS consacrée à la famille, c'est grâce aux témoignages que vous nous avez transmis depuis le terrain, notamment en matière de garde d'enfants - et vous savez que la dernière conférence de la famille portait essentiellement sur ce sujet -, grâce à vos réflexions, à vos propositions, à celles de l'ensemble des partenaires sociaux et des mouvements familiaux.
La nouvelle politique que nous souhaitons mettre en oeuvre répond à trois objectifs qui avaient été définis par le Président de la République.
Premier objectif : la simplification.
Deuxième objectif : l'amélioration du pouvoir d'achat des familles, tant il est vrai qu'au regard de l'ensemble des catégories de Français les familles sont sans doute celles qui ont le moins bénéficié de la croissance depuis ces dix dernières années.
Troisième objectif : le développement de l'offre et des possibilités de garde, de manière à permettre aux parents de mieux concilier vie familiale et activité professionnelle.
Nous avons la chance de connaître en France à la fois le meilleur taux de professionnalisation des femmes, puisque 80 % des femmes entre vingt-cinq et cinquante-cinq ans exercent une activité professionnelle, et un des taux de natalité les plus élevés de l'Union européenne.
Autre particularité importante : lorsque l'on interroge les familles françaises sur le nombre d'enfants souhaités, une sur deux répond qu'elle aurait aimé avoir un enfant de plus.
Pour répondre au premier de ces trois objectifs - la simplification -, nous avons regroupé l'ensemble des prestations existantes dans le domaine du financement de la garde d'enfant.
Il existe vingt-deux ou vingt-trois prestations familiales différentes, dont cinq portent uniquement sur l'accueil du jeune enfant. Ces cinq prestations ont été réunies en une seule, ce qui va permettre d'opérer une simplification, mais aussi d'éviter des problèmes de rupture des droits ou de délais de remboursement.
Un autre exemple en matière de simplification concerne l'AFEAMA, l'aide à la famille pour l'emploi d'une assistante maternelle agréée, qui permet d'obtenir le remboursement d'une partie des frais engagés pour la garde d'un enfant par une assistante maternelle. Cette simplification était très attendue par les familles françaises : en effet, il fallait jusqu'à maintenant remplir plusieurs formulaires un peu complexes destinés à l'URSSAF, à la CAF, et attendre trois mois pour obtenir le remboursement.
La déclaration des rémunérations versées se fera désormais au moyen d'un « chéquier PAJE » - prestation d'accueil du jeune enfant -, très fortement inspiré du dispositif existant pour le chèque emploi-service, sur lequel il suffira d'inscrire le nom de l'assistante maternelle, son numéro d'affiliation et le montant du salaire qui lui est versé. Dans un délai inférieur à un mois, le remboursement sera effectué.
Il s'agit d'une démarche de simplification très importante : nous regroupons cinq prestations en une seule ; nous supprimons des formulaires grâce à la mise en place du chèque PAJE.
Nous avons également prévu d'autres mesures, que nous aurons peut-être l'occasion d'évoquer au cours du débat. Elles sont moins importantes ou moins visibles, mais elles contribuent aussi à la simplification.
Le deuxième objectif défini par le Président de la République et par le Premier ministre était le soutien apporté au pouvoir d'achat des familles.
Nous avons pris en considération toutes les situations qui pouvaient se présenter en matière de garde d'enfant et nous avons veillé à ce qu'aucune famille ne puisse être pénalisée. Cela se traduira soit par le maintien du montant des prestations servies soit, dans la plupart des cas, par une augmentation des prestations, notamment en direction des familles les plus défavorisées.
Permettez-moi de revenir sur un exemple que j'ai déjà évoqué avec vous devant la commission des affaires sociales : la garde d'un enfant par une assistante maternelle. Lorsqu'une famille fait garder son enfant en crèche, dans une structure collective, le coût de la garde représente 10 % à 12 % du salaire, quel que soit son montant. Si une famille dont le revenu est inférieur à deux fois le SMIC, les deux membres du couple travaillant, fait appel à une assistante maternelle pour garder son enfant, le coût de cette garde représente entre 20 % et 30 % du SMIC.
Dès lors, on voit bien qu'il n'y a pas de vraie liberté de choix pour les familles modestes puisque, si le coût de la garde en crèche représente 10 % du salaire, le coût de la garde par une assistante maternelle peut atteindre 30 % du salaire. Il fallait corriger ce différentiel en faveur des familles qui ont les revenus les plus faibles ; c'est ce que permettra la prestation d'accueil du jeune enfant, qui représentera une aide pouvant atteindre 160 euros par mois.
De la même façon, nous avons voulu que le socle de cette nouvelle prestation soit le plus universel possible.
Aujourd'hui, la prestation la plus universelle, l'allocation parentale au jeune enfant, l'APJE, concerne environ 1,4 million de familles. La PAJE, pour le même montant global, concernera 1,9 million de familles, soit 90 % des familles françaises.
Certains ont critiqué cette politique au motif qu'elle ne profiterait qu'aux familles aux revenus élevés. Or nous visons les familles dont le revenu est inférieur à 4,5 SMIC, alors que les deux membres du couple travaillent. Tout dépend de ce que l'on entend par « familles nanties » ! Pour ma part, je n'ai pas le sentiment que les bénéficiaires de la PAJE peuvent être qualifiés de nantis, tant s'en faut.
Par ailleurs, d'autres mesures également très attendues, comme l'ouverture au secteur privé, visent à mobiliser l'ensemble des acteurs sur la politique familiale. Il s'agit non pas de substituer le financement privé au financement public, mais de donner la possibilité aux entreprises qui le souhaiteraient d'investir soit dans la création de places en crèches, soit dans la prise en charge du coût du mode de garde pour les salariés, en défiscalisant ces financements à hauteur de 60 %. La mise en place d'un crédit d'impôt famille pour toutes les dépenses ayant trait à la famille est une grande première.
Le Gouvernement propose également d'autres mesures de compensation des revenus sur lesquelles nous pourrons revenir lors de ce débat.
Enfin, s'agissant du troisième objectif défini par le Président de la République et le Premier ministre, le développement de l'offre de garde, nous mettons en place un « plan crèches » permettant la création de 20 000 places en crèche.
Certains ont dénoncé l'insuffisance de ce plan. Or 200 millions d'euros seront engagés, comme pour les plans précédents. Mais, dès la première année, 50 millions d'euros seront mobilisés pour répondre à toutes les demandes. Je rappelle que, dans le cadre des plans précédents, 13 millions d'euros seulement avaient été mobilisés la première année. Cela nous permettra donc de répondre largement aux demandes qui pourraient nous être transmises par les caisses d'allocations familiales des différents départements.
Au-delà de ce plan crèches, qui sera mis en place à partir du 1er janvier prochain, nous avons également souhaité assouplir l'agrément des assistantes maternelles, à travers le projet de loi relatif à l'accueil et à la protection de l'enfance, que la Haute Assemblée a examiné il y a quelques semaines et qui sera soumis à l'Assemblée nationale la semaine prochaine.
Actuellement, les assistantes maternelles ont un agrément qui ne les autorise à garder que trois enfants au maximum, quelle que soit la durée d'accueil de chacun d'eux. Nous proposons que cette limite soit portée à trois temps plein.
Nous avons tous en mémoire l'exemple d'assistantes maternelles refusant à des parents de garder leur enfant à mi-temps. Cela ne les intéressait pas, parce qu'un enfant à mi-temps comptait comme un enfant à temps plein et monopolisait donc un tiers de l'agrément.
Désormais, sur la base de trois équivalents temps plein, les assistantes maternelles pourront accueillir jusqu'à six enfants à mi-temps. Une telle mesure permettrait de répondre aux nouvelles habitudes de travail des salariés ayant souvent recours au temps partiel, ou dont les horaires sont décalés.
La revalorisation du statut des assistantes maternelles vous sera également proposée dès le début de l'année prochaine lors de la discussion d'un texte spécifique destiné à mettre en place la mensualisation, ainsi qu'une caisse de prévoyance maladie et accidents du travail.
Se rapprocher du droit commun, valider les acquis de l'expérience sont autant de demandes auxquelles la Haute Assemblée est particulièrement attentive. Il est vrai que les sénateurs se sont souvent fait le relais des attentes légitimes des assistantes maternelles dans ce domaine.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, voilà comment je pouvais vous présenter de la manière la plus rapide et synthétique possible ce projet de loi de financement de la sécurité sociale.
Nous commençons dès maintenant à préparer la prochaine conférence de la famille en nous appuyant, là encore, sur le travail très important qui a été réalisé par le rapporteur Jean-Louis Lorrain dans son rapport sur l'adolescence. Ce rapport constituera, en quelque sorte, le socle de la préparation de la prochaine conférence de la famille. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Louis Lorrain, rapporteur.
M. Jean-Louis Lorrain, rapporteur de la commission des affaires sociales pour la famille. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le présent projet de loi de financement de la sécurité sociale marque le début d'une politique familiale ambitieuse, telle qu'aucun gouvernement n'en avait affirmée depuis la loi de 1994 relative à la famille.
Les familles ayant de jeunes enfants seront les premières à bénéficier de ce nouvel élan donné par la conférence de la famille du 29 avril dernier, qui a été le résultat d'une large concertation des différents acteurs du secteur de la petite enfance.
Monsieur le ministre, on peut vous féliciter pour votre méthodologie, votre façon de faire. Les acteurs de cette conférence ont visiblement été satisfaits de ses résultats.
S'appuyant sur l'action menée par les trois groupes de travail mis en place à cette occasion, le Gouvernement a ainsi annoncé plusieurs mesures novatrices, dont les plus importantes trouvent leur traduction dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale et dans le projet de loi de finances pour 2004.
En outre, deux textes viendront compléter ce dispositif global de prise en charge des jeunes enfants : le projet de loi relatif à l'accueil et à la protection de l'enfance, en cours d'adoption, et la réforme du statut des assistantes maternelles, annoncée pour le semestre prochain, pour un coût estimé à 50 millions d'euros sur deux ans, dont 10 millions d'euros dès 2004.
La mesure essentielle de cette politique est la mise en place de la prestation d'accueil du jeune enfant, la PAJE. Elle comprend, dans un premier volet, une prime à la naissance ou à l'adoption de 800 euros, versée au septième mois de grossesse, et une allocation de base mensuelle de 160 euros servie pendant trois ans.
Ce dispositif me paraît très satisfaisant. Il est, en effet, plus lisible, car il regroupe les cinq prestations existant dans le domaine de la petite enfance : l'allocation parentale d'éducation, l'APE, l'allocation parentale au jeune enfant, l'APJE, courte et longue, l'allocation de garde d'enfant à domicile, l'AGED, l'aide à la famille pour l'emploi d'une assistante maternelle agréée, l'AFEAMA, et l'allocation d'adoption. Il est aussi plus universel puisque, grâce à un relèvement de 37 % du plafond de ressources actuel, 90 % des familles pourront bénéficier de la PAJE, soit 200 000 familles nouvelles, y compris les familles adoptantes, qui y seront éligibles dans des conditions identiques.
Par ailleurs, pour les 12 000 familles concernées chaque année par des naissances multiples, l'allocation de base sera versée non pas par famille mais par enfant.
Enfin, la PAJE sera servie de la même manière dans les départements d'outre-mer, alors qu'ils se voyaient auparavant appliquer un plafond de ressources inférieur de 10 % à celui qui est pris en compte en métropole pour le calcul de l'ouverture des droits à prestations.
La PAJE comporte un second volet, qui tient compte du libre choix des parents de poursuivre ou non leur activité professionnelle après la naissance. Deux compléments à l'allocation de base sont envisagés : le complément de libre choix du mode de garde et celui de libre choix d'activité.
Le complément de libre choix du mode de garde s'adresse aux parents qui choisissent de continuer à exercer une activité professionnelle en leur permettant de financer le mode de garde de leur choix pour leur enfant. Ce complément sera modulé en fonction des revenus, afin de cibler l'effort financier en direction des familles à revenus modestes et moyens.
La PAJE permettra aussi de simplifier les formalités administratives imposées aux familles et de moderniser les relations qu'elles entretiennent avec leur caisse d'allocations familiales par la mise en place d'un « chéquier PAJE », sur le modèle du chèque emploi-service.
Pour sa part, le complément de libre choix d'activité de la PAJE s'adresse aux parents qui préfèrent interrompre leur activité professionnelle. Il a pour objet de compenser une partie de la perte de rémunération qui en résultera. On notera qu'il pourra être versé dès le premier enfant en cas de retrait total de la vie professionnelle pendant les six mois suivant le congé de maternité, ce qui constitue un réel progrès.
Par ailleurs, en cas de travail à temps partiel, ce complément est augmenté de 15 % par rapport à l'actuelle allocation parentale d'éducation, et il sera désormais compatible avec le complément de libre choix du mode de garde, afin de ne pas couper complètement les populations les plus fragiles du marché du travail.
Toutefois, l'efficacité de la PAJE est conditionnée par une amélioration de l'offre de garde, qui reste encore insuffisante aujourd'hui. En effet, seul un tiers des enfants de moins de trois ans bénéficie d'un mode de garde « institutionnel » - crèche, assistante maternelle ou garde à domicile par une employée.
Les structures collectives sont les plus touchées par cette pénurie, en raison de la politique de rigueur budgétaire menée au cours de la seconde moitié des années quatre-vingt-dix et de la sévérité des normes d'hygiène et de sécurité qui y sont appliquées.
Depuis dix ans, le nombre de places en crèche n'a donc que peu progressé, et ce malgré de récents efforts financiers, avec la mise en place de deux fonds d'investissement pour la petite enfance, les FIPE I et II, qui ont permis la création de près de 54 000 places, pour un montant total d'environ 350 millions d'euros.
Afin de relancer ce mouvement, vous avez annoncé, monsieur le ministre, un troisième plan d'investissement : 200 millions d'euros de crédits, dont 50 millions d'euros dès 2004, seront ainsi ouverts pour la création de 20 000 places de crèche supplémentaires.
Les projets innovants en termes d'horaires et d'accueil des enfants handicapés seront favorisés, point auquel notre commission des affaires sociales est particulièrement sensible.
Nous approuvons, bien évidemment, le développement de l'offre de garde, mais nous déplorons qu'il prenne de nouveau la forme d'un avenant à la convention d'objectifs et de gestion 2001-2004, ce qui n'est pas conforme à l'inscription des mesures nouvelles dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale, comme nous l'avions déjà critiqué les années précédentes. Encore une fois, le Parlement ne pourra se prononcer sur une mesure pourtant essentielle sur le plan financier et familial, même si nous pouvons largement nous inscrire dans cette démarche et dans cette volonté politique.
L'autre innovation annoncée dans le domaine de l'offre de garde consiste en la mise en oeuvre d'un crédit d'impôt familles pour les entreprises, prévu dans le projet de loi de finances pour 2004. Ces dernières pourront ainsi financer des structures de garde ou verser des compléments de salaire pour prendre en compte les contraintes liées à la vie familiale de leurs salariés, en déduction de leurs impôts.
Le taux de prise en charge effectif par l'Etat de ce type de dépenses sera porté à 60 % des sommes versées par les entreprises, jusqu'à un plafond de 500 000 euros.
Enfin, le développement de l'offre de garde des jeunes enfants sera favorisé par l'ouverture de ce secteur à des entreprises privées, à titre expérimental dans un premier temps.
Tout en n'étant pas opposée à un tel principe, la commission des affaires sociales estime que certaines conditions doivent être imposées, notamment un contrôle sanitaire, afin d'offrir aux enfants un accueil de qualité et de permettre un accès effectif à toutes les familles, quels que soient leurs revenus.
Au total, l'objectif de dépenses de la branche famille s'élève à 45,5 milliards d'euros pour 2004, ce qui représente une augmentation de 3,4 % par rapport à l'objectif rectifié pour 2003 de 44 milliards d'euros. Cette évolution est principalement le fait de mesures nouvelles et de la revalorisation des prestations en fonction de l'inflation.
Or, parallèlement à l'affirmation de ces ambitions nouvelles, dont on ne peut que se réjouir, l'année 2004 verra, pour la première fois depuis 1998, disparaître l'excédent de la branche famille.
En 2004, l'écart constaté en 2003 entre l'évolution des recettes et celle des dépenses devrait encore se creuser, avec une augmentation prévue de 2,6 % pour les premières, contre une hausse de 3,2 % pour les secondes.
Ce constat est d'autant plus inquiétant qu'il ne repose pas uniquement sur la mauvaise conjoncture économique, mais également sur une cause structurelle : le transfert à la Caisse nationale d'allocations familiales - la CNAF - de 60 % des majorations de pension de retraite pour enfants, jusqu'alors prises en charge par le fonds de solidarité vieillesse.
La commission est particulièrement inquiète de cette évolution qui, même si la branche renoue avec les excédents, pénalisera largement les familles. En outre, elle hypothèque l'avenir puisque, si le résultat annuel de la branche devient négatif, les excédents cumulés de la CNAF s'en verront diminués d'autant.
Cette année encore, 1,9 milliard d'euros sera consacré à la prise en charge des majorations de pension de retraite pour enfants. La commission des affaires sociales y voit une utilisation dévoyée des moyens de la branche, qui ne répond pas à sa vocation initiale d'égalisation des niveaux de vie entre les familles, quelle que soit leur taille.
Pour développer le caractère d'universalité de la politique familiale, c'est vers une revalorisation de la base mensuelle des allocations familiales, dont bénéficient toutes les familles, qu'il faudrait s'orienter. Or, en 2004 tout comme en 2003, la hausse prévue de cette base est limitée à 1,7 %, ce qui correspond au strict niveau de l'inflation prévisible.
Une revalorisation plus généreuse aurait été possible au cours de ces dernières années, au moment où la branche famille disposait encore des ressources financières suffisantes. Malheureusement, ce choix n'a pas été fait. Au contraire, les excédents de la branche famille ont été détournés pour venir en aide au fonds de solidarité vieillesse, qui se trouvait dans une situation critique, du fait des ponctions dont il faisait l'objet pour financer la politique de réduction du temps de travail.
Nous ne pouvons que déplorer que la situation dégradée des comptes de la branche famille empêche, pour l'instant, de procéder à cette revalorisation et, plus largement, de financer d'autres réformes attendues par les familles.
Des demandes nouvelles pourraient ainsi résulter des travaux de la conférence de la famille de 2004, qui sera consacrée, cette fois, au thème de l'adolescence. A ce sujet, monsieur le ministre, je vous remercie de l'aimable attention que vous avez eue à mon égard, mais vous savez très bien que ce sont tous les membres de la commission et son président qui nous ont permis de réaliser et de poursuivre ce travail.
Je vous rappelle aussi que des propositions ont été récemment présentées par le groupe d'études du Sénat sur ces problématiques de l'enfance et de l'adolescence. Je pense qu'elles sont susceptibles d'apporter leur contribution aux futurs travaux de la conférence de la famille. Vous avez par ailleurs bien voulu nous intégrer au groupe de travail que vous avez mis en place très récemment. Nous essayerons, là encore, d'apporter notre pierre à votre édifice.
La politique familiale du Gouvernement est donc ambitieuse, mais les moyens financiers de plus en plus contraints de la branche famille obligent à ne la mettre en oeuvre que progressivement. Le présent projet de loi de financement en constitue une étape essentielle.
C'est pourquoi, mes chers collègues, sous réserve des observations qui précèdent et des amendements qu'elle vous proposera, la commission des affaires sociales vous demande d'adopter les dispositions relatives à la famille du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2004. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Bernard Cazeau.
M. Bernard Cazeau. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le budget de la famille était annoncé pour 2003 comme celui d'une année de transition, pour 2004 comme celui de la réforme. Nous examinons aujourd'hui ce budget et nous ne pouvons que constater qu'il s'agit tout au plus d'un budget de clarification.
Consacrer ces quelques heures privilégiées à la famille dans le cadre de la discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale devrait signifier l'intérêt tout particulier porté à cette institution par le Gouvernement et la majorité. Selon nous, il n'en est rien ! J'ai le regret de constater une fois encore qu'il ne s'agit que d'effets d'annonce masquant la pauvreté des réformes.
Nous sommes, en fait, bien loin des promesses électorales du Président de la République. Je cite ses propos : « Aujourd'hui, les prestations multiples destinées à la prise en charge du jeune enfant me semblent trop complexes et manquent d'une cohérence d'ensemble. Je trouve préférable une allocation unique d'accueil du jeune enfant. Elle serait accordée à tous les parents, que la mère ait un emploi ou non, et sans distinguer entre les modes de garde choisis. »
Or, monsieur le ministre, il semble que vous ayez omis le caractère universel de l'aide prônée par le Président de la République, en réintroduisant de multiples conditions de ressources afin de réduire le nombre de bénéficiaires, et par conséquent en perdant en lisibilité.
Certes, les ajustements des dispositifs existants ont bien été opérés. La prestation d'accueil du jeune enfant regroupera dorénavant les six prestations actuelles. Cette refonte présente l'avantage de faire beaucoup de bruit et de ne pas coûter très cher !
A priori, tout est là pour satisfaire les familles. Mais, à travers ces mesures phares, une question s'impose : la refonte des prestations d'aide aux jeunes enfants constitue-t-elle vraiment un bonus pour les familles, ou n'est-elle qu'un savant aménagement de l'existant ?
Comme dans d'autres domaines, le Gouvernement manipule avec habileté le langage. Il laisse entendre qu'une nouvelle prime de 800 euros sera versée à la naissance aux jeunes familles, alors que cette prime existe déjà sous une autre forme. Il s'agit de l'allocation pour jeune enfant, dite allocation courte, qui se traduit par un versement de 160 euros sous condition de ressources du quatrième mois de grossesse jusqu'aux trois mois de l'enfant, soit 1440 euros au total.
Précisons que, selon le rapport de la Cour des comptes, cette dépense nouvelle pour la Caisse nationale d'allocations familiales s'élève seulement à 200 millions d'euros pour 2004.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Absolument !
M. Bernard Cazeau. Ainsi, si la prime à la naissance est un gain net pour les ménages ayant un revenu moyen se situant entre 2,1 et 4,5 fois le SMIC, elle représente une perte réelle de 640 euros pour les ménages dont les revenus sont plus modestes, compris entre 1,5 et 2,1 fois le SMIC.
Par ailleurs, les conditions de ressources ne tiennent pas compte de la situation professionnelle des parents. A terme, cette disposition favorisera les couples monoactifs et ne pourra qu'inciter les femmes à rester au foyer. C'est inacceptable !
Le point central de votre réforme, monsieur le ministre, est l'allocation de base de la PAJE d'un montant de 160 euros mensuels, versée à toute famille ayant un enfant de moins de trois ans et dont les ressources sont inférieures à 4 100 euros mensuels. Votre innovation tient au fait que vous élargissez les conditions de ressources et que vous l'accordez dès le premier enfant.
A cette allocation de base, la PAJE ajoute un complément de libre choix d'activité versé au parent qui cesse son activité professionnelle pour s'occuper de son enfant.
Notons que cette allocation sera d'un montant de 334 euros, contre 493,22 euros actuellement. Ainsi, ces mesures ne changent pas la vie des familles, notamment des plus modestes d'entre elles. En revanche, celles dont le revenu est compris entre 3 200 euros et 4 120 euros et qui n'ont donc pas accès aujourd'hui à l'APJE percevront cette allocation. Ce sont les mêmes familles qui, mieux aidées, auront la possibilité de faire garder leur enfant à domicile et qui seront, encore une fois, privilégiées.
En effet, n'oublions pas qu'il faut rapprocher cette allocation des choix qui ont été faits par le Gouvernement dans le projet de loi de finances pour 2004, dans lequel il est prévu la création d'un crédit d'impôt famille au bénéfice des entreprises ainsi que le relèvement du plafond de la réduction d'impôt pour l'emploi d'un salarié à domicile en application de la loi de finances pour 2003, le plafond annuel des dépenses ouvrant droit à une réduction d'impôt étant porté de 7 400 euros à 10 000 euros.
Ainsi, la garde à domicile, si elle reste inaccessible pour les salariés modestes, est fortement financée par la collectivité pour les familles aisées.
Que l'Etat facilite le choix des parents de s'arrêter de travailler pour s'occuper de leur enfant est légitime. Mais ce choix, monsieur le ministre, doit être ouvert de la même façon aux hommes et aux femmes, et ce quel que soit leur revenu, à travers une politique de l'emploi incitative. (M. le ministre délégué acquiesce.)
Le gouvernement de Lionel Jospin s'était engagé dans ce sens, avec le congé de paternité et le congé pour enfant malade, favorisant ainsi une politique d'égalité entre les hommes et les femmes.
Tant que la femme assurera seule la garde des enfants, la discrimination dans le monde du travail perdurera entre les hommes et les femmes. Or votre projet de loi incite les femmes peu qualifiées, aux revenus modestes, à s'arrêter de travailler.
Vous niez cette réalité en arguant du fait que vous restreignez les conditions d'accès au congé parental. (M. le ministre délégué sourit.) Je sais que vous niez cette réalité puisque vous souriez.
M. Christian Jacob, ministre délégué. C'est le bonheur de vous entendre ! (Sourires.)
M. Bernard Cazeau. Avec deux enfants, il faudra avoir travaillé deux ans durant les quatre dernières années contre cinq précédemment et, avec trois enfants, il faudra désormais avoir travaillé deux ans durant les cinq dernières années contre dix précédemment : où est l'amélioration ?
En agissant ainsi, vous portez en fait atteinte aux libertés individuelles des familles. Le durcissement des conditions relatives à l'activité professionnelle ne laisse ainsi plus le choix aux familles nombreuses à la fois d'avoir des naissances rapprochées et de privilégier les premières années de leurs enfants par leur présence.
Enfin, vous dites encourager le travail à temps partiel et inciter les femmes à garder un pied dans le monde du travail. Aucune des mesures que vous nous présentez aujourd'hui ne me paraît aller dans ce sens.
Le temps partiel, l'intérim sont certes appréciés par les entreprises. Mais les femmes - car ce sont elles qui sont en majorité concernées - sont nombreuses à avouer les difficultés que ce mode de travail occasionne - baisse de revenu, progression de carrière ralentie, et j'en passe !
A cela s'ajoutent les difficultés pour trouver un mode de garde approprié au temps partiel. Le manque de places en crèche et l'absence d'intérêt financier pour l'assistante maternelle ou l'employée à domicile de travailler à temps partiel conduisent bien souvent les femmes à renoncer à toute activité professionnelle, ou à accepter un mode de garde « au rabais ».
Vous me répondrez que le projet de loi relatif à l'accueil et à la protection de l'enfance que le Sénat a examiné dernièrement en première lecture apporte une solution à ce délicat problème, en permettant l'augmentation des capacités d'accueil des assistantes maternelles.
Cependant, dans la réalité, votre projet imposera une véritable gymnastique des horaires, que nous avons déjà dénoncée en son temps. Il faudra que l'assistante maternelle trouve des temps partiels qui se complètent. Les rythmes de la journée des enfants gardés à temps complet par l'assistante maternelle risquent d'être perturbés par les allées et venues des enfants et des parents. (M. le président de la commission des affaires s'exclame.) Enfin et surtout, le risque d'une dérive vers un accueil collectif est bien réel, sans garantie tant au niveau de la qualité que de la sécurité et des règles d'hygiène.
Vous ne prévoyez rien non plus en termes de formation supplémentaire des assistantes maternelles. Or l'accueil de trois enfants ne se gère pas de la même manière que celui de six, vous le savez bien.
Permettez-moi de m'interroger sur le bien-être de l'enfant. De même, je ne vois pas en quoi cette réforme pourrait apporter la moindre valorisation à la profession d'assistante maternelle. L'un comme l'autre méritent mieux que les deux malheureux articles dont nous discuterons dans les minutes qui suivent.
Un projet de loi sur la profession d'assistante maternelle est actuellement en cours de rédaction, nous dit-on. C'est très bien, mais quand nous sera-t-il présenté ? Le nombre de textes devant être soumis au Parlement ne cesse d'augmenter. Vous avez affirmé tout à l'heure qu'il nous serait présenté dans le courant du premier trimestre de l'année 2004. Nous verrons bien !
Par ailleurs, réduire l'accueil des jeunes enfants à ce seul mode de garde serait une erreur. La diversité de l'offre doit être conservée. Les familles doivent pouvoir choisir. Cette diversité est l'un des éléments fondamentaux, avec la disponibilité et le coût des modes de garde, qui influencent le taux d'emploi des mères.
Or que nous proposez-vous dans le domaine de l'accueil collectif ? Vous nous proposez 20 000 places de crèche supplémentaires sur quatre ans, soit cinquante places par an et par département ! Encore faut-il espérer que les crédits ne soient pas gelés ou annulés, situation que nous avons déjà vécue. C'est effectivement une révolution ! En deux ans, le gouvernement Jospin a permis, lui, la création de 54 000 places supplémentaires en crèche. Faites la différence !
En fait, le Gouvernement fait un autre choix, à savoir un choix libéral, comme d'ailleurs tout au long de ce projet de loi de financement de la sécurité sociale. Il fait le choix de se reposer sur le privé en autorisant des structures privées à but lucratif créées par une entreprise dont c'est le métier. Ces structures existent déjà dans certains pays de la Communauté européenne, mais votre projet reste bien imprécis et dangereux à nos yeux. Quels garde-fous comptez-vous mettre en place afin d'éviter les abus éventuels tant en ce qui concerne les agréments, la formation professionnelle que les tarifs ?
Enfin, vous encouragez également la création de crèches au sein des entreprises destinées aux enfants du personnel. J'émets là encore une profonde réserve à l'égard de ces structures. Le risque est réel que cette possibilité conduise à une excessive souplesse des horaires de travail dans l'entreprise - on sait comment cela se passe -, au détriment de la vie de famille et des conditions de travail.
Enfin, substituer le financement par l'entreprise à la solidarité nationale aboutira à créer une injustice entre les salariés des grandes entreprises et ceux des petites entreprises, les professions libérales et bien d'autres.
Je ne vois dans ces mesures qu'une vision comptable de la politique familiale, qui conduit à un désengagement progressif de l'Etat et des collectivités locales dans ce domaine. Ce n'est malheureusement qu'un exemple supplémentaire en matière de désengagement de votre gouvernement.
J'en viens enfin au financement de votre projet de loi.
Alors que la branche famille a connu, pendant cinq ans, des exercices déficitaires entre 1994 et 1998 - en raison, je tiens à le rappeler, de mesures que votre majorité n'avait pas su financer à l'époque - son équilibre financier a été rétabli dès 1999, pour ensuite dégager des excédents constants.
Or, depuis 2003 - et je me réfère aux propos de M. le rapporteur - l'excédent budgétaire tend à se réduire : selon lui la dégradation s'explique, « en quasi-totalité, par une nouvelle hausse de la part prise en charge par la Caisse nationale d'allocations familiales et des majorations de pensions de retraite au titre des enfants à charge. Cette part s'établit à 60 % et coûte à la branche famille 1,9 milliard d'euros ».
Après avoir longtemps décrié cette mesure mise en place, il est vrai, par le gouvernement Jospin, vous jugiez, en effet, à l'époque, « indispensable de garantir la progression des recettes de la branche famille et d'appliquer scrupuleusement le principe fondamental qui veut que les excédents de la Caisse nationale d'allocations familiales ne puissent être dérivés pour financer d'autres branches ». On a de quoi s'interroger sur vos nombreux revirements !
Après avoir saisi le Conseil constitutionnel, à l'époque, que faites vous ? Vous multipliez par deux le prélèvement sur la branche famille et vous venez nous présenter un budget moins ambitieux que ce que vous aviez annoncé.
En fait, monsieur le ministre, votre gestion des affaires est si aléatoire que, pour l'année 2004, les excédents de 2003 devraient suffire à financer la prestation d'accueil du jeune enfant. Mais, pour les années suivantes, les engagements seront difficiles à tenir sans un net redressement de la situation de l'emploi.
Votre inaction dans ce domaine laisse présager le pire ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Philippe Nogrix.
M. Philippe Nogrix. Monsieur le ministre, le groupe de l'Union centriste adhère à la politique familiale que vous nous proposez aujourd'hui.
La prestation d'accueil du jeune enfant, qui en constitue le coeur, retiendra plus particulièrement mon attention.
Cette nouvelle allocation représente une continuité du rôle de l'Etat dans son soutien aux familles accueillant des jeunes enfants. Il est indispensable que tous nos concitoyens, quelle que soit leur situation familiale, sociale ou professionnelle, puissent disposer des ressources nécessaires à l'entretien correct de tous leurs enfants.
Le devoir de l'Etat est de procurer aux plus déshérités les moyens d'assurer cette charge, de façon non seulement à éviter des difficultés matérielles, mais aussi à assurer un bon équilibre moral au sein du foyer. Il nous faut bien constater que la précarité dans les familles entraîne un climat de violences domestiques, dont les enfants sont trop souvent les victimes.
Présidant le groupement d'intérêt public Allô Enfance maltraitée, connu sous son numéro d'appel, le 119, je voudrais vous rappeler, mes chers collègues, combien d'enfants sont soumis chaque jour à des sévices physiques ou psychologiques, car leur arrivée dans la famille y a créé un déséquilibre non attendu.
Notre pays compte encore aujourd'hui dix-huit mille enfants maltraités et soixante-sept mille enfants en danger de l'être. Il nous faut donc être persuadés de l'importance que nous devons donner à la parentalité et à la présence des parents auprès de leurs enfants.
Bien sûr, le manque d'argent n'est pas le seul responsable des mauvais traitements à enfants, mais il y contribue. En revanche, la présence de l'un des parents auprès de ses enfants pendant les premiers mois et les premières années est sûrement un gage de leur préservation et de leur protection, qui permettrait de généraliser la « bien traitance » et d'éradiquer ce fléau qu'est la maltraitance à enfants, incompréhensible, aujourd'hui, dans notre pays.
L'action de l'Etat en faveur de l'accompagnement des jeunes parents est donc une nécessité absolue qu'il ne fallait surtout pas remettre en cause. C'est en ce sens que le Gouvernement projette d'agir, et l'ensemble des sénateurs du groupe de l'Union centriste l'en félicite et s'en félicite.
La prestation d'accueil du jeune enfant est un dispositif qui était attendu et qui sera apprécié pour la simplification qu'il apporte. Il regroupe les six prestations aux enfants en une seule. Cette nouvelle prestation unique permettra enfin aux parents de jeunes enfants de ne plus se perdre dans le dédale que constituaient les anciennes prestations, avec toujours le risque de ne pas pouvoir faire appel à toutes celles auxquelles ils pouvaient prétendre.
Toutefois, il est un point sur lequel je souhaiterais vous alerter. Si cette aide financière est indispensable pour nos concitoyens les plus défavorisés, il serait dommage de la rendre inaccessible à certaines familles qu'il faut absolument accompagner dans l'éducation de leurs enfants. C'est en ce sens que le groupe de l'Union centriste interviendra au cours des débats.
Bien que le Gouvernement nous propose une incontestable amélioration de la situation par l'élévation du plafond de ressources permettant de bénéficier du minimum de base de la PAJE, force est de constater que les conditions du complément de libre choix d'activité relatives à l'activité professionnelle ont été modifiées, de telle sorte qu'un nombre non négligeable de bénéficiaires potentiels en sera exclu. Etait-il vraiment nécessaire d'en arriver là ? La discussion des articles concernés permettra d'y revenir, et peut-être de rectifier ce dispositif. Tel est le souhait de l'Union centriste.
Notre groupe se doit d'évoquer deux points qui lui semblent importants.
Le premier est relatif au réexamen nécessaire à notre sens, des conditions d'attribution du complément de libre choix d'activité relatif à l'activité professionnelle. Il nous faudra l'expliquer et le justifier si nous voulons qu'il soit compris par les familles qui en perdront le bénéfice.
Bien souvent, l'un des parents doit, pour le bien-être des enfants, cesser son activité professionnelle. Dans ce cas, la famille aura autant besoin du complément de libre choix d'activité que les autres.
Il semble que le Gouvernement souhaite favoriser l'activité professionnelle des parents, mais je me permets de vous rappeler, monsieur le ministre, que les parents de familles nombreuses, même s'ils n'exercent pas d'activité professionnelle, sont loin d'être inactifs : élever ses enfants est une activité à plein temps et une garantie éducative de qualité. Il faut préserver cette richesse indispensable pour notre pays. Nous ferons ainsi, j'en suis sûr, de la prévention.
Le groupe de l'Union centriste défendra donc cette position, malgré l'adoption, en première lecture, à l'Assemblée nationale, d'un amendement visant à la rédaction d'un rapport destiné à évaluer la pertinence du durcissement des conditions susmentionnées. Cette mesure est pour nous insuffisante, la modification des conditions d'obtention du complément nous semblant injustifiée et être une erreur s'agissant des effets à long terme d'une absence parentale auprès des enfants.
La période de la grossesse est un moment privilégié, pendant lequel il faut donner à toutes les femmes les mêmes droits. Je considère que les femmes enceintes qui n'exercent pas d'activité professionnelle pendant ce temps particulier veulent à tout prix et malgré un sacrifice financier assurer le bon déroulement de leur grossesse et non pas exprimer une envie de ne pas travailler. C'est pourquoi notre groupe estime que les neuf mois concernés devraient être considérés comme une période de travail, condition d'obtention du complément de libre choix d'activité.
Aux yeux des employeurs et aux termes du droit du travail, une période de maladie ou de grossesse n'engendre pas une suspension du salaire de la personne malade ou de la femme enceinte, qui est prise en charge par la sécurité sociale : elle est toujours considérée comme partie intégrante de l'entreprise, bien qu'elle ne s'y rende plus à partir d'un certain stade de sa grossesse. Pour quelle raison, mes chers collègues, en serait-il autrement pour le complément de libre choix d'activité ? Je n'en vois aucune !
L'ancienne allocation parentale d'éducation prenait en compte la période de grossesse parmi les périodes de travail. Il ne faut donc pas pénaliser les familles qui souhaitent avoir des enfants à intervalle rapproché, ni même les jeunes mères étudiantes, en durcissant les conditions du libre choix d'activité.
Assurer le renouvellement de la population est une nécessité pour l'avenir de notre pays et de notre société. Donner aux enfants la chance d'être éduqués par la présence d'au moins un des parents au foyer pendant les premières années de la vie, c'est un devoir et, en quelque sorte, une mesure de prévention contre la violence et la délinquance.
Le Gouvernement nous propose des dispositifs pour encourager les familles à s'agrandir. Nous lui suggérons d'aller encore plus loin. Quant aux économies réalisées avant et après la naissance en durcissant les conditions d'attribution de la PAJE, nous risquons de les reverser un jour sous forme d'aide éducative par l'intervention d'éducateurs spécialisés. Ne vaut-il pas mieux prévenir que guérir ? C'est notre façon de voir les choses.
En tout cas, monsieur le ministre, sachez que nous apprécions vos efforts pour assurer aux familles mieux-être et meilleures conditions de développement. En conséquence, le groupe de l'Union centriste votera en faveur de l'adoption de ce texte, après avoir examiné les amendements qui seront proposés. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et de l'UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Carle.
M. Jean-Claude Carle. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la famille est l'un des piliers de notre société depuis toujours.
Premier cercle de décision, mais aussi parfois, hélas ! premier lieu de démission, elle a traversé les siècles de notre longue histoire.
A l'heure actuelle, la conception même de la famille a beaucoup évolué mais elle continue d'être un repère indispensable pour notre société et pour nos enfants, de sorte qu'ils puissent grandir, se construire et appréhender la vie adulte de la façon la plus sereine possible.
C'est la Révolution française qui a impulsé la première véritable politique familiale avec l'aide aux familles nombreuses, la prime de grossesse et de naissance, et la « surtaxation » des célibataires.
En 1939, le code de la famille et de la natalité française est créé ; il regroupe tous les textes de loi en vigueur. En 1942, c'est la loi Gounot qui permettra de structurer et de coordonner les principales organisations familiales. Ces mesures seront réaménagées et reprises par le gouvernement provisoire avec l'ordonnance du 3 mars 1945.
Depuis la Libération, l'essor de la politique familiale n'a cessé de croître, au point qu'à l'heure actuelle nous sommes l'un des seuls pays européens à avoir une politique familiale au sens strict du terme, c'est-à-dire un « ensemble stable d'actions ayant un contenu orienté vers des finalités affichées ».
Toutefois, le précédent gouvernement en a progressivement modifié les objectifs en multipliant les prestations à caractère social au détriment de celles qui étaient plus traditionnelles.
Transformant insidieusement la politique familiale en politique sociale, il a été ainsi porté atteinte à son caractère universel.
Il est donc aujourd'hui essentiel de relancer une politique familiale plus dynamique, en faveur de toutes les familles.
Le Président de la République a d'ores et déjà rappelé toute l'importance de l'enjeu le 20 mai 2003, lors de la remise de la médaille de la famille française.
Conforter le modèle familial, aider les familles à surmonter leurs difficultés et à réaliser leur projet de vie : il y a peu d'exigences qui soient aussi fondamentales. Car la famille est au croisement de toutes les politiques publiques, qu'elles visent la cohésion sociale, la solidarité ou le dynamisme économique.
« La famille joue un rôle irremplaçable dans la transmission des valeurs. Certes, elle évolue, elle s'adapte et se renouvelle. Mais sous toutes ses formes, elle reste le lieu essentiel de l'apprentissage de la vie en société. C'est là que se forgent la confiance en soi et la confiance dans les autres. L'accomplissement de soi, la capacité à s'ouvrir au monde, le respect des autres et aussi le respect de la règle, le sens du partage et de l'effort sont souvent les fruits du bonheur familial. »
Voilà ce que disait le Président de la République.
Or la situation financière de la branche famille est loin d'être excellente. Si elle est demeurée structurellement excédentaire durant de nombreuses années, elle a, à partir de 1994, connu des déficits successifs. Depuis 2000, elle demeure en situation de léger excédent, qui, hélas ! s'amenuise d'année en année. Ses recettes sont moyennement dynamiques, mais, surtout, la branche famille supporte des charges dont le bien-fondé peut être contesté.
Je désapprouve ainsi, comme M. le rapporteur l'a fait, le transfert progressif et programmé de la charge financière des majorations de pensions de retraite pour enfant de la branche vieillesse vers la branche famille. Il s'agit d'une prestation de reconnaissance envers les parents ayant élevé plus de trois enfants et ayant contribué ainsi à l'équilibre futur de nos régimes de retraite. Elle n'est donc pas un avantage familial.
Quant aux relations que la branche entretient avec l'Etat, elles nécessiteraient certainement davantage de transparence. Il est essentiel qu'une réflexion soit menée afin que, désormais, seules soient imputées à la branche famille les charges qui relèvent de ses missions.
A contrario, devraient lui être remboursés les services qu'elle effectue sans qu'ils relèvent justement de sa sphère de compétence. Je fais allusion, notamment, à la gestion des minima sociaux et des différentes aides au logement que la CAF gère pour le compte de l'Etat ou de ses démembrements et pour lesquels elle n'est pas correctement indemnisée.
Or cette gestion représente une charge de travail extrêmement importante en raison de la complexité des situations des personnes bénéficiaires. Là encore, des efforts restent à accomplir, afin que de nouvelles marges de manoeuvre puissent être dégagées en faveur des familles.
Toutefois, malgré la fragilité de cette situation financière, vous avez su, monsieur le ministre, donner l'impulsion souhaitable, dès 2003, à notre politique familiale.
Beaucoup a déjà été fait : des mesures ont ainsi été mises en place pour favoriser la transmission entre les grands-parents et les petits-enfants, pour lutter contre la violence et la pornographie à la télévision, pour améliorer l'aide aux familles nombreuses, pour favoriser les emplois familiaux et pour réformer le droit de la famille.
Cette année, vous vous êtes consacré à la petite enfance à l'occasion de la conférence de la famille. Cette démarche s'est faite dans la concertation et le sens du dialogue.
Cette nouvelle politique a pour ambition de permettre à chaque couple de développer son projet familial dans de meilleures conditions.
Tout d'abord, d'ici à 2007, 1 milliard d'euros supplémentaire sera consacré à la famille et, en 2004, 200 millions d'euros sont prévus. Sur ces 200 millions d'euros, 50 millions d'euros seront déployés dès l'an prochain en faveur du « plan crèche », ce qui permettra de créer 20 000 places supplémentaires en quatre ans.
Avec la PAJE que vous venez de mettre en place, vous répondez aux attentes d'une grande partie des familles.
La PAJE coûtera 85 millions d'euros par an à partir de 2007. Grâce au doublement du plafond de ressources, 200 000 familles supplémentaires percevront cette aide. A titre indicatif, il y a 2,1 millions de familles en France dont 1,7 million percevaient l'allocation pour jeune enfant ; désormais, 1,9 million de familles percevront cette nouvelle aide.
Cette nouvelle prestation apporte, par ailleurs, souplesse et lisibilité, puisqu'elle vient remplacer six prestations qui représentaient 8 milliards d'euros. Depuis tant d'années, les acteurs du secteur, et surtout les familles, réclamaient davantage de simplicité dans les prestations. Cette demande est enfin satisfaite.
Je n'entrerai pas dans le détail de cette allocation, qui a la grande qualité d'être adaptable à des situations et à des choix familiaux très divers.
Je voudrais, en revanche, insister sur le problème de l'offre de garde des jeunes enfants.
Vous avez d'ores et déjà accompli beaucoup en matière de places disponibles en crèche, en matière d'assouplissement d'agrément des assistantes maternelles aussi, et vous avez également annoncé le dépôt d'un projet de loi revalorisant leur statut.
Cependant, vous me permettrez d'avoir une inquiétude concernant les emplois liés à la petite enfance, qui connaissent une désaffection préoccupante alors que le nombre d'enfants augmente, bien heureusement. En effet, selon une étude du Haut Conseil de la population et de la famille : « Fin 2001, on dénombrait 2 270 000 enfants de moins de trois ans, dont 260 000 scolarisés, environ 1 000 000 gardés principalement par un de leurs parents et de l'ordre de 1 000 000 qui ont besoin d'une solution d'accueil. Dans ce dernier groupe, 240 000 enfants sont accueillis en crèche, 460 000 par une assistante maternelle et 30 000 sont gardés à leur domicile par une employée de maison. Quelque 300 000 enfants de moins de trois ans se situent ainsi hors du système d'accueil aidé, dont les trois quarts seraient gardés par un membre de la famille, les grands-parents étant, ici, largement mis à contribution, et un quart par une autre personne, notamment dans le cadre d'une garde non déclarée. »
Aujourd'hui, les difficultés de recrutement concernent toutes les catégories de personnels - puéricultrices, éducateurs de jeunes enfants, auxiliaires de puériculture - et sont d'autant plus accentuées que le niveau de diplôme est élevé.
Pour l'accueil collectif, l'augmentation des besoins va de pair avec la réduction du temps de travail et avec la perspective de départs massifs en retraite dans les prochaines années. Le risque de pénurie semble donc considérable.
L'accueil individuel lui-même - assistantes maternelles, employées de maison - devient problématique dans certains secteurs géographiques, alors que le niveau de qualification exigé est bien moins élevé, puisque, dans leur majorité, les assistantes maternelles n'ont aucun diplôme.
Je ne doute pas, monsieur le ministre, que vous ayez d'ores et déjà pris en compte ces difficultés, qui prennent une dimension réellement pénible pour les familles confrontées à cette pénurie de garde, afin que des solutions soient trouvées.
Pour la prochaine conférence de la famille, le thème retenu est celui de l'adolescence et des jeunes adultes.
Je me félicite, cette fois encore, que ce soit la méthode du dialogue, de la concertation et de l'écoute qui ait été choisie pour élaborer une politique sur ce sujet très délicat du passage de l'enfance à l'âge adulte.
Les parlementaires, notamment les sénateurs, sont une nouvelle fois étroitement associés aux groupes de travail mis en place, ce dont je ne peux que me réjouir.
Monsieur le ministre, je tiens à vous assurer de tout notre soutien dans la politique que vous mettez en place et à vous adresser tous nos encouragements pour la prochaine conférence de la famille. Qu'elle soit aussi fructueuse que la précédente, et la France aura une politique familiale digne de ce nom !
Permettez-moi de conclure mon intervention en faisant référence au débat national sur l'avenir de l'école que le Président de la République a souhaité engager devant les Français, afin que la nation, dans son entier, se prononce sur ce qu'elle attend de son école.
Il me semble indispensable que la famille, dans sa dimension de « cellule de base » autant que dans celle de communauté de parents d'élèves, puisse s'exprimer, car l'éducation, c'est d'abord l'affaire du père et de la mère avant d'être celle des enseignants. Il est donc souhaitable que le ministre de la famille puisse lui aussi s'exprimer au cours de ce grand débat.
Monsieur le ministre, je puis vous assurer que le groupe UMP votera le projet de loi de financement de la sécurité sociale. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Henri de Raincourt. C'est une bonne nouvelle !(Sourires.)
M. le président. La parole est à M. Guy Fischer.
M. Guy Fischer. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, sur l'initiative de la commission des affaires sociales du Sénat, nous abordons aujourd'hui plus spécifiquement le thème de la famille avant d'examiner les articles du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2004 s'y rapportant.
Nous n'avons pas d'objection particulière à formuler sur le principe même d'une telle discussion.
Je tiens toutefois à rappeler, pour donner toute sa dimension à la question que nous abordons, que la politique en direction des familles ne saurait être réduite aux mesures annoncées par le Gouvernement dans le cadre de la conférence de la famille d'avril dernier.
Si les mesures du présent projet de loi de financement de la sécurité sociale qui sont ciblées sur la petite enfance doivent retenir toute notre attention, la majorité des familles ayant des enfants de moins de six ans étant confrontée au problème récurrent du non-choix du mode de garde, il n'en demeure pas moins que ces mesures ne sauraient masquer la réalité de votre politique économique et sociale, monsieur le ministre, particulièrement violente pour les familles, monoparentales notamment.
Dans un récent rapport, le Secours catholique fait état d'une hausse de 2,3 % du nombre des personnes aidées par l'association au cours de 2002, lesquelles étaient 1 600 000, dont 745 000 enfants. L'accent est mis sur la féminisation de la pauvreté.
L'actuel gouvernement porte évidemment la responsabilité de ces évolutions, conséquences de la remontée du chômage, de la stigmatisation des personnes tirant leurs revenus exclusivement des transferts sociaux, des économies réalisées sur le dos des personnes les plus fragiles, bénéficiaires du RMI, de l'AAH, de la CMU ou de l'AME.
M. Roland Muzeau. C'est la réalité !
M. Guy Fischer. Le budget pour 2004 enregistre une forte baisse des aides au logement ou du traitement social du chômage, et privilégie, par le biais de la massification des politiques d'exonération de cotisations sociales patronales, le travail précaire faiblement rémunéré. Ce budget ne manquera pas d'aggraver encore la situation.
Les familles peinant déjà à se loger, à se nourrir, à se vêtir, jonglant pour satisfaire leurs besoins vitaux immédiats, continueront d'être exclues, de fait, de l'accès au « superflu », c'est-à-dire les loisirs, la culture, le sport, les vacances.
Que dire du présent PLFSS, si ce n'est qu'il est, lui aussi, le texte de tous les dangers pour les personnes fragiles, les foyers à revenus modestes ?
Mon collègue M. Roland Muzeau, à l'appui de la question préalable déposée sur ce texte par le groupe communiste républicain et citoyen, a insisté sur le caractère pénalisant, discriminant, culpabilisant de nombre de ces mesures. Je pense à l'augmentation du forfait hospitalier, au déremboursement de nombreux médicaments ou au soupçon d'abus porté sur les malades, les personnes handicapées et les enfants en affection de longue durée.
Pour ma part, je voudrais regretter que le Gouvernement ne s'engage absolument pas, bien au contraire, sur le niveau des allocations familiales qui, pourtant, a grandement besoin d'être revalorisé. Il en est d'ailleurs de même des prestations logement.
Mes chers collègues, vous avez beaucoup reproché au gouvernement précédent d'avoir privilégié des mesures allant dans le sens d'une politique familiale plus sociale qu'universelle, alors que la vocation première des allocations familiales est d'aider toutes les familles pour compenser la charge due à la présence de l'enfant ou de l'adolescent.
Le rapport de la commission des affaires sociales sur la famille met l'accent sur le recul du poids des dépenses de la branche famille consacrées aux prestations légales par rapport aux dépenses d'action sociale. Monsieur le rapporteur, vous attribuez justement cette situation à la multiplication des prestations versées sous condition de ressources et à la faible augmentation de la base mensuelle des allocations familiales servant de calcul de leur revalorisation.
Vous invitez le Gouvernement à « donner un signe fort en faveur de l'ensemble des familles ».
Manifestement, le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2004 n'emprunte pas cette voie. Cette année, comme en 2003, la hausse de la base mensuelle des allocations familiales retenue reste fixée à 1,7 % ! Les familles devront encore attendre une revalorisation plus généreuse, mais juste et nécessaire des prestations.
Quant à votre souhait, que nous partageons, monsieur le rapporteur, que la vocation universelle de la politique familiale soit rappelée, là encore, vous pouvez être déçu. La PAJE demeure une prestation soumise à condition de ressources. Je reviendrai sur ce point.
Vous me direz, mes chers collègues, que la situation financière de la branche famille laisse peu de latitude au Gouvernement.
Avant les mesures nouvelles inscrites dans ce projet de loi, le solde de la branche famille pour 2004 est de 23 millions d'euros. Je vous rappelle tout de même que ce solde était de 1,684 milliard d'euros en 2001, de 1,029 milliard d'euros en 2002, et de 291 millions en 2003 !
Ce gouvernement, qui n'a eu de cesse de dénoncer le « siphonnement » des ressources de la branche famille par l'ancienne législature, a-t-il pris des mesures pour inverser la situation et éviter ainsi qu'en 2004 l'excédent de la branche soit proche de zéro ? Non !
Vous acceptez le désengagement des employeurs du financement de la branche et vous privez ainsi cette dernière de ressources financières suffisantes pour satisfaire les besoins des familles. De surcroît, vous continuez de ponctionner les excédents de la branche famille - en témoigne l'article 51 - pour financer les majorations des pensions pour enfant à hauteur de 60 %, ces majorations relevant normalement de la branche vieillesse.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. C'est une action familiale !
M. Guy Fischer. Contrairement à ce que vous tentez de démontrer à travers ce débat, en valorisant une des deux mesures phares de ce projet de loi de financement de la sécurité sociale, en l'occurrence la PAJE, le gouvernement de M. Raffarin ne déploie pas une politique familiale « plus dynamique », moins « discriminante », plus universelle que le gouvernement précédent.
Très habilement, monsieur le ministre, vous avez présenté la PAJE, qui concerne effectivement un grand nombre de familles et qui constitue même une réforme d'ampleur en raison des moyens débloqués et du gain potentiel qu'elle représente pour toutes les familles.
M. Pierre-Christophe Baguet, député de l'UDF, a relativisé le premier argument, en qualifiant de « modeste » le coût des mesures proposées qu'il juge « sans commune mesure avec le prélèvement inadmissible de 1,9 milliard d'euros espéré sur la branche famille ».
Pour notre part, nous nous emploierons à relativiser la portée de cette mesure.
Nous ne sommes pas les seuls à penser que le réel bonus pour les familles est très divers selon le niveau des revenus et, surtout, selon le mode de garde utilisé.
Nous ne sommes pas les seuls non plus à nous poser la question de savoir si la PAJE n'est pas qu'un savant aménagement de l'existant, plutôt qu'« un plus pour toutes les familles ». Nous aurons l'occasion d'y revenir dans le débat. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Philippe Darniche.
M. Philippe Darniche. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, à la veille de la journée internationale des droits de l'enfant, je suis heureux que s'ouvre aujourd'hui au sein de la Haute Assemblée un débat d'envergure sur la branche famille. Il s'agit pour moi d'un moment important d'échanges sur les droits des membres de la famille et les devoirs parentaux qu'ils sous-tendent.
En effet, monsieur le ministre, comme vous le savez, c'est dans la famille que s'exprime le mieux le lien de solidarité entre individus et entre générations. C'est dans la famille que s'apprend le respect mutuel et que se construisent les apprentissages de la vie, que se transmettent année après année les valeurs d'une vie d'homme ou de femme, mais également d'émerveillement pour les enfants, de créativité et de savoir pour les adolescents.
Maillon fort de la cohésion sociale, tout à la fois cercle d'affection et de transmission, plus que jamais, la famille doit être protégée par l'Etat lorsqu'elle se retrouve en situation d'affaiblissement.
Face aux dérives inquiétantes que sont les abus sexuels sur mineurs, face aux dramatiques violences conjugales, le législateur se doit - plus que jamais, mes chers collègues - de lutter activement, à l'échelon national, contre la maltraitance familiale tout en favorisant durablement une politique familiale digne de ce nom.
Monsieur le ministre, je salue ici les efforts du Gouvernement, et je voterai, ainsi que mes collègues non inscrits, le projet de loi de financement de la sécurité sociale que vous nous proposez.
En effet, c'est en simplifiant les régimes d'allocations, c'est en créant la nouvelle prestation d'accueil du jeune enfant, qui regroupe en une seule les cinq prestations actuellement existantes, que vous améliorez, à l'échelon local, la relation des familles avec leur caisse d'allocations familiales. C'est en favorisant le développement de l'accueil des moins de trois ans et l'offre de garde collective pour la petite enfance que vous amorcez un premier pas, ce dont je me réjouis !
Sur le terrain, les ambitions gouvernementales sont amplement justifiées, malgré les contraintes budgétaires de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2004, qui demeurent intenses, dans un contexte de détérioration de la situation financière de la Caisse nationale d'allocations familiales.
Avec un excédent de la branche famille divisé par trois en moins de trois ans - il est passé d'un milliard d'euros en 2002 à 300 millions d'euros en 2003 - et qui devrait disparaître en 2004, la CNAF continue de financer 60 % des majorations de pension de retraite consenties aux personnes ayant élevé au moins trois enfants.
Nous nous devons donc de clarifier les charges actuelles et futures de la branche famille pour qu'elle puisse dégager, à moyen terme, les moyens financiers nécessaires à la mise en oeuvre de mesures attendues - et efficaces - en faveur de l'ensemble des familles de France.
Monsieur le ministre, à l'heure où nous assistons à la quête incessante du bonheur individuel aux dépens des engagements familiaux, la famille doit être reconnue comme un point de repère fondamental dans notre société. C'est pourquoi il est de notre devoir de la protéger et de favoriser durablement dans notre pays, de la naissance à la majorité, une politique familiale ambitieuse, généreuse, dynamique et volontariste.
Quelques chiffres peuvent éclairer ce débat.
En un demi-siècle, le taux de fécondité en France est passé de moins de trois enfants - 2,73 enfants en 1960 - à moins de deux - 1,9 aujourd'hui -, réduisant d'autant la taille des familles, favorisant durablement le non-renouvellement des générations et aggravant par « ricochet dénataliste » le lancinant problème des retraites des inactifs.
Alors que le nombre de mariages a été divisé par deux en cinquante ans, le nombre des divorces a, lui, été multiplié d'autant. Ainsi, le divorce atteint actuellement un mariage sur deux à Paris, un sur trois dans le reste de la France et un sur neuf dans l'ensemble de l'Union européenne. Quant aux familles recomposées, elles ne cessent de se développer, pour atteindre aujourd'hui le chiffre impressionnant de plus d'un demi-million.
Mes chers collègues, les mesures annoncées lors de la conférence de la famille consacrée à la petite enfance pour 2003, puis à l'adolescence pour l'année 2004, vont dans le bon sens, mais elles restent insuffisantes pour relancer une reprise forte et durable de la natalité dans notre pays.
En effet, comme nombre d'entre nous ici, je pense qu'en France chaque famille doit être considérée comme un foyer d'investissement à long terme de la société et non comme un lieu de « dépense publique » de plus.
Mais, ne nous leurrons pas, savoir impulser une nouvelle politique familiale reste en France l'affaire de tous, car elle met en jeu l'avenir de chacun...
Ces dernières années, une série de politiques laxistes de « désorganisation familiale » ont défavorisé le mariage et la constitution de familles stables, encourageant les situations marginales, voire extrêmes.
A mes yeux, trois axes essentiels doivent guider le soutien à une « vraie » politique familiale de « grande vitalité », conduite par une série d'action concrètes, aux impacts très attendues.
J'aurais aimé que le budget prenne en compte trois objectifs fondamentaux, mais je ne désespère pas que cela se fasse dans les années à venir.
Le premier objectif doit être le libre choix de garde pour les parents en instituant, lorsqu'un parent choisit de ne pas travailler pour s'occuper des enfants, un vrai « salaire parental d'éducation » indexé sur le SMIC, et ce dès le premier enfant. Pour résumer, n'aurait-on, en France, le droit d'être payé pour garder des enfants que si - et uniquement si - ils ne sont pas les vôtres ?
Le deuxième objectif réside dans des aides respectant le principe d'universalité pour ne plus être assujetties à un seuil de ressource.
Enfin, le troisième objectif doit être l'instauration d'un « statut du parent au foyer » prévoyant une protection sociale complète, notamment l'assurance maladie, les droits à la retraite et à la formation professionnelle pour maintenir le niveau de compétence des parents concernés.
Enfin, monsieur le ministre, j'achèverai mon propos en vous lançant un appel bref, mais solennel.
Demain, en présence de M. le Premier ministre, vous ouvrirez, au centre des conférences internationales de l'avenue Kléber, la première conférence des ministres européens responsables de l'enfance.
Très sensible au douloureux problème des déplacements illicites vers l'étranger d'enfants de couples séparés ou divorcés, je tiens à vous interpeller personnellement afin que vous sensibilisiez, à cette occasion, l'ensemble de vos homologues européens sur ce dossier fondamental des droits de l'enfance et de la coresponsabilité parentale.
Merci de leur faire savoir - je dirai même de leur faire comprendre - que ces milliers d'enfants « partis du jour au lendemain sans laisser d'adresse » de leur précédent lieu de résidence en France ou dans un pays tiers ont droit - conformément à l'article 9 de la convention internationale sur les droits de l'enfant - à chacun de leurs parents, simultanément ou alternativement.
Monsieur le ministre, j'appelle nos futurs partenaires européens, ainsi que nos partenaires actuels, à prendre pleinement la mesure du problème des enlèvements parentaux d'enfants vers l'étranger. La France a un rôle important à jouer à ce sujet. Merci de bien vouloir entendre cet appel. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées de RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Fernand Demilly.
M. Fernand Demilly. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la famille est aujourd'hui l'objet de controverses au sein de la société française. Certains estiment qu'elle est vouée à disparaître dans sa forme traditionnelle, cédant sous les coups de la banalisation du divorce, du déclin de la natalité ou de l'évolution des moeurs. D'autres, à l'inverse, mettent l'accent sur son rôle primordial dans une société qui délaisse peu à peu ses repères.
Je pense que la famille doit être plus que jamais une valeur vraie, un lieu de solidarité et le ciment de la société dans un monde en perpétuelle évolution.
Pour autant, la notion même de famille est soumise à de profonds changements. Bien évidemment, elle subit les conséquences des évolutions sociologiques et comportementales de notre société.
A l'heure actuelle, deux familles sur dix sont monoparentales, et un enfant sur dix vit dans une famille recomposée ; le taux de divorce avoisine les 40 %, et le taux d'activité professionnelle des femmes a doublé ces dernières décennies. A côté de ces données factuelles se banalise le concubinage et apparaissent de nouvelles formes de cellule familiale, comme le pacte civil de solidarité, le PACS.
En dépit de ces changements, la famille demeure une valeur fondamentale pour les Français : un sondage récent a montré que 82 % des jeunes la placent au premier rang des valeurs essentielles.
Mais ces évolutions de fond ont conduit naturellement à poser avec acuité la question de la possibilité de concilier une vie de famille épanouissante avec une vie professionnelle harmonieuse.
Cette question concerne au premier chef les femmes, souvent soumises à la contrainte de la double journée - quand elles ne doivent pas abandonner toute idée de carrière professionnelle ou tout désir d'enfant. Le taux d'activité des femmes ayant deux enfants est de 75 % ; il n'est plus que de 50 % pour les femmes ayant trois enfants. Une telle sujétion est donc un obstacle à l'épanouissement individuel de la femme. Par ailleurs, nous savons que l'activité professionnelle des parents laisse parfois les enfants livrés à eux-mêmes !
Néanmoins, malgré ces évolutions et ces contraintes, la famille, comme l'école, doit demeurer l'un des principaux vecteurs de la transmission des valeurs. Creuset de la socialisation, noyau de la solidarité, la famille doit redonner sa place à l'esprit de responsabilité : responsabilité des parents dans l'éducation des enfants et la transmission des valeurs, responsabilité des enfants envers leurs aînés, dans une véritable solidarité intergénérationnelle. Le drame de la canicule de l'été dernier nous a, hélas ! démontré que le chemin est peut-être encore long pour y parvenir.
Aussi, compte tenu de l'évolution des comportements du couple, la question du mode de garde des enfants est devenue essentielle. Les crèches, les assistantes maternelles, les gardes à domicile ou encore l'accueil des tout-petits dans les écoles maternelles sont autant de dispositifs qu'il convient de mettre à la portée du plus grand nombre. Je me réjouis, monsieur le ministre, que votre gouvernement ait affirmé son attachement à cette liberté de choix, dans une perspective globale.
Pour ce qui est des assistantes maternelles, qui accueillent chaque jour 650 000 enfants, une réflexion concernant la rénovation d'un statut devenu inadapté a été engagée à la suite de la conférence de la famille du mois d'avril dernier. Il est indispensable de consolider l'attractivité de cette profession et de proposer une offre mieux répartie sur le territoire. Il s'agit là non seulement d'un vivier de créations d'emplois, mais aussi d'une impulsion qui viendra satisfaire des besoins sans cesse croissants de la population.
Par ailleurs, le nouveau « plan crèches », applicable au 1er janvier prochain, prévoit la création de 20 000 places supplémentaires et il est doté de 200 millions d'euros ; il représente une avancée majeure. Le manque de places en crèches est un problème récurrent auquel nos concitoyens sont trop souvent confrontés. Ce nouveau plan va donc permettre de mieux concilier vie familiale et vie professionnelle en apportant un financement substantiel et adapté.
De même, la création de la prestation d'accueil du jeune enfant ouvre un accès plus équitable aux différents modes de garde et rend plus lisibles les dispositifs d'aide alloués par l'Etat. Le complément « libre choix du mode de garde » concourt en outre à développer les possibilités offertes aux parents.
Je salue la philosophie du projet, qui est fondée sur la liberté, l'autonomie et la simplification des prestations.
Je formulerai néanmoins deux réserves au sujet de la condition d'activité requise pour bénéficier du complément de libre choix d'activité.
Les jeunes mères étudiantes, en fin d'études ou ayant travaillé moins de deux ans ne pourront prétendre à ce complément, alors qu'elles doivent faire face aux mêmes charges financières. En outre, les familles de deux enfants et plus se verront soumises à des conditions de durée d'activité moins favorables que celles qui sont requises pour bénéficier de l'actuelle allocation parentale d'éducation, l'APE.
Il serait souhaitable, monsieur le ministre, d'engager une réflexion visant à éviter ces écueils du nouveau dispositif, par ailleurs novateur et louable.
En toute hypothèse, une politique familiale doit aller au-delà d'une politique sociale des familles. Elle doit conduire à une réflexion plus globale sur la famille, la natalité, l'éducation, le logement, l'égalité entre les hommes et les femmes et la prise en charge des personnes âgées et handicapées. Elle ne doit donc pas s'adresser exclusivement aux familles les moins aisées ou en difficulté, même si ce soutien est indispensable. Elle concerne la famille en tant que telle et constitue une réponse à de nombreux enjeux en termes de solidarité, de responsabilité, d'apprentissage du respect de l'autre et du sens de l'effort, et, bien sûr, de politique de prévention de la maltraitance et de la délinquance. Elle dépasse donc le seul intérêt démographique, même si celui-ci reste majeur.
La France ne saurait être le pays des berceaux vides ou des enfants uniques, et le déclin de la natalité marquerait le déclin de notre pays : l'Etat a bien compris que la grande cause familiale commande l'avenir du pays.
A ce propos, je tiens à saluer le travail quotidien qu'accomplissent sur le terrain les travailleurs sociaux des départements, des caisses d'allocations familiales et des associations.
Monsieur le ministre, je me réjouis des orientations que vous avez prises pour donner un souffle nouveau à la politique familiale de la France. Valeur essentielle et repère indispensable de notre société, la famille doit être restaurée dans ses responsabilités et dans sa dignité ; elle doit occuper une place de choix dans les politiques sociales et être la première, sans aucun doute, des priorités nationales. (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'Union centriste et de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Christian Jacob, ministre délégué. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je pense avoir eu l'occasion, lors de mon audition par la commission, mais aussi tout à l'heure en introduisant ce débat, de répondre par anticipation à quelques-unes de vos interrogations.
Pour le reste, je me propose d'y revenir pendant l'examen des amendements.