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Souhaits de bienvenue à M. Andreas Khol, président du Conseil national autrichien
M. le président. Monsieur le ministre d'Etat, monsieur le ministre, mes chers collègues, j'ai le très grand plaisir de saluer la présence dans notre tribune officielle de M. Andreas Khol, président du Conseil national autrichien. Nous sommes particulièrement sensibles à l'intérêt et à la sympathie qu'il porte à notre institution.
M. Andreas Khol est accompagné par notre collègue M. Denis Badré, président du groupe d'amitié France-Autriche.
Au nom du Sénat, je souhaite à M. Andreas Khol la plus cordiale bienvenue et je forme des voeux pour que son séjour en France contribue à renforcer les liens d'amitié entre nos deux pays. (M. le ministre d'Etat, M. le ministre délégué, Mmes et MM. les sénateurs se lèvent et applaudissent.)
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énergie
Suite d'un débat sur une déclaration du Gouvernement
M. le président. Nous reprenons le débat sur l'énergie consécutif à une déclaration du Gouvernement.
Dans la suite du débat, la parole est à M. Henri Revol.
M. Henri Revol. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis la parution du rapport sur la politique énergétique de la France, que j'ai rédigé il y a six ans avec M. Jacques Valade, le groupe d'études de l'énergie du Sénat que j'ai l'honneur de présider a activement poursuivi sa réflexion sur un sujet crucial pour l'économie de la nation et le bien-être de nos concitoyens.
Nous appelions de nos voeux un grand débat sur cette politique : il a eu lieu au cours de l'année dernière aussi bien à Paris qu'en province. Nous demandions que ce débat s'achève dans la transparence et la concertation : le Gouvernement rencontre actuellement les organisations représentatives des salariés et nous réunit aujourd'hui pour envisager les grands principes qui détermineront la politique énergétique de notre pays au cours des prochaines années.
La politique énergétique de la France a longtemps fait l'objet d'un consensus ; je souhaite qu'il se perpétue sur les bases qu'il nous appartient aujourd'hui de définir, eu égard aux trois défis que nous devons relever : la préservation de l'environnement, la sécurité de nos approvisionnements, la constitution d'un marché européen de l'énergie.
Le principal défi auquel nous sommes aujourd'hui confrontés tient à l'accroissement régulier des émissions de gaz à effet de serre qui ont pour effet - c'est l'hypothèse la plus probable - d'augmenter la température de la planète. Ce mouvement, qui a vraisemblablement débuté au début de l'ère industrielle, est appelé à se renforcer dans les années à venir du fait de l'arrivée à maturité des économies émergentes, notamment celles de l'Asie. Si nous n'y prenons garde, cette tendance aura des conséquences désastreuses pour l'équilibre écologique de la planète, avec une détérioration des climats, une accentuation des phénomènes naturels violents et une diffusion de certaines maladies infectieuses.
Pour relever ce défi, je ne vois guère qu'une solution : le recours à l'énergie nucléaire, dès lors que toutes les possibilités de recours aux énergies renouvelables, sans aucune exclusive, ont été utilisées. J'observe d'ailleurs que, dans certaines régions de France, souvent les moins bien dotées en matière de production locale de courant, les opposants à l'énergie nucléaire se sont mués en opposants à l'implantation d'éoliennes, à croire que ces professionnels autoproclamés de la protection de l'environnement trouvent là leur fonds de commerce.
J'entends déjà les voix des détracteurs du « lobby nucléaire », censé pousser ses pions dans les antichambres ministérielles pour mieux abuser les élus. C'est oublier que les premiers défenseurs du nucléaire sont avant tout nos compatriotes, c'est-à-dire tous les consommateurs français, auxquels nous serions bien mal inspirés de reconnaître un droit à l'énergie tout en leur refusant le moyen de s'en procurer.
Tant que nous ne disposerons pas de sources d'énergies alternatives, tant que les énergies renouvelables dont j'appelle le développement de mes voeux demeureront d'un apport utile mais marginal, nous ne pourrons pas nous passer de l'énergie nucléaire. La preuve en est que les pays qui ont à grand bruit annoncé la sortie du nucléaire sont aujourd'hui bien en peine de la mettre en oeuvre. Seule la délicatesse à l'égard d'Etats amis m'empêche de les nommer explicitement, mais vous les connaissez tous. Ils se contentent d'effets d'annonce en fermant les centrales obsolètes et importent du courant produit, au mieux, par les centrales nucléaires françaises, dont on a pu mesurer la fiabilité, au pire, par des centrales de l'ancienne Europe de l'Est, dont l'état ne manque pas de susciter des préoccupations, ou bien encore par des centrales au charbon, le charbon utilisé étant d'ailleurs souvent du lignite !
Au demeurant, le choix courageux des Finlandais, qui ont par référendum décidé de construire une nouvelle tranche nucléaire pour assurer leur indépendance, montre bien que ceux qui croient pouvoir se passer de cette filière n'ont pas compris qu'une immense majorité de l'humanité - je songe ici à la Chine - souhaite accéder à l'énergie et recourra à cette technologie.
L'industrie nucléaire est la seule qui permette de produire de l'électricité sans émettre un centimètre cube de gaz à effet de serre. Aussi l'intérêt qu'elle revêt mérite-t-il d'être reconnu sans a priori idéologique comme l'une des bases intangibles de notre politique énergétique. Le consensus qui a prévalu au cours des vingt dernières années et dont je me réjouis qu'il dépasse les clivages politiques traditionnels, mérite d'être renouvelé dans son contenu et réaffirmé dans son expression.
Nous le savons tous, le principal problème auquel nous serons confrontés dans les quinze ans à venir est celui du renouvellement des centrales, ainsi que l'a souligné M. le ministre d'Etat. Chaque année, la seule augmentation de la consommation d'électricité dans notre pays équivaut à une tranche nucléaire. Dans ces conditions, comment renouvellerons-nous notre parc ? D'aucuns disent que nous pouvons attendre que les réacteurs de quatrième génération, qui n'émettront plus de déchets, entrent en fonction... en 2045 ! Cette stratégie me paraît vouée à l'échec, car elle ne permet ni d'assurer la pérennité de la filière industrielle ni de garantir la bonne fin de ce projet : les centrales de quatrième génération n'existent actuellement que sur le papier et nul ne sait quand exactement elles entreront en service.
M. Roland Courteau. Bientôt !
M. Henri Revol. On n'a jamais produit de courant avec des plans ! Je redis donc ici solennellement mon attachement à la construction d'un démonstrateur de type EPR et je me réjouis que M. le ministre d'Etat ait indiqué que le Gouvernement en retienne la priorité.
Mais la construction de ce nouvel outil a un corollaire : la discussion rapide du projet de loi sur la transparence et la sûreté nucléaire. Comme la loi de 1991 l'a prévu, nous ne pouvons faire l'impasse sur la solution définitive à apporter à la gestion des déchets nucléaires. Comment pourrions-nous dire à nos concitoyens que nous souhaitons progresser dans cette voie sans leur communiquer les termes du problème à résoudre et la solution que nous y apportons ? C'est pourquoi je me réjouis que M. le ministre d'Etat ait annoncé le prochain examen par le Sénat du projet de loi relatif à la transparence et la sûreté nucléaire. C'est bien là le meilleur moyen de montrer que ce secteur n'a rien à cacher.
Monsieur le ministre, je demande solennellement au Gouvernement, face aux campagnes de désinformation relatives au nucléaire - c'est un problème d'actualité -, de tout mettre en oeuvre pour qu'une information scientifiquement validée soit diffusée auprès de nos concitoyens.
Je voudrais aussi rendre hommage à tous les travailleurs du nucléaire, scientifiques, ingénieurs, techniciens, ouvriers, qui ont permis à notre pays d'être leader mondial dans le développement industriel de cette énergie : ils n'ont pas à baisser la tête, ils n'ont pas à raser les murs, ils n'ont pas à avoir honte, comme on voudrait le leur faire croire, ils doivent au contraire être fiers de ce qu'ils ont accompli ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
MM. Jean Chérioux et Jean Bizet. Très bien !
M. Henri Revol. Le deuxième sujet qui me préoccupe est relatif à la préservation de la sécurité d'approvisionnement de notre pays.
Certes, par rapport à d'autres Etats européens, notre taux d'indépendance énergétique, qui s'établit à 50 % grâce aux décisions prises en 1973, nous assure une honnête marge de manoeuvre. Certes, en le multipliant par plus de deux par rapport à 1973, nous avons réalisé des progrès remarquables. Pour autant, la constitution du grand marché européen de l'énergie et les échanges auxquels il donne lieu nous amènent à nous interroger sur la capacité globale du système européen à répondre aux besoins croissants qu'il connaît. J'en veux pour preuve les graves menaces qu'a fait peser sur le réseau français la récente crise survenue en Italie. Nous ne saurions, à nous seuls, assurer la sécurité de l'ensemble de la plaque continentale ouest-européenne. Je crois de mon devoir d'encourager le Gouvernement à solliciter Bruxelles afin que de nouvelles initiatives soient prises en ce sens.
Du reste, comment gérer autrement qu'à l'échelon de l'Union certaines questions intéressant la stabilité globale du système énergétique ? J'illustrerai mon propos par l'exemple du gaz qui, vous le savez, provient pour une large part de Russie et nécessite à ce titre des accords d'importation et de transit dont l'exécution doit être garantie à long terme. L'accroissement prévisible de la consommation de gaz dans la production d'électricité en Europe aura pour effet d'augmenter la part de cette ressource dans le mix énergétique européen et, en conséquence, la sensibilité politique et stratégique de ces importations.
Cependant, la sécurité d'approvisionnement ne saurait être envisagée exclusivement au niveau macroéconomique. Ce serait oublier que les pannes d'électricité et les coupures de courant ont aussi une incidence sociale. En tant que législateurs, nous sommes les garants de la définition du contenu du service public de l'électricité dont les collectivités locales assurent la distribution.
Mais comment allier service public et ouverture des marchés ? C'est là le troisième défi que nous devons relever.
A n'en pas douter, la constitution du marché européen de l'énergie - M. le ministre d'Etat l'a souligné tout à l'heure - s'inscrit non seulement dans une démarche économique qui tend à optimiser l'allocation des facteurs de production, mais aussi dans une perspective politique, pour l'égalité des entreprises et des citoyens sur l'ensemble du territoire de l'Union.
Il nous appartient de nous assurer que l'ouverture progressive du marché, dans les termes de la loi « Pierret » et dans le droit-fil de la directive de 1996 négociée à l'époque par M. Borotra, s'effectue dans des conditions qui préservent la stabilité des prix et la disponibilité de la ressource énergétique.
Comment ne pas évoquer ici la difficile question des transformations auxquelles sont confrontés GDF et, surtout, EDF du fait d'une libéralisation qui ne s'est pas accompagnée d'une gestion de la question des retraites ? Dans le rapport que j'établissais en 1999 sur le projet de loi « Pierret », je me déclarais, au nom de notre commission des affaires économiques, « très préoccupé par le silence du Gouvernement en ce qui concerne les retraites des agents EDF » et déplorais que « l'ouverture du marché à la concurrence n'ait pas pu être mise à profit pour régler à froid un problème qui s'exprimerait de façon aiguë dans les années à venir ». Je craignais alors que le gouvernement de l'époque, en tergiversant, ne se trouve placé devant un problème insurmontable. Et, de fait, il a légué ce dossier à son successeur qui, lui, s'attachera à le résoudre. A cet égard, je salue, monsieur le ministre, la détermination du Gouvernement.
C'est l'ouverture des marchés, et non une quelconque idéologie, qui conduit à modifier, en les transformant en sociétés anonymes à capital majoritairement détenu par l'Etat, le régime juridique des entreprises EDF et GDF pour assurer leur croissance et leur pérennité. Le statut du personnel demeure, quant à lui, inchangé, M. le ministre d'Etat l'a précisé avec force.
Une nouvelle période s'ouvre pour la politique énergétique de la France. A la culture du monopole nous devons substituer celle de la concurrence, à la seule ambition nationale préférer l'ambition collective au sein d'une Europe élargie. Est-ce à dire que les pouvoirs publics n'auraient plus qu'à s'en remettre au libre jeu du marché ? Nous ne le pensons pas. Mieux, nous croyons que l'Etat peut et doit, en fixant des objectifs clairs et en déterminant des moyens appropriés pour les atteindre, permettre le succès de la France. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Marie-France Beaufils.
Mme Marie-France Beaufils. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, lors du débat à l'Assemblée nationale, M. le ministre d'Etat affirmait que « en matière d'énergie, la France a la chance exceptionnelle d'être en avance sur ses concurrents. »
M. Jean Bizet. C'est juste.
Mme Marie-France Beaufils. Pour notre part, nous pensons que cette réalité ne doit rien à la chance. Si notre situation est exceptionnelle, c'est parce que notre pays s'est donné les moyens, au sortir de la guerre, d'une véritable politique énergétique. Le gouvernement du général de Gaulle, avec son ministre de la production industrielle, Marcel Paul, mettait en oeuvre le programme du Conseil national de la Résistance et donnait à notre pays les moyens d'engager sa reconstruction ainsi que le développement de son activité industrielle.
Les choix que nous devons élaborer aujourd'hui sont aussi décisifs pour l'avenir que ceux de cette époque ou ceux des années soixante, lorsque la France se dotait de la filière nucléaire au sein du service public pour répondre aux besoins de la population, tout en gagnant en indépendance.
Une politique énergétique pour la France doit déterminer comment répondre aux besoins croissants non seulement en France et en Europe, mais aussi dans le monde, et particulièrement dans les pays en voie de développement, tout en respectant l'avenir de notre planète et en permettant l'accessibilité à cette énergie, indispensable à l'amélioration de la vie, à tous les êtres humains.
En un siècle, la consommation mondiale d'énergie a quadruplé. Mais cette spectaculaire croissance ne concerne qu'un cinquième des êtres humains sur notre planète, vivant essentiellement dans les pays les plus développés, et comporte de grandes inégalités, puisqu'un Américain du Nord consomme deux plus fois plus qu'un Européen ou qu'un Japonais.
Mais les inégalités sont aussi internes à notre pays : 600 000 foyers ont l'électricité coupée chaque année ; un cadre consomme deux fois plus d'électricité qu'un ouvrier, un habitant de Neuilly deux fois plus qu'un habitant d'Aubervilliers.
Pour ce siècle qui commence, c'est un autre défi, puisque ce sont depuis les pays en voie de développement, qui connaissent une forte progression de leur population et de leur activité économique, que vont naître les besoins les plus importants. En 2000, le monde a consommé 9,346 milliards de tonnes d'équivalent pétrole ; pour 2020, l'estimation est de 14,9 milliards de tonnes d'équivalent pétrole.
Aujourd'hui, la consommation mondiale d'énergie repose pour 36% sur le pétrole - contre 46% en 1973 -, pour 24% sur le charbon, pour 24% sur le gaz - contre 15% en 1973 -, le nucléaire et l'hydraulique intervenant respectivement pour 13% et 3%.
La réponse actuelle à cette demande croissante dépend donc à 80% des ressources fossiles de notre planète. Du fait de leur localisation et de leur nature, nous sommes donc face à des problèmes de limites d'épuisement, de risques géopolitiques et de risques environnementaux.
Les risques d'épuisement sont connus, même s'il existe encore quelques débats sur le nombre d'années restantes. Ce sont environ quarante à cinquante ans pour le pétrole, avec un pic de production en 2010 et un risque d'augmentation des prix quand la ressource va diminuer. On voit, d'autre part, les tensions que cela peut faire naître. Il est certain que, si l'Irak ne possédait pas autant de richesses pétrolières, le gouvernement de M. Bush aurait été probablement moins soucieux de l'avenir de ce pays.
On retient généralement soixante à soixante-dix ans pour les réserves de gaz. Ces ressources énergétiques sont essentiellement dans les pays du Moyen-Orient et de l'ex-URSS.
Quant au charbon, l'échéance est plus lointaine : deux cent cinquante ans environ. C'est l'énergie fossile la plus abondante et la mieux répartie entre les continents, celle qui va être la plus utilisée par la Chine. Actuellement, c'est celle à laquelle notre voisin l'Allemagne a le plus recours.
Toutes ces énergies fossiles ont un inconvénient majeur : leurs rejets polluants dans l'atmosphère participent à l'effet de serre, même si c'est dans une moindre mesure pour le gaz, et nous devons en tenir compte.
Réfléchir aux choix énergétiques pour la France nécessite que nous prenions en compte ces éléments. Notre pays a signé les accords de Kyoto, ce que n'ont pas encore fait les Etats-Unis et la Russie. Nous nous devons de respecter la signature de la France. Il y va de l'avenir des générations futures.
Il s'agit donc de valoriser les technologies qui n'utilisent pas la combustion de ces ressources fossiles pour la production de l'électricité et le chauffage dans l'habitat. Mais, en même temps, il faut veiller à ce que les pays qui ont des difficultés à faire d'autres choix, en particulier ceux qui sont en voie de développement, optimisent l'utilisation de ces ressources.
Il nous faut aussi intervenir sur la conception de l'aménagement du territoire, dans notre pays comme à l'échelle européenne. C'est ainsi que les transports à eux seuls représentent 32% de la consommation énergétique, contre 20% en 1973.
Une politique volontariste dans ce domaine doit donc être engagée. Malheureusement, monsieur le ministre, votre gouvernement, comme les deux précédents, va totalement dans le sens inverse. En décidant de supprimer les subventions aux transports en commun en site propre ou celles qui sont affectées au transport combiné, vous refusez de reconnaître la réalité des conséquences environnementales de ces choix. Le transport routier est, en effet, plus facile à développer, mais si nous ne favorisons pas l'utilisation du transport ferré pour les voyageurs comme pour les marchandises, nous n'aurons pas de réduction significative de la pollution. De même, les voies navigables peuvent aussi contribuer à la diminution de la pollution.
Une politique énergétique pour la France doit s'appuyer également sur l'amélioration de l'efficacité énergétique, ce qui nécessite de veiller à ce que l'effort de recherche dans cette direction soit soutenu, particulièrement pour la recherche fondamentale, et que les critères marchands ne freinent pas les progrès technologiques qui en découlent.
La France fait figure de bon élève dans ce concert international de dégradation des conditions environnementales: le citoyen français renvoie quatre fois moins de gaz carbonique dans l'atmosphère que le citoyen américain. Ce résultat est essentiellement dû aux choix effectués pour la production électrique d'origine nucléaire.
En 2001, l'énergie produite en France provenait à 75,8% du nucléaire - tout à l'heure, monsieur Deneux, vous avez rappelé que ce chiffre s'élevait en 2003 à 78% -, à 13,9% de l'hydraulique, à 6,2% du charbon, à 2% des produits pétroliers, à 1,4% du gaz et à 0,7% du solaire et de l'éolien. Sans le parc nucléaire, nous produirions une fois et demie plus de gaz carbonique.
L'Allemagne rejette presque deux fois plus de gaz carbonique par habitant que la France, soit respectivement dix tonnes contre six tonnes.
Répondre aux besoins de nos populations, dont, je le rappelle, une partie importante se situe en dessous du niveau moyen de consommation, suppose que nous gardions un parc nucléaire performant et, en même temps, que nous développions avec hardiesse les énergies renouvelables.
En effet, nous voulons tous créer les conditions pour que les rejets de gaz à effet de serre soient réduits. Or, pour cela, il faut développer des énergies qui n'en produisent pas. Aujourd'hui, la mode est à l'éolien - on peut faire mieux, c'est certain -, mais c'est une énergie qui ne produit pas en continu. Le solaire doit être plus développé également, en particulier pour l'eau chaude sanitaire. J'ai bien lu les propositions que M. le ministre d'Etat a présentées à l'Assemblée nationale, même s'il ne les a pas rappelées tout à l'heure devant nous, c'est-à-dire faire comme à Barcelone et que, lors de l'attribution des permis de construire, on impose aux habitants l'installation de panneaux solaires. Mais cela suppose que le coût d'investissement pour les familles modestes puisse être atténué.
Dans tout ce secteur des énergies renouvelables, y compris l'hydraulique, des capacités de développement existent, mais elles ne sont pas suffisantes pour nous affranchir de l'utilisation du nucléaire.
Aujourd'hui, le problème du nucléaire tient, entre autres, aux déchets. C'est ce à quoi s'attèlent les chercheurs. Mais on ne peut pas laisser les Etats-Unis ou le Japon maîtres de cette technologie.
Nous sommes donc aujourd'hui face à des choix qu'il ne faut pas éluder. Nous avons à franchir une étape intermédiaire pour garder un niveau de fiabilité, de sécurité et de coût dans ce domaine énergétique. C'est pourquoi l'EPR doit être construit.
Cependant, comme toutes les technologies modernes, le nucléaire demande que les compétences individuelles et collectives des acteurs de son développement et de son exploitation passent à un niveau supérieur. Ces technologies doivent donner une place et un rôle aux salariés, à tous les niveaux, au regard de leur sens des responsabilités. A travers de nouvelles formes d'organisation, cette place doit leur être reconnue. La vigilance et l'amélioration de la sécurité passent en priorité par des progrès dans ce domaine dit « des facteurs humains. »
Sans l'énergie nucléaire, nous ne pourrons pas, et pendant longtemps encore, produire une quantité d'énergie suffisante pour faire face aux besoins de notre développement sans mettre en cause celui des pays en voie de développement, ainsi que la réduction de la production des gaz à effet de serre. Ce sont des contraintes qui pèsent sur nos choix.
De tels choix ne peuvent être efficaces à l'échelon de notre société et ne peuvent véritablement répondre aux exigences d'accessibilité des citoyens à l'énergie et de sécurité d'approvisionnement, donc d'indépendance énergétique, que s'ils sont effectués par l'Etat.
Aujourd'hui, si nous avons une certaine sécurité, une qualité de fonctionnement de nos centrales, c'est bien grâce à l'entreprise publique et à ses salariés.
Les énergies renouvelables, comme l'éolien, qui s'installe peu à peu, n'ont de capacité de développement que parce qu'EDF a une obligation d'achat de l'électricité. En agissant ainsi, EDF permet que la revente de l'électricité se fasse au même tarif. Cette péréquation est un outil indispensable pour l'accessibilité du consommateur.
Si, d'autre part, nous voulons progresser dans la diversification des sources de production énergétique, cela suppose des investissements que l'entreprise publique est la seule à pouvoir faire, compte tenu de leur ampleur et de la longueur du temps de retour sur investissement. Elle l'a d'ailleurs démontré au cours des décennies qui viennent de s'écouler et l'Etat ne s'en est pas trop mal ressenti.
Aujourd'hui, débattre de la politique énergétique pour la France, c'est aussi rappeler que l'énergie n'est pas un bien de consommation qui peut être soumis aux règles concurrentielles, sinon, ce serait un renforcement des inégalités, un retour en arrière inacceptable.
L'entreprise publique EDF-GDF a démontré ses capacités. M. le ministre d'Etat a dit à l'Assemblée nationale, et il l'a rappelé tout à l'heure, que le principe de spécialité empêche EDF et GDF de proposer aux clients une offre commune d'électricité et de gaz alors que les concurrents pourront bientôt le faire.
Je pense qu'EDF et GDF peuvent jouer la complémentarité et non la concurrence, mais cette évolution n'impose aucunement l'ouverture du capital ou le changement de statut. Elle pourrait tout à fait être réalisée par la fusion d'EDF et de GDF, ce qui ne serait que mieux pour la cohérence de la politique énergétique et que nous proposions, d'ailleurs, bien avant les gouvernements de M. Raffarin. C'est, en fait, ce qu'ont réalisé les Allemands avec la fusion d'E.ON et de Ruhrgas.
M. le ministre d'Etat soutient également que le Gouvernement entend que les sociétés EDF et GDF restent des entreprises publiques, mais, en même temps, il veut ouvrir leur capital
Nous avons souhaité que soit fait un bilan de toutes les déréglementations, ouvertures du capital et autres formes de privatisation réalisées ces dernières années, en France, en Europe et dans le monde. Nous disposons de suffisamment d'expériences, et proches, comme en Grande-Bretagne, pour tirer les conclusions de ces choix et ne pas nous lancer dans les mêmes processus. Les usagers comme les salariés de ce secteur, mais aussi l'activité industrielle, n'ont rien à y gagner. Souvenons-nous des pannes d'électricité survenues en Californie ou en Italie !
L'autre argument du Gouvernement pour changer le statut d'EDF et de GDF serait l'exigence de Bruxelles relative à la fin de la garantie illimitée de l'Etat. C'est une interprétation que nous ne partageons pas.
La garantie de l'Etat, aujourd'hui, n'apporte pas de ressources à l'entreprise publique ; elle lui permet seulement d'obtenir des prêts pour les investissements dont on sait que l'ampleur restera considérable. De plus, l'Etat a davantage profité de l'entreprise que l'inverse, entreprise qui assure des missions de services publics. L'Etat lui impose d'engager le démantèlement des centrales, ce qui représente plus de 26 milliards d'euros sur trente ans.
Changer le statut, n'est-ce pas plutôt fragiliser l'entreprise, compte tenu de son niveau d'endettement, suite à des investissements pour le moins hasardeux à l'étranger ?
C'est le statut d'entreprise publique industrielle et commerciale qui permet aujourd'hui de répondre aux usagers, quel que soit le lieu où ils vivent, quel que soit le coût de production des ressources utilisées. Monsieur le ministre, si vous vous engagez dans un changement de statut, si vous ouvrez le capital, l'exigence de rentabilité des actionnaires interférera dans des choix qui exigent des investissements lourds.
Les salariés d'EDF et de GDF s'expriment depuis de nombreux mois. Ils vous demandent de retirer le projet de changement de statut, comme celui qui est relatif aux retraites. Vous devez les entendre, comme vous devez écouter l'avis de la population, des élus. Les choix qui doivent être opérés en ce début de XXIe siècle ne peuvent être faits au sein des seules deux assemblées. Un véritable débat public doit permettre à la population de donner son avis.
Nous voulons que la population participe elle aussi à la maîtrise de notre consommation énergétique. Dans ma ville, nous avons décidé, pour y parvenir, de consacrer une semaine à ces questions. L'an dernier, les débats ont porté sur la maîtrise de la consommation, cette année, sur les énergies renouvelables. Dans une commune de 16 000 habitants, plus de 500 personnes ont débattu de ce sujet, ce qui montre à quel point il intéresse.
Le débat public sur la politique énergétique de la France et les outils nécessaires à sa mise en oeuvre doit être engagé au plus tôt avec nos concitoyens.
Le Gouvernement a décidé dans ce domaine une politique ultralibérale, « à la Thatcher ». Les électrices et les électeurs ont exprimé les 21 et 28 mars dernier leur refus du démantèlement de leurs services publics. Ils n'ont aucune envie que l'énergie, qui contribue à la qualité de leur vie, devienne une marchandise comme les autres. Ils savent à quel point les salariés et les clients d'Enron ont vécu cela et le vivent encore douloureusement.
Ce sont donc également les choix européens qui doivent être revus dans ce domaine. C'est sur la base d'échanges et de coopérations entre les différents pays qu'une politique européenne de l'énergie doit se construire.
La politique énergétique de la France concerne bien chaque citoyen comme chaque salarié d'EDF-GDF. Sa définition engage notre avenir, mais également celui des générations futures.
Pour conclure, à la suite des remarques qu'a faites M. le ministre d'Etat tout à l'heure, je dirai qu'il nous faut améliorer la formation scientifique de nos concitoyens, notamment à l'école, de façon qu'ils puissent prendre une part active à tous ces débats. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
(M. Jean-Claude Gaudin remplace M. Christian Poncelet au fauteuil de la présidence.)