sommaire
PRÉSIDENCE DE M. Bernard Angels
2. Transmission d'un projet de loi organique
3. Autonomie financière des collectivités territoriales. - Adoption définitive d'un projet de loi organique en deuxième lecture
Discussion générale : MM. Jean-François Copé, ministre délégué à l'intérieur ; Daniel Hoeffel, rapporteur de la commission des lois ; Jean-Claude Peyronnet, Michel Mercier, Yves Fréville, Mme Josiane Mathon, M. Bernard Murat.
M. le ministre délégué.
Clôture de la discussion générale.
M. René Garrec, président de la commission des lois.
Suspension et reprise de la séance
Article additionnel avant l'article 2
Amendement n° 1 de M. Bernard Frimat. - MM. Bernard Frimat, le rapporteur, le ministre délégué, Jean Chérioux. - Rejet.
MM. Jean-Pierre Sueur, Bernard Frimat, François Marc, Jean-Pierre Fourcade, Bernard Murat, Michel Dreyfus-Schmidt.
Amendement nos 3, 4 de M. Jean-Claude Peyronnet et 2 de François Marc. - MM. Jean-Pierre Sueur, François Marc, Jean-Claude Peyronnet, le rapporteur, le ministre délégué. - Rejet des trois amendements.
Amendement n° 5 de M. Jean-Pierre Sueur. - MM. Jean-Pierre Sueur, le rapporteur, le ministre délégué. - Rejet.
Adoption de l'article.
Article additionnel après l'article 3
Amendements nos 6 et 7 de M. Jean-Pierre Sueur. - MM. Jean-Pierre Sueur, le rapporteur, le ministre délégué, François Marc. - Rejet des deux amendements.
MM. Jean-Claude Peyronnet, Paul Blanc, Michel Charasse, Bernard Frimat.
Adoption définitive du projet de loi organique par scrutin public.
M. le ministre délégué.
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. Jean-Claude Gaudin
Mme Nicole Borvo, M. le président.
5. Assurance maladie. - Discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence
Discussion générale : MM. Philippe Douste-Blazy, ministre de la santé et de la protection sociale ; Xavier Bertrand, secrétaire d'Etat à l'assurance maladie ; Alain Vasselle, rapporteur de la commission des affaires sociales ; Adrien Gouteyron, rapporteur pour avis de la commission des finances ; Gilbert Barbier, Gilbert Chabroux, Mme Valérie Létard, M. Gérard Dériot, Mme Michelle Demessine, MM. François Fortassin, Nicolas About, président de la commission des affaires sociales ; André Vantomme, Mme Annick Bocandé, M. Jean-Pierre Fourcade.
Suspension et reprise de la séance
Mme Marie-Claude Beaudeau, M. Georges Othily, Mme Gisèle Printz, MM. Yves Détraigne, Jacques Blanc, Jean-Pierre Cantegrit.
Clôture de la discussion générale.
M. le ministre.
Motion no 559 de Mme Nicole Borvo. - Mme Nicole Borvo, MM. le rapporteur, le ministre. - Rejet.
Motion no 108 de M. Jean-Pierre Sueur. - MM. Jean-Pierre Sueur, le rapporteur, le ministre. - Rejet par scrutin public.
Demande de renvoi à la commission
Motion no 109 de M. Claude Domeizel. - MM. Claude Domeizel, le rapporteur, le ministre. - Rejet.
Demande de réserve de l'article 1er A, des articles additionnels avant et après l'article 1er et de la division additionnelle avant l'article 1er. - M. le président de la commission. - La réserve est ordonnée.
Renvoi de la suite de la discussion.
compte rendu intégral
PRÉSIDENCE DE M. Bernard Angels
vice-président
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PROCÈS-VERBAL
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n'y a pas d'observation ?...
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.
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transmission D'UN PROJET DE LOI organique
M. le président. J'ai reçu, transmis par M. le Premier ministre un projet de loi organique, adopté avec modifications par l'Assemblée nationale en deuxième lecture, pris en application de l'article 72-2 de la Constitution relatif à l'autonomie financière des collectivités territoriales.
Le projet de loi sera imprimé sous le n° 427, distribué et renvoyé à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
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Autonomie financière des collectivités territoriales
Adoption définitive d'un projet de loi organique en deuxième lecture
M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion en deuxième lecture du projet de loi organique (n° 427, 2003-2004), adopté avec modifications par l'Assemblée nationale en deuxième lecture, pris en application de l'article 72-2 de la Constitution, relatif à l'autonomie financière des collectivités territoriales.
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre délégué.
M. Jean-François Copé, ministre délégué à l'intérieur. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis particulièrement heureux de vous présenter en deuxième lecture ce projet de loi organique relatif à l'autonomie financière des collectivités territoriales.
Je souhaite, tout d'abord, remercier MM. Daniel Hoeffel et Michel Mercier, qui ont accepté de travailler très rapidement pour que ce texte puisse être examiné aujourd'hui alors qu'il a été adopté très tard hier soir à l'Assemblée nationale.
M. Jean-Pierre Sueur. Le rapport a été fait dans la nuit !
M. Jean-François Copé, ministre délégué. Ce qui est tout à l'honneur de M. le rapporteur !
Nous avons longuement débattu en première lecture des raisons qui ont conduit le Gouvernement à proposer l'élaboration de ce texte en application de l'article 72-2 de la Constitution. J'ai tenu alors à vous donner toutes les garanties quant aux modalités de mise en oeuvre de cette loi.
Lors de la deuxième lecture à l'Assemblée nationale, quatre des cinq articles du projet de loi ont été adoptés dans une rédaction conforme à celle du Sénat. En conséquence, aujourd'hui, seul est ouvert au débat l'article 2 du projet de loi, qui porte sur la notion de « ressources propres » des collectivités.
La définition des « ressources propres » dans le texte que vous avez adopté en première lecture précise le contenu de la notion d'impositions de toutes natures.
La rédaction adoptée par la Haute Assemblée sur la base d'un amendement de M. le rapporteur Daniel Hoeffel, sous-amendé par M. Yves Fréville, décrit deux branches d'impositions de toutes natures : celles dont la loi autorise les collectivités à fixer l'assiette, le taux ou le tarif ; celles dont la loi détermine, par collectivité, la localisation de l'assiette ou du taux.
Cette nouvelle rédaction a permis de donner une dimension locale à la définition des impositions de toutes natures qui constituent des ressources propres.
Pour la première branche, il s'agit de tous les impôts locaux actuels ou futurs pour lesquels les collectivités locales peuvent voter le taux ou l'assiette, par exemple, les « quatre vieilles », comme on les appelle traditionnellement, la taxe intérieure sur les produits pétroliers, la TIPP, pour les régions ou encore la taxe sur le chiffre d'affaires, la TCA, pour les départements.
Pour la deuxième branche, le choix sera laissé au législateur de déterminer localement soit l'assiette, soit le taux par collectivité.
Dans la majorité des cas, ce choix se portera sur l'assiette, qui est facilement localisable. Le cas de l'imposition forfaitaire sur les pylônes électriques, dont on a beaucoup parlé dans ce débat et qui est chère à M. de Rohan, en constitue un bon exemple. Il est prévu un tarif pour chaque pylône installé sur le territoire de la commune. Il s'agit donc bien d'une assiette locale.
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Dans les autres cas, lorsqu'il ne sera pas possible de déterminer une assiette localisable, le législateur devra déterminer un taux par collectivité. Votre souci légitime a été de préserver une certaine proximité entre le produit de l'imposition et la collectivité.
Pour illustrer ce dernier cas, je prendrai l'exemple de la part de TIPP affectée aux départements en compensation du transfert du RMI-RMA depuis le début de l'année 2004. En effet, si l'assiette de cet impôt est nationale, la détermination de son taux peut parfaitement être localisée dans la loi.
J'ai la conviction, mesdames, messieurs les sénateurs, que ces partages d'impôts nationaux sont le seul moyen moderne et adapté pour financer de futurs transferts de compétences. Les contraintes européennes qui tendent vers une harmonisation des taux de fiscalité plutôt que vers la création de taux régionaux ou départementaux nous laissent en effet peu de marge de manoeuvre pour transférer de nouveaux impôts. C'est la raison pour laquelle ce système a l'avantage de concilier les différentes contraintes qui sont les nôtres.
L'amendement que vous avez adopté montre que ce message, auquel vous teniez beaucoup, a été reçu. Il présente l'énorme avantage de donner un sens très concret à l'autonomie financière, il préserve le lien territorial entre le produit de l'impôt et la collectivité qui le reçoit et il n'hypothèque pas l'avenir et les futurs transferts de compétences.
L'Assemblée nationale a encore amélioré cette rédaction hier en amendant l'article 2 et en particulier en précisant les termes de la deuxième branche qui a été définie par le Sénat.
En effet, les termes « localisation de l'assiette » ont été remplacés par les mots « part locale d'assiette ». Cette notion est juridiquement plus fondée que celle de localisation de l'assiette. Elle permet de mieux comprendre de manière concrète à quoi correspond cette localisation de l'assiette.
Par ailleurs, l'amendement de l'Assemblée nationale supprime l'expression un peu redondante de « localisation du taux ». Le taux devant être déterminé au terme de la loi « par collectivité », il sera forcément localisé. Il était inutile de le répéter.
La rédaction adoptée est donc plus lisible, même si elle ne modifie pas le sens de la disposition qui avait été adoptée au Sénat.
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J'ai la conviction que le texte ainsi amendé répond aux exigences du troisième alinéa de l'article 72-2 de la Constitution dont il doit faire application. De mon point de vue, il pourrait être voté dans ces termes par la Haute Assemblée.
Certains d'entre vous ont regretté que l'examen en deuxième lecture du projet de loi relatif aux libertés et responsabilités locales ait commencé sans que la loi organique soit définitivement votée. Je sais qu'un débat juridique s'est ouvert pour savoir si la loi ordinaire peut être adoptée avant la promulgation de la loi organique. En tout état de cause, il appartiendra au Conseil constitutionnel, dans sa sagesse, de trancher ce point.
Pour ma part, je ne pense pas, en conscience, que l'entrée en vigueur de la loi organique soit un préalable à l'adoption de la loi de décentralisation.
En effet, la loi décentralisant le RMI et le RMA vers les départements est entrée en vigueur le 1er janvier 2004. La loi organique n'était pas votée. Le Conseil constitutionnel n'a pas censuré pour autant la loi sur le RMI-RMA. Il n'en reste pas moins que le Gouvernement a anticipé l'application de la loi organique en transférant, à l'euro près, la part nationale de la TIPP correspondante.
Par ailleurs et surtout, en tout état de cause, le projet de loi relatif aux libertés et responsabilités locales n'entrera en vigueur qu'à compter du 1er janvier 2005. D'ici là, la loi organique sera adoptée. Je prendrai certainement l'initiative, à l'occasion de la deuxième lecture du projet de loi relatif aux libertés et responsabilités locales à l'Assemblée nationale, de déposer un amendement précisant que cette loi n'entrera pas en vigueur tant que le projet de loi organique n'aura pas été adopté. Cela constituera une garantie supplémentaire afin que chacun comprenne bien que la volonté du Gouvernement est d'établir un lien de confiance totale entre l'Etat et les collectivités locales.
Nous sommes arrivés au terme d'un débat passionnant. Je voudrais vous remercier, mesdames, messieurs les sénateurs, de la part majeure que vous y avez prise avant même que ne s'engage la discussion du texte au Sénat en deuxième lecture. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Daniel Hoeffel, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi organique relatif à l'autonomie financière des collectivités territoriales a été adopté hier par l'Assemblée nationale en deuxième lecture. Le fait que le résultat n'ait pas été totalement imprévu a facilité la préparation du rapport dans de si brefs délais.
M. Daniel Hoeffel, rapporteur. L'Assemblée nationale a accepté l'ensemble des modifications que le Sénat avaient introduites en première lecture sous réserve d'une précision à l'article 2, article clé, relatif à la définition des ressources propres des collectivités territoriales.
Cet article 2 est incontestablement celui qui a suscité les débats les plus vifs. La rédaction initiale du projet de loi organique, précisée par l'Assemblée nationale en première lecture, considérait comme ressources propres le produit des impositions de toutes natures, que les collectivités territoriales aient ou non la faculté d'en modifier l'assiette ou le taux, les redevances pour services rendus, les produits du domaine, les participations d'urbanisme, les produits financiers ainsi que les dons et legs.
Fondant leur analyse sur la lettre, l'esprit et les travaux préparatoires de la loi constitutionnelle du 28 mars 2003, la commission des lois et la commission des finances avaient estimé, pour leur part, que seules devaient être considérées comme des ressources propres les ressources dont les collectivités territoriales ont la maîtrise.
En conséquence, elles avaient présenté deux amendements identiques ayant pour objet de ne retenir, parmi les impositions de toutes natures, que les recettes fiscales dont les collectivités territoriales peuvent fixer l'assiette, le taux ou le tarif, le terme « tarif » semblant plus approprié que le mot « taux » pour certaines impositions telles que la taxe intérieure sur les produits pétroliers.
Le Gouvernement ayant mis en exergue les rares possibilités de transfert aux collectivités territoriales d'impôts modulables autorisées par la réglementation européenne, le Sénat a finalement adopté, en complément de ces amendements et après que votre commission s'en fut remise à sa sagesse, un sous-amendement présenté par notre collègue Yves Fréville ayant pour objet d'inclure dans la définition des ressources propres des collectivités territoriales le produit des impositions de toutes natures dont la loi détermine, par collectivité, la localisation de l'assiette ou du taux.
Ressortissaient de cette définition, par exemple : les droits de mutation à titre onéreux, impôts à taux fixe dont l'assiette est localisée ; le versement transport dans la région d'Ile-de-France, dont le taux est décliné par département ; l'imposition forfaitaire sur les pylônes - à ce propos, je tiens à vous remercier, monsieur le ministre, de la précision que vous avez bien voulu nous apporter ce matin - ou encore la redevance des mines, dont les taux sont fixés forfaitairement par la loi, mais dont l'assiette est localisée.
La rédaction retenue par le Sénat, tout en se situant en retrait par rapport à la définition proposée par vos commissions des lois et des finances, a donc permis d'imposer une dimension locale à la définition des ressources propres, en tenant compte des caractéristiques de chacune d'elles, et de confier au Parlement le soin de procéder aux arbitrages nécessaires.
En deuxième lecture, sur l'initiative de sa commission des lois et avec l'accord du Gouvernement, l'Assemblée nationale a adopté un amendement de précision tendant à considérer comme des ressources propres le produit des impositions de toutes natures dont la loi détermine, par collectivité, le taux ou une « part locale d'assiette » - et non plus « la localisation de l'assiette ».
Cette substitution est destinée à garantir l'assimilation à une ressource propre de la part non modulable de la taxe intérieure sur les produits pétroliers transférée aux départements par la loi de finances pour 2004 pour compenser les charges induites par la loi du 18 décembre 2003 relative au RMI et au RMA.
Elle présente également l'avantage de lever la difficulté de localiser, pour chaque commune, le taux ou l'assiette d'une imposition partagée, que la rédaction du sous-amendement de notre collègue Yves Fréville n'aurait pas manqué de susciter.
En revanche, il n'est pas certain qu'elle permette de considérer comme une ressource propre l'imposition forfaitaire annuelle sur les pylônes supportant des lignes électriques, prévue par l'article 1519 A du code général des impôts.
Dans un souci de conciliation, la commission a décidé d'accepter la rédaction retenue par les députés et d'adopter sans modification le projet de loi organique. Il importe de préciser que le taux fixé par la loi pour chaque collectivité devra s'appliquer à l'assiette et non pas au produit de l'impôt partagé. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)
M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe Union pour un Mouvement Populaire, 20 minutes ;
Groupe socialiste, 13 minutes ;
Groupe de l'Union Centriste, 8 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 7 minutes.
La parole est à M. Jean-Claude Peyronnet.
M. Jean-Claude Peyronnet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous voici au terme de ce marathon un peu dérisoire où le Parlement se voit forcer la main pour adopter à la hussarde une réforme dont personne, sauf un Premier ministre en sursis, ne veut vraiment.
Je ne puis commencer cette intervention sans protester de façon énergique contre les conditions de travail qui nous sont imposées : trois réunions de la commission des lois, dont deux très courtes hier pour nous entendre dire que l'on verrait plus tard et une autre, ce matin, aux aurores, sans que cela puisse déboucher sur un rapport autre qu'oral, puisque l'Assemblée nationale a terminé ses travaux aux alentours de minuit. Malgré le dévouement et la compétence de nos collaborateurs et la qualité de notre rapporteur, il était matériellement impossible d'espérer un rapport écrit à l'ouverture de la séance. Avouez, monsieur le président de la commission des lois que nous avons été très conciliants,...
M. René Garrec, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. C'est vrai !
M. Jean-Claude Peyronnet. ... à moins que nous ne soyons tous lassés de ce mauvais feuilleton, de ce simulacre de débat où les dés sont totalement pipés. D'ailleurs, M. Accoyer expliquait hier soir dans Le Monde quel serait le résultat de tout cela avant même que le débat ait eu lieu à l'Assemblée nationale et a fortiori au Sénat.
M. Josselin de Rohan. Changez de journal !
M. Jean-Claude Peyronnet. Décidément, la « mère des réformes », selon l'expression de M. Raffarin, n'est pas très fertile : elle accouche de deux textes qui, à mes yeux, sont indissociables et qui sont à la fois décevants par rapport aux ambitions affichées et potentiellement dangereux malgré les proclamations.
Décevant et médiocre, le projet de loi relatif aux libertés et responsabilités locales, qui traite des transferts de compétences, l'est à coup sûr, surtout après que le Sénat s'est fait fort d'amender l'article 1er avec les objectifs politiciens que l'on sait.
Les régions, qui devaient être les figures de proue d'une nouvelle étape de la décentralisation, se voient même privées de ce qui ne leur était pas contesté jusque-là, la compétence en matière économique. Finalement, il ne reste que les transferts des TOS, personnels techniciens, ouvriers et de service que, contre vents et marées, contre les personnels, contre les régions, contre les départements, vous réussissez à imposer, dévoilant ainsi au grand jour le réel objectif de cette décentralisation à la sauce Raffarin, se délester d'une charge que l'Etat ne peut et ne veut plus assumer.
Vous nous dites que la compensation se fera au franc le franc...
M. Josselin de Rohan. On parle en euro maintenant !
M. Jean-Claude Peyronnet.... sur la base des versements actuels. Or, 60 % des postes ne sont pas pourvus. Dans les années à venir, il reviendra donc aux régions et aux départements de financer ces emplois manquants.
Le projet de loi organique relatif à l'autonomie financière et le projet de loi relatif aux transferts de compétences sont totalement imbriqués et tout dépend de la façon dont on mesure les coûts des transferts. Même à supposer que l'évaluation initiale des coûts au moment des transferts ait été bien faite, le texte ne prend pas en compte les évolutions économiques ou démographiques ultérieures.
Cela étant, vous vous serez déchargé d'un poids et vous aurez allégé le budget de l'Etat. Or il s'agit là d'un trompe- l'oeil. Les collectivités prendront le relais et, du même coup, supporteront le coût politique de l'impopularité liée à l'accroissement du poids des impôts locaux.
La liberté des collectivités sera ainsi singulièrement réduite et tout à fait fictive. Ainsi êtes-vous pris entre deux tentations d'ailleurs pas totalement antinomiques : d'une part, ne pas donner trop de pouvoirs aux régions, parce qu'elles ont changé de couleur politique, et, d'autre part, leur transférer des compétences dont le coût sera souvent excessif.
D'ailleurs, votre définition de l'autonomie financière des collectivités territoriales qui en résulte est beaucoup trop limitative. Selon nous, loin de se cantonner à l'autonomie fiscale, elle doit comporter essentiellement une véritable autonomie de gestion constituée par l'autonomie fiscale, certes, mais aussi par l'existence de dispositifs de péréquation. C'est la conception que nous avons défendue en première lecture.
Nous avons proposé d'adopter la définition de l'AMF, l'Association des maires de France, selon laquelle les ressources propres des collectivités territoriales ne peuvent être que « celles dont les collectivités territoriales et leurs groupements fixent librement le montant ». Cette partie du texte demeure, mais elle est complètement vidée de son sens par la deuxième partie, qui, en réalité, établit une véritable recentralisation, puisque le taux sera fixé par le Parlement, sur proposition du Gouvernement.
Dès lors, il est permis de penser que l'autonomie financière est un leurre, même si vous avez rappelé, monsieur le rapporteur, que l'amendement rectifié de M. Geoffroy à l'Assemblée nationale a pour objet de garantir l'assimilation à une ressource propre de la part non modulable de la TIPP. Ainsi certains impôts d'Etat transférés ne seront pas modulables et il y aura donc une perte d'autonomie réelle. Or ce n'est pas contraire à la Constitution, qui vise « les impositions de toutes natures ».
C'est la raison pour laquelle je prétends qu'au-delà de la lettre il y a eu politiquement tromperie sur la marchandise et qu'un certain nombre de parlementaires ont voté en toute confiance un texte qui, selon eux, assurait l'autonomie.
En réalité, ce n'est pas du tout le cas. S'il y a transfert de compétences avec transfert d'impôts de l'Etat, il sera absolument impossible de moduler et, dans ce cas, il y aura dotation et perte totale d'autonomie. Nous sommes là en présence d'une recentralisation potentielle. Je ne dis pas que c'est l'objectif du Gouvernement, mais il me semble qu'il y a là un grand danger pour les collectivités locales.
Reste l'autre aspect de ce que nous considérons comme consubstantiel à l'autonomie financière, je veux parler de la péréquation.
Le Gouvernement fait la sourde oreille et se refuse toujours à inscrire dans ce texte que la péréquation est un élément essentiel de l'autonomie des collectivités territoriales. Pire, la définition des ressources propres que la majorité retient vide le principe de l'autonomie financière de toute substance et risque de bloquer tout développement futur des politiques de péréquation. Il suffit pour s'en convaincre de lire la définition de la part déterminante à l'article 3.
Cette part déterminante des ressources propres dans les ressources des collectivités territoriales est fixée arbitrairement et de manière globale au niveau constaté en 2003 dans une catégorie de collectivité territoriale.
En ce qui concerne l'autonomie fiscale, on ne peut l'imaginer sans pouvoir de modulation effectif par les collectivités territoriales. Nous reprendrons à cet égard l'amendement de l'AMF. Je signale, monsieur le président, que nous avons, pour notre part, déposé nos amendements en temps voulu et que nous serons donc contraints à interrompre nos travaux afin de les examiner, ce qui montre, si besoin était, les conditions difficiles dans lesquelles nous travaillons.
M'adressant à M. Fréville, je voudrais lui dire que le bidouillage qu'il a proposé, s'il est astucieux, reste un vrai bidouillage qui aboutit à une mesure inapplicable. (Oh ! sur les travées de l'UMP.)
Avec les catégories, cette mesure aurait été applicable ; ce n'est plus le cas avec les collectivités. On ne voit pas bien comment le Parlement pourrait être amené à légiférer sur les taux des différentes collectivités. Vous nous répondrez que c'est facile pour celles que vous visez, les régions surtout et les départements. Mais qui peut assurer que, dans l'avenir, un transfert de fiscalité d'Etat ne se fera pas vers les communes ou les collectivités ? À ce moment-là, je souhaite bien du plaisir au Parlement pour mettre en oeuvre ce mécanisme.
Des pans entiers de l'action de l'Etat vont être transférés aux collectivités territoriales : la formation, le logement, le tourisme, les techniciens ouvriers de service, les TOS, les routes.
M. Charles Revet. Très bien !
M. Jean-Claude Peyronnet. À propos des routes, étant donné qu'il n'y aura plus de discussion au Sénat ni peut-être à l'Assemblée nationale puisqu'on parle du 49-3, je souhaiterais savoir si les départements pourront refuser le transfert des routes nationales. Si tel est le cas, cela ressemblera à une expérimentation. N'aurait-il pas mieux valu le dire clairement ?
Enfin, le congrès de l'Association des maires de France qui se tiendra en novembre prochain, aura pour thème « Quels moyens pour quelle décentralisation ? »
M. Jean-Pierre Sueur. Excellente question !
M. Jean-Claude Peyronnet. Il va falloir expliquer aux élus locaux que, malgré le titre de la loi organique, leur autonomie financière, au lieu d'être augmentée, sera limitée à ce qu'elle était, ce qui est très insuffisant. Nous prenons notre responsabilité dans cette situation.
M. Michel Mercier. C'est une contrition, monsieur Peyronnet !
M. Jean-Claude Peyronnet. Toutefois, nous constatons, monsieur Fourcade, que, entre les ambitions que vous aviez affichées dans le texte que vous avez signé avec MM. Poncelet et Raffarin et ce projet de loi organique, il y a un gouffre. En fin de compte, vous vous contentez de figer une réalité très insuffisante.
Il faudra aussi expliquer aux élus locaux que les augmentations d'impôts qui résulteront de ces transferts leur seront imputées.
Vous avez compris que, pas plus en deuxième lecture qu'en première lecture, nous ne voterons le texte que vous nous proposez. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Michel Mercier.
M. Michel Mercier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous voilà donc réunis ce matin pour achever la discussion du projet de loi organique relative à l'autonomie financière des collectivités territoriales, qui a pour objet de mettre en oeuvre les dispositions de l'article 72-2 de la Constitution.
La version de ce projet de loi organique qui nous revient de l'Assemblée nationale ne change rien par rapport à la version que le Sénat avait adoptée il y a quelques jours, avec les amendements de la commission des lois et de la commission des finances complétés par le sous-amendement de M. Fréville visant à définir les ressources propres des collectivités locales.
Au terme de cette discussion, nous devons nous demander ce que ce texte apportera de plus aux collectivités territoriales.
Il n'est pas possible d'avoir passé autant de temps à débattre sans examiner quels seront les résultats concrets de nos discussions. Soulignons d'abord que la garantie apportée aux collectivités locales est constitutionnellement limitée, puisque l'article 72-2 de la Constitution n'a pas pour objet de remettre en cause la plénitude du pouvoir fiscal que l'article 34 de la Constitution confère au seul Parlement.
De ce point de vue, l'article 72-2 de la Constitution et le projet de loi organique dont nous débattons aujourd'hui doivent être situés dans l'histoire récente de l'évolution des ressources fiscales des collectivités locales.
Notre collègue Jean-Claude Peyronnet, que j'apprécie beaucoup,...
M. Jean-Claude Peyronnet. Je le sais bien !
M. Michel Mercier. ... a tout de même l'art de nous faire prendre des vessies pour des lanternes. (Sourires.)
M. Charles Revet. C'est le socialisme !
M. Michel Mercier. Nous avons voté la réforme constitutionnelle pour mettre fin à une série de mesures. Tous les gouvernements y ont participé, mais rappelons que le dernier gouvernement de gauche a battu tous les records pour remplacer les recettes fiscales des collectivités locales par des dotations.
Il y a eu réforme de la Constitution et il y a, aujourd'hui, projet de loi organique parce que nous ne voulions plus cette transformation de recettes fiscales en dotations. Nous devons examiner les conséquences de cette évolution.
En supprimant la part salaires de la taxe professionnelle et en la remplaçant par un montant de dotation globale de fonctionnement, mon cher collègue, on ne peut pas dire que l'on accroît énormément l'autonomie fiscale des collectivités locales !
J'ai observé que votre sens de la repentance, que je vous incite à développer, a pointé son nez. Il faudra bien en parler aux grands électeurs de la Haute-Vienne dans quelques jours.
M. Jean-Pierre Sueur. Nous avons entendu M. de Courson cette nuit.
M. Michel Mercier. Je l'apprécie également et je l'écoute toujours avec beaucoup de plaisir.
En dehors de toute discussion strictement juridique, quel est l'apport du projet de loi organique ?
M. Bernard Frimat. Nul !
M. Michel Mercier. C'est tout à fait faux, monsieur Frimat ! Voilà une façon rapide de régler une affaire compliquée !
La position prise par la commission des lois et par la commission des finances avait l'avantage de la clarté. Est une ressource propre, une ressource dont les collectivités locales ont la maîtrise. Cette définition avait aussi un objectif pratique : rétablir la confiance entre les élus locaux et l'Etat.
La part de ces ressources est relativement faible et le sera de plus en plus à l'avenir, compte tenu de l'évolution de la décentralisation et du fait qu'il n'y a pas d'impôt à transférer. Un choix devait être fait. On aurait pu se contenter d'une part de ressources propres sanctuarisées, beaucoup plus faible que la part des ressources propres que l'on veut retenir aujourd'hui. On avait choisi 30%. C'était une position claire. Ce pourcentage aurait probablement diminué dans l'avenir compte tenu du coût des transferts de compétences que réalisera la prochaine loi.
La majorité du Sénat et celle de l'Assemblée nationale ont effectué un autre choix qui porte sur l'avenir en énonçant qu'il n'y a plus d'impôt à transférer et qu'il n'y a plus que des impôts à partager. Comment pourra-t-on, dans ce paysage fiscal nouveau, garantir des ressources à caractère fiscal aux collectivités territoriales ?
L'amendement que nous avons voté sanctuarise en quelque sorte les ressources traditionnelles des impôts locaux. S'agissant des impôts partagés, il y a en fait deux systèmes. Celui qui a été utilisé cette année dans la loi de finances pour 2004 et par lequel a été transféré aux départements, à une catégorie de collectivités territoriales, une part du produit total de la taxe intérieure sur les produits pétroliers, la TIPP, fixée en fonction des dépenses de l'Etat sur leur territoire au cours de l'année précédente ne donne pas satisfaction.
Il y a aussi une autre façon d'apporter une vraie garantie aux collectivités territoriales. C'est ce qui apparaît dans le projet de loi organique que nous allons voter dans quelques instants. Je considère que le sous-amendement de M. Fréville modifié par le rapporteur de l'Assemblée nationale cette nuit n'est pas d'une clarté exceptionnelle, mais il apporte une garantie importante en distinguant la part de l'impôt transféré et la dotation.
M. Yves Fréville. Très bien !
M. Michel Mercier. Lorsqu'il y a dotation de la part de l'Etat, l'attribution d'une somme est votée lors du vote de la loi de finances. Ensuite, suivant les lois ou les règlements, le Gouvernement opère sa répartition comme il le peut, voire comme il le veut. Le rôle du Parlement est terminé ; les parlementaires attendent simplement le résultat de l'opération.
M. François Marc. Ils sont spectateurs !
M. Michel Mercier. Avec le projet de loi organique tel qu'il nous est proposé aujourd'hui, la garantie des collectivités locales, mes chers collègues, repose sur nous dans la loi de finances annuelle, sur le seul Parlement, non sur le Gouvernement. (Rires sur les travées du groupe socialiste.)
Il n'y a pas de quoi rire. Au moins nous croyons à notre rôle. Voilà l'apport du projet de loi organique : le Gouvernement pourra proposer et nous déciderons. Nous dirons donc à nos électeurs, monsieur Peyronnet, que nous, sénateurs, serons en premier lieu la garantie des collectivités territoriales.
M. Jean-Claude Peyronnet. Nous ?
M. Michel Mercier. Bien sûr ! Vous ! Et vous également sénateurs de gauche parce qu'au cours du mandat de neuf ans qui vous sera confié à nouveau, il y aura bien des alternances.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Au Sénat ?
M. Michel Mercier. Nous connaissons trop le peuple français pour espérer que, pendant si longtemps, il conservera la même majorité !
Nous allons voter non une part du produit de l'impôt -comme l'a dit, à tort d'ailleurs, mon ami de Courson hier soir -mais une part du taux ou une part de l'assiette. Nous constaterons qu'il nous sera impossible de nous désintéresser de ce débat. Chacun d'entre nous connaîtra lors de la discussion du projet de loi de finances la part du taux décidée pour son département. Il la comparera à la part du taux du département voisin. Avec ce projet de loi organique nous changerons très profondément...
M. Yves Fréville. Tout à fait !
M. Michel Mercier. ... la façon dont le Parlement, notamment le Sénat, pourra assurer la garantie de l'autonomie financière des collectivités territoriales, qu'il s'agisse des régions, des départements.
M. Charles Revet. Très bien !
M. Michel Mercier. On entend dire que cela sera relativement facile pour les départements par exemple avec la TIPP. Bien sûr que non ! Ce ne sera pas facile ! C'est la raison pour laquelle je voterai ce projet de loi organique ; ce sera très difficile pour le Gouvernement de justifier les différences de taux et il faudra que l'on puisse les examiner et exercer un vrai contrôle.
En dehors de la rédaction purement juridique qui peut paraître difficile à appréhender, considérons les conséquences pratiques ! Chaque année, le Parlement votera une part de taux ou une part d'assiette. Comment attribuera-t- on la part d'assiette ? Comment déterminera-t-on le taux ? Pourquoi donnera-t-on davantage à l'un, moins à l'autre ? Il n'y aura plus l'indépendance du Gouvernement pour déterminer la part reçue par les collectivités territoriales. C'est ce qui fait la différence entre une dotation et un impôt partagé.
Il s'agit d'un vrai progrès pour nous, parlementaires, qui voulons exercer la plénitude du pouvoir que le projet de loi organique nous donne. C'est la raison pour laquelle nous voterons ce texte. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Yves Fréville.
M. Yves Fréville. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous voici parvenus au terme d'une navette fructueuse pour le Sénat. C'est, en effet, aux thèses du Sénat que, après quelques modifications, l'Assemblée nationale et même le Gouvernement se sont ralliés.
M. Jean-Pierre Sueur. Hélas !
M. Yves Fréville. Monsieur Sueur, dans le projet de loi initial, « le produit des impositions de toutes natures » devait à l'origine être considéré comme ressources propres.
Tout l'objet du travail du Sénat a consisté à « donner du corps » à la notion de ressources fiscales propres.
Nous avons mené ce travail dans un but simple : réussir la décentralisation. Pour ce faire, il nous faut garantir l'autonomie financière, et le Sénat s'est fixé deux objectifs.
Premier objectif, nous voulons que les collectivités locales puissent, autant que faire se peut, maîtriser leurs ressources, car elles doivent pouvoir - il s'agissait de la proposition de nos deux rapporteurs - en déterminer le taux, voire, le cas échéant, en moduler l'assiette.
La logique de cette position consistait à rendre responsable la collectivité locale, c'est-à-dire les élus locaux, devant les contribuables électeurs. C'est ce que l'on peut appeler, de façon pédante, un « effet taux ».
Second objectif, nous voulons que la ressource, qui est alors nécessairement localisée, puisse bénéficier du dynamisme de l'économie de la collectivité locale.
Cependant, comme on l'a dit voilà encore quelques instants, les impôts qui permettent d'atteindre ces objectifs se réduisent comme peau de chagrin.
A l'origine, au XIXe siècle, il n'existait pas de difficulté. La propriété immobilière, qui était localisable, constituait la base de la richesse.
Aujourd'hui, nous voyons bien que la maîtrise du taux et de l'assiette qui était le fondement de tout notre système d'impôts diminue d'année en année. Voilà seulement huit jours, nous avons introduit des dégrèvements d'impôts locaux dans le système de la taxe professionnelle.
Par conséquent, ce type d'impôt, qui est très souhaitable, ne peut pas se développer. C'est une donnée constante qui est observée dans tous les pays.
Cette constatation nous a conduits à proposer pour les collectivités locales des impôts modernes. Or, les expériences menées à l'étranger dans ce domaine - et nous ne sommes pas plus malins que la plupart des autres pays - font apparaître que ces impôts modernes sont non pas des impôts localisables dont les collectivités locales peuvent maîtriser le taux et l'assiette, mais des impôts partagés.
Or, nous savons très bien que, pour réformer la fiscalité locale, il faut l'asseoir sur des notions telles que le bénéfice, la valeur ajoutée ou l'excédent brut d'exploitation de l'entreprise. Mais ces données ne peuvent être calculées qu'au niveau de l'entreprise tout entière, le résultat doit donc ensuite être partagé entre les différentes collectivités locales où sont implantées les unités de production.
Ainsi, une usine PSA Peugeot Citroën est implantée dans ma ville. Or le bénéfice de ce groupe est déterminé non pas à Rennes, à Aulnay-sous-bois ou à Metz, mais au niveau d'une entité nationale, voire internationale. Si l'on veut maintenir un lien entre la fiscalité locale et l'entreprise, il faudra partager ce type d'impôt.
C'est pour cette raison que nous avions besoin de compléter la définition proposée par nos rapporteurs afin d'adapter la fiscalité locale à ce que doit être un impôt moderne.
Comme Michel Mercier l'a très bien dit, il fallait créer une distinction nette entre la dotation et la ressource propre partagée.
Mes chers collègues, si nous n'avions pas pris certaines précautions, lorsque, en 1979, la DGF était alimentée par une part de 16,5 % de la TVA, qui aurait pu penser que cette imposition de toutes natures était une ressource propre ? Absolument personne !
Tout l'objet du travail qui a été mené ici a consisté justement à tracer une ligne protectrice des intérêts des collectivités locales entre la ressource propre partagée et la dotation.
L'Assemblée nationale a adopté une rédaction équilibrée. Le danger était très grand qu'elle décide que la loi détermine par catégorie de collectivité le taux ou la part locale d'assiette. A mon avis, cette disposition aurait été inacceptable. Car, si l'on avait décidé que la loi affectait une ressource par catégorie, c'est-à-dire pour l'ensemble des départements ou pour l'ensemble des communes, et si cette ressource avait été considérée comme une ressource propre, il n'y aurait plus eu aucune garantie pour nos collectivités locales.
L'Assemblée nationale s'est ralliée pour l'essentiel à la thèse du Sénat, selon laquelle la loi détermine par collectivité le taux et la part locale d'assiette.
J'évoquerai, tout d'abord, le taux. La loi peut fixer un taux unique pour l'ensemble des collectivités locales considérées.
Je prendrai un exemple, qui m'est inspiré par l'histoire. Lorsqu'il existait une taxe locale sur le chiffre d'affaires au taux de 2,75 %, il s'agissait bien d'un taux unique qui était fixé par la loi et qui s'appliquait à une assiette automatiquement localisée. Qui aurait pu dire qu'un tel impôt, qui ne répondait pas à la définition proposée par nos commissions, n'était pas une ressource propre des collectivités locales ?
Ainsi, à partir du moment où nous admettons que la loi détermine le taux, nous pouvons faire entrer dans le champ des ressources propres ce type d'impôt.
J'évoquerai, ensuite, la part locale d'assiette. Il existe des impôts, comme je le disais tout à l'heure, dont l'assiette n'est pas localisée. Mais, lorsque nous réformerons la taxe professionnelle, nous devrons déterminer la part locale d'assiette attribuée à chaque commune et à chaque établissement, puisque nous voulons absolument maintenir le lien entre le dynamisme de la commune et l'impôt local sur les entreprises.
Telles sont les raisons pour lesquelles j'estime que le texte bidouillé que j'avais proposé a été rebidouillé de façon très intelligente par l'Assemblée nationale.
M. Jean-Pierre Sueur. C'est du super bidouillage !
M. Yves Fréville. Personne - et certainement pas l'opposition ! - n'a proposé d'autres façons de faire.
M. Yves Fréville. Personne n'a proposé un super super bidouillage qui permettrait d'assurer à nos collectivités des ressources propres qui ne soient pas des dotations.
Nous avons fait un effort de réflexion sur ce que doit être un impôt moderne pour nos collectivités locales. Avec la décentralisation des compétences, avec la péréquation, qui fera l'objet d'une loi, avec les garanties sur les transferts de compétences, nous allons adopter aujourd'hui le troisième pilier de la réforme que nos élus attendent. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à Mme Josiane Mathon.
Mme Josiane Mathon. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme on pouvait s'y attendre, le Gouvernement a obtenu, en deuxième lecture, de pouvoir réduire au minimum la portée de ce texte, puisque l'essentiel des dispositions du projet de loi organique ont été adoptées presque conformes par l'Assemblée nationale. Presque, puisque nous sommes aujourd'hui contraints de passer par le sas d'une nouvelle lecture pour le seul article 2, dont la rédaction posait encore quelques problèmes.
En l'occurrence, on ne peut manquer, sur ce point, de rappeler au prix de quelle gymnastique intellectuelle quelque peu tortueuse - l'orateur précédent parlait d'ailleurs de bidouillage -, le texte de cet article était sorti des travaux du Sénat, à la suite du dépôt d'un amendement judicieux.
Rappelons les positions des uns et des autres. Alors que la discussion s'engageait fermement sur la notion de ressources propres, l'Association des maires de France, dont le président est notre estimé collègue Daniel Hoeffel, avait fait part, dans divers communiqués, de ses préoccupations devant le caractère pour le moins incertain de cette notion de ressources propres.
Cette position a été défendue en séance par MM. Hoeffel et Mercier.
Mon collègue Paul Loridant, intervenant sur l'article 2 le 2 juin dernier, indiquait : « Comment, par exemple, ne pas rappeler que nombre de collectivités territoriales, communes ou départements, sont confrontées à des charges de caractère obligatoire qui consomment une part croissante de leur si précieuse autonomie financière au point que la possibilité de percevoir un produit fiscal ne sert, bien souvent, qu'à compenser cette montée en charge ? »
Lors de la présentation du fameux « sous-amendement Fréville », nous indiquions qu'on ne peut détacher le débat sur les ressources propres de l'ensemble de la problématique des finances locales.
Car, une fois la définition précise des ressources propres et le vote du projet de loi relatif aux libertés et responsabilités locales entérinés, ce texte relatif à l'autonomie financière des collectivités territoriales ne servira qu'à éponger les nouvelles charges nées des compétences dont l'Etat s'est délesté.
Nous pouvons cependant nous poser la question suivante : les données du problème ont-elles profondément changé, nonobstant la réécriture de l'article 2 par l'Assemblée nationale par la voie d'un amendement ?
La question des ressources propres des collectivités territoriales a un sens, d'autant qu'elle ne se limite pas à la faculté de lever l'impôt et d'en décider l'affectation, attendu qu'une bonne part des dépenses des collectivités territoriales est précisément gagée par les choix de la politique menée par l'Etat, et ce en bien des domaines.
Oui, la question de l'adoption de ce projet de loi organique se pose, alors même que le débat sur le projet de loi relative aux libertés et responsabilités locales a montré à l'envi que l'objectif principal, pour ne pas dire unique, du texte était de transférer le maximum de charges et le minimum de moyens aux collectivités territoriales, pour atteindre plus facilement les objectifs de réduction des déficits publics.
On pourrait dire d'ailleurs que cet aspect de la situation prend, depuis quelques jours, un relief particulier, au moment même où la Commission européenne se retrouve en situation d'imposer à la France de prendre des mesures ciblées de réduction de ses déficits publics, à la suite de la décision de la Cour de justice de Luxembourg.
De fait, et en dernière analyse, rien ne permet donc de dire que la rédaction issue de la nouvelle lecture ne recouvre pas autant de dangers et de risques d'explosion fiscale que la rédaction originelle du projet de loi organique. Enfin, qu'appelle-t-on la part locale d'assiette d'impositions de toutes natures ?
Ce texte, à l'appellation fallacieuse d'autonomie financière, faute d'outils de péréquation pertinents et de dotations budgétaires à la progression suffisamment dynamique, fera naître sur le territoire national une taxe intérieure sur les produits pétroliers régionalisée, des taxes additionnelles sur les conventions d'assurance « personnalisées » et nous ne savons trop quoi d'autre encore ...
Dans ce contexte, comme nous refusons ces perspectives qui seront sans doute douloureusement ressenties tant par les élus locaux que par les contribuables, nous ne pouvons que confirmer notre position de première lecture, en rejetant ce projet de loi organique. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Bernard Murat.
M. Bernard Murat. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous constatons avec une grande satisfaction que, à une précision rédactionnelle près, le texte adopté par l'Assemblée nationale est, en tous points, conforme à la position qu'avait exprimée notre Haute Assemblée en première lecture, ce qui est une garantie de qualité et de sagesse. (M. Bernard Frimat sourit.)
En effet, à l'issue d'un très large débat, nous avions su présenter un texte organique à la fois ambitieux, réaliste et surtout, contrairement à ce qu'affirmait notre excellent collègue Jean-Claude Peyronnet, qui construit un véritable rempart pour la défense des libertés locales auxquelles tous les élus locaux sont viscéralement attachés.
Ambitieux, sur l'initiative de notre excellent rapporteur, le Sénat n'a pas souhaité, en première lecture, en rester à une définition trop restrictive des ressources propres des collectivités territoriales.
En effet, constitutionnellement, nous aurions pu nous tenir à la définition suivante : « Les ressources propres des collectivités territoriales, autres que le produit des impositions de toutes natures que ces collectivités territoriales reçoivent en application du deuxième alinéa de cet article, sont constituées des redevances pour services rendus, des produits du domaine, des participations d'urbanisme, des produits financiers et des dons et legs. »
Néanmoins, nous pouvions, à juste titre, nous interroger sur la nature exacte des impositions dont les collectivités ne fixaient ni l'assiette ni le taux. S'il n'était pas douteux que cette définition aurait pu parfaitement convenir, il était essentiel de faire un geste vers la responsabilisation des collectivités.
Ce débat n'aurait pas existé il y a quelques années, puisqu'il fait suite à l'adoption, lors de la discussion de l'article 59 de la loi de finances pour 2004 permettant la compensation financière aux départements, des dispositions de mise en oeuvre de la loi portant décentralisation du RMI et créant le RMA.
Ainsi, en transférant aux départements, pour certains carburants, une fraction de la taxe intérieure sur les produits pétroliers, la TIPP, sans possibilité pour ces départements de modifier ces tarifs, le Gouvernement a introduit une nouvelle forme de fiscalité locale.
Il revenait donc au Parlement de se prononcer sur la nature de ces ressources, dans la mesure où ce cas précis n'existait pas au moment de l'adoption de la révision constitutionnelle du 28 mars 2003.
A ce titre, les positions de notre rapporteur, de certains de nos collègues et du Gouvernement, pour contraires qu'elles aient pu paraître, étaient tout à fait fondées et ont su très largement éclairer nos travaux.
Le texte que nous avons adopté est surtout réaliste parce que, au-delà de la légitime position de principe défendue par notre excellent rapporteur, nous ne devions pas nous lier les mains pour les années futures.
En effet, à partir du moment où le Gouvernement entend réformer les quatre taxes locales - et en premier lieu la taxe professionnelle -, il est bien évident que cette réforme ne peut se faire qu'à la baisse, et ce au bénéfice de nos concitoyens.
Ainsi, nous nous retrouverions dans une situation ubuesque, hors du champ constitutionnel si nous proposions une baisse de la fiscalité locale puisque celle-ci serait de nature à faire baisser la part des ressources propres des collectivités territoriales au sein de l'ensemble de leurs ressources.
En résumé, la gestion saine à laquelle nous aspirons nous serait interdite au nom de ce nouveau principe constitutionnel.
Il fallait donc garantir le bénéfice pour les collectivités, dans un premier temps, du partage de la TIPP et, dans un second temps, peut-être, de la taxe spéciale sur les conventions d'assurance, la TCA.
C'est ce qu'a permis le sous-amendement de notre excellent collègue, et éminent spécialiste, Yves Fréville, en prévoyant cette nouvelle définition.
Ce texte est donc avant tout réaliste parce que, au-delà des positions de principe, il est de nature à garantir à la fois l'impératif de respect de l'autonomie financière des collectivités territoriales et la nécessité pour celles-ci de bénéficier du partage d'impôts nationaux.
Je me réjouis que l'Assemblée nationale nous ait rejoints et surtout qu'elle ait maintenu, à l'issue d'un débat de qualité, le principe selon lequel seront reconnues comme ressources propres les impositions dont l'Etat détermine, par collectivité, et non par catégorie de collectivités, le taux ou une part locale de l'assiette. En effet, le maintien de ce principe sera de nature à mieux territorialiser l'impôt, et nous ne pouvons que nous en féliciter.
Avant de conclure, je souhaiterais, mes chers collègues, recadrer ce débat en indiquant que si, pour les élus locaux que nous sommes, la garantie du principe que nous allons adopter aujourd'hui est importante, elle n'est pas non plus exceptionnelle.
Faut-il rappeler qu'en Allemagne la part moyenne des ressources propres des collectivités n'est que de 25 % environ ? C'est bien moins qu'en France, mais les relations sont à ce point normalisées entre l'Etat fédéral et les Länder que l'autonomie financière n'est pas un enjeu chez nos voisins d'outre-Rhin, puisque les transferts et dotations s'effectuent en toute transparence et en toute sérénité.
C'est la méfiance récurrente à l'égard de l'Etat et les expériences malheureuses du passé qui ont fait naître dans l'hexagone un débat proprement franco-français qui fait le bonheur des médias, mais surprend les observateurs internationaux.
Mes chers collègues, le véritable enjeu pour nous, élus locaux, est l'assurance de bénéficier de ressources suffisantes, quelle qu'en soit l'origine.
En effet, la première des garanties qu'attendent les contribuables locaux est la loyauté des transferts de ressources et des compensations des charges transférées ou créées.
Le geste essentiel que nous avons fait en ce sens est de nature à les rassurer, grâce à la révision constitutionnelle.
Ne nous y trompons pas, c'est bien sur ce point que les gouvernements futurs seront attendus et jugés.
En conséquence, c'est avec satisfaction que notre groupe adoptera ce projet de loi organique, troisième pilier de l'édifice organique découlant de la révision constitutionnelle.
Je tiens d'ailleurs à rappeler qu'une fois encore le Gouvernement de Jean-Pierre Raffarin a tenu ses engagements puisque ce texte organique sera adopté, comme il se devait, avant le projet de loi relatif aux libertés et aux responsabilités locales, les unes et les autres étant clairement défendues et même élargies. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Jean-François Copé, ministre délégué. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, comme j'ai eu à coeur de le faire depuis que nous avons commencé l'étude de ce projet de loi relatif à l'autonomie financière des collectivités locales, comme d'ailleurs ce fut le cas lors de la discussion du projet de loi de décentralisation à proprement parler, je souhaiterais répondre aussi précisément que possible aux différents intervenants.
Vous comprendrez que je commence naturellement par renouveler mes remerciements à M. Hoeffel, rapporteur attentif, particulièrement précis, qui a, par sa contribution, beaucoup oeuvré à la lisibilité de ce texte, tout en veillant à conserver un lien étroit entre l'impôt et la collectivité. De ce point de vue, une avancée significative a eu lieu grâce à l'amendement qu'il a déposé, sous-amendé par M. Fréville.
Monsieur Peyronnet, vous admettrez que je ne sois pas d'accord sur tout ce que vous avez dit et je commencerai par répondre à l'objection que vous avez émise sur la manière dont nous travaillons.
A cet égard, je vous trouve bien sévère parce que nous avons consacré beaucoup de temps à discuter de cette loi organique. Nous avons longuement débattu en première lecture et, si la deuxième lecture n'a pu être abordée qu'aujourd'hui, c'est parce que nous avons, à l'Assemblée nationale, consacré beaucoup de temps à l'examen d'autres textes, notamment à celui du texte relatif à l'assurance maladie.
Dans la mesure où nous souhaitons aborder de multiples sujets...
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Voilà l'erreur !
M. Jean-François Copé, ministre délégué. ...et où nous sommes très attentifs aux droits de l'opposition - ce qui est la moindre des choses dans une république comme la nôtre -, il est tout à fait normal que des décalages de ce type aient lieu dans l'examen des textes.
Comme vous nous le suggérez, peut-être aurions-nous dû alors repousser l'examen de la décentralisation ! En fait, que les choses soient bien claires, chacun est dans son rôle : vous êtes dans l'opposition et je vois bien quelle est votre démarche. Pour ma part, après avoir commencé à parler avec nombre d'entre vous, avoir entendu vos objections, vos observations et vos contributions, j'ai constaté que ce sujet de la décentralisation dépassait largement le clivage traditionnel entre la gauche et la droite. La meilleure preuve, je le répète, c'est qu'une bonne part des propositions formulées dans nos textes sont issues du rapport Mauroy.
Il peut y avoir ici ou là des objections, des hésitations, parfois même des inquiétudes, notre rôle étant évidemment de les lever le plus possible, mais il est un moment où le Gouvernement a le devoir d'assumer ses responsabilités et de prendre des décisions.
Voilà dix-huit mois que ce chantier de la décentralisation a été ouvert ; il a donné lieu à des concertations considérables, sans oublier les assises qui se sont tenues dans tous les départements et les régions. Maintenant, il faut décider.
Ce texte, je le rappelle, doit entrer en application à compter du 1er janvier 2005. Certes, les débats qui ont lieu au Parlement sont importants, mais Dieu sait si l'administration, qui va devoir ensuite appliquer les textes discutés à besoin de temps pour les faire entrer en application.
Nous avons donc besoin de l'automne pour mettre tout cela au point. Il faut rédiger et faire adopter les décrets d'application ; nous avons avancé parallèlement à la discussion du projet de loi, mais il faut bien que celui-ci soit adopté pour que nous achevions le travail.
Toutes ces raisons ont largement milité en faveur de l'inscription de ce texte à l'ordre du jour de la session extraordinaire.
En ce qui concerne le fond des choses, je redirai que jamais, sans doute, un gouvernement n'a eu autant à coeur de veiller à la sécurité des transferts financiers. La compensation à l'euro près est désormais dans tous les esprits ; elle figure dans les écrits. De ce point de vue, il faut bien dire que notre démarche est unique en son genre et qu'elle vaut bien un débat comme celui que nous avons.
C'est sans doute l'aspect le plus inédit et le plus important de cette loi organique ; désormais est inscrite dans le marbre cette idée essentielle : plus aucun transfert de compétences ne se fera sans une compensation financière à l'euro près.
Vous comprendrez dès lors que le mot de bidouillage que vous avez utilisé me choque,...
M. François Marc. C'est de la mauvaise foi !
M. Jean-François Copé, ministre délégué. ... et d'abord par son caractère un peu dédaigneux à l'égard d'un exercice fort difficile qui, je le rappelle, avait pour vocation hautement estimable de resserrer le lien entre l'impôt et la collectivité locale et qui a donné lieu à un débat fort éloigné de la médiocrité, à un débat, bien au contraire, de très grande qualité.
Ce terme, qui pourrait peut-être se justifier en d'autres circonstances, me paraît donc particulièrement inapproprié et, pour tout dire, déplaisant à l'égard de ceux qui ont travaillé sur cette question, qu'ils y soient favorables ou non.
Enfin, vous vous inquiétez de la possibilité pratique d'appliquer ce dispositif aux communes. Ne nous y trompons pas ! Le projet de loi ne nous impose pas de définir trente-six mille taux : il confie simplement à la loi de finances, c'est-à-dire au Parlement - et dans les propos tenus sur les travées de gauche, l'importance et le rôle de celui-ci dans la décentralisation à venir m'ont paru être quelque peu sous-estimés (Rires sur les travées du groupe socialiste.) -, le soin de définir une règle mathématique permettant le calcul du taux. Tout cela mérite à l'évidence mieux que les formules un peu dédaigneuses, excusez-moi, que vous avez utilisées.
M. Jean-Pierre Sueur. C'est donc la catégorie des communes qui est visée, ce n'est pas chaque commune, vous le confirmez ! Pourquoi ne pas l'écrire ?
M. Jean-François Copé, ministre délégué. Monsieur Mercier, votre exposé a été de qualité. Je pense comme vous que les améliorations rédactionnelles apportées par l'Assemblée nationale confèrent au texte un bon équilibre et - peut-être nos appréciations diffèrent-elles sur ce point - une grande lisibilité.
Le débat, naturellement un peu technique, était important et a été de très bonne qualité. Il a permis de clarifier les différents sujets de préoccupation qui ont été évoqués, et je vous rejoins bien volontiers, monsieur le sénateur, lorsque vous soulignez que l'adoption de ce projet de loi organique marque une étape importante dans le rétablissement de relations de confiance entre l'Etat et les collectivités locales, relations qui, il faut bien en convenir, ont connu ces dernières années des hauts et des bas, pour ne pas employer d'autre terme. L'heure n'est plus de rouvrir toutes les polémiques, nous aurons d'autres occasions de le faire.
M. Michel Charasse. Quand une formule est bonne, on peut bien la reprendre ! Cela fait plaisir !
M. Jean-François Copé, ministre délégué. C'est vrai, mais il peut m'arriver d'en abuser. Dans ce domaine-là, je ne suis jamais en arrière de la main, monsieur Charasse, comme vous le savez ; c'est d'ailleurs peut-être un point que nous avons en commun.
Monsieur Fréville, je vous remercie également, car votre contribution a été majeure, je n'y reviendrai pas. Il est vrai que vous avez été, avec Daniel Hoeffel, l'artisan d'une nouvelle rédaction de l'article 2 qui a considérablement éclairci les choses.
M. Jean-Claude Peyronnet. C'est le cas de le dire !
M. Jean-Pierre Sueur. A moins qu'elle ne les ait obscurcies !
M. Jean-François Copé, ministre délégué. Vous avez eu la courtoisie de reconnaître que l'Assemblée nationale l'avait encore améliorée. Cette ambiance consensuelle n'est pas si fréquente dans notre République, et elle mérite d'être saluée.
En ce qui concerne les dégrèvements, je partage tout à fait votre analyse : ils représentent effectivement une part importante des ressources des collectivités locales et, puisque celles-ci perçoivent le produit fiscal sur la base de taux qu'elles ont votés (M. Yves Fréville rit.), il est assez logique - c'est peut-être là une petite nuance entre nous - de les intégrer dans leurs ressources propres.
Madame Mathon, je vous ai écoutée attentivement, et j'ai eu le sentiment qu'il me fallait encore donner beaucoup de moi-même pour emporter votre conviction sur l'utilité de poursuivre la décentralisation. Mais je ne me lasse jamais d'essayer d'être convaincant sur ce sujet !
M. Robert Bret. Vous prendrez rendez-vous, monsieur le ministre !
M. Jean-François Copé, ministre délégué. Il m'arrive cependant, en entendant les orateurs du groupe communiste, de me demander si je dois baisser les bras.
Non ! Je continuerai, avec le même enthousiasme et la même énergie, de vous répéter que cette loi est bonne pour la République, bonne pour l'intérêt général et, surtout, souhaitée par ceux de nos concitoyens qui attendent de leurs pouvoirs publics qu'ils soient efficaces et qui veulent « en avoir » pour leurs impôts.
Monsieur Murat, vous avez salué le réalisme du texte, et je crois que vous avez trouvé le mot juste : c'est bien le principe de réalité qui nous anime dans cette matière si complexe des finances locales et de la décentralisation.
Vous avez eu la sagesse de rappeler qu'il ne faut pas se lier les mains pour les années futures. Nous sommes nombreux, ici ou dans d'autres enceintes, à considérer que, lorsque l'on élabore la loi, il faut aussi penser à l'avenir et qu'en matière d'impôts partagés, parce que ceux-ci sont en nombre limité, nous devons prévoir le mieux possible les marges de manoeuvre futures. De ce point de vue, c'est vrai, le projet de loi organique présente l'avantage de ne pas obérer l'avenir.
Enfin, je soulignerai avec vous que le chantier de la décentralisation, qui est l'un des cinq grands chantiers ouverts par Jean-Pierre Raffarin, est de toute évidence arrivé à un point tout à fait déterminant de son déroulement.
M. Jean-Pierre Sueur. C'est le cas de le dire !
M. Jean-François Copé, ministre délégué. La loi, je l'espère, pourra être appliquée à compter de l'année 2005. Ainsi se trouveront complétées les grandes oeuvres que nous devions engager parce que, dans le passé, ceux à qui incombait le devoir de le faire ont reculé devant l'obstacle : nous l'avons vu pour ce qui concerne le rétablissement de l'autorité publique, nous l'avons vu pour la réforme des retraites, nous l'avons vu pour la réforme de l'assurance maladie, nous l'avons vu pour la dépendance...
M. Jean-Pierre Sueur. C'est nous qui avons instauré l'allocation personnalisée d'autonomie, l'APA !
M. Jean-François Copé, ministre délégué. C'est vrai, monsieur Sueur, j'oubliais l'APA, cette fameuse mesure que vous avez créée,...
M. Jean-Pierre Sueur. C'est bien !
M. Jean-François Copé, ministre délégué. ... en oubliant naturellement d'en prévoir le moindre financement,...
M. Jean-Pierre Sueur. Ce n'est pas vrai ! Votre propos est caricatural !
M. Jean-François Copé, ministre délégué. ... ce qui vous a permis d'être durant tout ce débat une illustration parfaite de tout ce qu'il ne faut plus jamais faire. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.) Cela nous a beaucoup inspirés dans notre démarche, et je vous remercie de m'avoir ainsi de nouveau tendu la perche : vous avez en la matière des talents que je ne soupçonnais pas ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ? ...
La discussion générale est close.
La parole est à M. le président de la commission.
M. René Garrec, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Je demande une suspension de séance d'un quart d'heure environ pour permettre à la commission d'examiner les amendements qui ont été déposés sur le projet de loi organique.
M. le président. La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix heures vingt, est reprise à dix heures quarante.)
M. le président. La séance est reprise.
Nous passons à la discussion des articles.
Je rappelle que, aux termes de l'article 42, alinéa 10, du règlement, à partir de la deuxième lecture au Sénat des projets de loi, la discussion des articles est limitée à ceux pour lesquels les deux chambres du Parlement n'ont pas encore adopté un texte identique.
Article additionnel avant l'article 2
M. le président. L'amendement n° 1, présenté par MM. Frimat, Peyronnet, Sueur, Marc, Mauroy, Moreigne, Miquel, Dreyfus-Schmidt, Raoul, Lagauche, Godefroy, Teston, Dauge, Courrière, Bel et Lise, Mme Blandin et les membres du groupe Socialiste, est ainsi libellé :
Avant l'article 2, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Au sens du cinquième alinéa de l'article 72-2 de la Constitution, la péréquation est un élément constitutif de l'autonomie financière des collectivités territoriales.
La parole est à M. Bernard Frimat.
M. Bernard Frimat. Même si nous savons que ce projet de loi organique sera voté conforme, nous tenons à rappeler qu'il nous semble tout à fait essentiel que la péréquation soit évoquée au niveau des principes.
Il ne s'agit pas de décrire les mécanismes qui pourraient être ceux de la péréquation. En effet, l'argument avancé par M. le rapporteur sur ce point serait tout à fait judicieux en l'occurrence. Des mécanismes de péréquation n'ont pas à figurer dans la loi organique. En revanche, le principe de la péréquation peut tout à fait y figurer.
Nous tenons beaucoup à ce principe dans la mesure où il est, à nos yeux, constitutif de la notion même d'autonomie financière.
Le titre du projet de loi organique, même s'il est aujourd'hui quelque peu irréaliste puisque l'on aboutit à l'inverse, est toujours : « Autonomie financière des collectivités territoriales ».
Or le texte privilégie le concept de l'autonomie fiscale et, si nous voulons prendre le concept d'autonomie financière dans toute sa plénitude, la péréquation en est un élément constitutif.
En effet, quel est le sens de l'autonomie si les ressources propres au sens où nous l'entendons sont inexistantes ?
Nous savons que les inégalités fiscales entre les collectivités peuvent être très importantes, que certaines d'entre elles n'ont pratiquement aucune possibilité propre et qu'elles ne peuvent tirer leur autonomie de gestion que d'une péréquation dynamique et forte.
Voilà pourquoi il nous semble nécessaire d'affirmer ce principe, et il est à nos yeux tout à fait dommageable qu'une fois de plus vos affirmations, qui seront, je n'en doute pas, favorables à la péréquation, se traduisent dans les faits et dans les actes par sa négation. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Daniel Hoeffel, rapporteur. Le principe de la péréquation est déjà consacré dans la Constitution à la suite de la révision de mars 2003. La mise en oeuvre de ce principe sera le fait d'une loi ordinaire qui viendra en discussion dans quelques mois.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Il fallait l'inscrire à l'ordre du jour de la session extraordinaire !
M. Daniel Hoeffel, rapporteur. Il n'est donc pas nécessaire d'inscrire ce principe dans une loi organique.
J'ajouterai que l'architecture de la DGF a d'ores et déjà été réformée par la loi de finances pour 2004 avec pour effet de préciser le principe fixé dans la Constitution.
La rénovation des critères de répartition des dotations de l'Etat interviendra, elle, à l'automne. En conséquence, la commission émet un avis défavorable.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Jean-François Copé, ministre délégué. Comme bien souvent, M. Hoeffel a tout dit : le principe de péréquation a été consacré dans notre Constitution, et il s'agit d'une avancée considérable. Cependant, monsieur Frimat, contrairement à ce que vous affirmez, la péréquation n'est pas un élément constitutif de l'autonomie financière des collectivités territoriales.
M. Jean-Pierre Sueur. Quand on n'a pas d'argent, on ne peut rien faire !
M. Jean-François Copé, ministre délégué. La péréquation, c'est beaucoup d'autres choses ; c'est un principe de solidarité et d'équité territoriales. Nous aurons d'ailleurs un débat sur ce que doit être la péréquation « verticale » et ce que pourrait être la péréquation « horizontale », étant entendu qu'il y a, dans ce domaine, beaucoup à dire et sans doute beaucoup à faire.
En tout état de cause - nous en avons longuement débattu depuis le début de la discussion - la péréquation n'est pas un élément constitutif de l'autonomie financière. Vous comprendrez donc que j'émette un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. La parole est à M. Bernard Frimat, pour explication de vote.
M. Bernard Frimat. Monsieur le ministre, votre réponse est satisfaisante sur un point.
M. Bernard Frimat. Elle a mis en lumière notre désaccord. Il est en effet tout à fait intéressant de vous entendre dire que la péréquation n'est pas un élément constitutif de l'autonomie financière.
Si tel était le cas, il faudrait alors s'interroger sur les moyens de respecter le principe de la libre administration des collectivités territoriales ; en effet, loin d'être une simple tendance, ce principe est inscrit dans la Constitution depuis un moment. Or quelle est la liberté d'une collectivité territoriale qui ne possède pas, par absence de potentiel fiscal, de réelle autonomie ? En réalité, il n'y a pas d'autonomie fiscale face à la « misère » des recettes d'un budget.
Dans ce cas, l'autonomie et la libre administration d'une collectivité locale ne pourront être assurées que par la péréquation, seul moyen pour la collectivité d'accéder à la solidarité. Nous ne divergeons d'ailleurs sur ce point que dans la manière de mettre en oeuvre cette solidarité, puisque nous souhaitons la diriger vers ceux qui en ont besoin.
Par la solidarité, la collectivité peut accéder à l'autonomie de gestion et donc satisfaire au principe de libre administration des collectivités locales. Pour cette raison, nous voulons préciser, par cet amendement, que la péréquation est un élément constitutif de l'autonomie financière des collectivités territoriales.
M. le président. La parole est à M. Jean Chérioux, pour explication de vote.
M. Jean Chérioux. Nous avons tous une certaine conception de la décentralisation, de la liberté et de l'autonomie de gestion que nous nous efforçons de mettre en oeuvre dans nos collectivités. Mais, pour apprécier cette autonomie, il faudrait aussi prendre en compte le fait qu'une grande partie des dépenses des collectivités locales sont des dépenses obligatoires.
A cet égard, j'aimerais bien savoir où est l'autonomie de gestion s'agissant des dépenses obligatoires.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Voilà une bonne question, monsieur le ministre !
Mme Jacqueline Gourault et M. Robert Bret. C'est un vrai sujet !
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 1.
(L'amendement n'est pas adopté.)
Article 2
Dans le chapitre IV du titre unique du livre Ier de la première partie du code général des collectivités territoriales, l'article L.O. 1114-2 est ainsi rédigé :
« Art. L.O. 1114-2. - Au sens de l'article 72-2 de la Constitution, les ressources propres des collectivités territoriales sont constituées du produit des impositions de toutes natures dont la loi les autorise à fixer l'assiette, le taux ou le tarif, ou dont elle détermine, par collectivité, le taux ou une part locale d'assiette, des redevances pour services rendus, des produits du domaine, des participations d'urbanisme, des produits financiers et des dons et legs.
« Pour la catégorie des communes, les ressources propres sont augmentées du montant de celles qui, mentionnées au premier alinéa, bénéficient aux établissements publics de coopération intercommunale. »
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, sur l'article.
M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j'espère vivement que M. le Premier ministre et ses ministres auront le bon goût de ne pas aller, en cette saison, arpenter les rues et les plages, en se vantant, du haut d'une quelconque estrade, d'avoir instauré le principe et la réalité de l'autonomie financière des collectivités territoriales.
Ce serait en effet, monsieur le ministre, un pur mensonge. Il faut en être tout à fait conscient. Certes, le Gouvernement a soigné incontestablement l'habillage de son texte : le mot « autonomie » est désormais inscrit dans la Constitution et figure même dans le titre du présent projet de loi organique.
Malgré tout, n'oublions pas, mes chers collègues, la disposition essentielle de ce texte, prévue au quatrième alinéa de l'article 3, dont je me permets de vous donner lecture :
« Pour chaque catégorie, la part des ressources propres est déterminante, au sens de l'article 722 de la Constitution, lorsqu'elle garantit la libre administration des collectivités territoriales relevant de cette catégorie, compte tenu des compétences qui leur sont confiées. Elle ne peut être inférieure au niveau constaté au titre de l'année 2003. »
Cela veut dire que la part déterminante est déterminante, au sens de la Constitution, quand elle est déterminante. (Sourires.)
M. René Garrec, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Bravo !
M. Jean-Pierre Sueur. Comme, par définition, le mot « déterminant » est strictement synonyme de « indéterminé », comme il ne nous a jamais été précisé, monsieur le ministre, à quel pourcentage correspondait la part déterminante - 10 %, 20 %, 40 %, 60 % ou 75 % - il est clair que tout cela ne veut rien dire.
MM. Yves Fréville et Jean-Jacques Hyest. Elle est au moins égale à celle de 2003 !
M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur Fréville, vous avez parfaitement raison, et je vous en donne acte :...
M. Jean Chérioux. Vous avez de la chance, monsieur Fréville !
M. Jean-Pierre Sueur. ... le seul apport réel de ce projet de loi organique, c'est en vérité la dernière phrase du quatrième alinéa de l'article 3, que je relis : « Elle ne peut être inférieure au niveau constaté au titre de l'année 2003. »
M. Yves Fréville. Eh bien voilà !
M. Jean-Pierre Fourcade. C'est très important de le préciser !
M. Jean-Pierre Sueur. Si je comprends bien, monsieur Fourcade, cela ne peut pas être pire qu'en 2003.
M. Jean-Pierre Fourcade. Cela ne peut pas être pire que ce que vous avez fait !
M. Jean-Pierre Sueur. Vous mettez injustement en cause un gouvernement, alors que la situation actuelle est le résultat de ce qui se passe depuis vingt ans, période au cours de laquelle une bonne dizaine de gouvernements, de gauche et de droite, sont allés dans le même sens.
A cet égard, vous connaissez bien, monsieur Fourcade, les mesures qui ont été prises, notamment par M. Juppé ; nous pourrions les détailler. N'entrons pas dans de faux débats !
En tout état de cause, il existe un vrai problème, qui est imputable à la pratique de plusieurs gouvernements.
M. Jean Chérioux. Je vous en donne acte !
M. Jean-Pierre Sueur. En la matière, je rappellerai la remarquable proposition de loi constitutionnelle, signée par MM. Jean-Pierre Fourcade, JeanPaul Delevoye, Jean Puech, Christian Poncelet et ... JeanPierre Raffarin.
En effet, on peut lire en son article 1er : « Les ressources hors emprunt de chacune des catégories de collectivités territoriales sont constituées pour la moitié au moins de recettes fiscales et autres ressources propres. »
Voilà ce que vous proposiez, messieurs, pour faire évoluer la situation. Si vous aviez fait adopter une telle disposition, votre projet de loi organique aurait une consistance, et vous pourriez alors aller sur les routes, sur les chemins et sur les plages en affirmant que, grâce à vous, la situation a enfin changé !
M. Charles Revet. Mais pourquoi ne l'avez-vous pas fait ?
M. Jean-Pierre Sueur. Parce que nous ne pouvions pas tout faire ! (Exclamations ironiques sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)
Vous avez voulu créer un changement important, et nous vous en donnons acte. (Ah ! sur les travées de l'UMP.) Un tel objectif était aussi prévu dans le rapport Mauroy. Or, comme chacun peut le constater, ce changement n'a pas lieu, et nous pouvons le prouver !
M. Charles Revet. C'est de la mauvaise foi !
M. Jean-Pierre Sueur. Non, je ne suis pas de mauvaise foi, je dis les choses comme elles sont ! La situation que nous connaissons en matière de dotations est imputable à tous les gouvernements qui se sont succédé. Vous avez proposé de faire une réforme en fixant, pour la part d'autonomie financière, un montant bien défini, à savoir plus de la moitié des ressources. Vous avez décidé finalement de ne pas le faire, et nous pouvons le prouver, texte à l'appui.
Je finirai en citant la phrase tout à fait remarquable prononcée à Rouen, le 10 avril 2002, par le chef de l'Etat, M. Jacques Chirac.
M. Charles Revet. Belle référence !
M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le ministre, mes chers collègues, Rouen est, certes, une ville très importante, mais il est incontestable que Jeanne d'Arc a été mieux traitée à Orléans qu'à Rouen ! (Sourires.)
M. Jean-Pierre Sueur. Peut-être M. Jacques Chirac auraitil dit autre chose à Orléans...
M. le président. Monsieur Sueur, veuillez conclure, je vous prie.
M. Jean-Pierre Sueur. Au demeurant, voici ce qu'il a déclaré à Rouen le 10 avril 2002 : « Faire dépendre plus de la moitié des ressources des collectivités locales de dotations de l'Etat, les subordonner au vote annuel du Parlement et vouloir encore aggraver la situation en privant les collectivités locales du produit de la taxe d'habitation, c'est la négation même de toute responsabilité démocratique et de toute liberté locale. » (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Bernard Frimat.
M. Bernard Frimat. L'article 2, qui est le seul encore en débat, va nous permettre d'avoir une discussion de fond et de nous intéresser à un point essentiel.
En première lecture, la position initiale défendue par la commission des lois et par la commission des finances était cohérente. Elle était compréhensible par tout le monde, sans qu'il soit besoin de s'interroger pour savoir s'il s'agissait d'un cafouillage ou d'un bidouillage.
Elle reposait sur la conception suivante : les ressources propres sont les ressources sur lesquelles les collectivités territoriales ont un pouvoir par l'intermédiaire de leur conseil élu. Il y avait là un écho parfait au principe de libre administration.
Cette position présentait toutefois un inconvénient majeur. Elle était en contradiction avec la position du Gouvernement, elle aussi très claire. Ce dernier voulait que des parts d'impôt national puissent être assimilées à des ressources propres.
Bien entendu, il était impossible de revenir complètement sur ce qui constituait un bien commun : le principe de libre administration. Il fallait donc ajouter un élément au dispositif existant. C'est là que M. Fréville a fait preuve de son inventivité.
Maintenant, où en sommes-nous ? On nous propose un système relativement simple qui, je le crains, sera inapplicable.
Sont considérées comme ressources propres les ressources sur lesquelles tout le monde est d'accord. On y ajoute ce que j'appellerai les ressources non modulables. Je simplifie, j'en ai bien conscience, mais je pense que ce langage est clair pour tout le monde, du moins à l'intérieur de cette enceinte.
L'objet de l'amendement que M. Copé était chargé de défendre...
M. Bernard Frimat. ...était de faire en sorte que, demain, une collectivité quelconque considère comme une ressource propre la part de n'importe quel impôt national qui pourrait lui être affectée. On évoque aujourd'hui la TIPP, mais il pourrait aussi bien s'agir, pourquoi pas, de l'impôt sur les sociétés, de la TVA ou de n'importe quel autre impôt.
La philosophie de l'amendement était donc la suivante : autonomie plus dépendance égalent ressources propres.
Ce qui nous gêne dans cet amendement, qui constitue le coeur de l'article 2, c'est que, demain, il deviendrait possible qu'une collectivité territoriale conserve des ressources propres en n'ayant plus aucune fiscalité locale, en percevant simplement des parts d'impôts nationaux délibérées par le Parlement. Je ne prétends pas que telle est votre intention, monsieur le ministre, mais je dis que le texte que vous proposez le permettrait.
Mes chers collègues, que les ressources des collectivités territoriales puissent n'être constituées que par une part d'impôt national décidée par le Parlement, quel curieux aboutissement d'une idée née de la décentralisation ! Quelle curieuse conception de l'autonomie !
Il existait dans le temps - les finances publiques sont issues d'une longue sédimentation de réformes très simples, dont la complexité vient de l'accumulation - un versement représentatif de la taxe sur les salaires. Allons-nous demain consacrer l'autonomie par un versement représentatif d'une part d'impôt national ? C'est ce à quoi vous aboutissez et c'est évidemment ce à quoi nous sommes opposés.
M. le président. La parole est à M. François Marc.
M. François Marc. Le Sénat vit depuis quelques mois un véritable psychodrame qui a vu le jour voilà déjà plusieurs années. En effet, c'est avec la proposition de loi déposée en 2000 que se sont exprimées les revendications de la majorité sénatoriale relatives à l'autonomie financière.
M. Jean-Pierre Sueur. Eh oui !
M. François Marc. Dans les discussions que nous avons eues dans cette enceinte depuis cette date, notre groupe a toujours défendu l'idée que l'autonomie ne se réduisait pas à l'autonomie fiscale, que l'autonomie financière et l'autonomie de gestion étaient des paramètres à examiner à fond.
La majorité s'est toujours recroquevillée sur l'idée que l'autonomie fiscale était l'essentiel. Elle s'est donc efforcée, au travers des discussions laborieuses de ces derniers mois, d'élaborer un dispositif de nature à donner corps à cette perception réductrice des choses.
Le système qui nous est soumis aujourd'hui, et qui a été qualifié tout à l'heure de « bidouillage », a été considéré d'une façon très catastrophiste par un certain nombre de nos collègues députés.
A en croire les déclarations des membres de la majorité faites hier, à l'Assemblée nationale, il s'agirait d'un système « sinistre », d'un système « fou ». Ces propos illustrent l'ampleur de la désillusion de nos collègues de la majorité. Ils illustrent aussi leur déception. La grande ambition qu'ils s'étaient efforcés de dessiner au cours des discussions de ces dernières années accouche en réalité d'une souris. Enfin, on constate une grande inquiétude quant à la mise en oeuvre de ce dispositif.
Ce dispositif, fondé sur un ratio d'autonomie financière, est en définitive une machine infernale. Ce ratio d'autonomie financière est tueur : tueur de péréquation, tueur de solidarité locale, tueur d'autonomie.
M. Jean-Pierre Sueur. Très bien !
M. François Marc. Ce ratio est tueur de péréquation parce que le Gouvernement a refusé la suggestion formulée par le groupe socialiste du Sénat de retirer de son dénominateur tout ce qui va à la péréquation.
Si ce n'est pas fait, à chaque dotation de péréquation, les collectivités seront obligées d'augmenter les impôts, sinon le ratio ne sera plus atteint.
En d'autres termes, il n'y aura pas de péréquation possible sans une augmentation de la fiscalité. Le fonctionnement des mécanismes de péréquation sera donc totalement paralysé.
Monsieur le ministre, votre refus de retirer les dotations de péréquation du dénominateur du ratio d'autonomie financière illustre parfaitement la volonté de ne pas donner corps à une véritable péréquation dans notre pays.
Ce ratio est aussi tueur de solidarité locale.
Vous avez, monsieur le ministre, comme beaucoup de membres du Gouvernement, développé à maintes reprises l'idée qu'il fallait cesser de faire payer le contribuable et solliciter davantage l'usager.
Il est vrai que le numérateur de ce ratio est composé de redevances et d'impôts. La mise en application du principe que vous préconisez, chacun le comprend, conduira demain à dire : si vous ne voulez pas augmenter les impôts, sollicitez les redevances, faites payer l'usager ! C'est un de vos leitmotiv. Dans ces conditions, la solidarité locale va certainement reculer dans notre pays.
Ce ratio est enfin tueur d'autonomie. Il débouchera sur le système fou qui a été dénoncé par certains orateurs de la majorité à l'Assemblée nationale dès lors que seront incluses au numérateur des ressources sur lesquelles les élus locaux n'ont absolument aucun pouvoir.
Dès lors, monsieur le ministre, ne pourrait-on arriver à un système dans lequel le coefficient d'autonomie financière ne comporterait plus au numérateur une seule ressource fiscale votée par les collectivités ?
La formule qui nous est proposée aujourd'hui permet tout à fait d'aller dans ce sens, ce qui est en contradiction totale avec l'esprit de la décentralisation.
Je rappelle que la décentralisation Mauroy - Deferre était synonyme de liberté, de responsabilité, d'efficacité, de rapprochement des citoyens des décisions.
Peut-on soutenir que l'amendement qui a été adopté par les députés, et qui reprend un amendement voté par le Sénat, va dans le sens d'un rapprochement des citoyens de la décision en ce qui concerne la fiscalité ? La réponse est claire : c'est non.
Concrètement, mes chers collègues, le présent projet de loi organique marque un recul total par rapport à la décentralisation : il est donc absolument nécessaire de le rejeter. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Fourcade.
M. Jean-Pierre Fourcade. Je suis très étonné d'entendre ces incantations à l'autonomie et à la responsabilité des collectivités territoriales.
C'est un peu comme si le gouvernement précédent n'avait pas relancé le mouvement de coopération intercommunale en plaçant la taxe professionnelle au coeur du développement des communautés, et que, par ailleurs, un autre membre du Gouvernement n'avait pas démoli la taxe professionnelle en en supprimant la part salaires.
M. Jean-Pierre Sueur. C'est vous qui le demandiez !
M. Jean-Pierre Fourcade. Tels sont les éléments objectifs qu'il faut rappeler avant tout débat théorique.
En effet, la suppression de la part salaires...
M. Jean-Pierre Sueur. Que vous vouliez !
M. Jean-Pierre Fourcade. ...et son intégration dans la dotation globale de fonctionnement a été un coup formidable porté au développement de la coopération intercommunale et une atténuation importante de la responsabilité des élus.
M. Jean-Pierre Sueur. Vous l'avez approuvée !
M. Jean-Pierre Fourcade. En effet, si l'on remplace une ressource fiscale dont les collectivités ont la maîtrise par une dotation budgétaire, elle tend, nous le savons, de façon asymptotique à disparaître.
M. Jean-Pierre Sueur. Rétablissez-la !
M. Jean-Pierre Fourcade. Il suffit pour s'en convaincre de voir ce qui s'est passé avec la dotation de compensation de la taxe professionnelle - la DCTP - qui est devenue une variable d'ajustement dont le montant se réduit chaque année.
Voilà pourquoi nous avons demandé au Gouvernement, après avoir déposé une proposition de loi, de modifier la Constitution. Voilà pourquoi nous discutons aujourd'hui de ce projet de loi organique.
Ce projet de loi présente deux avantages. Je tiens, à cet égard, à me référer aux excellents propos de M. Mercier, du rapporteur, M. Hoeffel, et de M. Fréville.
Premier avantage, et l'article 2 le montre bien : on distingue deux catégories de ressources autonomes.
Il y a, en premier lieu, les ressources dont les collectivités locales ont la maîtrise, maîtrise qui est d'ailleurs étonnamment restreinte par les mécanismes de dégrèvement, de plafonnement et de liaison des taux.
M. Yves Fréville. Eh oui !
M. Jean-Pierre Fourcade. Personne n'en parle, mais on porte atteinte à la maîtrise totale de leurs ressources par les collectivités...
Mme Jacqueline Gourault. C'est vrai !
M. Jean-Pierre Fourcade. ...si on leur interdit d'augmenter un taux, si on les lie par des verrouillages successifs.
M. Jean-Pierre Fourcade. Le projet de loi distingue, en second lieu, les ressources qui sont affectées aux collectivités et dont l'Etat détermine soit le taux, soit la part locale de l'assiette. A cet égard, l'amendement de l'Assemblée nationale va dans le bon sens.
J'ai l'honneur d'administrer une commune importante qui est à la tête d'une communauté d'agglomération. Dans cette commune, le produit des droits d'enregistrement, qui font l'objet d'une assiette locale, représente les huit vingtièmes, donc presque la moitié, du produit de la taxe d'habitation.
Je considère cette ressource comme un fondement de l'autonomie locale de ma commune.
M. Yves Fréville. Bien sûr !
M. Jean-Pierre Fourcade. Si, poursuivant l'évolution de ces dernières années, on avait supprimé cet impôt pour le remplacer par une dotation, il est évident que la collectivité que j'administre aurait perdu de l'argent et que l'autonomie de ma commune aurait été moindre.
M. Yves Fréville. Bien sûr !
M. Jean-Pierre Fourcade. Il en est de même pour le versement transport et pour d'autres éléments.
Monsieur le président, nous sommes au mois de juillet et nous sommes au Sénat. Ce n'est pas une raison pour ne pas regarder ce qui se passe autour de nous.
On assiste à un développement rapide de l'intercommunalité dont la base est la taxe professionnelle. On constate aussi une remise en question de ladite taxe professionnelle, car elle constitue, dit-on, une gêne pour la compétitivité de nos entreprises.
Avec le texte que nous allons voter d'un seul coeur, je prétends que nous éviterons la suppression de la taxe professionnelle et sa transformation en dotation, ce qu'avait commencé à faire M. Strauss-Kahn.
En effet, ce dernier avait non seulement réduit la part salaires, mais également annoncé à l'ensemble du monde patronal la suppression de la taxe professionnelle.
MM. Strauss-Kahn et Chevènement ont pris des voies parallèles, mais parfaitement contradictoires, ...
M. Jean-Pierre Sueur. Et M. Chirac, il a dit quoi ?
M. Jean-Pierre Fourcade. ...dont nous subissons aujourd'hui les conséquences.
Deuxième avantage, ce projet de loi nous protège et, indépendamment des grandes querelles idéologiques ou du rappel du passé, il constitue une garantie pour l'ensemble des collectivités.
Croyez-moi, les dirigeants actuels de nos collectivités, notamment ceux des communautés de communes, des communautés d'agglomération et des communautés urbaines, l'ont parfaitement compris ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Bernard Murat.
M. Bernard Murat. Nos collègues socialistes ont beau jeu de se présenter ce matin comme les ardents défenseurs de l'autonomie financière des collectivités territoriales, alors que ces dernières ont croulé par le passé, et plus particulièrement lors des cinq années du gouvernement Jospin, sous les multiples coups portés à répétition contre elles ! (Protestations sur les travées du groupe socialiste.)
M. Jean-Pierre Sueur. Ça y est !
M. Bernard Murat. Monsieur Sueur, des voix, il n'y en a pas qu'à Rouen et à Orléans !
M. Jean-Pierre Sueur. Les élus étaient contents des dotations !
M. Bernard Murat. L'opposition actuelle a toujours cédé aux sirènes du centralisme et je ne peux que m'interroger sur la motivation de ses membres aujourd'hui, alors qu'ils se découvrent, parfois avec surprise, comme les plus chevronnés défenseurs de cette autonomie financière qu'ils avaient refusé d'inscrire dans le marbre de la Constitution, à l'heure où le Sénat, le premier, sous l'égide de son président, avait étudié une proposition de loi constitutionnelle en ce sens qui n'a jamais eu de suite sous la précédente législature.
M. Jean-Pierre Sueur. C'est fort !
M. Bernard Murat. Les chiffres parlent d'eux-mêmes, et il est bon de les rappeler en toute sérénité, sans tomber dans le psychodrame : suppression de la taxe additionnelle régionale aux droits de mutation à titre onéreux, soit plus de 10 % des recettes fiscales des régions ; réduction des droits de mutation à titre onéreux des départements ; suppression de la fraction de l'assiette de la taxe professionnelle assise sur les salaires, soit près d'un tiers de l'assiette de cet impôt, dont le produit représente près de la moitié du produit des quatre taxes directes locales ; unification des taux départementaux des droits de mutation à titre onéreux sur les locaux d'habitation ; suppression de la part régionale de la taxe d'habitation, soit près de 15 % des recettes fiscales totales des régions et 22 % du produit des quatre taxes ; enfin, suppression de la vignette automobile pour les personnes physiques, les associations et les personnes morales pour les trois premiers véhicules.
Je pense que nos collègues pourront méditer ces données objectives...
M. Jean-Pierre Sueur. C'est tout médité !
M. Bernard Murat. ... avant de mettre en cause la loyauté de l'actuel Gouvernement, dont je tiens à rappeler l'exceptionnelle constance sur ce point primordial, le Premier ministre, M. Jean-Pierre Raffarin, connaissant parfaitement la sensibilité du Sénat au sujet des libertés locales, de leur autonomie financière et, par-dessus tout, des nécessaires solidarités territoriales. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Michel Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Il est tout de même curieux d'entendre la majorité d'aujourd'hui essayer de donner à la majorité d'hier des leçons sur la décentralisation !
Soyez modestes et rappelez-vous que vous avez combattu la décentralisation lorsqu'elle a été mise en place en 1982 !
M. Jean Chérioux. Vous oubliez la proposition de loi Bonnet que le Sénat avait votée avant la loi Defferre !
M. Jean-Pierre Sueur. Elle n'a jamais été inscrite à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Vous reconnaissez maintenant que nous avions raison, mais cela ne veut pas dire que vous avez raison aujourd'hui ! Nous en reparlerons avant vingt ans, j'en suis sûr.
Nous avons du mal à nous faire comprendre de notre collègue Jean-Pierre Fourcade.
Il a d'abord dit que nous allons voter le texte d'un seul coeur. Je pense qu'il ne nous a pas entendus car, en ce qui nous concerne, nous ne le voterons pas !
Ensuite, je suis toujours un peu étonné de l'entendre parler de la taxe professionnelle comme s'il avait, du premier coup, réussi quelque chose d'extraordinaire à l'époque. On sait que ce n'était pas le cas.
Lorsque vous nous reprochez, mon cher collègue, d'avoir supprimé la part salaires, vous semblez oublier que vous aviez vous-même demandé une telle mesure, que vous l'avez-vous même votée, et qu'aucun d'entre vous n'a proposé de la rétablir !
Il est d'autant plus inutile de se jeter à la tête ce qu'ont fait les uns ou les autres que les élus locaux - je le dis à titre personnel - préfèrent de bonnes dotations leur permettant une véritable autonomie financière plutôt qu'une autonomie fiscale ne leur donnant pas une autorité financière. Il faut dire les choses comme elles sont.
D'ailleurs, ce système est en place dans de nombreux pays à la satisfaction des élus locaux ; il faudra bien le dire aussi un jour !
M. Jean Chérioux. En Grande-Bretagne, par exemple.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Si vous n'acceptez pas nos amendements à l'article 2, je vous annonce que nous envisageons de déposer une série de sous-amendements à l'amendement n° 4.
Le premier concernera une commune des Pyrénées atlantiques et aura pour objet de remplacer les mots « par collectivité, le taux ou une part locale d'assiette » par les mots « par collectivité à l'exception de la commune d'Aast, le taux ou une part locale d'assiette ». Mais il sera suivi de quelque 36 000 autres visant les différentes communes, après quoi il y aura les départements, puis les régions. (Sourires.)
De deux choses l'une : ou bien vous les votez tous et -- c'est l'objectif que nous poursuivons - ...
M. Jean Chérioux. C'est du chantage !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. ... il ne sera plus possible, dans aucune collectivité, d'arrêter un taux ou une part locale d'assiette, ou bien vous n'en votez qu'un certain nombre et pourquoi alors faire une différence entre les communes ? Nous aurions à gérer cette contradiction et sans doute à renvoyer le texte à l'Assemblée nationale.
Nous voulions, dès maintenant, vous prévenir loyalement !
M. le président. Sur l'article 2, je suis saisi de trois amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 3, présenté par MM. Peyronnet, Frimat, Sueur, Marc, Mauroy, Moreigne, Miquel, Dreyfus-Schmidt, Raoul, Lagauche, Godefroy, Teston, Dauge, Courrière, Bel et Lise, Mme Blandin et les membres du groupe Socialiste, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi le premier alinéa du texte proposé par cet article pour l'article L.O. 11142 du code général des collectivités territoriales :
Au sens de l'article 72-2 de la Constitution, les ressources propres des collectivités territoriales sont celles dont les collectivités et leurs groupements fixent librement le montant. Elles sont constituées du produit des impositions de toutes natures, des redevances pour services rendus, des produits du domaine, des participations d'urbanisme, des produits financiers et des dons et legs.
La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur. Ma tâche sera d'autant plus simple que chacun aura reconnu dans l'amendement n° 3 l'amendement que nous a présenté M. Hoeffel en première lecture.
Il ne me revient donc pas d'expliquer pourquoi je suis favorable à cet amendement qui a d'ailleurs gagné aussi la faveur du bureau de l'Association des maires de France.
En revanche, peut-être M. Daniel Hoeffel pourra-t-il nous expliquer pourquoi il est désormais opposé à ce texte dont il est l'inspirateur et le rédacteur...
N'ayant pas, cette fois-ci, épuisé mon temps de parole, je me permettrai de revenir sur l'intervention de M. Jean-Pierre Foucade.
S'agissant des lois sur l'intercommunalité, je rappellerai que l'une fut adoptée en 1992, sous le gouvernement de Pierre Bérégovoy, et l'autre en 1999, sous le gouvernement de Lionel Jospin. Que cela soit clair !
Quant au système des dotations, il s'est construit avec le temps jusqu'à devenir effroyablement compliqué et alambiqué. A coup sûr, il faut le réformer, diminuer la part des dotations, accroître la part de l'autonomie financière et fiscale et, à l'intérieur des dotations, donner plus de place à la péréquation. On en reparlera avec les autres amendements.
Je comprends que M. Fourcade ait une certaine tendresse pour la taxe professionnelle, puisqu'il a contribué très largement à son instauration. Mais il ne faut pas, comme vient de le dire M. Michel Dreyfus-Schmidt, nous reprocher aujourd'hui d'avoir supprimé la part salaires !
D'abord, tout le monde - le patronat, nombre d'élus de droite - hurlait, à l'époque, contre les charges sociales !
Ensuite, elle a été compensée par une dotation. Certes, il faut revoir le système ; cela aurait dû être l'objet de ce projet de loi.
Enfin, ce reproche est d'autant moins fondé, monsieur Fourcade, que M. Chirac nous a benoîtement annoncé, lors de la cérémonie des voeux du nouvel an, alors que nous venions de terminer l'examen de la loi de finances, qu'on allait supprimer la taxe professionnelle et qu'a été mise en place immédiatement, comme de coutume, une commission, présidée par M. Fouquet, qui a fait un premier rapport montrant que le sujet était extrêmement complexe. La seule chose que l'on sait, c'est qu'on ne saura rien avant l'année 2006 !
S'agissant de l'article que vous nous proposez, très alambiqué et aux termes contradictoires, n'osant m'exprimer, je reprendrai les termes employés hier par l'un des membres de la majorité à l'Assemblée nationale.
M. Mercier n'étant plus parmi nous, Mme Jacqueline Gourault prendra bonne note de cette citation d'un orateur du groupe UDF pour lui en faire part.
M. Jean Chérioux. Quels procédés !
M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur Chérioux, la parole est libre. Je lirai donc librement les propos de M. Charles de Courson :
« Que l'on m'explique comment une part d'assiette d'impôt national, sans aucune assiette locale, pourrait être considérée comme une ressource propre pouvant figurer au numérateur du ratio d'autonomie financière. (...) C'est proprement fou.
« Je l'ai dit et répété au rapporteur et au ministre : vous allez tout droit dans le mur, en klaxonnant ! »
M. Jean-Pierre Sueur. Il l'a quand même dit en l'occurrence, monsieur le ministre !
Cela sonnait quelque peu différemment des propos de M. Mercier et nous voyons une sorte de contradiction s'installer. S'installerait-elle même à l'UMP ?
M. de Courson a poursuivi en ces termes :
« La situation étant ainsi décrite, j'invite instamment mes collègues du groupe UMP à méditer les propos véhéments de MM. Pinte et Pélissard, qui ont expliqué que ce que l'on voulait nous faire voter est inacceptable. Personne ne pourra dire qu'il n'était pas au courant, puisque, pour la quatrième fois, j'appelle l'attention de ceux qui s'apprêtent, sur ordre, à voter l'amendement » - celui dont nous parlons ici - « sur le fait qu'ils scient la branche de l'autonomie financière des collectivités territoriales. »
Je ne me serais pas exprimé dans ces termes. Mais qu'on ne vienne pas nous dire qu'il y a un grand consensus, monsieur Chérioux, et que tout le monde, y compris au sein des différentes familles de la droite, vit dans le bonheur avec cette autonomie complètement frelatée que vous avez décidé de nous présenter en ce jour !
M. le président. L'amendement n° 2, présenté par MM. Marc, Peyronnet, Frimat, Sueur, Mauroy, Moreigne, Miquel, Dreyfus-Schmidt, Raoul, Lagauche, Godefroy, Teston, Dauge, Courrière, Bel, Collomb et Lise, Mme Blandin et les membres du groupe Socialiste, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi le premier alinéa du texte proposé par cet article pour l'article L.O. 11142 du code général des collectivités territoriales :
Au sens de l'article 72-2 de la Constitution, les ressources propres des collectivités territoriales sont constituées du produit des impositions de toutes natures dont les collectivités votent le taux ou déterminent le tarif, des redevances pour services rendus, des produits du domaine, des participations d'urbanisme, des produits financiers et des dons et legs.
La parole est à M. François Marc.
M. François Marc. La définition des ressources propres qui a été retenue ne nous satisfait point. C'est pourquoi nous proposons une autre formulation.
Nous avons entendu tous les arguments qui ont été développés. Hier, à l'Assemblée nationale, certains orateurs de la majorité ont parlé d'un système « fou », sans doute par référence au savant Cosinus, qui invente des dispositifs certes intéressants et ingénieux à première vue mais qui ne fonctionnent pas ou fonctionnent dans des conditions catastrophiques.
Notre inquiétude porte sur les conditions dans lesquelles cette définition des ressources propres va conduire ou non à une véritable autonomie financière des collectivités. Une telle définition doit reposer sur des bases plus satisfaisantes. Après la capitulation du Sénat et de l'Assemblée nationale quant au souhait des élus locaux, en particulier des maires, nous devons revenir à une bonne définition des ressources propres. Si on ne le faisait pas, on risquerait de voir, un jour, les ressources propres reposer uniquement sur des impôts d'Etat sur lesquels les élus locaux n'auraient aucune part de décision. J'aimerais entendre la réponse de M. le ministre sur ce point.
M. le président. L'amendement n° 4, présenté par MM. Peyronnet, Frimat, Sueur, Marc, Mauroy, Moreigne, Miquel, Dreyfus-Schmidt, Raoul, Lagauche, Godefroy, Teston, Dauge, Courrière, Bel et Lise, Mme Blandin et les membres du groupe Socialiste, est ainsi libellé :
Dans le premier alinéa du texte proposé par cet article pour l'article L.O. 11142 du code général des collectivités territoriales, après les mots :
le taux ou le tarif
supprimer les mots :
ou dont elle détermine, par collectivité, le taux ou une part locale d'assiette
La parole est à M. Jean-Claude Peyronnet.
M. Jean-Claude Peyronnet. Je serai bref car il s'agit d'arguments que chacun connaît bien, mais nous ne nous lassons pas de les répéter puisque nous avons du mal à nous faire entendre.
A nos yeux, comme aux yeux de beaucoup d'autres parlementaires, ici et à l'Assemblée nationale, seules peuvent être considérées comme des ressources propres celles sur lesquelles les collectivités disposent d'un pouvoir de modulation. Sur ce point, l'amendement Geoffroy modifiant l'amendement Hoeffel - Fréville constitue, nous semble-t-il, une recentralisation larvée du pouvoir fiscal ; il est donc inacceptable.
Je reprendrai à mon tour les propos de M. de Courson, qui sont très clairs. Je cite :
« Le rapporteur considère que l'on peut vider de toute substance la notion d'autonomie financière des collectivités territoriales ! - il parle de l'amendement Geoffroy. C'est ce que fera l'Assemblée si elle adopte le sinistre - et donc annonciateur de malheur, au sens latin - amendement du rapporteur... Autant dire que l'amendement Geoffroy, dans sa première partie, est bien pire que l'amendement Fréville. »
M. de Courson ajoute :
« J'appelle l'attention de ceux qui s'apprêtent sur ordre à voter l'amendement Geoffroy sur le fait qu'ils scient la branche de l'autonomie financière des collectivités territoriales. (...) Si le Conseil constitutionnel censure cette disposition, nous ne pourrons reprendre une éventuelle loi organique rectificative avant l'automne. » Donc, dans ce cas, on sera en difficulté.
Enfin, M. de Courson conclut :
« Le bon sens doit prévaloir, et aussi le respect de la Constitution, que la majorité a révisée précisément pour constitutionnaliser l'autonomie financière des collectivités locales. Il ne faut surtout pas voter l'amendement Geoffroy. » Je ne peux pas mieux dire !
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Daniel Hoeffel, rapporteur. J'ai écouté attentivement les arguments qui viennent d'être avancés.
M. Bernard Frimat. Et vous êtes convaincu ! (Sourires.)
M. Daniel Hoeffel, rapporteur. Ces amendements, dont le libellé ne m'est pas totalement inconnu, appellent de la part de la commission des lois une triple observation.
Première observation : la Constitution n'accorde pas une liberté totale aux collectivités territoriales pour fixer le montant des impositions qui leur sont transférées. Il appartient en effet à la loi, et c'est l'objectif de notre débat, de fixer les limites dans lesquelles elles peuvent moduler l'assiette ou le taux.
Deuxième observation : la question de la définition, ou de la redéfinition, des ressources propres qui nous avait amplement occupés tout au long de la première lecture a été tranchée à ce moment-là au Sénat : la commission des lois s'en était remise à la sagesse de notre assemblée, après introduction, dans notre amendement initial, du sous-amendement Fréville.
Troisième observation : le texte qui nous revient de l'Assemblée nationale, complété, modifié ou enrichi, selon la terminologie que l'on choisira, préserve tout de même, au coeur du dispositif, l'amendement initial que le Sénat avait proposé.
M. Yves Fréville. Tout à fait !
M. Daniel Hoeffel, rapporteur. On peut donc en déduire, sans hésitation, que cet ensemble va, pas à pas, dans la bonne direction, celle d'une clarification et d'une concrétisation de l'autonomie financière. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Jean-François Copé, ministre délégué. M. Daniel Hoeffel ayant parfaitement résumé la philosophie qui est la nôtre, je n'y reviens pas.
Le débat a déjà eu lieu. Il a été constructif puisque, chacun s'en souvient, l'amendement Hoeffel, sous-amendé par M. Fréville, a été ajouté au projet initial du Gouvernement.
Nous avons donc - c'est tout l'intérêt de nos échanges - construit ce qui apparaît aujourd'hui comme une amélioration très significative, puisque le texte donne un contenu concret à la notion d'impositions de toutes natures et à la notion d'autonomie financière. De ce point de vue, la discussion au Sénat a été remarquablement profitable.
Pour toutes ces raisons, le Gouvernement ne peut qu'émettre un avis défavorable sur ces trois amendements.
M. Marc a évoqué l'idée selon laquelle un gouvernement - non pas le nôtre, qui est formidable (Sourires.) - pourrait, dans quelques années ou dans quelques décennies,...
M. Jean-Pierre Sueur. On verra en septembre, en octobre ou en novembre !
M. Jean Chérioux. Une fois de plus !
M. Jean-François Copé, ministre délégué. Un gouvernement mal intentionné pourrait, a dit M. Marc, être tenté de réduire la part réservée aux seuls impôts dont la collectivité locale fixe le taux ou l'assiette. A cet égard, je rappellerai qu'il appartient au Parlement de décider de tout cela.
M. Yves Fréville. Très bien !
M. Charles Revet. Voilà !
M. Jean-François Copé, ministre délégué. Le Parlement est en effet la pierre angulaire de tout le processus initiant les relations entre l'Etat et les collectivités locales.
M. Jean Chérioux. Absolument !
M. Jean-François Copé, ministre délégué. Cela signifie qu'il revient aux sénateurs et aux députés de déterminer in fine les règles du jeu.
M. François Marc. Le 49-3 !
M. Jean-François Copé, ministre délégué. Vous l'avez fait dans le cadre de la Constitution ; vous le faites dans le cadre de la loi organique ; vous le ferez naturellement pour l'ensemble des lois de finances. Ce verrou vaut tous les autres. Il y a l'esprit, la méthode, mais il y a ensuite, bien entendu, le fonctionnement des institutions, qui, quoi qu'il arrive, passe par le Parlement.
Tous ces éléments sont, me semble-t-il, de nature à conforter notre détermination à donner un sens concret à l'autonomie financière. C'est pourquoi, j'invite l'opposition, après réflexion, à rejoindre la majorité dans son intention d'adopter en l'état le projet de loi organique. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. L'amendement n° 5, présenté par MM. Sueur, Peyronnet, Frimat, Marc, Mauroy, Moreigne, Miquel, Dreyfus-Schmidt, Raoul, Lagauche, Godefroy, Teston, Dauge, Courrière, Bel et les membres du groupe Socialiste, apparenté et rattachée, est ainsi libellé :
Après le premier alinéa du texte proposé par cet article pour l'article L.O. 11142 du code général des collectivités territoriales, insérer un alinéa ainsi rédigé:
« Les collectivités territoriales peuvent, dans les limites déterminées par la loi, fixer l'assiette et voter le taux des impôts qu'elles perçoivent.
La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur. Il s'agit de la reprise d'une proposition de M. Arthuis. Je serai bref puisque je me suis évertué sans succès en première lecture à en défendre le caractère tout à fait pertinent.
M. Jean-François Copé, ministre délégué. M. Sueur est maintenant le porte-parole de l'UDF. (Sourires.)
M. Jean-Pierre Sueur. Je fais une seconde tentative en deuxième lecture, en espérant qu'elle rencontrera plus de succès eu égard à l'auteur de cette phrase.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Daniel Hoeffel, rapporteur. L'article 72-2 de la Constitution dispose que les collectivités territoriales peuvent être autorisées par la loi à fixer l'assiette ou le taux des impôts qu'elles perçoivent. Il nous paraît donc inutile de le répéter. En revanche, rendre obligatoire la possibilité de moduler l'assiette et le taux des impôts transférés serait à l'évidence non conforme à la Constitution. C'est la raison pour laquelle la commission émet un avis défavorable.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix l'article 2.
(L'article 2 est adopté.)
Article additionnel après l'article 3
M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 6, présenté par MM. Sueur, Peyronnet, Frimat, Marc, Mauroy, Moreigne, Miquel, Dreyfus-Schmidt, Raoul, Lagauche, Godefroy, Teston, Dauge, Courrière, Bel et Lise, Mme Blandin et les membres du groupe Socialiste, est ainsi libellé :
Après l'article 3, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Une loi de programmation fixe pour une durée de cinq ans l'accroissement, pour chaque catégorie de collectivités, de la proportion de la part des dotations de l'Etat aux collectivités donnant lieu à péréquation.
La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur. Cet amendement a pour objet de prévoir une loi de programmation fixant pour une durée de cinq ans l'accroissement, pour chaque catégorie de collectivités, de la proportion de la part des dotations de l'Etat aux collectivités donnant lieu à une péréquation.
Nous avons déjà présenté cet amendement, qui est plutôt un amendement de repli, en première lecture. Nous le présentons de nouveau en deuxième lecture car nous voulons insister sur un point de désaccord fondamental entre nous
Nous refusons de considérer que la péréquation est un sujet extérieur à la question de l'autonomie financière.
A l'évidence, une commune pauvre, qui compte des quartiers difficiles, qui n'a que de faibles ressources, peu de taxe professionnelle, ne dispose pas d'une grande autonomie. On pourra nous faire tous les discours sur l'autonomie que l'on veut, s'il n'y a pas de péréquation, on n'accroîtra pas les moyens d'action de la commune.
Ce qui pèche dans le dispositif que vous nous proposez vient pour une part de l'ordre dans lequel vous avez pris les choses.
Certes, il n'aurait pas suffi de changer l'ordre pour que le contenu change. Mais, si l'on avait commencé par parler finances, fiscalité, contenu de la fiscalité, dotations, évolution des dotations - évolution substantielle, et non formelle, certes inscrite dans la loi de finances pour 2004 -, si l'on avait commencé par parler de péréquation, on aurait défini le cadre, le paysage financier dans lequel ce second acte de la décentralisation aurait pu être mis en oeuvre. En choisissant de faire voter le contenu, les transferts de compétences, donc les dépenses en premier, on a vraiment mis la charrue devant les boeufs, et c'est ce qui crée ce grand malaise perceptible chez un très grand nombre d'élus locaux.
Certes, en 1982, sous le Gouvernement de M. Mauroy, tout n'a pas été parfait. Il y eut aussi - cela a été rappelé tout à l'heure par M. Chérioux - la proposition de M. Bonnet, que le gouvernement de l'époque n'a pas inscrite à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale.
Quoi qu'il en soit, nous pouvons tirer les leçons de ce formidable exemple de 1982, année pendant laquelle nous avons quand même fait avancer l'histoire de notre pays, ce que nul ne conteste aujourd'hui.
Monsieur le ministre, si vous aviez présenté la péréquation avant ou en même temps que les programmations financières, c'eût été mieux, mais pour cela il eût fallu que vous fussiez en mesure de parler de finances et que vous en eussiez la volonté, ce qui ne semble malheureusement pas le cas du gouvernement Raffarin. Il eût fallu, en outre, que M. le Premier ministre ne fût pas dans l'état d'esprit testamentaire qui est aujourd'hui le sien. (Protestations sur les travées de l'UMP.)
M. François Marc. Très bien !
M. le président. L'amendement n° 7, présenté par MM. Sueur, Peyronnet, Frimat, Marc, Mauroy, Moreigne, Miquel, Dreyfus-Schmidt, Raoul, Lagauche, Godefroy, Teston, Dauge, Courrière, Bel et Lise, Mme Blandin et les membres du groupe Socialiste, est ainsi libellé :
Après l'article 3, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
La loi de finances fixe pour chaque année l'accroissement, pour chaque catégorie de collectivité, de la proportion de la part des dotations de l'Etat aux collectivités donnant lieu à péréquation.
La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur. Je ne vais pas allonger inutilement les débats puisque cet amendement est un amendement de repli par rapport à l'amendement précédent, qui était déjà un amendement de repli.
Nous faisons appel à votre compréhension, mes chers collègues, ce qui donnerait à M. le ministre, l'occasion d'aller présenter de nouveau ce texte à l'Assemblée nationale de manière que nous puissions l'examiner une nouvelle fois. Cela correspondrait tout à fait à l'état d'esprit dans lequel se trouve M. le Premier ministre.
Vous pourriez donc, mes chers collègues, décider que la loi de finances fixe chaque année l'accroissement pour chaque catégorie de collectivité de la proportion de la part des dotations aux collectivités donnant lieu à péréquation.
On a répété hier en commission que, si l'on accroissait trop l'autonomie, cela porterait atteinte à la péréquation. En effet, s'il y a un grand niveau d'autonomie, il n'y a plus de place pour la péréquation, mais on est très loin de cela, mes chers collègues ! Même si vous aviez adopté la formulation de la proposition de loi de MM. Raffarin, Poncelet, Fourcade, Puech et Delevoye, il restait encore une part de 50 % pour faire de la péréquation. Aujourd'hui, on en est loin e, t avec le projet de loi que vous vous apprêtez à voter, on en reste toujours loin !
Le vrai problème, mes chers collègues, c'est que même si l'autonomie financière et fiscale avance, ce que nous souhaitons tous avec vous, il est évident que la part des dotations restera importante pendant longtemps encore, tout le monde le sait.
Ce qui ne va pas, c'est que cette masse de dotations est relativement inerte ; elle compense des montants qui correspondent quelquefois à 5 ans, à 10 ans, à 20 ans, voire à 30 ans, c'est dire qu'une grande inégalité s'est instaurée à l'intérieur de la masse des dotations.
Nous avons toujours proclamé que nous ne sommes pas favorables à l'autonomie fiscale pour l'autonomie fiscale. Nous voulons que les collectivités qui sont en difficulté aient les moyens de répondre aux charges qui sont les leurs, nous voulons plus d'égalité, plus de justice. A cet effet, nous souhaitons que l'on en finisse avec cette dotation globale de fonctionnement, la DGF, dans laquelle la part de la péréquation est tout à fait mineure.
On peut contester l'affirmation selon laquelle la péréquation ne représenterait que 7 % de la DGF ; certains rapports contestent ce pourcentage, mais enfin il est de cet ordre-là. Et pour atteindre ces 7 %, on inscrit même dans la péréquation des dotations, comme la dotation de solidarité rurale, qui ne sont que très faiblement péréquatrices.
Pour nous, il n'y a aucun sens à aborder la question de l'autonomie sans traiter de la péréquation. Nous l'avons dit sur tous les tons. Vous allez malgré tout voter le texte en l'état, mais permettez-nous de formuler le voeu que, très rapidement, l'on aille vers une péréquation plus forte, beaucoup plus forte, ce qui ne sera pas facile. En effet, dans le contexte économique actuel, et compte tenu du fait qu'une nouvelle répartition des sommes crée toujours un certain nombre d'effets, il faudra beaucoup de courage pour aller dans ce sens. En tout cas, c'est une absolue nécessité pour nombre de nos collectivités territoriales. (M. Michel Dreyfus-Schmidt applaudit.)
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Daniel Hoeffel, rapporteur. La commission des lois a formulé trois observations sur ces deux amendements relatifs à la péréquation.
Première observation : nous sommes aussi attachés que vous à la notion de péréquation, cette notion et la réforme des finances locales étant le corollaire naturel de la notion d'autonomie financière. L'un est le complément de l'autre et nous suivrons avec intérêt le dépôt, en automne, du projet de loi relatif à la péréquation.
Deuxième observation : la notion de péréquation relève de la loi ordinaire, elle ne relève pas de la loi organique ; ces amendements n'ont donc pas de valeur normative.
Troisième observation : il n'est pas juste de dire que rien n'a encore été entrepris au cours des dernières années en direction d'une concrétisation de la péréquation. A ce propos, je citerai deux exemples.
Tout d'abord, la loi de finances pour 2003 a assoupli les règles de liens entre les taux des impôts directs locaux...
M. Jean-Pierre Sueur. C'est minime !
M. Daniel Hoeffel, rapporteur. ... et elle a assujetti France Télécom aux règles de droit en ce qui concerne la taxe professionnelle.
C'est peut-être minime, monsieur Sueur, mais en additionnant des réformes en apparence minimes...
M. Jean-Pierre Sueur. Ce n'est pas minime en soi, c'est minime en termes de péréquation.
M. Daniel Hoeffel, rapporteur. Cette formulation complétée sonne déjà mieux (sourires), mais je rappellerai tout de même que la loi de finances pour 2003 a constitué une bonne première étape.
Quant à la loi de finances pour 2004, elle a réformé l'architecture de la DGF.
M. Jean-Pierre Sueur. Mais il n'y a rien dans l'architecture !
M. Daniel Hoeffel, rapporteur. Nous savons tous que réformer l'architecture de la DGF est quelque chose d'extrêmement complexe. J'étais présent, ici même, au moment de la réforme de la DGF de décembre 1993,...
M. Jean-Pierre Sueur. Absolument !
M. Daniel Hoeffel, rapporteur. ... et je sais combien il est délicat de toucher à cet édifice très compliqué. La loi de finances pour 2004 a constitué, je le crois, une avancée dans la bonne direction.
M. Jean-Pierre Sueur. Mais les moyens de la péréquation ont diminué dans la même loi de finances !
M. Daniel Hoeffel, rapporteur. Voilà quelques réponses d'ordre technique qu'il était utile d'apporter et qui prouvent que le dépôt d'amendements, même sans portée normative, peut être favorable à certaines mises au point. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Jean-François Copé, ministre délégué. C'est un bonheur pour le ministre en charge des collectivités locales que d'avoir parmi ses principaux interlocuteurs deux anciens ministres des collectivités locales.
Outre le haut niveau de compétences techniques qui vous caractérise l'un et l'autre, vous nous délivrez un cours d'histoire qui permet de remettre en place les idées de chacun et qui renforce le novice que je suis (sourires), dans sa conviction que, sur ce sujet...
M. Jean-Pierre Sueur. Vous faites preuve de trop de modestie, monsieur le ministre.
M. Jean-François Copé, ministre délégué. Cela me permet, disais-je, de mesurer combien ce sujet dépasse les clivages partisans traditionnels.
Je ferai trois remarques sur ces deux amendements, auxquels je suis défavorable.
Premièrement, cette idée de faire appel à une loi de programmation, pour intéressante qu'elle soit sur le plan intellectuel, ne me paraît pas tout à fait convenir. En effet, une loi de programmation est rigide, même si on peut toujours l'amender, et elle comporte des dispositions pluriannuelles alors que je souhaite un rendez-vous annuel ; c'est tout l'intérêt des lois de finances, qui donnent tout son sens au rôle du Parlement.
Deuxièmement, je vous trouve un peu sévère, ou volontairement amnésique, sur les réformes qui ont été engagées en matière de dotations ces deux dernières années. M. le rapporteur les a rappelées. Je n'y reviendrai pas, ne serait-ce que pour éviter de rendre hommage au travail du gouvernement auquel j'appartiens. Même si je n'étais pas en charge alors, cela irait à l'encontre du qualificatif élogieux que vous avez employé à mon égard tout à l'heure et, comme il n'est pas si fréquemment utilisé à mon endroit, je l'accepte avec beaucoup de plaisir.
Enfin, je le répète, nous avons d'autres rendez-vous ; je pense notamment à la réforme des dotations, qui, à l'automne viendra compléter le processus qui a été engagé ces deux dernières années. Nous avons bien à l'esprit notre feuille de route : la péréquation s'inscrit tout à fait dans la démarche de modernisation de notre système de dotation, et nous avons encore beaucoup de travail à accomplir ensemble.
Je vous donne rendez-vous à l'automne pour la suite de nos aventures. (Sourires.)
M. le président. La parole est à M. François Marc, pour explication de vote sur l'amendement n° 6.
M. François Marc. Est-il possible qu'une loi organique traitant de l'autonomie financière des collectivités territoriales n'évoque en aucune façon la péréquation ?
Fidèles à nos convictions, nous considérons comme impossible qu'une loi organique puisse passer sous silence cette logique de péréquation horizontale entre collectivités, de péréquation verticale de l'Etat vers les collectivités.
La majorité pense le contraire et, qui plus est, elle met en place un dispositif qui, comme je l'ai expliqué tout à l'heure, va conduire à une paralysie du mécanisme de péréquation.
Allant plus loin dans mon explication et revenant sur ce qui a été dit tout à l'heure concernant la mise en place de la décentralisation initiée par MM. Mauroy et Deferre, je rappellerai que les maires sont les révélateurs des réformes qui sont entreprises dans ce pays.
Les maires de nos 36 000 communes se rappellent bien qu'après deux ans de gouvernement Mauroy, en 1982 et 1983, à travers la libération par rapport aux préfets, l'autonomie en matière de gestion du budget local et la liberté de manoeuvre qui avait été octroyée, on avait une traduction concrète de la décentralisation.
Aujourd'hui, après deux ans de gouvernement Raffarin, qu'a-t-on ? Pour l'instant, rien. Or les maires nous interrogent souvent sur les dispositions législatives qui sont prises et la façon dont elles se traduisent concrètement dans le quotidien de leurs communes. Nous en sommes toujours au stade des discussions sur les concepts, les ratios, les coefficients, sur ce qu'est l'autonomie ; est repoussée à demain la réforme de la taxe professionnelle, celle de la fiscalité locale, la mise en place d'un dispositif de péréquation plus adapté.
Avec ces amendements, nous avons souhaité attirer l'attention du Sénat sur la nécessité de répondre aux attentes des élus locaux, de prendre des mesures concrètes sans se contenter de définitions conceptuelles. En introduisant la péréquation d'une façon concrète dans ce texte organique, nous avions le sentiment de faire avancer les choses, et il est fort regrettable que le Gouvernement ne nous suive pas en la matière. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 7.
(L'amendement n'est pas adopté.)
Vote sur l'ensemble
M. le président. Avant de mettre aux voix l'ensemble du projet de loi organique, je donne la parole à M. Jean-Claude Peyronnet, pour explication de vote.
M. Jean-Claude Peyronnet. Monsieur le président, mon explication de vote sera brève. En effet, nous avons déjà longuement débattu de ce texte lors de la première lecture. Nous n'avons pas caché nos intentions et il est clair que ce ne sont pas les débats de ce matin qui ont pu changer notre opinion.
Nous pensons qu'il s'agit d'un texte de recul, de recentralisation plutôt que de renforcement de l'autonomie et, de ce point de vue, nous ne pouvons que le repousser. Nous mesurons sa valeur en le comparant aux ambitions affichées au départ par notre assemblée et au texte proposé par MM. Poncelet, Fourcade et Raffarin.
Faire référence à cette proposition de loi, c'est montrer le gouffre qui sépare les ambitions initiales de la réalité du texte qui sera finalement voté. Et c'est parce que nous sommes de vrais décentralisateurs que nous ne voterons pas ce projet de loi organique.
Il est très difficile de dissocier ce projet de loi organique du texte sur les transferts de compétences dont l'examen va s'ouvrir à l'Assemblée nationale et qui sera voté sous des formes qui restent à définir. En effet, les compétences sont très directement liées à la possibilité de financement. Or, à la lecture conjointe de ces deux textes, nous constatons que l'Etat est manifestement en train de se dégager d'un certain nombre de charges.
De la République de proximité - c'était le slogan de départ -, nous sommes arrivés très vite - et nous l'avons dénoncé aussitôt, mais maintenant c'est très clair - à la République du délestage. Les compétences sont transférées non pas pour accroître l'efficacité de l'administration mais pour alléger la charge de l'Etat ; c'est tout à fait inadmissible. Les choix qui sont opérés sont des choix financiers ou budgétaires ; ce ne sont nullement des choix d'efficacité, comme c'était le cas lors de la première décentralisation.
On en arrive donc à la République du délestage, dans laquelle l'Etat transfère l'impopularité des augmentations d'impôts sur les collectivités locales : l'Etat se désengage, il diminue l'impôt national mais l'impôt local forcément augmentera. Le choix est clair.
On en arrive ainsi à la République des inégalités. La compétition est organisée entre les territoires, et le refus d'inscrire les principes de péréquation dans le projet dont nous discutons aujourd'hui est clair de ce point de vue.
François Marc l'a très bien dit, on a toujours reculé concernant les financements. Au motif que les principes ont été inscrits à l'article 72-2 de la Constitution, on nous a renvoyés à une loi organique, puis on s'est rendu compte que la loi organique ne résolvait guère les problèmes. De la même façon, en ce qui concerne la péréquation, on nous dit qu'elle doit faire l'objet d'une loi simple, qu'on en discutera plus tard et qu'à ce moment là tout ira mieux, que les inégalités entre les territoires seront gommées.
Donc, sur tous ces plans - je résume afin de ne pas répéter encore ce que nous ne cessons de dire depuis des mois -, nous avons toutes les raisons de ne pas voter ce texte.
J'ajoute qu'on peut être surpris par la surdité du Gouvernement après les votes de protestation qui ont été émis et qui concernaient les politiques nationales plutôt que les politiques régionales ou départementales, voire la politique européenne. Donc, après le refus des citoyens, après celui des grandes associations d'élus, l'Association des maires de France, mais aussi l'Assemblée des départements de France et l'Association des régions de France, deux grandes associations qui ont changé de couleur politique mais qui n'ont pas changé de position et qui avaient les mêmes réticences avant que la gauche ne soit majoritaire en leur sein, je pose la question au Gouvernement : peut-on raisonnablement avoir raison contre tout le monde ?
On aimerait bien que cette obstination, ce dogmatisme qui a présidé aux propositions du Premier ministre soient corrigés et qu'un vote négatif s'exprime. Pour notre part, je le répète, nous voterons contre ce texte, sans trop d'illusions sur la position globale du Sénat. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Paul Blanc.
M. Paul Blanc. Ce débat, que j'ai suivi avec beaucoup d'intérêt, moi qui ne suis pas un spécialiste des finances locales, m'a rappelé quelques souvenirs.
En 1982, alors que j'étais conseiller général, un député socialiste des Vosges, M. Valroff, avait dit que la décentralisation permettrait finalement que le mécontentement de la base ne remonte pas jusqu'au pouvoir central mais reste localisé au pouvoir local.
On était donc là bien loin des intentions que certains de nos collègues qui siègent à la gauche de cet hémicycle nous ont indiquées tout à l'heure, puisqu'il s'agissait simplement d'éviter que le mécontentement ne remonte jusqu'au pouvoir central.
M. François Marc. C'est très réducteur !
M. Paul Blanc. C'est néanmoins un député socialiste qui l'a dit.
Le président du conseil général m'avait chargé en 1984, en tant que conseiller général, de mettre en place l'ensemble des mesures de décentralisation concernant l'aide sociale. A cette occasion, je me suis rendu compte que, si nous avions effectivement beaucoup plus de pouvoirs, il fallait, pour assurer le financement de cette action sociale, que les départements mettent la main à la poche, car la compensation financière était bien éloignée de ce que l'on aurait pu attendre à ce moment-là.
M. Jean Chérioux. Tout à fait exact !
M. Paul Blanc. C'est pourquoi, pour ma part, je considère que le texte qui nous est aujourd'hui proposé constitue une grande avancée.
En 1982, on nous avait jetés de l'avion, nous, élus locaux, sans parachute.
Aujourd'hui,...
M. Jean-Pierre Sueur. Il n'y a pas d'avion !
M. Paul Blanc. ...on nous jette avec un parachute qui ne manquera pas de s'ouvrir ; qui plus est, comme nous l'a l'indiqué M. le ministre par ses propos, nous disposons d'un parachute ventral ! Donc, au mois d'octobre, si cela est nécessaire, nous ouvrirons le parachute ventral de façon que nos collectivités locales retombent sur le sol en bonne forme et qu'elles puissent continuer à travailler pour le bien de leurs administrés, ce qui est, à mes yeux, le principal.
C'est la raison pour laquelle je voterai des deux mains ce projet de loi organique. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Michel Charasse.
M. Michel Charasse. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, avant de nous prononcer sur l'ensemble du projet de loi organique, je voudrais, à mon tour, revenir sur les doutes qui ont déjà été exprimés par mes collègues et amis du groupe socialiste ainsi que par plusieurs autres collègues.
Monsieur le ministre, je ne sais pas ce que le Conseil constitutionnel fera de votre texte, personne ne peut le dire pour le moment !
Il a évidemment le choix entre plusieurs solutions comme toujours : rendre soit une décision de conformité sans commentaire, ce qui m'étonnerait, soit une décision de conformité avec commentaires, ce qui est le minimum probable et même souhaitable, soit, éventuellement, une décision de non-conformité totale ou partielle.
Mais je ne peux cacher au Sénat les questions que suscite de ma part le texte adopté par l'Assemblée nationale.
Aux termes de l'article 72-2 de la Constitution, toutes les nouvelles compétences obligatoires seront financées par l'Etat via les transferts de ressources correspondants. La part déterminante qui figure au troisième alinéa de l'article 72-2 est explicitée dans le troisième alinéa du texte proposé pour l'article LO 1114-3 à l'article 4 du projet de loi organique que nous nous apprêtons à voter puisqu'il y est précisé que cette part est établie et calculée afin de financer la liberté locale et les compétences obligatoires attribuées aux collectivités territoriales.
Mes chers collègues, cela ne peut viser que la situation qui prévaut aujourd'hui, c'est-à-dire l'existant au moment de la promulgation de la loi. La part déterminante devra aussi demain financer les nouvelles dépenses facultatives que les collectivités décideront d'ajouter librement aux dépenses obligatoires puisque celles-ci seront compensées par l'Etat en vertu du troisième alinéa de l'article 72-2 de la Constitution.
A plusieurs reprises, même avant la révision constitutionnelle de 2003 - M. Copé le sait bien, tout comme M. Hoeffel -, le Conseil constitutionnel s'est toujours refusé à s'ériger en petit comptable de la République et à indiquer la limite financière en dessous de laquelle il ne faut pas descendre, si l'on veut garantir la liberté locale. C'est ce que le constituant a appelé la part déterminante. Si, lors de la révision constitutionnelle, il a été précisé que la part déterminante serait fixée par la loi organique, c'est surtout parce que le Conseil constitutionnel a toujours refusé avec raison de la fixer lui-même.
Or, mes chers collègues, les modalités prévues par le projet de loi organique pour cette part déterminante et la limite en dessous de laquelle on n'aura pas le droit de descendre - c'est-à-dire la situation de 2003 - constituent naturellement et obligatoirement une norme évolutive. Par conséquent, première question : le projet de loi organique, qui doit fixer la manière dont sera calculée la part déterminante, fixe-t-il bien toutes les modalités prévues pour celle-ci...
M. Jean-Pierre Sueur. Non !
M. Michel Charasse. ...ou fait-il l'impasse sur certains points ? Bref, le législateur ne se situe-t-il pas en deçà de sa compétence ?
Vous savez bien, monsieur le ministre, que le Gouvernement, celui d'aujourd'hui comme celui de demain, disons l'exécutif pour ne pas personnaliser le débat, sera désormais condamné à vérifier tous les ans, au moins dans la loi de finances, si la part déterminante est bien calculée conformément à la Constitution et à la loi organique.
Or le chiffre constaté en 2003 est une base qu'il faudra ajuster pratiquement tous les ans, lors de l'examen du projet de loi de finances, ne serait-ce que pour la confirmer. On n'a pas précisé si elle évolue en euros constants ou en euros courants mais, comme c'est, en principe, un pourcentage, cela ne devrait pas poser de problème.
Pensez-vous, monsieur le ministre, que le projet de loi organique est bien conforme aux considérants assez secs du Conseil constitutionnel du mois de décembre dernier, que mes amis socialistes ont évoqués à plusieurs reprises et que vous avez vous-même évoqués tout à l'heure : c'est la loi organique qui doit déterminer la part déterminante et non pas le Conseil constitutionnel ? Est-on certain qu'il ne restera pas une marge d'appréciation ...
M. Jean-Pierre Sueur. Mais oui !
M. Michel Charasse. ...que l'on laissera au Conseil constitutionnel, lequel ne veut pas apprécier ? Ne va-t-on donc pas se retrouver, dans une certaine mesure, à la case départ ?
Aujourd'hui, on sait ce que finance la part déterminante : la liberté locale et les charges obligatoires existant à ce jour. Mais, demain, cette part déterminante ne financera que cela puisque toutes les nouvelles charges obligatoires supplémentaires seront compensées par l'Etat. Il faut donc bien que l'on se pose aussi la question de l'évolution des ressources transférées et des charges qu'elles compensent.
En effet, la règle du transfert des ressources, que je connais bien et que j'appellerai « règle Mitterrand-Defferre-Mauroy », qui reposait sur la moyenne des dépenses consacrées par l'Etat aux actions concernées pendant les trois dernières années, et que vous avez purement et simplement reprises, monsieur le ministre, ne s'est pas avérée convenable. En effet, l'Etat, gouverné par la gauche ou par la droite, a été obligé de consentir un certain nombre de rallonges budgétaires parce qu'on n'avait pas prévu de couvrir les charges supplémentaires liées aux transferts de compétences et résultant, par exemple, de l'explosion des effectifs dans les lycées ou dans les collèges.
En outre, la discussion que j'ai eue tout à l'heure avec mon collègue Bernard Frimat me conduit à formuler l'observation suivante.
Lorsque l'on définit à l'article 3 les ressources qui entrent dans la part déterminante, on constate qu'il existe des impôts modulables dont les collectivités fixent le taux librement et des impôts qui sont en partie ou pas du tout modulables. Il existe déjà des impôts qui sont partiellement modulables et plafonnés : sans parler des impôts locaux dont les taux sont plafonnés à un niveau très élevé, je pense par exemple à la taxe locale d'équipement, dont le taux ne peut pas aller au-delà de 5 %.
Or, je schématise, mais le texte qui nous est soumis prévoit que la loi détermine les impôts modulables ou les impôts qui ne le sont pas. Cela signifie-t-il que la condition posée par la Constitution, au regard de la liberté locale, est satisfaite si, demain, on devait décider de supprimer tous les impôts modulables pour les remplacer par des impôts non modulables, c'est-à-dire avec un produit dont l'évolution est très contenue ? A moins que le « ou » de l'article ne soit simplement qu'une forme de style et qu'il est bien entendu que, partant de la situation d'aujourd'hui, on ne changera pas fondamentalement demain ce que représentent en proportion les deux catégories d'impôts dans l'ensemble des ressources fiscales locales d'aujourd'hui.
Or, si le « ou » interdit de supprimer les impôts modulables, mes chers collègues, c'est le pouvoir fiscal du Parlement qui est atteint. Est-ce bien la volonté du constituant ? Mais, s'il ne l'interdit pas, c'est la liberté locale qui est sacrifiée. Est-ce là aussi la volonté du constituant ? Seul le Conseil constitutionnel peut nous dire ce qu'il en est.
En outre, dès lors que le calcul de la base 2003 est fait à partir de l'existant, faut-il en déduire, mes chers collègues, que le Parlement est condamné à maintenir inchangées les ressources fiscales des collectivités locales constatées en 2003, sauf à les remplacer par des ressources fiscales équivalentes et de même nature ? Cela signifie que c'est l'article 40 de la Constitution qui est désormais applicable non seulement au Parlement lui-même, mais aussi à l'exécutif ! Le Gouvernement est donc condamné à compenser comme les parlementaires.
Monsieur le ministre, cela signifie également que des discussions relatives à la compensation des transferts de charges risquent de s'ouvrir très vite. La compensation sera réelle pour l'existant, on le sait bien. Mais que ferons-nous si l'existant bouge, comme on l'a vu après les lois « Mitterrand-Defferre-Mauroy », parce que les normes ou le nombre des usagers évoluent, toutes situations que nous connaissons bien les uns et les autres ?
Selon l'esprit de la révision de la Constitution de 2003, il n'y aura plus désormais de charges transférées sans compensation. L'exécutif n'échappera donc pas tous les ans à des discussions que je qualifierai de « marchands de tapis » sur le volume des compensations. Si l'Etat doit payer au-delà des sommes qu'il va transférer aujourd'hui, il exigera d'y voir clair. Il voudra bien payer, mais se demandera, par exemple, s'il est bien nécessaire de maintenir dans tel endroit tel service public à clientèle réduite, par exemple un collège de moins de cent élèves ! L'Etat doit aussi tenir compte de l'intérêt national qui exclut parfois certaines facilités ou habitudes de confort. Je ne veux pas engager ici une polémique politicienne : je pose simplement la question. Dans ce cas, s'engagera tous les ans une discussion conduisant à rappeler à l'ordre la liberté locale ou à rappeler que ce que l'Etat considérera comme illogique ou contraire à l'idée qu'il se fait du bon sens ne sera pas payé par lui.
Monsieur le ministre, mes doutes sont nombreux ; j'en ai d'autres encore, et mes amis socialistes ont d'ailleurs développé d'autres points qui méritent d'être pris en considération.
Monsieur le ministre, on n'encadre pas la liberté et la vie par des formules mathématiques. Les incertitudes qui entourent ce texte le démontrent largement, ce qui signifie, entre parenthèses, qu'il n'est pas si facile que cela de démanteler l'Etat. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Bernard Frimat.
M. Bernard Frimat. Michel Charasse vient de poser toute une série de questions qui montrent combien le projet de loi organique soumis à notre vote ne règle pas nombre de questions.
Néanmoins, le Sénat va, une nouvelle fois, voter conforme ce projet de loi organique. C'est tellement pratique ! Et, comme le Parlement est devenu le seul lieu où le Gouvernement peut se faire entendre sans crainte d'être contesté, on conçoit qu'il cède à cette facilité ; les autres consultations émanant du peuple lui apportent un écho ô combien différent !
La deuxième lecture de ce projet de loi organique que nous avons maintenue dans des délais tout à fait raisonnables - donnez-nous en acte, monsieur le ministre ! - ressemble à la première puisque nos amendements ont subi un sort identique. Lors de la première lecture, comme lors de la deuxième lecture, vous les avez tous refusés. Cela vous permettra, monsieur le ministre, de louer la capacité d'écoute du Gouvernement ! Il nous a écoutés, il ne nous a pas entendus ! Cela ne nous empêchera pas de continuer !
Quel que soit le qualificatif que l'on donne à l'ajout de l'Assemblée nationale, les principes définis lors de la première lecture sont in fine les mêmes lors de la deuxième lecture. D'ailleurs, je ne sais pas si cet ajout littéraire de l'Assemblée nationale est si indispensable puisqu'il ne peut donner un sens à un texte qui, sur un certain nombre de points, en manque !
Comme Michel Charasse l'a dit excellemment, vous vous êtes, d'une certaine façon, monsieur le ministre, piégé vous-même. Les principes que vous avez affirmés lors de la révision constitutionnelle vous obligent aujourd'hui, avec l'expression « part déterminante » et la décision très nette du Conseil constitutionnel de décembre dernier, à présenter ce projet de loi organique. Vous accomplissez tout de même là un tour de force.
Le problème n'est pas de savoir si les intentions du Gouvernement sont bonnes. Nous ne pouvons pas préjuger les intentions d'un gouvernement, notamment lorsque la conjoncture impose quelquefois des décisions ; vous avez d'ailleurs si souvent invoqué la conjoncture passée ou présente, monsieur le ministre !
Toutefois, vous arrivez à un paradoxe. Dans un texte censé garantir l'autonomie financière des collectivités territoriales, parce que l'engagement constitutionnel vous y oblige, vous avez complètement transformé le concept de ressources propres tel qu'il existait d'une manière classique et tel qu'il est reconnu partout en un autre concept de ressources propres, ce qui ne règle qu'apparemment la situation.
Ainsi ce projet de loi organique qui prétend consacrer l'autonomie financière crée en fait le moyen de la supprimer.
Comme plusieurs d'entre nous l'ont rapidement démontré ce matin, le projet de loi que vous vous apprêtez donc à faire voter tend à ne faire subsister que les impôts non modulables. Il faudra donc expliquer au Conseil constitutionnel comment ces impôts non modulables peuvent devenir le seul garant de la libre administration des collectivités locales !
Le problème n'est pas de savoir si le Gouvernement le fera ou non, mais il est de savoir si la loi le permet. Or le projet de loi que vous soumettez à notre vote le permettra.
Outre le fait qu'il s'agit là d'une caricature de la décentralisation, en quoi la libre administration des collectivités territoriales est-elle préservée si seuls les impôts non modulables sont conservés ? En droit comparé, on peut dire qu'il existe, dans d'autres pays, des systèmes complètement différents et, pourtant, l'autonomie de gestion est préservée.
Monsieur le ministre, vous avez passé votre temps à nous dire que telle n'était pas votre conception et que vous attachiez une importance considérable aux pouvoirs des collectivités territoriales. Mais vous êtes dans une parfaite contradiction !
Le moyen de vous sortir du piège dans lequel vous vous êtes mis est de présenter un texte contradictoire. Tel est notre sentiment ; je ne vous demande pas de le partager, l'essentiel étant que nos discussions permettent de cristalliser nos désaccords. Il ne s'agit pas, pour nous, de rechercher des accords, car nous n'avons pas la même conception de la décentralisation et de la liberté des collectivités territoriales. Mais, en cas de désaccord, autant savoir pourquoi !
Quoi qu'il en soit, nous lirons avec intérêt la décision du Conseil constitutionnel sur le projet de loi organique, dont il est automatiquement saisi. Nous l'attendons avec, sans doute, plus de sérénité que vous, monsieur le ministre. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'ensemble du projet de loi.
En application de l'article 59 du règlement, le scrutin public ordinaire est de droit.
Il va y être procédé dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?...
Le scrutin est clos.
(Il est procédé au comptage des votes.
M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 240 :
Nombre de votants | 317 |
Nombre de suffrages exprimés | 317 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 159 |
Pour l'adoption | 204 |
Contre | 113 |
Le Sénat a adopté. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
La parole est à M. le ministre délégué.
M. Jean-François Copé, ministre délégué. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi, au terme de cette discussion, de vous remercier de votre contribution, au nom du Gouvernement et en mon nom personnel.
C'est un moment important que celui de l'adoption d'une loi organique.
M. Josselin de Rohan. Un moment émouvant !
M. Jean-François Copé, ministre délégué. Absolument, monsieur de Rohan.
Je voudrais vous dire, mesdames, messieurs les sénateurs, combien j'ai été sensible à la qualité de vos interventions, quelques soient les travées sur lesquelles vous siégez.
Tout au long des débats, nous avons travaillé avec le texte de la Constitution à la main, parce qu'il était bien sûr indispensable que nous respections de la manière la plus scrupuleuse la lettre et l'esprit de notre règle suprême, éclairés par la jurisprudence du Conseil constitutionnel, lequel sera, on le sait, automatiquement saisi de ce nouveau texte organique. A cet instant, mes pensées se tournent vers celles et ceux qui ont oeuvré à l'élaboration de ce dernier.
Avant de conclure, je répondrai à deux observations formulées, notamment, par M. Charasse.
S'agissant tout d'abord de la référence à l'année 2003 pour la définition de la part minimale des ressources propres dans l'ensemble des ressources des différentes catégories de collectivités territoriales, on peut certes, monsieur Charasse, réfléchir à l'infini pour trouver la bonne formule. Cependant, il existe un vieil adage selon lequel les conseilleurs ne sont pas toujours les payeurs : après avoir procédé à de nombreuses consultations, après avoir étudié toutes les hypothèses, on essaie de déboucher sur la solution la moins mauvaise possible, telle que celle que nous avons retenue.
Cela étant, monsieur Charasse, nombre de vos collègues, à l'Assemblée nationale ou au Sénat, ont tenté d'explorer d'autres voies. Certains d'entre eux ont notamment émis l'idée de fixer des taux pour définir la part minimale des ressources propres, à hauteur de 60 %, de 50 %, voire de 33 %. Or, monsieur Charasse, retenir, par exemple, le taux de 33 % aurait porté atteinte dans une mesure considérable à l'autonomie financière des départements et des communes,...
M. Michel Charasse. Bien sûr !
M. Jean-François Copé, ministre délégué. ...qui est actuellement supérieure à 50 % dans les deux cas.
Finalement, il nous a semblé que le bon sens était peut-être de retenir une année de référence. Nous avons choisi l'année 2003, plutôt qu'une autre, parce qu'elle marque l'achèvement des grandes réformes, notamment de la transformation de la taxe professionnelle en dotation. Il nous paraissait donc cohérent, à défaut, je le reconnais, d'une meilleure solution, de se référer à l'année 2003. Notre rôle est de trancher et d'assumer nos choix.
S'agissant ensuite du débat sur l'impôt modulable et l'impôt non modulable, là n'est pas tout à fait, en réalité, le sujet qui nous occupe.
On peut bien sûr se demander ce que deviendrait l'autonomie financière des collectivités territoriales s'il n'existait qu'une imposition non modulable, mais je veux tout de même souligner que, eu égard à la révision de la Constitution, le débat n'est pas posé en ces termes. En effet, impôt modulable et impôt non modulable obéissent l'un et l'autre à la logique de la ressource propre, telle qu'elle a été définie par le constituant.
En tout état de cause, ce débat-là relève de la responsabilité du Parlement,...
M. Yves Fréville. Oui !
M. Michel Charasse. Bien sûr !
M. Jean-François Copé, ministre délégué. ...car il reviendra bien à celui-ci de veiller, dans sa sagesse, à ce que des abus ne puissent se produire, qui conduiraient, par exemple, à ce que l'impôt dans sa totalité soit non modulable. A cet égard, je relèverai que nombre de parlementaires sont également des élus locaux et connaissent bien la réalité des collectivités territoriales : ils seront, j'en suis persuadé, les meilleurs garants de l'autonomie financière de ces dernières, comme d'ailleurs d'un juste équilibre dans les relations entre l'Etat et les collectivités locales.
Enfin, monsieur Charasse, la décentralisation ne doit pas être le démantèlement de l'Etat. Elle doit être, tout au contraire, l'occasion de mieux répartir les compétences au service de l'intérêt général, sachant que nul ne doit oublier que seul l'Etat peut exercer la compétence qui est la sienne et que lui seul peut indiquer, par le biais de la loi, comment garantir au mieux l'intérêt général, l'efficacité publique au service de nos concitoyens.
C'est bien dans cet esprit que s'est inscrite, depuis le premier jour, l'action du gouvernement de Jean-Pierre Raffarin pour une République moderne. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Mes chers collègues, l'ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quinze heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures trente-cinq, est reprise à quinze heures, sous la présidence de M. Jean-Claude Gaudin.)
PRÉSIDENCE DE M. Jean-Claude Gaudin
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
4
RAPPEL AU RÈGLEMENT
M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo, pour un rappel au règlement.
Mme Nicole Borvo. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, M. le ministre Philippe Douste-Blazy n'est pas là...
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Il arrive !
Mme Nicole Borvo. ... alors que mon rappel au règlement le concerne.
Je voulais simplement rappeler une évidence : le projet de loi, portant réforme de la sécurité sociale, n'est pas encore voté !
Or, M. le ministre de la santé a organisé une conférence de presse à l'occasion de laquelle il a annoncé l'après-vote de la loi...
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Il a confiance dans le Sénat !
Mme Nicole Borvo. ... et présenté la carte Vitale 2.
Je voulais donc lui rappeler que le projet de loi n'est pas encore adopté et qu'il va être examiné ici jusqu'à la semaine prochaine pour le moins. Sinon, à quoi sert le Sénat ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. C'est un excès de confiance dans le Sénat !
5
Assurance maladie
Discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence
M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi (n° 420, 2003-2004), adopté par l'Assemblée nationale, après déclaration d'urgence, relatif à l'assurance maladie. [Rapport n° 424 (2003-2004) et avis n° 425 (2003-2004).]
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. Philippe Douste-Blazy, ministre de la santé et de la protection sociale. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des affaires sociales, messieurs les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, j'ai l'honneur de vous présenter, avec Xavier Bertrand, le projet de loi relatif à l'assurance maladie, conformément aux engagements pris par le Président de la République et au calendrier fixé par le Premier ministre dans son discours de politique générale.
Je suis très heureux d'entamer la deuxième phase du débat parlementaire après l'examen du texte par l'Assemblée nationale.
Il n'y a pas de plus noble projet que de vouloir sauver un système qui est au coeur de notre pacte républicain. C'est ce défi que nous vous proposons de relever ensemble.
Adapter notre modèle de protection sociale aux réalités d'aujourd'hui et de demain est l'un des chantiers que le Président de la République a fixé au gouvernement de Jean-Pierre Raffarin et à la majorité parlementaire.
Parce que l'allongement de la durée de vie interpelle nos systèmes de retraite et d'assurance maladie, que les mutations du marché du travail rendent nécessaire une redéfinition des formes traditionnelles du lien social, que nous devons redonner à nos concitoyens confiance dans l'avenir mais aussi parce que notre pays a trop tardé à engager les réformes nécessaires, préparer l'avenir doit être la préoccupation centrale de tous les gouvernements. Ceux qui l'oublient, lorsqu'ils sont en situation d'agir, portent une lourde responsabilité devant les Français.
Oui, mesdames, messieurs les sénateurs, l'assurance maladie est aujourd'hui confrontée à une triple crise : une crise financière, une crise de légitimité et une crise d'organisation.
L'assurance maladie connaît tout d'abord une crise financière. Son déficit structurel, c'est-à-dire corrigé des variations liées à la conjoncture économique, se creuse de façon continue.
Cette année, le déficit sera de 13 milliards d'euros. Cela signifie que lorsque l'assurance maladie reçoit 100 euros pour rembourser des soins, elle dépense environ 110 euros. C'est évidemment insoutenable à l'échelle d'un pays !
L'écart important entre la progression des recettes et le rythme d'augmentation des dépenses fait peser une menace évidente sur la pérennité de l'assurance maladie. Il ne sert à rien de le contester. La responsabilité du Gouvernement est d'y apporter des solutions.
La crise de légitimité, ensuite, s'incarne principalement dans les relations entre l'assurance maladie d'un côté et les professionnels de santé de l'autre, relations encore empreintes de méfiance et parfois d'affrontement.
Les vingt dernières années de la vie conventionnelle auront été marquées par l'absence d'un véritable dialogue entre les acteurs. Des conventions sont parfois signées sans être appliquées tandis que l'Etat se voit conduit à intervenir dans la négociation. Le système s'épuise dans un état de perpétuelle négociation où la légitimité des acteurs est sans cesse contestée.
Enfin, l'assurance maladie connaît une crise d'organisation, tant il est difficile aujourd'hui de répondre à une question pourtant bien simple : qui la gère réellement ?
Les partenaires sociaux auront tendance à répondre : « l'Etat ». L'Etat renverra aux partenaires sociaux, compte tenu des responsabilités importantes qui leur sont données, notamment depuis les ordonnances de 1967.
En réalité, personne aujourd'hui n'assume la responsabilité globale de la gestion de l'assurance maladie. Comme le relève le Haut conseil pour l'avenir de l'assurance maladie, « le système manque aujourd'hui, à tous ses niveaux (...), de capacité à décider en situation de responsabilité ».
Face à un cette triple crise, il était donc nécessaire d'agir et d'engager une réforme structurelle de notre assurance maladie.
Le Gouvernement a tout d'abord décidé de fonder cette réforme sur une analyse précise de la situation. C'est la première mission qui a été confiée par le précédent gouvernement au Haut conseil pour l'avenir de l'assurance maladie présidé par M. Bertrand Fragonard. Le Haut conseil l'a parfaitement rempli puisque son rapport a permis d'établir un diagnostic partagé par l'ensemble des cinquante-trois membres qui composent cette instance.
Ensuite, une première phase de concertation a été menée par mon prédécesseur Jean François Mattei à qui je souhaite rendre un hommage appuyé. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)
Puis, nous avons, avec Xavier Bertrand, construit cette réforme grâce à un travail de dialogue et d'échanges très intenses avec l'ensemble des acteurs du monde de la santé et de l'assurance maladie.
J'ai le sentiment que peu de réformes ont donné lieu à autant de rencontres, de concertations et de débats, dans un délai aussi court justifié par l'urgence !
Depuis plus de deux mois, nous avons été, avec Xavier Bertrand, en contact permanent avec les partenaires sociaux, les représentants des professionnels de santé et des patients, les représentants des organismes d'assurance maladie de base et de couverture complémentaire.
Nous avons mené plus d'une centaine d'entretiens avec l'ensemble des partenaires pour élaborer cette réforme.
Tous les acteurs de l'assurance maladie se sont, eux aussi, investis dans cette concertation. Ils nous ont fait remonter leur vision de la situation, leurs propositions, leurs inquiétudes. Je tiens à leur rendre hommage.
Après le temps du débat social, après le temps de la démocratie sociale, est venu le temps du débat parlementaire, dont nous abordons ensemble le deuxième acte.
Organiser notre système de soins est la première priorité du Gouvernement. C'est le coeur du projet de loi.
Nous devons progressivement évoluer d'un système désorganisé vers une organisation librement consentie par le patient, permettant de garantir un haut niveau de qualité de soin et d'accroître l'efficience du système de santé.
Le premier élément de cohérence du système de soins est le dossier médical personnel.
Chaque Français doit pouvoir disposer, d'ici à 2007, de ce dossier médical qui sera personnel, confidentiel, informatisé et qu'il partagera avec son médecin.
Le dossier médical sera confidentiel : il appartiendra au patient. Les hébergeurs accueillant les données seront agréés conformément à un cahier des charges très strict. Ce dossier sera rendu obligatoire et, à terme, l'accès au dossier conditionnera le remboursement des soins.
Les députés ont renforcé l'ensemble des dispositions garantissant la protection des données contenues dans ce dossier, vis-à-vis des assureurs complémentaires comme du monde du travail. Cela va dans le bon sens.
Les acteurs du système de soins, dans leur ensemble, gagneront à la mise en place rapide du dossier médical : le médecin, par un meilleur suivi de son patient grâce à la disponibilité de l'information en temps réel ; le patient, par une garantie de qualité de soins et un accès unifié à l'information le concernant, trop souvent éparse ; enfin, bien sûr, l'assurance maladie par la limitation médicalisée des soins inutiles ou dangereux.
Parce qu'il représente un véritable investissement pour la collectivité, nous devons réussir ensemble la mise en place du dossier médical personnel.
Les esprits ont beaucoup mûri sur ce sujet, qu'il s'agisse des professionnels de santé ou des patients. Les progrès des technologies de l'information rendent possibles des échanges rapides et sécurisées qui étaient inconcevables il y a dix ans. Je crois donc que nous pouvons en quelques années franchir ce pas décisif qui structurera, j'en suis persuadé, l'organisation de notre système de soins.
L'organisation des soins suppose, par ailleurs, de mettre en place de véritables parcours de soins au bénéfice du malade, qui ne doit plus être laissé seul face à une organisation de l'offre de soins qu'il ne comprend pas toujours et dans laquelle, parfois, il se perd.
C'est évidemment tout le sens de la mise en place du médecin traitant. Porte d'entrée pour le malade, ce médecin, qu'il soit spécialiste ou généraliste, sera librement choisi par le patient, car la liberté individuelle est au coeur de notre politique. Aucun Français ne se verra imposer son médecin, car ce n'est pas notre modèle.
Le médecin traitant orientera le patient dans le système de santé afin de l'aider à construire le parcours de soins que j'évoquais à l'instant. Un certain nombre de spécialistes resteront évidemment en accès direct ; je pense, par exemple, aux ophtalmologues ou aux gynécologues.
Le Gouvernement ne propose pas que la loi ou des décrets fixent un cadre trop rigide à ce médecin traitant, car la mise en oeuvre pratique nous paraît relever de la responsabilité des partenaires conventionnels, c'est-à-dire des caisses d'assurance maladie et des professionnels de santé. Nous avons néanmoins précisé un certain nombre de points lors du débat à l'Assemblée nationale. Ce médecin traitant pourra bien sûr être un généraliste, mais aussi un spécialiste. Il pourra exercer en ville ou à l'hôpital. Cela correspond à la philosophie du projet du Gouvernement comme à celle des principaux représentants des professionnels de santé.
Le dernier point sur lequel je souhaitais insister dans cette nouvelle organisation de l'offre de soins, c'est la nécessité de renforcer le lien entre la médecine de ville et l'hôpital.
Il n'y a pas, d'un côté, une réforme de l'assurance maladie et, de l'autre, une réforme de l'hôpital. Il y a bien une réforme de l'organisation des soins qui vise au décloisonnement entre la médecine de ville et les hôpitaux publics et privés, au développement des réseaux de soins, à l'élaboration d'une véritable stratégie d'harmonisation de l'offre de soins sur un territoire donné.
Pour des raisons de cohérence, il nous est apparu que cette harmonisation devait être recherchée en priorité à l'échelon régional.
C'est notamment pour mettre en oeuvre cette coordination régionale que le projet de loi prévoit un rapprochement entre les unions régionales des caisses d'assurance maladie, les URCAM, et les agences régionales de l'hospitalisation, les ARH. Ces deux institutions devront travailler ensemble sur la répartition de l'offre de soins, la permanence des soins et le développement des réseaux.
La deuxième ligne de force de ce projet, mesdames, messieurs les sénateurs, c'est la promotion de la qualité des soins.
La nécessité d'une évaluation de l'utilité médicale fondée sur des critères réellement scientifiques était un des messages forts du rapport du Haut conseil pour l'avenir de l'assurance maladie. Notre système s'épuise, nous l'avons dit, à vouloir tout financer, sans hiérarchie ni visibilité.
C'est la raison pour laquelle il faut optimiser les choix que nous sommes amenés à faire pour nous donner les moyens de rembourser les médicaments et les traitements innovants qui constituent la médecine de demain.
Nous ne disposons pas aujourd'hui des outils qui nous permettent d'évaluer l'utilité médicale d'un acte lorsqu'une demande d'admission au remboursement est faite, alors que la démarche existe pour le médicament. C'est évidemment une lacune très importante à laquelle il fallait remédier.
La Haute autorité de santé devra émettre des avis sur l'utilité médicale des produits et des actes avant leur admission au remboursement. Elle pourra également être sollicitée par différents acteurs - l'assurance maladie, l'Etat, les professionnels de santé, les représentants des usagers - pour réévaluer régulièrement l'efficacité de certains traitements si cela s'avère nécessaire.
La Haute autorité de santé se verra confier une deuxième mission tout aussi centrale dans le nouveau dispositif, celle de veiller à l'élaboration et à la diffusion des référentiels de bonne pratique. Sur ce sujet, il nous faut passer à la vitesse supérieure et surtout diffuser des référentiels qui soient effectivement applicables dans la vie quotidienne des médecins.
Je comprends, au vu des amendements qui ont été déposés, monsieur le président, qu'il y a débat sur l'articulation entre cette Haute autorité et certaines agences sanitaires, notamment l'Agence nationale d'accréditation et d'évaluation en santé, l'ANAES. Je souhaite que nous puissions clarifier les choses lors du débat sur l'article qui en traite.
Mais l'accroissement de la qualité des soins suppose aussi un engagement plus fort des professionnels de santé dans des démarches de formation continue et d'évaluation. J'ai confiance, je l'ai dit, dans la capacité des professionnels de santé, et tout particulièrement des médecins, à être les acteurs de la réforme, à relever avec nous le défi de la qualité.
Le projet de loi qui vous est soumis prévoit un certain nombre de dispositions qui vont dans ce sens. Cet engagement doit concerner les professionnels libéraux comme ceux qui exercent à l'hôpital. En effet, il ne saurait y avoir, d'un côté, des médecins libéraux qui seraient obligés de suivre des bonnes pratiques et, de l'autre, des médecins hospitaliers qui ne le seraient pas. C'est un point auquel nous sommes extrêmement attachés. Je souligne aussi que nous faisons entrer cette logique de qualité des soins à l'hôpital au travers d'accords de bon usage des soins qui pourront être signés au niveau national entre l'Etat, les fédérations hospitalières et l'assurance maladie, puis déclinés à l'échelon local.
Enfin, pour accompagner cette organisation de l'offre de soins, il nous est apparu indispensable de mieux définir les compétences de l'ensemble des acteurs qui participent au pilotage de l'assurance maladie. C'est le sens de la nouvelle gouvernance.
Le Gouvernement, mesdames, messieurs les sénateurs, a fait le choix de déléguer de nouvelles compétences aux caisses d'assurance maladie.
Les gestionnaires de l'assurance maladie disposeront en effet de pouvoirs nouveaux relatifs à la gestion du périmètre des soins remboursés par l'assurance maladie. Celle-ci aura un rôle d'initiative important dans la gestion de la nomenclature des actes, mais surtout il lui appartiendra de définir, dans le respect des limites fixées par l'Etat, les taux de remboursement. C'est une évolution considérable, qui met effectivement en phase la responsabilité de gestion et les outils de décision.
L'assurance maladie jouera également un rôle plus important dans le domaine du médicament au travers d'une participation accrue au Comité économique des produits de santé dont les compétences seront élargies et renforcées. Si l'on prend en compte l'élargissement du contenu des conventions signées entre les professions de santé et l'assurance maladie, ainsi que le renforcement de l'autonomie des partenaires conventionnels dans la négociation des accords, il apparaît que les gestionnaires de l'assurance maladie disposeront de la plupart des leviers pour assumer la gestion des soins de ville.
S'agissant de l'hôpital, j'ai le sentiment que la mise en place du comité de l'hospitalisation, devenu le conseil de l'hospitalisation après le vote intervenu à l'Assemblée nationale, constitue une solution équilibrée permettant d'associer l'assurance maladie aux décisions prises par l'Etat dans ce domaine qui représente près de la moitié des dépenses.
Ces nouvelles compétences nécessitent de mieux associer les caisses d'assurance maladie à la préparation du projet de loi de financement de la sécurité sociale - Xavier Bertrand y reviendra tout à l'heure.
Deuxième axe de cette nouvelle gouvernance : la réforme des instances dirigeantes de l'assurance maladie.
L'assurance maladie a besoin d'instances délibérantes légitimes et d'un exécutif doté des pouvoirs nécessaires à la mise en oeuvre des orientations stratégiques. C'est la philosophie qui sous-tend ce projet de loi. C'est ce que nous avons proposé aux partenaires sociaux avec qui nous avons eu évidemment un dialogue constant sur ce sujet.
Il appartiendra au futur conseil de définir les principales orientations et de valider les principaux choix de gestion. La direction recevra les pouvoirs de les mettre en oeuvre. Le directeur restera nommé par l'Etat, mais le conseil aura un véritable pouvoir d'appréciation, car il pourra préalablement s'opposer à cette nomination.
J'ai le sentiment que cette nouvelle répartition des rôles permettra une gestion efficace de l'assurance maladie dont les tâches sont immenses. Le retour au sein des conseils des représentants des employeurs permettra aux partenaires sociaux d'assumer ensemble leurs responsabilités.
Le troisième volet de cette nouvelle gouvernance, c'est l'instauration d'un dialogue entre l'assurance maladie de base et les organismes complémentaires.
La structuration d'un partenariat efficace entre les acteurs des régimes de base et les organismes complémentaires est une nécessité soulignée par le Haut conseil pour l'avenir de l'assurance maladie. Il ne s'agit pas de confondre le champ d'intervention de ces différents acteurs ni ce pour quoi ils existent. Il s'agit tout simplement d'organiser un dialogue garantissant une intervention cohérente de ces régimes, dans le respect de la prééminence des régimes de base.
Ce sera l'un des rôles joués par l'Union nationale des caisses d'assurance maladie, l'UNCAM, par l'Union nationale des organismes de protection complémentaire ainsi que par l'Institut des données de santé.
Le dernier élément de cette réforme en profondeur du mode de gestion de l'assurance maladie, c'est la rénovation du dialogue conventionnel.
Je l'ai dit, les rapports entre les professionnels de santé et les caisses d'assurance maladie ont parfois été très difficiles. Je crois cependant qu'il tient à peu de choses que les fils du dialogue se renouent. Le Gouvernement croit au dialogue social dans tous les domaines, c'est aussi vrai pour l'assurance maladie.
Ce projet de loi donne de nouveaux outils aux partenaires grâce notamment à l'instauration d'une procédure d'arbitrage pour régler les éventuels différends. Il consolide les accords grâce au droit d'opposition donné aux syndicats majoritaires. C'est aux acteurs du système de santé et d'assurance maladie qu'il reviendra de faire vivre cette négociation conventionnelle dans un esprit de dialogue et d'ouverture.
Mesdames, messieurs les sénateurs, l'ensemble de cette réforme structurelle s'accompagne, du point de vue financier, d'un effort de redressement de 15 milliards d'euros qui permettra le retour progressif à l'équilibre sur la période 2005-2007. M. Xavier Bertrand en détaillera tout à l'heure les principales mesures. Je souhaite cependant en préciser les principes.
Ce plan a été construit sur trois idées fortes. L'ambition d'abord, qui est à la hauteur des déséquilibres auxquels fait aujourd'hui face notre système d'assurance maladie. Cette ambition, c'est celle d'une réforme qui consiste non pas en un alignement de mesures comptables, mais bien en un changement structurel, en une modernisation en profondeur de notre système de santé.
La maîtrise médicale des dépenses de santé en est la clé de voûte. Nous aurions pu présenter un énième plan de mesures comptables de l'assurance maladie. Tel n'a pas été notre choix. Nous avons élaboré un plan de régulation médicalisée.
Lorsque l'on souhaite résorber les déséquilibres que connaît aujourd'hui notre assurance maladie, un grand nombre de mesures financières sont imaginables. Certaines, bien sûr, ont un effet immédiat. Elles consistent à diminuer les droits des individus, à abaisser les remboursements et à restreindre l'accès aux soins. Ce n'est pas notre projet, ce n'est pas notre ambition pour notre système de soins. Notre ambition est bien de conduire une réforme médicalisée, construite sur l'efficience et la qualité des soins, non pas contre mais avec les professions de santé qui en sont les acteurs quotidiens.
Rien n'aurait été pire que de prendre des mesures conjoncturelles pour casser la confiance et voir, dans cinq ans, les mêmes causes produire les mêmes effets. Nous avons essayé d'emprunter, comme nous y invitait le rapport du Haut conseil, le chemin du développement durable pour notre assurance maladie. Ainsi, dans le domaine du médicament, nous devons apprendre à consommer mieux. C'est en réduisant les volumes et en développant le médicament générique que nous pourrons dégager les moyens de financer l'innovation thérapeutique.
Il y a dans notre système, mesdames, messieurs les sénateurs, des abus, mais aussi des zones de non-qualité. Chaque acte réalisé par un professionnel de santé, chaque demande de soins faite par un assuré doivent être raisonnés. L'assurance maladie n'est pas un guichet ouvert. Le respect des référentiels de bonne pratique, la promotion de véritables parcours de soins, le déploiement du dossier médical personnel doivent valoriser des comportements responsables. C'est à cette condition que nous pourrons sauver ensemble le système auquel les Français sont attachés.
Enfin, la troisième idée forte de ce plan de redressement est l'équité.
Pour combler le déficit actuel, il était nécessaire de faire appel à des recettes supplémentaires. Nous avons privilégié un effort partagé, mais limité, de l'ensemble des acteurs : l'Etat, les assurés sociaux, les entreprises. J'ai le sentiment que nous sommes parvenus à un équilibre satisfaisant, qui devrait aussi préserver la croissance de notre pays.
Ambition, qualité des soins, équité, voilà, je crois, les mots qui définissent le mieux notre projet de réforme de l'assurance maladie.
En deux ans, ce gouvernement aura engagé une réforme profonde de la politique de santé de notre pays, au travers d'une nouvelle politique de prévention courageuse, d'une modernisation de l'hôpital sans précédent et d'une réforme ambitieuse de l'assurance maladie.
Cette réforme était nécessaire : le déficit augmente de 23 000 euros par minute. Si rien n'avait été fait, les plus modestes, bien sûr, n'auraient pas accès aux soins de qualité.
Cette réforme est structurelle, puisqu'elle s'appuie sur une logique que nous suivrons jusqu'au bout : celle de la régulation médicalisée, des modifications de comportement, de la responsabilité individuelle, car ce gouvernement croit en la responsabilité individuelle.
Par ailleurs, cette réforme est équitable et juste.
Mesdames, messieurs les sénateurs, nous avons eu avec les députés un débat très riche. Je sais qu'il en sera de même au Sénat. Je souhaite que ce débat soit ouvert. Nous pouvons ensemble continuer à améliorer encore le texte, avec un objectif simple, qui peut nous rassembler tous, au-delà des clivages politiques et partisans : soigner mieux en dépensant mieux. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Xavier Bertrand, secrétaire d'Etat à l'assurance maladie. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des affaires sociales, messieurs les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, après le temps du dialogue avec les partenaires sociaux et les acteurs du système de santé, nous avons entamé, à la fin du mois de juin, le temps du débat parlementaire, auquel nous sommes particulièrement attachés.
Nous avons ainsi passé trois semaines sur les bancs de l'Assemblée nationale. Ce temps a été mis à profit pour permettre d'enrichir le texte présenté par le Gouvernement, puisque de nombreux amendements ont été adoptés par les députés.
Je ne doute pas que nous pourrons, au Sénat, avec vous, mesdames, messieurs les sénateurs, continuer d'améliorer le texte de cette réforme.
Après l'intervention de M. le ministre, je voudrais revenir sur deux points.
Le premier est l'impérieuse nécessité de mettre en place ce plan ambitieux pour notre système d'assurance maladie.
Le second sera pour vous démontrer en quoi le plan de modernisation de notre système de santé permet de redresser durablement les comptes de l'assurance maladie.
Il s'agit non pas de vous dire que nous pouvons sauver la sécurité sociale, mais bel et bien de vous montrer comment, ensemble, nous entendons le faire.
Pourquoi ce plan de modernisation est-il nécessaire ?
Nous savons tous que la situation financière actuelle de l'assurance maladie n'est plus soutenable. Plusieurs chiffres suffisent à montrer les raisons principales de cette nécessité d'agir.
Le déficit de l'assurance maladie s'élèvera à 12,9 milliards d'euros à la fin de l'année 2004, tandis que la dette sera de 33 milliards d'euros, toujours à la même date.
Ce déficit est dû, pour partie, au ralentissement économique international de ces trois dernières années, mais aussi et surtout, ayons le courage de le dire, à la forte croissance des dépenses de santé.
Le Haut conseil pour l'avenir de l'assurance maladie, qui a effectué un travail remarquable en quelques mois, a analysé les effets à moyen terme de cette forte croissance des dépenses. Je voudrais insister sur les scenarii qui étaient évoqués par ce Haut Conseil.
Ainsi, très clairement, si rien n'était fait, si aucune réforme n'était engagée, nous n'aurions, en définitive, que deux choix en 2020.
Le premier serait d'accepter de diminuer le taux de remboursement des dépenses de santé : aujourd'hui prises en charge à 76 % par l'assurance maladie, elles ne le seraient plus qu'à 51 %. C'est, en quelque sorte, une forme de privatisation rampante à laquelle nous nous refusons.
Le second serait d'accroître fortement les prélèvements sur les revenus des Français en doublant le taux de CSG affecté à l'assurance maladie, soit une hausse de 5,4 points, amputant d'autant leur pouvoir d'achat. Cette seconde solution est également inacceptable.
Dans la mesure où nous refusons ces deux hypothèses, la pire des choses serait, nous l'avons bien compris, de ne rien faire.
C'est la raison pour laquelle le Gouvernement, après la réforme des retraites et de la dépendance, a eu la volonté, mais aussi le courage politique, d'engager cette modernisation en profondeur de notre système d'assurance maladie.
Ce plan se veut à la fois ambitieux, efficace et juste.
Il y a eu, ici et là, des critiques : notre plan serait insuffisant et il reposerait trop largement sur le changement de comportement des différents acteurs du système de santé.
Je le répète devant vous en assumant le choix gouvernemental : notre plan est justement crédible car, pour la première fois, il s'attaque aux problèmes structurels de notre système de soins en créant les conditions d'un véritable changement des comportements.
C'est d'ailleurs bien sur cet aspect que ce plan est différent des seize autres plans qui ont été engagés depuis 1977, car nous faisons le pari d'un changement des comportements en créant les conditions de cette évolution. Pour cette raison, il saura réussir durablement.
Le Haut conseil pour l'avenir de l'assurance maladie, auquel je souhaite encore une fois faire référence, évoque dans son rapport les vraies raisons du déficit de l'assurance maladie. Ce déficit repose pour les deux tiers sur des facteurs structurels et pour un tiers seulement sur des motifs conjoncturels.
En réduisant les dépenses de 2007 à hauteur de 10 milliards d'euros et en augmentant les recettes de 5 milliards d'euros, le Gouvernement a adopté exactement la même logique, la seule qui nous semble, en définitive, légitime et surtout efficace.
En revanche, nous avons refusé pour l'avenir certains choix qui ont été ceux du passé. Nous avons refusé, notamment, de nous engager dans la voie de la facilité, avec ce qui marque traditionnellement les plans de réforme de l'assurance maladie, à savoir les déremboursements massifs.
Baisser de 5 points le taux de remboursement aurait permis de dégager 1,7 milliard d'euros d'économies. Une baisse de 15 points aurait représenté un peu plus de 5 milliards d'euros d'économies, ce qui est considérable.
Sur le papier, il s'agit non pas d'économies réelles, mais d'économies comptables. En effet, avec un simple transfert entre gestionnaires, de l'assurance maladie du régime obligatoire vers les organismes complémentaire, en définitive, ce sont toujours les Français qui paient !
Nous avons refusé une telle solution, et nous avons maintenu intangible la frontière entre le régime obligatoire et les régimes complémentaires.
Nous avons rejeté également toute forme de privatisation. Les efforts que nous demandons aux Français ne visent qu'à consolider un système qu'ils connaissent, et surtout qu'ils apprécient.
Nous avons aussi refusé de remettre en question ce qui fait le coeur même de notre système d'assurance maladie, à savoir la liberté.
Nous sommes attachés à l'exercice libéral de la médecine, c'est-à-dire à la liberté pour le patient d'aller consulter le médecin de son choix et à liberté du médecin de prescrire ce qu'il juge être bon pour son patient.
La liberté ne signifie pas le laisser-faire, mais elle a, selon nous, pour contrepartie la responsabilité et la solidarité.
Nous avons enfin refusé une troisième solution de facilité, celle qui consistait à nous engager dans la voie des prélèvements massifs pour faire entrer en nombre des recettes dans les caisses de la sécurité sociale. Cela aurait, bien évidemment, une incidence négative sur la croissance, dont nous avons besoin pour l'emploi, mais aussi et surtout sur le pouvoir d'achat des Français.
Nous avons donc préféré mettre en pratique le « dépenser mieux pour soigner mieux » que vient d'évoquer M. le ministre.
C'est la raison pour laquelle nous pensons qu'il est possible, en 2007, d'avoir 10 milliards d'euros de moindres dépenses.
Je voudrais, à ce propos, afin d'éviter tout caricature, si la tentation existait, redire que nous dépenserons en 2007 davantage pour notre santé qu'en 2004. Les dépenses de santé continueront de croître dans notre pays, ce qui est tout à fait légitime : il n'y a pas et il n'y aura pas de rationnement des soins de quelque nature que ce soit !
Mais dans le même temps, et nous assumons ce choix, nous faisons en sorte que chaque euro investit dans le système de soins le soit à bon escient.
Cela passe d'abord par la maîtrise médicalisée des dépenses, qu'il est possible de mettre en oeuvre à hauteur de 3,5 milliards d'euros par an.
Nous avons écarté le choix d'une maîtrise comptable de l'assurance maladie, car cela ne fonctionne pas. En revanche, la maîtrise médicalisée des dépenses peut apporter de vrais résultats.
Quand la caisse nationale d'assurance maladie estime qu'environ 6 milliards d'euros de dépenses sont inutiles - prescriptions excessives ou inadaptées, remboursements inopportuns - pour près de 15 % des prescriptions réalisées, le Gouvernement a pris avec prudence une hypothèse de 3,5 milliards d'euros.
Non seulement nous sommes en deçà de ce que certains nous indiquent, mais cet objectif réaliste et crédible nous permettra de tenir les engagements que nous prenons devant vous.
C'est également dans cet esprit que la promotion du bon usage du médicament, grâce au déploiement de logiciels d'aide à la prescription et aux campagnes d'information, devra nous permettre d'économiser 800 millions d'euros.
Il en est de même du développement des référentiels de bonne pratique qui aura une incidence effective grâce à la liquidation médicalisée, dont nous reparlerons dans les prochains jours.
Le troisième volet de cette maîtrise médicalisée est la coordination des soins, au travers du dossier médical personnel, du médecin traitant et du rapprochement entre la ville et l'hôpital. Elle doit nous permettre d'économiser 1 milliard d'euros d'ici à 2007.
La politique du médicament doit aussi évoluer, au travers, notamment, d'un développement rapide du médicament générique.
La politique du médicament, c'est, nous en sommes persuadés, 2,3 milliards d'euros de moindres dépenses en 2007.
Il ne s'agit surtout pas de remettre en cause l'attractivité de la France. Je ne parle pas de la seule question de l'attractivité de l'industrie pharmaceutique, car c'est bel et bien l'attractivité de notre pays qui nous semble être un impératif. Chacun connaît aujourd'hui les importantes retombées de l'activité pharmaceutique en termes d'innovation et de recherche, comme en termes d'économie et d'emplois.
Mais nous sommes surtout attachés à ce que les Français continuent de bénéficier des meilleurs médicaments et des plus innovants. Tel est le sens de cette politique du médicament.
Claude Le Pen, l'un des professeurs d'économie de santé les plus reconnus dans notre pays, estime à 1 milliard d'euros les économies réalisables grâce au développement du générique.
En Allemagne, 30 % des boîtes de médicaments vendues sont aujourd'hui des génériques. En Grande-Bretagne, cette part est de 50 %. En France, même si nous avons fait des progrès considérables depuis quelques années, nous n'en sommes encore qu'à 13 %. Notre marge de progression est donc considérable.
Grâce à la réduction des délais de mise sur le marché des génériques, à la réduction du prix de ces produits, à la mise en place d'objectifs fixés en partenariat avec les professionnels, nous saurons rejoindre rapidement les niveaux d'utilisation des génériques de nos voisins.
Ce « plan médicaments » prévoit aussi l'adaptation des conditionnements des boîtes de médicaments, une plus grande maîtrise de la rétrocession hospitalière et un relèvement des taxes applicables aux industries du médicament.
La réforme de l'assurance maladie n'oublie pas l'hôpital. Parce qu'il contribue à près de la moitié des dépenses d'assurance maladie, il était légitime que l'hôpital participe à cette entreprise de modernisation. Cela doit se faire principalement par une rationalisation de la politique d'achat de l'hôpital, qui est appelé à contribuer à hauteur d'1,6 milliard d'euros aux 10 milliards d'euros de moindres dépenses.
La mission d'étude et d'analyse hospitalière a souligné la très grande hétérogénéité des coûts d'achats des produits à l'hôpital, avec des différences pouvant aller de 1 à 5. Par exemple, le prix de l'oxygène médical varie, d'un hôpital à un autre, de 33 centimes d'euro à 1,90 euro le mètre cube.
Ce n'est donc pas un système particulièrement bien géré, et mettre un terme à de telles disparités ne réduira en rien la qualité des soins.
Améliorer également les contrôles, notamment sur les indemnités journalières, semble être pour nous un impératif et une mesure de bonne gestion.
Le renforcement du contrôle des arrêts de travail, grâce à des procédures plus simples et plus efficaces, dans le respect à la fois des patients comme des professionnels, nous permettra de recentrer cette dépense sur sa véritable finalité : indemniser la personne temporairement dans l'incapacité de travailler pour des raisons médicales.
Il s'agit non pas de culpabiliser les uns ou les autres, mais simplement de s'assurer de la réalité de la justification médicale de l'arrêt de travail comme de décourager les abus.
Nous savons que ces abus sont le fait de certaines entreprises, de certains médecins, de certains patients. Ils sont toujours très minoritaires, mais il vaut certainement mieux y mettre un terme, surtout pour préserver le système des arrêts de travail auquel nous sommes attachés.
Parmi les 10 milliards d'euros de moindres dépenses, figure aussi l'économie des frais financiers liés au transfert de la dette à la Caisse d'amortissement de la dette sociale, la CADES. Nous reviendrons certainement sur cette question qui suscite un débat légitime.
En dépit des inconvénients d'une telle solution, dont il n'est pas question de nier la réalité, il nous a semblé que ce dispositif restait préférable à l'augmentation importante des prélèvements obligatoires, qui aurait été nécessaire si nous avions adopté d'autres choix. Ce transfert nous permettra d'économiser plus de 1 milliard d'euros en frais financiers.
Enfin, la modernisation de la gestion du réseau des caisses et l'augmentation du recours contre les tiers nous permettront d'obtenir respectivement 200 millions et 300 millions d'euros d'économies d'ici à 2007.
Ce plan contient également un volet recettes. Le Gouvernement prévoit 5 milliards d'euros de recettes nouvelles, dont 1 milliard d'euros au titre de la participation des usagers, à travers la contribution de 1 euro et l'augmentation du forfait journalier de 1 euro par an jusqu'en 2007.
S'agissant de la contribution de 1 euro, il nous a semblé indispensable de susciter chez nos concitoyens une prise de conscience du coût de leur consommation de soins. Le développement du tiers payant a en effet incontestablement fait naître un sentiment de gratuité qui ne peut définitivement s'installer.
Nous ne voulons, une nouvelle fois, culpabiliser personne. Cet euro ne constitue pas une mesure financière, car il ne représente que 700 millions d'euros sur un total de 15 milliards d'euros, soit à peine 5 % du plan de modernisation de l'assurance maladie. Il s'agit simplement de responsabiliser chacun, tout en préservant l'équité, puisque l'Assemblée nationale a prévu un certain nombre d'exonérations afin que l'accès aux soins des plus démunis ne soit pas entravé et que les familles ne soient pas pénalisées.
L'Assemblée nationale a également introduit un plafonnement de la contribution de 1 euro sur l'ensemble de l'année, qui permettra d'éviter qu'un montant trop important ne soit laissé à la charge de l'assuré.
Figurent ensuite 4 milliards d'euros de recettes supplémentaires.
L'Etat apportera une contribution de 1 milliard à travers une fraction plus importante des droits sur les tabacs affectée à l'assurance maladie. Le Sénat, dont je voudrais saluer les rapporteurs, plus particulièrement celui de la commission des affaires sociales qui s'intéresse à ces questions depuis de nombreuses années, a mis en avant la complexité des relations financières entre l'Etat et la sécurité sociale et fustigé, à juste titre, le « rapt » des recettes de la sécurité sociale mis en oeuvre pour financer la réduction du temps de travail.
Nous avions déjà entamé cette clarification nécessaire en supprimant le fonds de financement de la réforme des cotisations patronales de sécurité sociale, le FOREC, et en affectant une part croissante des droits sur les tabacs à l'assurance maladie depuis 2002.
Aujourd'hui, avec cette réforme, nous réalisons un pas supplémentaire en opérant le transfert de 1 milliard d'euros des droits sur les tabacs. Il s'agit d'un geste fort, compte tenu du contexte difficile des finances publiques. C'est une réponse concrète au débat sur les charges indues. Une telle affectation des droits sur les tabacs à l'assurance maladie repose également sur une logique forte de santé publique.
Ce transfert s'accompagne du nécessaire renforcement de l'autonomie des comptes de la sécurité sociale. Le texte prévoit que tout transfert de charges de l'Etat vers l'assurance maladie devra être compensé. L'assurance maladie ne saurait en effet être la variable d'ajustement de calculs financiers, ce qui, au final, ne change pas les équations des déficits publics.
Les jeux d'écritures n'ont jamais réglé et ne régleront jamais la question du déficit de l'assurance maladie. M. le rapporteur se reconnaîtra dans la réaffirmation de ce principe.
M. Alain Vasselle, rapporteur de la commission des affaires sociales. Tout à fait ! Je l'approuve !
M. Xavier Bertrand, secrétaire d'Etat. Une telle mesure est indispensable si l'on veut mieux responsabiliser les gestionnaires.
Je souhaite aussi souligner le souci de justice et d'équité (Ah ! sur les travées du groupe CRC) qui a animé le Gouvernement dans le choix des mesures destinées à dégager des recettes.
C'est un effort partagé. Nous avons coutume de dire que tout le monde ou personne peut être sollicité pour réaliser ces efforts. Il a été décidé que ce serait tout le monde : les entreprises, les actifs, les retraités, mais, à chaque fois, dans des limites qui nous semblent raisonnables et acceptables.
Cet effort concerne tout d'abord la CSG, à travers l'élargissement de son assiette.
L'augmentation de 0,4 point du taux de la CSG sur les retraites ne s'applique qu'aux seuls retraités imposables. Cette hausse limitée laisse un écart de 0,9 point avec le taux de la CSG payée par les actifs.
Alors qu'une politique ambitieuse de prise en charge de la dépendance se met en place, il nous a semblé possible de demander aux retraités de participer à cet effort de redressement de l'assurance maladie, qui représentera 600 millions d'euros par an de recettes.
L'augmentation de l'assiette de la CSG sur les revenus d'activité nous a par ailleurs semblé justifiée après la réforme des frais professionnels intervenue à la fin de 2002. Cette augmentation de l'assiette générera ainsi 1 milliard d'euros de recettes supplémentaires.
Le taux de la CSG sur les revenus du patrimoine et de placement sera, quant à lui, relevé de 0,7 point, soit 630 millions d'euros de recettes nouvelles.
Enfin, la CSG sur le produit des jeux sera relevée de 2 points et passera à 9.5 %, générant 100 millions d'euros de recettes.
S'agissant des entreprises, une augmentation de 0,03 point de la contribution sociale de solidarité des sociétés, la C3S, est prévue.
Mme Marie-Claude Beaudeau. C'est un miroir aux alouettes !
M. Xavier Bertrand, secrétaire d'Etat. Il est en effet important que les entreprises participent à l'effort de redressement des comptes de l'assurance maladie. Elles le font dans des proportions - 780 millions d'euros par an - qui, là encore, nous semblent raisonnables.
Vous le voyez, mesdames, messieurs les sénateurs, notre plan a été réalisé sans tabou, sans aucune idéologie (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC), mais au nom du pragmatisme et de l'effort équitable.
Au-delà de ces éléments, je voudrais revenir sur un point qui concerne plus particulièrement le Parlement : le respect des objectifs de dépenses d'assurance maladie.
Afin d'éviter que ne se creusent de nouveaux déficits, il nous semble essentiel de moderniser en profondeur le pilotage financier de l'assurance maladie, notamment dans sa dimension parlementaire. Ces cinq dernières années nous ont montré les limites du dispositif actuel.
En donnant au Parlement la faculté de déterminer chaque année l'objectif national de dépenses d'assurance maladie, l'ONDAM, et d'en fixer les ressources, les lois de financement de la sécurité sociale ont constitué une avancée démocratique de premier ordre, un véritable cadre de référence. Néanmoins, on ne peut que constater l'insuffisante emprise des lois de financement sur la réalité des dépenses et sur ses leviers.
Chaque année, vous votez un ONDAM qui est presque systématiquement dépassé depuis 1996, le vidant ainsi largement de toute substance. Nous devons améliorer les outils nous permettant d'anticiper les évolutions et de savoir réagir en cas de dégradation brutale des équilibres financiers de l'assurance maladie.
Le premier de ces outils est une loi de financement modifiée par une réforme de la loi organique relative aux lois de financement de la sécurité sociale.
M. Alain Vasselle, rapporteur. Très bien !
M. Xavier Bertrand, secrétaire d'Etat. Des parlementaires ont déjà fait un certain nombre de propositions. Je sais que bon nombre de sénateurs ont souligné la nécessité d'une telle réforme.
Le Gouvernement présentera un texte en ce sens dès l'automne prochain, qui prévoira une évolution à deux niveaux : d'une part, en inscrivant les dépenses dans un cadre pluriannuel afin de donner une vraie visibilité aux gestionnaires au cours d'un cycle qui pourrait être de trois ans ; d'autre part, en renforçant la lisibilité de l'équilibre des différentes branches, car la loi de financement ne permet pas aujourd'hui d'avoir une vision suffisamment claire du rapport entre les recettes et les dépenses dans chacune des branches de la sécurité sociale.
Les deux autres outils figurent dans le projet de loi que nous vous présentons aujourd'hui.
Les caisses nationales d'assurance maladie seront associées à la préparation des objectifs de dépenses. Elles feront chaque année des propositions d'orientation sur l'évolution de leurs dépenses et de leurs recettes. C'est un élément central dans la responsabilisation des gestionnaires et, surtout, dans la mise en place d'un ONDAM réaliste et crédible.
A coté de cette responsabilité nouvelle confiée aux caisses, figure dans le projet de loi un comité d'alerte. Il aura, lui aussi, un rôle central à jouer dans l'exécution des lois de financement en ce qui concerne la branche maladie. Lorsqu'un risque sérieux de dépassement apparaîtra avant le milieu de l'année, le comité d'alerte devra en avertir les gestionnaires.
Mesdames, messieurs les sénateurs, il ne s'agit aucunement d'enfermer les dépenses de santé dans une enveloppe comptable, car cela n'aurait tout simplement aucun sens. Aucun gouvernement n'ordonnera la fermeture des cabinets médicaux ou des hôpitaux le 15 décembre, par exemple, sous prétexte que l'enveloppe attribuée aurait été dépassée.
N'ayons aucune peur en la matière ! Ne laissons prospérer aucun fantasme ! Oui, on peut être responsable des dépenses sans être prisonnier d'une enveloppe !
Toutes ces mesures réussiront grâce à l'engagement de chacun. Leur mise en oeuvre ne pourra donc être que progressive. Elles devraient ainsi nous permettre de revenir à l'équilibre financier de l'assurance maladie vers la fin de l'année 2007. Mais nous saurons avant cette date si la situation évolue dans le bon sens et si cette évolution des comportements, que nous savons souhaitable, est possible. Pour ma part, j'y crois !
A la fin de 2005, nous saurons si les comportements ont commencé à se modifier, si la dérive des comptes s'arrête et si la tendance naturelle à l'augmentation des déficits est durablement inversée. Oui, dès la fin de l'année 2005, nous saurons si nous sommes en passe de réussir ce défi !
Nous avons bien conscience, Philippe Douste-Blazy et moi-même, d'avoir une obligation de résultat vis-à-vis de vous et des Français. Pour réussir, nous devrons, après le vote, rester mobilisés et mettre en oeuvre résolument la loi qui viendra d'être adoptée. C'est ce qu'on appelle le « service après-vote » ...
Mme Marie-Claude Beaudeau. Comme chez Darty !
M. Xavier Bertrand, secrétaire d'Etat. ... du plan de modernisation de l'assurance maladie. En effet, il y a une vie après la loi et une grande partie du travail restera à accomplir.
A la demande du Premier ministre, Jean-Pierre Raffarin, nous nous sommes engagés à ce que les décrets d'application des différentes mesures que vous allez adopter soient pris très rapidement. D'ores et déjà, de nombreux projets de décrets ont été préparés en fonction de l'élaboration de la loi et du vote des parlementaires. En tout état de cause, les premiers décrets pourront être publiés à partir de la première quinzaine du mois de septembre. Nous pensons que près de 80 % des décrets pourront l'être avant la fin de l'année. Il est important de donner un contenu précis afin que la modernisation de l'assurance maladie soit bel et bien en marche dans les meilleurs délais.
Dès la rentrée également, nous expliquerons davantage encore aux patients et aux acteurs de la santé les modalités et la réalité de la modernisation de l'assurance maladie.
Mesdames, messieurs les sénateurs, cette modernisation se déroule en trois temps : il y a eu le temps de la démocratie sociale, que nous avons fait vivre ; il y a le temps de la démocratie parlementaire, qui continue aujourd'hui devant la Haute Assemblée ; et il y aura le temps de la démocratie civique, qui devra également nous mobiliser.
Cette modernisation repose sur trois principes : la détermination au service d'une ambition, le dialogue au service de la concertation et la pédagogie au service du devoir de vérité.
Nous sommes intimement persuadés que, si chacun y met du sien, nous réussirons à sauvegarder notre système de santé, un système dans lequel chacun contribue selon ses moyens, dans lequel chacun est soigné selon ses besoins. Ce système de santé fait notre fierté depuis la Libération.
Relevons ensemble le défi d'une modernisation qui conforte la solidarité et d'une solidarité que renforce également la responsabilité.
Je suis convaincu que, dans cet hémicycle, chacun avec ses convictions sera bel et bien au rendez-vous de cet enjeu de société : garantir l'avenir de la sécurité sociale à la française. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Alain Vasselle, rapporteur de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, la commission des affaires sociales m'a chargé de vous donner son avis qu'elle vous invite à suivre dans la mesure où, bien entendu, vous aurez adopté les amendements qu'elle vous proposera.
Permettez-moi, avant que nous n'entamions, dans quelques heures, la discussion des articles, de vous donner le sentiment général de la commission des affaires sociales sur ce texte important.
Je commencerai par citer le titre du rapport d'information adopté par notre commission en juin 2003 : « Assurance maladie : une réflexion dans l'urgence ».
Un an plus tard, le Sénat est donc saisi du projet de loi portant réforme de l'assurance maladie, dont nous commençons l'examen. La situation financière de la sécurité sociale justifie, à elle seule, les contraintes du calendrier qui nous est imposé.
En effet, malgré les mesures prises par la dernière loi de financement, et en dépit du ralentissement du rythme d'augmentation des dépenses de santé, le déficit de l'assurance maladie devrait s'établir aux alentours de 13 milliards d'euros en 2004. Désormais, ses dépenses annuelles dépassent 10 % de ses ressources.
Cette situation explique que, depuis 1998, date de la dernière reprise du déficit des régimes sociaux par la Caisse d'amortissement de la dette sociale, la CADES, dont Adrien Gouteyron préside le conseil de surveillance, l'assurance maladie ait de nouveau accumulé une dette. Elle atteint, Philippe Douste-Blazy et Xavier Bertrand l'ont dit tout à l'heure, 35 milliards d'euros pour la période 1998-2004 et pourrait s'élever, d'ici à la fin de l'année 2006, à 50 milliards d'euros.
S'agit-il simplement d'un mauvais moment à passer pour la sécurité sociale ? Malheureusement, je pense que nous pouvons tous convenir que non.
Certes, la stagnation économique des deux dernières années a autant contribué à creuser le déficit que la croissance exceptionnelle des années 2000 et 2001 avait permis de masquer les déséquilibres structurels de l'assurance maladie. Pour autant, cet aspect conjoncturel n'explique bien évidemment pas tout à lui seul.
En effet, on considère aussi que l'augmentation continue des dépenses d'assurance maladie est due à des variables structurelles, le vieillissement de la population ou le coût du progrès technique médical, par exemple. Pourtant, contrairement à une opinion communément répandue, il apparaît que, sur le long terme, l'augmentation de la part des dépenses de santé dans le produit intérieur brut suit un rythme décroissant.
En réalité, si ces données structurelles peuvent expliquer l'évolution sur une longue période, la dérive actuelle des comptes de l'assurance maladie résulte de variables beaucoup plus empiriques.
L'an dernier, votre commission des affaires sociales constatait, avec perplexité, que les 125 milliards d'euros affectés par notre pays à sa protection sociale ne permettaient pas de financer durablement un panier de soins offrant aux assurés les soins nécessaires et efficaces. Je crois qu'aujourd'hui on atteint près de 165 milliards d'euros en ce qui concerne l'assurance maladie. Vous voyez comment ont évolué les comptes !
La réponse à nos interrogations figure, bien évidemment, dans le rapport du Haut conseil pour l'avenir de l'assurance maladie, laquelle, semble, à bien des égards, être une machine mal réglée.
Sans dresser un tableau exhaustif des lacunes et des dysfonctionnements du système, je voudrais, malgré tout, rappeler quelques faits qui sont désormais bien établis.
D'abord, les aberrations statistiques existent. La dispersion des comportements des médecins en matière de prescription révèle que 5 % d'entre eux prescrivent en moyenne 45 euros de traitements divers par consultation, tandis que 10 % en prescrivent pour plus de 110 euros sans qu'aucun élément objectif, notamment lié à l'état de santé de leur clientèle, ne parvienne à expliquer cet écart.
Ensuite, la rationalisation des suivis médicaux reste, à mon sens, un peu balbutiante. Les exemples des thérapeutiques mal choisies, inutiles, voire dangereuses sont connus.
Les montants des indemnisations versées par l'ONIAM, l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, témoignent de l'aspect le plus dramatique des dysfonctionnements du système, celui d'une médecine qui ne respecte plus le primum non nocere.
On peut citer la surconsommation en prévention primaire de médicaments hypolipémiants - c'est-à-dire permettant de lutter contre le cholestérol - ou le recours abusif aux psychotropes hypnotiques, qui entraînent, quant à eux, un surcoût d'environ 250 millions d'euros pour l'assurance maladie et, bien entendu, des risques accrus pour les patients.
Enfin, et Philippe Douste-Blazy et Xavier Bertrand ont insisté sur ce point qui constitue l'un des éléments forts de la réforme, le bon usage des soins est encore très nettement insuffisant, malgré le développement des accords qui l'organisent depuis un certain temps. La Caisse nationale d'assurance maladie estime que 3 milliards de dépenses pourraient être évités sans entraîner de diminution du bien-être des patients, ce qui n'est pas négligeable. Ce constat est sans appel. Ce montant représente 15 % des prescriptions de soins ou des services médicaux. Si ces économies pouvaient être réalisées sur trois ans, la croissance des prescriptions serait freinée de 5 % par an, et celle de l'ensemble des soins de ville de près de 3 % par an.
L'assurance maladie a, certes, engagé dès 2003 plusieurs actions qui visent à améliorer l'usage du médicament, à diminuer le nombre d'arrêts de travail non justifiés ou à rationaliser les prescriptions d'analyse de biologie médicale, mais, chacun en convient, elles demeurent insuffisantes.
Au total, on estime à 5 milliards les économies potentielles que la CNAM pourrait réaliser. Cette possibilité existe, M. Lenoir, le directeur de la CNAM, nous l'a confirmé, en s'appuyant sur des exemples concrets, dans le cadre des auditions auxquelles j'ai procédé. Ces économies, dont le montant représente jusqu'à 80 % du déficit non conjoncturel de la Caisse, justifient les propos tenus tout à l'heure sur l'engagement d'une réforme, non de pure forme, mais réellement structurelle.
Force est de constater que si ces économies sont possibles et qu'elles n'ont pas pu être encore réalisées, c'est bien que le pilotage du système de soins n'est pas totalement satisfaisant.
Abondamment commenté par le rapport du Haut conseil qui, je cite, « estime que l'enchevêtrement des compétences explique en partie, et en tout cas favorise, les dérives du système », cet aspect du problème devrait être amélioré par la réforme qui nous est proposée.
Il ne vous étonnera pas, mes chers collègues, que, sur ce thème du pilotage, votre commission des affaires sociales se soit longuement interrogée sur l'existence des déficits sociaux, alors que le Parlement vote, chaque année, une loi de financement de la sécurité sociale.
Dans son rapport, le Haut conseil dresse un bilan particulièrement sévère de l'apport des lois de financement, bilan qu'il justifie par le caractère tout à fait inopérant de l'ONDAM, ce que nous avons tous dénoncé.
Je reste, quant à moi, assez réservé sur cette analyse qui appelle de ma part plusieurs observations pour en tempérer l'âcreté.
Premièrement, outre le débat démocratique annuel qu'elles permettent, les lois de financement ont facilité, dans les deux autres branches de la sécurité sociale, le rétablissement d'une situation financière qui était particulièrement compromise, même si nous avons été amenés à constater que, pour cet exercice, la branche famille et la branche vieillesse vont, l'une et l'autre, malheureusement souffrir d'une situation financière un peu inconfortable, assortie d'un léger déficit.
Deuxièmement, et cet élément plaide, malgré tout, en faveur des lois de financement de la sécurité sociale, l'échec de ces dernières à rétablir l'équilibre financier de l'assurance maladie et du régime général dans son ensemble doit en réalité beaucoup aux traditions de pilotage budgétaire en vigueur dans notre pays. Cela explique notamment ce que nous vivons depuis quelque temps.
A ce titre, deux considérations sur les lois de financement me paraissent devoir être formulées : l'une est relative à l'impossible autonomie des finances sociales et éclaire, pour partie, la situation des comptes sociaux ; l'autre concerne l'avenir de l'ONDAM.
La création des lois de financement de la sécurité sociale portait en elle-même le principe d'une autonomie des finances sociales par rapport aux finances de l'État. Je le rappelle, car ce principe fondamental, qui avait été retenu et adopté par le constituant, a été trop souvent oublié.
Les prévisions de recettes et de dépenses des organismes sociaux devaient être établies de manière indépendante de l'élaboration du budget général, chacune des deux masses financières ayant l'obligation de trouver son équilibre indépendamment.
Les traditions séculaires de l'appareil d'État et les nécessités politiques de calibrer l'affichage des déficits ont fait échouer cette réforme. Les excédents sociaux ont ainsi été, malheureusement, trop souvent recyclés afin d'assurer la prise en charge de dépenses relevant en fait de l'État. Et je tiens à remercier Xavier Bertrand d'avoir souligné tout à l'heure la position constante de la commission des affaires sociales du Sénat sur ce point.
Cet aspect n'est pas anecdotique, mes chers collègues, car il explique que la majeure partie des excédents qui auraient dû être dégagés par les comptes sociaux en période de forte croissance ne sont plus disponibles pour compenser les déficits conjoncturels dans les phases basses. Le projet de loi prévoit la reprise par la CADES de 35 milliards d'euros de dettes cumulées pour les exercices 1998-2004. Or, une fraction significative de cette dette est due à des déficits imputables à l'État.
Dispositif essentiel des lois de financement, le vote de l'ONDAM est l'innovation qui a concentré, à elle seule, l'essentiel des griefs.
Je vous le rappelle, seul l'ONDAM de 1997, qui avait suivi l'adoption de la réforme constitutionnelle, voté lors de la première loi de financement, fut respecté. Sous la précédente législature, celle de M. Jospin, la présentation de cet objectif revêtait un caractère particulièrement irréaliste. Il était établi de manière artificiellement basse, hors de toute considération médicale. Cette habitude a d'ailleurs privé l'objectif de toute portée significative. Pour autant, faut-il en conclure que l'ONDAM n'est pas réformable ? La commission ne le pense pas.
Certains affirmeront qu'il est impossible de construire un budget, même médicalisé, permettant d'encadrer le pouvoir financier qu'exercent, de fait, 60 millions d'assurés et l'ensemble des professionnels de santé sans modifier radicalement les caractéristiques du système de soins, notamment la liberté de choix du patient, la latitude du prescripteur et la rémunération à l'acte.
Ce n'est pas l'analyse sous-tendue par le projet de loi. Le diagnostic dont nous disposons met en évidence qu'un des maux principaux dont souffre l'assurance maladie est l'absence d'une conscience collective des gestionnaires, des assurés, des tuteurs et des prestataires de l'intérêt commun qu'ils ont à la bonne gestion du système de soins.
Seul - et cela a été dit à la fois par M. le ministre de la santé et par M. le secrétaire d'Etat à l'assurance maladie - l'infléchissement de leurs comportements permettra de préserver notre système, réputé pour être l'un des meilleurs au monde, mais dont il est aussi démontré qu'il peut être l'un des plus coûteux. C'est tout l'objet de la réforme que vous nous proposez, messieurs les ministres.
Il est quasi certain que nous attendons de cette réforme qu'elle induise un changement de comportement de tous les acteurs de la branche maladie, les assurés, les professionnels de santé, les gestionnaires des caisses, en un mot, tout ce qui touche à la gouvernance, mais également les employeurs.
J'ai bien peur - mais c'est une conviction personnelle profonde - que si l'utilisation de la boîte à outils contenue dans cette loi de réforme ne produit pas des changements de comportements, quelques déceptions ne finissent par apparaître au fil du temps. Toutefois, je fais confiance, comme Philippe Douste-Blazy et Xavier Bertrand, au sens de la responsabilité des assurés et des professionnels de santé, certes, mais également des employeurs et gestionnaires de la Caisse.
Venons-en aux dispositions du projet de loi. Vous l'avez souligné, messieurs les ministres, ce projet de loi se fixe trois objectifs forts.
Premièrement, engager une réforme profonde du système pour corriger des dysfonctionnements qui affectent tout autant les comptes de l'assurance maladie que la santé des assurés ; deuxièmement, rénover le pilotage du système dans son ensemble ; troisièmement, assainir les finances sociales en améliorant la clarification des flux financiers, comme Xavier Bertrand s'est attaché à le démontrer.
L'ambition du texte est de résoudre une équation posée à des degrés divers aux systèmes de soins des pays développés : comment assurer la dispense d'un « juste soin de qualité » aux assurés sans nourrir le sentiment d'un rationnement purement comptable ? Sa réponse consiste à investir dans deux dispositifs qui ont fait la preuve, chez nos voisins, de leur efficacité : le dossier médical et le recours à un médecin traitant.
Il est proposé par le projet de loi d'instaurer un dossier médical personnel informatisé. Il sera constitué sous la forme d'une base de données regroupant, dans des conditions de stricte confidentialité - et l'Assemblée nationale y a veillé particulièrement, avec le soutien du Gouvernement - les données personnelles du patient afin d'optimiser les soins qui lui sont dispensés. Sa généralisation est programmée pour 2007.
C'est là un objectif ambitieux et une charge lourde pour l'opérateur qui sera choisi. Il devra faire preuve de compétence et de célérité pour mener cette tâche à bien, car nous l'avons enfermée dans un calendrier très serré. Vous serez sans doute à même, messieurs les ministres, de nous éclairer, dans la suite de la discussion du texte, sur les choix et sur la procédure que vous avez retenus pour atteindre ce but. Je suis en effet assailli depuis quelques jours d'appels de personnes cherchant à savoir plus précisément comment le dossier médical sera constitué et décliné, quels seront son mode de fonctionnement et sa date de création.
Étroitement articulée avec la mise en place de ce dossier, l'instauration d'un médecin traitant participe du même souci de coordination des soins.
Ce médecin va constituer en quelque sorte un chef de file, garant du parcours de soins du patient, notamment pour l'accès à un médecin spécialiste.
Pour être admise, cette procédure ne devait pas être contraignante. C'est pourquoi, mes chers collègues, et cela a été dit tout à l'heure, rien n'empêchera l'assuré d'accéder au praticien de son choix, indépendamment de son médecin traitant.
Mme Hélène Luc. Pour le moment !
M. Alain Vasselle, rapporteur. Pourquoi voulez-vous que cela change ?
Mme Hélène Luc. Je ne sais pas !
M. Jean Chérioux. Parce qu'elle le souhaite !
M. Alain Vasselle, rapporteur. Ne faisons pas de procès d'intention !
Toutefois, user de cette liberté, qu'aucune justification médicale ne légitime, autorisera les partenaires conventionnels à prévoir des modalités de remboursement spécifiques.
Le texte reste néanmoins pragmatique : les consultations effectuées loin de son domicile, par exemple pendant les vacances - elles ne sauraient tarder pour nous, il faut l'espérer ! (Sourires.) -, ne seront pas pénalisantes et certains spécialistes tels que les gynécologues ou les ophtalmologistes pourront êtres consultés directement.
Le recours à ces instruments est motivé non par la recherche d'économies, mais avant tout par celle d'une meilleure efficience des soins. Ils ont d'ailleurs un coût : celui de l'institution du dossier médical personnel pourrait s'élever à un demi milliard d'euros et l'équilibre économique du recours à un médecin traitant n'est pas démontré pour le moment.
En revanche, l'amélioration du système de soins qui en résultera devrait permettre de réduire sensiblement actes et prescriptions inutiles et rentabiliser ainsi l'investissement initial.
Promouvoir les comportements vertueux des professionnels de santé est un deuxième élément susceptible d'améliorer la qualité des soins. Cet aspect tient particulièrement à coeur à la commission des affaires sociales.
Plusieurs dispositions du projet de loi s'y attachent : en amont, pour développer l'usage des bonnes pratiques ; en aval, pour favoriser la conduite systématique d'actions de formation, d'évaluation et d'accréditation dont nous reparlerons lors de l'examen des amendements.
Ce contrôle des pratiques s'inscrit dans le cadre d'une association plus étroite des praticiens au sein de réseaux de soins dont la création est souhaitée par les pouvoirs publics.
L'adhésion des professionnels ne pouvait être suscitée que par une réforme profonde des relations conventionnelles, dont M. Philippe Douste-Blazy a parlé tout à l'heure. La suppression du règlement conventionnel minimal, l'instauration d'une procédure d'arbitrage en cas de désaccord entre les caisses et les professionnels de santé ou encore la création d'un droit d'opposition majoritaire offrent l'opportunité d'ouvrir un nouveau dialogue entre prescripteurs et gestionnaires de l'assurance maladie. On peut également espérer que, grâce à des mécanismes d'incitation financière, une meilleure répartition de l'offre de soins soit enfin organisée sur l'ensemble du territoire national.
Lorsque certains députés - nous n'avons pas encore entendu nos collègues sénateurs, mais ils vont peut-être se manifester tout à l'heure - dénoncent le fait que les partenaires sociaux n'auront plus aucun rôle à jouer dans ce dispositif et que tous les pouvoirs sont recentrés uniquement sur le directeur de la CNAM, nous disposons d'un nombre suffisant d'éléments pour apporter la preuve du contraire et démentir de tels propos polémiques.
L'élimination des gaspillages et des abus complète cette démarche en faveur de la qualité des soins.
L'une des carences du système de santé tient à ce que les gestionnaires de l'assurance maladie ne disposent pas d'un arsenal juridique adapté à la répression des comportements déviants, qu'ils émanent des assurés ou des professionnels.
Le projet de loi prévoit, avec les garanties nécessaires, l'instauration de pénalités financières à l'encontre de l'assuré, du professionnel ou de l'employeur à l'origine d'une dépense injustifiée. Auparavant, aucune sanction ne pouvait être appliquée par la sécurité sociale pour rendre effectives les mesures prises à l'encontre des personnes ayant des comportements déviants. Si cette disposition est adoptée - ce que je souhaite -, elle réparera cet état de fait.
Le texte précise également les conditions dans lesquelles les régimes pourront récupérer les sommes indûment versées, notamment par des retenues sur les prestations futures.
D'autres mesures visent à réduire les abus qui résultent du comportement des assurés, en renforçant le contrôle de la prise en charge des affections de longue durée et des arrêts de travail. Au vu de l'évolution de ces dépenses, ce renforcement était nécessaire.
Après avoir encouragé le développement du générique, à l'origine de 300 millions d'euros d'économies en 2003 - à terme, on table sur un milliard d'euros - le Gouvernement propose d'encourager un meilleur usage du médicament et de réduire ainsi la polymédication et la iatrogénie. L'information des praticiens et, on peut l'espérer, la mise en place d'une « charte de qualité des pratiques professionnelles » pour les visiteurs médicaux devraient permettre d'atteindre cet objectif.
Maîtriser les dépenses par la qualité des soins est un choix raisonné faisant le pari de la capacité de nos concitoyens à modifier leurs comportements. Cette voie de la responsabilisation doit nous permettre de pérenniser un système auquel nous sommes attachés, fondé sur la solidarité entre bien-portants et malades.
Ces dispositions relatives à la qualité des soins sont complémentaires du volet consacré à la nouvelle gouvernance de l'assurance maladie.
Renforcer la place des régimes dans la gestion du système d'assurance maladie requiert que l'Etat leur délègue certaines de ses compétences les plus essentielles. M. Philippe Douste-Blazy les a citées tout à l'heure, j'en rappellerai quelques-unes.
Le projet de loi prévoit ainsi d'associer étroitement les régimes à trois domaines clés du pilotage de la branche maladie : les règles de remboursement, la politique du médicament et la politique hospitalière.
Ce renforcement significatif des pouvoirs des caisses, en particulier du régime général, que vous avez détaillé, appelait une réforme des instances dirigeantes de la CNAM et notamment de son conseil administration. Il exigeait également une meilleure coordination entre les différentes caisses nationales. La création d'une Union nationale des caisses d'assurance maladie, à qui il reviendra d'exercer, au nom des régimes, une part essentielle des pouvoirs de régulation financière, participe de cet objectif.
Si le paritarisme est préservé, la nouvelle répartition des pouvoirs entre le conseil et le directeur général de ces instances doit être soulignée. Pour permettre une distinction plus claire entre les missions stratégiques et les missions opérationnelles, les fonctions du directeur général seront renforcées. Sans parler de l'introduction d'un « proconsul », comme ont pu le faire certains députés, on peut clairement affirmer que les pouvoirs désormais confiés au directeur général mettront fin aux difficultés qui résultent de l'existence d'une « polyarchie molle » entre tuteurs et gestionnaires.
La nouvelle gouvernance ne se limite pas à la répartition des compétences au niveau national, elle développe également des mesures déconcentrées, dont certaines pourraient s'avérer prometteuses.
Ainsi, la création, sur une base contractuelle, d'une mission régionale de santé invite les agences régionales d'hospitalisation et les unions régionales des caisses d'assurance maladie à renforcer leur collaboration sur trois thèmes principaux : la répartition territoriale de l'offre de soins, l'organisation de la permanence de soins - en qualité de parlementaires et d'élus locaux, nous sommes sensibles à ce problème que nous vivons sur le terrain - et la définition d'une politique commune de gestion du risque.
Cette collaboration devrait préfigurer la création de futures agences régionales de santé. Une expérimentation sur ce thème sera d'ailleurs menée dans cinq régions.
La nouvelle gouvernance, c'est aussi de nouvelles relations entre le régime obligatoire et les régimes complémentaires. Je sais la crainte qu'inspirent ces mesures à certains de nos collègues, mais voyons les choses en face : la création de la couverture maladie universelle complémentaire a démontré l'apport essentiel des couvertures complémentaires dans l'accès de tous aux soins.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. C'est le moins que l'on puisse dire !
M. Alain Vasselle, rapporteur. La démarche engagée par le Gouvernement offre les meilleures garanties aux assurés, qui bénéficieront d'un crédit d'impôts destiné à les aider à souscrire à un contrat complémentaire de qualité.
Dans le dialogue institutionnel, qu'il s'agisse de la fixation des tarifs de remboursement ou des négociations conventionnelles, les échanges seront constructifs, n'en doutons pas, et le régime obligatoire conservera les moyens de faire entendre sa décision ; il aura le dernier mot.
Enfin, la création de la Haute autorité de santé a retenu toute l'attention de la commission des affaires sociales.
Nommée par les plus hautes autorités de l'Etat, cette instance est chargée, d'une part, de l'évaluation du service rendu par les produits, actes ou prestations de santé pour guider leur inscription au remboursement, et, d'autre part, de l'élaboration et de la diffusion des guides de bonnes pratiques.
La Haute autorité de santé reprendra certaines des compétences exercées jusqu'à présent par l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé, l'AFSSAPS, pour la première partie de sa mission, et coordonnera les travaux de l'AFSSAPS et de l'Agence d'accréditation et d'évaluation en santé, l'ANAES, pour la seconde.
Ces compétences nous ont semblé bien minces, au regard notamment du mode de désignation des membres de la Haute autorité. En outre, la commission s'est clairement engagée dans la voie de la rationalisation du paysage des agences sanitaires, depuis la loi relative à la bioéthique.
Le Gouvernement nous avait alors proposé de rattacher l'Etablissement français des greffes à l'Agence de la biomédecine. Nous reprenons à notre compte cette initiative et la commission des affaires sociales propose de rattacher l'ANAES à la Haute autorité.
J'en arrive au volet financier cher à mon collègue Adrien Gouteyron. Le projet de loi pose les bases d'un assainissement durable des finances sociales.
Le plan de redressement de l'assurance maladie repose essentiellement sur le succès de la réforme et sur l'infléchissement significatif des comportements des professionnels et des assurés qui en résultera, nous l'avons dit à plusieurs reprises.
L'amélioration du système de soins attendue contribue, pour 8,7 milliards d'euros, au redressement financier de la sécurité sociale, ce qui représente tout de même 60 % de son déficit prévisionnel à l'horizon de 2007.
Une note des services du ministère des finances, qui a semblé mettre en doute le réalisme de ces prévisions, a fait beaucoup de bruit. Peut-être ces mêmes services auraient-ils préféré la mise en place d'un « plan d'économies » en bonne et due forme, destiné à combler « le trou » par des mesures de court terme ?
Cette démarche, qui, on le sait, est vouée à l'échec, n'est pas celle qui est sous-tendue par le projet de loi, et je m'en félicite. Pour autant, afin de rétablir l'équilibre des comptes de l'assurance maladie, il est nécessaire de réclamer à l'ensemble de la collectivité nationale un effort financier, comme l'a souligné il y a quelques instants M. Xavier Bertrand. Cet effort est équitablement réparti entre les usagers - hausse du forfait hospitalier et contribution d'un euro par consultation, même si, sur cet euro, nous en entendrons « des vertes et des pas mûres » -, les contribuables - augmentation de la contribution sociale généralisée, la CSG, et de la contribution sociale de solidarité des sociétés, la C3S - et l'Etat, qui versera à l'assurance maladie un milliard d'euros provenant des droits de consommation sur les tabacs qu'il détient désormais.
Cette participation témoigne d'une volonté de clarifier les relations financières entre l'Etat et la sécurité sociale, qui sera confirmée par trois autres types de mesures.
D'abord, les règles régissant l'examen des projets de lois de financement de la sécurité sociale seront prochainement revues pour assurer une meilleure coordination entre loi de finances et lois de financement. Nous attendons beaucoup de cette future loi organique, messieurs les ministres. J'espère qu'elle sera mise en chantier dès l'automne. (M. le secrétaire d'Etat acquiesce.)
Ensuite, le présent projet de loi organise la compensation, aux régimes de sécurité sociale, des pertes de recettes sociales décidées par l'Etat.
Enfin, il engage, dès 2005, la réparation du préjudice subi par la sécurité sociale au titre du fonds de financement de la réforme des cotisations patronales de sécurité sociale, le FOREC. Cela devrait rappeler quelques souvenirs émus à nos collègues socialistes et communistes ! Cette indemnisation n'est que partielle, mais elle constitue un signal fort que la commission proposera d'encourager en prévoyant un calendrier de rétrocession à la sécurité sociale des recettes qui lui étaient précédemment affectées et un partage partiel de l'amortissement de sa dette sociale entre la CADES et l'Etat.
Tout cela est le résultat de l'héritage que nous avons à gérer, dans une conjoncture particulièrement difficile où la croissance a été « mise à plat ».
M. Jean Chérioux. C'est un très lourd héritage !
M. Alain Vasselle, rapporteur. Lorsque la période était particulièrement favorable, on n'a pas su, en bon gestionnaire et en bon père de famille, mettre de l'argent de côté pour se préparer à faire face aux années de vaches maigres. (Applaudissements sur les travées de l'UMP. - M. Gilbert Chabroux s'exclame.) Eh oui ! Monsieur Chabroux, vous nous direz ce que vous en pensez tout à l'heure, mais je crois que vous aurez quelques scrupules sur le sujet !
Mme Hélène Luc. C'est un sujet grave, restons sérieux !
M. Alain Vasselle, rapporteur. Reste à traiter la question de l'endettement accumulé. C'est une des conséquences des 35 heures ! (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.) Vous élevez la voix, mais lorsque le gouvernement de M. Jospin l'a proposé, vous étiez particulièrement silencieux !
MM. Adrien Gouteyron, rapporteur pour avis et Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Très bien !
M. Alain Vasselle, rapporteur. Il est facile de protester aujourd'hui !
Le débat s'est engagé dès l'an dernier, lors de la publication du rapport d'information de la commission des affaires sociales consacré à la CADES, sur la légitimité d'une éventuelle réouverture de cette caisse, avec ou sans augmentation de la contribution au remboursement de la dette sociale, la CRDS.
Le projet de loi a choisi de prolonger la durée de vie de la CADES sans augmenter la CRDS. (Mme Marie-Claude Beaudeau s'exclame.) Il ne faut pas y voir un arbitrage opéré au détriment des générations futures, madame Beaudeau ! (Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.) Suivez nos propositions et vous serez rassurée !
Mme Nicole Borvo. C'est ce que vous dites !
M. Alain Vasselle, rapporteur. J'ai déjà évoqué l'importance de la conjoncture sur les comptes de l'assurance maladie.
Je vais conclure, car mes collègues de gauche commencent à s'impatienter ! (Exclamations sur les mêmes travées.)
M. Jean Chérioux. Il n'y a que la vérité qui blesse !
M. Alain Vasselle, rapporteur. En conclusion, je soulignerai simplement que le projet de loi a déjà pour objet de peser sur la CSG afin de permettre le rétablissement des comptes de l'assurance maladie. Par conséquent, il n'aurait pas été heureux, à mon sens, d'y ajouter une augmentation de la CRDS dans une période où la reprise économique est tout de même assez timide, car cela n'aurait pu qu'avoir un effet négatif sur le pouvoir d'achat de nos concitoyens à cause des effets récessifs et creuser malheureusement à nouveau les déficits sociaux.
M. Adrien Gouteyron, rapporteur pour avis. Très bien !
M. Alain Vasselle, rapporteur. Telles sont, mes chers collègues, les principales observations que j'ai été chargé de formuler, au nom de la commission des affaires sociales, sur ce projet de loi relatif à l'assurance maladie, que je vous demande d'adopter, sous réserve des amendements qui vous seront proposés. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Adrien Gouteyron, rapporteur pour avis de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Après les excellentes présentations qui viennent d'être faites tant par M. le ministre que par M. le secrétaire d'Etat et par M. le rapporteur de la commission des affaires sociales, vous comprendrez que je ne souhaite pas répéter leurs propos.
Je me bornerai, pour ma part, à poser quelques questions, à faire quelques remarques, voire parfois à exprimer quelques craintes, mais c'est le rôle normal du rapporteur, comme c'est l'intérêt du débat parlementaire.
Voilà donc une réforme dont personne ne conteste la nécessité,...
M. Gilbert Chabroux. C'est vrai !
M. Adrien Gouteyron, rapporteur pour avis. ... une réforme qui, cela a été dit, loin de se borner à des mesures comptables, vise à créer - je reprends la formulation employée par M. le ministre et par M. le secrétaire d'Etat - les conditions d'un changement de comportement. Or il est bien évident que cela ne marchera que si l'on enclenche ce changement. Tel est le but de la réforme.
J'insisterai d'abord sur quelques points essentiels du projet de loi en revenant sans doute sur ce qui a été dit, mais en des termes différents.
Je souhaite, à mon tour, évoquer l'instauration et la généralisation, à l'horizon 2007, du dossier médical personnel.
Ce nouveau dispositif ne peut être efficace qu'à un certain nombre de conditions qui ont été mentionnées tout à l'heure et sur lesquelles je ne m'appesantirai pas. Je me contenterai de les rappeler.
Il s'agit d'abord, bien entendu, du respect de la confidentialité - car, pour que les gens aient confiance, il faut qu'ils sachent que les informations contenues dans le dossier resteront confidentielles - et de l'affirmation du rôle du médecin traitant, qui est essentiel dans la mise en place dudit dossier. A cet égard, j'ai bien relevé la phrase retenue par l'Assemblée nationale, qui me paraît pesée au trébuchet de la prudence, visant à confier au médecin traitant une mission définie en ces termes: « Il participe à la mise en place et à la gestion du dossier médical personnel ».
Parallèlement à cette confidentialité, permettez-moi d'insister sur une autre condition dont il a été question au cours des débats ou dans la presse, mais que je tiens à rappeler ici, je veux parler de la lisibilité du dossier. En effet, si ce dernier est un fourre-tout dans lequel le médecin a du mal à s'y retrouver, il est évident qu'il n'aura pas l'effet escompté. Monsieur le ministre, sans doute pourrez-vous nous dire quelles dispositions seront prises dans ce domaine, car beaucoup de choses en dépendent.
Toujours à propos du dossier, je souhaiterais revenir sur le calendrier. M. le rapporteur de la commission saisie au fond a justement dit que ce dernier était ambitieux. Vous avez donc choisi d'être ambitieux, monsieur le ministre, mais vous n'ignorez pas que la tâche sera rude, compte tenu d'un certain nombre de difficultés. Ainsi, si l'on considère les expériences menées à l'étranger, que ce soit au Royaume-Uni ou aux Etats-Unis, l'on constate que la mise en place du dossier a pris un certain temps, pour ne pas dire un temps certain, ce qui conduit évidemment à se poser des questions. Cela étant, monsieur le ministre, je suis persuadé que vous avez défini cet objectif en toute connaissance de cause.
Je dirai quelques mots du coût de la mise en place de cette mesure.
A l'Assemblée nationale, vous avez avancé le chiffre de 5 à 7 euros par dossier. Le président de la CNAM, que j'ai reçu, évoquait, lui, un chiffre un peu plus élevé. Quant à certaines sociétés que j'ai consultées, elles annonçaient un chiffre assez nettement supérieur. Dès lors, monsieur le ministre, vous comprendrez que le représentant de la commission des finances que je suis souhaite, en cet instant, vous entendre à ce sujet. Voilà pour le premier point.
Le deuxième point, c'est le médecin traitant.
J'en ai un peu parlé à propos du dossier, et je ne répéterai pas ce que j'ai dit. Je reviendrai en revanche sur le fait que l'obligation de consulter le médecin traitant avant de s'adresser à un spécialiste devrait s'appliquer à toutes les spécialités, sauf trois - vous n'en avez mentionné que deux tout à l'heure, monsieur le ministre, mais à l'Assemblée nationale, vous en avez bien cité trois - à savoir l'ophtalmologie, la pédiatrie et la gynécologie.
Bien évidemment, j'adhère à cette disposition, car c'est le bon sens même, mais permettez-moi de faire une remarque à ce sujet. : ne pensez-vous pas qu'il conviendra d'être vigilant quant à la fixation des conditions d'accès direct à certains spécialistes afin d'éviter toute forme de dérapage ? En effet, il ne faut pas permettre des contournements et des exceptions trop nombreux.
Par ailleurs, je souhaiterais vous poser une question et vous demander des précisions sur ce que je suis tenté d'appeler, n'y voyez pas malice, une espèce de double pénalisation pour le patient. (Marques d'approbation sur les travées du groupe CRC.)
Mes chers collègues, nous sommes là pour demander des explications, et non pas pour approuver tout d'un bloc. La démocratie parlementaire, c'est aussi cela. Pour ce qui nous concerne, nous la majorité, nous n'avons pas l'habitude de tout accepter sans réfléchir ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
Pourquoi, monsieur le ministre, parler de double pénalisation ?
D'une part, il est prévu que le patient, s'il ne passe pas par le médecin traitant, verra sa prise en charge être inférieure à celle du patient qui acceptera que son dossier soit consulté.
D'autre part, le projet de loi prévoit des dépassements d'honoraires. Il y a donc bien là une seconde pénalisation - je ne dis pas que je critique, je cherche à comprendre - et je souhaite, monsieur le ministre, que vous nous apportiez des précisions sur ce point.
J'en viens à un troisième sujet dont il a également été question tout à l'heure : l'instauration d'une aide à l'acquisition d'une protection complémentaire, qui a fait l'objet d'un amendement introduit par le Gouvernement à l'Assemblée nationale. Il me semble effectivement que ce dispositif un peu complexe, disons-le, était nécessaire. Cela dit, monsieur le ministre, il ne fait pas disparaître une des critiques que nous avions émises lors de l'instauration de la CMU, je veux parler de l'effet de seuil. Il y a là pour le moins un sujet de réflexion.
Je dirai quelques mots de la gouvernance du système de soins. Alain Vasselle en a parlé savamment tout à l'heure avec beaucoup de précision, ce qui m'évitera d'insister.
La création de la Haute autorité de santé représente évidemment le noyau du dispositif. Quant à la réforme des instances dirigeantes de l'assurance maladie et au profond remaniement de l'organisation de l'assurance maladie - création de l'UNCAM, Union nationale des caisses d'assurance maladie, création de l'Union des caisses complémentaires et création, par l'Assemblée nationale, de l'Union des professions de santé - c'est intéressant : il y a là un solide trépied sur lequel peut reposer un véritable équilibre grâce au dialogue et à la concertation.
Vous avez évoqué la nécessaire coordination à l'échelon régional, je n'y reviens pas. J'adhère à ce que vous avez déclaré sur ce point, messieurs les ministres.
Qu'il me soit toutefois permis de dire que si l'effort de simplification pour assurer un pilotage plus efficace et un dispositif plus lisible est réel, il existe tout de même encore un foisonnement de commissions, d'organismes dans lesquels le commun des mortels peut avoir quelque peine à se retrouver !
Mme Hélène Luc et M. François Autain. C'est vrai !
M. Adrien Gouteyron, rapporteur pour avis. C'est pour moi l'occasion de rappeler, puisque j'ai cité la Haute autorité, monsieur le rapporteur de la commission saisie au fond, que, depuis que je suis en charge de ce dossier, au nom de la commission des finances, je suis de ceux qui ont toujours insisté sur le risque de chevauchement des responsabilités et des compétences des différentes agences. La création de la Haute autorité est peut-être l'occasion de clarifier les choses.
Quoi qu'il en soit, je tiens à dire que, même si la commission des finances n'a pas délibéré sur ce point, à titre personnel, je suis favorable à la proposition que semble vouloir faire M. le rapporteur- je dis bien « semble », car je n'ai pas d'informations précises sur ce point...
M. Alain Vasselle, rapporteur. Cela figure dans le rapport !
M. Adrien Gouteyron, rapporteur pour avis. A titre personnel, donc, je suis favorable à cette mesure.
M. Nicolas About, président de la commission de la commission des affaires sociales. Très bien !
M. Adrien Gouteyron, rapporteur pour avis. Vous permettrez, enfin, au rapporteur pour avis de la commission des finances d'évoquer ici l'équilibre financier général du projet de loi.
Il faut souligner - nous l'avons tous dit - que cet équilibre est subordonné au changement de comportement des différents acteurs du système. Mais cela veut dire, messieurs les ministres, que votre projet de loi et l'évaluation que vous faites reposent sur une politique volontariste. Or c'est bien le rôle d'une politique que d'affirmer une volonté précisément politique et l'on ne peut donc vous le reprocher !
Le redressement contenu dans votre plan - qui, je le souligne, ne comprend pas que des mesures ayant une traduction législative - s'élève à 15 milliards d'euros : 9,8 milliards d'euros provenant des actions menées sur l'offre de soins ; 1 milliard d'euros résultant de la participation des usagers et 4,2 milliards d'euros résultant de l'accroissement des recettes.
Je m'arrête un instant pour évoquer une recette en particulier, car on a un peu daubé, à propos de la C3S, sur la contribution additionnelle de 0,03 %. A l'Assemblée nationale certains ont même jugé ce 0,03 % ridicule, minime, infime, pour ne pas dire blâmable.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Cela dépend de l'assiette !
M. Adrien Gouteyron, rapporteur pour avis. Mais on oublie toujours de citer le produit dont l'estimation n'est tout de même pas négligeable. Vous avez parlé tout à l'heure de 780 millions d'euros et, si j'ai bonne mémoire, il m'est arrivé de lire des estimations supérieures. Il s'agit donc tout de même d'une contribution non négligeable des entreprises, je tenais à le souligner.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Cela ne les met pas sur la paille, tout de même !
M. Adrien Gouteyron, rapporteur pour avis. Peut-être, madame Beaudeau, mais il faut tout de même le dire !
Toutefois, même en supposant que les objectifs se réalisent, des évaluations ont été faites par un autre ministère prévoyant un déficit tendanciel de l'assurance maladie évalué à 23 milliards d'euros en 2007.
D'autres estimations font apparaître un déficit de l'ordre de 20 milliards. Il y a donc un écart entre les mesures qui découlent du projet de loi, que ce soit des mesures d'économie ou des recettes nouvelles, et ce déficit. Toutefois les effets de mouvement que vous souhaitez créer trouvent, là aussi, leur place. En évoquant tout à l'heure le volontarisme politique, je pensais également à cet aspect.
Enfin, je ne peux conclure sans dire quelques mots de la Caisse d'amortissement de la dette sociale, la CADES. Je n'ai rien à ajouter aux excellents propos d'Alain Vasselle. Cependant, pour nous fixer les idées, je voudrais simplement rappeler un certain nombre de points.
Des charges nouvelles vont être transférées à la CADES, 35 milliards pour les dettes cumulées et 15 milliards pour les deux années à venir, soit 50 milliards qui s'ajouteront aux 34 milliards que la CADES doit actuellement gérer.
La charge des intérêts de la dette actuellement gérée par la CADES s'élève à 1,5 milliard. Or quelle sera la charge des intérêts après le transfert des dettes nouvelles ? Des estimations ont fait état de 2,5 milliards à 3 milliards. Je vous rappelle que le produit de la CRDS est actuellement de 4,7 milliards ; il atteindra sans doute assez vite 5 milliards. Toutefois les deux chiffres montrent clairement quelles sont les limites à ne pas dépasser !
Ces remarques étant formulées, je tiens à dire, du haut de cette tribune, au nom de la commission des finances, que si la solution adoptée par le Gouvernement n'est pas absolument et totalement satisfaisante, si elle peut être sujette à critiques, en l'état actuel des choses - et la politique est aussi l'art des réalités -, elle est la moins mauvaise possible. Je ne puis donc, messieurs les ministres, que l'approuver.
Monsieur le secrétaire d'Etat, vous avez dit tout à l'heure que seize plans de redressement s'étaient succédé depuis 1977. Je formulerai un souhait ou plutôt j'exprimerai une conviction : ce ne sera, cela ne doit pas être le énième plan de redressement...
M. François Autain. Ce ne sera pas le dernier !
M. Adrien Gouteyron, rapporteur pour avis. Il faut que ce soit le dernier, sinon il s'agirait de notre échec à tous, le vôtre, messieurs les ministres, le nôtre, sénateurs de la majorité, mais aussi le vôtre mesdames et messieurs de l'opposition. Ce serait l'échec de la France ! (Protestations sur les travées du groupe socialiste et du group CRC.) Il faut souhaiter que ce plan-là, parce qu'il touche au fond du problème et parce qu'il vise à modifier les comportements, soit l'enclenchement d'une nouvelle attitude, d'un nouveau mode de rapports entre les Français et leur assurance maladie.
Forte de cette conviction, la majorité de la commission des finances, moyennant quelques amendements que je vous proposerai en son nom, a approuvé le projet de loi. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe Union pour un mouvement populaire, 133 minutes
Groupe socialiste, 73 minutes
Groupe de l'Union centriste, 33 minutes
Groupe communiste républicain et citoyen, 28 minutes
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 23 minutes
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Gilbert Barbier.
M. Gilbert Barbier. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, après de très longs débats à l'Assemblée nationale, le projet de loi réformant l'assurance maladie arrive devant notre assemblée.
Au cours des semaines passées, j'ai pu, certainement comme beaucoup d'entre nous, écouter nos concitoyens s'exprimer sur ce texte. J'ai le sentiment que cette réforme est considérée comme nécessaire, et est acceptée dans ses grands axes en dépit de certaines dispositions, certes difficiles et peut-être impopulaires.
Aujourd'hui, tous les membres de la collectivité nationale, quel que soit leur état de santé, leur âge ou leur revenu, ont accès aux soins essentiels, avec un bon niveau de prise en charge.
Même si demeurent certains taux élevés de mortalité évitable et de préoccupantes inégalités entre catégories socioprofessionnelles ou entre régions, l'état de santé général des Français s'est amélioré, et ce grâce à l'assurance maladie qui joue donc une importante fonction de cohésion sociale au-delà de son rôle purement sanitaire. C'est l'un de nos biens les plus précieux qu'il importe de conserver.
Cependant - comme cela vient d'être dit à plusieurs reprises - le bilan financier de l'assurance maladie est aujourd'hui particulièrement alarmant. De 6,1 milliards d'euros en 2002, ce qui est familièrement appelé « le trou de la sécurité sociale » devrait atteindre 12,9 milliards - comme vous l'avez annoncé, monsieur le ministre - en 2004, soit le double du déficit constaté en 1995 qui avait conduit au plan de redressement décidé par le gouvernement d'Alain Juppé.
Cette situation résulte de plusieurs facteurs convergents qui ont été parfaitement analysés : baisse du nombre d'actifs due au fléchissement de la croissance, allongement de la durée de la vie, innovations technologiques, développement des maladies chroniques. Plus prosaïquement, je dirais qu'elle est surtout due aux dérives d'un système qui dépense sans compter.
La généralisation progressive du tiers payant et la prise en charge quasi complète constituent, notamment pour les ménages modestes, des avancées incontestables.
Toutefois, aucun obstacle ne se dresse face aux comportements abusifs, négligents, voire laxistes, de consommation et de prescription.
Certains patients usent d'ailleurs sans modération des bienfaits du système, consultant indifféremment généraliste ou spécialiste, hôpital public ou privé, multipliant les consultations et les examens, adoptant par ailleurs des comportements à risque, tels que la consommation d'alcool, de tabac ou la vitesse au volant, avec l'illusion que la médecine pourra réparer tous les dégâts à moindre coût.
La surconsommation des médicaments, étonnamment des psychotropes, est un autre exemple de l'évolution des objectifs de santé vers la sphère du bien-être. Les chiffres disponibles semblent indiquer que, aujourd'hui, environ 10% de la population française serait dépressive, ce qu'aucune observation sociologique ne permet de confirmer. La réalité est que les psychotropes sont en majorité prescrits à des personnes jouissant d'un état de santé satisfaisant, mais qui les consomment pour être, prétendument, en meilleure forme.
Il est aussi curieux sinon étrange de constater que, dans l'un des pays occidentaux où la durée de travail est la plus faible, l'absentéisme pour maladie connaît des taux à deux chiffres qui ne sont pas justifiés par un état de santé de la population plus mauvais qu'ailleurs.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. C'est paradoxal !
M. Gilbert Barbier. Tout le monde sait, et la CNAM en premier lieu, que certains prescripteurs délivrent facilement des arrêts de travail de complaisance...
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Encore une exception française !
M. Gilbert Barbier..., que certaines entreprises utilisent le régime d'indemnités journalières pour mettre en préretraite des salariés âgés, que des salariés plus jeunes y ont parfois recours à leur tour pour convenance personnelle ou familiale.
Chacun sait aussi qu'un certain nombre de transports sanitaires, par exemple, relèvent davantage du confort que de la nécessité.
L'assurance maladie ne peut plus, ne doit plus, cautionner ces dévoiements.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Voire ces anomalies de procédure !
M. Gilbert Barbier. Toutefois, il est difficile de s'attaquer à ces problèmes sans être taxé soit de vouloir stigmatiser l'ensemble des professions de santé, soit de porter atteinte au droit à la santé et au libre choix des usagers.
Ce qui est en cause, en réalité, c'est la structure même de l'offre et le pilotage du système. Dilution des responsabilités entre l'Etat et les partenaires sociaux, défaut de coordination entre soins de ville et établissements d'hospitalisation, caractère dispendieux de la gestion interne de l'hôpital, manque de suivi de la formation médicale continue, insuffisance de la prévention - ce domaine n'a pas été longuement évoqué au cours des interventions -, caractère lacunaire de l'évaluation des pratiques, la liste des maux dont souffre notre système de soins est longue. Elle a surtout un coût, qui selon certains peut être évalué à 15 ou 20% des dépenses !
II est donc urgent de réformer.
Vous nous proposez aujourd'hui une réforme, messieurs les ministres, et avant d'aborder son contenu, je voudrais saluer le courage dont a fait preuve le Gouvernement en s'y attelant. Je voudrais aussi rendre hommage au travail accompli par votre prédécesseur et par vous-même.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. C'est vrai !
M. Gilbert Barbier. L'architecture de votre projet de loi indique une hiérarchisation des objectifs que vous venez de rappeler.
Il s'agit tout d'abord de soigner mieux en dépensant mieux, et ensuite d'engendrer de nouvelles recettes. Je me félicite de ce choix. Certains auraient souhaité que le volet recettes soit prioritaire, voire unique dans cette réforme. Une hausse des prélèvements obligatoires peut certes cacher les failles du système, mais pour combien de temps ?
De nombreuses mesures visent à une meilleure coordination des soins, à une plus grande responsabilisation des acteurs et à un meilleur pilotage du système de santé.
L'outil le plus efficace - qui vient d'être évoqué longuement - est le dossier médical personnel. Je suis convaincu que chacun des partenaires gagnera à sa mise en place, en particulier l'assurance maladie qui n'aura plus à rembourser des soins redondants. Encore faudra-t-il s'assurer que tous les médecins soient équipés des outils de télétransmission adéquats et entourer ce dossier de toutes les garanties nécessaires en termes de convivialité.
À ce sujet, la confidentialité vis-à-vis des tiers importe certes, mais il ne faudrait pas oublier la question de la prise de conscience par le patient de son propre dossier, ce qui n'est pas simple à gérer. Quels sont les patients qui sont aptes à recevoir du jour au lendemain les informations contenues dans leur dossier médical ?
Le recours à un médecin référant comme porte d'entrée dans le système de soins est également souhaitable. Mais il faudra faire preuve de souplesse dans la mise en oeuvre de ce nouveau dispositif afin d'éviter des situations contraires à l'intérêt de l'assuré, comme vient de l'évoquer notre collègue M. Gouteyron.
Sanctionner l'accès direct à un spécialiste peut aboutir dans certains cas à rembourser deux consultations au lieu d'une.
Je me demande si plutôt que d'énumérer dans la loi la liste des dérogations exceptionnelles à cette règle, il ne serait pas préférable que cela relève du pouvoir réglementaire, après examen de tous les cas spécifiques et consultation approfondie des parties intéressées.
Je serai plus critique quant aux mesures visant à renforcer les liens entre la ville et l'hôpital. Ce point est essentiel à la cohérence des soins.
En premier lieu, le projet de loi ne traite pas de l'hôpital, qui pèse pourtant pour 50 % dans les dépenses de l'assurance maladie. Là résident probablement des marges d'économies ! Le plan « Hôpital 2007 » me semble insuffisant pour aboutir à des économies substantielles.
En deuxième lieu, il ne prévoit qu'un rapprochement entre les ARH et les URCAM. Je crois qu'il faudrait aller plus loin en créant des agences régionales de santé, associant l'ambulatoire, l'hôpital et même la prévention voire le secteur médico-social. Il semble que nous soyons nombreux à être favorables à un pilotage unique à l'échelon régional.
Cela ne remettrait aucunement en cause la gouvernance proposée à l'échelon national. Sur ce dernier point, d'ailleurs, quelques interrogations peuvent être formulées.
Monsieur le ministre, vous tentez de remettre en selle un paritarisme rénové, mais les partenaires sociaux ont-ils seuls la légitimité pour gérer la santé ? Celle-ci, s'étendant de la naissance à la mort, est aujourd'hui souvent sans lien direct avec le travail. Peut-être aurait-il fallu étendre le paritarisme, notamment aux usagers. De surcroît, le paritarisme est cantonné dans un comité d'orientation aux pouvoirs imprécis. Enfin, en concentrant le vrai pouvoir entre les mains d'un directeur général tout puissant, nommé par l'Etat, ne renforcez-vous pas une étatisation déjà très rampante dont vous déclarez pourtant ne pas vouloir ?
La proposition de créer une Haute autorité de santé, structure indépendante chargée de procéder à l'évaluation périodique du service médical rendu par les pratiques médicales et les produits de santé, est très bonne et recueille mon complet assentiment.
Le système de financement s'épuiserait en effet à vouloir couvrir, sans aucun tri, tout ce que les industries et les professions de santé peuvent offrir. Les travaux de cette Haute autorité seront-ils opposables dans la définition du périmètre remboursable ?
D'autres mesures vont dans le bons sens : c'est le cas du contrôle renforcé des arrêts de travail, contrôle assorti de sanctions, et de l'euro de responsabilité. Concernant ce dernier point, il me paraît toutefois indispensable d'inclure aussi les consultations externes des hôpitaux, comme l'a souhaité l'Assemblée nationale.
Monsieur le ministre, il n'est pas possible, à l'occasion de ce projet de loi, de ne pas évoquer une nouvelle fois la situation très délicate de certaines spécialités médicales et, en particulier, de la chirurgie. Dans notre pays, combien de temps encore devrons-nous compter sur l'« importation » de praticiens de certains pays, dont, pourtant, la population locale aurait bien besoin ? Où est le temps où, au contraire, la médecine française rayonnait à travers le monde, notamment francophone ? Il s'agit là d'un véritable problème, j'en conviens, qu'il serait bon d'aborder.
Pour conclure, je dirai que ce projet de loi n'apporte pas de solutions miracles, et je citerai Saint-Exupéry : « Dans la vie, il n'y a pas de solutions. Il y a des forces en marche : il faut les créer, et les solutions suivent. »
Au-delà des mesures intéressantes et assurément nécessaires qu'elle prévoit, le plus grand mérite de cette réforme est justement de créer ces forces en marche en appelant à une mobilisation et à une responsabilisation de tous, Etat, institutions, professionnels de santé et usagers.
Quoi qu'il en soit, l'efficacité de ces mesures dépendra fortement de la fermeté avec laquelle elles seront mises en oeuvre et du civisme de nos concitoyens. La majorité du groupe du RDSE vous soutiendra, monsieur le ministre, parce qu'elle se veut confiante dans le réalisme de nos compatriotes. (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'Union centriste et de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Gilbert Chabroux.
M. Gilbert Chabroux. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, au Sénat, les étés se suivent et se ressemblent. (M. le président de la commission des affaires sociales s'exclame.) L'an dernier, au mois de juillet, nous débattions du dossier des retraites.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Au Sénat, on travaille ! Ce ne sont pas les 35 heures !
M. Gilbert Chabroux. La gauche dénonçait une réforme injuste, non financée, ouvrant la porte à la privatisation.
M. Claude Domeizel. Elle avait raison !
M. Gilbert Chabroux. Cette réforme est injuste, car l'effort repose à plus de 90 % sur les salariés ; elle est encore plus injuste pour les femmes, qui ne peuvent pas mener une carrière complète et qui sont lourdement pénalisées.
Cette réforme n'est pas financée : le Conseil d'orientation des retraites vient de rappeler, dans son rapport remis le 4 juin au Premier ministre, que ses dispositions ne couvrent que la moitié des besoins d'ici à 2020.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Vous financerez l'autre moitié !
M. Jean Chérioux. Si vous vous étiez préoccupés de l'autre moitié, ce serait complet !
M. Gilbert Chabroux. Ce sera à refaire !
Nous dénoncions aussi, avec la création de fonds de pension dans le cadre du plan d'épargne retraite populaire, le PERP, la privatisation partielle du système.
Ce sera également à refaire !
Aujourd'hui, nous abordons le dossier de l'assurance maladie...
M. Alain Vasselle, rapporteur. Enfin !
M. Gilbert Chabroux. ... et nous ne pouvons que constater bien des similitudes entre les deux projets.
M. Jean Chérioux. Dans les deux cas, vous n'avez rien fait avant !
M. Gilbert Chabroux. Ce sont donc les mêmes critiques que l'opposition sera amenée à présenter. Les deux réformes sont coulées dans le même moule, elles procèdent de la même idéologie.
M. Alain Vasselle, rapporteur. Vous pouvez conclure ! On connaît le discours !
M. Gilbert Chabroux. Nous sommes, mes chers collègues, placés devant un choix déterminant pour l'avenir : quelle société voulons-nous laisser à nos enfants ? Une société sur le modèle libéral, qui réduit la protection sociale à un minimum, laissant ensuite chacun contribuer à hauteur de ses moyens, ou une société dans laquelle la solidarité nationale doit garantir à tous une retraite digne et un égal accès à la santé ?
Vous faites, à droite, le choix du libéralisme ; nous faisons, à gauche, celui de la solidarité. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. Alain Vasselle, rapporteur. Je croyais que c'était de l'étatisme !
M. Gilbert Chabroux. Le point de départ de votre réforme, monsieur le ministre, est le déficit, le « trou » de l'assurance maladie. Et vous y revenez constamment. C'est, pour vous, l'alpha et l'oméga. Personne ne peut ignorer maintenant que le déficit se creuse de 23 000 euros par minute. Vous pourrez calculer ce que cela fait par seconde.
M. Alain Vasselle, rapporteur. Vous ne l'avez pas fait ?
M. Gilbert Chabroux. La catastrophe est imminente, mais vous n'analysez pas les causes de ce déséquilibre qui est, au demeurant, préoccupant. Ce déficit serait dû à nos comportements ; nous serions responsables et coupables, comme si nous consommions des soins par plaisir. Certes, les abus existent, mais pas à ce point !
M. Alain Vasselle, rapporteur. Tout de même !
M. Gilbert Chabroux. Vous n'avez même pas pensé que le déficit pourrait être largement dû à une insuffisance des cotisations versées par les entreprises et aussi, hélas ! au chômage.
La comparaison avec la législature précédente, de 1997 à 2001, est pourtant édifiante. Il est vrai que la conjoncture économique était favorable - vous ne cessez de le rappeler -, mais la croissance a permis de créer deux millions d'emplois ; le nombre de chômeurs a été réduit de près d'un million ; les comptes de la sécurité sociale ont retrouvé l'équilibre ; le déficit de l'assurance maladie n'a guère dépassé, monsieur Vasselle, un à deux milliards d'euros par an pendant toute cette période.
M. Alain Vasselle, rapporteur. Mais il y avait un déficit !
M. Gilbert Chabroux. Faites aussi bien et nous n'aurons pas ce débat !
On ne peut pas ne pas se poser la question : que fait le Gouvernement pour l'emploi ?
M. Paul Blanc Vous oubliez les 35 heures !
M. Gilbert Chabroux. Lutte-t-il contre le chômage ? Qu'ont fait les gouvernements Raffarin I et Raffarin II ? Nous attendons toujours la grande loi de mobilisation pour l'emploi annoncée par le Président de la République.
M. Alain Vasselle, rapporteur. Ça vient !
M. Gilbert Chabroux. Les promesses n'engagent que ceux qui les écoutent !
En attendant, les entreprises bénéficient de près de 20 milliards d'euros d'exonérations ou d'allégements de cotisations sociales sans contrepartie en termes de création d'emplois ou d'augmentation des salaires. C'est le contribuable qui paye à hauteur de 36 000 euros par minute - combien cela fait-il par seconde ? - et une partie de ces exonérations, à peu près 10 %, ne fait même pas l'objet d'une compensation de l'Etat à la sécurité sociale.
Quand on évoque le déficit de la sécurité sociale, il faut avoir bien à l'esprit qu'un point d'augmentation de la masse salariale, c'est 1,5 milliard d'euros de recettes supplémentaires ; 100 000 emplois créés, c'est aussi 1,5 milliard d'euros. Ce sont des leviers importants, sur lesquels il faudrait agir.
Or vous avez cassé tous les outils de la lutte contre le chômage qui avaient été mis en place par le gouvernement de Lionel Jospin.
M. Paul Blanc. N'importe quoi !
M. Gilbert Chabroux. C'est le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin qui a creusé le « trou » de la sécurité sociale en laissant filer les déficits.
M. Claude Domeizel. Eh oui !
M. Gilbert Chabroux. Ce « trou » est devenu « abyssal ». Je ne sais pas si ce terme a été employé par cynisme ou par inconscience. Mais toujours est-il qu'il fait peur et que, pour certains, c'était sans doute le but recherché.
Mes chers collègues, quand on cherche des responsables et des coupables, il faut d'abord regarder du côté du Gouvernement et de la majorité qui l'a soutenu.
Vous avez manifestement bien préparé l'opinion à votre réforme. La communication, en particulier, a fonctionné à plein rendement, et vous n'avez pas lésiné sur les dépenses de publicité, avec des pages entières achetées, ces derniers jours encore, dans les journaux.
Mme Michelle Demessine. Avec nos sous !
M. Gilbert Chabroux. Vous assurez, comme vous dites, le « service après-vote », alors que la loi n'est pas encore votée ! Mais vous savez anticiper et communiquer.
Il faut aussi mettre en cause les entreprises ou, plus exactement, le taux des cotisations sociales qu'elles versent sur les salaires. Il y a vingt ans, le montant des salaires et des cotisations sociales représentait près de 80 % du PIB. Aujourd'hui, cette part est inférieure à 70 %. Ainsi, durant cette période, l'augmentation de la productivité a permis une croissance considérable des profits, notamment financiers, au détriment des salaires et des cotisations sociales.
Ce différentiel de 10 % représente à peu près 150 milliards d'euros, ce qui est bien supérieur à tous les déficits passés, présents et futurs de la sécurité sociale. Des marges de manoeuvre importantes existent ; il suffirait de faire bouger un peu le curseur par une politique solidaire.
On ne peut pas ne pas s'interroger lorsque l'on apprend que les entreprises du CAC 40, pour ne parler que d'elles, ont réalisé en 2003 un bénéfice de 37 milliards d'euros. A combien s'élève, au juste, le trou de la sécurité sociale ?
M. Alain Vasselle, rapporteur. Les entreprises ont aussi payé leur part !
M. Gilbert Chabroux. Et l'on apprend par une étude récente de l'INSEE que les exonérations supplémentaires de charges, décidées par la loi Fillon, se traduisent de fait par une diminution, en 2004, du taux de cotisation des entreprises de 0,3 point et qu'il en sera de même en 2005 ! On ne peut pas continuer ainsi, il faut revoir le calcul des cotisations sociales.
Nous proposons de substituer aux cotisations perçues sur les salaires une cotisation assise sur la richesse produite, modulée en fonction de l'engagement des entreprises pour l'emploi. D'ores et déjà, il est possible de doubler la contribution sociale sur les bénéfices et de l'affecter en totalité à l'assurance maladie.
Etant donné que vous ne voulez pas dégager des moyens de financement supplémentaires en mettant à contribution les entreprises autrement que par une cotisation modique - il s'agit d'une augmentation de 0,03 % de la contribution sociale de solidarité, qui rapportera 780 millions d'euros -, il ne vous reste plus qu'à organiser des réductions, des restrictions, des régressions dans l'accès aux soins et à faire porter l'effort sur les patients et les assurés sociaux, avec la création d'une franchise d'un euro par consultation, l'augmentation du forfait hospitalier, l'élargissement de l'assiette de la CSG des actifs, le relèvement du taux de la CSG des retraités non imposables et bien d'autres dispositions encore.
Ce qui frappe dans votre plan, c'est qu'il est injuste et contraignant, et même coercitif, lorsqu'il s'agit des patients et des assurés sociaux, alors qu'il est peu exigeant, et même bienveillant, pour les entreprises et les professions de santé. Le patient paiera plus cher et sera moins remboursé s'il ne respecte pas des protocoles très stricts. Ainsi, les spécialistes se voient offrir sur un plateau la liberté tarifaire à laquelle ils aspirent. Si l'on reprend votre logique, cela revient à mieux rémunérer un acte quand il est effectué dans de mauvaises conditions. Le spécialiste touchera plus d'argent si le patient a un mauvais comportement, c'est-à-dire s'il ne voit pas d'abord un généraliste. C'est profondément immoral !
De telles dispositions discréditent votre texte. Vous allez instituer une médecine à deux vitesses et vous ouvrez la porte à la privatisation, car les assureurs privés vont s'engouffrer dans la brèche.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. C'est abusif !
M. Gilbert Chabroux. C'est un signe qui ne trompe pas, ils affichent déjà leur satisfaction ! Ils attendent que vous glissiez progressivement vers un système à l'américaine : les dépenses de santé y atteignent, certes, un niveau élevé, puisqu'elles représentent 14 % du PIB, mais, pour la moitié d'entre elles, ce sont des dépenses privées. Peut-être convient-il aussi de rappeler qu'aux Etats-Unis 43 millions d'habitants n'ont aucune couverture santé et que la moitié de la population n'a pas accès à des soins convenables ! Est-ce ce système que vous voulez mettre en place ?
D'autres mesures, dans votre plan, renforcent encore le contrôle exercé sur les patients, qui sont considérés comme autant de fraudeurs potentiels. Je pense au protocole de soins pour les affections de longue durée ; à l'obligation pour le malade d'autoriser l'accès du professionnel de santé à son dossier médical, obligation dont le respect conditionne le niveau de prise en charge ; au contrôle accru des congés maladie, y compris de courte durée, alors que la question des conditions de travail et de la pénibilité des métiers n'est pas traitée. Elle devait l'être, paraît-il ! Nous attendons toujours...
En diminuant les indemnités journalières, vous choisissez d'ignorer la souffrance au travail, pourtant de plus en plus présente, notamment chez les travailleurs de plus de cinquante ans. Au lieu de vous attaquer au vrai problème que constitue la recrudescence des maladies professionnelles, vous pénalisez les patients. Pire encore, vous vous apprêtez à brader la branche accidents du travail et maladies professionnelles au MEDEF, renonçant par là même à la mise en place d'une réelle politique de santé au travail.
Nous déplorons, monsieur le secrétaire d'Etat, que vous ne réorientiez pas le système de santé vers la prévention.
M. François Marc. Il n'écoute pas !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Et le ministre est parti !
M. Gilbert Chabroux. II faut mettre la santé publique et la prévention au coeur de la politique de santé. Votre texte souffre d'une grave lacune et d'un manque de clairvoyance ; nous sommes particulièrement affligés car vous n'y faites aucune place au développement de la santé scolaire.
Puisque votre leitmotiv est de changer les comportements, une éducation à la santé bien conduite devrait amener à se poser, entre autres, la question de la part que représentent les médicaments dans les dépenses de santé. Cette part ne cesse de s'accroître, elle dépasse maintenant 20 % en ne considérant que les soins couverts par l'assurance-maladie, assurance obligatoire, assurance complémentaire et complément individuel compris. Elle représente 30 milliards d'euros, ce qui est considérable ! Mais peut-être pensez-vous que cela ne vaut pas la peine de s'y intéresser ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. Jean-Pierre Sueur. Le ministre n'est même pas là pour écouter le premier orateur de la gauche et M. le secrétaire d'Etat bavarde !
M. Gilbert Chabroux. Monsieur le secrétaire d'Etat, la surconsommation médicamenteuse caractérise notre pays,...
M. Jean Chérioux. C'est le syndrome du Larousse médical !
M. Gilbert Chabroux. ... la quantité de médicaments prescrits ne cesse de croître et le prix moyen de chacun d'eux augmente sans cesse. Vous êtes d'accord ?
M. Gilbert Chabroux. Vous démentirez !
Les médicaments sont, en France, les plus chers du monde, après les Etats-Unis.
M. Gilbert Chabroux. Vous n'êtes pas d'accord ? Vous démentirez. Mais écoutez d'abord ce que je dis pour pouvoir ensuite intervenir. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
A quelques exceptions près, les nouveaux médicaments, plus coûteux que les anciens, ne sont pas plus efficaces. Nous sommes d'accord ?
M. Gilbert Chabroux. Et je ne parle pas des fausses innovations qui sont mises sur le marché et qui sont inutiles pour la santé, onéreuses et parfois dangereuses. Nous sommes encore d'accord ?
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. N'abusez pas !
M. Alain Vasselle, rapporteur. Vous tombez dans l'excès !
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. N'insultez pas les chercheurs !
M. Gilbert Chabroux. Dans ce domaine du médicament, on constate un immense gaspillage à tous les niveaux, et je ne suis pas le seul à le dire. L'on peut regretter que votre plan ne prenne pas en compte ce problème et ne prévoit pas d'économies substantielles sur ce poste de dépenses, si ce n'est celles provenant d'une plus large utilisation des génériques ; mais nous savons comment ils peuvent être contournés. Les propositions des parlementaires socialistes prévoient, comme vous le savez - vous répondrez - une baisse de 20 % sur trois ans du prix des médicaments.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Pour sauver l'emploi ?
M. Alain Vasselle, rapporteur. Et tuer la recherche !
M. Gilbert Chabroux. Nous considérons que c'est possible, que c'est réaliste et qu'il faut le faire. Et nous demandons que la formation médicale continue devienne indépendante alors qu'elle est actuellement entre les mains des laboratoires pharmaceutiques. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Il y a dans notre pays 23 000 visiteurs médicaux, un pour neuf médecins, qui n'ont d'autre raison d'être que de faire rajouter un médicament sur l'ordonnance.
Rien de tout ce que j'ai dit depuis déjà plusieurs minutes, monsieur le ministre, n'est véritablement pris en compte dans votre projet de loi. (Exclamations sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)
M. Jean Chérioux. C'est vous qui le dites !
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Lisez le projet !
M. Gilbert Chabroux. A défaut de constituer une véritable réforme, votre projet est-il au moins un plan de financement ?
M. Gilbert Chabroux. Permettra-t-il de juguler et de terrasser ce déficit de 23 000 euros par minute - combien cela fait-il par seconde ? - que vous avez su habilement mettre en scène et dramatiser ?
Aucun économiste de la santé, aucun expert n'oserait prétendre que votre chiffrage est sérieux et prévoir, comme vous le faites, le retour à l'équilibre en 2007.
M. François Autain. A part Claude Le Pen !
M. Gilbert Chabroux. A part un, mais tous les autres ne parient pas un kopeck sur votre plan.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Chacun ses références, mais, nous, nous parlons en euros ! (Sourires.)
M. Gilbert Chabroux. « Pas un euro », soit, mais c'est une formule...
M. Alain Vasselle, rapporteur. C'est une formule révélatrice de votre état d'esprit !
M. Gilbert Chabroux. Très révélatrice !
C'est de la poudre aux yeux, c'est de l'illusion à l'état pur !
Votre projet est-il un énième plan de financement ? Permettra-t-il de terrasser ce déficit ? Les économistes n'y croient pas.
Vous prévoyez de nouvelles recettes qui seront, dès 2005, voisines de 5 milliards d'euros et vous escomptez, en 2007, une diminution des dépenses qui serait de 10 milliards.
Il s'agit, et les économistes l'ont dit, d'économies hasardeuses, aléatoires et illusoires. Vous ne tenez pas compte de l'inévitable hausse des dépenses qui va survenir dans les prochaines années, en raison du vieillissement de la population et du coût des innovations technologiques.
Le Haut conseil pour l'avenir de l'assurance maladie a estimé à 2 milliards d'euros par an la dérive spontanée du déficit. Il faudrait également ajouter les dépenses nouvelles générées par votre plan,...
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Progressivement !
M. Gilbert Chabroux. ... par exemple, mais nous en reparlerons, les 300 millions d'euros d'investissements nécessaires pour mettre en place le dossier médical personnel, pour des résultats qui seront très progressifs, et les 600 millions d'euros annuels de fonctionnement.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Vous avez mal écouté !
M. Gilbert Chabroux. J'ai bien entendu ce qu'a dit M. Gouteyron ! Il a cité des chiffres assez voisins.
M. Adrien Gouteyron, rapporteur pour avis. Je n'ai jamais dit cela !
M. Gilbert Chabroux. L'agence centrale des organismes de sécurité sociale, l'ACOSS, souligne l'importance de ce coût, ne serait-ce que pour l'informatique, et s'étonne d'autre part que vous puissiez estimer à 3,5 milliards d'euros les économies qui résulteraient de la maîtrise médicalisée des dépenses, essentiellement grâce au dossier médical personnel, alors qu'aucune étude ne vient étayer vos chiffres.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Relisez la CNAM, c'est 6 milliards !
M. Gilbert Chabroux. La note de la direction de la prévision du ministère de l'économie et des finances relève que « l'incidence financière des changements de comportement des médecins et des patients est très incertaine. »
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Vous ne prenez que les citations qui vous intéressent !
M. François Autain. C'est le rapport Gouteyron !
M. Gilbert Chabroux. Je choisis les bonnes citations et les bons auteurs !
M. Gilbert Chabroux. Et l'OFCE, l'Observatoire français des conjonctures économiques, ajoute que les mesures que vous envisagez ne devraient pas avoir « d'impact très sensible à moyen terme » et que « l'absence de remise en cause des principes de base de la médecine libérale à la française permet de douter que les objectifs d'économies puissent être durablement atteints ».
M. Gilbert Chabroux. La réforme impliquerait de ramener le taux de croissance des dépenses remboursées, à prix constants, de 5 % par an à 2 % ! Monsieur le ministre, comment allez-vous y parvenir ? Y a-t-il, derrière votre plan, une réforme cachée, une réforme qui n'oserait pas dire son nom et qui consisterait à privatiser une plus large part des dépenses de santé ?
M. Alain Vasselle, rapporteur. Le mot est lâché !
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Comme l'année dernière !
M. Gilbert Chabroux. Sinon, c'est à un numéro d'illusionnisme que vous vous livrez. C'est ce que dit Jean de Kervasdoué, professeur d'économie de la santé et économiste de renom : « C'est de l'illusionnisme avec le lapin qui serait le trou de la Sécu. Le trou est là, le trou n'est pas là, il est renvoyé chez nos petits-enfants » ; ce à quoi j'ajoute : grâce à la CADES. Il continue : « Ce qui est nouveau, c'est que l'Etat se défausse d'avance pour les déficits futurs. Il croit tellement peu à son plan qu'il le fait financer par les générations futures ».
M. Alain Vasselle, rapporteur. Vous en avez fait autant !
M. Gilbert Chabroux. Nous en parlerons !
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Nous parlerons conjoncture !
M. Gilbert Chabroux. Nous parlerons des déficits passés et des déficits actuels !
Mme Michelle Demessine. Et à venir !
M. Gilbert Chabroux. Et de ceux à venir ! Nous parlerons de la CADES, nous situerons les responsabilités et nous reparlerons du plan Juppé !
M. Alain Vasselle, rapporteur. Et nous parlerons de la croissance !
M. Gilbert Chabroux. Nous parlerons de la croissance, mais aussi de l'addition - quand il faudra faire les comptes - qui sera lourde pour nos enfants et nos petits-enfants car le déficit risque bien de se situer autour de 10 milliards d'euros pour chacune des deux prochaines années et de 15 milliards en 2007, soit plus que les 23 000 euros par minute dont vous nous avez rebattu les oreilles ! (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
Monsieur le ministre, il faut sortir de cette approche comptable qui ne mènera qu'à une impasse.
D'autres critères doivent être pris en compte pour mettre en oeuvre une véritable réforme et d'abord celui de l'égalité d'accès à des soins de qualité. Les députés socialistes ont présenté des propositions alternatives qui n'ont malheureusement pas été retenues. Nous reprendrons ici les plus importantes, en souhaitant qu'elles rencontrent un meilleur écho.
Nous sommes constructifs, chers collègues ; c'est ce que vous attendez de nous !
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Nous attendons vos propositions !
M. Gilbert Chabroux. Je vais énoncer nos propositions de façon très claire, très concrète et nous pourrons aussi en discuter si vous le voulez bien.
Tout d'abord, la prise en charge qualitative du malade doit être une priorité. Il faut sortir de la logique du paiement à l'acte et modifier les pratiques médicales. Dès la prochaine convention médicale - ce que je vous dis est concret ! -, 30 % de la rémunération des médecins doit être calculée sur la base d'un forfait pour toutes les actions de prévention, d'évaluation, de formation continue, de développement de bonnes pratiques.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Cela fait des coûts en plus !
M. Gilbert Chabroux. La prévention doit occuper la même place que le soin dans notre système de santé. C'est une source considérable d'économies.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Combien ?
M. Gilbert Chabroux. Nous en parlerons. Nous avons évoqué le sujet dans le cadre de la loi de santé publique. Vous nous avez présenté une loi sans aucun moyen financier ; je vous ferai des propositions sur ce plan.
La prévention est une source considérable d'économies ; qui pourrait nous contredire ?
Une politique ambitieuse de santé publique devra être engagée par pathologie et par population. Elle permettra de lutter contre les comportements à risque. On pourra reparler de la lutte contre le tabagisme, contre l'alcoolisme, contre les toxicomanies...
Mme Marie-Claude Beaudeau. Et l'amiante !
M. Gilbert Chabroux. ... et contre l'amiante ! N'y a-t-il pas là des sources d'économie ?
Nous voulons donner la priorité à la santé scolaire et à la santé au travail.
Il faut assurer la continuité des soins et le rapprochement entre la médecine de ville et l'hôpital. Tout patient atteint d'une affection de longue durée devra être pris en charge par un réseau de soins dont le pivot est le médecin traitant.
Le coût de la consommation de médicaments, j'y reviens, doit être réduit de 20 % en 3 ans. C'est particulièrement important.
Il faut mettre fin aux déserts médicaux, spécialement dans le monde rural.
Il convient de mettre en oeuvre un plan global de formation, de revalorisation, de qualification et d'emplois pour les professionnels de santé.
Nous proposons que soient créées des agences régionales de santé pour promouvoir un échelon régional dans la réorganisation des soins.
Le Parlement doit être à la base du contrôle démocratique du principal budget de la nation.
II faut également assurer la démocratie sanitaire en donnant aux usagers une place à part entière dans l'organisation du système de santé.
Enfin, il faut assurer des ressources pérennes à l'assurance maladie. Les droits sur le tabac et l'alcool et la taxe sur les conventions d'assurance d'un montant annuel de 15 milliards d'euros relèvent de la politique de santé.
La contribution sociale sur les bénéfices des entreprises devra également être doublée et affectée à l'assurance maladie.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Ils vont délocaliser !
M. Gilbert Chabroux. En présentant ces propositions, le groupe socialiste ne se contente pas de combattre votre projet de loi et la logique financière qui le sous-tend.
Mais nous le dénonçons d'autant plus vigoureusement que nous présentons un projet alternatif,...
M. Jacques Blanc. On ne l'a jamais vu !
M. Gilbert Chabroux. ... que je développerai, qui permettrait de pérenniser l'assurance maladie.
M. Pierre André. Que ne l'avez-vous fait avant !
M. Gilbert Chabroux. Nous proposons une réforme globale fondée sur la qualité des soins, sur la responsabilité des acteurs, sur un financement pérenne et solidaire. II s'agit bien d'une alternative au projet de la droite, qui conduit à une médecine à deux vitesses.
Ainsi que je l'ai dit au début de mon intervention, mes chers collègues, nous sommes placés devant un choix déterminant pour l'avenir. Vous faites, à droite, le choix du libéralisme ; nous faisons, à gauche, celui de la solidarité. Notre ambition est de sauvegarder le pilier fondateur de notre pacte social : nous voulons un système d'assurance maladie obligatoire, universel et solidaire, fidèle à l'esprit de ceux qui l'ont fondé en 1945. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du groupe CRC.)
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Ce sera le cas !
M. le président. La parole est à Mme Valérie Létard.
Mme Valérie Létard. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, de nombreux orateurs ont rappelé l'ampleur du déficit et son accélération au fil des années, conséquences notamment du vieillissement progressif de la population et de la poursuite des progrès de la science. Toutes ces raions justifient largement que la réforme de l'assurance maladie soit, après celle des retraites, l'un des temps forts de l'action politique du Gouvernement.
Après le diagnostic partagé, après la phase de consultation des différents partenaires, après la présentation du projet de loi et sa discussion à l'Assemblée nationale, nous aurions souhaité que le débat au Sénat puisse se dérouler dans de bonnes conditions. Or, une fois de plus, notre assemblée devra siéger dans la précipitation la plus extrême.
M. Claude Domeizel. Eh oui !
Mme Valérie Létard. Je regrette que les délais retenus ne nous permettent même pas de nous livrer à un travail sérieux sur la base du rapport de notre éminent collègue Alain Vasselle. Inscrire un projet de loi à l'ordre du jour de la séance du jeudi après-midi alors que le rapport sur ce texte n'a été adopté en commission que le mercredi, soit la veille, c'est faire bien peu de cas de nos travaux préparatoires et ne donner à nos collègues extérieurs à la commission des affaires sociales quasiment aucune possibilité de prendre connaissance des propositions du rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. - M. Jean-Marie Vanlerenberghe applaudit également.)
L'année dernière, nous avions déjà déploré une manière de procéder peu respectueuse de l'apport de la Haute Assemblée au débat ; les années se suivent et, malheureusement, se ressemblent ! Pourtant, chacun le sait bien - et le président du Sénat ne manque d'ailleurs jamais de le rappeler dans son allocution de fin de session -, notre assemblée est en général une force de proposition certaine, et la majorité des amendements adoptés définitivement le sont sur l'initiative du Sénat.
M. Jean Chérioux. C'est vrai !
Mme Valérie Létard. Il serait dommage que, sur un tel texte, le Gouvernement se prive de cette expertise.
Pour en venir à l'examen du projet de loi que vous nous soumettez, monsieur le ministre, je soulignerai tout d'abord que nous sommes conscients de la difficulté de la tâche, et certains qui critiquent aujourd'hui n'ont pas eu le courage hier de s'y atteler !
M. Jean Chérioux. Vous n'applaudissez plus, chers collègues de l'opposition ?
Mme Nicole Borvo. Nous comptons sur vous pour le faire !
Mme Valérie Létard. Sans aucun doute, le texte qui nous est présenté contient des dispositions intéressantes qu'il convient de saluer.
Votre réforme est intéressante, monsieur le ministre, parce que vous vous êtes efforcé de traduire en actes la recherche d'efficience et de responsabilisation qui, seule, pourra à terme empêcher le système de devenir fou. Elle s'est appuyée, à juste titre, sur l'évolution des mentalités des patients et des professionnels de santé. Elle a pris en compte la modification progressive des conditions d'exercice de la médecine. La féminisation croissante du corps médical, le développement de plus en plus important des réseaux de soins, le besoin de prises en charge diversifiées et multidisciplinaires du vieillissement et des polypathologies qui y sont associées, l'évolution de la démographie médicale : tous ces facteurs sont en train de radicalement changer le paysage médical français.
Le succès de la campagne sur la prescription des antibiotiques est un bon exemple de l'évolution en cours : l'idée que se soigner au mieux puisse ne pas se traduire automatiquement par une ligne supplémentaire sur l'ordonnance du médecin est désormais admise.
M. Jean Chérioux. Très bien !
Mme Valérie Létard. Une précédente réforme avait introduit le concept du « juste soin ». Elle a en partie achoppé, mais cette notion, que l'on retrouve dans la formule : « dépenser mieux pour soigner mieux », reste évidemment d'actualité. En ce qui nous concerne, nous y adhérons pleinement à partir du moment où l'on part du besoin en santé pour la mettre en oeuvre.
Précisément, de nombreuses dispositions du projet de loi peuvent être lues comme des déclinaisons de cette préoccupation majeure : améliorer la qualité des soins. Il s'agit notamment de l'instauration du dossier médical personnel, du médecin traitant, de l'aide au développement des réseaux de soins, de l'évaluation des pratiques pour tous les médecins libéraux et hospitaliers, de l'obligation de formation continue, de la mise en oeuvre généralisée des référentiels de soins et du respect des bonnes pratiques, de l'information des assurés, de la charte du bon usage du médicament, de la création de la haute autorité de santé.
Toutes ces démarches que vous souhaitez voir se développer concomitamment, monsieur le ministre, sont évidemment positives. On peut espérer que, parvenues à maturité, elles contribueront à améliorer sensiblement la qualité des soins, et nous serons les premiers à nous en réjouir si elles permettent de réaliser un tel objectif. De là à prévoir qu'elles seront porteuses d'économies substantielles, l'avenir seul permettra de répondre sur ce point !
En ce qui concerne l'effort de responsabilisation, nous partageons l'idée que nos concitoyens doivent prendre conscience de la spécificité du modèle social français : dans aucun autre grand pays développé le système de santé n'associe un niveau aussi élevé de socialisation des dépenses à un degré comparable de liberté pour les patients et pour les professionnels de santé. Si nous voulons conserver ce système, souhait qui ressort du constat partagé établi par le Haut conseil pour l'avenir de l'assurance maladie, il importe que chacun se sente responsable de son optimisation.
C'est la raison pour laquelle nous ne sommes pas a priori hostiles à un certain nombre de mesures de régulation destinées à éviter les abus : nous estimons légitime de donner aux caisses des outils pour pouvoir mieux sanctionner les comportements déviants, pour récupérer les indus, pour mieux encadrer le renouvellement des arrêts de travail. En effet, la liberté ne doit pas signifier liberté de surconsommer inutilement des médicaments, de multiplier les actes médicalement injustifiés ou redondants.
Oui, disons-le, la santé n'est pas un bien gratuit,...
Mme Valérie Létard. ... ce que l'utilisation massive du tiers payant a pu parfois faire oublier.
Mme Valérie Létard. Oui, la santé a aussi une dimension économique qui ne peut être occultée. Usagers du système de santé comme professionnels de santé, tous doivent évoluer sur ce point, sans que le sujet soit considéré comme tabou.
Mais si nous avons compris le sens de votre démarche, monsieur le ministre, nous ne pouvons nier que l'examen du projet de loi dans sa globalité nous a donné le sentiment que les réformes structurelles qui ont été amorcées n'ont pas été menées à leur terme logique,...
Mme Valérie Létard. ...et il faut craindre que, si elles sont ainsi laissées au milieu du gué, la tentation ne soit plus grande de revenir à des pratiques anciennes plutôt que de persévérer dans l'effort.
Ne pouvant balayer l'ensemble du projet de loi, je centrerai mon propos sur trois points qui me paraissent essentiels.
Depuis le début des discussions sur ce projet de réforme, de nombreuses voix se sont élevées pour souligner la nécessité d'une réforme globale qui propose une articulation cohérente entre médecine ambulatoire et médecine hospitalière. Les dépenses hospitalières représentent à elles seules la moitié des dépenses de santé : il eût été logique d'envisager une réforme globale.
En effet, se développent de nouvelles formes de soins s'adressant en particulier aux patients âgés et très âgés qui seront appelés à passer régulièrement du domicile à un établissement de santé et inversement, et pour lesquels une pratique de soins en réseau associant ville et hôpital sera indispensable. Or que peut-on constater ? Toutes ces démarches sont encore entravées par des freins considérables : s'agissant, par exemple, de la création de réseaux gérontologiques, quand il s'agit d'une proposition émanant de professionnels libéraux, le fonds d'aide à la qualité des soins de ville n'apporte qu'une aide au lancement du projet et non une aide pérenne.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. C'est vrai ! C'est tout le problème de la permanence des soins !
Mme Valérie Létard. Que l'initiative parte d'un établissement de santé, et la règle du jeu diffère. Il n'y a toujours pas de fongibilité des enveloppes entre ville et hôpital, et cela doit impérativement évoluer.
Le dossier médical personnel devrait - tel est votre objectif, monsieur le ministre - mettre fin à la discontinuité entre ville et hôpital ; encore faudrait-il que les hôpitaux, en particulier les hôpitaux publics, entrent massivement dans cette démarche ! En effet, selon les économistes en santé les plus réputés, c'est justement dans cette mauvaise articulation entre ville et hôpital que résiderait la plus grande marge de rationalisation des soins. Mais très peu d'hôpitaux publics - le chiffre de 5 % a été cité au cours du débat à l'Assemblée nationale - informatisent les dossiers de leurs patients. A l'heure où la tarification à l'activité vient bousculer le fonctionnement des établissements de santé, comment escomptez-vous, monsieur le ministre, faire évoluer les pratiques du monde hospitalier pour aboutir à une mise en oeuvre généralisée du dossier médical personnel avant 2007 ? Comment inciterez-vous à la mise en place de ce processus, alors même que la culture du fonctionnement par service reste encore très vivace et ne favorise pas toujours suffisamment le partage de l'information ?
Nous nous interrogeons également sur le rôle du conseil de l'hospitalisation prévu à l'article 26 du projet de loi. Quelle sera la portée exacte des recommandations qu'il émettra ? Comment pourra-t-il véritablement influer sur la politique hospitalière puisque, sur la politique salariale et statutaire ainsi que sur l'impact des mesures de sécurité sanitaire, il ne pourra émettre que des avis ? Or l'hôpital, c'est d'abord plus de 70 % de dépenses en personnel !
Pour le reste, interrogé par nos collègues de l'Assemblée nationale sur la réforme hospitalière, vous avez confirmé, monsieur le ministre, que cette dernière trouverait sa place à l'article 50 du projet de loi habilitant le Gouvernement à simplifier le droit, ce qui signifie qu'elle se fera par ordonnances. Il faut regretter, une fois de plus, cette manière de traiter les diverses facettes d'une même question en les dispersant dans plusieurs textes, un tel éclatement rendant très difficile l'évaluation exacte de la portée de chacun d'entre eux.
Un deuxième élément nous amène à porter un jugement réservé sur certaines dispositions du projet de loi : c'est l'impression générale qui se dégage d'une série de mesures qui, toutes, aboutissent à la pénalisation de l'assuré. Nous aurions très nettement préféré, par exemple pour le recours au médecin traitant, que l'on choisisse de privilégier l'incitation par rapport à la pénalisation. De même, nos collègues de l'Assemblée nationale ont atténué la portée de l'article 10, dont la rédaction initiale avait pour conséquence de pénaliser un assuré lorsque le médecin qu'il avait consulté n'avait pas respecté les règles de bonne pratique.
S'agissant de l'article 11 et de l'instauration d'une contribution de un euro par acte, il ressort des débats de l'Assemblée nationale que le plafonnement serait fixé à 50 euros. Or, si tous les bénéficiaires de l'exonération du ticket modérateur pour les soins en rapport avec une affection de longue durée ne sont pas dans une situation économique modeste et si certains peuvent donc contribuer à cet effort, se pose néanmoins la question des victimes d'accidents du travail et de maladies professionnelles, ou AT-MP, pour lesquelles est prévue la gratuité des soins : je pense en particulier aux victimes de l'amiante, qu'il me paraît très injuste de pénaliser ainsi. Je souhaiterais savoir, monsieur le ministre, comment vous entendez prendre en compte leur situation.
Dans sa rédaction actuelle, le projet de loi fixe de manière très détaillée les conséquences des manquements pour l'assuré social ; on pourrait s'attendre à ce qu'il s'attache à définir aussi précisément les obligations des professionnels de santé. Or, pour ces derniers, la détermination des règles est largement renvoyée à la négociation conventionnelle. Certes, la procédure conventionnelle est modifiée et un processus d'arbitrage est créé ; mais pouvez-vous nous assurer, monsieur le ministre, que les professionnels de santé auront à coeur d'entrer dans toutes les démarches de qualité des soins, d'évaluation des pratiques et de formation continue qu'ils ont jusqu'à présent assez largement oubliées ? Sur ce point, nous craignons que la réforme n'ait pas assez justement équilibré l'effort entre tous.
Enfin, le dernier aspect sur lequel je voudrais insister tout particulièrement est la question du niveau pertinent pour entreprendre une réforme en profondeur de notre système de santé. Un consensus existe aujourd'hui pour retenir l'échelon régional, et il suffit d'ailleurs de s'intéresser aux solutions adoptées par nos voisins européens, que ce soit l'Allemagne, l'Italie ou l'Espagne, pour constater que c'est bien ce niveau qu'ils ont choisi de privilégier et qu'ils obtiennent des résultats souvent intéressants.
Sur ce point, le texte qui nous est soumis a évolué par rapport au projet de loi initial. En effet, la coordination prévue à l'article 37 entre les agences régionales de l'hospitalisation, les ARH, et les unions régionales de caisses d'assurance maladie, les URCAM, a été renforcée par l'instauration d'une mission régionale de santé dont l'objet sera de définir les orientations relatives à l'évolution de la répartition territoriale des professionnels de santé libéraux, de faire des propositions d'organisation de la permanence des soins, d'améliorer la coordination des différentes composantes régionales du système de soins et d'établir un programme annuel de gestion du risque. La particularité de cette mission sera d'être dirigée alternativement, par périodes d'une année, par le directeur de l'ARH et par celui de l'URCAM. On peut d'ores et déjà s'interroger sur la manière dont pourra opérer une telle direction bicéphale !
Outre son organisation particulière, il convient de rappeler que la mission régionale s'ajoutera à toutes les structures existantes, qui sont maintenues - préfets pour piloter les schémas régionaux de santé publique, DRASS, DDASS, ARH, URCAM, URML, CRAM, CPAM, conférences régionales de santé, observatoires régionaux de santé -, et à celles qui vont être créées, tels les groupements régionaux de santé publique prévus dans le projet de loi relatif à la politique de santé publique. Le texte adopté par l'Assemblée nationale prévoit également, à l'article 36 A, la création d'unions régionales des professionnels de santé exerçant à titre libéral. N'y a-t-il pas lieu de craindre, monsieur le ministre, que la cohérence entre toutes ces instances soit difficile à établir ? N'aurait-il pas mieux valu chercher une plus grande simplification de l'échelon régional ?
Il y a longtemps que l'UDF prône l'instauration d'une véritable régionalisation des dépenses de santé. Des amendements à ce sujet ont été portés à l'Assemblée nationale par notre collègue Jean-Luc Préel. Nous pensons que seule une démarche résolument décentralisatrice sera susceptible de permettre un pilotage plus précis des dépenses de santé et de remédier en particulier aux situations de pénurie de médecins que va soulever inéluctablement l'évolution de la démographie médicale dans les vingt prochaines années.
Je voudrais rappeler ici les propos de l'un de nos éminents collègues qui a soutenu cette démarche sur nos travées. En 1999, Claude Huriet écrivait avec justesse : « Alors que toute réforme se heurte dans notre cher et vieux pays aux conservatismes de droite et de gauche »...
M. Nicolas About. De gauche surtout !
Mme Valérie Létard. ... « on risque de se limiter quelque temps encore à des "rafistolages" qui ne feront que retarder l'heure de vérité. Les adversaires de la décentralisation du système de santé brandissent le risque de susciter des inégalités entre les régions françaises. Il appartiendra à l'Etat de les prévenir ou de les corriger par une juste répartition des dotations régionales ; et il n'est que de regarder les indicateurs des différentes régions pour constater que d'importantes disparités existent et que le système actuel a été jusqu'à présent incapable de les faire disparaître ».
En tant qu'élue du Nord-Pas-de-Calais, vous comprendrez sans peine à quel point je peux souscrire à ces quelques lignes. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle j'approuve, malgré son imprécision, le contenu de l'article 37 bis proposant d'expérimenter la mise en place d'agences régionales de santé. En outre, dans la mesure où notre région a toujours été pilote dans ce domaine et où les inégalités en matière de santé sont grandes, je souhaite vivement que le Nord puisse faire partie des départements qui seront retenus dans cette expérimentation.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Il n'y a pas de raison qu'il en soit autrement !
Mme Valérie Létard. C'est sans doute en matière de démographie médicale qu'une réflexion partant du constat des pénuries locales est la plus nécessaire.
Pour citer encore ma région, l'écart de densité des médecins spécialistes libéraux par rapport à la moyenne nationale est de moins 25,3 % pour le département du Nord et de moins 47 % pour le Pas-de-Calais. L'arrivée à l'âge de la retraite de nombreux médecins entre 2005 et 2020 va rendre cette situation encore plus critique. Les premiers effets de la redistribution spatiale des praticiens du fait de la réforme de l'internat classant tend à accentuer encore le déséquilibre. Je pense que la politique d'incitation à l'installation dans les zones les plus dépourvues va rapidement atteindre ses limites, et je regrette que ce texte n'ait pas été l'occasion de réfléchir à des actions beaucoup plus incitatives - voire directives, si ce n'est pas suffisant - en cette matière.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Tout à fait !
Mme Valérie Létard. Sur la question du financement, je laisserai à mon collègue et ami Yves Détraigne le soin de vous exposer la position de notre groupe, en particulier notre réticence à prolonger de manière indéterminée la Caisse d'amortissement de la dette sociale, la CADES, et notre souhait de voir explorées d'autres pistes de financement de la protection sociale, reposant peut-être moins sur l'activité salariée.
S'agissant de la gouvernance de l'assurance maladie, tout en approuvant l'idée de mettre « un pilote dans l'avion », nous nous inquiétons là encore de la création de nombreuses nouvelles entités. Pour certaines d'entre elles, l'articulation avec les structures existantes n'apparaît pas toujours évidente. Si la création de la Haute autorité de santé nous paraît une démarche nécessaire, car il y a lieu de définir un panier de soins à partir de critères scientifiquement et médicalement validés, son articulation avec l'Agence nationale d'accréditation et d'évaluation en santé, l'ANAES, et l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé, l'AFSSAPS, posait à l'évidence problème. C'est si vrai que notre rapporteur a d'ailleurs choisi de transférer la totalité des compétences de l'ANAES à la Haute autorité.
De même, la création d'un Institut des données de santé permettra de disposer d'informations médicalisées sur les consommations de soins, ce qui assurera à la Haute autorité une source de renseignements fiable.
Une autre instance nous semble en revanche d'une utilité toute relative : il s'agit du comité d'alerte créé à l'article 22. Etait-il bien nécessaire dans la mesure où existe déjà la commission des comptes de la sécurité sociale, dont le rôle est précisément d'informer sur l'état des comptes sociaux ? Ne pouvait-on faire l'économie d'un comité en confiant cette mission d'alerte à la commission déjà existante ?
On peut regretter, monsieur le ministre, que l'empilement de nouvelles structures, que ce soit à l'échelon national ou à l'échelon régional, ne crée une certaine confusion empêchant cette réforme de prendre toute sa dimension.
Parce que je suis consciente de l'urgence qui aurait dû appeler à des mesures plus drastiques, parce que je suis réservée sur l'efficacité finale de certaines dispositions, parce que je crains que cette réforme trop prudente n'appelle en 2007 à un réveil douloureux quand on en fera le bilan, parce que je doute que notre débat au pas de charge nous permette de faire prendre en compte des modifications significatives, monsieur le ministre, je ferai partie, à défaut d'une véritable amélioration de ce texte, des membres du groupe de l'Union centriste qui choisiront, à regret, de s'abstenir lors du vote final. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Gérard Dériot.
M. Gérard Dériot. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le lumineux ingénieur Thomas Edison disait ceci : « Je n'ai pas échoué, j'ai simplement trouvé 10 000 solutions qui ne fonctionnent pas ». (Sourires.)
C'est finalement ce que pourraient affirmer collectivement, après seize plans de sauvetage, les experts, les gouvernements et les majorités successives qui se sont penchés depuis une trentaine d'années sur le déficit de la sécurité sociale, en particulier de sa branche maladie.
Un tel constat devrait donc tous nous inviter à beaucoup de modestie dans ce domaine.
M. Jean Chérioux. Absolument !
M. Gérard Dériot. Aujourd'hui, le constat est sans appel, les chiffres sont éloquents - je ne les reprendrai pas, puisque M. le rapporteur l'a fait de manière tout à fait pertinente - et la réalité est plus qu'inquiétante. Je voudrais d'ailleurs préciser, pour répondre à une question de M. Chabroux, que le déficit représente 383 euros par seconde.
La crise que nous affrontons est néanmoins sans précédent dans la longue histoire de notre système d'assurance maladie, car il s'agit, en plus d'une crise financière, d'une crise structurelle, d'une crise d'organisation et d'une crise de gestion.
Comme l'a bien montré le Haut conseil pour l'avenir de l'assurance maladie, c'est la crise d'un système sans pilotage politique, une crise qui trouve ses racines dans les excès d'une consommation non maîtrisée et dans l'absence d'une approche rationnelle de la prise en charge des patients.
Malheureusement, cette crise ne disparaîtra pas d'un coup de baguette magique, car, dans les prochaines années, les dépenses de santé continueront d'augmenter encore bien plus qu'aujourd'hui, en tout cas plus rapidement que la richesse nationale.
L'allongement de la durée de la vie, avec le développement de la dépendance et de pathologies telles que la maladie d'Alzheimer, coûtera extrêmement cher, sans compter le coût des nouveaux médicaments et des nouvelles technologies. Là encore, je dirai à M. Chabroux que, contrairement à ce qu'il a affirmé, la France n'est pas, après les Etats-Unis, le pays où les médicaments sont les plus chers ! Au contraire, ils y sont moins chers qu'ailleurs.
M. Jean Chérioux. M. Chabroux n'est pas à une erreur près !
M. Gérard Dériot. De plus, cette évolution se déroule dans le cadre du choc démographique de 2006, « cet hiver démographique », comme l'appellent les prévisionnistes.
Actuellement, les Français du baby-boom arrivent à l'âge de la retraite ; ils sont difficilement remplacés par les générations du « baby-krach » des années 1975, ce qui va conduire à une diminution de la population active.
Devant une telle situation, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, le Gouvernement s'est retroussé les manches et s'attaque courageusement à l'adaptation de notre système de protection sociale en ayant réformé les retraites l'année dernière, et en réformant cet été l'assurance maladie. Je crois que nous devons l'en féliciter.
Je tiens ainsi à saluer vos efforts respectifs, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, vous qui avez entrepris une large concertation sur ce texte non seulement avec les différents syndicats mais également avec les parlementaires, car de nombreuses réunions de travail ont déjà permis de faire valoir nos arguments.
M. le président. M. Chabroux ne le savait pas !
M. Gérard Dériot. Oui, il ne devait pas le savoir !
M. André Vantomme. Peut-être n'a-t-il pas été invité !
M. Gérard Dériot. En tout cas, ce projet de loi prend place dans une politique d'ensemble : politique de santé publique, solidarité pour l'autonomie des personnes âgées et des personnes handicapées, égalité des droits et des chances des personnes handicapées, plan Hôpital 2007, développement des territoires ruraux, autant de textes récents qui viennent donner une cohérence à cet édifice législatif.
Monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, votre texte vise à sauvegarder les principes fondateurs de 1945 : qualité des soins, haut niveau de prise en charge des dépenses de santé et financement solidaire. Il s'agit bien des principes fondateurs de notre système d'assurance maladie, et c'est la raison pour laquelle vous proposez, d'une part, une réforme globale structurelle pour pérenniser notre système de santé et, d'autre part, un plan de financement équilibré qui repose sur un effort forcément partagé.
Reconnaissons-le malgré tout, votre projet est un pari sur l'avenir.
Tournant délibérément le dos à des mesures de maîtrise comptable qui n'ont pas fait leurs preuves par le passé,...
M. Gérard Dériot. ... ce projet de loi a pour ambition de modifier durablement et en profondeur les comportements de tous les acteurs de la santé et des assurés.
L'enjeu de la réforme consiste à ce que chacun des acteurs, qu'il soit professionnel ou usager, fasse un recours raisonné et raisonnable au système de santé, avec le souci permanent de la bonne utilisation des ressources.
Il s'agit donc d'engager l'ensemble des protagonistes dans une démarche pédagogique qui doit modifier en profondeur et durablement les représentations et les comportements.
En ce sens, la mesure visant à facturer un euro à tous les patients est, à mon avis, tout à fait pertinente puisque, au-delà de l'aspect financier, elle participe à la prise de conscience du coût de la santé. Il est habituel de dire que la santé n'a pas de prix, mais qu'elle a un coût : eh bien, nous sommes confrontés les uns et les autres à ce problème.
M. Jean Chérioux. C'est un retour aux sources !
M. Gérard Dériot. Finalement, mes chers collègues, soyons tout à fait réalistes : un euro par consultation, c'est la moitié du prix d'un café à Paris, et je ne parle pas du prix d'un tiercé, d'un loto ou d'un jeu de grattage - bien que n'étant absolument pas joueur, je connais à peu près les prix pratiqués !
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Les jeux rapportent !
M. Gérard Dériot. Ce projet est un pari, mais ce pari n'est pas insensé.
Les exemples récents de la réduction de la consommation d'antibiotiques ou du développement de la prescription des médicaments génériques montrent bien que les Français sont prêts à suivre une telle voie, à trois conditions : qu'on leur explique les enjeux, qu'on les informe de la réalité et qu'on les responsabilise.
Je veux bien que l'on appelle cela de la communication, mais c'est bien évidemment par là qu'il faut passer si l'on veut expliquer à chacune et chacun de nos concitoyens à la fois la situation et les enjeux.
Sans entrer dans le détail de tous les aspects de ce texte, puisque nous aurons l'occasion d'y revenir, permettez-moi de formuler quatre ou cinq observations ou interrogations sur des points qui me tiennent à coeur et qui ne me semblent pas très complets.
Tout d'abord, le dossier médical personnel constitue une évolution désormais indispensable, rendue possible par les progrès technologiques : il est bien évident qu'un assuré social, qu'il consulte un professionnel de santé exerçant en ville ou à l'hôpital, doit avoir un dossier médical informatisé.
Toutefois, l'efficacité de ce dispositif ne peut s'envisager sans la mise en oeuvre rapide d'un plan ambitieux d'informatisation des cabinets médicaux. Il y a urgence, car, aujourd'hui, deux tiers des cabinets des médecins généralistes, semble-t-il, ne sont pas équipés pour recevoir la télétransmission de ces dossiers.
Faire pleinement partager la mise en place du dossier médical par l'assuré est un autre gage de réussite. Le patient ne doit pas se sentir tenu à l'écart des informations contenues dans son dossier médical, mais au contraire les partager avec son médecin.
J'en viens à l'extension de la couverture complémentaire.
Aujourd'hui, pour des raisons financières, plus de deux millions de nos concitoyens ne bénéficient pas d'une couverture complémentaire, et trop souvent ils se privent de certains soins, notamment des plus coûteux.
Demain, grâce à l'attribution d'une aide à l'acquisition d'une couverture complémentaire santé pour nos concitoyens dont les revenus sont jusqu'à 15 % supérieurs au plafond de la couverture maladie universelle, la CMU, personne ne sera exclu de notre système de santé en raison de ses revenus.
D'ailleurs, en tant que président de conseil général, j'ai été obligé de mettre en place une couverture complémentaire santé pour certaines personnes qui n'avaient pas droit à la CMU complémentaire, mais qui étaient en dessous du revenu minimum. En effet, un décalage a eu lieu dès l'origine de la mise en place de la CMU ; nous l'avions d'ailleurs dit à l'époque à Mme Aubry, mais elle n'avait pas voulu tenir compte de nos remarques.
Désormais, la situation sera corrigée, grâce à une excellente mesure, juste, sociale et humaniste, qui va dans le bon sens.
Par ailleurs, deux autres points me laissent plus circonspect.
Tout d'abord, comme M. Gouteyron l'a rappelé tout à l'heure, l'autorisation donnée aux spécialistes d'augmenter leurs honoraires pour les consultations des patients sans prescription préalable du médecin traitant peut être source de confusion, dans la mesure où il y a un risque potentiel de voir les praticiens accéder plus rapidement aux demandes de « consultation directe », qui seraient finalement plus rémunératrices que celles qui passent par le médecin traitant.
Par ailleurs, ne craignez-vous pas, monsieur le ministre, que le médecin traitant estime qu'il prend un risque professionnel en n'envoyant pas presque systématiquement son patient chez le spécialiste, et qu'il redoute d'être éventuellement attaqué en justice si, par malheur, il arrivait quelque chose à son patient ?
M. Josselin de Rohan. Absolument !
M. Gérard Dériot. Ce problème n'est pas neutre, et il est indispensable de bien le prendre en compte, car, finalement, le résultat obtenu sera peut-être l'inverse du résultat escompté.
Au demeurant, monsieur le ministre, vous aurez sans doute l'occasion de nous répondre sur ces points tout à l'heure.
De plus, comme l'a également rappelé M. Gouteyron, tout en comprenant la volonté du Gouvernement de ne recourir qu'à une augmentation limitée des prélèvements obligatoires, nous pouvons effectivement nous interroger sur la prolongation de la durée de vie de la CADES et sur la très faible augmentation de la CRDS. Certes, il s'agit sans doute de la moins mauvaise solution, et c'est très souvent celle qu'il faut choisir quand on a une décision à prendre.
Enfin, en tant que sénateur d'un département majoritairement rural, je crois bon de rappeler que la préservation d'un système de soins de qualité implique que celui-ci soit offert de façon équitable sur l'ensemble du territoire national. La permanence des soins, tout particulièrement dans des zones déficitaires telles que, justement, les territoires ruraux, me semble donc être un enjeu majeur pour les années à venir.
Telles étaient les quelques remarques que je souhaitais présenter avant l'examen des articles de ce texte. Je n'oublierai pas de remercier et de féliciter nos rapporteurs, MM. Vasselle et Gouteyron, de leur excellent travail, effectué dans un temps record.
Mes chers collègues, les Français en prennent peu à peu conscience, notre pays est confronté à de vrais choix de société.
Si nous faisons, en matière de santé, le choix de la solidarité et d'un bon remboursement de nos dépenses de santé, qui ne feront que croître dans les années qui viennent, nous devrons alors consentir des efforts partagés, tout en recherchant à optimiser notre système.
Bien sûr, d'autres choix seraient possibles, mais ils s'écarteraient alors des principes fondateurs de 1945, ce que nous ne pouvons accepter.
Dans ce contexte, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, vous faites, certes, un pari sur l'avenir, le pari d'une gouvernance renouvelée, le pari d'une maîtrise médicalisée des dépenses de santé, le pari de la solidarité par la responsabilité.
C'est un pari exigeant, courageux, mais nécessaire, que nous faisons avec vous, pour les Français et leur santé. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Michelle Demessine.
Mme Michelle Demessine. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, pour la deuxième année consécutive, en plein été, le Parlement siège en session extraordinaire.
D'ailleurs, la situation est vraiment extraordinaire, comme certains l'ont déjà souligné à cette tribune. C'est même du jamais vu, ce qui est indigne d'une assemblée comme la nôtre.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Absolument !
Mme Michelle Demessine. Nous sommes donc réunis pour réformer un élément qui est au coeur de notre contrat social, l'assurance maladie.
Après la contre-réforme des retraites, c'est désormais au tour de l'assurance maladie d'être prétendument sauvegardée par la transposition des mêmes remèdes libéraux répondant à des objectifs exclusivement économiques.
En effet, c'est bien de cela qu'il s'agit, mes chers collègues, avant même de pouvoir réfléchir sur l'amélioration de la qualité du système de santé et de l'égalité d'accès aux soins.
D'ailleurs, Bruno Palier, auteur du « Que sais-je ? » La réforme des systèmes de santé, résume justement ainsi les enjeux des adaptations voulues : « La prise en compte des débats internationaux montre par ailleurs que les réformes actuelles, marquées par le développement des mécanismes marchands au sein des systèmes de santé, ne sont pas seulement dictées par les conséquences des évolutions technologiques (...) et démographiques (...). Elles sont aussi motivées par des préoccupations de politique économique qui visent à mettre les systèmes de santé hérités des Trente Glorieuses keynésiennes en conformité avec les nouvelles politiques macroéconomiques, fondées sur l'orthodoxie budgétaire, la centralité des mécanismes de marché et l'impératif de compétitivité. »
Pourtant, à trop vouloir maîtriser les coûts et réduire le périmètre des dépenses sociales, à trop privilégier l'assurance individuelle au lieu de développer un système solidaire, beaucoup de nos voisins ont échoué.
Ainsi, aux Etats-Unis, les dépenses de santé ne battent-elles pas tous les records, en s'élevant à plus de 14 % du PIB, alors même qu'un quart des habitants n'a aucune couverture sociale et que les inégalités sont encore flagrantes ? Aux Pays-Bas, un fonds public n'a-t-il pas été mis sur pied pour venir prendre le relais des assurances privées, désireuses de ne plus couvrir les personnes présentant de gros risques ?
Qu'à cela ne tienne, vous vous inscrivez dans ces voies. Mesure après mesure, ce gouvernement avance résolument dans le sens d'une ouverture encore plus grande du financement des dépenses maladie aux assurances privées.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Mais non !
Mme Michelle Demessine. En outre, le débat, aujourd'hui, n'est plus centré sur la seule nécessité de réduire les dépenses de santé. C'est un fait nouveau qu'apprécieront les fervents défenseurs de la réforme Juppé ou les économistes de l'OCDE, l'Organisation de coopération et de développement économiques, lesquels admettent, eux aussi, que « dépenser plus n'est pas nécessairement un problème ».
Non, désormais, vous axez le débat, comme vous y invitent d'ailleurs les présidents des grandes compagnies d'assurances, sur ce qui doit être socialisé ou pas en matière de santé !
En effet, dès l'installation du Haut conseil pour l'avenir de l'assurance maladie, qui est censé établir un diagnostic de notre système de santé, le Premier ministre lui-même n'a-t-il pas anticipé sur les pistes de réforme, en appelant à respecter « le juste équilibre entre ce qui relève de la solidarité nationale et de la responsabilité personnelle » ?
Le Premier ministre reprend à son compte la distinction entre gros risques et petits risques, « couchée » d'ailleurs dès 1976 dans le rapport Chotard et défendue aujourd'hui par le patron d'AXA, M. Claude Bébéar, lequel propose « d'avoir une solidarité très forte pour les vrais besoins de santé, le confort supplémentaire devant relever de choix individuels ». Quelle similitude !
Or, pour nous, la santé ne peut être assimilée et réduite à un bien marchand. Les droits sociaux, consacrés par le préambule de la Constitution de 1946, continuent d'imposer des devoirs aux pouvoirs publics. S'agissant du droit à la santé, chacun doit être protégé collectivement contre les risques menaçant sa santé et son bien-être.
S'il est urgent de repenser notre système de protection sociale, l'objet de la réforme doit être centré sur la conquête de nouveaux droits et de nouvelles garanties en matière d'accès aux soins et à la prévention, pour réduire les inégalités de santé.
Or, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, malgré les précautions de langage et les déclarations de bonnes intentions concernant notamment votre attachement aux fondamentaux de la sécurité sociale, ce projet de loi s'éloigne de l'esprit des créateurs de cette dernière. Ma collègue Nicole Borvo insistera d'ailleurs sur ce point en défendant tout à l'heure la motion tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité.
Pour ma part, je tiens, dès à présent, à vous redire notre insatisfaction concernant, tout d'abord, votre façon de procéder, témoignant, une fois de plus, du décalage persistant entre, d'une part, les exigences affirmées haut et fort par le plus haut personnage de l'Etat, le Président Chirac, d'un grand débat national appuyé sur un large consensus quant aux objectifs et au contenu de la réforme et, d'autre part, la réalité.
Je ne reviendrai pas sur la phase de concertation, et non de négociation, avec les partenaires sociaux et les professionnels de santé, durant laquelle vous avez cherché plus à diviser qu'à rassembler.
Je préfère centrer mon propos sur le choix du Premier ministre de faire discuter un texte aussi important, en urgence, dans la foulée d'une session ordinaire qui a battu tous les records. C'est un choix préjudiciable à la qualité de nos travaux, réduisant ainsi le rôle du Parlement à une simple chambre d'enregistrement. C'est un choix qui a été fait également au mépris de nos concitoyens, à qui l'on reproche de ne pas s'intéresser suffisamment à la « chose politique », mais à qui vous retirez les moyens de s'approprier les questions en débat.
Si votre intention, monsieur le ministre, était véritablement de responsabiliser les Français, vous auriez agi différemment. Il est vrai, et l'examen des articles le confirmera, que votre conception de la responsabilité est singulière, univoque, et surtout étroitement financière !
Sur cet enjeu fondamental de la santé, l'éducation et l'intervention de tous pour élaborer les politiques et décider du sens à donner à un système financé tout de même, je le rappelle, par chacun ne sont pas votre priorité. Vous préférez culpabiliser les uns, les opposer aux autres, instillant ainsi toujours plus d'individualisme.
J'ai encore en mémoire, monsieur le ministre, des propos tenus ici, au sein de la Haute Assemblée, par votre prédécesseur. Celui-ci considérait, à juste titre, que le « caractère central de la sécurité sociale dans la vie des Français nous oblige vis-à-vis de nos concitoyens », qui sont en droit de demander une sécurité sociale de qualité et une vraie transparence.
Vous affirmez partager cette exigence de vérité, tout en vous employant pourtant à travestir cette dernière.
En effet, vous ne versez pas au débat l'ensemble des données. C'est manifeste, s'agissant du fameux « trou » de la sécurité sociale.
Se livrer au jeu du catastrophisme est certes plus facile et assurément efficace pour faire avaler les pilules les plus amères. Par-dessus tout, en focalisant sur le déficit, qui est estimé à plus de 10 milliards pour 2004, vous vous dispensez de toute explication sur les raisons de l'existence de ce dernier. Et c'est bien là que le bât blesse : si, effectivement, le déficit est attribuable en partie au rythme soutenu de la croissance des dépenses, le ralentissement des recettes l'explique également. Or le Gouvernement est directement responsable de la décélération des recettes issues des cotisations sociales telles que la CSG.
En effet, vous conduisez une politique de l'emploi reposant principalement sur les exonérations de cotisations sociales, qui sont inefficaces en termes de création d'emploi et de progression salariale. Or cette politique s'avère coûteuse, et elle ampute, de surcroît, les ressources de la protection sociale.
En revanche, votre politique sert le capital, les profits, notamment financiers, au détriment des salaires et des cotisations sociales, dont la part dans le PIB n'a cessé de diminuer.
Par ailleurs, et c'est un autre élément qui est passé sous silence, la branche maladie assume en lieu et place de la branche accidents du travail-maladies professionnelles la prise en charge des pathologies liées à l'activité professionnelle et les indemnités journalières des salariés qui sont victimes, en fait, d'accidents du travail.
Enfin, monsieur le ministre, vous omettez de dire aux Français que l'Etat, en plus des exonérations de cotisations sociales, soit 2 à 3 milliards d'euros par an, doit plus de 4 milliards aux caisses de sécurité sociale.
Cela dit, permettez-moi toutefois, mes chers collègues, de vous livrer mon sentiment sur le cadrage financier retenu par le Gouvernement.
A l'instardes organisations syndicales, unanimement déçues par les mesures financières, nous considérons nous aussi que ces mesures sont manifestement insuffisantes, complètement déconnectées des enjeux auxquels l'assurance maladie doit faire face. Je pense évidemment au vieillissement de la population, à l'arrivée des nouvelles technologies, mais aussi à la réduction des inégalités sociales et géographiques en matière de santé.
Faute d'avoir vraiment voulu discuter d'autres pistes de financement en revenant aux fondamentaux de la sécurité sociale, à savoir un financement social basé sur l'ensemble des richesses créées, y compris sur les profits et le capital des entreprises, le Gouvernement a opté pour des recettes moins pérennes et, surtout, beaucoup moins justes, voire pernicieuses, car fiscalisant encore davantage le financement d'un système dont la gestion paritaire est finalement remise en cause dans les faits.
Votre plan financier, monsieur le ministre, table sur 5 milliards d'euros de recettes nouvelles provenant principalement d'une augmentation des prélèvements sur les revenus d'activité, avec une hausse de la CSG sur les salaires et sur les retraites. Pourtant, le Gouvernement s'était engagé à ne pas le faire ! Vous attendez aussi les rendements de la participation forfaitaire des assurés sociaux, fixée à un euro, mais censée croître, comme le forfait hospitalier d'ailleurs.
Mme Michelle Demessine. L'expérience nous alerte !
Inéquitable, votre plan l'est assurément dans la mesure où, par ailleurs, il reporte sur les générations futures le poids des déficits via l'allongement de la durée de la CRDS.
Insuffisant, injuste, le cadrage financier du Gouvernement a, de surcroît, était jugé irréaliste, y compris par les services de Bercy, car il repose sur des hypothèses de changements de comportements - nous n'entendons que cela depuis quelques jours - dont l'incidence financière n'est pas certaine.
En effet, votre pseudo plan de sauvetage prévoit 15 milliards d'euros d'économies, principalement, là encore, sur le dos des assurés sociaux.
Mme Michelle Demessine. On le constate à la lecture du texte !
Vous renforcez ainsi tous azimuts les procédures de contrôle des arrêts de travail et des patients atteints d'affections de longue durée, vous instaurez de nouveaux déremboursements et des pratiques discriminantes en termes de remboursement des actes et consultations, selon le comportement de l'assuré et le degré de contrainte qu'il serait capable d'accepter.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Arrêter les gâchis, ce n'est pas en vouloir à quelqu'un !
Mme Michelle Demessine. Nous aurons l'occasion d'en discuter.
Or, contrairement aux idées que vous vous plaisez à répandre, les ordonnances ou les arrêts maladie de complaisance restent marginaux. Seuls un ou deux médecins sur mille seraient concernés.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Peut-être, mais ils en font beaucoup !
Mme Michelle Demessine. Quant au nomadisme médical, il serait le fait de seulement 0,47 % des assurés.
En revanche, d'autres situations beaucoup plus graves en termes de coût pour l'assurance maladie ne sont pas traitées, alors que des économies immédiates sont possibles. Je fais référence aux nouvelles spécialités pharmaceutiques dont les industriels peuvent librement fixer le prix. Selon la revue Prescrire, en vingt ans, sur 1996 nouveautés vendues, sept seulement peuvent être classées dans la catégorie des médicaments innovants.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Tout dépend de ce que l'on entend par « innovant » !
Mme Michelle Demessine. Pourquoi alors, si ce n'est pour des considérations idéologiques, ne pas faire le choix de mieux contrôler ce secteur ?
Pourquoi, si ce n'est encore pour des considérations idéologiques, faire reposer l'essentiel de l'effort sur les uns, les assurés sociaux, et en exonérer les autres, les entreprises ?
Monsieur le ministre, et je ne suis pas la seule à le déplorer, ce projet de loi, empreint d'une logique purement comptable, n'est pas financé. Dans ces conditions, le retour à l'équilibre des comptes à l'horizon 2007 n'est pas crédible. En revanche, nos craintes de voir demain une logique encore plus dure s'appliquer en cas d'échec de votre plan sont, elles, de plus en plus plausibles.
Le secrétaire d'Etat au budget et à la réforme budgétaire, M. Dominique Bussereau, n'a-t-il pas d'ailleurs déjà prévenu qu'il en serait ainsi ?
Quelle sera la prochaine étape, monsieur le ministre ? Une prise en charge au premier euro par les assurances complémentaires mises en concurrence avec l'assurance maladie ou, comme le préconise le président du groupe AXA, « la mise en place d'un fonds de solidarité des assureurs pour permettre aux plus démunis d'accéder à une assurance complémentaire » ?
Monsieur le ministre, la frontière est ténue entre ces propositions et ce que prépare votre projet de loi.
Je ne prendrai qu'un seul exemple, celui du crédit d'impôt, financé via le fonds de la CMU complémentaire, qui a pris forme à l'Assemblée nationale.
Outre l'aspect du niveau extrêmement faible de cette mesure, même au regard du tarif de base des complémentaires, les véritables objectifs sont clairs : entériner ainsi le principe d'un partage nouveau des rôles entre l'assurance de base et les régimes complémentaires cogérant ensemble le risque maladie.
S'il est vrai qu'aujourd'hui l'assurance maladie prend seulement en charge 76 % des dépenses - les organismes complémentaires, les ménages intervenant à hauteur de 12% - je ne suis pas persuadée que ces niveaux de prise en charge, à nuancer d'ailleurs en fonction de la nature des prestations -dentisterie, hôpital - ne s'élèveront pas pour autant, le projet de loi incitant fortement les assurances et les complémentaires à ne plus couvrir ce que le directeur général de l'UNCAM aura décidé de dérembourser.
Peut-être y aura-t-il une redistribution entre l'assurance de base et les régimes complémentaires mais, à terme, le reste à charge du patient sera, à n'en pas douter, revu à la hausse. Or, nous savons justement que la question financière représente l'obstacle essentiel à un égal accès aux soins et à la prévention.
La preuve est faite, mes chers collègues, que l'objet de ce texte n'est pas d'améliorer la qualité des soins et de réduire les inégalités persistantes en matière de santé. Si telles étaient ses ambitions, vous n'auriez pu, monsieur le ministre, faire l'économie de certaines questions incontournables.
Je pense évidemment à la prévention, grande absente de ce texte. Nous venons pourtant de rappeler la responsabilité de l'Etat dans ce domaine en votant le projet de loi relatif à la politique de santé publique. Or, je n'ai pas trouvé trace dans le projet de loi initial d'une quelconque référence à la santé au travail. Vous vous focalisez sur les arrêts maladie. En revanche, vous ne vous interrogez pas sur les souffrances au travail, sur les moyens de les prévenir, ni sur la pénibilité. Votre projet de loi n'évoque même pas les accidentés du travail, sauf pour les soumettre, eux aussi, au ticket forfaitaire. Désormais, un article prépare, comme le souhaite le MEDEF, l'autonomisation de la branche AT-MP. Quelle réforme de progrès !
Deux autres éléments confirment le manque d'ambition du texte. Bien que les dépenses hospitalières représentent près de la moitié du budget de la sécurité sociale, l'hôpital est exclu de nos discussions, si ce n'est au détour d'articles traitant des ARH, de leur rapprochement avec les URCAM en vue de la création des agences régionales de santé.
Ce projet de loi n'est qu'un prétexte, un rideau de fumée pour institutionnaliser les organismes privés d'assurance et les mutuelles, pour leur reconnaître un rôle et une place identiques aux organismes de sécurité sociale, pour leur donner le poids nécessaire afin de décider des choix stratégiques en matière de gestion du risque maladie.
Comment nous convaincre, dans ces conditions, que le poids des uns suffira à compenser les règles et les appétits de marchandisation des autres ?
Vous l'aurez compris, mes chers collègues, si nous reprochons à ce projet de loi son manque d'ambition en matière de recettes, son caractère parcellaire et relatif, alors qu'une réforme d'ensemble était annoncée, nous constatons aussi qu'il a un caractère structurant - j'aurais pu dire de démantèlement - pour l'avenir de la sécurité sociale.
Mme Michelle Demessine. Tous les leviers, à travers la gouvernance, sont mis en place pour changer de système. Des pas importants vers la privatisation sont franchis.
Mme Michelle Demessine. L'étatisation du pilotage de l'assurance maladie est parachevée.
Mme Michelle Demessine. Le système avait besoin d'un pilote. Au renforcement de la légitimité des conseils d'administration tenant compte de la représentativité des organisations syndicales, du plein exercice de leurs missions concernant les taux de remboursement, vous avez préféré la position du MEDEF, qui prône la concentration des pouvoirs, y compris en termes de périmètre des soins remboursés, dans les mains d'une seule entité : le directeur général nommé par vous-même.
De surcroît, comme si cela ne suffisait pas, vous avez mêlé l'existence de l'UNCAM à l'Union des organismes d'assurance maladie complémentaires ! Ainsi, la boucle est bouclée.
Monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, à travers les amendements que nous défendrons, nous marquerons notre opposition totale à ces deux principaux bouleversements.
Nous nous inscrirons dans ce débat résolument contre la logique comptable, culpabilisatrice, du projet de loi et nous proposerons des mesures alternatives, notamment par une importante réforme du financement.
Si, comme tout le laisse supposer, ce projet de loi restait en l'état, nous voterions bien entendu résolument contre. En effet, comme ce fut le cas pour les retraites, c'est une réforme de régression sociale que vous proposez aux Français. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. François Fortassin.
M. François Fortassin. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le projet de loi qui nous est soumis revêt, à l'évidence, une grande importance.
Je rappellerai quelques lieux communs. Bien sûr, l'assurance maladie est une composante de la sécurité sociale.
M. François Fortassin. C'est aussi un pilier du pacte social et républicain de notre pays. Il ne faut pas l'oublier et insister avec force sur ce point, au-delà des problèmes de nature technique.
Cette réforme est nécessaire et urgente.
M. François Fortassin. Elle est attendue par de nombreux partenaires qui souhaitent une réforme charpentée.
M. François Fortassin. Vous avez annoncé une grande réforme, mais force est de constater, à la lecture du texte qui nous est soumis, que ce projet de loi n'est pas à la hauteur des ambitions que vous affichiez.
M. François Fortassin. Nous sommes en présence d'une réforme invertébrée, que je qualifierai d'ectoplasmique ! (Sourires. - Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
Monsieur le ministre, si l'on trouve beaucoup d'enthousiasme dans la présentation de ce projet de loi, il y a incontestablement un manque de souffle sur le fond.
M. François Fortassin. Pourquoi ? Tout simplement parce que l'on ne retrouve pas l'idée directrice, à nos yeux fondamentale, que nous pourrions les uns et les autres partager : si la médecine doit être libérale dans son exercice, dans sa pratique, il est clair qu'elle doit être fortement encadrée dans son organisation.
M. Alain Vasselle, rapporteur. Voilà, nous nous retrouvons !
M. François Fortassin. Au-delà de la médecine, il y a toutes les professions de santé.
M. François Fortassin. Vous avez là encore, et je vous en donne acte, monsieur le ministre, voulu responsabiliser les acteurs. Nous ne pouvons que partager cette décision.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Très bien !
M. François Fortassin. Mais, au détour de la lecture de ce texte, on constate que la culpabilisation des patients est plus fréquente que la responsabilisation de l'ensemble des acteurs. (Mme Gisèle Printz applaudit.)
M. François Fortassin. Monsieur le ministre, le présent projet de loi comporte certaines zones d'ombre que je souhaite pour ma part voir levées.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Dans les yeux du ministre gît la lumière ! (Sourires.)
M. François Fortassin. Dans ce texte, on ne trouve rien, ou presque, sur les médicaments. Or, nous le savons, malgré la mise en vente de médicaments génériques, on constate en France une très forte consommation de médicaments - nous détenons pratiquement le record d'Europe dans ce domaine - ...
M. François Fortassin. ... et une tendance à la consommation de médicaments de plus en plus chers.
Ce n'est pas accidentel ! J'ai d'ailleurs déjà eu l'occasion de vous le dire au cours d'une réunion de travail, monsieur le ministre. Vous m'aviez alors opposé un silence pudique et même une indignation très grande. Certes, ce n'était pas l'indignation des rosières effarouchées de notre enfance, mais elle était aussi vive. (Sourires.)
Il y a pourtant des choses absolument inacceptables dans les pratiques opaques - pour ne pas dire plus - de l'industrie pharmaceutique.
M. François Fortassin. Dix pour cent pour la recherche, quarante pour cent pour la promotion. Le médicament peut-il être assimilé à une marque de lessive ou à un produit de grande consommation ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. N'applaudissez pas, ce n'est pas exact !
M. Jean-Pierre Sueur. On a le droit d'applaudir !
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. N'applaudissez pas les erreurs !
M. François Fortassin. Ce n'est pas une erreur !
Par ailleurs, est-il acceptable que des pressions soient exercées par ces mêmes laboratoires pharmaceutiques sur les 23 000 visiteurs médicaux,...
M. Claude Domeizel. Absolument !
M. François Fortassin. ... dont le nombre est en constante augmentation ...
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Des pressions sur les visiteurs médicaux ? Quelles pressions ?
M. François Fortassin. ... et qui ont pour mission non pas de former les médecins, mais de les faire prescrire. D'ailleurs, dans ce galimatias sémantique, il y a quelque chose d'extraordinaire.
J'ai découvert, dans des lettres envoyées à ces visiteurs médicaux, qu'il existait des médecins « coeur de cible ».
M. François Fortassin. Peut-être en avez-vous fait partie, monsieur le ministre ? (Sourires.)
M. François Fortassin. Ces médecins « coeur de cible » sont de gros prescripteurs et sont susceptibles d'être sensibles à certaines largesses...
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Oh ! Mme Veil est passée par là, c'est fini, ça !
M. François Fortassin. Lorsqu'un médicament va tomber dans le domaine public, est-il acceptable de changer très légèrement sa composition, sans du tout améliorer son efficacité, ...
M. Gilbert Chabroux. Mais on augmente le prix !
M. François Fortassin. ... ce qui permet d'augmenter le prix ? C'est un élément fondamental que vous passez sous silence, monsieur le ministre.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Et vous, qu'avez-vous fait ? Quel donneur de leçons !
M. François Fortassin. Certes, vous vous en occupez un tout petit peu, mais vous ne nous l'avez pas dit !
Il existe bien un classement qui est effectué de façon tout à fait objective et honnête par vos services et qui s'appelle l'ASMR, c'est-à-dire l'amélioration du service médical rendu. Il va de 1 à 6.
Mais combien de patients savent qu'un tel classement existe ? Combien de médecins ont-ils été mis au courant ?
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Ils le connaissent tous !
M. Jacques Blanc. Tout à fait !
M. François Fortassin. Ce n'est pas vrai !
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Oh ben tiens !
M. François Fortassin. Cela m'étonnerait que M. Jacques Blanc ne me dise pas qu'il connaît tout sur toutes les pratiques déviantes de la pharmacie et de la médecine !
M. Jacques Blanc. J'ai fait de la médecine, mon cher collègue, et je peux même tout à fait vous faire une piqûre ! (Sourires.)
M. le président. Il y a sans doute longtemps que vous n'en avez fait... (Nouveaux sourires.)
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Heureusement pour les malades ! M. Blanc est médecin neuropsychiatre. (Rires.)
M. François Fortassin. Je me méfierai néanmoins, mon cher collègue, car cela fait longtemps que vous n'exercez plus la médecine !
Quelque chose montre que tout n'est pas parfait dans ce monde, ...
M. François Fortassin. ... puisque - et cela mérite d'être cité in extenso - « une charte de qualité des pratiques professionnelles des personnes chargées de la promotion par prospection ou du démarchage pour les spécialités pharmaceutiques est conclue entre le Comité économique des produits de santé et un ou plusieurs syndicats représentatifs des entreprises du médicament.
« Elle vise, notamment, à mieux encadrer les pratiques commerciales et promotionnelles qui pourraient nuire à la qualité des soins. »
Mme Michelle Demessine. C'est une charte, ce n'est pas un gendarme !
M. François Fortassin. C'est une charte, effectivement. Mais on a bien soigneusement évité d'insister sur ces aspects qui pourraient incontestablement améliorer les choses.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Que n'avez-vous mis les moyens de contrôler à l'époque ? Vous n'avez rien fait !
M. François Fortassin. Enfin, il semblerait que soit envisagée - je parle au conditionnel - une taxation sur le chiffre d'affaires de la promotion des médicaments.
M. Adrien Gouteyron, rapporteur pour avis. Oui, cela existe déjà !
M. François Fortassin. Cela peut faire entrer de l'argent mais, entre nous, c'est comme si vous me disiez que, pour moraliser la consommation de drogue, on va taxer les trafiquants !
M. Jacques Blanc. C'est osé !
M. François Fortassin. La comparaison vous paraît peut-être osée, mais c'est pourtant de cela qu'il s'agit !
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. On ne peut pas laisser dire cela !
Monsieur Fortassin, me permettez-vous de vous interrompre ?
M. François Fortassin. Je vous en prie.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires sociales, avec l'autorisation de l'orateur.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Pour avoir été dans l'industrie pharmaceutique et pour être médecin, je voudrais dire à l'orateur qu'on ne peut pas comparer ceux qui consacrent leur vie à la recherche sur le médicament à des vendeurs de drogue !
Aussi, je souhaite que l'orateur retire ses propos inacceptables à l'égard du corps médical et de la recherche. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. François Fortassin. Ecoutez ...
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. C'est scandaleux ! (Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.) Ils servent la cause des gens et leur santé, et vous n'avez pas à les comparer, comme vous l'avez fait, à des vendeurs de drogue ! Ce n'est pas acceptable !
M. Jean-Pierre Sueur. Vous n'avez pas compris ce qu'a dit M. Fortassin !
M. le président. Veuillez poursuivre, monsieur Fortassin.
M. François Fortassin. Monsieur About, si vous n'écoutez pas bien, je n'y suis pour rien ! Je n'ai pas fait de comparaison !
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. J'ai bien entendu ! Faites attention, vous vous laissez entraîner !
M. François Fortassin. J'ai dit : « C'est comme si vous me disiez que, pour moraliser la consommation de drogue, on va taxer les trafiquants ».
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. L'audace est le propre du crime, le calme celui de l'innocence.
M. François Fortassin. En matière de crime, sur ces travées, nous devons être à peu près à égalité ! (Rires.) Alors n'en ajoutons pas !
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Du calme !
M. François Fortassin. Monsieur le ministre, concernant la carte individuelle de santé, le fait qu'elle comporte une photo numérisée est effectivement une bonne chose pour éviter un certain nombre de fraudes et aussi pour sécuriser le patient ; je vous en donne acte.
Avec un certain nombre de mes collègues, nous proposerons un amendement afin d'y faire figurer en particulier le groupe sanguin, les allergies,...
M. François Fortassin. ... et le don d'organes.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Bonne idée !
M. François Fortassin. En effet, les dons d'organes peuvent sauver des vies, mais, à l'évidence, les familles éprouvent quelques réticences à autoriser de tels prélèvements.
S'agissant de la formation, nous aimerions savoir comment elle sera faite et par qui. Nous avons quelques inquiétudes pour l'avenir. Certes, des précautions sémantiques ont été prises, mais elles ne dissipent pas ces inquiétudes. C'est ainsi que le « médecin référent » est devenu « médecin traitant », ...
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Non !
M. François Fortassin. ... le « dossier partagé » est devenu « dossier individuel », etc.
M. Adrien Gouteyron, rapporteur pour avis. Dossier personnel !
M. François Fortassin. Nous sommes d'accord, mais notre crainte de voir, dans quelques années, se développer une médecine à deux vitesses ne s'estompe pas avec ce projet de loi.
Mme Hélène Luc. C'est sûr !
M. François Fortassin. Le nombre de médecins chirurgiens sera-t-il suffisant dans dix ans ?
M. Jacques Blanc. Qu'avez-vous fait pendant des années ?
M. François Fortassin. Nous sommes quand même très inquiets aujourd'hui.
M. Jacques Blanc. Nous aussi !
M. Alain Vasselle, rapporteur. Il fallait réagir plus tôt, monsieur Fortassin !
M. François Fortassin. Avant, devenaient chirurgiens les meilleurs au concours de l'internat. Aujourd'hui, ce n'est plus le cas.
M. Alain Vasselle, rapporteur. Cela fait vingt ans !
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Il faut quinze ans pour former un médecin ! La gauche a tout saccagé !
M. François Fortassin. C'est trop facile de nous faire ce reproche !
M. Jacques Blanc. Il faut changer la nomenclature des actes !
M. François Fortassin. Monsieur le ministre, je ne dis pas que vous agissez sciemment, mais, en n'encadrant pas suffisamment l'industrie pharmaceutique, vous préférez favoriser le profit des grands laboratoires pharmaceutiques plutôt que de payer davantage les médecins. Notre crainte la plus grande, c'est que les générations futures, en définitive, soient gavées de médicaments. Mais seront-elles pour autant mieux soignées ? Je n'en suis pas convaincu.
Il vous reste, monsieur le ministre, à accepter un assez grand nombre d'amendements du Sénat. Peut-être cette réforme, qui pour l'instant ne nous séduit pas, deviendra-t-elle alors acceptable ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. Adrien Gouteyron, rapporteur pour avis. Il y a de l'espoir !
M. le président. La parole est à M. André Vantomme.
M. André Vantomme. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, ...
M. Alain Vasselle, rapporteur. N'oubliez pas les rapporteurs ! (Sourires.)
M. André Vantomme. ... et messieurs les rapporteurs, bien entendu - je parlerai de vous tout à l'heure, monsieur Vasselle ! -, ...
M. Alain Vasselle, rapporteur. Merci !
M. André Vantomme. ... dans l'exposé des motifs de votre projet de loi, vous nous indiquez très clairement des objectifs plutôt sympathiques.
Après le constat de la situation préoccupante de l'assurance maladie, vous nous faites part du souhait du Gouvernement de mettre en oeuvre une véritable réforme structurelle de l'assurance maladie, en concertation avec l'ensemble des acteurs.
Vous nous précisez que l'objectif de cette réforme vise à sauvegarder un régime dont vous souhaitez préserver et consolider les principes fondamentaux. Vous précisez ceux-ci - égalité d'accès aux soins, qualité des soins et solidarité - et vous nous confirmez que le Gouvernement et les Français y sont attachés parce qu'ils sont à l'origine de son excellence.
Avant d'aborder les questions actuelles qui nous occupent aujourd'hui, prenons le temps de rappeler ce qu'est la sécurité sociale.
N'oublions jamais que la sécurité sociale est la concrétisation de la victoire de la solidarité sur la charité comme moyen de vaincre la misère. Cette victoire s'est inscrite très progressivement dans les grands moments de notre histoire sociale. Luc Barère, le 22 mai 1794, présente à la Convention nationale, au nom du Comité de salut public, une pétition qu'il est bon de rappeler.
« Que la République française donne la première le grand exemple de cette justice qui n'a pu trouver un asile dans le coeur des citoyens. Qu'il soit ouvert le grand registre ! Les citoyens malheureux, les vieillards indigents auront aussi leur grand livre pour y graver leurs services industriels, leurs travaux agricoles et leurs droits de bienfaisance nationale. Oui, je parle de leurs droits parce que dans une démocratie qui s'organise, tout doit tendre à élever chaque citoyen au dessus du premier besoin, par le travail s'il est valide, par l'éducation s'il est enfant et par le secours s'il est invalide ou dans la vieillesse ».
L'idée était lancée, mais le combat de la solidarité contre la charité n'était pas encore gagné. Pour en témoigner rappelons le propos de Casimir Perrier, président du Conseil, qui, en 1831, déclarait : « S'il y a des riches et des pauvres dans la société, c'est parce que Dieu l'a voulu ainsi, et celui qui veut changer cet état de fait va à l'encontre de l'oeuvre voulue par Dieu ; de plus les pauvres sont moins heureux sur terre, mais ils auront la vie éternelle. Les pauvres sont nécessaires, car le seul moyen pour le riche de gagner son paradis, c'est de pratiquer la charité ». (Rires sur les travées du groupe socialiste.)
Fort heureusement, la solidarité allait engranger, en 1930 d'abord avec le vote de la loi sur les assurances sociales, puis en 1945 avec la loi portant création de la sécurité sociale sur l'initiative de Georges Buisson, rapporteur de la dite loi, des succès décisifs.
Cinquante-neuf ans plus tard, nous nous devons de saluer la réussite d'une institution qui, bien qu'imparfaite, a été le moteur d'avancées sociales majeures qui ont permis le développement de la médecine et des progrès considérables dans l'accès pour tous à des soins de qualité.
Notre peuple est conscient du rôle éminent de cette institution et lui porte un très réel attachement. Nous n'oublierons pas également le mouvement mutualiste qui, inspiré très directement du principe de solidarité, a su mettre en place, aux côtés, en complément de la sécurité sociale, une institution complémentaire large et diversifiée qui apporte un concours déterminant à la protection sociale.
L'adhésion au mouvement mutualiste, certes volontaire, doit être vécue et comprise comme un plus, une qualité supplémentaire à l'action de la sécurité sociale. En aucun cas elle ne doit apparaître comme la solution de substitution à une sécurité sociale qui deviendrait défaillante et oublieuse des principes qui l'ont fondée.
Nos concitoyens sont aussi inquiets au regard de la pérennité d'une sécurité sociale que l'on dit confrontée à des déficits abyssaux. Cette situation connue perdure. Nos concitoyens s'étonnent de l'inertie qui prévaut depuis plus de deux ans à l'égard de ce dossier. Pourtant, la politique de communication des gouvernements Raffarin nous le répète : c'est un gouvernement réformateur qui affronterait « tous les immobilismes et tous les conservatismes de la société française ».
Mais réformer pour quoi faire, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat ?
M. André Vantomme. S'agit-il d'aller dans le sens de l'histoire et d'agir pour le progrès social ?
Force nous est de constater que, sous vos gouvernements, la réforme est devenue synonyme de rigueur et de régression. Avec le gouvernement Raffarin, la réforme ne vise plus à changer en mieux, à améliorer. C'est malheureusement ainsi !
Depuis deux ans, une politique méthodique d'abandon social est menée.
M. Jacques Blanc. Non !
M. André Vantomme. Sa logique se nourrit d'un libéralisme sans limite qui privilégie la baisse des prélèvements sur les plus riches, soi-disant pour soutenir l'activité économique.
Sa méthode est dangereuse : elle vise à dénoncer les droits sociaux comme des avantages indus et à culpabiliser ceux qui en bénéficient. On supprime ce qui améliore la vie quotidienne et qui donne confiance en l'avenir.
Le résultat de cette politique, c'est l'augmentation du chômage, la multiplication des plans de licenciements, l'explosion des déficits de l'Etat et de la sécurité sociale.
Les Français, pourtant pas opposés par principe aux réformes, le sont devenus aux vôtres, presque toujours marquées du sceau de la régression et de la rigueur.
Les résultats des élections européennes dernièrement, des élections cantonales et régionales voilà quelques mois vous ont cruellement éclairés sur les sentiments de nos concitoyens au regard de votre politique.
Cela étant dit, pour apprécier pleinement et complètement votre démarche, il paraît indispensable d'examiner les aspects financiers de ce dossier, qui sont l'expression de choix organisationnels et d'objectifs au regard de la santé publique.
Toutefois, avant d'entrer dans des analyses financières toujours intéressantes, il n'est pas inutile de rappeler que la sécurité sociale, ce sont aussi des hommes et des femmes, rarement à l'honneur, parfois décriés, qui permettent, par leur travail, leur dévouement et leur motivation, le financement d'une politique de santé publique où oeuvrent plusieurs centaines de milliers de nos concitoyens.
La réforme de la sécurité sociale, c'est l'affaire de tous. C'est aussi sûrement la leur. Essayons de ne pas l'oublier.
Monsieur le ministre, comme vous nous y invitez dans l'exposé des motifs de votre projet de loi, j'évoquerai, dans le cadre d'un propos qui n'a pas vocation à être exhaustif, l'assurance maladie pour ce qui concerne son redressement financier et votre objectif de « soigner mieux en dépensant mieux ».
La réduction d'un déficit peut résulter d'une action visant à augmenter les recettes ou à réduire les dépenses, voire à mener ensemble les deux opérations. Bien entendu, et là est la difficulté, ces opérations doivent prendre en compte les objectifs de l'institution concernée, en l'occurrence l'assurance maladie.
Pour éclairer ce débat, je souhaiterais évoquer ce déficit au regard de trois chiffres relatifs aux déficits cumulés du régime général de la sécurité sociale sur trois périodes récentes.
De 1983 à 1997, le déficit était de 40,49 milliards d'euros. Entre 1998 et 2002, il s'est élevé à 3,17 milliards d'euros. De 2002 à 2004, il s'est établi à 22,5 milliards d'euros.
Pour mieux comprendre encore, rappelons quelques chiffres clés : le budget de l'Etat s'élève à 296 milliards d'euros ; le déficit du budget de l'Etat atteint 57 milliards d'euros ; le produit intérieur brut s'établit à 1 566 milliards d'euros ; le budget de la sécurité sociale représente 331 milliards d'euros ; le déficit annoncé est de 12 milliards d'euros.
Le déficit cumulé total pour la sécurité sociale s'élève à 35 milliards d'euros pour la CNAM, soit 2,23 % du PIB, et la dette de l'Etat au 31 décembre 2003 représente 799 milliards d'euros, soit 51,3 % du PIB.
Au regard de ces chiffres une première constatation s'impose : le caractère relatif de la dette de la sécurité sociale au regard de celle de l'Etat.
M. Jean-Jacques Hyest. Ce n'est pas rassurant pour autant !
M. Alain Vasselle, rapporteur. Vous avez de bonnes lectures, monsieur Vantomme !
M. André Vantomme. La seconde remarque que l'on peut faire est relative à vos résultats au regard de la situation presque équilibrée de la période 1998-2002, alors que, pour les trois années qui suivent, le déficit cumulé s'établit à 22,5 milliards d'euros.
En trois ans, monsieur le ministre, le gouvernement de M. Raffarin a plongé la sécurité sociale dans une situation calamiteuse.
M. Jean Chérioux. C'est dû au ralentissement économique !
M. André Vantomme. Vous avez choisi de fragiliser la sécurité sociale et l'assurance maladie pour financer les réductions d'impôt en faveur des plus favorisés.
M. André Vantomme. Le Gouvernement a préféré réduire l'impôt sur le revenu et l'impôt de solidarité sur la fortune en profitant des opportunités offertes par la sécurité sociale.
M. Claude Domeizel. Eh oui !
M. André Vantomme. L'Etat prend les taxes sur le tabac et l'alcool et laisse à la sécurité sociale le soin de prendre en charge les conséquences du tabagisme et de l'alcoolisme. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. Jacques Blanc. C'est incroyable ! On entend vraiment tout et n'importe quoi !
M. André Vantomme. Lors de la suppression du fonds de financement de la réforme des cotisations patronales de sécurité sociale, le FOREC, le Gouvernement a souhaité affecter directement au budget de l'Etat les droits de consommation sur les tabacs et sur l'alcool, sans oublier la taxe sur les conventions d'assurance, qui étaient versés à la sécurité sociale. Cette décision pénalise la sécurité sociale de 15 milliards d'euros par an.
Comme on le voit depuis des décennies, les relations financières entre l'Etat et la sécurité sociale n'ont guère été équilibrées,...
M. Alain Vasselle, rapporteur. Vous faites votre mea culpa ?
M. André Vantomme. ... et, quand le gouvernement de M. Raffarin nous explique qu'à chaque minute le déficit de l'assurance maladie se creuse de 23 000 euros, il oublie de dire qu'à chaque minute aussi les entreprises bénéficient de 36 000 euros d'exonérations de cotisations patronales et que 10 % de ces exonérations ne sont pas compensées par le Gouvernement.
M. Alain Vasselle, rapporteur. M. Chabroux l'a déjà dit !
M. Jean Chérioux. Et combien à cause des 35 heures ?
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Hors sujet !
M. André Vantomme. Monsieur le ministre, votre projet de loi aurait pu s'inscrire dans une perspective historique si, contrairement à tous vos prédécesseurs, vous aviez su proposer de mettre un terme aux pratiques qui permettent à l'Etat de profiter de charges indues au détriment de la sécurité sociale.
Notre éminent rapporteur Alain Vasselle confirme cette analyse dans son rapport présenté au nom de la commission des affaires sociales.
M. Alain Vasselle, rapporteur. Vous avez de bonnes lectures !
M. André Vantomme. Je dois le citer : «La création des lois de financement de la sécurité sociale portait en elle-même le principe d'une autonomie des finances sociales par rapport aux finances de l'Etat.
M. Alain Vasselle, rapporteur. Je l'ai rappelé tout à l'heure !
M. André Vantomme. « Les prévisions de recettes et de dépenses des organismes sociaux devaient être établies de manière indépendante de la construction du budget général, chacune des deux masses financières devant trouver son équilibre indépendamment. »
M. Alain Vasselle, rapporteur. C'est exact !
M. André Vantomme. « Les traditions séculaires de l'appareil d'Etat et les nécessités politiques de " calibrer " l'affichage des déficits ont fait échouer cette réforme. Les excédents sociaux ont ainsi été " recyclés " pour permettre la prise en charge des dépenses relevant de l'Etat. »
M. Alain Vasselle, rapporteur. Vous avez effectivement de bonnes lectures !
M. André Vantomme. Cela étant dit, il nous faut poursuivre l'analyse du rôle de l'Etat et de la politique qu'il met en oeuvre au regard de l'assurance maladie et de la sécurité sociale. C'est particulièrement vrai au regard de la politique de l'emploi.
Le financement de notre système de protection sociale est déterminé essentiellement par référence aux salaires versés. Deux chiffres vont illustrer cela : quand la masse salariale augmente de 1%, c'est 1,5 milliard d'euros qui entre dans les caisses de la sécurité sociale.
M. Alain Vasselle, rapporteur. C'est ce qu'a dit M. Chabroux voilà quelques instants !
M. André Vantomme. Il est bon de répéter ces vérités, monsieur le rapporteur !
Quand on crée 100 000 emplois supplémentaires, c'est aussi 1 milliard d'euros qui suit le même chemin.
Monsieur le ministre, je ne sais pas pourquoi je vous dis cela dans la mesure où la politique du gouvernement auquel vous appartenez conduit à une aggravation du chômage...
M. Jacques Blanc. Oh !
M. André Vantomme. ...et n'est donc d'aucun secours pour la sécurité sociale. (Eh oui ! sur les travées du groupe socialiste.) Il y a quand même une bonne nouvelle : comme l'a rappelé M. Gilbert Chabroux, en 2003, les seules entreprises cotées au CAC 40 ont comptabilisé 37 milliards d'euros de bénéfices !
M. Jean Chérioux. Tant mieux pour l'impôt sur les sociétés !
M. André Vantomme. Monsieur le ministre, le Gouvernement aurait du être bien plus motivé pour mettre en place une réelle politique de l'emploi. Vous avez défait la politique mise en place par Lionel Jospin en espérant que la croissance viendrait prendre le relais. Force est de constater qu'elle n'est pas à l'heure au rendez-vous, alors que, dans le même temps, s'amplifient les délocalisations et les plans sociaux,...
M. Jean Chérioux. A cause de quoi ? Grâce à votre action !
M. André Vantomme. ...pratiques guère bénéfiques pour les finances de la sécurité sociale.
En augmentant au 1er janvier 2005 la contribution sociale généralisée des retraités imposables, vous prélèverez 1,6 milliard d'euros supplémentaires sur une catégorie qui ressent durement l'iniquité de cette situation, d'autant que rien n'est demandé aux professions indépendantes ! Une autre mesurette augmentant la CSG des placements et du patrimoine vous rapportera 600 millions d'euros.
Il convient enfin d'évoquer votre étrange projet visant à augmenter la contribution au remboursement de la dette sociale. Votre projet entend reporter les déficits sur les générations futures.
Vous nous rappelez un précédent : le report intervenu en 1998. La situation était différente. (Exclamations sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.) Il s'agissait, à l'époque, de reporter la dette accumulée entre 1996 et 1997,...
M. Alain Vasselle, rapporteur. Il n'y avait pas que ça ! Et la dette prévisionnelle ?
M. André Vantomme. ... malgré ou à cause du plan Juppé...
M. Jacques Blanc. Oh !
M. André Vantomme. ... qui avait pour objectif de permettre au régime général d'être excédentaire de 1,2 milliard d'euros et qui s'est finalement traduit par un déficit de 5 milliards d'euros. (Nouvelles exclamations sur travées de l'UMP et de l'Union centriste.) Ces vérités sont cruelles, mais il faut les rappeler. (M. le ministre rit.) Ce report était nécessaire pour éponger votre dette. La politique conduite ensuite par le gouvernement Jospin a permis d'avoir des comptes beaucoup plus équilibrés.
M. Jean Chérioux. Grâce à quoi ?
M. Alain Vasselle, rapporteur. Grâce à la croissance mondiale, et non grâce à la politique socialiste !
M. André Vantomme. Aujourd'hui, monsieur le ministre, vous entendez reporter la dette sur les générations futures, non plus pour 13 milliards d'euros comme en 1998, mais pour 50 milliards d'euros correspondant aux déficits que vous avez accumulés depuis deux ans et à ceux que vous accumulerez jusqu'en 2007.
S'agissant des mesures que vous envisagez pour conforter les recettes de la sécurité sociale, pour réduire son déficit et assurer sa pérennité, nous pensons qu'elles sont inopérantes, injustes et inefficaces. Cela motivera les propositions alternatives que nous formulerons sous forme d'amendements.
J'en arrive à l'examen des mesures que vous souhaitez mettre en oeuvre pour réduire les dépenses de la sécurité sociale et par conséquent son déficit.
Monsieur le ministre, notre attachement à l'institution nous permettra de vous accompagner dans les dispositifs qui pourraient être envisagés pour réduire le gaspillage et rendre plus performante la sécurité sociale. Bien entendu, cette démarche, à nos yeux, ne pourra être engagée que dans le respect des principes fondateurs déjà évoqués et pour autant qu'elle soit inspirée par l'efficacité, l'adéquation et l'équité dans sa mise en oeuvre.
Monsieur le ministre, je trouve extrêmement étonnant que, dans l'exposé des motifs de votre projet de loi relatif à l'assurance maladie, il n'y ait pas un mot sur la prévention.
M. André Vantomme. Notre système de santé néglige la prévention et, de fait, privilégie le curatif. Réduire les dépenses de santé, c'est d'abord, me semble-t-il, mettre bien davantage en oeuvre une véritable politique de prévention. N'est-ce pas là le plus sûr moyen de réduire, à moyen et à long terme, les dépenses de santé ?
Curieuse attitude que la vôtre ! Vous méconnaissez, s'agissant des recettes, l'incidence du niveau d'emploi et du pouvoir d'achat ; vous méconnaissez, pour ce qui concerne les dépenses, la nécessité de mettre en oeuvre une forte inflexion de la politique suivie en matière de santé publique pour ce qui a trait à la prévention. Comprenne qui pourra ! La prévention est la grande absente de votre projet. Ne devrait-elle pas occuper la même place que le soin ?
C'est pourtant dans ce nouveau rapport entre soin et prévention que l'on trouvera les marges de manoeuvre pour améliorer la qualité des soins et pour permettre aux pratiques médicales d'évoluer. L'ignorer, c'est passer à côté de l'essentiel. Vous tentez de trouver dans des mesures accessoires des réponses qui ne pourront être qu'aléatoires et insuffisantes au regard des exigences de la situation de l'assurance maladie.
Ainsi en est-il du dossier médical personnel. C'est probablement une bonne idée,...
M. André Vantomme. ...même si elle n'est pas nouvelle. Regrouper les données de santé de chacun est utile à l'amélioration des soins. C'est aussi un outil pour réduire la trop forte discontinuité des soins entre la médecine de ville et l'hôpital. Enfin, c'est un plus au service du développement des réseaux de santé et des parcours de soins.
M. Adrien Gouteyron, rapporteur pour avis. C'est parfait !
M. André Vantomme. La mise en oeuvre du dossier médical personnalisé pose néanmoins de nombreuses questions.
Comment le rendre opérationnel ? Comment le rendre compatible avec la loi Kouchner sur le droit des malades, garantissant l'accès de chacun à son dossier médical et le droit de veto sur les informations qui y figurent ?
Faut-il absolument que tous les professionnels aient accès à toute la vie médicale d'un patient ? Ne faut-il pas maintenir cette liberté fondamentale de conserver secrète telle ou telle information pour tout un chacun ?
Quelle garantie mettre en oeuvre pour assurer la confidentialité et comment régir les conditions d'accès des données ?
Quelle sera la responsabilité des médecins dans la mise en oeuvre du dossier ?
Comment va-t-on pouvoir mémoriser aujourd'hui la vie médicale de chacun ? Qui se chargera de cette tâche herculéenne ?
Parmi les très nombreuses questions qui se posent, monsieur le ministre, je n'en privilégierai qu'une seule : pensez-vous réellement pouvoir mettre en oeuvre au 1er juillet 2007 ce projet et croyez-vous vraiment d'ici là en retirer entre 2 milliards et 3 milliards d'euros d'économie ? Pour ma part, je n'y crois pas.
Une autre mesure envisagée, qui paraît plus anecdotique, est la photo sur la carte Vitale à partir de 2006. Pourquoi pas, après tout ? Ne figure-t-elle pas déjà sur la carte d'identité ?
Autre idée intéressante dans votre projet : le médecin traitant. Cette idée, elle non plus, n'est pas nouvelle, ...
M. André Vantomme. ...puisque le médecin traitant ressemble fort au médecin référent que nous avions souhaité autrefois. Cependant, le médecin traitant, tel que vous l'imaginez, n'intervient pas dans une logique d'amélioration du suivi des patients ou d'une meilleure qualité des soins. Apparemment, son unique justification se trouve dans la possibilité que vous offrez aux médecins spécialistes de majorer le tarif de leurs consultations pour tout patient qui ne leur serait pas adressé par un médecin traitant.
Certes, vous répondez ainsi aux revendications des médecins spécialistes, qui souhaitent majorer le tarif de leurs consultations, en leur permettant de le faire pour tout patient qui ne leur a pas été adressé par le médecin traitant.
Nous regrettons que vous ne donniez aucune mission spécifique au médecin traitant en matière de prévention, d'amélioration des bonnes pratiques, en matière de coordination des soins ou de suivi du patient.
En fait, vous ne concevez son rôle que comme un filtre injuste et inefficace pour accéder au spécialiste.
L'intéressant rapport de M. Alain Vasselle, présenté devant la commission des affaires sociales le 21 juillet dernier, évoque également la réalisation d'économies à l'hôpital pour 1,6 milliard d'euros.
L'hôpital nous apparaît pourtant comme le grand absent de ce projet de loi.
Vous avez préféré légiférer par ordonnance pour mettre en place la réforme de sa gouvernance. Pourtant, l'avenir de l'assurance maladie et celui de l'hôpital public sont intimement liés.
Vous le savez, monsieur le ministre, l'hôpital connaît des moments difficiles.
L'on peut se demander après des décennies de pratique de la dotation globale, de taux directeurs particulièrement « raisonnables », de gel des crédits et du regard sourcilleux des ARH, comment vous allez encore pouvoir réaliser des économies d'une telle ampleur.
Connaissez-vous la fable qui raconte que le propriétaire d'un âne trouvant l'entretien de l'animal excessif avait décidé de réduire d'une manière très régulière son alimentation ? Cette politique donna d'excellents résultats et notre propriétaire s'enrichit jusqu'au jour où l'âne mourut de faim.
II est impératif d'avoir une juste appréciation de la situation des hôpitaux en ce qui concerne tant les patients que les personnels.
Nous reviendrons sur les autres mesures dans le cadre du débat par le dépôt d'amendements constructifs.
En conclusion de ce propos, je voudrais signifier à M. l'éminent rapporteur de la commission des affaires sociales que je ne partage pas du tout son appréciation sur la volonté de rétablir l'équilibre des comptes de l'assurance maladie par un effort réparti équitablement entre les usagers, les contribuables et l'Etat.
L'équité, monsieur le rapporteur, n'est pas au rendez-vous de ce projet de loi.
Dès le 1er janvier 2005, ce sont 3,24 milliards d'euros qui seront demandés aux ménages sous forme de déremboursement et d'augmentation des prélèvements.
Si l'on y ajoute la prolongation de la CRDS pour éponger entre 50 et 60 milliards d'euros de dettes convertis en augmentation du taux de la contribution, l'effort total demandé aux ménages s'élèvera à 9,8 milliards d'euros.
Dans le même temps, il sera imposé aux entreprises une taxe additionnelle à la contribution de solidarité des sociétés pour un montant de 780 millions d'euros.
Parler d'équité dans ce contexte, c'est véritablement faire de la provocation.
Quant à l'Etat qui, selon notre éminent rapporteur, versera à l'assurance maladie un milliard d'euros provenant des droits de consommation sur les tabacs, son obole est à comparer comme, je l'ai expliqué tout à l'heure, aux 15 milliards d'euros annuels que le budget de l'Etat s'attribue en laissant à la charge de la sécurité sociale les conséquences des conduites additives liées au tabac et à l'alcool.
M. Alain Vasselle, rapporteur. Qu'avez-vous fait avec le FOREC et avec les 35 heures ?
M. André Vantomme. Monsieur le ministre, parce que votre projet de loi est injuste, parce qu'une bonne partie de ses dispositions sera inefficace et parce qu'il se refuse à mettre en oeuvre les véritables solutions qui assureraient la pérennité de la protection sociale, nous voterons contre. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du groupe CRC et du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Annick Bocandé.
Mme Annick Bocandé. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, monsieur le président de la commission des affaires sociales, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, soixante ans après l'ordonnance du 4 octobre 1945, nous pouvons dire que l'assurance maladie est, avec les retraites, l'un des grands acquis sociaux de notre pays. En effet, elle est au coeur de notre politique de solidarité ; elle est reconnue et enviée par de nombreux pays.
Mais, si pour nous la santé n'a pas de prix, elle a toutefois un coût.
Mme Annick Bocandé. Aujourd'hui, la pérennité de notre système d'assurance maladie est menacée par un déséquilibre financier colossal.
En effet, les dépenses de soins ne cessent de croître plus vite que les ressources. Le déficit de l'assurance maladie atteint un seuil intolérable : pour l'année 2004, il est estimé à 13 milliards d'euros et, selon les projections du Haut conseil pour l'avenir de l'assurance maladie publiées dans son rapport du 23 janvier 2004, le déficit cumulé serait de 260 milliards d'euros en 2013 et de 640 milliards d'euros en 2020 si rien n'était fait. Ces chiffres très pessimistes font frémir.
La vitalité de notre système de protection sociale est donc aujourd'hui en danger.
Les difficultés financières préoccupantes, comme le déficit récurrent des dernières années imposaient de réagir et d'agir bien plus tôt ; pourtant, la précédente majorité ne l'a pas fait, malgré une conjoncture économique favorable.
Le projet de loi que vous nous proposez aujourd'hui, monsieur le ministre, ne peut être considéré que comme la première étape d'une véritable réforme incontournable si l'on veut préserver notre modèle social obligatoire universel et solidaire, tout en garantissant la qualité des soins et l'avancée du progrès médical.
Je me réjouis que vous ayez souhaité engager votre action non pas comme une réforme comptable supplémentaire mais bien sous le signe de la responsabilisation de tous les acteurs, qu'ils soient patients, professionnels de santé ou gestionnaires. J'avais déjà exprimé mon souhait, lors de l'examen du plan Juppé au Sénat, de voir renforcée cette responsabilisation.
Dans cet esprit, une véritable éducation de la population à la santé est également indispensable, et ce dès le plus jeune âge, afin de faire notamment prendre conscience que l'utilisation abusive de médicaments peut être nocive en plus d'être coûteuse.
Rappelons en effet que la France est le premier pays d'Europe, et le deuxième au monde après les Etats-Unis, consommateur de psychotropes, hypnotiques et antibiotiques.
M. Jean Chérioux. Hélas !
Mme Annick Bocandé. C'est pourquoi, le groupe de l'Union centriste déposera un amendement allant dans le sens d'un meilleur contrôle des quantités de médicaments prescrits et consommés.
Par ailleurs, et toujours dans un souci de responsabilisation, nous proposerons également de compléter les dispositifs, prévus dans ce texte, de lutte contre la forme de gaspillage inadmissible que constituent les arrêts de travail abusifs.
De manière plus générale, monsieur le ministre, vos propositions de réorganisation de la gouvernance à l'échelon national et régional, laissant notamment préfigurer la mise en place de futures agences régionales de santé, projet soutenu de longue date par le groupe de l'Union centriste, vos propositions de refonte du mécanisme de financement, de création du dossier médical personnel, d'évaluation et d'accréditation des pratiques professionnelles des médecins, ou bien encore de promotion du médicament générique vont dans le sens d'une clarification, d'une plus grande transparence et d'une efficacité accrue.
Nous vous suggérerons de les enrichir par un certain nombre d'amendements relatifs, notamment, au dossier médical personnel ou à l'évaluation des praticiens conseils du contrôle médical.
Vos objectifs sont ambitieux, puisqu'ils prévoient 15 milliards d'euros de gains à l'horizon de 2007, un tiers en recettes supplémentaires, deux tiers en économies. Mais ces prévisions laissent sceptiques nombre d'experts. C'est pourquoi je souhaiterais, monsieur le ministre, même si je vous ai entendu en commission et lors de votre intervention liminaire, que vous apportiez devant la Haute Assemblée quelques précisions et garanties supplémentaires sur cette délicate question, et j'écouterai avec attention la réponse que vous apporterez à mon collègue et ami Yves Détraigne, qui interviendra ultérieurement sur ce sujet.
Je voudrais revenir également sur l'une des mesures innovantes que vous proposez, car elle soulève un certain nombre d'interrogations : je veux parler du passage par un médecin traitant référent, le plus souvent un médecin généraliste, pour pouvoir consulter un spécialiste avec une prise en charge maximale.
On ne peut qu'approuver la réaffirmation du rôle du généraliste en tant que médecin référent. Il est sans aucun doute le plus apte à orienter son patient dans un parcours de soins adapté.
Cependant, compte tenu du déficit de médecins généralistes diplômés chaque année par les facultés par rapport au nombre de spécialistes, ne risque-t-on pas d'aggraver la situation et d'affaiblir notre système de soins ?
Que pensez-vous faire, monsieur le ministre, pour revaloriser l'image du médecin généraliste afin qu'un plus grand nombre d'étudiants s'oriente vers cette carrière ?
Plus généralement, quelles véritables mesures, autres que simplement incitatives, comptez-vous mettre en place pour pallier les problèmes de démographie médicale, notamment en milieu rural ?
Sur ce sujet, le groupe de l'Union centriste vous proposera un amendement.
Enfin, monsieur le ministre, je ne peux terminer mon propos sans regretter que l'hôpital, dont le coût représente plus de 47 % des dépenses de santé, ne soit pas mieux abordé dans cette réforme, que vous qualifiez d'ambitieuse. A quand une véritable réforme de l'hôpital et de sa gestion ?
Le projet de loi que vous nous présentez, monsieur le ministre, s'il a le mérite de vouloir absolument pérenniser notre système d'assurance maladie, aujourd'hui menacé, est sans aucun doute perfectible.
Je sais que les débats au Sénat, après ceux qui ont eu lieu à l'Assemblée nationale, et malgré les conditions difficiles d'examen de ce projet de loi, comme le rappelait tout à l'heure Valérie Létard, ne manqueront pas de compléter et d'enrichir le texte.
Le groupe de l'Union centriste participera activement à ce débat et vous proposera, vous l'aurez compris, un certain nombre d'amendements.
En effet, notre devoir est de pérenniser notre dispositif de santé, en tenant compte de la conjoncture économique défavorable, et sans faire porter aux générations futures le poids de nos dépenses.
C'est tout l'enjeu de ce projet de loi qui doit offrir à chaque Français la garantie d'un système de soins durable, équitable et de qualité. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Fourcade.
M. Jean-Pierre Fourcade. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, à ce stade du débat, je ne céderai pas à la tentation de rappeler toutes les dispositions figurant dans le projet de loi et de répéter combien j'apprécie la création du dossier médical, la mise en place du médecin traitant, etc.
Ce texte est nécessaire, courageux, et prudent. (Sourires.)
Il est nécessaire, parce que l'on s'aperçoit, quand on observe la structure des prélèvements sur le PIB dans notre pays, que les cotisations et les impôts affectés à l'ensemble de nos régimes sociaux représentent aujourd'hui plus de la moitié du prélèvement global sur les revenus des Français.
M. Jean Chérioux. Eh oui !
M. Jean-Pierre Fourcade. Comme le total de ces prélèvements obligatoires excède de cinq points au moins la moyenne de ceux de nos partenaires de la zone euro, nous sommes obligés de réduire le déficit de nos régimes sociaux, sous peine de voir notre appartenance à l'euro compromise...
M. Jean-Pierre Fourcade. ... ou notre rôle au sein de l'Union européenne totalement déconnecté.
Dire qu'il est nécessaire de réduire le déficit et de remettre nos comptes sociaux à l'heure n'est pas suffisant, car cela ne donne pas une vue suffisamment précise de l'importance des comptes sociaux dans l'ensemble des prélèvements que subissent nos concitoyens. Ces derniers doivent savoir que l'euro, qui nous protège à l'heure actuelle des remue-ménage monétaires mondiaux, risque de nous être défavorable si nous n'arrivons pas à régler la question du déficit. C'est pourquoi ce projet de loi est nécessaire.
D'ailleurs, MM. les rapporteurs ont précisé les problèmes de chiffres qui se posent, le déficit accumulé, les risques pour 2005 et 2006, ainsi que le déficit auquel nous risquons d'aboutir.
Monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, votre projet de loi était nécessaire. Vous avez rappelé tout à l'heure, de même que M. le rapporteur, la durée de la concertation menée dans tous les secteurs ; la nécessité d'intervenir en matière d'assurance maladie pour essayer de rétablir l'équilibre fait, je crois, presque l'unanimité.
Le déficit de 2004 a trois causes.
La première cause est le gaspillage et les abus. (Exclamations sur les travées du groupe CRC.) Chacun dit ce qu'il pense sur ce sujet puisque chacun a des exemples à présenter ; pour la caisse primaire d'assurance maladie, le total s'élève à 5 milliards d'euros ; en fait, personne n'en sait rien.
La deuxième cause est l'affaissement conjoncturel que nous avons subi en 2002 et en 2003 et qui a abouti à ce que les ressources ne soient pas à la hauteur des prévisions.
La troisième cause est liée aux structures de notre protection sociale. Depuis 1945, la société a changé et les dépenses de consommation de nos concitoyens se sont modifiées ; par conséquent, les structures mises en place en 1945, qui étaient alors parfaites, ne conviennent plus. Nous sommes donc en présence, comme l'a très bien noté M. Vasselle, d'un déficit structurel qui serait impossible à résorber même avec une croissance de 3,5 %, parce qu'il résulte d'une mauvaise organisation de notre dispositif d'assurance maladie.
Monsieur le ministre, vous nous présentez donc un projet courageux, parce que vous vous attaquez - et c'est la première fois depuis très longtemps que cela se fait - non pas à quelque dérive ou à quelque problème particulier, mais au comportement de l'ensemble des acteurs,...
Mme Nicole Borvo. Pas tout à fait !
M. Jean-Pierre Fourcade. ... qu'ils soient fabricants de médicaments, médecins, personnels de santé ou bien simplement patients, usagers, gestionnaires de l'ensemble des régimes, etc.
Mme Nicole Borvo. Surtout aux patients !
M. Jean-Pierre Fourcade. Ce courage imprègne votre projet. Vous vous attaquez en effet à la fois à la modification du comportement des acteurs, au décloisonnement entre la médecine de ville et la médecine hospitalière, au problème des liaisons entre les régimes de base et les régimes complémentaires, à la lutte contre les gaspillages et à la modification de ce que l'on appelait autrefois l'« organisation » du système et que l'on appelle maintenant, selon une expression un peu « tarte à la crème », la « gouvernance » du système.
Mme Michelle Demessine. C'est pour cacher le démantèlement !
M. Jean-Pierre Fourcade. On croit, en France, qu'on fait des réformes quand on change de vocabulaire ! Mais il est clair qu'en termes de gouvernance vous nous proposez un certain nombre de mesures.
Enfin, votre projet est prudent. Bien sûr, certaines personnes - nous en avons entendu longuement s'exprimer ici - vous ont dit que vous y alliez beaucoup trop fort, que l'euro que vous vouliez imposer à l'occasion des consultations médicales était un pur scandale, etc. A l'inverse, il y a ceux qui vous ont déclaré que ce projet n'était qu'une addition de réformettes et qu'il aurait fallu aller beaucoup plus loin, etc. Or j'ai noté, sur l'ensemble des dispositifs que vous nous proposez, que vous adoptiez une position prudente.
Mme Michelle Demessine. Il met les leviers en place !
M. Jean-Pierre Fourcade. Vous amorcez un certain nombre de réformes qui ont trait à la gouvernance, au contrôle des acteurs, à la création d'organismes nouveaux, aux problèmes de décloisonnement, de développement de la médecine de ville en ménageant la possibilité de corriger, d'amender, de modifier.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Il y a le retour de la croissance.
M. Jean-Pierre Fourcade. Vous avez d'ailleurs très justement fixé l'échéance de 2007 pour évaluer le résultat financier de vos opérations, car, s'il est facile d'augmenter tout de suite la CSG ou la CRDS, il est plus difficile de modifier certains comportements et d'obtenir des résultats plus satisfaisants.
Par conséquent, un mélange de courage et de prudence me paraît caractériser ce projet de loi, qui va dans le bon sens.
Je ne ferai que trois observations, me réservant d'intervenir à l'occasion de la discussion des innombrables amendements.
Première observation, j'ai été frappé, à la lecture du texte, en particulier tel qu'il ressort des travaux de l'Assemblée nationale, par la prolifération des organismes nouveaux,...
Mme Annie David. C'est sûr !
M. Jean-Pierre Fourcade. ... que l'on fait cohabiter avec les organismes existants, avec les agences, etc. Je crains que cette prolifération - le mot est peut-être excessif -, en tout cas cette multiplication d'organismes ne contrarie quelque peu la lisibilité du système et ne laisse penser que la gouvernance risque d'être plus complexe.
Il est clair que, depuis dix ans, on a créé trop d'organismes. Or, j'ai constaté que les organismes consacraient plus de temps à se battre pour faire respecter leurs frontières par les autres - c'est d'ailleurs une tradition en France - qu'à s'occuper du « coeur de cible » de leurs missions, pour reprendre l'expression employée par M. Fortassin. (Sourires.) Par conséquent, plus on crée d'organismes, plus on est sûr de se heurter à des difficultés.
Si nous pouvions, à l'issue de cette discussion, supprimer quelques organismes, en fusionner quelques-uns et améliorer la lisibilité de l'ensemble, nous aboutirions à un résultat plus satisfaisant.
C'est la raison pour laquelle je me rallie à la position de la commission qui consiste à donner plus de pouvoirs à la Haute autorité de santé, et notamment à intégrer l'ANAES dans cette dernière.
Ma deuxième observation concerne l'ONDAM, qui a fait l'objet de nombreuses critiques, d'observations désabusées ou empreintes de commisération.
L'ONDAM participait de l'idée qu'à partir du moment où l'on demandait au Parlement de fixer un objectif en matière de dépense sociale et de dépense maladie, en mettant dans l'ONDAM la totalité des dépenses possibles, on donnait une indication à l'ensemble des acteurs. Mais quand on a créé l'ONDAM, on n'a pas pu l'assortir de mécanismes correcteurs, ce que j'appellerai des stabilisateurs automatiques, qui auraient donné aux acteurs, notamment à l'ensemble des personnels médicaux et des personnels de soins, qu'il s'agisse des laboratoires, des kinésithérapeutes..., le sentiment de leurs responsabilités dans le respect de l'ONDAM.
Je regrette que le texte qui nous est proposé ne prévoie pas ces stabilisateurs automatiques, c'est-à-dire ces conséquences automatiques qui dispensent de toute discussion et de longues réunions, mais offrent des chiffres clairs : si l'ONDAM est dépassé dans tel ou tel secteur, on diminue tel ou tel barème de remboursement, tel ou tel système d'honoraires, de manière que les acteurs du système soient clairement responsabilisés. Il faut que le vote du Parlement soit assorti de sanctions et de mesures précises destinées à favoriser le respect de l'ONDAM.
J'en viens à ma troisième observation : monsieur le ministre, je me félicite que vous ayez très justement proposé la création d'une union regroupant les trois caisses d'assurance maladie et permettant de mettre en phase les trois organisations que sont la CNAM, qui est bien sûr la plus importante d'entre elles, la CANAM et la MSA.
Chacune de ces caisses a des domaines d'action particuliers et sa propre organisation. Je suis persuadé qu'il existe entre les trois caisses des différenciations dans les statuts et les salaires, sinon nous ne serions pas en France, et que ces distinctions entraînent un certain nombre de difficultés.
Toutefois, je regrette, alors que vous proposez la création de cet organisme centralisé, que vous n'ayez pas placé l'ensemble du contrôle médical au-dessus de ces trois caisses, de manière qu'il soit directement lié à la nouvelle union ; cela permettrait en effet d'unifier le contrôle médical, qui serait ainsi plus sérieux. L'Académie nationale de médecine avait d'ailleurs formulé une demande en ce sens, comme me l'a confirmé le professeur Milhaud.
Puisque vous envisagez à la fois de vérifier les bonnes pratiques médicales, de lutter contre les gaspillages et les préconisations un peu exagérées, notamment, comme l'a souligné M. Fortassin, en matière d'antidépresseurs, secteur qui s'apparente à un supermarché - on prescrit des antidépresseurs à tout le monde pour n'importe quoi -, je pense que l'unification du contrôle médical, associée à la création de ce que vous appelez l'UNCAM, aurait permis de mieux contrôler l'ensemble du dispositif.
Je sais bien que chacune des caisses souhaite conserver le contrôle médical, que le cloisonnement et la sectorisation sont encore les lois qui sous-tendent la gouvernance ; mais puisque gouvernance il y a, essayons d'apporter quelques corrections. J'ai déposé un amendement à ce sujet, car je pense que l'unification du contrôle médical, notamment en ce qui concerne les indemnités journalières, permettrait de lutter efficacement contre les gaspillages.
Telles sont, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, les trois observations que je voulais faire : trop d'organismes nouveaux et pas assez de suppression ou de fusion d'organismes anciens - et je ne parle pas des agences - ; absence de stabilisateurs automatiques pour l'ONDAM, qui est une victoire du Parlement pour encadrer l'évolution de nos comptes sociaux ; absence d'unification du contrôle médical, qui me paraît nécessaire dans le cadre du dispositif que vous nous proposez.
Cela étant, monsieur le ministre, le mélange subtil de propositions que vous faites, le courage que vous manifestez et la prudence dont vous faites preuve sur un certain nombre de sujets me paraissent constituer des éléments favorables.
M. Jean-Pierre Fourcade. C'est pourquoi, sans doute comme la plupart de mes collègues de la majorité sénatoriale, je soutiendrai le projet de loi que vous nous présentez, car, si nous reculions devant l'ensemble des réformes qui nous sont proposées, c'est, à terme, la position de notre pays dans l'Union européenne qui serait compromise.
Certaines bonnes âmes ont dit que vous rejetiez sur les générations futures un certain nombre de dettes que l'on ne peut pas se permettre aujourd'hui. C'est à mon sens un faux procès qui vous est fait. Le problème, à l'heure actuelle, est de rétablir l'équilibre de nos comptes budgétaires et de nos comptes sociaux de manière à restaurer la compétitivité de nos entreprises et à relancer l'emploi. Par votre projet de loi, vous contribuez à la réalisation de ces objectifs ; c'est pourquoi je le voterai. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures vingt-cinq, est reprise à vingt et une heures trente.)
M. le président. La séance est reprise.
Nous poursuivons la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, après déclaration d'urgence, relatif à l'assurance maladie.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme Marie-Claude Beaudeau.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Monsieur le ministre de la santé et de la protection sociale, votre projet de loi ne rétablira pas l'équilibre financier de l'assurance maladie.
Malgré vos affirmations, résorber le déficit, dont vous savez si bien dramatiser l'ampleur, n'est pas votre objectif.
M. Alain Vasselle, rapporteur. Pas tout de suite, mais bientôt !
Mme Marie-Claude Beaudeau. Comme nous l'avons dénoncé lors de l'examen de chaque projet de loi de financement de la sécurité sociale, votre gouvernement a délibérément laissé filer le déficit de l'assurance maladie. Il constitue maintenant le prétexte à ce projet de loi, l'instrument politique essentiel qui prépare le démantèlement structurel de notre système solidaire d'assurance maladie.
Le « trou de la sécu », vous en aurez encore besoin, monsieur le ministre, pour justifier les étapes suivantes du processus de privatisation rampante de l'assurance maladie que vous mettez en place.
Mais passons, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, aux chiffres que vous avez cités.
Pour un déficit de 13 milliards d'euros cette année - et 15 milliards d'euros sont prévus en 2007 -, vous ne prévoyez des recettes nouvelles que pour un montant de 5 milliards d'euros.
Très insuffisantes, ces recettes sont aussi particulièrement injustes et, de surcroît, elles ne disent pas leur nom : l'instauration d'un prélèvement d'un euro sur chaque acte médical - pour commencer, puisque ce montant ne sera pas fixé par la loi -, constitue à proprement parler non pas une recette nouvelle, mais un nouveau déremboursement.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Au lieu de responsabiliser les assurés, vous mettez en place une solidarité à l'envers, monsieur le ministre, en mettant à contribution les patients les plus malades à hauteur de 700 millions d'euros par an ainsi que les victimes d'accidents du travail et de maladies professionnelles au profit de leurs employeurs qui en sont responsables.
Cette logique inique s'inspire directement du forfait hospitalier, que vous voulez porter à 17 euros d'ici à 2007, soit 112 francs !
Le transfert par l'Etat de 1 milliard d'euros du produit de la taxe sur les tabacs ne représente pas non plus une ressource nouvelle puisqu'il s'agit de rendre à l'assurance maladie, de façon très partielle, comme l'a d'ailleurs souligné M. le rapporteur, une recette qu'on lui a détournée.
En définitive, comme recette nouvelle, vous privilégiez de nouveau, pour 2,3 milliards d'euros, l'impôt injuste s'il en est qui frappe à 90 % les salariés, les retraités et les chômeurs : je veux parler de la CSG.
Monsieur le ministre, avec votre projet de loi, vous n'osez même pas avouer l'augmentation du taux de la CSG de 0,16 % pour les actifs, soit un milliard d'euros par an, mais vous la dissimulez derrière une extension de son assiette de 95 % à 97 % des salaires, pour un effet strictement similaire.
Vous frappez aussi directement les retraités, déjà lourdement pénalisés par la loi Fillon de l'an passé, en augmentant de 0,4 % le taux de la CSG qui s'applique à leurs pensions. Vous en attendez 600 millions par an.
Décidément, les personnes âgées et les malades sont les premières personnes visées par vos mesures !
L'augmentation du taux de la CSG sur les placements des ménages ne compense même pas, quant à elle, l'avantage que les actionnaires tireront du passage de l'avoir fiscal au crédit d'impôt.
Au total, dans les recettes nouvelles, vous imposez aux salariés et aux assurés un effort supplémentaire de plus de 4 milliards d'euros contre seulement 780 millions aux entreprises, avec l'augmentation minime de 0,03 % de la contribution sociale des sociétés, soit le trentième à peine du montant des exonérations de cotisations sociales dont le patronat bénéficie !
Si le volet « recettes » est particulièrement inéquitable, le volet « économie sur les dépenses » - 10 milliards d'euros en 2007, prétendez-vous, monsieur le ministre - n'est absolument pas crédible.
Sur le plan financier, ces prévisions d'économie relèvent de la supercherie, d'autant que le coût des mesures n'est même pas pris en compte. Ces prévisions sont si peu étayées, monsieur le ministre, que personne ne les prend au sérieux, pas même le directeur du budget. Mais entre votre « culture de la régulation médicalisée fondée sur le dialogue et la négociation contre la culture punitive et comptable de Bercy », les assurés sociaux ne voient aucune différence.
Sur le plan médical, votre culture procède de la logique de rationnement des soins remboursés, de culpabilisation des assurés, d'instauration d'une médecine à plusieurs vitesses, comme ma collègue Michèle Demessine l'a décrit.
A qui allez-vous faire croire que l'obligation de passer chez un médecin traitant avant d'aller consulter un spécialiste est de nature à diminuer les dépenses de santé et non à multiplier les actes ? D'autant que vous doublez scandaleusement cette mesure d'une libération des honoraires des spécialistes pour les consultations sans prescription préalable du médecin traitant, consultations que ne pourront se permettre, pour éviter les files d'attente, que les patients qui en ont les moyens !
Vous prétendez également, monsieur le ministre, attendre de la mise en place du dossier médical personnel informatisé des économies d'un montant de 1 milliard d'euros par an. C'est sans compter sur la rémunération annuelle de 600 millions d'euros, au minimum, accordée à l'hébergeur privé qui gérera ces dossiers sur Internet ; et Cap Gemini semble être déjà sur les rangs... Votre objectif - nous y reviendrons - n'est-il pas plutôt de ficher les assurés ?
Par ailleurs, toujours s'agissant de vos prétendues économies de dépenses, monsieur le ministre, alors que le déficit de prévention est unanimement reconnu comme étant une source de surcoûts, vos mesures de déremboursement et de sanction, notamment en matière d'arrêts maladie, instaurent une véritable dissuasion, notamment pour les salariés aux revenus modestes, qui risquent de renoncer encore plus à se soigner à temps et à moindre coût.
Monsieur le ministre, je ne prends guère de risque à le prédire, comme le font beaucoup d'autres, y compris au sein de votre propre majorité : votre loi votée, nous repartirons, à niveau de croissance économique égal, sur la base d'un déficit tendanciel de l'assurance maladie de plus de 10 milliards d'euros par an
Ne l'admettez-vous pas vous-même, monsieur le ministre,...
Mme Marie-Claude Beaudeau. ... en prolongeant indéfiniment la CRDS destinée à prendre en charge la dette actuelle et future de l'assurance maladie ? Je note au passage que le remboursement des déficits cumulés entraînera, au bas mot, le paiement de 2 milliards d'euros d'intérêts financiers supplémentaires par an.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Avec ce projet, vous ne vous attaquez, monsieur le ministre, à aucune des causes structurelles du déficit, qu'il s'agisse du manque notoire de moyens affectés à la prévention ou de la sous-estimation criante des accidents du travail et des maladies professionnelles, qui font peser sur l'assurance maladie le coût que les cotisations patronales de la branche concernée devraient assumer. Sur 10 000 cas de cancers d'origine professionnelle estimés par l'Institut de veille sanitaire, seuls 800 sont pris en charge par la branche accidents du travail et maladies professionnelles.
Au contraire, votre gouvernement s'applique à poursuivre et à aggraver la sape des ressources légitimes de l'assurance maladie.
La véritable contre-réforme du financement de la sécurité sociale ne figure pas non plus dans votre projet de loi, monsieur le ministre, mais elle est au centre de la politique gouvernementale, comme le Président de la République vient encore de le rappeler : il s'agit de ce que vous dénommez la « baisse des charges », mais qui est, en fait, la remise en cause systématique de la cotisation sociale patronale, de la part socialisée du salaire qu'elle représente et qui est la base du financement solidaire de notre système d'assurance maladie adopté à la Libération.
Depuis vingt ans, ce moteur de la solidarité est bloqué : le taux de la cotisation patronale maladie n'a pas été relevé, malgré l'ampleur des besoins.
Depuis dix ans, les gouvernements successifs n'ont eu de cesse, suivant les consignes du MEDEF, de multiplier les exonérations de cotisations sociales patronales sans que cela ait d'effet avéré sur l'emploi. Ces exonérations atteindront 21 milliards d'euros en 2005 ! Un temps masqués par la croissance, leurs effets sur les comptes de la sécurité sociale apparaissent aujourd'hui de façon flagrante.
D'ici à 2005, votre gouvernement accordera au patronat des exonérations supplémentaires de cotisations sociales de 2,5 milliards d'euros : 1,5 milliard pour la restauration et 1 milliard au nom de l'harmonisation des SMIC. Cette année, une augmentation de 70 euros d'un salarié au SMIC se sera traduite par une exonération de 85 euros accordée à son employeur !
Monsieur le ministre, vous répétez en toute occasion que le trou de la sécurité sociale se creuse de 23 000 euros par minute. Vous feriez mieux, comme nous, de vous alarmer des 36 000 euros par minute que représentent les exonérations de cotisations patronales !
Monsieur le ministre, les exonérations, que vous rebaptisez d'ailleurs « réductions », des cotisations sociales patronales servent doublement le MEDEF. Ce dernier fait d'abord directement main basse sur l'argent du financement de la sécurité sociale, sur une partie de la rémunération des salariés.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Ensuite, l'asphyxie financière de l'assurance maladie ouvre la voie à la marchandisation de la santé et livre progressivement à l'emprise des marchés financiers un nouveau marché colossal qui leur échappe encore.
Pour le salarié, le retraité, pour leur famille, le résultat est inverse. Ils seront doublement frappés : ils devront d'abord s'assurer, s'ils le peuvent - les tarifs des cotisations mutualistes se sont déjà envolés cette année -, en sacrifiant leur pouvoir d'achat ; ils paieront, ensuite, plus cher les prestations de santé.
Mettre en place les conditions de ce transfert sous la mainmise des marchés est au centre de votre projet de loi, monsieur le ministre : il vise déjà en lui-même à aggraver les restrictions de dépenses de santé au nom de la « maîtrise médicalisée » ; il détourne vers le privé - précédent scandaleux - une partie de l'argent de l'assurance maladie avec les aides prélevées sur le fonds de financement de la CMU, pour l'acquisition d'une assurance complémentaire ou la prise en charge d'une partie des assurances des professionnels.
Plus grave encore pour l'avenir, votre projet de loi met en place des mécanismes en vue du démantèlement de l'assurance maladie et lève l'obstacle de la démocratie sociale et politique.
Vous annoncez pour l'automne la modification de la loi organique relative aux lois de financement de la sécurité sociale. Il est inadmissible que nous discutions de ce projet de loi en ignorant son contenu ! Chercherez-vous, à travers le vote de dépenses pluriannuelles, à ce que le Parlement donne les pleins pouvoirs au nouveau directeur général de la Caisse nationale de l'assurance maladie, la CNAM ?
Ce véritable proconsul sera nommé pour cinq ans par le Gouvernement, il sera irrévocable et dirigera également la future Union nationale des caisses d'assurance maladie.
C'est à lui que vous voulez confier la haute main sur le rationnement futur des soins et des médicaments remboursés, au fil des déficits organisés.
Dans la même logique, la Haute autorité que vous voulez créer, constituée d'experts, n'aura d'indépendante que le nom ; elle recommandera une répartition de la pénurie de moyens selon le « cadrage pluriannuel des dépenses de santé ». Les experts échapperont à toute possibilité réelle de blocage des représentants salariés, seuls gestionnaires légitimes des cotisations mais auxquels vous retirez leurs prérogatives actuelles au sein du conseil d'administration de la CNAM.
Au contraire, s'agissant des déremboursements, vous octroyez un droit de regard à la nouvelle Union des organismes de protection sociale complémentaire, réunissant mutuelles et assurances privées. Autant confier au loup la surveillance de la bergerie !
Monsieur le ministre, vous prétendez vouloir « soigner mieux et dépenser mieux ».
Mme Marie-Claude Beaudeau. La privatisation de notre système d'assurance maladie que vous préparez aboutira à dépenser plus et à soigner moins bien.
L'exemple américain est édifiant : les dépenses de santé dépassent 14 % du PIB contre 10 % dans notre pays, pour des indices sanitaires bien plus mauvais, vous le savez. Ainsi, 43 millions d'Américains sont dénués de toute couverture sociale.
La privatisation vers laquelle vous nous conduisez, c'est à la fois le gaspillage et l'exclusion : actuellement, en France, sur 100 euros, l'assurance maladie en utilise 95 pour financer des soins ou des actions de prévention, les frais de gestion représentant moins de 5 % des dépenses.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. On peut faire mieux !
Mme Marie-Claude Beaudeau. Voilà une efficacité dans la solidarité qui est incompatible avec la logique de l'assurance privée, qui doit aussi rémunérer ses actionnaires à hauteur de 10 % au moins par an et dépenser des sommes impressionnantes en publicité pour attirer des clients. Encore s'agit-il uniquement de clients solvables, présentant un faible risque ou pouvant payer de lourdes surprimes !
Monsieur le ministre, notre système d'assurance maladie, conquis en 1946, est juste et efficace. Les principes sur lesquels il repose, notamment en matière de financement, doivent non pas être réformés, mais au contraire être défendus et appliqués. C'est bien parce que le gouvernement auquel vous appartenez se refuse à le faire qu'il crée une situation de crise, le déficit nourrissant les prétentions revanchardes que le patronat a toujours entretenues.
Tout au long du débat, nous défendrons, au rebours des dispositions de votre projet de loi, des propositions de financement pour résorber le déficit et instaurer les conditions d'un nouveau développement de l'assurance maladie dans notre pays, notamment en tendant vers le remboursement à 100 %.
Nous demanderons la suppression de la CSG, impôt injuste, et son remplacement par le biais du rétablissement des cotisations sociales salariales et de la mise en place d'une taxe sur les revenus financiers des ménages.
M. Alain Vasselle, rapporteur. La CSG a été créée par Michel Rocard !
Mme Marie-Claude Beaudeau. Afin de lutter contre la dette patronale, qui atteint près de 2 milliards d'euros par an, dont 600 millions d'euros qui ne sont jamais recouvrés, nous proposerons la création d'une surcotisation patronale : un peu de solidarité entre les entreprises ! Nous demanderons également l'institution d'une taxe de 15 % à la charge des laboratoires pharmaceutiques.
Avec force, nous réclamerons l'augmentation des transferts de la branche accidents du travail et maladies professionnelles vers la branche maladie, pour compenser la sous-déclaration des accidents du travail et des maladies professionnelles.
Enfin et surtout, nous défendrons le mode de financement le plus juste, à savoir la cotisation sociale, prélèvement direct à la source de la création de richesses n'impliquant aucune accumulation financière. A cet égard, 100 000 chômeurs de moins et un relèvement à hauteur de 1 % de tous les salaires représentent respectivement 1,3 milliard d'euros et 2,5 milliards d'euros de cotisations supplémentaires. Le problème de financement de la sécurité sociale tient au fait que, depuis 1980, la part des salaires dans le produit intérieur brut a reculé de 10 %.
Dans l'immédiat, nous exigerons la suppression des 21 milliards d'euros d'exonérations de cotisations sociales patronales et une hausse d'un point du taux de ces dernières, ce qui représente 6 milliards d'euros.
Le Conseil national de la Résistance avait présenté, dans son programme, « un plan complet de sécurité sociale, visant à assurer à tous les citoyens des moyens d'existence, dans tous les cas où ils sont incapables de se les procurer par le travail, avec gestion appartenant aux représentants des intéressés et de l'Etat ».
Dans notre pays libéré, Ambroise Croizat, ministre communiste d'un gouvernement dirigé par Charles de Gaulle, avait atteint cet objectif en mettant en place la sécurité sociale : cette vision d'avenir est plus pertinente que jamais. Votre projet la remet en cause, monsieur le ministre. C'est pourquoi nous voterons contre votre texte. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Georges Othily.
M. Georges Othily. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, l'assurance maladie est une institution profondément ancrée dans le pacte social de notre République. Depuis sa création, par l'ordonnance du 4 octobre 1945, tous les Français y sont particulièrement attachés.
La solidarité sur laquelle repose notre système permet à chacun, quels que soient son âge, sa condition ou sa situation matérielle, de pouvoir bénéficier de prestations de qualité. C'est là un principe directeur qui ne peut et ne doit pas être remis en cause.
Néanmoins, le système d'assurance maladie est parvenu à un stade de délitement avancé, qui interdit que l'on puisse retarder encore sa réforme. Il y va de notre responsabilité de représentants de la souveraineté nationale de sauvegarder l'un des ciments de notre société, l'une des pierres angulaires de notre philosophie sociale.
Pourquoi réformer seulement aujourd'hui, alors que les experts et les indicateurs appellent depuis longtemps déjà notre attention sur l'existence de cette bombe à retardement que constitue le déficit des comptes sociaux ? Il est aujourd'hui aisé, pour certains, de s'adonner à la critique de façon chronique, alors que rien n'a été mis en oeuvre, auparavant, pour prévenir l'apparition de la situation actuelle.
M. Paul Blanc. Très bien !
M. Georges Othily. La philosophie générale du texte me paraît pertinente, en ce que celui-ci introduit une responsabilisation accrue de tous les acteurs du secteur médical, praticiens et usagers.
Si le dispositif qui nous est soumis a le mérite de reposer sur un volontarisme salvateur, je m'interroge néanmoins sur sa capacité à permettre la résorption véritable et durable du déficit des comptes sociaux. Le dernier rapport de la commission des comptes de la sécurité sociale a mis en exergue un nouveau « dérapage » du régime de l'assurance maladie, dont le déficit pour 2004 est estimé à 12,9 milliards d'euros, soit 2 milliards d'euros de plus que ce qui était prévu dans la loi de financement de la sécurité sociale ! Tandis que la progression des recettes s'est encore ralentie en 2003, la croissance des dépenses excède une nouvelle fois les moyens budgétaires votés par le Parlement : 10 % des dépenses du régime général ne sont pas financées par des ressources permanentes.
Ce texte vise à instaurer de manière pérenne des dispositifs financiers rationalisés, mais nous savons que, au-delà de la seule question de l'assurance maladie, c'est bien la société dans son ensemble qui est soumise à des mutations constantes, empêchant toute véritable prévision fiable à long terme. L'état des comptes publics est largement tributaire des fluctuations économiques qui déterminent les recettes ou les charges nouvelles, mais aussi, plus globalement, l'équilibre économique et social qui nourrit le quotidien des Français.
Moins que jamais sans doute, rien n'est figé dans notre pays. Comment, dès lors, se prévaloir de mesures présentées comme durablement pertinentes, dans une société travaillée par l'incertitude du lendemain ? Il ne me paraît pas opportun de borner la question de l'avenir de l'assurance maladie à une période prédéterminée, alors que la résorption des déficits doit être un impératif indéterminé dans le temps.
En toute hypothèse, je pose clairement la question : les dispositions du projet de loi sont-elles réellement en adéquation avec la mutation permanente de la société ?
Les progrès de la médecine sont constants, l'espérance de vie s'accroît d'une année tous les quatre ans, les techniques de soin sont de plus en plus sophistiquées, mais sommes-nous réellement en mesure, à l'heure actuelle, d'avancer que l'homme sera plus résistant dans trente ans qu'il ne l'est aujourd'hui ? Rien n'est moins sûr ! La mutation de la société est avant tout celle des besoins de l'homme. Il convient d'adopter une attitude responsable, tout en restant mesuré devant l'avenir. C'est ainsi que je ne crois pas que la prorogation « jusqu'à l'extinction de ses missions » de la CADES constitue une charge léguée de façon irresponsable aux générations futures.
Cela étant, ce projet de loi, comme trop de textes législatifs, fait fi des particularités de l'outre-mer.
Guidé par ce constat, j'ai déposé des amendements destinés à adapter la nécessaire réforme de l'assurance maladie aux particularismes de l'outre-mer. La planification de la politique de santé, corollaire indispensable d'une gestion rationnelle de l'assurance maladie, doit intégrer les disparités de développement entre l'outre-mer et l'Hexagone.
A cet égard, l'article 1er du texte opère un louable rappel de l'attachement de la nation aux principes d'universalité et de solidarité sous-tendant notre système d'assurance maladie, universalité ne signifiant pas, pour autant, identité totale de traitement.
Ainsi, l'article 62 de la loi du 21 juillet 2003 de programme pour l'outre-mer, combiné au quatrième alinéa de l'article 72 de la Constitution offrant aux collectivités territoriales un pouvoir d'expérimentation, doit permettre la définition d'un impératif général de prise en compte des spécificités de l'outre-mer. Souvent défavorisés, les territoires concernés connaissent une démographie des professions de santé différente de celle de la France hexagonale.
Déjà mû par ce constat, j'avais fait adopter un amendement au projet de loi relatif à la politique de santé publique intégrant dans le champ de cette dernière la démographie des professions de santé. Une référence expresse à l'outre-mer me semble donc nécessaire.
Dans le même registre, le maillage médical de l'outre-mer n'est pas celui de la France hexagonale. Il me paraît opportun de tenir compte de la démographie médicale pour la détermination des médecins référents, en raison spécialement d'un sous-développement hélas omniprésent.
Pour ce qui concerne plus particulièrement la Guyane, chère à mon coeur, la pression migratoire y a dépassé depuis longtemps le seuil du tolérable. Une très large majorité des bénéficiaires de la CMU n'y possèdent pas la nationalité française : la Guyane n'est plus française, elle est internationale.
Toujours sur le fondement de la loi promue par Mme Girardin, je tiens à ce que des aides particulières soient apportées aux praticiens exerçant outre-mer, afin qu'ils puissent satisfaire à la nouvelle obligation qui leur sera faite de participer régulièrement à des actions d'évaluation et d'amélioration de leurs pratiques professionnelles.
En conclusion, j'indiquerai que, à mon sens, le projet de loi qui nous est présenté permettra d'engager une réforme qui n'avait que trop longtemps été retardée. Les louvoiements et les circonvolutions verbales de certains ne doivent pas nous égarer, face à l'ampleur de la tâche qui nous attend tous et à la responsabilité qui nous incombe vis-à-vis des générations qui suivront.
La très grande majorité des membres du RDSE voteront en faveur de l'adoption de ce projet de loi, après qu'il aura été amélioré par la Haute Assemblée. (Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur les travées de l'Union centriste et de l'UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Gisèle Printz.
Mme Gisèle Printz. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, il ne peut y avoir de réorganisation de notre système de santé sans une politique volontariste en matière de prévention.
A nos yeux, la prévention a un rôle crucial à jouer dans toute réforme de l'assurance maladie, car elle permet de limiter, par la suite, le recours à cette dernière pour le remboursement des soins.
La prévention est donc une importante source d'économies. Malheureusement, nous constatons qu'elle est pratiquement ignorée dans le projet de loi qui nous est soumis. Elle devrait pourtant commencer à l'école et se poursuivre sur le lieu de travail.
En ce qui concerne l'école, il est indispensable d'y entreprendre une réelle éducation à la santé, en renforçant la médecine scolaire grâce à un effectif plus élevé de médecins et d'infirmières.
En effet, c'est par des examens réguliers comme le contrôle des yeux, des oreilles, des dents, qu'il est possible de dépister de futurs problèmes médicaux. Des enfants se trouvent en situation d'échec scolaire tout simplement parce qu'ils entendent ou voient mal. Pourquoi ne prend-on aucune mesure ?
La réforme de l'assurance maladie aurait pu être une bonne occasion d'instaurer, par exemple, une visite médicale annuelle obligatoire au minimum, ainsi qu'un bilan de santé gratuit en fin de scolarité.
En ce qui concerne la prévention de l'obésité chez les enfants, la suppression des distributeurs de boissons sucrées et autres sucreries dans les établissements scolaires aurait été une bonne mesure. Nous ne pouvons que regretter qu'une telle disposition n'ait pas été insérée dans le projet de loi relatif à la politique de santé publique.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Mais elle l'a été !
Mme Gisèle Printz. Rappelons que l'obésité est à l'origine de nombreuses maladies très graves, longues à soigner, donc coûteuses pour l'assurance maladie.
Pourquoi, en outre, ne pas dispenser des cours de secourisme dans les établissements scolaires, afin que les élèves puissent intervenir à bon escient en cas d'accident ? Une intervention simple, ne nécessitant pas de connaissances médicales particulières, suffit parfois à sauver une vie ou à éviter qu'une blessure ne s'aggrave.
Les carences de la médecine scolaire ayant été soulignées, que dire des jeunes au chômage, en situation d'exclusion, qui, faute de soins préventifs, développent des maladies graves que l'on pourrait détecter à temps si une visite médicale gratuite leur était proposée ? Le service militaire, qui n'existe plus, était au moins l'occasion de dresser un bilan de santé et de procéder à des revaccinations.
Comme la médecine scolaire, la médecine du travail ne cesse de régresser dans notre pays, alors que le nombre des accidents du travail et des maladies professionnelles est en constante augmentation. Les chiffres disponibles sont d'ailleurs très en deçà de la réalité, car ils ne prennent en compte que les maladies et accidents bien identifiés, liés aux industries traditionnelles.
Chaque jour, de nombreux salariés du secteur privé sont victimes d'accidents entraînant des arrêts de travail. Le coût des accidents du travail et des maladies professionnelles atteindrait un montant colossal, équivalent à 3 % du PIB. Pourquoi la réforme proposée de l'assurance maladie ne prend-elle pas en compte cette situation ?
Oui, le nombre d'arrêts de travail et le montant des indemnités journalières s'accroissent, s'agissant en particulier des salariés âgés de cinquante-cinq ans à cinquante-neuf ans. L'intensité du travail fait que, à partir d'un certain âge, certains postes deviennent intenables.
Il existe, grosso modo, deux catégories d'entreprises : celles qui sont dotées d'un comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail, un CHSCT, et où est pratiquée une certaine forme de prévention en matière de santé - même si lesdits CHSCT ne sont pas associés aux décisions et disposent de moyens de plus en plus réduits -, et celles où la prévention est totalement inexistante. C'est ainsi que nombre de salariés n'ont bénéficié d'aucun bilan de santé depuis des années.
Il faut former un plus grand nombre de médecins du travail, et leur statut doit garantir leur indépendance au sein de l'entreprise.
Les CHSCT devraient disposer de pouvoirs et de moyens supplémentaires. Aujourd'hui, leurs membres sont élus ; mais ils dépendent du temps que l'employeur veut bien leur accorder et ne possèdent aucun moyen d'investigation.
A nos yeux, il est impossible de maîtriser les dépenses de santé sans accroître la prévention au sein des entreprises.
La prévention est quasiment inexistante dans notre pays. Le projet de loi relatif à la politique de santé publique, que le Sénat a récemment examiné, a apporté quelques améliorations ; toutefois, cela reste insuffisant.
La réforme de l'assurance maladie aurait dû prévoir de nouvelles mesures de prévention. Nous payons très cher le manque d'anticipation de notre politique de santé, comme on l'a constaté à l'occasion de la canicule de l'été 2003.
Plus de 90 % des dépenses de santé sont aujourd'hui consacrées au remboursement de soins curatifs. La prévention demeure le parent pauvre, alors que 50 % des morts prématurées pourraient être évitées. Cela n'est pas neutre en matière de dépenses de santé.
Une politique ambitieuse de prévention est indispensable. Elle exige bien sûr des moyens financiers ; mais, en contrepartie, elle permet d'éviter de nombreuses dépenses d'assurance maladie. C'est assurément un investissement rentable. Plusieurs pays de l'OCDE ont d'ailleurs choisi de la mettre en oeuvre.
L'assuré social, le malade, ne doit pas être le bouc émissaire des déficits de l'assurance maladie. Etre malade n'est pas un choix, c'est une fatalité !
Pour sortir notre assurance maladie de l'impasse, il est temps de changer de logique et de placer la prévention au rang des priorités dans le domaine de la santé. Nous sommes persuadés qu'il en résulterait, à terme, des économies très importantes. Je présenterai d'ailleurs un amendement en ce sens.
Monsieur le ministre, il existe un adage plein de bon sens : « prévenir, c'est guérir ». Pourquoi ne pas l'appliquer ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Yves Détraigne.
M. Yves Détraigne. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, tout le monde en conviendra, la réforme de l'assurance maladie ne peut plus être différée.
Le déficit annoncé pour cette année s'élèvera peut-être à près de quatorze milliards. Si l'on n'agit pas, si l'on en croit le Haut conseil pour l'avenir de l'assurance maladie, le déficit annuel de la sécurité sociale sera compris entre 27 milliards et 39 milliards d'euros à l'horizon 2010.
Nous sommes donc clairement entrés dans la spirale infernale du déficit qui risque de décapiter notre régime actuel d'assurance maladie.
Bien sûr, de nombreuses réformes ont été engagées depuis une trentaine d'années, seize si j'ai bien fait le compte, c'est-à-dire à peu près une tous les dix-huit mois !
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. C'est cela.
M. Yves Détraigne. Toutefois, force est de constater qu'aucune n'a réglé le problème au fond, malgré tout ce que l'on en attendait.
La réforme proposée aujourd'hui est-elle donc cette réforme de fond que nous ne pouvons plus nous permettre de différer ou n'est-elle qu'une réforme de plus qui certes nous donnera, pendant quelques années, l'impression d'une réduction du déficit mais dont on s'apercevra, dans six ou sept ans, voire avant, qu'elle n'aura finalement rien réglé de façon définitive, alors que les problèmes structurels dont souffre notre système de santé se seront amplifiés ?
Cela dit, en améliorant l'organisation du système, en clarifiant les responsabilités entre l'Etat et les gestionnaires de l'assurance maladie, en faisant évoluer les comportements pour lutter contre les gaspillages ainsi qu'en prenant un certain nombre de mesures tendant au rétablissement des comptes, cette réforme va dans le bon sens.
Je soulignerai notamment l'intérêt des dispositions qui tendent à mieux responsabiliser les malades et les médecins. Elles doivent indéniablement contribuer à une nécessaire évolution des comportements afin de lutter contre les gaspillages déjà évoqués par plusieurs de mes collègues.
Ces gaspillages sont d'autant plus importants qu'ils ont été favorisés par la quasi-généralisation du tiers payant et la perte de la notion de coût de la santé consécutive à la création de la carte Vitale.
Encore faut-il qu'on se donne les moyens de contrôle nécessaire ! Le groupe de l'Union centriste vous proposera un amendement à ce sujet.
Au demeurant, on peut s'interroger sur l'efficacité globale de cette réforme. En effet, elle laisse presque entièrement de côté l'hôpital, du moins aujourd'hui, alors qu'il est à l'origine de près de 50 % de la dépense de santé.
Surtout, peut-on vraiment espérer un retour durable à l'équilibre de l'assurance maladie alors que ce projet de loi ne tient pas compte d'un certain nombre de paramètres qui, malheureusement, pèsent lourdement et pèseront de plus en plus sur l'équilibre du système ?
Le premier de ces paramètres tient au vieillissement de notre population.
Certes, nous ne pouvons que nous réjouir du fait que les Français vivent de plus en plus âgés. C'est, d'une certaine manière, la preuve de l'efficacité de notre système de santé !
Toutefois, la consommation de soins et de biens médicaux augmente très fortement avec l'âge, pour atteindre près de 4 000 euros en moyenne au dessus de l'âge de soixante ans, alors qu'elle est de moins de 900 euros en dessous de vingt-cinq ans. Par ailleurs, le nombre de personnes de plus de soixante ans, aujourd'hui de 12 millions dans notre pays, devrait atteindre 18 millions en 2020 et 22 millions en 2040.
Il est évident que les dépenses de santé vont augmenter, dans les années à venir, de façon exponentielle, quelles que soient les mesures que l'on prendra.
Or ce paramètre n'est pas pris en compte dans le projet de loi, qui fait pratiquement l'impasse sur cette évolution inéluctable de notre pyramide des âges, pourtant très lourde de conséquences sur l'équilibre de nos comptes sociaux.
De même, le projet semble ignorer un deuxième paramètre, peut-être un peu moins important, malgré tout, pour l'avenir des comptes de la santé : le coût de plus en plus élevé du progrès.
Les nouvelles thérapeutiques qui sont, par exemple, mises en oeuvre dans la lutte contre le sida ou les nouvelles technologies, comme l'imagerie par résonance magnétique, l'IRM, nécessitent des sommes de plus en plus importantes qui pèsent sur l'assurance maladie, sans pour autant que tous nos concitoyens y accèdent dans les mêmes conditions.
Si nous voulons que tous nos compatriotes aient des chances égales de bénéficier de ces techniques innovantes et performantes - il est difficilement concevable qu'un médecin n'offre pas à son patient la possibilité de profiter de ces techniques s'il en a besoin -, nous devons prendre pleinement conscience de cet important facteur d'augmentation des charges et en tirer les conséquences.
Or, ce n'est pas le cas : le plan qui nous est proposé repose sur l'hypothèse irréaliste d'un environnement figé dans le domaine de la santé.
Nous devons avoir le courage de dire aux Français que la préservation de notre santé va coûter de plus en plus cher. Nous devons être conscients du fait que notre système de soins, qui représentait 3,5 % de notre PIB en 1960, en représente aujourd'hui 9,6 % et qu'il va inéluctablement continuer à absorber une part croissante de notre production de richesses, quelles que soient les mesures que nous pourrons prendre.
A ce sujet, nous devons avoir à l'esprit que la France, dont le système de santé est souvent qualifié de « premier au monde » en termes d'efficacité, ne se situe qu'au cinquième rang des pays de l'OCDE en termes de part dans le PIB de la dépense de santé. Les Etats-Unis, loin devant, y consacrent quatre points de plus !
Comment le Gouvernement compte-t-il faire pour que ces évolutions structurelles et vraiment incontournables ne creusent pas de nouveaux déficits dans notre système d'assurance maladie ? J'avoue, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, que je serai très intéressé par votre réponse !
En réalité, notre système de soins, par sa conception même, est - je le pense depuis de très nombreuses années -générateur de déficits.
L'architecture de l'assurance maladie à la française, selon laquelle la prescription de la dépense est libre alors que son financement est pris en charge par la collectivité et repose encore essentiellement sur des cotisations sociales, ne peut que conduire au déficit, surtout compte tenu du faible taux d'activité de notre population.
Il est d'ailleurs symptomatique de constater que c'est depuis le milieu des années soixante-dix, c'est-à-dire depuis que notre pays souffre d'un chômage chronique, que l'assurance maladie génère des déficits à répétition et que les gouvernements adoptent, en conséquence, des réformes à répétition.
Il ne reste, à mes yeux, que deux véritables solutions susceptibles de rétablir durablement l'équilibre : soit revenir sur le caractère libéral de la prescription, soit mettre en place une autre forme de financement.
Revenir sur le caractère libéral de la prescription, par exemple en contingentant l'accès aux soins, conduirait sans doute à une diminution de la dépense, mais au prix d'une réduction de la performance de notre système de santé et de la remise en question du pacte social conclu dans l'immédiat après-guerre et dont notre système d'assurance maladie constitue l'un des piliers. Je n'ose donc l'imaginer et personne dans cet hémicycle, me semble-t-il, ne me contredira !
Aussi doit-on s'interroger très sérieusement sur les moyens de financer durablement l'assurance maladie, surtout dans une perspective de croissance des dépenses, ce que le projet de loi ne fait qu'effleurer.
La meilleure preuve en est que, faute de trouver des recettes suffisantes, le Gouvernement propose de se défausser, d'une certaine manière, sur les générations futures, du remboursement de la dette que nous générons alors même que nos descendants auront déjà à payer nos retraites et à assumer des dépenses sociales plus importantes que les nôtres.
Nous considérons qu'il n'est pas acceptable de léguer cette dette à nos enfants et à nos petits-enfants en prolongeant la durée de vie de la CADES, comme cela nous est proposé.
M. Claude Domeizel. Très bien !
M. Yves Détraigne. C'est pourquoi le groupe de l'Union centriste reprendra l'amendement de nos collègues de l'UDF de l'Assemblée nationale qui ont légitimement proposé d'augmenter la CRDS de 0,35 % pour éponger le déficit. Nous sommes conscients que le Gouvernement a fait un geste lors de l'examen du texte à l'Assemblée, mais cela ne nous parait pas suffisant.
A la page 51 du rapport du Haut conseil pour l'avenir de l'assurance maladie, on peut lire qu'en 2003 les recettes du régime général assises sur les salaires, autrement dit les cotisations patronales et la CSG, représentaient 89 % des produits de l'assurance maladie.
Avec une base salariale durablement amputée par le chômage et l'inactivité, si nous ne remettons pas en cause la structure des recettes de l'assurance maladie, nous n'aurons malheureusement pas d'autre choix, pour atteindre un équilibre financier durable, que d'augmenter encore et toujours le taux des prélèvements qui pèsent sur le travail.
Cela conduit non seulement à amputer les revenus du travail, ce que la population supporte de moins en moins, mais aussi à accroître encore les charges qui pèsent sur nos entreprises de main d'oeuvre alors que celles-ci rencontrent de plus en plus de difficultés à faire face à l'émergence des pays, y compris certains de l'Union européenne élargie, dont le coût du travail est bien moindre, et que l'assurance maladie, comme d'autres prestations sociales, relève en réalité de la solidarité nationale et non pas des seules entreprises.
Le groupe de travail sur la délocalisation des industries de main d'oeuvre, présidé par notre collègue M. Christian Gaudin, ne s'y est d'ailleurs pas trompé. La proposition phare de son rapport, présenté à la fin du mois de juin, tend, en effet, à substituer ce qui est appelé une « TVA de compétitivité » aux charges sociales.
Je ne suis pas expert, mais je pense que la mesure proposée permettrait de doter l'assurance maladie d'un financement assis sur les richesses consommées et non sur les revenus du travail. Une assiette de ce type, plus évolutive que l'assiette actuelle, améliorerait la compétitivité de nos entreprises, faciliterait la pérennisation de notre système de santé et renforcerait nos acquis sociaux.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Ce n'est pas mal !
M. Yves Détraigne. Le Gouvernement devrait réfléchir à cette proposition.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Tout à fait !
M. Yves Détraigne. Parce que les éléments essentiels que je viens d'évoquer - vieillissement de la population, coût croissant du progrès médical, financement inadapté et pénalisant pour notre économie - sont à peine effleurés, voire ignorés, je pense, malheureusement, que le projet de loi a plus de chances d'être, comme les précédents, une réforme aux effets temporaires que la réforme structurelle dont nous avons besoin. Très franchement, j'espère me tromper mais, malheureusement, j'ai peur d'être dans le vrai.
Cependant, parce que ce projet va dans le bon sens même s'il est insuffisant, le groupe de l'Union centriste adoptera, au cours des débats, une démarche constructive et proposera des amendements destinés notamment à renforcer les grandes orientations de la réforme même si, rappelons-le, certaines font défaut.
Nous espérons vivement, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, que le Gouvernement sera ouvert à la discussion et à nos propositions. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Jacques Blanc.
M. Jacques Blanc. Monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, je veux d'abord vous féliciter !
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Très bien !
M. Jacques Blanc. Dans ce pays où, chaque fois que l'on aborde une réforme, on nous explique que tout sera bloqué, qu'il n'y aura que des oppositions, vous avez réussi, si ce n'est à convaincre, au moins à déminer ! Cela a été quelque peu passé sous silence mais, alors qu'on annonçait des manifestations multiples, que peu croyaient que l'ensemble des professions de santé adhérerait à cette démarche, vous avez su créer une dynamique nouvelle. Bravo !
M. Jacques Blanc. C'est une bonne méthode de gouvernement. Elle avait certes été préparée par Jean-François Mattei, auquel vous avez rendu hommage, mais vous avez su prendre la dimension politique dont nous avons besoin pour faire avancer les choses.
L'Assemblée nationale y a apporté sa contribution,...
M. Adrien Gouteyron, rapporteur pour avis. Importante !
M. Jacques Blanc. ...ainsi que nos commissions, dont je salue les rapporteurs éminents,...
M. Adrien Gouteyron, rapporteur pour avis. Je suis sensible au pluriel !
M. Jacques Blanc. ...sans oublier le président de la commission des affaires sociales, notre confrère Nicolas About. Tout le monde s'y est mis !
Je regrette cependant que, sur certaines travées de cette assemblée, certains se soient un peu enkystés et enfermés dans des attitudes...
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. C'est pédagogique !
M. Jacques Blanc. ...que leur action passée rend pour le moins surprenantes.
M. Gilbert Chabroux. De qui parlez-vous ?
M. Jacques Blanc. Je parle de vous, mes chers collègues (Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC), de ceux qui ont assuré le gouvernement de ce pays pendant cinq ans et qui n'ont été capables de traiter aucun grand dossier, qu'il s'agisse des retraites ou de la santé !
M. Gilbert Chabroux. Qui a créé le déficit ?
M. Jean-Pierre Sueur. Avec Jospin, il n'y avait pas de déficit ; avec Raffarin, le déficit est arrivé !
M. Jean Chérioux. Et la cagnotte ?
M. Jacques Blanc. Je le dis parce que c'est vrai ! (C'est faux ! sur les travées du groupe socialiste.) Alors, dans ce domaine, gardons-nous des procès d'intention !
Monsieur le ministre, vous avez réussi à élaborer un projet que notre éminent collègue Jean-Pierre Fourcade a qualifié de nécessaire, courageux et prudent. Vous me permettrez d'ajouter qu'il est à la fois de bon sens et très innovant.
M. Jacques Blanc. En effet, vous avez su rompre courageusement avec une approche purement comptable...
M. Claude Domeizel. Pas trop !
M. Jacques Blanc. ...et vous vous êtes engagés dans une analyse de comportement.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Vous n'avez pas lu le projet !
M. Jacques Blanc. Vous avez osé dire que l'on soignera mieux demain en dépensant non pas moins mais mieux, parce que chacun sait que l'on dépensera davantage, cela a été dit tout à l'heure.
Les raisons en sont multiples, ne serait-ce que du fait des progrès de la médecine. Au passage, j'ouvrirai une petite parenthèse : le président de la commission des affaires sociales, à juste raison, a réagi quand on a attaqué l'industrie pharmaceutique et les médicaments, en particulier les psychotropes. Or, mes chers collègues, je fus - il y a hélas quelques années - interne dans un hôpital psychiatrique que connaît bien le ministre, à savoir l'hôpital Marchand à Toulouse.
M. Jacques Blanc. J'ai vu arriver l'ère des neuroleptiques. Eh bien, ils ont changé la vie de nombreux patients !
M. Jacques Blanc. Quand vous deviez affronter des troubles psychiatriques aigus majeurs, les prescriptions de Largactil et de Dolosal calmaient la situation ! A défaut, il restait les camisoles de force ou la cure de Sakel, bref des techniques qui étaient plus agressives.
Bien entendu, il ne faut pas abuser des neuroleptiques, mais ils sont très utiles quand ils permettent de sortir de l'angoisse ou d'éviter des mélancolies. Il faut aussi se garder d'oublier l'aspect très positif des avancées médicales et de la recherche dans le domaine des médicaments ! (Très bien ! sur les travées de l'UMP.)
Comme de toute chose, il ne faut point abuser, et, pour ce faire, vous avez su proposer, dans une démarche tout à fait innovante, le dossier médical personnel, qui nous permettra d'analyser très rapidement ce qui a été fait auparavant. En effet, notre monde un peu fou de nomadisme médical provoquait parfois des maladies nouvelles, des « maladies iatrogènes », contractées par des patients qui consultaient toute une série de médecins qui, ne sachant pas ce qui avait été prescrit trois jours auparavant, provoquaient des catastrophes avec le mélange de médicaments.
Il faut, bien entendu, défendre le secret médical, mais doit-on pour autant en son nom refuser cette chance, cette capacité donnée au médecin d'analyser objectivement l'histoire de chacun d'entre nous, d'accéder à cette connaissance, et donc de garantir un meilleur traitement ?
Il fallait oser, et vous avez osé,...
M. Jacques Blanc. ...vous avez écouté nos collègues de l'Assemblée nationale qui ont ajouté certains verrous.
Je crois, en conséquence, que l'expérience mérite d'être tentée : arrêtons d'avoir peur de changer ! C'est donc un point sur lequel les comportements seront modifiés.
J'en viens à la création d'un forfait d'un euro à la charge des patients. Soyons sérieux, mes chers collègues ! J'ai exercé la médecine dans un département qui n'était pas très riche, la Lozère,...
M. Claude Domeizel. A La Canourgue !
M. Jacques Blanc. Oui, à La Canourgue,...
M. Adrien Gouteyron, rapporteur pour avis. Très belle ville !
M. Jacques Blanc. ...où, bien que neuropsychiatre, j'ai aussi exercé la médecine générale voilà de nombreuses années.
M. Claude Domeizel. Pas tant ! (Sourires.)
M. Jacques Blanc. C'était l'époque de l'Assistance médicale gratuite, l'AMG, qui a ensuite été transformée - je ne suis d'ailleurs pas certain que l'on ait fait depuis de gros progrès...
En tout cas, mes chers collègues, cette mesure donnera à chacun le sentiment d'apporter une contribution au coût induit par ce qu'il décide !
Mme Marie-Claude Beaudeau. Il le fait déjà sur sa feuille de paie !
M. Jacques Blanc. Quand vous êtes à l'hôpital, vous ne décidez pas grand-chose, mais il est important de savoir ce que cela coûte. Et, en médecine de ville, vous décidez !
Pour ce qui est de la référence au médecin traitant, mes chers collègues, on dit depuis des années qu'il faut revaloriser la situation du médecin généraliste.
M. Jacques Blanc. A mon sens, cette décision y contribuera indirectement, parce que celui-ci deviendra le médecin traitant ou référent, et nous en avons bien besoin ! On pourra ainsi éviter ces allées et venues qui ne sont bonnes pour la santé ni des uns ni des autres.
Cette proposition forte que vous nous soumettez permet de concilier à la fois économie et meilleurs soins ; elle sera, je l'espère, très bientôt traduite dans les faits.
Monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, il est vrai que vous ne réglerez pas tout parce que, d'une part, les problèmes vont évoluer et que, d'autre part, les héritages sont très difficiles. (Protestations sur les travées du groupe socialiste.)
M. Jean Chérioux. Ne le niez pas !
M. Jacques Blanc. Il existe certes quelques problèmes dont nous partageons la responsabilité : je pense en particulier à la pénurie médicale, qui est un vrai drame, car dans ce pays on manque de médecins et de personnels paramédicaux, parce que nous n'avons pas été capables, au niveau national...
M. Gilbert Chabroux. Qui a fermé les écoles d'infirmières ?
M. Jacques Blanc. Vous en avez fermé autant que nous ! (Non ! sur les travées du groupe socialiste.) Vous avez été au pouvoir pendant des années. Que me racontez-vous là ?
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Ils n'ont rien fait !
M. Jacques Blanc. Soyons honnêtes : il peut nous arriver, comme cela arrivait au médecin que j'étais, de ne pas établir un diagnostic dès le premier jour, mais il ne faut tout de même pas s'entêter avec cécité face aux vrais problèmes !
Dans ce pays, on a refusé à des jeunes la chance de suivre leur vocation, et on manque à présent partout de médecins.
Vous avez eu le courage d'augmenter les quotas, monsieur le ministre.
M. Gilbert Chabroux. Bernard Kouchner les avait augmentés !
M. Jacques Blanc. Il convient de les augmenter fortement, et je vous félicite d'avoir osé le dire et le faire !
De la même manière, il faudra oser toucher à la nomenclature des actes médicaux, et la Haute Autorité s'y attellera peut-être.
Je prendrai un seul exemple d'actualité : dans le contexte actuel de pénurie de chirurgiens, une colectomie, qui nécessite parfois trois, voire quatre heures, qui est un acte délicat, est cotée K 200 ! Or, je n'ai rien contre les cataractes, mais elles sont cotées K 150, pour une intervention nettement plus rapide !
Si ces nomenclatures de base ne sont pas revues, on n'aura plus ni chirurgiens digestifs ni médecins spécialisés dans les disciplines les plus difficiles. Il faut donc adapter des nomenclatures aux réalités : formation, recherche et réalité des situations médicales.
Permettez-moi maintenant de dire quelques mots au nom de mon collègue et ami Jean-Claude Etienne, qui n'a pu se joindre à nous ce soir mais qui souhaitait attirer votre attention sur un aspect très innovant de votre texte, monsieur le ministre, à savoir la télémédecine.
La télémédecine introduit une dimension nouvelle qui ne remplacera certes pas le contact direct mais qui peut apporter, dans certaines situations, une sécurité supplémentaire, favoriser l'interdisciplinarité, voire intégrer les hôpitaux locaux de proximité, et qui peut par conséquent concourir à une politique d'aménagement du territoire.
Bien entendu, cela ne remplacera en aucun cas l'installation de médecins ! Au passage, je me réjouis d'ailleurs, monsieur le ministre, que nous ayons réussi à inscrire dans d'autres textes un certain nombre d'incitations à l'installation dans les zones rurales ou de montagne.
M. Claude Domeizel. Grâce à un amendement déposé par les députés socialistes !
M. Jacques Blanc. Nous avons nous-mêmes déposé un amendement que vous avez combattu...
M. Gilbert Chabroux. C'est nous qui l'avons déposé !
M. Jacques Blanc. ...pour que les collectivités locales puissent cofinancer et construire des cliniques, des hôpitaux locaux, et créer des partenariats. Là aussi, laissons tomber ces vieux combats, totalement dépassés, qui opposaient le public et le privé !
Par ce texte, vous créez une dynamique, monsieur le ministre ! C'est un texte de bon sens, je le répète ; vous avez substitué à l'analyse comptable la modification des comportements et vous avez su responsabiliser les uns et les autres sans les culpabiliser ou les montrer du doigt. (Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
Pendant des années, on a culpabilisé l'ensemble du secteur médical et paramédical en disant qu'ils gagnaient trop d'argent, qu'ils étaient des nantis, alors que ce n'était pas vrai et qu'ils se trouvaient souvent dans des situations difficiles, exigeant de se lever la nuit...
Mme Marie-Claude Beaudeau. Il y a aussi des travailleurs de nuit !
M. Jacques Blanc. Veuillez m'excuser, mais quand on pense aux 35 heures et que l'on a fait médecine...
M. Claude Domeizel. Ah ! Il fallait bien parler des 35 heures !
Mme Marie-Claude Beaudeau. Cela manquait !
M. Jacques Blanc. ... on s'interroge parce que le corps médical doit organiser des gardes pour assurer les urgences. Il convient donc de mener une réflexion sur ce point.
Par ce texte, vous instaurez une nouvelle gouvernance et vous renforcez, grâce aux suggestions de la commission, les pouvoirs de la Haute Autorité de santé. Il y aura donc de nouvelles instances de dialogue,...
Mme Marie-Claude Beaudeau. Ah ça !
M. Jacques Blanc. ...d'invention pour répondre aux enjeux, en évolution permanente, de la santé.
Vous avez eu l'intelligence de trouver la voie du dialogue, du respect, du bon sens, de l'innovation...
M. Jacques Blanc. ...et vous n'avez pas eu la suffisance de nous dire que tout allait être réglé demain.
On ne peut pas résorber demain tous les déficits qui se sont accumulés, on ne peut pas vous en rendre responsable. Chacun sait bien que c'était un exercice impossible dans l'immédiat !
Mme Marie-Claude Beaudeau. C'est pourtant le bon Dieu ! (Sourires.)
M. Jacques Blanc. Vous avez eu l'intelligence et l'honnêteté de mettre en place les moyens de les absorber dans les meilleures conditions - d'ailleurs, s'il y a des excédents, ils seront résorbés plus vite, n'est-ce pas ? (M. le ministre acquiesce.)
Par ailleurs, vous n'allez pas ponctionner les ressources de la sécurité sociale pour financer les 35 heures. (M. Claude Domeizel rit.)
M. Gilbert Chabroux. C'est tout et n'importe quoi !
M. Jacques Blanc. On a donc retrouvé le bon sens, l'esprit d'innovation.
M. Claude Domeizel. C'est un vrai bonimenteur !
M. Jacques Blanc. Vous pouvez me raconter tout ce que vous voudrez, mon cher ami, mais quand quelqu'un est malade et que le médecin arrive - mon cher confrère Paul Blanc pourrait vous le confirmer -, il n'y a plus de fadaises qui tiennent ! Ce qui compte, c'est de savoir si on pourra continuer à offrir à chacun, quelles que soient ses ressources et ses activités, les meilleures chances de meilleurs soins...
Mme Marie-Claude Beaudeau. Justement !
M. Gilbert Chabroux. C'est bien le problème !
M. Jacques Blanc. ... et que l'on n'oublie pas ceux qui ont le plus de difficultés.
C'est pour cette raison qu'avec mon collègue Paul Blanc nous avons déposé un amendement concernant les prises en charge sanitaires dans les établissements d'enfants handicapés, secteur qui a besoin d'être pris en considération.
Là aussi, mes chers amis, qui a fait adopter en 1975 une loi d'orientation en faveur des personnes handicapées ? Le ministre des finances de l'époque, Jean-Pierre Fourcade, ainsi que le modeste rapporteur de cette loi sont présents dans cet hémicycle. (M. Jean-Pierre Fourcade fait un signe d'assentiment.) Depuis, une nouvelle loi est en discussion ; entre-temps, rien !
Eh bien, c'est notre majorité, c'est notre gouvernement qui apportent les vraies réponses aux problèmes des femmes et des hommes de ce pays ! Çà, ce sont des avancées sociales ! Je comprends que vous soyez un peu amers d'avoir été incapables d'en faire ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE. - Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. « Calmez-vous, mes amis, dissipez vos alarmes,
« Il vous est proposé un destin plein de charme ! » (Sourires.)
La parole est à M. Jean-Pierre Cantegrit.
M. Jean-Pierre Cantegrit. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, vous me permettrez d'avoir une attention particulière pour le président de la commission à laquelle j'appartiens...
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Merci beaucoup !
M. Jean-Pierre Cantegrit. ... et pour son rapporteur, car il a produit, et je l'en félicite, un très bon rapport.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Les rapporteurs !
M. Jean-Pierre Cantegrit. Certes ! Je salue également le travail du M. Gouteyron.
M. Adrien Gouteyron, rapporteur pour avis. Merci !
M. Jean-Pierre Cantegrit. Chaque année, dans mon modeste domaine, j'établis un rapport sur la protection sociale des Français de l'étranger.
Ce rapport est largement diffusé au sein de nos ambassades, de nos consulats, des associations représentatives des Français de l'étranger, et, bien entendu, il est envoyé en priorité aux délégués représentant les Français établis hors de France qui siègent au Conseil supérieur des Français de l'étranger.
Depuis des années, je commence ce rapport en affirmant que la protection sociale des Français de métropole est gravement menacée.
N'avoir pas su engager en son temps les réformes nécessaires pour éviter la situation désastreuse actuelle est une grave lacune, une faute. D'autres pays européens voisins de la France ont su le faire, avec courage et détermination.
Vous nous avez indiqué, monsieur le ministre, que le déficit de l'assurance maladie pour 2004 serait de l'ordre de 13 milliards d'euros. C'est considérable : cela déséquilibre le budget de notre pays, compromet notre crédit au sein de l'Europe et des instances internationales.
Il était donc grand temps de réagir, et la détermination du Gouvernement, votre détermination, monsieur le ministre, votre détermination, monsieur le secrétaire d'Etat, ne peuvent qu'être saluées.
En présentant ce texte, vous venez compléter la remise en ordre de notre régime de retraite, votée il y a maintenant un an.
En vous fondant sur une réforme structurelle qui sauvegarde les principes d'égalité de soins et de solidarité, vous avez tracé des axes, et j'approuve l'orientation que vous avez donnée.
M. Jean-Pierre Cantegrit. Il est vrai que l'assurance maladie, monsieur le ministre, était figée, voire sclérosée. Pour les Français, pour les assurés, il était souhaitable de la rendre plus transparente.
Vous souhaitez organiser les soins en les modernisant et en maîtrisant mieux les dépenses.
Enfin, devant l'ampleur du déficit, il est bien évident qu'il faut élargir les recettes de la sécurité sociale.
Avec beaucoup de réserve, avec modestie, je souhaiterais, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, faire un parallèle entre l'assurance maladie en métropole et celle que je pratique au quotidien, celle des Français de l'étranger.
J'ai l'honneur de présider leur caisse de sécurité sociale depuis sa création, en 1985. Quel constat pouvons-nous faire depuis près de vingt ans que cette caisse existe ?
Tout d'abord, nous devons constater que les comptes de la Caisse des Français de l'étranger sont en équilibre, sans discontinuer, depuis sa création.
Le nombre de ses adhérents est en augmentation régulière.
Certes, il s'agit d'une petite ou d'une moyenne caisse, puisque nous couvrons 130 000 Français qui vivent à l'étranger et comptons la moitié d'adhérents.
Nous avons, monsieur le ministre, fait un effort exceptionnel de justice sociale, puisque, actuellement, il existe quatre catégories de cotisants : ceux qui cotisent au plafond de la sécurité sociale, ceux qui cotisent aux deux tiers du plafond, ceux qui cotisent à la moitié, ceux qui cotisent au tiers du plafond. Or tous bénéficient des mêmes prestations, des mêmes remboursements.
Enfin, la Caisse s'apprête, pour la troisième fois - oui, mes chers collègues, pour la troisième fois depuis qu'elle existe -, à baisser le taux des cotisations des salariés adhérents.
M. Robert Del Picchia. Très bien !
M. Jean-Pierre Cantegrit. Je respecte, mes chers collègues, ce qui se passe en métropole, mais je veux attirer votre attention sur cette troisième baisse de cotisations depuis 1985.
Alors, et c'est bien l'objet de mon intervention, nous nous sommes interrogés : pourquoi cette situation est-elle sans rapport avec celle que connaît la métropole ?
Première observation, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, les Français de l'étranger limitent leur consommation de soins, notamment de petits soins.
Pour quelles raisons ? Je vous en donnerai deux.
La première raison est que leur éloignement fréquent de centres de soins les fait s'adapter aux circonstances : lorsque l'on est sur une plate-forme pétrolière, devant le Congo ou l'Angola, une petite grippe est traitée avec de l'aspirine, et l'on ne demande pas d'arrêt de travail ! On ne va pas consulter pour le moindre « bobo ». Seuls les cas sérieux entraînent des soins, une hospitalisation, qu'elle se fasse à l'étranger ou, après un rapatriement, en France.
La deuxième raison est que les Français de l'étranger ont tendance à suivre les habitudes de leur pays de résidence en matière de soins. Vous avez indiqué, monsieur le ministre, que les Français étaient les plus grands consommateurs de médicaments : les Français établis hors de France sont donc plus raisonnables, dans ce domaine, que ceux de métropole.
Si l'on ajoute que nos compatriotes ne multiplient pas les arrêts maladie, nous avons là une première piste, et vous me permettrez de dire, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, qu'elle va dans le sens de la réforme que vous nous présentez.
Deuxième observation, la Caisse des Français de l'étranger, que je préside, a su mettre en place, tout en respectant un effort de justice sociale, un dispositif afin d'éviter les fraudes, les remboursements injustifiés.
L'article 19 de la loi de modernisation sociale concerne la Caisse des Français de l'étranger. A la demande du conseil d'administration et de son président, nous avons renforcé le dispositif répressif nécessaire au bon équilibre d'un système de couverture sociale.
Permettez-moi de dire que ces dispositions ont été votées à l'unanimité de notre conseil d'administration, qui comprend des administrateurs de droite et de gauche. Ils ont tous voté à l'unanimité ces dispositions !
De la sorte, quelques poursuites et quelques publicités données aux réactions de la Caisse ont rapidement mis de l'ordre, permis des recouvrements indus, et ont eu un effet dissuasif.
En ce qui concerne le fonctionnement de notre caisse, nous avons un personnel responsable de qualité.
Je voudrais vous rappeler, monsieur le ministre, que, lorsqu'un employé d'une caisse de sécurité sociale de métropole traite un dossier, un employé de la caisse de sécurité sociale des Français de l'étranger en traite trois !
Le taux d'absentéisme pour l'ensemble des caisses de sécurité sociale est de l'ordre de 5,6 %. En ce qui concerne notre caisse, il est deux fois moins important.
Mais il est vrai que, sachant le travail accompli, nous avons mis en place une mesure d'intéressement pour le personnel de notre caisse.
Enfin, les Français de l'étranger n'appliquent pas les 35 heures, et les personnels de notre caisse, qui étaient soumis, avant les dispositions de la loi, aux 35 heures, ont décidé, après délibération et vote, de travailler 37,5 heures, payées, bien entendu, évitant ainsi les heures supplémentaires : ils travaillent maintenant, à Rubelles, 37,5 heures, dans notre caisse de sécurité sociale.
Je pourrais, monsieur le ministre, poursuivre ces comparaisons, mais je ne veux pas être un donneur de leçons. Je ne veux pas dire que ce que nous faisons est la panacée : je sais que les situations sont différentes, que les contraintes ne sont pas les mêmes.
Je sais, monsieur le ministre, que votre réforme serait plus facile à mettre en oeuvre, si vous n'aviez pas à mettre en oeuvre la CMU, si vous n'aviez pas à appliquer les 35 heures, et beaucoup d'autres choses encore.
Néanmoins, il me semble que les informations que je me suis permis de vous communiquer, sur un système qui intéresse les Français expatriés, ont une certaine importance.
Certes, nous sommes une caisse d'assurance moyenne. Mais je vous rappelle que nous n'avons pas de problème d'équilibre, que nos finances sont saines et que nous pouvons aider nos compatriotes résidant à l'étranger dans de bonnes conditions.
C'est la raison pour laquelle je pense, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, que votre réforme va dans le bon sens.
M. Jean-Pierre Cantegrit. Vous avez souhaité responsabiliser les Français sur leur système d'assurance maladie, et vous avez raison d'indiquer que c'est un plan de la dernière chance.
Chaque Français doit être maintenant conscient que l'assurance maladie est l'affaire de tous.
Chaque Français doit savoir qu'en cas d'échec ce seront les plus défavorisés qui seront touchés, ce qui nous éloignera des grands principes qui ont été tracés par les fondateurs de la sécurité sociale, à savoir l'égalité et une protection sociale pour tous. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ? ...
La discussion générale est close.
La parole est à M. le ministre.
M. Philippe Douste-Blazy, ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je remercie le président de la commission et les rapporteurs pour le sérieux avec lequel ils ont présenté leurs propositions. Ils ont su donner des informations précieuses au Gouvernement.
M. Vasselle souligne le fait que la dérive des comptes ne se résume pas à des raisons qui seraient, comme d'habitude, soit purement structurelles, soit purement conjoncturelles.
L'idée selon laquelle cette situation serait due à une maîtrise insuffisante de la régulation médicalisée et du bon usage des soins, comme le prouvent les études de la CNAM sur les dépenses injustifiées, m'a beaucoup intéressé. Cette notion est très importante. Une étude de la CNAM montre d'ailleurs, vous l'avez souligné, que, sans remettre en cause la qualité des soins, on peut économiser de 3 à 5 milliards d'euros.
Oui, mesdames, messieurs les sénateurs, des économies substantielles sont possibles sans pour autant rationner les dépenses de santé, mais à condition de mettre en place une gouvernance efficace et rénovée de l'assurance maladie.
Monsieur Vasselle, vous avez évoqué la distorsion dans la prescription des médecins. Cela doit nous inciter à mettre en place une formation médicale continue de grande qualité.
Vous avez également rappelé la position constante de la commission des affaires sociales, qui s'est toujours opposée à une utilisation des excédents de l'assurance maladie à d'autres fins que le lissage conjoncturel - n'est-ce pas, monsieur le président de la commission ?
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Absolument !
M. Philippe Douste-Blazy, ministre. L'article 39 du projet de loi me paraît apporter une réponse efficace aux tendances du passé consistant à transférer des charges à la sécurité sociale pour des raisons essentiellement budgétaires. De tels transferts, s'ils ont lieu, devront désormais être strictement compensés.
Madame Demessine, nous avons refusé toute privatisation. Je ne comprends d'ailleurs pas comment vous avez pu imaginer un seul instant que nous voulions privatiser l'assurance maladie... A cet égard, je vous conseille de demander à votre collègue M. Chabroux de vous communiquer l'étude de l'OFCE, qui constate que nous conservons notre système à la française et que nous avons refusé toute privatisation et toute nationalisation. C'est écrit noir sur blanc !
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Ils ne l'ont pas lue !
M. Philippe Douste-Blazy, ministre. Monsieur Vasselle, je me réjouis de voir que nous sommes d'accord sur la nécessité d'une prise de conscience collective et d'un changement des comportements. Le dossier médical personnel, comme le médecin traitant, devront y contribuer.
Nous reviendrons en détail sur le développement de ce dossier et sur le pilotage de ce chantier majeur. C'est un vrai défi qui nécessite un investissement très important de l'Etat, de l'assurance maladie et des professionnels de santé. Les modalités de mise en oeuvre seront à la hauteur d'un tel défi.
Vous avez souligné les principaux axes de la déclinaison locale de la gouvernance au travers des missions régionales de santé : la répartition de l'offre de soins, la mise en place de la permanence des soins, l'instauration d'une gestion du risque à l'échelon régional et l'expérimentation des agences régionales de santé.
Monsieur le rapporteur, le Gouvernement sera très attentif à la mise en place rapide de ces structures nouvelles, dont la création démontre notre volonté de parvenir à une gouvernance efficace tant sur le plan national que sur le plan territorial.
Par ailleurs, vous proposez une évolution forte qui passe par l'intégration de l'ANAES au sein de la haute autorité.
Je suis bien évidemment ouvert à toute amélioration du texte. Je souhaite que nous puissions avancer ensemble vers cet objectif lorsque nous aborderons les articles 19 et 20 du projet de loi.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Très bien !
M. Philippe Douste-Blazy, ministre. En ce qui concerne la dette publique, vous avez souligné les effets négatifs qui auraient accompagné un relèvement de la CRDS. Le Gouvernement partage votre souci de ne pas entraver le retour de la croissance ni de porter atteinte au pouvoir d'achat des Français.
Si nous avons fait, en conscience - j'y insiste -, ce choix de transférer la dette du passé à la CADES, c'est d'abord parce que cette réforme comporte des mesures de nature à maîtriser durablement l'évolution des dépenses de santé.
En effet, la véritable « faute morale » à ne pas commettre vis-à-vis des générations futures serait de ne pas décider une telle réforme structurelle.
Madame Demessine, en matière de prévention, je veux simplement vous rappeler que le projet de loi relatif à la politique de santé publique, qui a récemment été voté en deuxième lecture au Sénat, ainsi que le projet de loi de M. Borloo, qui comportera un volet important sur la santé au travail, s'insèrent dans la politique du Gouvernement, globale et cohérente, qui a déjà permis certains succès. Ainsi, le nombre de fumeurs a diminué de 1,8 million et le nombre de morts sur la route a baissé.
Ne m'intentez donc pas un procès d'intention sur le fait que le Gouvernement ne s'occuperait pas de prévention. Ce serait ridicule ! Je viens de vous citer deux exemples, qui font d'ailleurs partie des grands chantiers du Président de la République et qui prouvent que nous nous en soucions.
Je voudrais maintenant répondre à M. Gouteyron, qui est un expert en matière d'assurance maladie.
Monsieur le rapporteur pour avis, vous avez tout d'abord parfaitement résumé les conditions du succès du dossier médical personnel : la confiance des patients et des assurés dans la confidentialité des données, la lisibilité du dossier et le rôle du médecin traitant. Je vous rejoins pleinement.
Je tiens à rassurer la Haute Assemblée à propos de la confidentialité. C'est un sujet majeur : sans confidentialité, il n'y aura pas de dossier médical. Or, aujourd'hui, entre 1 million et 1,5 million de nos compatriotes remplissent leur déclaration d'impôt sur le revenu sur Internet et déjà plus de 1 million de personnes y consultent l'état de leur compte bancaire personnel. Par conséquent, les possibilités technologiques de travailler en toute confidentialité existent.
Je reviendrai plus précisément sur cette question au moment de la discussion des articles, en particulier pour ce qui concerne la carte du professionnel de santé et la carte personnelle avec un identifiant santé, dérivé du numéro d'inscription des personnes au répertoire national d'identification des personnes physiques, le NIR.
Monsieur Gouteyron, tout ce que vous avez dit est logique. Néanmoins, notre fourchette concernant les incertitudes du coût est assez réaliste : entre 5 et 7 euros par an et par dossier.
Vous m'avez posé une question au sujet du calendrier. Je pense que, d'ici à la fin de 2006 ou au début de 2007, tous les patients auront un dossier médical lorsqu'ils consulteront un médecin.
S'agissant du médecin traitant, notre souhait n'est évidemment pas d'aboutir à une « double peine ». Comme vous l'avez noté, le moindre remboursement prévu à l'article 4 reste une faculté. De la même façon, les conditions du dépassement d'honoraires seront précisément définies dans la convention. Nous pouvons donc trouver avec les gestionnaires de l'assurance maladie une formule équilibrée favorisant des parcours de soins cohérents.
Vous avez abordé le sujet de l'aide à l'acquisition d'une couverture complémentaire et souligné l'effort très positif de cette mesure en termes d'accès aux soins.
C'est un engagement du Président de la République, d'abord pendant la campagne présidentielle, puis lors de son discours de Toulouse en juin 2003 devant les partenaires de la mutualité française.
Il est vrai que cette aide ne supprime pas totalement l'effet de seuil de la CMU, qui a été conçue par mes prédécesseurs. Mais elle contribue, à mon sens, à l'atténuer de manière importante, notamment pour ceux de nos concitoyens dont les ressources, tout en étant modestes, dépassent de peu - de 15 % - le plafond de ressources de la CMU ou de la CMU complémentaire.
Au total, ce dispositif concernera, je le rappelle, deux millions de personnes qui n'ont pas les moyens de se payer une couverture complémentaire.
Enfin, s'agissant de la CADES, vous avez bien résumé la situation. Je redis avec force que le transfert de la dette ne fait qu'accompagner une réforme structurelle ; c'est à cette seule condition que ce transfert est possible, comme je l'ai déjà indiqué en répondant à M. Vasselle.
Je vous remercie en tout cas du soutien de la commission des finances.
M. Barbier a rappelé l'urgence d'une réforme et le fait que nos concitoyens l'avaient parfaitement compris.
Le constat auquel M. Barbier se livre est très juste : l'évolution très rapide de la dépense remboursée ne reflète absolument pas l'état de santé de la population française ; l'assurance maladie s'épuise peu à peu, à défaut d'être efficacement régulée à travers une maîtrise médicalisée de la dépense et, lorsque c'est nécessaire, une lutte sans faiblesse contre les abus.
S'agissant du médecin traitant, que M. Barbier soit rassuré. Notre projet de loi laisse une large place à la concertation et à la négociation conventionnelle, car nous n'avons pas l'ambition de réaliser cette réforme sans les professionnels ou contre eux ; nous voulons la faire avec eux.
M. Barbier a également souligné la situation difficile de certaines spécialités comme la chirurgie.
C'est vrai, la chirurgie est aujourd'hui en danger. La moyenne d'âge des chirurgiens est de cinquante-cinq ans, et plus personne ne veut devenir chirurgien. On n'a d'ailleurs pas revalorisé la lettre clé depuis vingt ans, M. Jacques Blanc en parlait à l'instant. En outre, au fur et à mesure de la judiciarisation de la médecine, plus aucune compagnie n'accepte d'assurer les chirurgiens au même tarif qu'auparavant. C'est donc autant de pouvoir d'achat en moins.
Nous avons justement créé le Conseil national de la chirurgie en vue de préparer l'avenir. Par ailleurs, nous avons introduit, après l'article 8, un dispositif relatif au contrat d'assurance, qui constitue une réponse très concrète pour les médecins concernés.
Monsieur Chabroux, vous estimez qu'il s'agit d'une réforme injuste et non financée. Vous relevez même des similitudes avec la réforme des retraites.
Il est vrai que, dans un cas comme dans l'autre, le gouvernement précédent, que vous souteniez, ne s'est pas risqué à proposer une réforme face à l'ampleur des mesures de redressement qui étaient nécessaires. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. Jean Chérioux. Voilà !
M. Philippe Douste-Blazy, ministre. De quel équilibre des comptes de la sécurité sociale sous la précédente législature parle-t-on ? Parlez-vous d'un équilibre en trompe-l'oeil ?
M. Gilbert Chabroux. Non !
M. Philippe Douste-Blazy, ministre. La progression très rapide et non maîtrisée de la dépense a été temporairement masquée par un surcroît conjoncturel de recettes. Vous le savez très bien !
M. Gilbert Chabroux. Et nous y sommes pour quelque chose !
M. Jean Chérioux. Oh !
M. Philippe Douste-Blazy, ministre. Y étiez-vous aussi pour quelque chose en Italie, en Allemagne, en Espagne, au Portugal et en Grèce ? (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.) Car, au même moment, ces pays obtenaient les mêmes résultats.
M. Gilbert Chabroux. C'était mieux ici !
M. Philippe Douste-Blazy, ministre. Je vais vous donner les vrais chiffres. Durant les années où vous étiez au pouvoir, l'ONDAM a connu un accroissement de 3,3 % en 1999, de 4,7 % en 2000, de 5,8 % en 2001 et de 7,2 % en 2002, année d'application des 35 heures à l'hôpital. Voilà la réalité !
M. Josselin de Rohan. Eh oui !
M. Claude Domeizel. Et en 2003, monsieur le ministre ?
M. Philippe Douste-Blazy, ministre. L'augmentation des dépenses d'assurance maladie, vous y avez été confrontés comme nous, mais vous n'avez pas réalisé les réformes qui s'imposaient. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
Monsieur Chabroux, vous avez beaucoup parlé des recettes de la sécurité sociale. Dois-je vous rappeler que c'est le gouvernement que vous souteniez qui a détourné plus de 4 milliards d'euros de recettes pour financer les 35 heures ? (Eh oui ! sur les travées de l'UMP.)
La commission des affaires sociales du Sénat a, à maintes reprises, souligné ce rapt des recettes de la sécurité sociale.
Le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin a entrepris de clarifier les financements et de supprimer toute la tuyauterie qui avait été mise en place, notamment le FOREC.
Pensez-vous vraiment que nous nous dirigions vers un système à l'américaine ? Ce système, nous l'aurons si nous n'accomplissons pas cette réforme !
Ce plan ne prévoit aucun déremboursement. C'est la première fois qu'une réforme de l'assurance maladie s'appuie non sur un déremboursement massif, mais, au contraire, sur un partenariat entre les régimes de base et les régimes complémentaires. Nous rejoignons d'ailleurs en ce sens la suggestion de M. Fragonard, président du Haut conseil pour l'avenir de l'assurance maladie.
Au sujet du médicament, permettez-moi de corriger une erreur dans votre propos, monsieur Chabroux : les prix du médicament se situent en France au niveau de la moyenne européenne et ils sont inférieurs à ceux qui sont pratiqués en Angleterre et en Allemagne.
Mme Nicole Borvo. Voilà qui est agréable à entendre ! D'habitude, nous sommes les plus mauvais !
M. Gilbert Chabroux. Mais tout le reste de ce que j'ai dit est vrai !
M. Philippe Douste-Blazy, ministre. Vous avez évoqué les 3,5 milliards d'euros de la maîtrise médicalisée. Comme je l'ai déjà dit, la régulation médicalisée, c'est le fruit d'un ensemble de mesures qui comprennent, certes, le dossier médical personnel, mais aussi le médecin traitant, les bonnes pratiques et la Haute Autorité de santé.
Dans l'étude de l'OFCE dont vous avez parlé, monsieur Chabroux, chacun peut retrouver les citations qu'il souhaite. Je retiendrai, pour ma part, celle-ci : « Toutes les réformes mises en place à l'hôpital, en ville ou pour le médicament ont en commun de viser une amélioration de la qualité des soins. Elles peuvent, à terme, contribuer à l'élévation du rapport qualité-coût des dépenses de santé. »
Je suis heureux que l'OFCE ait pu écrire cela du projet que nous présentons, Xavier Bertrand et moi-même...
S'agissant de l'organisation des soins, je constate qu'à l'instar de vos collègues députés socialistes vous souhaitez remettre en cause le paiement à l'acte.
M. Gilbert Chabroux. En partie !
M. Philippe Douste-Blazy, ministre. Or nous sommes, pour notre part, attachés à l'une des quatre caractéristiques de notre médecine libérale : oui, nous tenons à la liberté d'installation, à la liberté de prescription, à la liberté de choix du médecin par le malade, et oui, nous tenons au paiement à l'acte. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.) Pour nous, monsieur Chabroux, cette réforme, c'est notre dernière chance de continuer de faire de la médecine libérale à la française, bien campée sur ses quatre piliers.
Vous avez fait des propositions en termes de recettes.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Et de médicaments !
M. Philippe Douste-Blazy, ministre. Il est tout de même curieux de constater que les recettes que vous avez jadis détournées pour le FOREC - la taxe sur les conventions d'assurance, l'alcool et le tabac - sont exactement celles que vous voulez maintenant affecter à l'assurance maladie. Etrange retournement de l'histoire !
Mme Létard a évoqué l'ensemble des mesures qui favorisent la qualité des soins. Il est clair que celles-ci auront des effets progressifs et non immédiats, comme en produiraient des déremboursements massifs. C'est la raison pour laquelle nous proposons un retour vers l'équilibre gradué.
Sommes-nous pour autant restés, comme vous l'avez dit, au milieu du gué ? C'est évidemment une appréciation - permettez-moi de vous le dire - qui est subjective.
S'agissant du rapprochement entre la ville et l'hôpital, je crois tout de même que la mise en place des missions régionales de santé associant URCAM et ARH va, par exemple, permettre de développer fortement les réseaux, notamment les réseaux gérontologiques que vous avez évoqués.
Vous m'avez interrogé sur la manière dont sera traitée la réforme de la gouvernance hospitalière. Je vous confirme que ce sujet majeur fait partie intégrante du projet de loi habilitant le Gouvernement à simplifier le droit. Le fait que cette réforme intervienne par ordonnances n'a pas d'incidence sur la concertation avec l'ensemble des acteurs concernés, que nous voulons approfondir.
Vous avez souligné l'importance et les enjeux de la coordination ville-hôpital, et vous avez, bien sûr, raison.
Nous y apportons des réponses innovantes et adaptées : le DMP, les missions régionales de santé, l'expérimentation ARH et ARS déjà évoquée.
En ce qui concerne l'association des professionnels de santé, je crois, madame Létard, que la particularité de cette réforme est justement d'avoir été élaborée non contre les professionnels, mais avec eux. Pour cette raison, j'ai confiance dans la capacité de ces derniers à adhérer à l'ensemble des dispositifs mis en place dans ce projet de loi. C'est la première fois - je dis bien la première fois ! - que des médecins acceptent des sanctions individuelles.
Nous aurons l'occasion de revenir, lors de la discussion des articles, sur différents sujets que vous avez évoqués, qu'il s'agisse de l'Union régionale des professionnels de santé ou de la direction de la mission régionale de santé.
Monsieur Dériot, vous avez raison de considérer que la voie de la réforme est un chemin difficile. Elle était néanmoins nécessaire et nous ne pouvons que regretter que rien n'ait été fait au cours de la dernière législature pour préserver l'assurance maladie et la sécurité sociale.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Bis repetita !
M. Philippe Douste-Blazy, ministre. Le Gouvernement a fait le choix de la maîtrise médicalisée, de la confiance envers les patients et les professionnels. Nous croyons que cela nous permettra de réussir là où la maîtrise comptable et la pénalisation ont échoué.
Monsieur Dériot, vous avez souligné avec raison l'importance de la pédagogie dans la réussite de la réforme.
Oui, les Français sont prêts à faire des efforts, à condition que les enjeux leur soient clairement présentés.
Oui, la participation d'un euro par acte médical a cette vocation pédagogique. Il s'agit non d'une mesure financière - elle ne représente même pas 5 % des 15 milliards d'euros du plan - mais d'une mesure destinée à faire prendre conscience que la santé a un coût, notion qui a pu perdre une partie de son acuité au fur et à mesure de l'extension du tiers payant.
Pour ma part, je pense, comme l'ensemble du Gouvernement, qu'il faut promouvoir à nouveau la notion d'esprit de responsabilité, notamment la responsabilité individuelle.
Madame Demessine, vous avez posé le problème du calendrier imposé et de l'urgence.
Nous avons présenté le texte de loi à la mi-juin, laissant ainsi au Sénat cinq semaines pour l'étudier.
De surcroît, le Gouvernement a pris le temps du débat à l'Assemblée nationale : 142 heures, ce n'est pas rien ! Et, au Sénat aussi, nous prendrons le temps nécessaire.
Dans ces conditions, je ne crois pas que les conditions de travail soient déplorables. D'ailleurs, madame Demessine, travailler en juillet ne me paraît pas honteux ! Rappelez-vous : les lois de nationalisation ont été votées le 14 août 1981 et le débat sur l'école a eu lieu en juillet 1984 ! (Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.) Eh oui ! Cela ne s'oublie pas !
M. Jean-Pierre Sueur. Nous avions attendu vingt-trois ans ! Maintenant, nous n'attendrons plus aussi longtemps !
M. Philippe Douste-Blazy, ministre. Monsieur Sueur, 1984, cela ne fait pas vingt-trois ans !
Monsieur Fortassin, le Bigourdan que je suis est heureux de vous retrouver !
Nous sommes tout à fait d'accord pour dire qu'une promotion intensive du médicament explique une partie de sa surprescription.
M. Jean Chérioux. Absolument !
M. Philippe Douste-Blazy, ministre. C'est justement pour cela que nous prévoyons, à l'article 18 du projet de loi, une charte de qualité des pratiques professionnelles des visiteurs médicaux. Nous nous assurerons qu'elle sera respectée.
Je ne suis pas d'accord avec vous, en revanche, lorsque vous dites que l'industrie pharmaceutique consacre 40 % de son chiffre d'affaires à la publicité et 10 % à la recherche.
Je puis vous assurer que les grands laboratoires pharmaceutiques, qu'ils soient américains, européens ou français - je pense notamment aux cinq grands noms français que sont Sanofi-Synthélabo, Fabre, IBSEN, Servier et Fournier - consacrent entre 20 % et 35 % de leur chiffre d'affaires à la recherche. S'ils ne le faisaient pas, ils n'auraient d'ailleurs aucune chance de survivre, car, comme dans toutes les industries, il n'y a que l'innovation qui paie !
En outre, je vous le redis, nous prévoyons un plan d'économies sur le médicament de l'ordre de 2,3 milliards d'euros, ce qui est sans équivalent dans le passé.
Le plan de Mme Guigou était d'un niveau comparable, mais il était calculé en francs et non en euros. C'est là toute la différence !
Vous avez été très critique vis-à-vis de l'industrie pharmaceutique.
Je n'ai pas la même vision que vous. Nous préférons travailler en bonne intelligence avec l'industrie du médicament pour valoriser l'innovation et maintenir la consommation de médicaments à un niveau raisonnable.
Je vous rejoins pour considérer que nous en consommons trop : une fois et demie plus que les Danois. Qu'il faille revoir les techniques de publicité et de visite médicale, je le conçois tout à fait. Mais gardons-nous de jeter l'opprobre sur une industrie qui est d'autant plus importante qu'elle sera l'industrie de demain.
Monsieur Vantomme, vous nous parlez d'une inertie qui existerait depuis plus de deux ans. Vous avez dû oublier les années 1997-2002 ! Peut-être le traumatisme d'un soir d'avril 2002 vous a-t-il fait perdre la mémoire !
Notre gouvernement s'est engagé à agir. Il l'a fait. En deux ans, nous avons réformé les deux piliers principaux de notre protection sociale et nous relançons la politique familiale grâce à la PAJE, la prestation pour l'accueil des jeunes enfants. Et vous, qu'aviez-vous fait ?
M. Gilbert Chabroux. Beaucoup de choses !
M. Jean Chérioux. Les 35 heures !
M. Philippe Douste-Blazy, ministre. Rien sur les retraites, rien sur l'assurance maladie, rien sur la politique familiale !
S'agissant de votre analyse de la situation structurelle de l'assurance maladie, j'aimerais que vous ayez raison et que les problèmes ne soient que conjoncturels. Force m'est cependant de vous renvoyer aux notes de l'OFCE, dont nous a parlé M. Chabroux, ou aux travaux de la CNAMTS. La CNAMTS, ce n'est pas l'UMP ! Et l'OFCE, ce n'est l'UMP non plus !
Le déficit structurel se creuse depuis des années. Il a été provoqué par l'absence de toute réforme, certains ayant profité de la conjoncture économique internationale exceptionnelle pour cacher la réalité.
M. Jean Chérioux. Et voilà ! Ils sont là, à gauche !
M. Philippe Douste-Blazy, ministre. Monsieur Fourcade, je vous remercie de votre soutien.
Notre philosophie, celle de notre gouvernement, est bien d'éviter autant que possible les hausses de prélèvements. Certains la critiquent. Pour autant, n'oublions pas que ce sont nos concitoyens qui paient les prélèvements et que nous devons utiliser de manière efficace chaque euro qu'ils nous donnent.
C'est pourquoi nous luttons contre les gaspillages. C'est pourquoi nous voulons que chacun soit responsable. C'est pourquoi nous voulons réorganiser notre système de soins.
Vous nous avez fait deux propositions, en particulier sur le médecin-conseil et sur le regroupement des trois caisses. Si je suis bien évidemment ouvert à cette dernière suggestion, vous me permettrez toutefois de consulter les instances concernées. Quoi qu'il en soit, la voie que vous ouvrez me paraît intéressante.
Madame Bocandé, vous nous rejoignez sur l'objectif de responsabilisation, ce dont je me réjouis.
Je précise que le médecin traitant peut être un généraliste ou un spécialiste et exercer en ville comme à l'hôpital. Le dispositif ne repose donc pas uniquement sur des généralistes, même s'il est logique que, dans la plupart des cas, les assurés choisissent leur généraliste.
Je le redis, l'hôpital entre bien dans le champ de la réforme. Nous aurons l'occasion d'en débattre, notamment à l'occasion de la discussion de l'article 26, consacré au conseil de l'hospitalisation.
Monsieur Fourcade, vous nous avez dit que ce projet de loi était nécessaire, courageux et prudent.
Vous avez souligné que l'enjeu réel de cette réforme, comme celle des retraites l'an dernier, c'est tout simplement la place de la France en Europe et notre participation à l'euro.
Il est bon de prendre du recul et de resituer cette réforme dans son véritable contexte, d'accomplir à notre tour des réformes courageuses que la plupart de nos partenaires européens ont d'ores et déjà entamées, voire réalisées. On oublie souvent de le dire, nombreux sont ceux de nos partenaires qui ont commencé à envisager le dossier médical personnel, le parcours personnalisé et les bonnes pratiques.
Oui, la prudence, monsieur Fourcade, c'est de se fixer des objectifs réalistes, de prévoir un retour à l'équilibre progressif, d'autant que les outils que nous mettons en place à cet effet sont nouveaux - je pense à la maîtrise médicalisée - et ne produiront pas leurs effets de manière immédiate, contrairement à des recettes plus traditionnelles, comme la hausse des prélèvements ou le déremboursement.
Vous avez aussi regretté l'absence de stabilisateur automatique pour l'ONDAM. Je crois tout de même que le comité d'alerte pourra jouer un rôle très utile pour nous permettre d'anticiper face à une nouvelle dérive des dépenses.
J'ai parfaitement compris votre philosophie : à quoi bon passer des jours et des nuits au Parlement pour élaborer un ONDAM si, au bout du compte, tout le monde s'en moque ?
Monsieur Othily, nous souhaitons que notre système d'assurance maladie puisse s'adapter progressivement. C'est la raison pour laquelle nous voulons mettre en place une nouvelle gouvernance de l'assurance maladie et un partenariat entre cette dernière et les professionnels de santé, auxquels peuvent s'associer les organismes complémentaires. C'est ce partenariat qui fera évoluer les soins ambulatoires.
S'agissant de l'adaptation de la loi aux territoires et départements d'outre-mer, le Gouvernement ne peut qu'y être favorable tant les particularismes locaux sont nombreux. Comment ne pas convenir avec vous, monsieur Othily, que la situation de la Guyane est différente de celle de la métropole ? Mon cabinet et celui de Xavier Bertrand sont à votre disposition pour évoquer avec vous ces spécificités.
Madame Printz, je l'ai déjà indiqué, la prévention est au coeur de notre politique de santé. Elle est, en effet, l'objet d'un projet de loi à part entière, en passe d'être voté après différentes lectures.
Depuis trop longtemps, le préventif est sacrifié sur l'autel du curatif. Vous semblez pourtant regretter que l'on y ait consacré un projet de loi.
Je précise aussi que le dossier médical personnel comportera un volet « prévention », notamment pour tout ce qui a trait aux vaccinations.
Je rappelle également que, dans le plan de cohésion sociale porté par Jean-Louis Borloo, figure un volet important consacré à la santé au travail.
Monsieur Jacques Blanc, je vous remercie de votre prise de position.
Sur la conduite de la réforme, je suis convaincu, comme vous, que la pédagogie à l'égard de nos concitoyens est à la fois nécessaire et très utile. Les Français l'ont parfaitement compris, la réforme est indispensable et nécessite un changement collectif de comportement. C'est en changeant tous un peu qu'on peut tout changer !
Vous avez raison de souligner que chaque Français peut contribuer individuellement de manière efficace à une meilleure maîtrise de la dépense, qui va très souvent de pair avec une amélioration de la qualité des soins.
Il est tout aussi exact que nous ne réussirons cette réforme qu'en mobilisant l'ensemble des acteurs, au premier rang desquels figurent les professionnels de santé.
Monsieur Détraigne, je vous remercie de votre soutien s'agissant d'un certain nombre de mesures prévues dans le présent texte.
J'aimerais toutefois m'inscrire en faux sur un sujet : l'hôpital n'est pas à l'extérieur de la réforme. Le dossier médical sera partagé entre le patient, le médecin libéral et le praticien hospitalier. L'évaluation des pratiques sera celle de la médecine libérale et des pratiques hospitalières.
Par ailleurs, nous proposons un rapprochement entre les instances qui gèrent l'hôpital et l'assurance maladie responsable de l'ambulatoire. Mais vous avez raison, il faut aller plus loin.
Vous considérez que les dépenses vont continuer à croître. Cela est peut-être vrai, mais assurons-nous d'abord que chaque euro soit bien dépensé de manière efficace. Evitons les gaspillages et renforçons la qualité des soins.
Lorsque vous vous inquiétez du report de la dette sur les générations futures, je vous réponds que notre première responsabilité est de mener la réforme. Sans réforme, que lèguerons-nous ? C'est justement la faute qu'il ne faut pas commettre.
Madame Beaudeau, je crois utile de préciser que la contribution d'un euro est très différente du forfait journalier, avant tout parce que nous souhaitons - c'est le sens de l'article 32 - que les organismes complémentaires ne prennent pas en charge cette contribution. Nous voulons favoriser un acte de responsabilisation. C'est la raison pour laquelle le montant de cette contribution n'a pas vocation à augmenter.
Vous craignez par ailleurs que le dossier médical ne serve en réalité à ficher les assurés. Sincèrement, vous me faites un mauvais procès ! Les données du dossier médical personnel appartiennent au patient - c'est parfaitement clair - et les députés ont précisément renforcé la protection des données contenues dans ce dossier.
Monsieur Cantegrit, nous sommes très soucieux de la situation des Français de l'étranger.
Vous avez déposé des amendements qui permettent de clarifier certaines conséquences de la réforme. Nous y serons très attentifs.
Vous avez démontré qu'il existait une différence de traitement entre les Français de l'étranger et les Français de métropole.
Par ailleurs, vous avez souligné à juste titre que certains usagers, en l'espèce les Français de l'étranger, se comportaient différemment à l'égard des soins. Une action sur ces comportements aura donc un impact et une légitimité.
La situation de la Caisse des Français de l'étranger montre aussi que la progression des dépenses de santé n'est pas une fatalité et que la responsabilisation des comportements est possible.
Mesdames, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous prie de m'excuser d'avoir été un peu long, mais j'ai souhaité répondre à chacun d'entre vous.
Je vous remercie de la qualité de ce débat. Avec Xavier Bertrand, nous sommes plus que jamais prêts à améliorer maintenant notre texte. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Exception d'irrecevabilité
M. le président. Je suis saisi, par Mmes Borvo, Demessine et Beaudeau, MM. Autain, Fischer, Muzeau et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen, d'une motion n° 559, tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l'article 44, alinéa 2, du règlement, le Sénat déclare irrecevable le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, relatif à l'assurance maladie (n° 420, 20032004).
Je rappelle que, en application de l'article 44, alinéa 8 du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l'auteur de l'initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d'opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n'excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à Mme Nicole Borvo, auteur de la motion.
Mme Nicole Borvo. Permettez-moi, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, de dire d'emblée, au nom de mon groupe, que le décalage est immense entre les motifs invoqués devant nos concitoyens pour présenter cette réforme et les objectifs poursuivis par le Gouvernement tels qu'ils apparaissent dans la réforme elle-même.
Nos concitoyens ont fait l'objet d'une mise en condition - bien menée, il faut le reconnaître - depuis des mois sur les thèmes suivants : déficit « abyssal » de l'assurance maladie qu'il est impensable de supporter plus longtemps et qui est la conséquence d'une énorme « gabegie » dans la consommation des prestations de santé, nomadisme médical, surconsommation de médicaments, arrêts maladie à tout va pour nos concitoyens, qui usent et abusent d'un système de sécurité sociale particulièrement généreux !
Voilà votre diagnostic. Vous dites vouloir y porter remède et redresser la situation financière en responsabilisant les malheureux « pécheurs » et en chassant les gaspis.
Mais le Gouvernement ignorerait-il que nos concitoyens cotisent déjà beaucoup pour l'assurance maladie, et plus généralement pour la sécurité sociale ?
La fiscalisation progressive de leur effort a considérablement accru leur part. La CSG est financée à 90 % par les assurés, tandis que la cotisation patronale n'a pas augmenté depuis vingt ans.
Le Gouvernement ignorerait-il que les assurés paient le ticket modérateur de leur poche, ou avec leur mutuelle, et que celui-ci leur coûte, au fil des ans, de plus en plus cher, c'est-à-dire entre 50 et 100 euros par mois, bien entendu pour une couverture non exhaustive ?
Le Gouvernement ignorerait-il que le coût de la santé est bien supérieur aux Etats-Unis, où la prise en charge publique est réduite à la portion congrue, qu'en France ? Ce coût s'élève à 14 % du PIB aux Etats-Unis, contre 9,5 % en France.
Le Gouvernement ignorerait-il que le chômage et les bas salaires dus à la précarité ont une responsabilité première dans le déficit de la sécurité sociale ? En effet, 100 000 chômeurs de moins, c'est 1,3 milliard d'euros de recettes supplémentaires, et 1 % d'augmentation salariale, c'est 2,5 milliards d'euros de recettes supplémentaires.
Le Gouvernement ignorerait-il encore que les exonérations de charges coûtent 3 milliards d'euros à la sécurité sociale ? Le taux de cotisation des employeurs pour un salaire au SMIC est passé de 30,2 % à 4,2 % en dix ans.
On peut donc estimer que le déficit actuel - qui représente 3,35 % de l'ensemble du budget de la protection sociale - est dû à des choix économiques et sociaux contestables. D'ailleurs, vous ne croyez pas vous-même, en continuant la même politique, à la possibilité de réduire ce déficit et les statistiques du ministère des finances fixant le déficit entre 7 et 15 milliards d'euros dans trois ans ne font l'objet que de querelles picrocholines.
En réalité, le fil conducteur de votre réforme est tout autre. Il vise loin. Il est identique à celui de l'ensemble de votre politique : réduction des prélèvements obligatoires, transferts des dépenses sociales publiques au privé, c'est-à-dire rentabilité pour les prestataires, augmentation des coûts pour les utilisateurs.
Alors, monsieur le ministre, nous nous éloignons à grands pas des principes fondateurs de la sécurité sociale et, pour cette raison, votre réforme est irrecevable.
Nous connaissons tous le préambule de la Constitution : « La nation assure à l'individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement.
« Elle garantit à tous, notamment à l'enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle... »
Ces alinéas 10 et 11 du préambule de la Constitution de 1946 sont des éléments fondateurs de la conception solidaire de la République issue de la Résistance et traduite par le programme du Conseil national de la Résistance et, entre autres, par la création de la sécurité sociale contemporaine.
Le préambule de 1946 découlait de cet immense élan de générosité, de justice sociale et de progrès qui a permis des avancées démocratiques, sociales et économiques considérables.
Faut-il rappeler que cet élan s'est appuyé bien souvent sur des efforts communs d'hommes et de femmes d'horizons divers, parfois éloignés, qui ont combattu ensemble contre l'occupant nazi ?
Un objectif était partagé : celui de la reconstruction du pays, de l'épanouissement d'une population meurtrie par la violence du conflit.
Nous nous honorons du rôle des ministres communistes à l'époque, mais des hommes et des femmes issus de la bourgeoisie française ont fait, à l'époque, ce choix et non pas celui du profit individuel contre l'intérêt général. Ce fut un choix historique, à la source, entre autres facteurs, des Trente Glorieuses.
Le Conseil constitutionnel, dans le cadre d'une jurisprudence fournie, a rassemblé le préambule, la Déclaration des droits de l'homme et la Constitution dans ce qu'il dénomme le « bloc de constitutionnalité ».
Certes, le préambule de 1946 est souvent critiqué par les élus de la majorité. Le Conseil constitutionnel lui-même ne prend pas toujours en considération les principes portés par ce texte. Il le généralise souvent à l'extrême pour mieux édulcorer ses dispositions.
Pourtant, ces principes sont fondamentaux et constituent le socle constitutionnel de la sécurité sociale. D'ailleurs, vous n'hésitez pas, monsieur le ministre, à citer ce que les fondateurs de la sécurité sociale avaient eux-mêmes formulé : « l'égalité d'accès aux soins qui suppose l'existence d'un système d'assurance maladie public et universel », la solidarité qui signifie que « chacun doit contribuer à l'assurance maladie selon ses moyens et recevoir selon ses besoins ».
Mais si tels étaient encore les fondements de votre réforme, il faudrait prendre en compte les évolutions des besoins, soixante ans après. L'élargissement, l'amélioration de l'accès aux soins constituent un enjeu fondamental pour l'avenir. Ces objectifs ont été fixés en 1945 et existent toujours aujourd'hui. Ils constituent aussi une évolution logique du progrès scientifique, technologique de notre époque. L'allongement de la durée de vie n'est-il pas considéré comme l'un des signes d'une société qui progresse ? La révolution scientifique de ces dernières années modifie en profondeur la conception même du soin. La prévention, parent pauvre en France, peut permettre de réduire, grâce aux progrès des connaissances, le coût de la médecine curative qui prédominait auparavant.
Cette évolution souhaitable - qui pourrait ici le contester ? - aurait dû amener le Gouvernement à poser en pierre angulaire de toute réforme en profondeur l'amélioration dans l'accès aux soins, l'accès de tous à une médecine de qualité, la lutte contre une médecine à deux vitesses, alors que 6 millions de personnes ne se soignent aujourd'hui que par la CMU, qu'un chômeur sur quatre renonce à se soigner faute de moyens, et qu'un nombre croissant d'hommes et de femmes de notre pays renoncent à tel ou tel soin, reportent telle ou telle opération faute d'une couverture suffisante.
La réforme à faire en priorité est celle du financement, trop étroit aujourd'hui. Nous faisons des propositions dans ce sens depuis bien longtemps : élargissement de l'assiette des cotisations, modulation en fonction de l'emploi, cotisation sur les revenus financiers.
Votre projet, monsieur le ministre, prend le chemin inverse en organisant le cadre d'une privatisation future, ne vous en déplaise, de la sécurité sociale.
La sécurité sociale n'est évidemment pas, par elle-même, pérenne. Elle doit être défendue et réformée dans un sens de progrès pour continuer à répondre à ses principes fondamentaux.
Les fondateurs de la sécurité sociale ont été clairs. D'après l'exposé des motifs de l'ordonnance de 1945, la réalisation de l'objectif de la sécurité sociale solidaire était subordonnée à un ensemble complexe de mesures qui engagent toute la politique économique et sociale du pays. Elles visent à lutter contre les crises, à favoriser le plein emploi, les salaires, les garanties sociales. Vous en êtes bien loin !
Comment, monsieur le ministre, concevoir une réforme d'ampleur de la sécurité sociale en éludant ce paramètre essentiel ? Votre attitude démontre que le gouvernement de M. Raffarin n'a aucunement l'intention de s'attaquer en profondeur à la crise de l'emploi. Ma collègue Michelle Demessine a développé ce point, je n'y insisterai donc pas.
Mais ce que vous dissimulez à nos concitoyens en « responsabilisant » le patient, c'est-à-dire en le montrant du doigt, c'est la faiblesse organisée de la participation des entreprises et des revenus financiers à la politique de santé.
Votre énième plan de redressement, monsieur le ministre, continue dans le même sens : sur 15 milliards de recettes nouvelles, 1 milliard proviendra des entreprises et 14 milliards des assurés sociaux, mais aucune recette n'émanera des revenus financiers. Où est l'équité, où est le partage ?
Ce projet de recul social multiplie les agressions contre les malades et les assurés sociaux. La liste des mesures de régression est longue : réduction des affections de longue durée, poursuite, ne vous en déplaise, du déremboursement des médicaments, instauration d'un panier de soins, sorte de couverture minimum, forfait d'un euro pour la médecine de ville, augmentation forte du forfait hospitalier, restriction du champ de soins remboursables, instauration des mesures culpabilisatrices précitées, liberté tarifaire pour les spécialistes lorsqu'il n'y a pas eu de consultation préalable du médecin traitant, entrée des assurances privées au sein des organismes décideurs de l'assurance maladie sont autant de mesures dangereuses pour l'équité et symptomatiques des options gouvernementales.
Plusieurs de ces dispositions sont manifestement contraires aux principes constitutionnels. Elles tournent le dos, en effet, à une conception solidaire de l'assurance maladie et, plus généralement, de la protection sociale.
Je voudrais évoquer brièvement les points du projet de loi que nous considérons comme anticonstitutionnels.
Le Gouvernement ignorerait-il qu'en restreignant le champ de la prise en charge publique légale, le système public perd son caractère universel et que l'égalité d'accès aux soins devient illusoire ?
Le Gouvernement ignorerait-il qu'en augmentant la part de la prise en charge - facultative - par les organismes complémentaires, seule la partie de la population la plus aisée pourra recevoir selon ses besoins ?
Votre réforme rompt avec la logique de la sécurité sociale de 1945,...
Mme Nicole Borvo. ...logique qui prévoyait un « régime d'assurance sociale publique obligatoire solidaire géré par les salariés et les employeurs »
Votre réforme crée un système étatisé au niveau des décisions: le super ministre de l'UNCAM décide des remboursements et la Haute Autorité - pas plus démocratique - décide du panier de soins, ce qui conduit à un système privatisé dans la couverture des soins.
Votre réforme organise la transition d'un système de solidarité public généralisé vers un système hybride composé d'un service public de santé géré par le public et le privé, pérennisant une protection à deux vitesses alors que la réalité porte à combattre un tel système.
Sera-t-il possible, demain, de bien se soigner, voire tout simplement de se soigner, sans couverture complémentaire, mutualiste ou assurantielle ? Je ne le crois pas. Or une telle situation serait contraire aux principes institutionnels.
L'article 2 du projet de loi, en mettant en place le dossier médical, ne respecte pas les règles constitutionnelles relatives à la protection des données personnelles. La confidentialité n'est pas assurée. Si, en soi, l'idée d'un dossier médical n'est pas mauvaise, il reste que les libertés individuelles doivent être préservées.
Par ailleurs, comment ne pas s'inquiéter, monsieur le ministre, du coût de la mise en oeuvre de cette réforme : 300 millions d'euros d'investissement et 600 millions d'euros de fonctionnement annuels ?
Comment ne pas s'inquiéter de l'incitation à la réalisation de nouveaux examens à chaque phase médicale afin de permettre aux médecins d'éviter de s'exposer à des sanctions judiciaires ?
Enfin, comment ne pas citer le président de l'ONM, le docteur Ducloux, qui indiquait dans un quotidien du soir que « certains organismes ne devront, en aucune façon, pouvoir héberger le dossier, notamment les caisses d'assurance maladie et de retraite ou les assurances professionnelles. S'ils avaient accès aux données du dossier, ces organismes pourraient en effet être en situation de nuire aux assurés » ?
L'article 4 tombe également sous le coup de l'anti- constitutionnalité. Par deux décisions, nos 89-269 DC et 90-289 DC, le Conseil constitutionnel a posé le principe du « libre choix du médecin pour le malade ».
Cet article, en ce qu'il conditionne le niveau du remboursement par un spécialiste à l'intervention du médecin traitant, ne peut qu'être sanctionné par le Conseil constitutionnel si celui-ci confirme sa jurisprudence.
Enfin - et cet argument n'est pas le moindre -, le Conseil constitutionnel a créé, de par sa jurisprudence constante, le concept de service public constitutionnel, ou national.
N'en déplaise à certains constitutionnalistes, le fait que la notion de service public ne soit pas citée dans la Constitution ne retire pas toute valeur aux décisions du juge constitutionnel, qui possède le pouvoir non négligeable d'édicter des principes à valeur constitutionnelle.
La santé est un service public constitutionnel. De par la jurisprudence précitée, ce type de service ne peut être concédé au privé. Les dispositions qui tendent à organiser les assurances privées complémentaires en union au sein du Conseil de l'assurance maladie, en autorisant celles-ci à participer à la définition du périmètre de l'assurance maladie, mettent en cause la gestion publique du service public constitutionnel de la santé.
Le président de la FFSA, la fédération française des sociétés d'assurances, ne s'est-il pas félicité de l'ouverture du champ de la santé aux assureurs ? C'est d'ailleurs cette évolution qui permet de mieux comprendre la notion de panier de soins constituant une assurance maladie de base et comportant une liste limitative en prestations, le reste étant livré au privé.
Comme vous pouvez le voir, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, le Conseil constitutionnel devra examiner attentivement les dispositions que la majorité absolue et de l'Assemblée nationale et du Sénat auront votées dans les conditions que vous savez durant cet été 2004. Il devra le faire en prenant le recul nécessaire et en se remémorant les objectifs généreux de solidarité qui avaient donné naissance à la sécurité sociale.
Le débat n'est pas terminé car, comme l'ont indiqué certains de vos amis au sein même du Gouvernement, ce projet de loi fixe un cadre et une orientation particulièrement dangereux. Il fait entrer le loup dans la bergerie, en introduisant la logique de la concurrence et du marché dans le système de santé, mais il ne résout rien pour l'avenir.
D'autres débats nous attendent, notamment concernant le financement. Pour l'heure, nous nous en tenons à cette exception d'irrecevabilité. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Alain Vasselle, rapporteur. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la commission des affaires sociales a bien évidemment examiné la motion d'irrecevabilité n° 559, déposée par le groupe CRC.
Or vous avez pu constater, mes chers collègues, qu'aucun des propos tenus par Mme Borvo n'est crédible. Il suffit d'une simple lecture du projet de loi pour se rendre compte que les doutes qu'elle a exprimés devant la Haute Assemblée y trouvent tous une réponse immédiate et ne sont donc pas justifiés.
Ainsi, Mme Borvo soutient que la réforme proposée n'est pas respectueuse des dispositions du préambule de la Constitution de 1946. J'aimerais bien que l'on nous explique en quoi les dispositions de la réforme sont contraires à ce préambule !
Je prendrai simplement pour exemple l'article 1er du projet de loi tel que la commission propose à la Haute Assemblée de le rédiger.
Tout d'abord - premier point important -, il est tout à fait dans l'esprit du préambule de la Constitution. Aussi ai-je le sentiment que Mme Borvo n'a pas suffisamment pris connaissance des amendements de la commission des affaires sociales, car cela lui aurait épargné le dépôt de cette motion d'irrecevabilité. En effet, nous tenons, pour notre part, à affirmer le caractère obligatoire, solidaire et universel de l'assurance maladie.
Ensuite est rappelé dans cet article 1er le traitement particulier dû à l'assuré, qui bénéficie d'une protection indépendamment de son âge ou de son état de santé. Comment peut-on dire qu'il ne s'agit pas là de l'expression de la solidarité et de la fraternité ?
Enfin, cet article rappelle le rôle de garant de l'Etat et celui des professionnels et des régimes.
En définitive, madame Borvo, nous reprocheriez-vous de vouloir sauver le système qui a été mis en place en 1945, alors que les gouvernements que vous avez soutenus, même s'ils ont eu le temps de s'y atteler, ont refusé de s'attaquer tant à la réforme des retraites qu'à celle de l'assurance maladie ?
Par ailleurs, vous savez que les mesures d'ordre financier que vous proposez ont un caractère confiscatoire et sont contraires à l'article 17 de la Déclaration des droits de l'homme.
Personnellement, en ma qualité de rapporteur, il me semble que cette réforme met en oeuvre les dispositions de la devise de la République rappelées à l'article 2 de la Constitution : liberté, égalité, fraternité, mais aussi solidarité.
C'est la raison pour laquelle la commission des affaires sociales vous propose, mes chers collègues, de rejeter la motion d'irrecevabilité déposée par le groupe CRC. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Philippe Douste-Blazy, ministre. Je ne vois pas en quoi ce projet de loi irait à encontre des alinéas 10 et 11 du préambule de la Constitution de 1946. En effet, nous ne remettons absolument pas en cause les principes fondamentaux de l'assurance maladie ; nous faisons en sorte, au contraire, de pérenniser le régime sur ses bases actuelles, comme M. le rapporteur vient d'ailleurs de le souligner.
S'agissant de la longue liste des régressions, en quoi la maîtrise médicalisée et la responsabilisation du patient sont-elles des dispositions contraires à la Constitution ? Nous nous inscrivons, au contraire, pleinement dans la logique du système de santé conçu au lendemain de la guerre, par le Conseil national de la Résistance.
Pour ce qui est du dossier médical, j'ai déjà eu l'occasion de le dire, la confidentialité est évidemment au coeur de nos préoccupations et le Gouvernement s'est montré particulièrement ouvert sur ce point lors de l'examen du texte à l'Assemblée nationale.
En ce qui concerne la logique de concurrence, je le répète ici avec force, nous tenons à préserver le système actuel. En conséquence, et comme la commission, je ne puis que constater que les arguments évoqués par Mme Borvo ne font apparaître aucune contradiction avec les règles constitutionnelles telles qu'elles découlent du préambule de la Constitution de 1946 et de la jurisprudence du Conseil constitutionnel.
En conséquence, je ne puis, mesdames, messieurs les sénateurs, qu'appeler le Sénat à repousser cette motion.
M. le président. Je mets aux voix la motion n° 559, tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité.
Je rappelle que l'adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi.
(La motion n'est pas adoptée.)
Question préalable
M. le président. Je suis saisi, par MM. Sueur, Chabroux, Godefroy et Domeizel, Mme Printz, MM. Vantomme, Estier et les membres du groupe Socialiste, apparenté et rattachée, d'une motion n° 108, tendant à opposer la question préalable.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l'article 44, alinéa 3 du règlement, le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, relatif à l'assurance maladie (n° 420, 2003-2004).
Je rappelle que, en application de l'article 44, alinéa 8 du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l'auteur de l'initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d'opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n'excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, auteur de la motion.
M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous débattons d'un sujet difficile pour lequel il n'y a pas de remède simpliste. C'est pourquoi je pense, monsieur le ministre, que la démagogie n'a pas sa place ici, pas plus les critiques faciles et encore moins les caricatures !
M. Jean-Pierre Sueur. Je vous ai écouté avec beaucoup d'attention et, puisque je défends une motion tendant à opposer la question préalable, je l'exposerai en trois points : le premier préalable est de dire la vérité sur le passé...
M. Jean-Pierre Sueur. ... le deuxième consiste à dire la vérité sur les économies escomptées et le troisième à dire la vérité sur l'avenir.
Commençons, si vous le voulez bien, par dire la vérité sur le passé.
Je dois avouer que j'ai été un peu surpris par la manière très légère avec laquelle un certain nombre de parlementaires, tant à l'Assemblée nationale qu'au Sénat, ainsi que vous-même à certains instants, monsieur le ministre, ont caractérisé l'action du gouvernement précédent.
Je puis vous dire que, si ce gouvernement avait échoué, on aurait su et entendu dire qui était responsable !
M. Jean-Pierre Cantegrit. Et s'il avait réussi on aurait élu Jospin !
M. Jean-Pierre Sueur. Mais il se trouve que ce gouvernement a obtenu, en matière de sécurité sociale et d'assurance maladie, des résultats très importants. Or on ne cesse de nous dire que nous n'avons rien fait, que c'est la conjoncture qui a gagné.
M. Jean-Pierre Sueur. C'est sans doute aussi la conjoncture qui a perdu les élections régionales, européennes et cantonales !
M. Josselin de Rohan. Et à l'élection présidentielle !
M. Jean-Pierre Sueur. La vérité, chacun le sait, est la suivante : alors que le déficit était particulièrement important en 1997, le régime général était en excédent de 1,2 milliard d'euros en 2001 - c'est un point que personne ne conteste - et la branche maladie voyait son déficit limité à 2,1 milliards d'euros. Tels sont les faits.
Aujourd'hui, deux ans plus tard, en 2004, le déficit du régime général s'élève à 14 milliards d'euros, dont 13 milliards d'euros pour l'assurance maladie.
Monsieur le ministre, si la gauche était au pouvoir et que le déficit était passé de 2 milliards à 13 milliards d'euros, les sénateurs siégeant à droite de l'hémicycle ne diraient pas que cela est dû à la conjoncture !
M. Jean-Pierre Sueur. Ils diraient : « Mais enfin, quelle gestion déplorable ! »
Soyons clairs ! En deux ans, le déficit est passé de 2 milliards à 13 milliards pour l'assurance maladie. Avouez qu'il y a tout de même un problème !
Vous ne cessez d'expliquer que, pendant les cinq années où la gauche était au pouvoir, elle n'aurait pas fait ce qu'il fallait faire. Pourquoi nous refuseriez-vous le droit de dire que, pendant les deux ans qui viennent de s'écouler, vous n'avez sans doute pas fait ce qu'il eut fallu faire ?
Sous le gouvernement de Lionel Jospin, nombre de mesures ont été prises pour réorganiser l'offre hospitalière, ce qui n'était pas facile.
En ce qui concerne la promotion des génériques, vous continuez son action.
M. Jean-Pierre Sueur. Il a agi en direction de la baisse du prix des médicaments. Nonobstant les protestations de certains professionnels de la santé - que vous connaissez bien -, une politique très courageuse et difficile a été menée par rapport à certaines dérives dans le domaine médical. Il fallait le faire !
C'est là l'oeuvre de Lionel Jospin et de Martine Aubry. Il ne faut pas caricaturer cette action, comme tant d'orateurs le font, parce que les chiffres sont ce qu'ils sont et les réalités aussi.
Parfois, d'ailleurs, il a été reproché au gouvernement de Lionel Jospin de faire preuve de trop de volontarisme dans ce domaine. Il lui a été reproché des décisions courageuses par rapport à certains professionnels, par rapport à certaines catégories qui s'exprimaient bruyamment. Alors, il faut savoir ce que l'on dit !
M. Gilbert Chabroux a rappelé tout à l'heure que, au cours de cette période de cinq ans, une politique active pour l'emploi a été menée. Il a rappelé aussi, avec M. André Vantomme, qu'un point de masse salariale se traduisait par 1,5 milliard d'euros supplémentaires pour l'assurance maladie et que 100 000 emplois supplémentaires apportaient 1 milliard d'euros.
Qu'avez-vous fait, que faites-vous pour augmenter le pouvoir d'achat, pour soutenir, pour développer la consommation, pour créer des emplois ?
Je me souviens des grands discours tenus dans cet hémicycle, voilà deux et demi, par des orateurs qui vilipendaient le traitement social du chômage. Mais nous avons créé 2 millions d'emplois, ce qui n'est pas négligeable et qui importe pour les comptes de la sécurité sociale ! Et voilà que nous avons entendu, l'autre jour, M. Borloo nous expliquer que le Gouvernement allait revenir au traitement social du chômage, qui représente une réponse même si ce n'est pas la seule...
Alors, qu'avez-vous fait pendant deux ans ? Pourquoi avez-vous arrêté et mis en cause des dispositifs qui avaient fait leurs preuves ?
En premier lieu, il fallait donc dire la vérité sur le passé.
En deuxième lieu, il faut dire la vérité sur les économies escomptées. Monsieur le ministre, croyez-vous vraiment - je vous pose la question ; peut-être allez-vous me répondre - que la mise en place du dossier médical personnel permettra une économie de 3,5 milliards d'euros pour la seule année 2007 ? (Mme Nicole Borvo rit.)
M. Jean-Pierre Sueur. Je parle de la mise en place du dossier médical personnel.
Un membre de la majorité tout à fait éminent - ses propos m'ont frappé, parce qu'il s'agit de quelqu'un qui veille à ce qu'il dit ; il peut lui arriver de s'égarer comme tout un chacun, mais en général, il fait attention - n'a-t-il pas déclaré récemment, à l'Assemblée nationale: « Nous ne croyons pas une seconde que les 3,5 milliards seront au rendez-vous. » Pas une seconde ! Je ne sais pas si quelqu'un le croit !
Mme Nicole Borvo. Personne ne le croit !
M. Jean-Pierre Sueur. Permettez-moi de citer un quotidien du matin que vous connaissez bien, monsieur le ministre : « Les membres du conseil d'administration de l'ACOSS, l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale, ont été surpris lorsqu'ils ont découvert qu'aucune étude ne venait étayer un chiffrage aussi faramineux. Pour une bonne raison, a expliqué M. Gérard Cornilleau, qui suit les politiques de santé à l'Observatoire français des conjonctures économiques, l'OFCE : c'est que cela n'existe pas. Par exemple, on est incapable de savoir ce que rapporterait le dossier médical partagé. On sait, en revanche, qu'il y aura des coûts importants de mise en place » - Mme Nicole Borvo en parlait à l'instant -, « ne serait-ce que pour l'informatique. »
Par ailleurs, selon ce même article paru le 17 juin, « L'économie escomptée de l'usage intensif des génériques fait aussi sourire un administrateur de l'ACOSS : 2,3 milliards ? C'est faramineux » - le mot revient -, « on n'a fait que 100 millions jusqu'à présent. » Le chiffre va donc être multiplié par vingt-trois. C'est impressionnant ! Acceptons-en l'augure, mais est-ce réaliste ?
Mais j'achève ma citation : « Pour le contrôle des arrêts de travail, un syndicaliste de l'ACOSS fait remarquer que M. Douste-Blazy compte économiser 800 millions d'euros sur 5 milliards de dépenses pour les indemnités journalières. Cela représente 20 % du total, alors qu'au même moment le directeur de la CNAM évalue à 6 % au plus les arrêts de travail injustifiés. »
Peut-être M. le directeur de la CNAM ne dit-il pas la vérité ! Mais si ce connaisseur du dossier annonce que les arrêts de travail injustifiés représentent un pourcentage de 6 %, comment pouvez-vous prouver la justesse de votre chiffre ?
Ensuite, je souhaite évoquer une autre réalité. Vous prévoyez d'autoriser les médecins spécialistes à fixer librement leurs tarifs si un patient les consulte directement sans passer par un médecin traitant. Etes-vous sûr, monsieur le ministre, que cette réponse à une revendication d'un certain nombre de spécialistes se traduira par des économies ?
Si vous le pensez, expliquez-nous comment cela va réduire le déficit ! Dans le cas contraire, ne le dites pas ! Et constatez avec nous que cette mesure n'aura pas pour effet de réduire le déficit, mais sans doute de l'augmenter !
Je voulais enfin évoquer une autre réalité financière : les avantages sociaux que vous prévoyez pour favoriser l'installation des médecins dans les zones à faible ou forte densité me font penser à une mesure votée - sans notre participation - dans la loi relative au développement rural et qui prévoyait que des communes consentiraient des exonérations fiscales, de taxes d'habitation, etc. pour les médecins venant s'installer sur leur territoire.
Ce n'est pas la bonne méthode, j'en suis persuadé : aujourd'hui, pour une spécialité donnée, il y a autant de praticiens dans les Alpes-Maritimes que dans toute la Grande-Bretagne. C'est aberrant !
Il faudra réussir à gérer le rapport entre l'offre et la demande et il faudra, sans doute, revenir à des dispositions qui feront dire aux étudiants en médecine : « Voilà où sont les besoins, en spécialités comme sur le plan géographique ». Il faudra trouver la réponse à ces questions ! Or je ne suis pas sûr que les « mesurettes » évoquées ici permettront de faire en sorte que les jeunes médecins se précipiteront vers les zones où il y a des carences.
Enfin, j'en viens à mon dernier point : il faut dire la vérité sur l'avenir. Là, se pose un véritable problème, monsieur le ministre. Vous avez parlé de réforme structurelle et nous pensons en effet que vous auriez dû, que vous auriez pu, même si c'est très difficile - je ne le conteste pas et je l'ai dit en commençant -, engager une réforme structurelle.
Or la prolongation de la CRDS que vous nous proposez aura incontestablement pour effet de faire prendre en charge par les générations futures le déficit d'hier et celui de demain. L'emprunt devra couvrir les déficits de 2004, de 2005, de 2006, de 2007 et de toutes les autres années à venir ; il compensera tous les déficits et cela continuera pendant dix, vingt ans. Le président de la CADES, vous le savez, estime que la dette ne serait épurée qu'en 2024 !
L'emprunt d'aujourd'hui, ce sont les charges, les impôts, les restrictions et les difficultés de demain ! L'emprunt de demain, ce sont les charges, les impôts, les restrictions et les difficultés d'après-demain. Et cela est inacceptable !
Vous ne nous proposez pas une réforme structurelle, mais seulement des mesures d'adaptation. Une réforme structurelle prendrait à bras-le-corps la question du déficit.
M. Chabroux a proposé tout à l'heure l'affectation des produits de la fiscalité sur l'alcool et le tabac à la sécurité sociale. Certes, une telle mesure entraînerait des conséquences très lourdes pour le budget de l'Etat et il faudrait avoir le courage d'en tirer les conséquences. Ce n'est pas facile !
Alors que j'étais député, Michel Rocard a proposé la création de la contribution sociale généralisée, la CSG. Je me souviens qu'alors les oppositions étaient nombreuses et venaient de tous les côtés. Mais cette mesure était courageuse. Pour la première fois en effet, il était décidé de faire en sorte que le financement de la sécurité sociale soit payé par tous les revenus. C'était une bonne réforme !
M. Claude Domeizel. C'est bien de le rappeler !
M. Jean-Pierre Sueur. Aujourd'hui, nous savons que ce sont nos enfants et nos petits-enfants qui vont payer.
A cet égard, permettez-moi de citer à nouveau un fragment du discours du membre de la majorité que j'évoquais tout à l'heure, car ses propos m'ont beaucoup frappé. Selon moi, ils sont justes et, quelle que soit la travée d'où ces propos sont issus, il faut donc y prêter attention.
Il a déclaré à l'Assemblée nationale, et vous vous en souvenez bien évidemment, monsieur le ministre : « La disposition qui va être adoptée ne concerne pas seulement 5 milliards de recettes ou 10 milliards d'économies, mais 50 milliards de déficit, voire, selon les experts de Bercy, entre 60 milliards et 70 milliards d'euros qu'il va falloir reporter sur les générations futures. Ce n'est pas une faute de gestion, c'est une faute morale. Il est inacceptable que notre génération se défausse sur les vingt années qui viennent, de son incapacité à payer ses feuilles de sécurité sociale. »
Cette fuite en avant, cette spirale de l'endettement se traduira par une crise si rien n'est fait, c'est inéluctable. Si les choses restaient en l'état, je crains fort que le système ne se disloque et que l'on nous explique alors qu'il n'est plus d'autre logique possible que de se rabattre sur une logique assurantielle.
Ainsi, faute d'avoir pris aujourd'hui des mesures difficiles mais nécessaires, nous serions inéluctablement conduits sur la voie de cette logique assurantielle qui sera la mise en cause de l'oeuvre de Pierre Laroque, de Marcel Legras et de tant d'autres : cette sécurité sociale, fruit de la Résistance et de la Libération à laquelle, depuis soixante ans, nos concitoyens tiennent comme à la prunelle de leurs yeux. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Alain Vasselle, rapporteur. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je ne reprendrai pas tous les points exposés par notre collègue M. Sueur en vue de justifier la question préalable.
Je vous annonce dès à présent, mes chers collègues, que, bien entendu - vous vous en doutez - la commission des affaires sociales n'a pas souhaité donner suite à la demande de nos collègues. Nous vous proposons donc le rejet de la motion n° 108.
Je me permettrai simplement de relever deux points dans les propos qui ont été tenus par notre collègue M. Sueur, lorsqu'il s'est attardé sur le passé, qu'il s'est interrogé sur ceux qui avaient véritablement échoué et qu'il a fait référence à la conjoncture - point sur lequel lui a d'ailleurs répondu M. Philippe Douste-Blazy lors de la discussion générale, en répondant aux propos tenus par un sénateur de l'opposition.
Oui, c'est bien l'économie de l'époque qui a favorisé la croissance, et non pas uniquement la politique économique en faveur de l'emploi menée par M. Jospin. En effet, en observant la situation économique que connaissaient tous les autres pays européens, on constate qu'il s'agissait clairement non pas d'un effet national, mais d'un effet européen, voire international.
Chacun sait - ce n'est pas vous qui allez nous démentir ! - que l'effet induit de la progression de la croissance ou de la décroissance ne se constate pas immédiatement. Et, en 2002 et en 2003, nous avons senti les pleins effets du résultat de la politique qui a été conduite par le gouvernement que vous avez soutenu pendant toute la période qui a précédé l'année 2002 !
C'est parce que nous sommes dans le creux de la vague, à un niveau de croissance très faible, que nous ne disposons pas aujourd'hui des recettes dont vous avez bénéficié quand la croissance était à son maximum, de ces recettes qui vous ont permis de vous gargariser, de vous faire valoir auprès de l'opinion publique en présentant un équilibre des comptes de la sécurité sociale.
Au demeurant, vous-même avez reconnu, monsieur Sueur, que la branche maladie n'a jamais atteint son équilibre puisque le déficit s'élevait à 2,1 milliards d'euros pour l'exercice 2001. Vous n'avez donc pas mieux réussi que d'autres à contenir le déficit de la branche maladie !
C'est bien sur ce point que nous discutons aujourd'hui pour engager la réforme de l'assurance maladie, réforme qui devrait assurer l'équilibre financier à l'horizon de 2007, grâce à une maîtrise médicalisée des dépenses. En effet, la maîtrise comptable à laquelle vous vous êtes essayés n'a pas donné les résultats que vous escomptiez. J'en veux pour preuve le fait que vous ne vous êtes jamais présentés devant les Français en mettant en avant l'équilibre des comptes de la branche maladie...
Je souhaite répondre sur un deuxième point que vous avez soulevé, monsieur Sueur. En effet, vous avez fait référence à la CADES et au report sur les générations futures des déficits constatés au cours de la période 2000-2004.
Permettez-moi, mon cher collègue, de vous soumettre - bien qu'il s'agisse d'une vérité que vous avez du mal à entendre puisque vous la rejetez à chaque fois d'un revers de la main -, deux documents tout à fait intéressants.
Le premier document, qui est extrait d'un rapport d'exécution de la commission des comptes de la CNAMTS, comporte un paragraphe faisant état de « la composante structurelle du déficit ». Or, lorsqu'on analyse cette composante, les chiffres parlent d'eux-mêmes. La CNAMTS présentait un solde négatif - non conjoncturel - de 4 milliards d'euros en 1995 ; en 1996, il était de 2 milliards d'euros ; en 1997, il était positif et atteignait 1,5 milliard d'euros ; en 1999, il était de nouveau négatif, pour 0,2 milliards d'euros ; en 2000, le déficit passait à 0,5 milliards d'euros ; en 2001, à 3,8 milliards d'euros ; en 2002, à 4 milliards d'euros ; et, en 2003, à 6 milliards d'euros.
Durant cette période, bien entendu, nous avons connu des gouvernements de gauche et de droite. Nous constatons malgré tout que le déficit structurel n'a cessé de s'aggraver, même lorsque vous étiez au pouvoir.
Pour ne rien arranger, si, aujourd'hui, nous devons faire supporter à la CADES un déficit global de 50 milliards d'euros, la moitié de celui-ci est la conséquence des mesures que vous aviez fait adopter à l'époque et qui transféraient les recettes de la CNAMTS au profit de la sécurité sociale. En effet, la CNAMTS n'était pas seule concernée, des recettes de la sécurité sociale et du fonds de solidarité vieillesse relevant de l'aire sociale ont permis de financer les 35 heures. (Protestations sur les travées du groupe socialiste.)
M. Gilbert Chabroux. Ce n'est pas nous qui avons créé la CADES !
M. Alain Vasselle, rapporteur. Quant au second document que j'évoquais tout à l'heure, il s'agit d'un rapport émanant de la direction du budget, à l'époque où M. Jospin était au pouvoir.
« Même avec des économies dès 2001, le rééquilibre du FOREC requiert impérativement une recette supplémentaire à la fois importante et dynamique qui permettrait de désengager définitivement l'Etat de ce fonds. » Le gouvernement socialiste avait donc déjà l'idée de désengager l'Etat d'une charge dont il savait qu'elle viendrait peser sur son déficit budgétaire. « Cette recette doit être trouvée au sein de la sphère sociale, seule susceptible au sein des APU, les administrations publiques, de dégager des excédents à long terme avec pour objectif de cantonner définitivement le FOREC aux seuls arbitrages des dépenses et ressources de la sphère sociale. »
Voilà le résultat, mes chers collègues socialistes, de la politique que vous avez soutenue. Voilà les conséquences que nous devons gérer aujourd'hui. Et voilà ce qui explique, notamment, les raisons pour lesquelles le déficit de la sécurité sociale est devenu ce qu'il est.
S'agissant des conséquences qui en résulteront pour les générations futures, vous pouvez faire votre mea culpa plutôt que de reporter votre responsabilité sur le Gouvernement ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Josselin de Rohan. Voilà ! Repentez-vous !
Mme Nicole Borvo. Nos concitoyens vont être bien contents d'apprendre tout cela !
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Philippe Douste-Blazy, ministre. Monsieur Sueur, j'évoquerai brièvement comme vous le passé, les économies escomptées et l'avenir.
S'agissant du passé, je ne m'appesantirai pas sur la réalité - difficile à entendre, certes - qui a été rappelée à l'instant par M. Vasselle.
Vous oubliez cependant, monsieur Sueur, qu'il existe un document officiel rédigé par des auteurs que, je crois, vous respectez - en tout cas, M. Jospin les respectait -, et qui est l'audit des finances publiques qui a été réalisé immédiatement après le départ du gouvernement de M. Jospin. Cet audit a mis à jour les déficits, et a surtout montré que les conséquences de votre gestion ont été, en réalité, cachées, affichant un faux respect de l'ONDAM alors que le dépassement atteignait, en 2002, 3 milliards d'euros. Voilà pour la « caricature des chiffres ».
Par ailleurs, monsieur Sueur, le générique a été inventé dans notre pays en 1996 par M. Juppé. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle nous sommes en retard : en effet, les médicaments génériques ne représentent que 11 % de l'ensemble des médicaments vendus aujourd'hui en pharmacie alors qu'aux Etats-Unis, en Allemagne ou en Angleterre, ce chiffre atteint 40 % à 50 %, parce que ces pays ont mis en oeuvre une telle politique dès les années soixante-dix.
S'agissant de l'emploi, à quel moment le chômage a-t-il commencé à augmenter ? Vous vous en souvenez très bien, et M. Jospin encore mieux, puisqu'il était encore à Matignon.
S'agissant des économies escomptées, je citerai simplement M. Lenoir, le directeur de la CNAM, qui a déclaré récemment que 8 milliards à 10 milliards d'euros d'économies étaient un objectif qui pouvait être atteint.
En outre, d'importants économistes, comme M. Claude Le Pen, grand spécialiste de l'économie de la santé à l'université de Paris-Dauphine, pensent que des économies importantes sur le médicament et, en particulier, sur le générique, sont possibles. En effet, dans les deux années qui viennent, de très nombreuses molécules vont entrer dans le domaine public. Je prendrai notamment l'exemple du Mopral, anti-ulcéreux vendu partout dans le monde, ou de l'anti-cholestérol Zocor. Voilà pourquoi nous allons passer de 100 millions d'euros à 1 milliard d'euros.
Vous avez également dit, monsieur Sueur, que la mise en place du dossier médical coûterait 3,5 milliards d'euros.
Tout d'abord, il s'agit non pas du dossier médical, mais de la maîtrise médicalisée, qui comprend le dossier médical, les bonnes pratiques, le médecin traitant et le parcours personnalisé. Le coût de cet ensemble, fixé à 3,5 milliards d'euros, me paraît crédible, la CNAM envisageant 5 milliards à 6 milliards d'euros.
Quant aux membres du conseil d'administration de l'ACOSS, permettez-moi de vous rappeler, monsieur Sueur, qu'il s'agit du seul conseil d'administration qui a voté en faveur du projet de loi que M. Bertrand et moi-même présentons aujourd'hui.
Il est vrai que, au sein de ce conseil, vous allez certainement trouver quelques syndicalistes que vous pourrez, comme vous vous y êtes employé, faire parler. Je ne remets pas en cause l'honnêteté d'un syndicaliste, je vous dis simplement que, globalement, le conseil d'administration de l'ACOSS a voté en faveur de ce projet de loi.
Concernant les arrêts maladie, vous citez également, monsieur Sueur, un syndicaliste. Je vous conseille plutôt de vous rendre sur le site Internet de l'assurance maladie, dont l'adresse est ameli.fr. Vous y trouverez le chiffre de 22 %, et non pas celui de 6 %. Mais il est vrai qu'il s'agit d'arrêts maladie de longue durée.
Mme Nicole Borvo. C'est très peu, les arrêts de longue maladie !
M. Philippe Douste-Blazy, ministre. J'espère que vous aurez ainsi compris comment nous parvenons au chiffre de 800 millions d'euros.
A propos de la liberté d'installation, vos propos sont courageux. Il existe en effet, dans de nombreuses régions, un problème majeur, et le débat est en cours.
Comme je l'ai dit ici même lors de l'examen du projet de loi relatif à la politique de santé publique, le décret qui définit les zones médicalement désertifiées a été revu par le ministère de l'économie et des finances : aujourd'hui, il n'existe pratiquement plus aucune région qui corresponde à ces critères. Il faut donc faire en sorte que ce décret puisse définir des régions médicalement désertifiées, que l'on puisse mettre en place des incitations, qu'on observe si ces dernières fonctionnent, et qu'ensuite on réintroduise, peut-être, la liberté d'installation.
Permettez-moi de vous dire que, si l'on autorise la liberté d'installation, le cabinet médical de Menton ou de Cannes sera immédiatement multiplié par dix, ce qui relève d'une autre logique...
Je terminerai en évoquant l'avenir.
S'agissant de la CRDS, monsieur Sueur, vous avez prolongé l'existence de cette contribution lorsque vous étiez au pouvoir, en passant de 2009 à 2014. En outre, vous n'avez engagé aucune réforme !
Si nous décidions de la prolonger jusqu'en 2014, il faudrait alors augmenter la CRDS de 0,5 %, ce qui représente 4,9 milliards d'euros. Il nous a paru très dangereux, au regard du pouvoir d'achat et du soutien de la croissance, de prendre une telle décision.
M. Jospin avait affirmé : « Nous rembourserons tout en 2014. » Aujourd'hui, le directeur de la CADES prévoit que ce remboursement s'effectuera en 2012. Nous avons déjà gagné deux ans ! Quelle sera la croissance dans cinq ans ? Quels seront les taux d'intérêts ? Parce que nous ne le savons pas, nous avons préféré, dans un premier temps, ne pas augmenter les prélèvements. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Je mets aux voix la motion n° 108, tendant à opposer la question préalable.
Je rappelle que l'adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi.
Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe socialiste.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?...
Le scrutin est clos.
(Il est procédé au comptage des votes.)
M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 241 :
Nombre de votants | 311 |
Nombre de suffrages exprimés | 309 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 155 |
Pour l'adoption | 113 |
Contre | 196 |
Le Sénat n'a pas adopté.
Demande de renvoi à la commission
M. le président. Je suis saisi, par MM. Domeizel, Vantomme, Chabroux et Godefroy, Mmes Printz et Durrieu, M. Estier et les membres du groupe Socialiste, apparenté et rattachée, d'une motion n° 109, tendant au renvoi à la commission.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l'article 44, alinéa 5 du règlement, le Sénat décide qu'il y a lieu de renvoyer à la commission des affaires sociales, le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, après déclaration d'urgence, relatif à l'assurance maladie (n° 420, 20032004).
Je rappelle que, en application de l'article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l'auteur de l'initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d'opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
Aucune explication de vote n'est admise.
La parole est à M. Claude Domeizel, auteur de la motion.
M. Claude Domeizel. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, l'ensemble des Français est conscient, comme nous tous ici, de l'immense enjeu d'une réforme de l'assurance maladie.
Monsieur le ministre, vous paraissez manifestement pressés d'en finir très vite, mais pourquoi cette précipitation ?
M. Josselin de Rohan. Nous ne sommes pas pressés du tout !
M. Claude Domeizel. Quel intérêt pour M. Raffarin et pour vous-même de boucler si vite ce dossier, comme celui de la décentralisation ?
M. Paul Blanc. C'est l'intérêt de la France !
M. Claude Domeizel. C'est comme si le Premier ministre était en train de boucler ses valises,...
M. le président. Ne rêvez pas !
M. Claude Domeizel. ... comme si les uns et les autres voulaient clore le débat pour être plus libre avant des échéances électorales !
Ce qui est certain, c'est que, comme l'an dernier pour la réforme des retraites, vous bâclez, en plein été, un sujet de première importance pour tous les Français.
La recherche d'un égal accès de tous à la santé mérite mieux qu'un débat tronqué au moment où nos concitoyens sont en vacances.
Aussi, on peut comprendre, mes chers collègues, le caractère mou de l'implication populaire, ce qui est regrettable pour la démocratie sociale.
M. Claude Domeizel. Absence de véritable dialogue et de concertation, culpabilisation de l'usager, débat programmé en urgence en plein été, nous commençons à être habitués à cette stratégie de l'évitement que vous employez chaque fois que vous voulez faire passer un projet de loi important mais délicat face à l'opinion publique.
L'année dernière, à cette époque, nous étions déjà dans cet hémicycle pour débattre à la hâte de la réforme des retraites, qui se révèle d'ailleurs tous les jours si pénalisante pour les Français, et particulièrement pour les Françaises.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Nous avons sauvé les retraites !
M. Claude Domeizel. C'est une stratégie peu courageuse que l'ensemble de nos concitoyens n'apprécie guère. Ils ne se sont pas gênés pour vous le faire savoir au travers des dernières élections, régionales, cantonales et européennes.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Nous y voilà !
M. Claude Domeizel. Qu'importe ! Sourds à tous les signaux, vous persistez et signez.
Les conditions de travail qui nous sont imposées, sénateurs et collaborateurs qui nous assistent, ne facilitent pas un examen dans la sérénité : nous devons composer avec un hésitant et variable calendrier des réunions de notre commission et des séances publiques.
Je vous rappelle ainsi que nous ne disposons du rapport que depuis ce matin ! M. le ministre délégué aux relations avec le Parlement est lui-même venu jeter le trouble en annonçant, la semaine dernière, la fin de la session pour le 20 juillet, c'est-à-dire avant-hier !...
Certes, nous sommes tous persuadés qu'il est impensable de laisser enfler le déficit de l'assurance maladie, qui avoisinera, fin 2004, le record historique de 13 milliards d'euros.
Cependant, nous ne sommes pas suffisamment crédules pour accréditer une pseudo-réforme, laquelle, par-delà la méthode employée, remet en question le caractère équitable et solidaire de notre assurance maladie, sans même garantir un quelconque retour à l'équilibre.
L'OFCE et Bercy ont fait naître le doute quant aux effets durables de votre réforme.
Mais, me direz-vous, pourvu que cela dure jusqu'en 2007 !
M. Claude Domeizel. Vous nous dites également qu'une loi organique définira plus tard les règles d'élaboration de l'objectif national des dépenses d'assurance maladie, l'ONDAM, pour passer d'une démarche d'objectif à une démarche comptable.
M. Claude Domeizel. Monsieur le ministre, nous sommes fermement opposés à cette mauvaise « porte d'entrée » que vous choisissez : la rationalisation financière de la gestion des dépenses de santé.
Les questions relatives à l'assurance maladie ne peuvent se traiter que dans la globalité. Un tel débat n'a pas eu lieu en profondeur et je vais démontrer que le renvoi à la commission s'impose.
Après avoir affolé la population en affichant, à grands cris, le montant du déficit de l'assurance maladie - oui, bientôt 13 milliards d'euros -, comme il est facile ensuite de gronder et d'annoncer les sanctions !
Certes, l'équilibre de la branche maladie est un objectif louable que nous partageons. Mais que représentent 7, 13 ou 15 milliards ? Pour le travailleur ne disposant que du SMIC, c'est une montagne infranchissable !
Mais vous, monsieur le ministre, vous appliquez une méthode connue et utilisée par tous les dramaturges : on dresse d'abord le tableau, on élabore ensuite l'énigme pour apporter enfin la solution et valoriser le héros.
En mettant ici en avant l'aspect comptable, vous créez une situation cornélienne pour mieux nous faire avaler la pilule.
M. Claude Domeizel. Votre prédécesseur, M. Mattei, a très bien su utiliser cette méthode et vous a, il faut l'avouer, mâché le travail : en affirmant d'abord, de façon alarmiste, que l'on ne s'en sortirait pas et en utilisant ensuite, au gré de ses déclarations, un langage obscur - digne des médecins détenteurs du savoir - traitant « d'abyssal » le déficit, jetant ainsi la population dans l'effroi. Pourquoi ne pas tout simplement parler de « déficit important » ?
C'est aussi M. Mattei qui a mis en avant l'idée de gros risques et de petits risques, ouvrant la porte à une médecine à deux vitesses et, par là, à la privatisation de notre système de santé.
M. Claude Domeizel. Abordons l'analyse de votre projet.
Pour commencer, vous vous lancez dans une chasse effrénée au gaspi.
Le dossier médical personnel pourrait être un bon outil s'il était avant tout partagé par les acteurs et s'il se contentait d'être un outil de suivi longitudinal du patient. Mais vous le mettez en avant comme un instrument de régulation financière.
Vous prétendez mettre en place la responsabilisation du patient, mais vous n'évoquez à aucun moment la responsabilité des médecins.
C'est sans doute la raison pour laquelle le dossier médical est qualifié de « personnel » plutôt que de « partagé », comme au départ.
Pourvu que ces informations, circulant sur Internet, ne suscitent pas la curiosité intéressée des assureurs !
M. Claude Domeizel. Suite de la chasse au gaspi : vous prétendez que l'apposition d'une photo sur la carte Vitale évitera un grand nombre de fraudes.
La carte Vitale ! Voila l'un des éléments du tableau noir que vous vouliez dresser, monsieur le ministre. Mais l'argument fut un « flop » - je connais quelqu'un qui aurait dit : ça a fait « pschitt ».
Oui, 58 millions de carte Vitale sont en circulation pour 48 millions de Français en âge de la détenir. Le démenti n'a pas tardé : de nombreux doublons ou triplons - A Marseille, monsieur le président, on dirait des « triplettes » ou des « doublettes » -, dus à des changements d'adresse ou de régime, révélaient un problème de gestion et non pas de fraude culpabilisante !
Pourquoi pas la photo sur la carte Vitale ? Encore faut-il comparer son coût aux économies qui en découleraient. Et puis, les photos sont parfois particulièrement trompeuses !
Nouveauté, le passage obligé chez un médecin traitant avant tout recours à la plupart des spécialistes. A défaut de ce passage, l'assuré sera puni d'une majoration, à ses frais, au profit du praticien.
Difficile de classer cette mesure dans le volet « responsabilisation de l'usager », mieux vaut la placer dans celui de la « libéralisation tarifaire des spécialistes ». Nous sommes en pleine absurdité !
Nous voici bien entrés dans le système de soins à deux vitesses, promu à mots couverts par M. Mattei : à celui qui a les moyens l'accès direct et rapide au spécialiste de son choix.
Nous sommes favorables à la responsabilisation, mais pas seulement des assurés, en instaurant, comme vous le faites, une contribution forfaitaire pour tous les actes médicaux.
Le fameux euro par visite n'est pas autre chose qu'une baisse de remboursement. Comment être sûr que cette franchise, que l'on prévoit évolutive en fonction des besoins et de la conjoncture, ne va pas augmenter ?
On peut également s'étonner de votre conception toute particulière de la responsabilisation, qui se résume à des mesures de participation financière et non à des mesures éducatives.
Permettez-moi de saluer au passage l'amendement présenté par mes collègues et amis députés socialistes - et adopté par l'Assemblée nationale -, qui corrige les inégalités territoriales et les déserts médicaux affectant les zones rurales, problème qui affecte le département que je représente.
Désormais, l'Etat devra garantir un accès effectif à des soins de qualité sur l'ensemble du territoire.
Quant au pilotage des soins, la volonté d'étatiser apparaît évidente, peut-être pour mieux privatiser, en mettant à la tête de l'union nationale des caisses d'assurance maladie un directeur nommé par l'Etat.
M. Paul Blanc. Quelle horreur !
M. Claude Domeizel. Ainsi, nous glisserons insensiblement, mais sûrement, d'une logique de qualité de soins à une logique comptable.
Enfin, et c'est regrettable, cette nouvelle gouvernance réduira substantiellement le rôle des syndicats dans la gestion des caisses.
Je passerai rapidement, parce que mes collègues en ont parlé, sur les mesures de redressement financier qui chargent encore les assurés avec une augmentation à divers niveaux de la CSG, avec une prolongation de la CRDS au delà de 2014, cadeau empoisonné pour les générations futures. J'y reviendrai ultérieurement.
De leur côté, les entreprises s'en tirent à bon compte puisque la C3S à la charge des entreprises ne passe quant à elle que de 0,13 % à 0,16 %, soit un rendement estimé à 780 millions d'euros.
Nous nous doutons bien que le retour du MEDEF au conseil d'orientation a dû faire l'objet de contreparties bloquant toute tentative d'extension de l'assiette de taxation des entreprises.
M. Claude Domeizel. J'en viens à la prolongation de la CRDS. Quelle attitude égoïste ce serait de la part de notre génération !
M. Claude Domeizel. Cette mesure scandaleuse a d'ailleurs créé des remous, plus ou moins virulents, dans tous les groupes de l'Assemblée nationale, témoignant même d'un malaise profond au sein de la majorité.
M. Claude Domeizel. La position du groupe UDF à l'Assemblée nationale, permettant de remplir l'engagement pour 2004, ou la proposition plus timide de M. Bur, député UMP, qui a proposé un relèvement de 0,15 % de la CRDS, allaient dans la voie du bon sens : se débarrasser au plus vite de cette dette.
Mais le plus grave est que, jusqu'à maintenant, cette dette ne concernait que le passé alors que vous comptez désormais faire supporter par la CADES le déficit à venir de 2005 et 2006.
C'est un véritable « hold up » sur les générations futures qui vient un peu plus charger la barque pour les générations de demain, déjà fortement pénalisées par votre réforme des retraites, ce qui paraît dommageable.
Je voudrais, avant de terminer, dire un mot sur la prévention. Monsieur le ministre, vous nous avez dit tout à l'heure qu'en matière de prévention « tout baignait ». Or, selon l'agent comptable, les comptes de l'exercice 2003 montrent que le montant total des prestations sociales s'élève à 100 595 millions d'euros, tandis que les actions de prévention maladie s'élèvent à 276 millions d'euros, soit 0,25 % de la masse des prestations. On ne peut pas dire qu'il n'y a pas de gros effort à faire en matière de prévention !
Mais nulle part nous ne voyons dans votre projet l'évocation d'actions en amont de l'apparition des risques, pas plus qu'une volonté de faire évoluer les comportements à risques, ni de mise en place de l'accès précoce aux soins, alors que la France est l'un des rares pays d'Europe à autant privilégier une approche curative par rapport à une approche préventive.
La santé scolaire a subi des restrictions drastiques et la santé au travail est considérablement dévalorisée faute de moyens et de mission précise.
Les propositions socialistes, qui vous ont été communiquées, monsieur le ministre, et qui ont été largement diffusées par voie de presse, comportent, entre autres, deux axes forts : la création d'un service de santé publique au travail et le développement de la santé scolaire.
La deuxième lacune de votre projet est le médicament.
Depuis, 1970, les dépenses de santé ont progressé plus vite que le PIB et le rythme de progression est de plus en plus rapide.
Pourquoi cette augmentation ? Pour des soins plus performants au bénéfice exclusif des assurés par les progrès de la médecine ? Mais quels progrès ? Ont-ils été évalués ? Par qui ?
Entre 1975 et 2001, le budget de la consommation pharmaceutique des Français a augmenté de 900 %, alors que peu de médicaments nouveaux, radicalement différents des anciens, ont été proposés.
On ne constate pas d'augmentation du nombre de boîtes consommées, mais une augmentation des prix, voire des pratiques tarifaires.
J'ai ici la photocopie de deux boîtes d'Androtardyl ; la même boîte de médicament, achetée à huit jours d'intervalle, a coûté, l'une, 1,91 euro, l'autre 10,32 euros. Peut-on justifier cette augmentation subite et époustouflante, défiant toutes lois sur les prix, de 540 % ? J'avais questionné, monsieur le ministre, votre prédécesseur, le 12 février 2004. J'attends toujours la réponse...
Tout récemment encore a été évoquée dans la presse la résistance inquiétante, tout particulièrement en France, à des antibiotiques parfois administrés inutilement parce qu'inefficaces contre les affections virales.
Quelles doivent être les priorités des laboratoires pharmaceutiques ? Doivent-ils se préoccuper de la formation continue des médecins ? De quels médicaments avons-nous besoin ? Comment les administrer ? Quel est le rôle des 23 000 visiteurs médicaux ?
La commission des affaires sociales doit se saisir de toutes ces questions, surtout lorsque l'on sait que le marché pharmaceutique représente un quart des dépenses de santé dans notre pays !
Ne faudrait-il pas également, monsieur le ministre, s'intéresser de plus près aux créances de l'assurance maladie, qui s'élèvent à 21,5 milliards d'euros ? De quoi effacer totalement le déficit, ou mettre un peu de beurre dans les épinards de la CADES !
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue !
M. Claude Domeizel. Je termine, monsieur le président.
Votre projet de loi, monsieur le ministre, offre-t-il un égal accès de tous à la santé ? Non ! Apporte-t-il une solution durable pour l'équilibre du régime ?
M. Claude Domeizel. Non, bien au contraire, dans la mesure où il renvoie à nos petits-enfants le déficit d'aujourd'hui et celui de demain : « un emplâtre sur une jambe de bois », dirait-on chez moi !
Monsieur le ministre, votre diagnostic est bon,...
M. Claude Domeizel. ... mais vous ne traitez le problème que superficiellement.
M. Claude Domeizel. En dépit de votre réforme, que, de façon erronée, vous dites ambitieuse et dont, de façon non moins inexacte, vous qualifiez les effets de durables, la sécurité sociale sera tout autant malade après-demain, c'est-à-dire après 2007.
Monsieur le ministre, nous considérons qu'ouvrir un marathon législatif à la fin du mois de juillet sur une question aussi importante que l'assurance maladie est préjudiciable à notre démocratie. En conséquence, nous demandons le renvoi à la commission,...
M. Claude Domeizel. ... afin que l'examen de ce projet de loi puisse se faire dans un contexte qui ne soit pas marqué par la précipitation, qui garantisse les intérêts de chacun et qui permette de discuter au fond d'un sujet qui touche directement les Français : leur protection sociale.
Le Gouvernement est désormais coutumier de ces marathons législatifs en plein été. L'année dernière, c'était la réforme des retraites.
M. le président. Vous l'avez déjà dit !
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Il a repris la première page !
M. Claude Domeizel. Eh bien, si je l'ai déjà dit, je le répète !
Cette année, avec la réforme de l'assurance maladie, il entend brader des pans entiers de notre lien social, au mépris de nos concitoyens et du travail parlementaire.
La méthode est inacceptable, elle est contraire aux principes de notre République. Nous nous insurgeons contre cet état de fait répétitif et demandons qu'un travail de fond puisse être mené, dans le respect de notre démocratie et de notre cohésion sociale. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Amen !
M. Claude Domeizel. Je vous remercie, monsieur le président, de m'avoir accordé ces quelques instants de « prolongation ».
M. Alain Vasselle, rapporteur. En matière de travail répétitif, M. Domeizel est un orfèvre ! Nous avons d'abord entendu M. Chabroux dans la discussion générale, puis MM. Vantomme et Sueur, relayés entre-temps par Mme Borvo.
M. Jean-Pierre Sueur. Nous n'avons pas été les seuls à intervenir !
M. Alain Vasselle, rapporteur. Certes, mais je me contente d'évoquer ceux de nos collègues qui se sont exprimés le plus longuement.
Et, pour finir, M. Domeizel vient de répéter pratiquement la même chose que ses prédécesseurs à la tribune !
M. Gilbert Chabroux. C'est de la pédagogie !
M. Alain Vasselle, rapporteur. Vous utilisez tous les artifices de procédure pour exprimer votre opposition au projet de loi et votre refus de la réforme, considérant que vous détenez seuls la vérité. Mais vous avez eu le pouvoir pendant quelque temps, mes chers collègues, et, malheureusement, vous n'avez pas mis en place la réforme qui nous aurait permis de nous engager vers un meilleur équilibre des comptes !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Et vous, vous ne répétez pas toujours la même chose ?
M. Gilbert Chabroux. Les comptes étaient équilibrés !
M. Alain Vasselle, rapporteur. D'ailleurs, les propos tenus par M. Domeizel sont révélateurs. Il affirme que l'on aurait pu économiser 21,5 milliards d'euros au profit de la sécurité sociale et diminuer d'autant la charge de la CADES.
M. Claude Domeizel. Non, il s'agit de la dette !
M. Alain Vasselle, rapporteur. Je pensais qu'il faisait référence aux 35 heures,...
M. Gilbert Chabroux. Vous ne cessez de vous répéter !
M. Claude Domeizel. Il s'agit des créances, vous dis-je !
M. Alain Vasselle, rapporteur. ... mais il a trouvé d'autres charges indues encore !
Si l'on ajoute ces 21,5 milliards d'euros aux 25 milliards liés aux 35 heures, on arrive à 46 milliards d'euros : c'est donc que, lorsque vous aviez le pouvoir, messieurs, vous avez laissé filer 46 milliards d'euros, qui, effectivement, auraient définitivement réglé la question du déficit de la sécurité sociale.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Vous l'avez déjà dit !
M. Gilbert Chabroux. Vous dites toujours la même chose !
M. Alain Vasselle, rapporteur. Vous auriez dû y regarder à deux fois, monsieur Domeizel, avant de vous risquer à de telles affirmations.
Je terminerai, monsieur le président,...
M. Gilbert Chabroux. ... en répétant que...
M. Alain Vasselle, rapporteur. ... en observant qu'il n'est pas très sérieux de prétendre, pour justifier le renvoi du projet de loi devant la commission des affaires sociales, que celle-ci n'aurait pas suffisamment travaillé sur le dossier. Cela ne tient pas une seconde !
Vous savez très bien, mes chers collègues, et j'y ai fait référence au cours de la discussion générale, que la commission des affaires sociales a approuvé un rapport, intitulé Assurance maladie : une réflexion dans l'urgence, que je lui ai présenté voilà déjà un an. Elle a commencé dès le mois d'avril dernier l'audition de personnalités qualifiées et de l'ensemble des partenaires sociaux, et vous y avez été associés.
M. Gilbert Chabroux. Nous étions présents !
M. Alain Vasselle, rapporteur. Enfin, voilà maintenant plus de deux mois que votre rapporteur travaille sur le projet de loi relatif à l'assurance maladie proprement dit.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. C'est vrai !
M. Alain Vasselle, rapporteur. Dans ces conditions, demander le renvoi du texte à la commission pour tout reprendre, mes chers collègues, ce n'est guère sérieux !
Passons tout de suite au travail, commençons l'examen du premier article du projet de loi : c'est ainsi que nous nous montrerons efficaces. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Philippe Douste-Blazy, ministre. Tout a été dit !
Monsieur Domeizel, mesdames, messieurs les sénateurs du groupe socialiste, il faut tout de même que vous choisissiez. Ou bien le projet de loi, en effet, n'est qu'une énième réforme, une « réformette », comme vous l'appelez.
M. Claude Domeizel. C'est une réformette !
M. Gilbert Chabroux. C'est ce que dit M. Bayrou !
M. Philippe Douste-Blazy, ministre. Par exemple ! Mais en ce moment, c'est au groupe socialiste que je m'adresse ! (Sourires.)
Ou bien vous dites avec Mme Aubry, qui s'est récemment exprimée sur la question, que c'est la pire des réformes et qu'elle va apporter les plus grands changements à la sécurité sociale depuis vingt ans.
Mettez-vous d'accord : ou c'est une réformette insignifiante, ou c'est une énorme réforme très dangereuse.
Mme Nicole Borvo. Pour être dangereuse, elle l'est !
M. Philippe Douste-Blazy, ministre. Mais trouvez une ligne ; pour l'instant, je ne comprends pas quelle est la vôtre !
Monsieur Domeizel, il faut être sérieux, nous ne sommes pas au théâtre ! L'assurance maladie n'est pas un malade imaginaire !
M. Claude Domeizel. Mais nous sommes sérieux !
M. Philippe Douste-Blazy, ministre. Nous n'avons jamais dramatisé, nous tenons simplement un langage de vérité ! Et si j'évoque un déficit de 23 000 euros par minute, c'est que le déficit se creuse de 23 000 euros à chaque minute : ce n'est pas moi qui le dis, c'est la Caisse nationale d'assurance maladie !
Vous nous reprochez d'ignorer la responsabilité des médecins : je vous renvoie à l'article 8 du projet de loi, qui instaure une obligation d'évaluation, ou au dispositif de sanction prévu à l'article 13.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. On en reparlera !
M. Philippe Douste-Blazy, ministre. Sur la carte Vitale, vous avez, en réalité, parfaitement compris mon propos : je n'ai pas affirmé qu'il y avait dix millions de fraudeurs.
M. Claude Domeizel. Si !
M. Philippe Douste-Blazy, ministre. J'ai seulement observé que le système semblait ne pas être piloté puisque, selon le rapport que m'a remis M. Mercereau, inspecteur général de l'IGAS, on compterait dix millions de cartes Vitale en trop.
Je ne crois pas, par ailleurs, que la nouvelle gouvernance corresponde au tableau que vous en brossez. Les partenaires sociaux que vous évoquez ont soutenu la redéfinition des rôles, et je n'ai pas besoin de vous rappeler les raisons pour lesquelles le MEDEF avait quitté les caisses de sécurité sociale sous le gouvernement Jospin.
Sur les comptes de la prévention, il faut être précis et y intégrer l'ensemble des dépenses de soins qui s'inscrivent dans une logique préventive : on estime que 15 % des actes des généralistes sont en réalité des actes de prévention.
Quant au médicament, enfin, j'ai déjà eu l'occasion de souligner l'ambition du Gouvernement : concilier les exigences d'économies avec la valorisation de l'innovation.
Pour l'ensemble de ces raisons, monsieur le président, je pense qu'il n'y a pas lieu de renvoyer le projet de loi à la commission.
M. le président. Je mets aux voix la motion n° 109, tendant au renvoi à la commission.
(La motion n'est pas adoptée.)
Demande de réserve
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, afin de préparer nos travaux de demain, je demande la réserve de l'article 1er A, des amendements tendant à insérer des articles additionnels avant et après l'article 1er, ainsi que de la division additionnelle avant le titre Ier jusqu'à la fin du titre Ier, c'est-à-dire jusqu'après l'article 18 quater. Il est en effet important de débattre d'abord de l'article 1er, qui pose les principes fondamentaux régissant l'assurance maladie.
Les articles et amendements ainsi réservés seront bien entendu dûment examinés au cours de la discussion du titre auquel ils se rapportent, et non pas, comme certains l'ont craint, à la fin de l'examen du projet de loi.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement sur cette demande de réserve ?
M. le président. La réserve est ordonnée.
La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.
6
renvoi pour avis
M. le président. J'informe le Sénat que le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence de simplification du droit (n° 343, 2003-2004), dont la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale est saisie au fond, est renvoyé pour avis, à leur demande et sur décision de la conférence des présidents, aux commissions des affaires culturelles, des affaires sociales, des affaires économiques et du Plan et des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la Nation.
7
ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l'ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à aujourd'hui, vendredi 23 juillet 2004, à dix heures, quinze heures et le soir :
Suite de la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, après déclaration d'urgence, relatif à l'assurance maladie (n° 420, 2003, 2004) ;
Rapport (n° 424, 2003-2004) fait par M. Alain Vasselle au nom de la commission des affaires sociales
Avis (n° 425, 2003-2004) de M. Adrien Gouteyron fait au nom de la commission des finances.
Le délai limite pour le dépôt des amendements est expiré.
Personne ne demande la parole ?...
La séance est levée.
(La séance est levée le vendredi 23 juillet 2004, à zéro heure quarante.)
La Directrice
du service du compte rendu intégral,
MONIQUE MUYARD