PRÉSIDENCE DE Mme Michèle André
vice-présidente
Mme la présidente. La séance est reprise.
Nous poursuivons la discussion du projet de loi constitutionnelle, adopté par l'Assemblée nationale, modifiant le titre XV de la Constitution.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Hugues Portelli.
M. Hugues Portelli. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues, le projet de loi constitutionnelle qui nous est soumis est un acte juridique et politique historique, car il crée les conditions d'une mutation profonde de la construction européenne dans laquelle la France s'est engagée depuis cinquante-cinq ans.
Il aurait pu faire l'objet d'un référendum constituant, plus facile à conduire que la défense et l'illustration d'un texte de deux cent trente pages, mais il est vrai qu'une disposition de ce projet de loi constitutionnelle, étrangère au traité, a été introduite et qu'il vaut peut-être mieux qu'une seule question soit posée au peuple français.
Quelles nouveautés constitutionnelles apporte le traité du 29 octobre 2004 et en quoi justifient-elles une révision de la Constitution ?
Le projet de traité constitutionnel est une codification, une compilation et une rationalisation du droit institutionnel européen en vigueur, mais il donne à ce droit et à ses institutions une force symbolique et normative plus grande, que traduit, notamment, l'introduction de la charte des droits fondamentaux dans le droit positif.
C'est un texte hybride, qui réunit des dispositions de type constitutionnel dans sa première et sa deuxième partie et des dispositions de nature diplomatique dans la troisième, ce qui pose la question de sa nature exacte.
Le Conseil constitutionnel, fidèle à la lecture qu'il fait de la construction européenne depuis l'origine, propose une lecture minimaliste du traité, celle d'une Union européenne simple confédération d'Etats souverains exerçant en commun des compétences transférées.
Le projet de loi constitutionnelle ne fait que traduire cette jurisprudence dans la Constitution et opte donc pour une modification permanente au cas par cas de celle-ci, à chaque révision des traités européens.
Peut-on se contenter de cette lecture minimaliste et de cette entrée constitutionnelle à reculons dans la construction européenne, lorsque l'on sait que cette lecture n'a jamais été celle de la Cour de justice de Luxembourg et que celle-ci n'a pas hésité à affirmer, dès 1964, en pleine présidence du général de Gaulle, dans son arrêt Costa contre Enel, la primauté du droit européen, et, dès 1978, le caractère constituant des traités ?
Le barrage de papier que le Conseil constitutionnel dresse devant la Cour de justice lorsqu'il affirme le caractère confédéral du système communautaire tient d'autant moins que la supériorité de la Constitution française ne sera affirmée qu'en cas de contradiction flagrante d'un acte législatif européen avec des dispositions expresses de la Constitution française.
On peut penser que de tels cas, dans la pratique, ne seront qu'exceptionnels, voire théoriques. Il faut donc se poser la question de savoir quelles seront les vraies conséquences de l'introduction du traité constitutionnel dans le droit public français.
Le fait que le projet de loi constitutionnelle soit mal écrit - ce qui, entre nous, n'est pas une nouveauté ! (Sourires.) - ne change rien au fond.
Outre le fait que la Constitution du général de Gaulle a subi, ces dernières années, des atteintes bien plus sérieuses à sa cohérence juridique et littéraire, la qualité de la révision en France compte moins que l'adoption d'un traité constitutionnel, qui traduit un saut qualitatif dans la construction européenne.
M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. Très bien !
M. Hugues Portelli. D'un point de vue constitutionnel, l'entrée en vigueur du traité constitutionnel européen nous obligera à modifier radicalement notre vision des institutions, mais aussi le rôle que nous jouerons au sein de celles-ci.
J'évoquerai, tout d'abord, le nouveau cadre institutionnel. La grande difficulté à laquelle nous sommes confrontés tient au fait que les catégories intellectuelles et juridiques avec lesquelles nous avons l'habitude de raisonner et de travailler, surtout nous, Français, sont en grande partie dépassées.
C'est, d'abord, le cas à propos de la souveraineté et du fédéralisme. Nous avons, depuis des siècles, l'habitude de raisonner en termes de souveraineté et de compétences ; le droit européen nous oblige à raisonner en termes d'objectifs et de politiques publiques. Sur le papier, notre Etat reste souverain. Dans des domaines croissants, l'exercice de cette souveraineté est transféré à l'échelon européen, faute de pouvoir exercer cette souveraineté efficacement.
De même, nous raisonnons en termes de compétences ; désormais, il nous faut de plus en plus souvent parler en termes d'objectifs, de programmes, de politiques sectorielles.
La conception de la loi elle-même sera revisitée. Le projet de loi constitutionnelle, corrigé à l'Assemblée nationale, va, d'ailleurs, en ce sens, puisqu'il introduit l'acte législatif européen, qui ignore la distinction entre la loi et le règlement, dans la Constitution.
Cet acte législatif européen deviendra le type dominant de loi examinée par le Parlement français, puisque, aujourd'hui, la majorité des normes en vigueur, dans notre pays, est élaborée par les institutions européennes.
En fait, à la conception traditionnelle et statique de la souveraineté et de son exercice, la Constitution européenne a substitué une conception fonctionnelle, où les transferts gérés sont motivés par le seul souci de l'efficacité. Cela explique pourquoi la Constitution européenne n'a pas attendu le traité du 29 octobre 2004 pour exister et pourquoi le modèle institutionnel proposé ne coïncide pas avec nos traditions.
La Constitution européenne telle que le traité de Rome de 2004 l'a construite est, en effet, originale. C'est une Constitution sans Etat, celle d'une Union européenne qui se voit doter de la personnalité juridique, mais sans que l'on dise quelle est sa nature juridique.
Ce n'est pas une constitution définitive, comme la constitution américaine de 1787, c'est une constitution fluide, évolutive, fonctionnelle.
Ce n'est pas non plus une institution internationale, car son droit est supérieur à celui des Etats. Sa cour de justice, qui veille à l'unité juridique de l'espace européen, est au sommet de la pyramide juridictionnelle des Etats, et sa charte des droits fondamentaux est le résumé des valeurs communes aux peuples européens.
Son originalité tient à la primauté de la constitution économique sur la constitution politique, à la réalisation de l'unité européenne par le marché et par le droit, mais elle s'est dotée, dans le traité de 2004, des moyens institutionnels de devenir un jour une véritable constitution politique.
Son originalité tient aussi à l'absence de séparation des pouvoirs, telle que nous l'avons apprise et proclamée, mais rarement pratiquée, au profit d'une codécision entre organes supranationaux et organes nationaux dans la gestion des compétences transférées : codécision de la Commission et des gouvernements nationaux ; co-interprétation du droit européen par les juridictions nationales et la Cour de Luxembourg ; copréparation des politiques publiques par les administrations de l'Union et les administrations des Etats.
Il manquait, aux côtés du Parlement européen, la participation des parlements nationaux. C'est désormais chose faite, grâce au traité constitutionnel et à la révision qui nous est proposée.
Quels sont, en effet, les nouveaux pouvoirs du Parlement français ?
Parmi les nombreux facteurs du déclin du Parlement français, le transfert massif de compétences relevant du domaine de la loi vers l'Union européenne a été, ces dernières décennies, déterminant. Il l'a été d'autant plus que, dans ce transfert, seul le Parlement a été dépouillé.
L'administration française participe à l'élaboration des normes et des politiques publiques. Les membres du Gouvernement français deviennent législateurs européens en tant que membres du conseil des ministres. Quant au Parlement français, non seulement il est dépouillé, mais, de plus, il lui faut subir souvent l'affront du recours massif aux ordonnances dans la transposition des directives.
M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. C'est vrai !
M. Hugues Portelli. Le traité constitutionnel, avec la révision qui nous est proposée, fait des parlements nationaux les gardiens du principe de subsidiarité. Ce sera la tâche du Parlement français que de veiller à ce que les institutions européennes n'étendent pas démesurément leurs interventions, suivant une propension naturelle aux organes de type fédéral. Ce sera pour lui le moyen, non seulement de conserver ses prérogatives, voire d'en reconquérir certaines, mais aussi de délimiter concrètement la frontière entre les compétences de l'Union et celle des Etats.
Pour notre assemblée, cet exercice du principe de subsidiarité aura un autre sens : préserver ses prérogatives de législateur national, certes, mais aussi celles des collectivités territoriales, dont le Sénat est le représentant.
Cet exercice intègrera également le Parlement français dans les institutions européennes selon ce principe de codécision, qui est le principe essentiel de fonctionnement de l'Union européenne.
Le risque est, cependant, de noyer les assemblées sous leurs nouvelles compétences et de rendre inadapté aux nouveaux flux de production législative européenne le travail remarquable des délégations parlementaires pour l'Union européenne.
Le problème ne sera pas seulement d'examiner les textes ; il sera, surtout, de fixer la barre de la subsidiarité secteur par secteur, ce qui est une décision de nature purement politique.
La révision constitutionnelle peut être, finalement, le levier du réveil du Parlement, et, paradoxalement, c'est à la construction européenne que nous le devrions.
M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. Très bien !
M. Hugues Portelli. Cette révision sera en effet l'occasion de nous interroger sur les rapports entre la loi et le règlement, sur le recours aux ordonnances, sur le pouvoir de contrôle des assemblées.
Que cette révision devienne lettre morte, et le déclin du Parlement français, dans une Europe intergouvernementale et interventionniste, sera scellé. Qu'elle s'applique effectivement, et les conditions d'une renaissance, dans un cadre institutionnel nouveau après quarante ans de déclin, seront enfin réunies. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.
Mme Alima Boumediene-Thiery. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, avant d'aborder le fond du projet de loi constitutionnelle et ses manquements, je m'interrogerai sur l'opportunité de la procédure de ratification du traité établissant une constitution pour l'Union européenne.
En effet, l'organisation d'un référendum, nos compatriotes étant invités à s'exprimer sur ce traité, et la mise au pas préalable des parlementaires suscitent chez moi un certain malaise.
Vous me répondrez que la modification de la Constitution en vue de la ratification de ce traité est rendue obligatoire par le Conseil constitutionnel. Mais la saisine préalable du Conseil constitutionnel est bien l'expression d'une volonté politique, celle du Président de la République. Rien ne l'imposait ! En effet, la Constitution aurait pu être modifiée après le référendum - cela aurait été compréhensible et plus logique - sans préjuger de son résultat.
Je regrette d'autant plus cette procédure qu'elle nous éloigne de la perspective d'améliorer la Constitution, à l'occasion d'un véritable débat parlementaire, et de mieux l'adapter aux nécessités de notre époque. Cela est évident quand on lit attentivement le projet de loi.
Avant de souligner les manquements politiques que révèle ce projet de loi constitutionnelle, j'illustrerai ma déception en vous citant deux exemples : la reconnaissance des langues régionales et le droit de vote pour les résidents non communautaires. Ces deux points feront d'ailleurs l'objet de nos amendements.
Nous nous étonnons que le Gouvernement ne saisisse pas l'occasion qu'offre cette réforme constitutionnelle de respecter l'un de nos engagements européens et ne mette pas tout en oeuvre pour ratifier la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires.
En effet, grâce à ses nombreuses langues régionales, y compris celles d'outre-mer, la France possède l'un des plus riches patrimoines linguistiques du monde. Mais, historiquement, ce patrimoine a été méconnu, considéré comme un handicap pour la communication à l'échelle nationale, et, malheureusement, souvent réprimé.
L'Etat jacobin se souciait non pas de la compréhension des citoyens entre eux, mais de leur obéissance.
M. Josselin de Rohan. Surtout les instituteurs laïques, chère collègue !
Mme Alima Boumediene-Thiery. Cette politique du « bulldozer » a même réussi à culpabiliser les locuteurs des langues régionales, au point qu'ils n'en assurent plus la transmission à leurs enfants.
Aujourd'hui, néanmoins, les nouvelles générations réapprennent ces langues menacées de disparition dans les écoles Diwan en Bretagne, Ikastolak au Pays basque, Calendretas en Occitanie, Bressolas et Arrels en Catalogne, Scola Corsa en Corse.
La défense des langues minoritaires est souvent jumelle de la défense de la démocratie, comme le montrent les combats pour la reconnaissance du kurde, du tibétain ou du berbère. Certains d'entre nous sont bien incohérents lorsqu'ils défendent là-bas ce qu'ils refusent ici ou lorsqu'ils défendent le français face à l'hégémonie de l'anglais, tout en condamnant les langues régionales en France !
Les différences culturelles sont non pas des archaïsmes réducteurs, mais des richesses qu'il faut se donner les moyens de mettre en valeur.
Les Verts sont de farouches défenseurs de la biodiversité, et ce même dans le domaine linguistique. C'est pourquoi nous souhaitons la modification de l'article 2 de la Constitution française, nécessaire à la ratification par la France de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires.
Enfin, il est important d'évoquer les langues non territoriales, ayant le statut de langues étrangères, et dont certaines sont présentes depuis des siècles sur le territoire national : le yiddish, les langues tsiganes, l'arabe. Combien de temps faudra-t-il donc pour que ces langues soient « naturalisées » ? Elles devraient pouvoir bénéficier des dispositions de la Charte européenne au titre des langues minoritaires. Quant à la langue des signes pour les sourds et muets, il conviendra de favoriser son enseignement.
Chaque culture doit être aidée. En se défendant, elle maintient en effet une part du patrimoine de l'humanité tout entière.
Vous le savez, désormais les ressortissants communautaires résidant en France peuvent voter et être éligibles, sous certaines conditions, aux élections municipales. La suppression de la condition de réciprocité est la seule avancée du projet de loi constitutionnelle en la matière.
Pourtant, la question du droit de vote des résidents étrangers extra-européens est plus que jamais d'actualité. Il est une condition indispensable à l'exercice de la démocratie. D'ailleurs, le Parlement européen a voté, le 14 février 1989, une résolution demandant aux pays membres d'accorder le droit de vote aux élections locales à l'ensemble des étrangers vivant et travaillant sur leur territoire.
Pourquoi cette réforme tarde-t-elle tant à s'appliquer en France alors que les résidents étrangers participent, au même titre que les citoyens français et communautaires, à la vie économique et sociale du pays ? Cela semble d'autant plus anachronique que les résidents étrangers se sont déjà vu reconnaître des droits : participation aux élections des comités d'entreprise, des conseils d'administration des caisses de sécurité sociale, aux élections prud'homales, droit d'association.
En outre, les résidents étrangers bénéficient des mêmes libertés fondamentales, des mêmes responsabilités et droits sociaux qu'un citoyen français. Ils sont assujettis à l'impôt et contribuent ainsi à la richesse nationale. Mais ils ne peuvent pas, contrairement aux dispositions de l'article 14 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, constater la nécessité de cette contribution publique puisqu'ils ne peuvent pas élire de représentants.
Certains craignent qu'accorder le droit de vote aux résidents étrangers ne fasse émerger un vote identitaire ou communautaire. Cette crainte n'est pas fondée Au contraire, c'est la différenciation dans l'attribution du droit de vote, notamment entre résidents communautaires et non communautaires, qui peut faire naître ce communautarisme et, plus certainement, un réel sentiment d'injustice !
L'application du principe d'égalité - « mêmes droits, mêmes devoirs », - hérité de la Révolution française, permet à la République, en garantissant le même contrat social à tous les résidents sur son territoire, de sortir grandie. Les droits politiques ne sont-ils pas des droits fondamentaux ? Des droits seraient-ils reconnus comme étant fondamentaux pour les uns et pas pour les autres ?
J'évoquerai maintenant les faiblesses de ce projet de loi constitutionnelle, voire les manoeuvres politiques qu'il sous-tend.
Mes chers collègues, je ne comprends pas que l'on puisse utiliser notre Constitution à des fins partisanes ! L'article 2 du projet de loi constitutionnelle n'a qu'un but : permettre au Président de la République de limiter les dégâts dans son propre camp, après l'ouverture de la boîte de Pandore que constitue le cas de la Turquie.
L'article 4 en atteste en prévoyant explicitement que l'article 88-7 de la Constitution ne s'appliquera pas « aux adhésions faisant suite à une conférence intergouvernementale dont la convocation a été décidée par le Conseil européen avant le 1er juillet 2004. » Pourquoi cette date ? Vous reconnaîtrez que cette tournure est bien alambiquée. Elle n'est destinée qu'à faire de la Turquie un cas à part et à semer la confusion !
La demande d'adhésion de la Turquie à l'Europe doit être examinée, au même titre que toutes les demandes d'adhésions à l'Union, ni plus ni moins ! Or le débat, tel qu'il a lieu actuellement en France et tel que la commission européenne en a posé certains fondements, est très inquiétant, voire scandaleux.
Une clause de sauvegarde définitive concernant la migration intérieure des travailleurs turcs est ainsi envisagée : c'est bien la première fois qu'une telle mesure serait prise au sein de l'Union.
Certains pays ont connu des aménagements, des échéanciers : pourquoi pas la Turquie ? L'exigence d'un vote, voire d'un référendum pour cette admission est, elle aussi, d'une hypocrisie notoire.
Les Verts sont pour une vraie citoyenneté européenne, donc avec des débats et des consultations préalables à toute modification et évolution importantes de l'Europe.
Lors des précédents élargissements, aucun débat sur l'entrée des nouveaux pays dans l'Union n'a été organisé, et cela n'a posé de problème à personne !
Encore une fois, la demande de la Turquie doit être traitée comme les autres. Ainsi les Verts estiment-ils que, oui, l'adhésion finale doit faire l'objet d'un débat, à l'échelon tant national qu'européen, et d'un vote. Mais, on ne peut dénier à la Turquie, après quarante ans de coopération renforcée avec l'Union européenne, au point qu'elle fait déjà partie de l'union douanière et économique, le droit d'être officiellement candidate à l'adhésion, au même titre que la Roumanie, la Bulgarie et la Croatie.
Nous estimons que l'Europe a tout à gagner d'une Turquie laïque, respectueuse des droits humains et des libertés fondamentales, dans cette « guerre des civilisations » que l'Amérique de George Bush tente de mettre en place.
La Turquie est une composante indispensable du projet européen sur la scène internationale. Soyons clairs : en aucun cas, cette entrée officielle dans le processus de négociation ne signifie une adhésion automatique. Rappelons que l'adhésion effective est non pas pour demain, mais pour dans dix ans. Si la Turquie ne remplit pas encore aujourd'hui toutes les conditions d'une démocratie, nous devons l'aider dans son processus démocratique. Oui, des efforts restent encore à faire.
Arrêtons de considérer l'Union européenne comme une instance internationale, car l'Union européenne, c'est nous ! Elle est une composante de notre régime politique. Si seul le Gouvernement, et non le Président de la République, doit être l'acteur principal des engagements européens de notre pays, la voix de la France doit être légitimée par les urnes. Les représentants légitimes du peuple que nous sommes doivent pouvoir exercer un contrôle avant que notre gouvernement prenne une décision.
Pour cela, le Parlement doit avoir la liberté de se saisir, et donc de maîtriser son ordre du jour, comme il doit disposer des moyens d'analyse et d'expertise, à travers une commission spéciale.
Disons-le avec force et vigueur : oui à l'Europe, oui à une Europe citoyenne, démocratique et écologique ! Mais disons avec la même force et avec la même vigueur que cette réforme n'est pas à la hauteur de notre ambition.
Avec ce projet de loi constitutionnelle, qui suscite une confusion entre la révision de la Constitution française et l'élargissement de l'Union européenne, qui méconnaît les aspirations au changement de nombre de nos concitoyens, permettez-moi de vous le dire, nous avons raté le coche d'une révision constitutionnelle audacieuse ! (Mme Dominique Voynet applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean Bizet.
M. Jean Bizet. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, un grand pays se doit d'avoir une grande constitution.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. C'est le cas depuis 1958 !
M. Jean Bizet. C'est chose faite, ou presque.
Nous sommes effectivement à la veille de l'adoption d'une constitution qui renforcera un grand pays, car l'Union européenne est désormais un grand pays, une confédération d'Etats-nations rassemblant vingt-cinq membres, des grands, mais aussi des moins grands, animés par un même idéal, réunis autour des mêmes valeurs et comptant 450 millions d'hommes et de femmes voulant avant tout conforter ce que les pères fondateurs de cette Europe nous ont légué voilà plus d'un demi-siècle : la paix, la démocratie et le développement économique.
Il y a en effet soixante ans que nous vivons en paix, que nos acquis sociaux ont progressé comme jamais ils ne l'avaient fait au cours des siècles précédents, que le développement économique nous a permis d'atteindre un niveau de vie inégalé à ce jour, mais qui nécessitera encore et toujours d'autres progrès, d'autres sauts technologiques pour faire de cette Europe l'économie de la connaissance la plus performante du monde. C'est la stratégie de Lisbonne, la prochaine grande mission de cette Europe.
Elaborer une constitution est une tâche ambitieuse et difficile, qui mérite d'être effectuée avec le maximum de lisibilité. Le traité établissant une Constitution pour l'Europe va dans ce sens, à mon avis dans le bon sens !
Nous sommes aujourd'hui réunis pour examiner le projet de loi constitutionnelle. Adopter ce texte revient à marquer davantage encore notre engagement européen et notre volonté de mieux faire fonctionner l'Europe.
Cependant, ce vote n'est qu'une étape. II reste encore du chemin à parcourir jusqu'au « oui » au référendum. Nous avons notamment un devoir de communication auprès de nos concitoyens. Il serait en effet illusoire de croire que chacun d'entre eux aura lu les 448 articles et les 36 protocoles de la Constitution. C'est à nous qu'il reviendra d'expliquer ce traité et de compléter ainsi le vote auquel je vous invite.
Ce traité est le fruit d'un compromis entre différents Etats. Certes, il n'est pas parfait, mais je crois sincèrement que ses qualités sont bien supérieures à ses défauts.
Sa première qualité est d'établir un cadre juridique stable, auquel tous les acteurs pourront se référer. Depuis 1986, nous avons signé quatre traités. C'est beaucoup. C'est le signe de l'essoufflement du système qui est actuellement en place. Le cadre ne doit pas être modifié trop souvent si nous voulons pouvoir mener des politiques cohérentes. Je précise cependant que ces politiques feront l'objet d'autres débats ; celui qui nous occupe présentement est de nature constitutionnelle. Or une constitution ne préjuge en rien des politiques qui seront ensuite menées.
La réforme d'aujourd'hui n'a pas du tout la même envergure que celle d'hier. Le traité établissant une Constitution pour l'Europe ne s'inscrit pas dans la continuité du traité de Rome, comme ce fut le cas de tous les traités jusqu'à présent. Du passé, il a, en partie, fait table rase ! Il a reconstruit quelque chose de nouveau en tenant compte des difficultés du présent système.
Cette Constitution pour l'Europe comporte donc de nombreuses avancées significatives : fusion des piliers, droit de pétition pour les citoyens, consécration de la charte des droits fondamentaux... L'énumération serait longue.
Parmi ces avancées, je suis très sensible à la création d'un président du Conseil européen et d'un ministre des affaires étrangères. Parallèlement à ce que nous avons vécu au sein de l'Organisation mondiale du commerce depuis 1995, un seul commissaire ayant en charge le commerce extérieur, il était impératif pour la politique étrangère de l'Union d'avoir la même approche vis-à-vis de la communauté internationale.
Une autre des qualités de cette Constitution est de renforcer le rôle des parlements nationaux au sein de l'Union européenne, ce qui permet de faire taire les critiques selon lesquelles l'Union Européenne étoufferait peu à peu la souveraineté des Etats membres. Bien au contraire, la nouvelle Constitution nous invite à une fructueuse coopération entre l'Union et les Etats.
Il va de soi que, dans un jeu démocratique, le pouvoir se voit opposer des contre-pouvoirs : les parlements nationaux se sont donc vu attribuer de nouvelles prérogatives.
Les parlements nationaux participeront, tout d'abord, au contrôle du principe de subsidiarité, en amont, par un avis et, en aval, grâce à la possibilité d'un recours devant la Cour de justice. Ils pourront, ensuite, refuser la mise en place d'une clause passerelle. Ils seront, enfin, étroitement associés à la mise en oeuvre de l'espace de liberté, de sécurité et de justice.
Même s'il est vrai que la place des parlements nationaux dans la construction de cet espace est encore assez floue, le traité prévoit que des lois européennes viendront préciser la mise en oeuvre de ces associations. Je souhaite que les parlements, notamment par le biais de l'article 88-4 de la Constitution, s'investissent largement dans la définition de leurs prérogatives à ce sujet.
En théorie, il est indéniable que les parlements deviennent des acteurs majeurs de la construction européenne. Mais, vous le savez, un texte est malléable dans son interprétation et plus encore dans sa pratique. Ce texte est d'abord ce que nous en ferons !
Il nous faut saisir les opportunités qui s'offrent à nous. C'est pourquoi nous devons, nous, parlementaires de toute l'Europe, nous efforcer d'assurer la plus large coopération possible. Cette Constitution comporte un véritable enjeu et nous devons en prendre la mesure.
C'est dans cette optique que j'appelle à une étroite collaboration avec, d'une part, l'Assemblée nationale et, d'autre part, les parlements des autres Etats membres.
Tout d'abord, pour déterminer si un texte est contraire au principe de subsidiarité, chaque chambre aura une voix. Si nous estimons réellement qu'un acte viole ce principe, désormais fondamental, nous devrons faire front commun avec l'Assemblée nationale.
Par ailleurs, le Parlement, même bicaméral, doit s'opposer d'une seule voix à une clause passerelle. Nous serons alors amenés à voter une motion dans les mêmes termes que l'Assemblée nationale. Il sera fondamental d'instituer un mécanisme à la fois réactif et très complémentaire entre les deux chambres pour assurer avec efficacité le rôle que nous permet d'exercer désormais le traité constitutionnel.
Avec nos collègues dans toute l'Europe ensuite, nous nous devons de développer le même esprit de collaboration. Chacun au-delà de ses sensibilités propres saura se retrouver sur l'essentiel, le fondamental. La COSAC, qui a la possibilité de donner des avis à la Commission, doit plus que jamais assumer son rôle d'instance de concertation.
Je tiens d'ailleurs à souligner que, depuis quinze ans, les délégations pour l'Union européenne effectuent un travail de fond sur l'ensemble des sujets européens (Très bien ! sur les travées de l'UMP.). Elles ont une grande expérience et il semble donc naturel qu'elles soient étroitement associées au contrôle du principe de subsidiarité.
Dans cette perspective, les délégations doivent jouer pleinement un rôle transversal vis-à-vis des autres commissions. Cela nécessitera bien sûr des aménagements, autrement dit une modification du règlement de chacune des assemblées, modification qui ne soit pas rejetée par le Conseil constitutionnel. Plusieurs pistes ont déjà été proposées ; elles devront être examinées à l'occasion d'un débat interne à chaque assemblée, qui sera d'ailleurs un premier indicateur de l'énergie que nous investirons dans la mise en oeuvre du traité.
Les affaires européennes ont été pendant longtemps un processus essentiellement gouvernemental. Voilà enfin qu'il devient, en partie, un processus parlementaire. Je tiens à le souligner ici et peut-être plus encore à l'adresse de nos concitoyens, afin qu'ils se réapproprient l'Europe.
Parallèlement à ce nouveau partenariat auquel nous invite la Constitution, tant avec l'Assemblée nationale qu'avec les autres parlements des vingt-cinq Etats membres, j'aimerais souligner l'impérieuse nécessité d'un dialogue constructif entre le Gouvernement et le Parlement sur les questions européennes.
Sur ce point, je suis très séduit par l'approche de nos voisins britanniques. Je dois vous faire une confidence : c'est la première fois qu'ils me séduisent (Exclamation amusées sur les travées de l'UMP.) tant par l'explanatory memorandum, qui présente les grandes orientations retenues en première analyse par le gouvernement sur un texte, que par les comptes rendus de ce même gouvernement sur ses propres positions et orientations suite au vote d'une résolution par le Parlement.
Nous louons, à juste titre, le lobbying des parlementaires anglo-saxons à Bruxelles. Il est, à mon sens, intimement lié à l'étroit partenariat qui existe entre le gouvernement et le Parlement. Essayons de nous en inspirer !
M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. Très bien !
M. Jean Bizet. Arrivé au terme de mon intervention, j'appelle de mes voeux que l'Europe soit le creuset de politiques fructueuses, tout spécialement en matière de recherche et d'innovation pour relancer la stratégie de Lisbonne, je l'évoquais à l'instant. Je regrette que, à mi-parcours, elle n'ait pas produit les résultats escomptés !
La compétition à laquelle nous faisons face ne pourra se jouer que dans le cadre européen. Dans un contexte mondialisé, nous aurons besoin d'appartenir à une entité qui fasse jeu égal avec les grands, tels que les Etats-Unis, la Chine, l'Inde... Cette entité est l'Union européenne.
L'enjeu est de permettre, par le biais de l'Union, de connaître à la fois un fort développement économique et une grande autonomie de gestion au plus près du territoire. Dans ce monde de plus en plus mondialisé, il est impératif, à côté de la dimension européenne, d'avoir une réactivité territoriale forte qui permettra à nos concitoyens, je le répète, de se réapproprier l'Europe. En la matière, les Etats-Unis sont, là encore, un modèle.
La Constitution européenne nous invite à avoir un grand dessein, une grande ambition pour l'Europe, mais aussi et avant tout, une grande ambition pour la France. J'y adhère sans détour et je voterai ce projet de loi constitutionnelle. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Masseret.
M. Jean-Pierre Masseret. Monsieur le garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues, tout d'abord, je souhaiterais adresser des remerciements à Jean-Pierre Bel, président du groupe socialiste, et au groupe lui-même qui me permettent, en quelques minutes, d'expliquer pourquoi, avec d'autres, nombreux, je n'accompagnerai pas le texte qui nous est proposé. (Exclamations sur les travées de l'UMP.)
M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. Pourquoi ?
M. Jean-Pierre Masseret. Pourquoi, monsieur Haenel ? Parce que le texte qui nous est soumis n'est pas ordinaire ! Il est, en effet, celui qui permettra d'adhérer au traité élaborant une Constitution pour l'Europe. Un texte constitutionnel, chacun l'admet, n'est pas un texte banal.
Or, comme beaucoup ici affirment et cherchent à démontrer, arguments à l'appui, qu'il ne s'agit pas d'un texte partisan - je l'ai entendu tout au long de l'après-midi -, c'est en conscience qu'il faut prendre position ! Nous le faisons donc en conscience, sans forcer le trait, avec humilité parce que personne ne détient une quelconque vérité révélée, mais avec suffisamment de détermination, monsieur Haenel. En effet, c'est bel et bien le rôle, la place, l'exemplarité de l'Union européenne dans la future organisation du monde qui sont en question.
Nous savons tous ce que nous devons à la construction européenne : la paix et la sécurité, tout d'abord, ce qui est considérable ! Sans paix ni sécurité, rien n'est possible : ni progrès économique, ni progrès social, ni avancée des idées et des valeurs universelles !
La paix et la sécurité sont des états précaires, jamais pleinement assurés. Or ce qui, demain, menacera éventuellement la paix et la sécurité en Europe, ce ne sera pas le cliquetis des armes ; ce seront plutôt les atteintes massives et répétées aux modèles sociaux acquis, dans l'espace européen, au prix de milliers de luttes politiques, syndicales et sociales (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe socialiste et du groupe CRC.). C'est cette réalité, que beaucoup font passer par pertes et profits, qui précisément nous motive !
La construction européenne a reçu l'appui des peuples parce qu'elle proposait un modèle démocratique et social exemplaire, au sens plein de ce mot. Mais l'on est en train d'effacer, de gommer progressivement cette exemplarité.
Pour la maintenir, l'Union doit être une Europe puissance, afin d'irriguer le monde - Pierre Mauroy l'évoquait cet après-midi - une Europe puissance sans esprit conquérant, sans esprit hégémonique, une Europe puissance sans autre certitude que celle de savoir que la paix et le progrès sont toujours l'association concrète et réelle de la démocratie politique et de la démocratie sociale. Assumer cette mission suppose que l'Union européenne dispose des attributs politiques adéquats et qu'elle ait conscience de l'importance de la partie qui se joue.
C'est à cet instant qu'il nous faut regarder plus loin que le débat qui nous occupe aujourd'hui. Il nous faut scruter l'avenir, le traité constitutionnel lui-même pour constater et dire : trop tard, trop peu !
Trop tard, parce que l'élargissement, décidé avant l'approfondissement, prive l'Union européenne de la perspective et de la possibilité de se donner une organisation politique complète et réelle. L'Union européenne, chers collègues, quitte progressivement l'espace politique du monde pour occuper un simple rang dans l'espace marchand (Murmures sur les travées de l'UMP.). En tant qu'homme de gauche, j'ai du mal à constater que l'approche idéologique de la construction européenne n'est pas au coeur de nos arguments.
Trop peu, monsieur Haenel, parce que l'Europe proposée est précisément celle des financiers et des comptables, comme l'illustrent les petits débats sur la future maquette budgétaire de l'Union, comme le souligne aussi le refus britannique de remettre en cause le « chèque » autrefois accordé à Mme Thatcher. Trop peu d'Europe alors qu'elle devrait investir massivement dans la société de la connaissance, de l'innovation, de la formation tout en s'assurant les moyens de sa défense autonome.
Un journaliste écrivait hier, dans Les Echos, que Bruxelles jouait de malchance. Il faisait allusion à la directive Bolkestein, temporairement mise de côté, ...
M. Guy Fischer. Elle réapparaîtra en octobre !
M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. Il s'agit d'un projet de directive !
M. Jean-Pierre Masseret. Qui vivra verra !
... à la commissaire au développement, déclarant qu'il fallait encourager les délocalisations, ...
M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. C'est une mauvaise traduction de l'allemand !
M. Jean-Pierre Masseret. ... et à l'agenda social, légèrement oublié !
Ces trois exemples sont plus parlants que toutes les démonstrations. Ils indiquent la voie sur laquelle l'Union est engagée, et ce sans perspective de retour. Dire l'inverse me paraît être contraire à la vérité politique. (Murmures sur les travées de l'UMP.)
Certes, on peut ne pas être d'accord ; mais les arguments doivent être pris en considération !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Vous avez fait campagne pour Maastricht !
Mme Michelle Demessine. Il en a d'autant plus de mérite !
M. Jean-Pierre Masseret. Malgré tout le respect et toute l'amitié qui nous lient à celles et à ceux qui, à l'intérieur du groupe socialiste, pensent différemment, nous sommes nombreux à ne pouvoir, en conscience, accompagner ce texte. C'est pourquoi nous nous abstiendrons. (Applaudissements sur certaines travées du groupe socialiste, ainsi que sur celles du groupe CRC.)
M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. Navrant pour Metz !
Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Blanc.
M. Jacques Blanc. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues, la tonalité de mon intervention sera différente de celle de mon prédécesseur.
M. Patrice Gélard, rapporteur. Cela ne nous étonne pas !
M. Jacques Blanc. Je tiens à souligner la chance que nous avons de pouvoir débattre aujourd'hui de la modification constitutionnelle qui nous permettra de donner demain une Constitution à l'Europe.
Mes chers collègues, avez-vous bien mesuré l'ampleur de l'étape franchie par la Convention européenne, sous la présidence de M. Valéry Giscard d'Estaing, auquel je tiens à rendre hommage ici...
M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. Vous avez raison !
M. Jacques Blanc. ...pour ses compétences et son talent ? Les éminentes qualités des membres de la Convention et de ceux de la délégation pour l'Union européenne, dont son président, Hubert Haenel (Applaudissements sur les travées de l'UMP), ont permis de parvenir à un accord entre les quinze pays qui appartenaient déjà à l'Union, les dix pays qui y ont adhéré, les deux pays qui vont la rejoindre et un observateur, la Turquie. Aujourd'hui, nous avons réussi ce qui paraissait complètement impossible et cet accord formidable, même s'il ne contient pas tout ce que l'on aurait souhaité, mérite d'être souligné.
M. Jean-Louis Carrère. C'est « Au théâtre ce soir » !
M. Jacques Blanc. Par ailleurs, dans l'euroscepticisme ambiant, cultivé par certains, subi par d'autres, ce texte répond aux inquiétudes d'un certain nombre d'Européens. Qui n'a pas entendu dénoncer la distance entre l'Europe et les citoyens ? Combien de fois n'avons-nous entendu dire, quand nous ne le disions pas nous-mêmes : « c'est la faute à l'Europe », en oubliant de préciser, quand cela était positif : « c'est grâce à l'Europe » ? Combien de fois a-t-on reproché à la Commission d'être une instance technocratique éloignée de la population ?
Il fallait rapprocher l'Europe des citoyens...
M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. Tout est dit !
M. Jacques Blanc. ...et, dans ce projet de Constitution, des étapes fondamentales ont été franchies.
D'abord, l'Europe aura un visage : un président pour deux ans et demi renouvelables, choisi par le Conseil, et un ministre des affaires étrangères - cela ne nuit en rien aux qualités de M. Solana - qui aura une plus grande capacité d'expression. Ensuite, les parlements nationaux auront la possibilité d'agir.
Lors de la campagne pour la ratification du traité de Maastricht, j'ai été étonné de constater que peu de gens avaient lu le texte. J'ai été l'un des rares à avoir découvert qu'il instituait un comité des régions. En fait, on s'était déjà rendu compte qu'il fallait aller vers une adhésion territoriale impliquant les présidents des régions, des départements, les maires des grandes villes, et ce afin de rapprocher l'Europe des citoyens.
Ce projet de loi constitutionnelle renforce le rôle des parlements nationaux qui pourront, en étant saisis soit par leur gouvernement, soit directement par l'Union européenne, apprécier les textes proposés.
Surgit enfin ce qui était un principe d'église, dont on a parlé longtemps : la subsidiarité, qui est élevée au rang d'exigence.
Mes chers collègues, le fait d'inscrire le respect de ce principe dans le traité est presque une révolution. L'Europe doit certes exercer sa capacité d'action dans un certain nombre de domaines de compétences, qui sont mieux définis, mais si d'autres peuvent le faire au plus près, il vaut mieux les laisser agir ; ce principe peut même devenir une obligation.
J'ai eu l'honneur d'installer le comité des régions d'Europe, au sein duquel nous avions la prétention d'être les gardiens vigilants de la subsidiarité. Maintenant, ce sont les parlements nationaux qui, en liaison avec le comité des régions, y veilleront, empêcheront les dérives, ramèneront l'Europe au sens des réalités. Nous allons avoir un rôle nouveau, tout à fait important, nous permettant de supprimer cette distance qui existait entre l'Europe et les citoyens et de freiner parfois certaines dérives technocratiques.
C'est un progrès considérable. Comment allons-nous pouvoir exercer cette nouvelle compétence ?
L'expérience de la délégation pour l'Union européenne - chacun apprécie la qualité de son président et de ses membres - constitue un élément très positif. Il est nécessaire qu'elle devienne le pôle central où s'élaborera la pensée européenne. En effet, elle est composée de membres appartenant à toutes les commissions ; ses moyens doivent donc être renforcés et son rôle reconnu.
Ce n'est pas le moment de créer des problèmes qui ne seraient peut-être pas compris par l'opinion. Il est important que notre éminent rapporteur, que nous félicitons pour ses travaux, mais aussi le Gouvernement nous disent que le Sénat décidera dans son propre règlement des modalités d'application permettant de donner à la délégation le rôle central et majeur de contrôle des actes européens.
Nous pourrons ensuite, à la lumière de l'expérience et à un moment peut-être plus favorable, sans jeter le doute sur notre volonté de dire « oui »au référendum, faire évoluer, s'il le faut, les textes constitutionnels. Certaines propositions, notamment celles de MM. Pierre Fauchon et Denis Badré, ne vont pas dans le mauvais sens, mais ne viennent pas au bon moment.
Quant au débat sur la Turquie, mes chers collègues, il y a longtemps qu'il a été lancé ! Tous les présidents de la Ve République, tous les gouvernements ont dit à nos amis turcs qu'ils avaient vocation à entrer dans l'Europe. J'aime la Turquie, je préside le groupe d'amitié. J'étais hier en Turquie avec Mme la ministre déléguée aux affaires européennes. Elle a indiqué que la négociation était ouverte et elle a osé dire à nos amis turcs, avec beaucoup d'intelligence et de délicatesse, que si le résultat n'était pas assuré, elle souhaitait que les réformes entreprises et l'évolution même de ce grand pays lui permettent, dans dix ou quinze ans, d'entrer dans l'Europe.
Mais ce n'est pas l'objet du référendum.
M. Jean-Louis Carrère. Alors, n'en parlez pas !
M. Jacques Blanc. Je ne voudrais pas que le référendum apparaisse comme discriminatoire vis-à-vis de nos amis turcs.
En réalité, chacun sent bien que l'entrée de la Turquie, comme celle de la Grande-Bretagne à l'époque, exige un acte plus solennel. Le référendum que le président Pompidou avait lancé - je m'en souviens particulièrement, car ce fut l'un de mes premiers pas dans la vie politique - avait marqué les esprits. Demain, il faudra que l'Europe détermine ses propres frontières.
Dès lors, n'instaurons pas de faux débats. Le référendum sur la Constitution européenne n'a rien à voir avec le « oui » ou le « non » à l'entrée de la Turquie. Personnellement, j'y suis favorable, mais ceux qui y sont hostiles doivent mesurer qu'ils ne pourront s'exprimer que si le texte sur la Constitution européenne est adopté.
Regardons la réalité ! Nous espérons tous la paix : ce qui se passe aujourd'hui entre Israël et la Palestine est formidable, alors que ce qui s'est produit au Liban nous traumatise. Gardons-nous de nous enfermer, laissons ouvertes les perspectives pour l'Europe.
Mais revenons au débat : la Constitution européenne va-t-elle améliorer le fonctionnement de l'Europe ?
M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. Oui !
M. Jean-Louis Carrère. Non !
M. Jacques Blanc. Nous avons vécu différentes étapes. Le traité de Maastricht a été proposé par le président Mitterrand : nous nous sommes mobilisés, le traité a été signé et l'Europe a avancé. Qui regrette aujourd'hui la mise en place de l'euro ?
Le traité de Nice a été décrié, mais il a permis à dix pays de rejoindre l'Europe. C'est la raison pour laquelle il faut modifier la gouvernance européenne. En effet, si l'on garde l'obligation de l'unanimité, l'Europe sera complètement bloquée.
Ce texte ne pourra qu'améliorer le fonctionnement de l'Union européenne. Les compétences seront mieux réparties. Par exemple, demain, nous pourrons nous battre pour la cohésion territoriale, qui est inscrite dans la Constitution européenne, alors qu'elle ne l'était pas dans les traités précédents. Il y a un plus et un mieux. Comment peut-on se priver de l'enthousiasme pour l'Europe ?
Mes chers collègues, je souhaite que notre débat, serein et de grande qualité, soit l'amorce d'un débat dans la population pour faire renaître l'espoir et l'amour de l'Europe qui nous a apporté la paix, qui peut nous apporter la prospérité et qui garantit le respect de la dignité des personnes. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Dominique Voynet.
Mme Dominique Voynet. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues, le Conseil constitutionnel ayant indiqué que la signature du second traité de Rome et son adoption par le peuple français impliquaient une modification de notre texte constitutionnel, nous voici saisis, après nos collègues de l'Assemblée nationale, du projet de loi de révision.
A défaut de simplicité, car ces sujets sont difficiles, le texte et la discussion auraient pu être relativement délimités. Mais pour rassurer leur majorité et une partie de leur électorat, le Président de la République et le Gouvernement ont cru bon d'introduire dans ce texte, et dans des termes tout à fait tarabiscotés, des éléments extrêmement discutables sur le fond et qui n'ont pas de rapport immédiat avec le sujet, à savoir un référendum obligatoire pour l'adhésion de la Turquie et non pour celle de la Roumanie, de la Croatie et de la Bulgarie.
Vous ne pouvez donc jouer la surprise quand, par une sorte de retour de bâton, tel ou tel d'entre nous se sent autorisé à contester cet ajout ou à introduire dans votre texte des questions inattendues elles aussi. Le droit de vote et l'éligibilité des résidents non communautaires, la ratification de la charte des langues régionales et le renforcement du contrôle du Parlement sur la politique européenne du pays nous apparaissent au moins aussi urgents que le recours à une procédure référendaire pour un événement qui, selon les experts les plus avisés, n'aura pas lieu avant dix ans.
Il faut évidemment aller au-delà.
Je voterai « oui » au traité instaurant une Constitution pour l'Europe...
M. Jean Bizet. C'est bien !
Mme Dominique Voynet. ...et j'approuverai, par conséquent, malgré un vote négatif sur au moins deux articles, le projet de loi que vous nous proposez, et ce pour deux raisons majeures.
D'abord, le fait est que nous ne pouvons plus continuer à fonctionner à vingt-cinq, puis à vingt-huit, selon les règles calamiteuses prévues par l'épouvantable traité de Nice, règles imposées par un mauvais accord entre les chefs d'Etat et de gouvernement, mauvais accord qui nous paralyse et entérine le laisser-faire dans à peu près tous les domaines.
M. Josselin de Rohan. Mais qui était au Gouvernement à l'époque ?
Mme Dominique Voynet. Au contraire, la situation du monde actuel, notamment sur les plans écologique et économique, ses conflits et ses dérives exigent que nos institutions se stabilisent.
Les politiques européennes ainsi renforcées et démocratiquement mieux légitimées doivent faire émerger sur la scène mondiale d'autres modes de résolution des conflits que la force et l'unilatéralisme, d'autres modèles de gestion des ressources que la fuite en avant et le gaspillage qui caractérisent nos actuelles façons de produire et de consommer.
Nous devons pouvoir réformer notre politique agricole, relancer nos équipements de transports collectifs, mieux prévenir les délocalisations au sein de l'Union européenne par l'harmonisation de nos réglementations sociales, améliorer la coordination de nos politiques de recherche, penser une politique commune de défense fondée sur le droit et la prévention des conflits.
Autrement dit, les formes antérieures de la construction européenne, dans lesquelles l'économique « tirait » le politique en avant, dans lesquelles l'intergouvernemental « tirait » la décision commune au détriment de la représentation directe des peuples, ne conviennent plus à la période actuelle.
Je considère que les réponses apportées par le traité sur le plan institutionnel, si imparfaites soient-elles, fournissent les premières clefs pour ouvrir de nouvelles perspectives à notre continent.
La seconde raison qui m'amènera à voter « oui », c'est le fait que ce texte est finalement assez représentatif, sur la forme comme sur le fond, de l'idée que nous devons nous faire de la démocratie européenne.
D'autres l'ont dit avant moi, ce texte est le fruit d'un compromis : il représente, à un moment donné, le point d'équilibre auquel il est possible de parvenir entre des peuples différents, entre des opinions publiques et des traditions politiques différentes, entre des groupes de pression multiples et, bien sûr, entre des visions parfois opposées de la société.
De ce point d'équilibre, chacun ne retrouvera pas l'intégralité de ce qu'il pouvait attendre. Les Verts, qui auraient apprécié que l'on aille plus loin en matière fiscale ou énergétique, continueront à défendre une vision très fédérale de l'Europe, moins libérale et moins répressive.
Mais je comprends que d'autres, qui ont une vision moins intégrée ou moins régulatrice, puissent s'agacer des avancées bien réelles qui ont été apportées dans le domaine social, dans celui des services publics ou de l'élargissement du contrôle parlementaire.
Ce point d'équilibre, pour insatisfaisant qu'il soit encore, ne ferme aucune porte et ne grave rien dans le marbre, contrairement à ce que j'ai pu lire ici ou là.
Faudrait-il lui préférer le statu quo, c'est-à-dire une situation déséquilibrée et dangereuse, qui n'ouvre pas d'autres perspectives que celles du laisser-faire économique, écologique et social, et qui exclut donc la possibilité de renégocier tout le dispositif « à la hausse ».
Un cadre institutionnel, c'est-à-dire une règle commune pour vivre ensemble à un moment donné, ne fixe pas, en lui-même, le contenu des politiques qui seront suivies.
Il appartient aux peuples, élection après élection, de choisir ces politiques, et les affrontements ainsi que l'expression des divergences entre les programmes retrouvent alors toute leur dignité.
Que des adversaires politiques apprécient, ensemble, un traité constitutionnel européen comme un progrès, qu'ils puissent même le défendre, ensemble, au même moment, à telle ou telle tribune, cela ne signifie nullement qu'ils abdiquent leur propre personnalité.
Cela revient, au contraire, à défendre en Europe une certaine conception de la démocratie qui, depuis toujours et plus particulièrement aujourd'hui, au point où nous en sommes de la réalité des Etats, intègre forcément, à côté de la règle majoritaire, une part de consensus.
Cette façon de procéder peut constituer une référence majeure, bien au-delà de nos frontières, dans un monde qui cherche sa multipolarité et qui tente de construire de nouvelles formes de coopérations régionales.
Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues, une fois que nous aurons adopté ce texte, il s'agira de convaincre nos propres électeurs.
M. Robert Bret. Tout reste à faire !
Mme Dominique Voynet. Mais les responsables politiques que nous sommes devront aussi essayer d'élever leur propre niveau de discours, en évitant au moins trois pièges : l'irresponsabilité, la facilité, l'inconséquence.
L'irresponsabilité, ce serait de faire injure à tous les arguments et à tous les défenseurs du « non ».
Les tensions fortes que produisent sur le plan social les politiques libérales actuelles ne sont pas sans conséquence sur la vision négative de l'Europe que peuvent avoir les plus exposés de nos concitoyens.
Ces tensions s'ajoutent à l'extrême complexité du processus et à la distance excessive entre les institutions de l'Union et la vie quotidienne de nos concitoyens.
C'est une raison de plus pour ne pas mettre sur le dos de l'Europe tout ce qui va mal, en s'attribuant sans vergogne les progrès considérables qu'elle a permis.
Le deuxième piège serait de tomber dans la facilité, en faisant, par exemple, miroiter à nos concitoyens que l'Assemblée nationale ou le Sénat pourraient s'affranchir des règles européennes auxquelles la France a pourtant souscrit au conseil des ministres ou devant la Commission.
La facilité serait encore de prétendre que, à budget constant, les inégalités considérables de l'Europe nouvelle pourraient être réglées demain, avec moins de moyens que ceux qui furent jadis mobilisés pour résoudre des différences nettement moins importantes.
M. Jean-Louis Carrère. Nous sommes d'accord !
Mme Dominique Voynet. Le troisième risque serait de faire preuve d'inconséquence, de faire croire que l'Europe n'est que l'extension à d'autres pays de nos concepts et de nos façons de raisonner, alors que, comme tous les autres peuples, nous avons à inventer un modèle original, sans précédent, qui emprunte aux uns et aux autres et pas seulement à nous-mêmes.
Nous ne gagnerons rien à entretenir l'idée que l'Europe ne changera rien pour nous. Ainsi, je ne crois pas que les avancées à venir de l'Union seront sans incidence sur la transformation de nos institutions dans un sens plus parlementaire ou sur la réforme de notre administration locale dans le sens du resserrement du nombre de nos échelons territoriaux.
Je ne doute pas que, ayant adopté ensemble la révision constitutionnelle, puis le traité constitutionnel européen, nous saurons profiter de ce moment de démocratie européenne pour renforcer le « parler vrai » sans lequel la démocratie française peinera à retrouver ses propres couleurs. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées de l'UC-UDF. - M. Paul Blanc applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Paul Girod.
M. Paul Girod. Madame la présidente, madame, monsieur les ministres, il n'est pas simple d'être le dernier orateur d'un débat aussi riche, aussi dense et aussi grave !
M. Bernard Frimat. Il en faut un !
M. Paul Girod. Je me contenterai donc de livrer quelques brèves réflexions.
Je suis un parlementaire dont l'enfance s'est écroulée dans les fracas de 1940 et qui a vécu son adolescence dans l'exaltation d'un pays retrouvant sa liberté, sa dignité et son efficacité.
Mais cette exaltation était tempérée par l'angoisse qu'il sentait chez son père, vétéran de 1914-1918, lequel avait vu les querelles internes de l'Europe faire s'écrouler les espoirs que l'issue de la Première Guerre mondiale avait pourtant fait naître.
Le jeune homme que j'étais a découvert peu après que notre continent avait été à l'origine des pires déviations mentales que les hommes ont pu fabriquer, à savoir le nazisme et, sous une certaine forme, le stalinisme.
Puis, petit à petit, il a vu dans la construction européenne la solution à ses angoisses de jeunesse.
Au cours du débat dans lequel nous sommes tous plongés en ce moment, ces sentiments-là doivent être présents en permanence dans nos esprits. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP, ainsi que sur plusieurs travées de l'UC-UDF.)
Au cours de ce même débat, nous avons aussi à porter le message de notre peuple aux peuples d'Europe, notamment au peuple allemand avec lequel nous nous sommes réconciliés.
Dans mon département, il est un endroit où la mémoire des batailles de 1940 est célébrée, ensemble, par les vétérans d'une division allemande et ceux d'une division française : les premiers déposent une gerbe sur le monument français, tandis que les seconds déposent une gerbe sur le monument allemand.
Il ne faudrait donc pas laisser croire aujourd'hui que le peuple français puisse émettre un signal négatif en direction des autres peuples d'Europe. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP.)
C'était déjà mon sentiment à l'occasion du traité de Maastricht, malgré toutes les imperfections de ce dernier. Aujourd'hui, au moment où certains nous disent que mieux aurait valu que l'approfondissement précède l'élargissement, ce sentiment est encore plus fort.
Or que faisons-nous d'autre, actuellement, que l'approfondissement ? Que faisons-nous d'autre que de donner un sens à l'élargissement, que d'ouvrir des perspectives de développement aux peuples situés plus à l'Est, qui ont connu des épreuves plus dures que les nôtres, qui ont à découvrir toutes les voies de la démocratie et toutes les voies du développement ? Cela nous imposera des sacrifices, mais cela suscite en même temps l'espoir de chasser définitivement les bruits de bottes de notre continent. Et Dieu sait qu'une telle perspective n'était pas facile à envisager voilà cinquante ans !
M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. C'est vrai !
M. Paul Girod. Pour moi, pour beaucoup d'entre nous, la conséquence est évidente : nous voterons « oui » à ce projet de loi constitutionnelle comme au référendum.
Certes, il y a bien sûr des débats dans le débat, en particulier sur le rôle retrouvé du Parlement et sur l'adaptation de son organisation interne pour débattre de l'avenir de l'Europe.
Je ne suis pas sûr que nous ayons intérêt à « polluer » le débat sur la réalité actuelle de l'avancée de l'Europe par des querelles internes sur l'organisation du Parlement. A ma connaissance, et à la lecture du texte, la modification constitutionnelle proposée nous ouvre toutes les voies possibles pour organiser, dans notre règlement, la manière dont notre assemblée mettra en oeuvre son moyen d'expression s'agissant des domaines sur lesquels elle sera consultée. Cela a d'ailleurs été dit tout à l'heure avec beaucoup de flamme par Jacques Blanc.
Monsieur le ministre, je souhaiterais que, au-delà des incidences législatives, nous soyons également mieux informés des incidences financières envisagées par l'Europe, ce qui n'est pas prévu dans l'état actuel des textes. Le Gouvernement français devrait en effet s'engager à fournir au Parlement français une information plus large à chaque fois que l'Union européenne prendra des initiatives qui peuvent s'avérer finalement désastreuses pour les finances ou l'économie françaises. Nous aurons éventuellement notre mot à dire sur ces questions.
Cela étant dit, l'essentiel est devant nous : sur notre continent, il y a un espoir, une construction à opérer, des peuples à aider dans leur développement et une solidarité à créer. Au final, cela fait toute une série de « oui » à exprimer. Commençons ce soir, en attendant la suite ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP, ainsi que sur certaines travées de l'UC-UDF et du RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Dominique Perben, garde des sceaux. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens à remercier l'ensemble des orateurs qui ont permis, à l'évidence, d'éclairer ce débat sur la révision constitutionnelle et de l'enrichir.
Je souhaite donc répondre aux interrogations et faire quelques réflexions, en écho à ce qui a pu être dit au cours de l'après-midi et de la soirée.
Je commencerai par la portée du traité, car, en vérité, de nombreux orateurs se sont exprimés non pas sur le présent projet de loi constitutionnelle, mais sur le traité qui sera soumis à nos concitoyens.
M. Gélard s'est notamment interrogé sur la pertinence du terme « constitution », préférant la terminologie « statuts » de l'Europe.
D'une part, l'utilisation du terme « constitution » n'est pas anodine, car elle traduit, dans ce traité, les avancées de la construction européenne. Il s'agit d'avancées non seulement sur le plan juridique, avec l'attribution de la personnalité juridique à l'Union européenne ou la reconnaissance du citoyen de l'Union comme sujet de droit, mais également, comme Jacques Blanc l'a évoqué tout à l'heure, sur le plan politique.
D'autre part, il est exact de souligner que ce texte est, formellement, un traité interétatique.
Il est important de le redire, les Etats restent le fondement juridique de l'Union européenne, laquelle n'aura pas la compétence de définir sa propre compétence et ne disposera pas de pouvoirs de contrainte sur ses membres. Enfin, le traité comporte des stipulations réaffirmant le caractère interétatique de la construction européenne.
Monsieur le rapporteur, vous avez aussi très justement souligné le fait que coexisteront deux ordres : l'ordre juridique communautaire, dans lequel le traité sera la norme supérieure, et l'ordre juridique interne, dans lequel, comme l'a jugé le Conseil constitutionnel le 19 décembre 2004, la Constitution reste la « norme juridique suprême ». A cet égard, les juridictions nationales font et feront prévaloir notre Constitution sur ce traité, comme sur tout autre, ce qui me semble de nature à rassurer chacun, quelles que soient les interprétations du juge communautaire sur la portée de la Charte des droits fondamentaux.
Mme Borvo Cohen-Seat a critiqué la Charte, en redoutant qu'elle ne constitue un recul par rapport à nos valeurs, par exemple sur le principe de laïcité.
M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. Oh !
M. Dominique Perben, garde des sceaux. De ce point de vue, la décision du Conseil constitutionnel est de nature à nous rassurer puisque ce dernier a écarté de telles craintes. Il a relevé que le traité pose que les droits énoncés par la Charte doivent être « interprétés en harmonie avec les traditions constitutionnelles nationales ». Or ces traditions incluent, comme l'ont jugé le Conseil constitutionnel et la Cour européenne des droits de l'homme, ce principe de laïcité. Par conséquent, madame la sénatrice, votre crainte n'est pas fondée.
Monsieur Masseret, s'agissant toujours de la portée du traité, vous avez regretté que l'approfondissement de l'Union européenne ait suivi son élargissement.
Pour comprendre le sens des évolutions, reportons-nous quelques années en arrière. Rappelons-nous l'effondrement du mur de Berlin et la réunion, les retrouvailles de l'Europe, et la force qui a été la leur ! Comment pouvions-nous, à ce moment-là, refuser l'élargissement ? Cela n'avait pas de sens et n'était donc pas possible. Les nouvelles démocraties avaient un tel appétit de rejoindre l'Union européenne qu'il y avait une sorte d'exigence morale à leur en ouvrir les portes. C'est donc en se souvenant du déroulement historique que nous pouvons comprendre la priorité qui a été donnée à l'élargissement.
Quant à l'approfondissement, M. Paul Girod vient de le dire à l'instant, nous y sommes ! En tant que ministre de la justice, confronté depuis bientôt trois ans à la pratique des conseils des ministres de la justice et de l'intérieur, au cours desquels les décisions sont prises à l'unanimité, je ressens à chaque fois la nécessité de passer à un autre mode d'organisation permettant d'avancer sur des sujets très importants pour la vie quotidienne de nos concitoyens. En ce sens, l'adoption de la règle de la majorité qualifiée constitue une réponse pertinente, car cela nous permettra d'aller de l'avant et d'approfondir la construction européenne. (Applaudissements sur plusieurs travées de l'UMP.)
M. Bizet a souligné les avancées permises par le traité, avec, entre autres, la disparition des trois piliers, en particulier du troisième pilier que je viens d'évoquer.
Mme Voynet a rappelé à juste titre la nécessité de modifier les processus des décisions européennes. Il est évident que, dans une Europe à vingt-cinq, nous devons travailler autrement. Il suffit d'ailleurs d'entrer dans la salle où se tiennent les conseils des ministres, avec vingt-cinq Etats représentés autour de la table, pour comprendre « physiquement » que l'organisation doit être différente : c'est en effet non plus une salle de réunion pour des négociations intergouvernementales, mais quasiment une petite assemblée, ce qui rend nécessaire de prendre les décisions différemment. Or ce traité, grâce à son élaboration par la Convention, qui a été rappelée à juste titre par un certain nombre d'orateurs, permet une telle avancée.
S'agissant de l'extension des compétences et de l'ampleur des actions européennes, elles nécessitent depuis longtemps une meilleure association des parlements, comme l'ont rappelé très justement un certain nombre d'intervenants, notamment Mme Voynet.
Concernant la portée de la révision, vous avez souligné, monsieur de Rohan, que les résolutions votées par le Parlement ne doivent pas modifier les équilibres entre les pouvoirs exécutif et législatif. Selon vous, « il n'y a jamais eu de diplomatie parlementaire ».
Ces considérations ont conduit le Gouvernement à repousser quelques amendements, tout en comprenant la nécessité de ce qui a été souhaité par un certain nombre de parlementaires au cours du débat, à savoir la recherche d'une bonne articulation entre les travaux du Gouvernement et du Parlement, qui doivent être réalisés en commun, s'agissant de l'élaboration des actes législatifs européens. Le projet de loi constitutionnelle qui vous est proposé, mesdames, messieurs les sénateurs, permet de construire cet équilibre.
M. Fauchon a évoqué plus particulièrement l'article 88-4. Il a souhaité que, sur demande de la conférence des présidents, tout projet d'acte européen soit transmis au Parlement et puisse faire l'objet d'une résolution. Or le Gouvernement ne souhaite pas, je le répète, que, à l'occasion de cette modification constitutionnelle qui vise l'association du Parlement national au fonctionnement de l'Union européenne, il y ait une modification de l'équilibre interne français entre les pouvoirs exécutif et législatif.
Pour autant, le Gouvernement a fait des propositions et a accepté un certain nombre de suggestions qui permettent le renforcement des prérogatives du Parlement en la matière. Vous le savez, deux voies ont été ouvertes.
Il s'agit, d'une part, de l'adoption à l'Assemblée nationale d'un amendement relatif à la transmission au Parlement des actes législatifs européens et à la possibilité de voter des résolutions sur ces actes, même s'ils ne relèvent pas du domaine de la loi au sens de la Constitution de 1958.
Il s'agit, d'autre part, de l'engagement très ferme pris par le Premier ministre sur la modification des modalités de transmission des documents au Parlement, lesquelles étaient régies jusqu'à présent par une circulaire de 1999. Cette circulaire sera modifiée : la transmission deviendra la règle, et l'absence de transmission, l'exception, même si les documents concernés ne relèvent pas du domaine législatif européen.
M. Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne, vous a invités, mesdames, messieurs les sénateurs, à innover pour le traitement des affaires européennes, y compris en permettant aux délégations pour l'Union européenne de voter des résolutions sur le fondement des articles 88-4 et 88-5.
Je veux dire, comme l'a d'ailleurs suggéré M. Haenel lui-même, que cette question n'est pas de nature constitutionnelle. Elle relève aujourd'hui, comme ce sera également le cas demain, après l'adoption du traité, de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, d'une part, et du règlement intérieur de chaque assemblée, d'autre part.
Je tiens à indiquer à MM. Hubert Haenel et Jacques Blanc que le projet de loi constitutionnelle n'interdit pas de confier aux délégations le pouvoir de voter des résolutions. Il est exact que cela apporterait sans doute de la souplesse au fonctionnement de votre assemblée. Quoi qu'il en soit, ces choix vous appartiendront après le vote de la présente révision, car le texte constitutionnel n'interdit pas une telle option.
M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. Parfait !
M. Dominique Perben, garde des sceaux. Mme Boumediene-Thiery a critiqué la saisine préalable du Conseil constitutionnel, ce qui, je ne vous le cache pas, m'a quelque peu étonné puisqu'il s'agissait d'une obligation pour le Président de la République. Ce dernier, en effet, se doit de respecter les articles de la Constitution, en particulier l'article 54 selon lequel l'autorisation de ratifier un traité ne peut intervenir qu'après la révision des dispositions constitutionnelles auxquelles ce traité a été jugé contraire par le juge constitutionnel.
Cette saisine était donc un préalable nécessaire pour engager l'ensemble du processus : avis du Conseil constitutionnel, révision préalable de la Constitution, puis, éventuellement, ratification du traité constitutionnel européen.
A propos de la portée de la révision, M. Portelli a qualifié le projet de loi constitutionnelle de « minimaliste ». Or la rédaction de l'article 88-1 témoigne d'une véritable ambition. En effet, au lieu d'établir une liste des compétences transférées, cet article se réfère purement et simplement au traité lui-même, en disposant que, « dans les conditions fixées par le traité..., la République française participe à l'Union européenne... » .
Certes, monsieur Portelli, le traité établissant une Constitution pour l'Europe est une étape décisive de la construction européenne. Le Parlement, notamment, doit s'y adapter, puisqu'il est désormais largement associé à la préparation et au contrôle des actes de l'Union européenne.
S'agissant toujours de la portée de la révision constitutionnelle, M. Jacques Blanc a justement souligné les « avancées formidables », notamment celles qui visent à rapprocher l'Europe des citoyens. Je crois effectivement que c'est l'une des questions centrales.
Je ne peux d'ailleurs que me réjouir, avec beaucoup d'entre vous, du fait que ce second traité de Rome apporte enfin des réponses à des questions que nous nous posons publiquement, les uns et les autres, depuis bien longtemps, sur la nécessité d'une Europe plus proche des citoyens, grâce à une association plus directe des élus nationaux au fonctionnement de l'Union européenne. Il est vrai, toutefois, que le Parlement et le Gouvernement devront mettre en oeuvre concrètement ce traité, afin de le faire « vivre ».
Peut-être pouvons-nous penser - mais ayant été, il n'y a pas si longtemps, parlementaire, je ne me permettrai ni un conseil ni une leçon -, au vu du nombre de documents transmis au Parlement et du peu de résolutions qui sont votées, qu'il y a mieux à faire, plus d'initiatives à prendre et plus de propositions à formuler. (M. le président de la délégation pour l'Union européenne acquiesce.) Cela nécessiterait, bien sûr, des efforts d'organisation, car les assemblées sont déjà submergées, nous le savons bien, par des ordres du jour extrêmement lourds. Au demeurant, j'ai indiqué tout à l'heure à M. Haenel que les choix concernant cette organisation incomberont aux deux assemblées.
Monsieur Frimat, vous avez critiqué les articles 2 et 4 du projet de loi constitutionnelle qui sont relatifs à l'organisation d'un référendum pour les adhésions futures à l'Union européenne, ce qui me paraît paradoxal.
En effet, comment ne pas dire aujourd'hui aux Français, au moment où ils vont être interrogés sur le traité de Rome signé en octobre dernier, qu'ils pourront également se prononcer sur les adhésions futures à l'Union européenne ? Nous savons bien, puisque la politique est l'art du concret et du réel, que nos concitoyens s'interrogent aussi sur cette question. Leur donner la certitude qu'ils pourront s'exprimer, le jour venu, sur une question qu'ils se posent, qu'on le veuille ou non, est une attitude à la fois réaliste et propice à l'adoption du traité constitutionnel européen.
M. Badinter a également critiqué les articles 2 et 4 du projet de loi constitutionnelle. Comme il l'a dit lui-même, cette critique rejoint celle qu'il fait sur la nature même du référendum. Même si je ne vais pas rouvrir le débat sur un sujet aussi vaste, je tiens à dire que je ne partage pas une telle réticence à l'égard de cette expression directe de la démocratie. Nous devons, selon moi, prendre en compte le fait que les Français souhaitent se prononcer sur une éventuelle adhésion. Il me semble raisonnable et nécessaire de leur garantir ce moyen d'expression.
Monsieur Mauroy, vous avez avec force et raison souligné que le débat sur l'adhésion de la Turquie n'est pas celui de la présente révision constitutionnelle. Comme M. Baylet, vous avez fait part de vos convictions en la matière.
Quoi qu'il en soit, je souhaite vous remercier d'avoir bien distingué les deux questions. Il reviendra au peuple français de décider sur ces deux points, dans quelques semaines pour le traité constitutionnel européen, et dans dix ou quinze ans pour la question turque.
Mettons tout en oeuvre, comme vous l'avez suggéré, monsieur Mauroy, pour que nos concitoyens répondent bientôt positivement au référendum sur le traité constitutionnel. Il y va de l'avenir de l'Europe. Tous ceux qui partagent votre conviction sur la nécessité de poursuivre la construction européenne ne peuvent que suivre votre conseil.
M. Mercier a également critiqué la modification constitutionnelle relative à l'organisation d'un référendum pour l'adhésion de nouveaux Etats.
Quoi qu'il en soit, je souhaite répondre à l'une de ses interrogations, en lui apportant une précision. Dans l'expression « traité relatif à l'adhésion d'un Etat à l'Union européenne », l'utilisation du singulier a une valeur non pas quantitative mais générique, comme c'est également le cas à plusieurs reprises dans la Constitution de 1958. Cela englobe bien sûr le cas où le traité porterait sur l'adhésion de plusieurs Etats : il n'y aurait évidemment alors qu'un seul référendum, comme ce fut le cas, même si nous avons oublié cet épisode, lors de l'adhésion de la Grande-Bretagne.
Monsieur Retailleau, vous avez critiqué la construction même de l'Union européenne et le nouveau traité, en dénonçant plus particulièrement la directive Bolkestein.
Puisque cette directive a été évoquée à plusieurs reprises, je ne peux pas manquer d'apporter quelques informations au Sénat sur ce sujet.
Tout d'abord, cette directive - je le redis mais c'est une évidence - n'a rien à voir avec le nouveau traité.
Ensuite, il s'agit d'un projet. Depuis qu'il est élaboré au sein de la Commission, j'ai alerté depuis bientôt un an mes homologues européens ainsi que les représentants des professions juridiques, qui relèvent de ma responsabilité.
Cet avant-projet n'en est qu'à sa phase de prérédaction et, voilà quelques semaines, le Président de la République et le Gouvernement ont demandé à la Commission la « remise à plat » de ce projet. Ils ont obtenu satisfaction. Ne doutez pas de notre vigilance pour la suite de ces travaux.
M. Seillier a insisté sur la nécessaire mise en oeuvre du principe de subsidiarité, sujet d'ailleurs évoqué par plusieurs orateurs. Il est exact que les innovations du traité, qui comprend deux protocoles annexés sur ce point, sont importantes. L'article 88-5 va également dans le même sens.
Pour conclure ces brèves réponses, mesdames, messieurs les sénateurs, je souhaite revenir d'un mot sur le caractère extraordinairement positif de la construction européenne, de l'aventure européenne : pour notre génération et pour celles qui sont à venir, c'est un projet extraordinaire, un horizon nouveau.
M. Paul Girod a eu raison de rappeler avec émotion le sens profond de réconciliation qu'a la construction européenne : cette dernière a en effet permis la réconciliation franco-allemande, puis la réconciliation entre l'Europe de l'Ouest et l'Europe de l'Est, et la construction d'un pôle démocratique, d'un pôle de liberté, d'un pôle représentant une certaine conception de la solidarité sociale. Tout cela mérite bien que nous fassions un nouveau pas en direction d'une plus grande construction de l'Europe.
Voilà, au-delà du projet de loi constitutionnelle que je vous présente, mesdames, messieurs les sénateurs, le sens profond de notre débat d'aujourd'hui. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus la parole ?...
La discussion générale est close.
Motion d'ordre
Mme la présidente. Mes chers collègues, avant d'aborder l'examen de la motion tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité, je voudrais soumettre au Sénat une motion concernant les modalités de discussion de l'article 3.
Cet article, qui rédige le futur titre XV de la Constitution, fait l'objet d'un amendement de suppression n° 49 du groupe CRC et de seize amendements portant sur les articles 88-1 à 88-7 de la Constitution.
L'amendement de suppression a pour effet mécanique de mettre en discussion commune ces seize amendements qui traitent pourtant de sujets différents.
Afin de clarifier notre débat, je vous propose, en accord avec M. le président de la commission des lois, d'examiner séparément l'amendement n° 49 tendant à la suppression de l'article 3, puis, article par article de la Constitution, les seize autres amendements portant sur cet article 3. Notre débat y gagnera ainsi en clarté et en lisibilité.
Il n'y a pas d'opposition ?...
Il en est ainsi décidé.
Mme la présidente. Je suis saisie, par MM. Retailleau et Darniche, d'une motion n° 2, tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l'article 44, alinéa 2, du règlement, le Sénat déclare irrecevable le projet de loi constitutionnelle, adopté par l'Assemblée nationale, modifiant le titre XV de la Constitution (n° 167, 2004-2005).
Je rappelle que, en application de l'article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l'auteur de l'initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d'opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n'excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à M. Bruno Retailleau, auteur de la motion.
M. Bruno Retailleau. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues, alors que le monde est composé presque entièrement d'Etats souverains dont le nombre n'a jamais été aussi élevé, et alors que le premier réflexe des peuples privés hier de liberté, de l'Ukraine à l'Irak, est de reconquérir leur souveraineté, par quel paradoxe voudrait-on qu'aujourd'hui les pays d'Europe sortent de l'histoire en dépassant la figure de l'Etat-nation, qui a pourtant été le lieu naturel de l'exercice de la souveraineté et de la démocratie ?
Bien sûr, nous avons été habitués, depuis quinze ans, à ces révisions incessantes de notre Constitution pour mieux partager, nous a-t-on toujours dit, notre capacité de décision. Mais cette fois-ci, l'ampleur des modifications qu'on veut nous faire admettre est telle que la nature même de notre logiciel institutionnel en sera affectée.
Le traité pour lequel notre Constitution est révisée amputera de façon irréversible et irréparable notre souveraineté, tout en aggravant - c'est ma conviction ! - le déficit démocratique qui caractérise la construction européenne.
Tout d'abord, le traité amputera notre souveraineté par trois mécanismes principaux.
Le premier est celui qui consacre la primauté du droit européen sur toutes nos normes juridiques nationales, même adoptées dans les formes les plus solennelles. L'article I-6 signifie que la Constitution européenne et toutes les autres formes de droit européen ont une autorité supérieure à toutes les formes de droits nationaux, y compris la Constitution.
L'argument selon lequel cette disposition était déjà présente dans la jurisprudence de la Cour de justice du Luxembourg ne tient pas, et ce pour deux raisons : d'abord, cette jurisprudence n'a jamais été inscrite dans un traité et n'a donc jamais été ratifiée explicitement par le peuple français ; ensuite, l'article I-6 étend considérablement la portée de cette jurisprudence forgée dans une Communauté européenne aux compétences techniques et limitées : celles des années soixante et soixante-dix. Dès lors que le droit européen s'appliquera demain à de nouvelles compétences de souveraineté et qu'il sera de plus en plus fixé à la majorité qualifiée, la supériorité de la norme européenne acquerra un tout autre statut.
En constitutionnalisant la jurisprudence de la Cour de justice, on lui confère une autorité constitutionnelle et on prépare l'effacement définitif de notre Constitution.
L'autre argument qu'il faut réfuter est celui de la compatibilité de ce principe de primauté avec notre Constitution, comme l'aurait reconnu le Conseil constitutionnel dans sa décision du 19 novembre dernier.
En réalité, dès qu'un conflit entre la norme interne et la norme européenne se produira, le Conseil constitutionnel perdra la maîtrise de sa jurisprudence sur ce qu'il nomme les « dispositions expresses » de notre loi fondamentale. En effet, c'est tout simplement la Cour de justice de l'Union qui tranchera à terme, et elle se prononcera toujours en faveur d'une vision extensive du droit européen, comme elle l'a toujours fait !
Du reste, tous ceux qui ont lu le rapport Mazeaud préparatoire à la décision historique du 19 novembre dernier - j'espère que vous êtes nombreux dans ce cas ! - n'ont pas toujours été convaincus par l'argumentation juridique du rapporteur. D'ailleurs, lui-même l'a-t-il été ? Il déclare en effet ceci : « Votre rapporteur a beaucoup hésité. La solution qu'il vous proposera n'est pas la plus évidente juridiquement et n'était pas initialement la sienne. »
Le deuxième mécanisme qui contribuera à un affaiblissement de notre souveraineté est la généralisation de la règle de la majorité qualifiée, qui ne permettra plus à l'Etat de contrôler l'exercice de ses compétences souveraines.
Le nouveau système de décision proposé par la Constitution est encore moins favorable à la défense des intérêts de la France. A Nice, notre pays avait, par angélisme, accepté un recul drastique du nombre de ses députés européens en contrepartie du maintien de la parité avec l'Allemagne pour les voix au Conseil. Nouvelle étape, la formule de la double majorité conduira à un nouvel affaiblissement de la France.
La France pèsera donc moins au moment où de plus en plus de décisions, notamment sur les vingt-cinq nouveaux domaines de compétences, seront prises selon la règle de la majorité qualifiée. Cela signifie aussi qu'elle perdra la maîtrise de ses choix et de son destin, en se voyant parfois imposer des décisions contraires à l'intérêt national.
Même pour des compétences pour lesquelles l'unanimité est requise, telle la politique étrangère et de sécurité commune, la PESC, des clauses passerelles permettront, à terme, de faire passer celles-ci dans le champ de la majorité qualifiée. Il suffira alors d'un vote du Conseil à l'unanimité pour faire basculer la PESC dans le champ des votes à la majorité.
Ce type de clause « intégratrice » n'est pas raisonnable. Imaginez un vote à la majorité qualifiée pendant la guerre d'Irak : nos soldats se retrouveraient aujourd'hui engagés dans ce conflit !
Et à quand la suppression du siège de la France au Conseil de sécurité de l'ONU - M. Jacques Baudot y a fait allusion - préconisée par le Parlement européen dans le rapport Laschet ?
Mes chers collègues, ce n'est pas l'unanimité qui crée l'impuissance collective. L'expérience a montré que les plus grands succès européens - Airbus, Ariane, le CERN - ont été ceux de la coopération intergouvernementale.
Le troisième mécanisme d'affaiblissement de notre souveraineté est le transfert massif de compétences, qui transforme la souveraineté française en une coquille vide.
Avec la fusion des trois piliers, des compétences essentielles qui affectent l'exercice de la souveraineté nationale, comme la PESC ou encore l'espace de liberté, de sécurité et de justice, seront définitivement transférées.
Au passage, la clause de sauvegarde de l'accord de Schengen qui permettait à un Etat membre de rétablir unilatéralement le contrôle à ses frontières a disparu. Le Président de la République, Jacques Chirac, a d'ailleurs utilisé cette faculté voilà quelques années.
C'est simple, Bruxelles va pouvoir se mêler de tout, ou de presque tout : de sport, de tourisme ou encore de protection civile. C'est aussi la loi européenne qui définira les principes et les conditions qui permettront aux services publics d'accomplir leurs missions ; c'est elle qui fixera les politiques d'immigration et de gestion des frontières extérieures. Elle s'arroge même le droit, dans l'article III-168, de dire aux Etats membres comment intégrer chez eux les ressortissants des pays tiers.
Mais le transfert le plus lourd de conséquences résultera peut-être de la « constitutionnalisation » de la Charte des droits fondamentaux. Avec elle, l'Union gagne la compétence de définir les droits applicables à ses citoyens, puisqu'on crée une citoyenneté européenne. Bien sûr, il est proclamé que cette Charte ne concerne que les institutions de l'Union. Mais c'est un leurre ! Dès qu'il y aura un conflit entre les interprétations - je pense, par exemple, au principe de laïcité -, c'est la Cour de justice qui aura le dernier mot.
En tout état de cause, trois catalogues de droits vont désormais se chevaucher : la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, la Convention européenne des droits de l'homme et la Charte. Pierre Mazeaud a affirmé ceci dans son rapport préparatoire : « Je tiens cette initiative pour inutile et dangereuse du point de vue de la sécurité juridique ».
Et pour ceux qui auraient encore des doutes sur cette dérive « intégratrice » et sur la conception du principe de subsidiarité, je citerai deux exemples.
Le premier exemple concerne l'article I-12, qui donne cette très belle définition des compétences partagées : les Etats pourront intervenir dans ces domaines pour peu que l'Union refuse de le faire. C'est le principe de subsidiarité inversé !
Le second exemple est celui de la clause de flexibilité - il s'agit de l'article I-18 -, qui facilite l'extension des compétences de l'Union.
Le projet constitutionnel contient de très nombreux articles pour étendre toujours plus les compétences de l'Union, mais pas un seul pour rendre des compétences aux Etats. Est-ce vraiment cela la définition du principe de subsidiarité ?
La direction est désormais claire, et elle est univoque. Si telle est votre conviction, il faudra le dire clairement aux Français ! Le principe directeur de la Constitution est d'installer un pouvoir de décision central supranational et un noyau fédéral.
Mais lorsqu'on affaiblit la souveraineté nationale, on affaiblit aussi la démocratie. L'une et l'autre sont en effet indissociables ! C'est d'ailleurs tout le sens de l'article 3 de la Constitution de 1958.
Le déficit démocratique de cette construction européenne lui est consubstantiel. Tant qu'il n'y aura pas un seul peuple européen, il n'y aura pas de démocratie européenne. Tant que le sentiment européen ne sera pas assez fort pour relayer les solidarités forgées par des siècles d'histoire, il sera dangereux de marginaliser les démocraties nationales, qui sont les seuls remparts contre la mondialisation.
Or ce projet de traité augmente encore le déficit démocratique de l'Union, contrairement au mandat de Laeken.
Si la phrase symbolique de Thucydide, qui devait figurer dans le préambule, a été supprimée, c'est extrêmement révélateur. Je vous la rappelle, pour le cas où vous l'auriez oubliée : « Notre Constitution est appelée démocratie parce que le pouvoir est entre les mains non d'une minorité mais du plus grand nombre. »
Cette Constitution augmentera le déficit démocratique de l'Union de trois façons.
D'abord, les pouvoirs-clés de l'Union n'ont aucune légitimité démocratique, et on a pris soin de ne pas leur en donner.
Les deux instruments principaux de cet échafaudage supranational sont la Commission et la Cour de justice : la Commission, qui « promeut l'intérêt général de l'Union » - il s'agit de l'article I-26 - et la Cour de justice, juge ultime de la subsidiarité, de l'interprétation de la Charte et de l'arbitrage des conflits, lesquels ne manqueront pas de naître dans l'application du droit interne et du droit européen.
C'est ainsi que l'Union sera dirigée par des autorités indépendantes : non par des élus, mais par des experts. D'ailleurs, on a bien pris soin de faire en sorte que le Président du Conseil, qui pourrait, lui, avoir une légitimité démocratique, ne soit pas un élu.
Et comme si ce n'était pas suffisant, le président du Conseil est concurrencé, notamment en matière de représentation extérieure de l'Union, par le ministre des affaires étrangères - la délimitation des compétences est encore très floue - et par le président de la Commission avec lequel il sera contraint de préparer les travaux du Conseil.
Ce cadre juridique constitutionnel découle, en fait, d'une idée fausse, quoique moderne : la bonne gouvernance passe par l'indépendance. Mais, mes chers collègues, il ne peut y avoir de démocratie là où le peuple est gouverné par des autorités indépendantes, là où, comme le disait hier Tocqueville, « il est conduit par ceux qui, sans le représenter, savent quel est son plus grand bien ».
Je vous le concède, la tentation actuelle est sans doute moins de bâtir un nouvel ordre antidémocratique que d'élaborer un ordre post-démocratique. Cette constitution a été inspirée par cette idée post-moderne d'une société civile apolitique prise en charge par des élites éclairées. Le mouvement dans lequel elle s'inscrit signifie la dépolitisation de la vie des peuples, c'est-à-dire la réduction de leur existence collective aux activités de la société civile. Désormais, la communauté des ayants droit remplace la communauté des citoyens : d'où cette avalanche de « droits-créances » dans la Charte, d'où cette référence constante aux droits des minorités, qui est la négation de la tradition républicaine française, laquelle ne reconnaît que des citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion !
Le déficit démocratique est ensuite aggravé par la violation du principe de la séparation des pouvoirs.
La séparation, l'équilibre et la transparence des pouvoirs sont les critères d'identification d'une démocratie. C'est d'ailleurs la première exigence formulée pour la reconnaissance d'un nouvel Etat, notamment sur le plan international.
Le traité tend à instituer un pouvoir aux compétences régaliennes de plus en plus larges, qui édictera ses lois sans que les fonctions législatives et exécutives soient clairement séparées et sans identification précise et claire des responsabilités politiques.
La confusion est même totale puisque la Commission, tout en étant l'organe exécutif principal, bénéficie du monopole absolu d'initiative législative : cette compétence exclusive acquiert une redoutable efficacité du fait de l'extension des compétences de l'Union combinée avec la règle de la majorité qualifiée.
Enfin, le déficit démocratique est accentué par la marginalisation soigneuse des démocraties nationales.
Je voudrais ici insister sur le rôle des parlements nationaux et sur les clauses passerelles.
On proclame partout, y compris dans cet hémicycle, que le protocole n° 1 garantit un rôle nouveau des parlements nationaux. Qu'en est-il vraiment ? Certes, les parlements pourront disposer de deux innovations principales : le droit d'opposition à la procédure de révision simplifiée du traité et ce que j'appellerai le mécanisme de l'« alerte précoce » pour garantir le principe de subsidiarité.
Mais il faut fortement nuancer la portée de ces nouveaux droits. En effet, dans le premier cas, c'est bien le moins qu'un Parlement puisse s'opposer à une révision simplifiée dans la mesure où le peuple souverain ne serait pas consulté. Dans le second, il s'agit d'une disposition trompe-l'oeil puisque les avis motivés des parlements concernant le principe de subsidiarité seront, si j'ose dire, subsidiaires. Le dernier mot appartiendra soit à la Commission, en vertu de l'article I-11, soit à la Cour de justice, selon l'article 8 du protocole n° 2, cette dernière demeurant l'arbitre ultime de la subsidiarité. D'ailleurs, la position des juges de Luxembourg est connue d'avance.
En résumé, les parlements gagnent le pouvoir de donner des avis et ils perdent celui de faire la loi puisque la loi française sera, dans la plupart des cas, un simple décret d'application de la loi européenne.
Quant aux nombreuses clauses passerelles qui émaillent l'ensemble du traité, elles n'ont d'autre objet que de permettre un glissement vers des formules de plus en plus supranationales, permettant d'échapper au contrôle démocratique, c'est-à-dire de s'affranchir des règles de révision normales du traité.
Il est donc évident que ce texte aggrave les déficits démocratiques de l'Union. Le rêve prométhéen d'une démocratie européenne vaut-il que l'on sacrifie les démocraties nationales tant que le peuple européen n'existe pas ?
C'est pourquoi, dans la mesure où la portée du traité sera définie, demain, par la Cour de justice, dont la jurisprudence a toujours tendu vers la suprématie de l'ordre juridique communautaire, notre Constitution sera placée sous la tutelle des juges européens.
Ce traité appelle donc non pas une révision de notre Constitution, mais l'avis du peuple français sur son abrogation de fait.
Pour l'ensemble de ces raisons, ce projet de loi constitutionnelle me paraît irrecevable.
Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?
M. Patrice Gélard, rapporteur. Toute l'argumentation de notre collègue repose sur l'application de l'article 44, alinéa 2, du règlement du Sénat, en vertu duquel il est possible de déposer une motion tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité lorsque le texte en discussion « est contraire à une disposition constitutionnelle, légale ou réglementaire... ».
Je suis au regret de dire que cette motion est contraire à notre Constitution et, par conséquent, irrecevable. Dès lors, il convient de la rejeter. Comme l'a reconnu le Conseil constitutionnel, le constituant a tous les pouvoirs possibles. A cet égard, je ferai simplement référence au débat qui a opposé, au sein de la commission, MM. Rousseau et Badinter. Il est sans doute un seul cas dans lequel cette motion tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité pourrait être adoptée : si le projet de loi constitutionnelle portait atteinte à la forme républicaine du Gouvernement.
Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. Je mets aux voix la motion n° 2, tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité.
Je rappelle que l'adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi constitutionnelle.
(La motion n'est pas adoptée.)
Question préalable
Mme la présidente. Je suis saisie, par Mme Borvo Cohen-Seat, M. Bret, Mmes Assassi et Beaufils, MM. Billout et Coquelle, Mmes David, Demessine et Didier, MM. Fischer, Foucaud, Hue et Le Cam, Mmes Luc et Mathon, MM. Muzeau, Ralite, Renar, Vera, Voguet, Biarnès et Autain, d'une motion n° 1, tendant à opposer la question préalable.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l'article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi constitutionnelle adopté par l'Assemblée Nationale, modifiant le titre XV de la Constitution (n° 167, 2004-2005).
Je rappelle que, en application de l'article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l'auteur de l'initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d'opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n'excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à M. Robert Bret, auteur de la motion.
M. Robert Bret. Avant de commencer mon intervention, je souhaiterais formuler une observation concernant le déroulement des débats.
Cela n'a vraiment aucun sens d'examiner, comme nous le faisons au Sénat - contrairement à ce que fait l'Assemblée nationale - les motions de procédure après la discussion générale, ...
M. Jean-Pierre Sueur. Vous avez tout à fait raison !
M. Robert Bret. ... a fortiori à cette heure tardive.
Ce n'est pas la première fois que nous demandons la refonte de notre règlement intérieur pour résoudre ce problème et faire en sorte que la méthode et le fond se rejoignent.
M. Charles Revet. C'est juste !
M. Guy Fischer. Il a raison !
M. Robert Bret. Mes chers collègues, nous avons à examiner un texte d'une importance fondamentale pour l'avenir de la France et de la construction européenne.
Autant dire que ce projet de révision constitutionnelle mérite toute notre attention et que l'ensemble de nos concitoyens auraient dû être informés plus largement sur son contenu et sa portée.
Formellement, ce texte constitue la première étape vers l'adoption ou le rejet du traité établissant une Constitution pour l'Europe, sur lequel nos concitoyens auront à se prononcer dans les prochains mois. Rappelons que ce projet de révision constitutionnelle intervient à la suite de la déclaration d'inconstitutionnalité rendue par le Conseil constitutionnel, en date du 19 novembre 2004. Celui-ci a en effet considéré que la ratification du traité constitutionnel nécessitait une révision préalable de notre Constitution.
L'article 89 de la Constitution française de 1958 organise la procédure de révision constitutionnelle. Cet article dispose : « [...] Le projet ou la proposition de révision doit être voté par les deux assemblées en termes identiques. La révision est définitive après avoir été approuvée par référendum.
« Toutefois, le projet de révision n'est pas présenté au référendum lorsque le Président de la République décide de le soumettre au Parlement convoqué en Congrès ; dans ce cas, le projet de révision n'est approuvé que s'il réunit la majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés [...]. »
En somme, mes chers collègues, c'est le peuple qui devrait adopter, en principe, le texte par référendum.
Ainsi, il aurait été tout à fait raisonnable de choisir la voie référendaire et de coupler la révision de notre Constitution et la ratification du traité constitutionnel dans le cadre d'un seul et même référendum. Cela semble rationnel si l'on considère que l'objectif de la révision de la Constitution est précisément d'autoriser la ratification du traité constitutionnel.
Or le Gouvernement, à ce moment crucial de la construction européenne, a décidé de déroger à la règle de principe du recours à l'option référendaire au profit de la voie parlementaire.
En tout état de cause, la procédure choisie par le Gouvernement subtilise ce projet de loi à la réflexion citoyenne et alimente le déficit démocratique qui gangrène, comme on le sait, la construction européenne.
Le constat lucide du déficit démocratique qui marque la construction européenne est confirmé par ce projet de loi constitutionnelle et par le traité constitutionnel.
La notion de déficit démocratique qui caractérise la construction européenne renvoie au déséquilibre du système institutionnel communautaire. Elle constitue également une réflexion sur le contrôle exercé par le Parlement français sur l'activité communautaire du Gouvernement. Enfin, elle montre le fossé qui existe entre les décideurs et les citoyens.
A l'échelle communautaire, le déficit démocratique s'exprime tout particulièrement dans le fonctionnement du système institutionnel communautaire, qui ne recouvre pas la traditionnelle répartition des pouvoirs. Le Conseil, guidé par une Commission indépendante et supranationale disposant du monopole des propositions législatives, n'est soumis à aucun contrôle de nature politique de la part du Parlement européen. Le système n'est donc pas démocratique à l'origine. Il fait encore la part belle à la Commission et au Conseil des ministres.
Aujourd'hui, le constat que l'on peut faire est que la moitié des lois qui influent sur notre vie quotidienne de parlementaires sont issues de règlements ou de directives européennes. Or ces décisions qui s'imposent à nous proviennent de l'institution technocratique par excellence : je pense naturellement à la Commission européenne. Celle-ci détient un monopole en matière d'initiative des textes communautaires législatifs et bénéficie d'un pouvoir de décision autonome sur des questions aussi sensibles que le droit de la concurrence.
Or, non seulement les membres de la Commission n'ont aucune légitimité démocratique, mais, en outre, ils travaillent en étroite collaboration avec les multinationales européennes et internationales. On le sait, le lobbying est une méthode de travail privilégiée à Bruxelles. Les intérêts privés ont droit de cité et semblent même prévaloir sur l'intérêt général de nos peuples. Il suffit de lire la directive Bolkestein pour s'en convaincre définitivement.
A l'échelon national, le transfert de compétences nationales au profit des institutions européennes entraîne mécaniquement une régression des pouvoirs législatifs et financiers de nos assemblées. Or, dans le même temps, les gouvernements, au sein du Conseil des ministres, récupèrent des compétences nationales transférées, en participant à l'élaboration des décisions européennes. A cet égard, le traité constitutionnel et le projet de loi constitutionnelle semblent, à première vue, apporter une évolution positive sur le rôle des parlements nationaux dans le processus décisionnel communautaire. Malheureusement, force est de constater que les prérogatives reconnues aux parlements nationaux sont absolument insuffisantes.
Tout d'abord, rappelons que les résolutions votées dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution n'ont aucun caractère contraignant. Les résolutions parlementaires sont de simples prises de position sans pouvoir de contrainte. A la suite de l'adoption d'une résolution, le Gouvernement n'a d'obligation que celles qu'il veut bien se donner. L'effet des résolutions dépend donc de la volonté du Gouvernement. C'est pourquoi nous regrettons aujourd'hui que les résolutions votées dans le cadre de la procédure de l'article 88-4 de la Constitution ne confient pas de mandat impératif au Gouvernement, comme c'est le cas, par exemple, au Danemark.
M. Josselin de Rohan. Ce serait beau !
M. Robert Bret. S'agissant de l'évolution relative à l'application du principe de subsidiarité, on nous affirme que le protocole n° 2 annexé au traité constitutionnel fait des parlements nationaux les nouveaux garants du respect de ce principe. Le principe de subsidiarité signifie que, dans les domaines qui ne relèvent pas de sa compétence exclusive, l'Union n'intervient que si les objectifs de l'action envisagée ne peuvent être atteints de manière suffisante par les Etats membres, mais qu'ils peuvent être remplis à l'échelle de l'Union.
Le traité constitutionnel européen énonce, dans ses articles I-11 et I-259, que « les parlements nationaux veillent [...] au respect du principe de subsidiarité... ». A cette fin, le texte proposé par l'article 3 du projet de loi constitutionnelle pour l'article 88-5 de la Constitution dispose : L'Assemblée nationale ou le Sénat peuvent émettre un avis motivé sur la conformité d'un projet d'acte législatif européen au principe de subsidiarité. [...]
« Chaque assemblée peut former un recours devant la Cour de justice de l'Union européenne contre un acte législatif européen pour violation du principe de subsidiarité. [...]
« A ces fins, des résolutions peuvent être adoptées [...]. »
Loin de partager l'enthousiasme de certains sur l'apport de cette disposition, nous tenons à souligner que le contrôle du respect du principe de subsidiarité susceptible d'être exercé par les deux assemblées connaît des limites à la fois temporelles et matérielles.
En effet, le premier alinéa du nouvel article 88-5 est censé organiser le volet préventif de la procédure. Or l'avis motivé que chaque chambre d'un parlement national peut adresser aux institutions de l'Union européenne pour exposer les raisons pour lesquelles elle estime qu'un projet d'acte législatif européen ne respecte pas le principe de subsidiarité doit être formulé dans un délai de six semaines à compter de la transmission de ce texte. Pour faire court, on ne fait pas mieux !
En outre, cet avis ne peut concerner que les domaines de compétences partagées entre l'Union et les Etats membres et ne doit pas porter sur le bien-fondé du texte ou le respect du principe de proportionnalité. De plus, il ne peut faire l'objet d'amendements.
En clair, cet avis motivé, que certains nous présentent aujourd'hui comme un véritable pouvoir de contrôle politique - on parle de carton jaune, de carton rouge ! -, n'en est a priori pas un.
Rappelons que les avis motivés doivent représenter un tiers des voix attribuées aux parlements nationaux pour que l'institution à l'origine du projet d'acte législatif soit obligée de procéder à un réexamen de sa proposition. Ensuite, à l'issue de ce réexamen, l'institution est libre de choisir de maintenir tout de même sa position.
Pour notre part, nous considérons, au contraire, qu'une majorité de parlements nationaux devrait avoir le dernier mot si elle estime qu'une mesure européenne méconnaît précisément le principe de subsidiarité ; or ce n'est pas ce qui nous est proposé.
Par ailleurs, des incertitudes subsistent quant à la définition des critères d'appréciation de la subsidiarité. En réalité, l'appréciation du niveau pertinent de l'action publique est un problème non pas juridique mais politique.
En effet, dès lors que le principe de subsidiarité paraît une orientation nécessaire du point de vue tant de l'efficacité que de la démocratie, on peut se demander pourquoi son application par les institutions communautaires continue à soulever d'importantes difficultés et n'est pas plus présente parmi les préoccupations des Etats membres. N'est-elle pas, pourtant, dans l'intérêt bien compris de la Communauté ?
Concrètement, l'insuffisante application du principe de subsidiarité résulte en grande partie du fait que les institutions communautaires, en l'absence de tout contrepoids, tendent inéluctablement à élargir constamment leur champ d'action. Et s'agissant de ce que l'on nous présente comme la phase de contrôle juridictionnel en aval de l'adoption d'un texte - tel est le sens de l'article 8 du protocole et de l'article 3, pour le texte de l'article 88-5, deuxième alinéa, du projet de loi -, il convient de rappeler que la possibilité offerte à chacune des deux chambres de saisir la Cour de justice d'un recours pour violation du principe de subsidiarité est enserrée, elle aussi, dans un délai de deux mois, les rares décisions rendues en la matière par la Cour montrant qu'elle n'exerce qu'un contrôle de l'erreur manifeste d'appréciation des institutions de l'Union européenne.
Par ailleurs, le pouvoir reconnu, par le texte proposé pour l'article 88-6 de la Constitution par l'article 3 du projet de loi constitutionnelle, aux parlements nationaux de s'opposer à la mise en oeuvre de la procédure de révision simplifiée, laquelle met en cause « les conditions essentielles de la souveraineté nationale », n'est qu'un pouvoir d'empêchement relatif et ne saurait être en aucun cas un pouvoir de proposition.
D'une part, l'opposition ne peut intervenir que par le biais du parlement national, c'est-à-dire par la voie d'une motion adoptée en termes identiques par l'Assemblée nationale et le Sénat, ce qui donne à ce dernier un droit de veto quand la majorité de l'Assemblée nationale n'est pas de la même « couleur politique » ; d'autre part, nous contestons que cette procédure ne soit pas soumise au peuple souverain. Le recours à ces clauses passerelles exigerait, selon nous, une consultation des Françaises et des Français.
Mes chers collègues, comment ne pas voir le déficit démocratique qui résulte du fossé béant existant entre les décideurs et les citoyens européens, et ne pas reconnaître que la construction européenne s'est effectuée jusqu'à présent sans eux et loin d'eux ? Tout montre que la promesse démocratique a été abandonnée en chemin.
Lorsque l'autorité passe du niveau national au niveau européen, les citoyens mesurent que les décideurs sont bien loin et que les choses leur échappent sur des points essentiels qui conditionnent pourtant leur vie et leur avenir.
Désarçonnés par un système si différent sui generis, ils délaissent ce qui leur apparaît comme lointain, complexe et technocratique. Que constatent-ils ? Que la construction européenne a fait émerger une « Europe des gouvernements et des administrations », puisque c'est eux qui se sont révélés comme les principaux détenteurs du pouvoir normatif communautaire.
Il est donc urgent de combler ce déficit démocratique. Pour ce faire, nous devons transformer l'Union européenne, la diriger vers toujours plus de démocratie ; pour y parvenir, il convient que les représentants des peuples et les citoyens eux-mêmes se réapproprient le projet européen en exerçant un nouveau contrôle démocratique sur la conduite de la construction européenne.
D'aucuns considèrent que le traité constitutionnel européen comble ce déficit démocratique en faisant place à la démocratie participative, en instituant un droit d'initiative au profit d'un million de citoyens émanant d'un nombre significatif d'Etats membres. L'article I-47-4 du traité énonce que « la Commission peut, sur initiative d'au moins un million de citoyens de l'Union issus d'un nombre significatif d'Etats membres, être invitée à soumettre une proposition appropriée sur des questions pour lesquelles ces citoyens considèrent qu'un acte juridique de l'Union est nécessaire aux fins de l'application de la Constitution ». Reconnaissons qu'il s'agit là d'un très mince progrès !
Contrairement à ce qui est parfois affirmé, cet article n'introduit pas un référendum d'initiative populaire qui entraîne l'adoption d'une décision. En effet, l'initiative ne peut déboucher ni sur un référendum dans l'Union ni même sur son examen obligatoire par le Conseil et le Parlement. Elle est simplement une invitation faite à la Commission de présenter une proposition sous réserve qu'elle entre dans le cadre de ses attributions et qu'elle ait pour but de réaliser un objectif constitutionnel. La Commission peut ne pas donner suite à cette suggestion, et, si elle y donne suite, elle est maîtresse du contenu de sa proposition.
Le problème du déficit démocratique n'est donc pas résolu. Non seulement l'Union européenne est par nature plus éloignée des citoyens que les Etats membres, mais, de plus, elle ne peut avoir le même fonctionnement démocratique que ceux-ci : comme il n'existe pas de « peuple européen », d'« opinion publique européenne », il ne peut exister entre l'Union et ses citoyens le type de rapport politique qui prévaut au sein des Etats membres entre les pouvoirs publics et les électeurs. Mais n'est-ce pas précisément ce que certains recherchent pour mieux mettre en oeuvre les dogmes libéraux qui sous-tendent l'actuelle construction européenne ?
L'Union européenne doit donc redoubler d'efforts pour se rapprocher de ses citoyens et insuffler une dynamique nouvelle.
A cet égard, nous ne comprenons pas pourquoi le droit de vote et d'éligibilité aux élections municipales n'est toujours pas ouvert aux étrangers non communautaires résidant en France depuis au moins cinq ans.
J'en viens à l'obligation de soumettre au référendum les élargissements futurs de l'Union européenne. Le projet de loi constitutionnelle contient en effet un volet introduisant un nouveau type de référendum - cela a fait pour l'essentiel l'objet de la discussion générale -, un référendum obligatoire, afin d'autoriser la ratification des futurs traités d'adhésion à l'Union européenne.
Soulignons que cette obligation s'appliquera dans tous les cas, que le traité constitutionnel entre ou non en vigueur.
Quant à l'article 4 du projet de loi, il prévoit que cette obligation ne s'appliquera pas aux Etats pour lesquels la décision d'ouvrir la négociation d'adhésion avait été prise avant le 1er juillet 2004, à savoir, comme cela a été rappelé, la Bulgarie, la Roumanie et la Croatie.
En revanche, l'adhésion de la Turquie à l'Union européenne fera l'objet d'un référendum, puisque celle-ci n'a été invitée à ouvrir la négociation d'adhésion que le 17 décembre 2004. Il s'agit ici d'une décision pour le moins inique, mais personne n'est dupe : cette disposition n'est que le reflet du traitement discriminatoire réservé à la Turquie, à qui l'on refuse d'appliquer la procédure d'adhésion traditionnellement suivie depuis le début de la construction communautaire.
Le Gouvernement prend prétexte de donner au peuple le pouvoir de se prononcer sur les frontières de l'Union. En réalité, il n'en est rien !
Monsieur le garde des sceaux, si la véritable ambition du Gouvernement était de renforcer la démocratie dans l'Union européenne, comment expliquer ce paradoxe : d'un côté, est institué un référendum obligatoire pour toute autorisation de ratification d'un traité d'adhésion, sans débat parlementaire préalable, alors que, de l'autre côté, le peuple n'est pas consulté pour la mise en oeuvre de la procédure de révision simplifiée qui pourrait conduire à une mise en cause des conditions essentielles de la souveraineté nationale ? C'est aberrant ! Cela signifie que la transformation de l'Union européenne en un Etat fédéral pourrait ne pas être soumise à l'approbation du peuple, tandis que ce dernier serait consulté sur chaque élargissement de l'Union.
Ce paradoxe - telle sera ma conclusion - met en lumière la médiocrité de ce projet de loi qui, dans la lignée du traité constitutionnel européen, relaye le déficit démocratique pour mieux promouvoir la construction d'un grand marché « où la concurrence est libre et non faussée », une Europe de régression sociale, de mise en concurrence des salariés et des peuples.
Mes chers collègues, pour toutes les raisons que je viens de développer, le groupe communiste républicain et citoyen vous invite à adopter cette motion tendant à opposer la question préalable. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?
M. Patrice Gélard, rapporteur. Après avoir écouté attentivement notre collègue Robert Bret, je dirai que sa remarque préliminaire est intéressante ; nous nous la sommes d'ailleurs déjà faite, et, le jour où nous remettrons en chantier l'ensemble de notre règlement, nous pourrons étudier sa proposition.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Encore faudra-t-il ne pas priver les groupes de parole !
M. Patrice Gélard, rapporteur. Nous sommes bien d'accord !
M. Robert Bret. Cela ne dépend que de vous !
M. Patrice Gélard, rapporteur. En ce qui concerne la motion n° 1, l'orateur a développé toute une série d'arguments destinés à montrer pourquoi, à ses yeux, il n'y avait pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi constitutionnelle.
Sans entrer dans le détail, je dirai simplement que, à titre personnel, je ne suis pas tout à fait d'accord avec nombre de ses arguments.
Les auteurs de la motion affirment, dans l'exposé des motifs, que les parlementaires n'ont pas à dessaisir le peuple de sa souveraineté en validant par avance la ratification d'un traité qui, dans les mois à venir, doit être approuvé ou rejeté par voie de référendum.
Je tiens à préciser que, en application même de l'article 54 de la Constitution, nous sommes obligés de réviser préalablement celle-ci avant de ratifier le traité. A défaut, nous en resterions au traité de Nice et nous n'avancerions pas. La modification de la Constitution permet d'aller plus loin. La révision de la Constitution et l'approbation du texte du traité ne peuvent donc intervenir simultanément. Les deux étapes doivent être séparées. Il serait tout au plus envisageable d'organiser deux référendums.
Je ferai une autre remarque. La quasi-totalité de nos révisions constitutionnelles ont été réalisées par la voie du Parlement réuni en Congrès, et non par la voie référendaire. Il est vrai qu'on peut le regretter. Je ne parle pas de nos propositions de révision constitutionnelle, qui n'ont jamais abouti : il n'y a jamais eu, en effet, que des projets de révision constitutionnelle. Le recours direct au référendum en lieu et place du Congrès constituerait-il un progrès ? Je serais assez inquiet sur les perspectives de la révision constitutionnelle si l'on procédait de la sorte.
L'adoption de cette motion tendant à opposer la question préalable aurait pour conséquence d'enterrer le projet de révision constitutionnelle et d'en rester au statut insatisfaisant résultant du traité de Nice. Or, comme l'ont souligné nombre d'orateurs de tous bords au cours de la discussion générale, le traité comporte des avancées importantes.
La commission des lois estime qu'il faut aller de l'avant. Elle ne s'est pas réunie pour examiner la motion, et n'a donc pas prononcé d'avis sur cette dernière. Il n'en demeure pas moins que cette motion est contraire à son point de vue. Par conséquent, à titre personnel, j'émets un avis défavorable. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Je n'interviendrai pas à nouveau sur la motion tendant à opposer la question préalable. Notre collègue Robert Bret a dit un certain nombre d'inexactitudes, s'agissant notamment de la révision simplifiée. Il est faux de prétendre qu'on pourrait priver d'un pouvoir le peuple souverain ou ses représentants si un changement intervenait dans les traités. Il faut être précis.
Nous aurons à examiner notre règlement dans le cadre des nouveaux pouvoirs conférés au Parlement. Faut-il examiner les motions tendant à opposer la question préalable, l'exception d'irrecevabilité ou le renvoi à la commission avant la discussion générale ?
M. Jean-Pierre Sueur. C'est le bon sens !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Je ne suis pas sûr que cela convienne parfaitement pour permettre à tous de s'exprimer, comme cela a été le cas aujourd'hui. L'Assemblée nationale a un système, le Sénat en a un autre. Jusqu'à présent, ce dernier a donné plutôt satisfaction.
M. Jean-Pierre Sueur. Au contraire, il n'a rien de satisfaisant !
M. Robert Bret. Cela fait des années que nous en discutons !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Il nous faut être prudents. Imaginez qu'une motion tendant à opposer la question préalable soit votée : vous seriez alors tous privés de parole, ce qui serait vraiment fort dommage, si j'en juge par les excellents discours que nous avons entendus ce soir.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C'est bien le principe d'une question préalable !
M. Jean-Pierre Sueur. Qu'est-ce qu'une question préalable qui n'est pas préalable ?
Mme la présidente. Je mets aux voix la motion n° 1, tendant à opposer la question préalable.
Je rappelle que l'adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi constitutionnelle.
(La motion n'est pas adoptée.)
Mme la présidente. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.