sommaire
PRÉSIDENCE DE M. Jean-Claude Gaudin
2. Organismes extraparlementaires
3. Démission de membres de commissions et candidatures
MM. Daniel Raoul, Michel Charasse, le président.
5. Services dans le marché intérieur. - Discussion des conclusions du rapport d'une commission
Discussion générale : MM. Jean Bizet, rapporteur de la commission des affaires économiques ; Denis Badré, rapporteur pour avis de la délégation pour l'Union européenne ; Mme Claudie Haigneré, ministre déléguée aux affaires européennes.
Mme Marie-Thérèse Hermange, MM. Michel Mercier, Gérard Le Cam, François Fortassin, Roland Ries, Bruno Retailleau, Jean-Jacques Hyest, Mme Catherine Tasca, MM. Bernard Murat, Francis Grignon.
Clôture de la discussion générale.
MM. Jean-Paul Emorine, président de la commission des affaires économiques ; le président.
Renvoi de la suite de la discussion.
MM. Bernard Frimat, le président.
7. Nomination de membres de commissions
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. Christian Poncelet
Mmes Nicole Borvo Cohen-Seat, Annie David, MM. Jean-Pierre Bel, le président, François Fillon, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche.
9. Avenir de l'école. - Discussion d'un projet de loi d'orientation déclaré d'urgence
Discussion générale : MM. François Fillon, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche ; Jacques Valade, président de la commission des affaires culturelles.
présidence de M. Philippe Richert
MM. Jean-Claude Carle, rapporteur de la commission des affaires culturelles ; Gérard Longuet, rapporteur pour avis de la commission des finances.
M. le président.
Demande de réserve de l'article 8. - MM. le président de la commission, le ministre. - La réserve est ordonnée.
M. André Vallet, Mme Annie David, MM. Bernard Seillier, Yannick Bodin, le ministre, Mmes Monique Papon, Muguette Dini, Gélita Hoarau.
Suspension et reprise de la séance
MM. François Fortassin, Jean-Luc Mélenchon, Jacques Legendre, Mmes Catherine Morin-Desailly, Dominique Voynet, M. Christian Demuynck, Mme Françoise Férat, MM. René-Pierre Signé, Adrien Gouteyron, Yves Dauge, Pierre Martin, David Assouline, Roger Karoutchi, André Lardeux, Jean-Paul Virapoullé, Philippe Goujon, Jean-Pierre Fourcade, Charles Revet.
Clôture de la discussion générale.
Renvoi de la suite de la discussion.
10. Transmission de projets de loi
11. Dépôt d'une proposition de loi
12. Dépôt d'une proposition de résolution
13. Textes soumis au Sénat en application de l'article 88-4 de la Constitution
14. Ordre du jour
compte rendu intégral
PRÉSIDENCE DE M. Jean-Claude Gaudin
vice-président
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PROCÈS-VERBAL
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n'y a pas d'observation ?...
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.
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organismes extraparlementaires
M. le président. J'informe le Sénat que M. le Premier ministre a demandé au Sénat de bien vouloir procéder à la désignation de sénateurs appelés à siéger au sein du Haut Conseil des musées de France, du Conseil d'administration de France 3, de la Commission du fonds national d'archéologie préventive et de la Conférence permanente « habitat-construction-développement durable ».
Conformément à l'article 9 du règlement, j'invite les commissions des affaires culturelles et des affaires économiques à présenter des candidatures.
Les nominations au sein de ces organismes extraparlementaires auront lieu ultérieurement, dans les conditions prévues par l'article 9 du règlement.
3
Démission de membres de commissions et candidatures
M. le président. J'ai reçu avis de la démission de M. Jean Besson, comme membre de la commission des affaires économiques, et de celle de M. Jean-Pierre Bel, comme membre de la commission des affaires culturelles.
Le groupe intéressé a fait connaître à la présidence le nom des candidats proposés en remplacement.
Ces candidatures vont être affichées et les nominations auront lieu conformément à l'article 8 du règlement.
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RAPPELs AU RÈGLEMENT
M. le président. La parole est à M. Daniel Raoul, pour un rappel au règlement.
M. Daniel Raoul. Monsieur le président, je veux revenir sur les conséquences de l'émission qui s'est déroulée hier soir dans cet hémicycle et qui a pour conséquence de retarder nos travaux.
Mon rappel au règlement sur fonde sur l'article 32, en vertu duquel les séances du mardi matin commencent à 9 heures 30.
Pourquoi, chers collègues, commençons-nous nos travaux à 10 heures 30 ? Parce que, précisément, il fallait que notre hémicycle, décor de télévision hier soir, puisse accueillir les débats d'une assemblée parlementaire de la République.
Le président du Sénat se défend que notre assemblée se transforme en « entreprise de spectacle ». Mais force est de reconnaître que la séance publique a dû se plier aux horaires et aux contraintes d'un spectacle audiovisuel.
M. Raymond Courrière. Très bien !
M. Daniel Raoul. Les conséquences sont-elles anecdotiques ? Non, car elles ont conduit à diviser par deux, en le réduisant à une heure, le temps prévu pour la discussion générale des conclusions de la commission des affaires économiques sur les propositions de résolution sur la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative aux services dans le marché intérieur.
Ce temps est manifestement insuffisant compte tenu de l'importance du sujet que nous allons discuter.
Cette directive méritait un débat majeur dans de nombreux pays européens et au Parlement européen ! Le prochain Conseil européen en discutera. On dit que le Président de la République attend de connaître l'avis que prononcera ce matin le Sénat.
Mais le Sénat, lui, doit attendre qu'on lui rende l'usage de ce lieu, hautement symbolique, de la République, réduit à un décor de plateau d'émission de télévision. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. Michel Charasse. Je demande la parole pour un rappel au règlement.
M. le président. La parole est à M. Michel Charasse.
M. Michel Charasse. Mon rappel au règlement est fondé sur les mêmes motifs que ceux que vient d'indiquer mon collègue à l'instant.
Depuis quelque temps, c'est-à-dire trois ou quatre ans, il est courant que l'hémicycle du Sénat soit utilisé pour des événements qui n'ont rien à voir avec les débats parlementaires. Ce sanctuaire qui était jusqu'à présent exclusivement consacré au débat parlementaire, c'est-à-dire à l'élaboration de la loi et au contrôle de l'activité gouvernementale, est désormais, de préférence à la priorité parlementaire, comme vient de le dire mon collègue, utilisé d'une façon habituelle pour des spectacles, des fantaisies et autres qui n'ont rien à voir avec l'institution. (Exclamations sur plusieurs travées.)
M. Dominique Braye. C'est vrai !
M. Michel Charasse. Je m'étonne d'ailleurs que, ce matin, ce ne soit pas M. Ardisson ou M. Drucker qui préside à votre place, monsieur le président. (Sourires.)
J'espère que, à titre de réciprocité, vous serez bientôt admis comme animateur de télévision. Vous gagnerez plus d'argent sans avoir à vous déplacer puisque cela se passe ici ! (Sourires.)
Cela étant, je souhaiterais que la présidence veuille bien envoyer à tous les sénateurs la liste des occupations anormales de la salle des séances en 2004. Je fais la même demande pour le début de l'année 2005. J'ai appris que, dans quinze jours, l'émission d'hier soir recommence. Il y a une suite. En outre, je crois savoir que, samedi prochain, le Rotary international accueillera, ici, dans ce lieu solennel qui est fait pour voter la loi, des gamins qui vont, paraît-il, adopter des motions d'école maternelle.
J'attends maintenant, ici et en direct, le porno du samedi soir... Cela finira par arriver ! Je demande simplement qu'on ne tache pas mon fauteuil. (Sourires.) Je prendrai les précautions nécessaires !
Cela étant, j'aimerais bien, monsieur le président, que les sénateurs reçoivent cette documentation et que le bureau s'intéresse enfin à la question de savoir si l'on peut continuer à utiliser de cette manière l'hémicycle du Sénat, ce qui donne une image désastreuse et dégradante de l'institution. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC. M. Pierre Fauchon applaudit également.)
M. le président. Mes chers collègues, ce problème a été évoqué en conférence des présidents. Sur le fond, peut-être faut-il limiter le nombre des visites dans l'hémicycle. Pour autant, rentrant chez moi hier soir, j'ai branché la télévision et, par hasard, je suis tombé sur l'émission en hommage aux grandes personnalités françaises...
M. Michel Charasse. Sur cette pitrerie !
M. le président. ...qui se déroulait depuis l'hémicycle. Honnêtement, chers collègues, cela ne m'a pas choqué autant que vous.
Comme le Sénat n'est pas aussi connu que nous le souhaiterions, ce genre d'émission attire aussi l'attention sur la Haute Assemblée.
M. Michel Charasse. D'une drôle de façon !
M. le président. Quant aux personnages qui ont été choisis, ils appartiennent tous à l'histoire de notre pays. Si nous avons plus ou moins de considération pour eux, ils appartiennent tous au paysage politique.
M. Raymond Courrière. Il y en a d'autres !
M. Michel Charasse. La salle des séances n'est pas faite pour cela ! Le Palais du Luxembourg n'a pas été attribué aux sénateurs pour y faire des pitreries !
M. le président. Monsieur Charasse, il est rare que je ne sois pas d'accord avec vous. Je n'ai pas eu le sentiment que cette émission ait porté atteinte à la Haute Assemblée. J'ai même eu un sentiment contraire.
M. Michel Charasse. Cela réduit le temps accordé au débat de ce matin !
M. le président. C'est ma position personnelle et je n'étais d'ailleurs pas obligé de vous la donner.
M. Michel Charasse. On n'a même plus le droit de râler ! En voilà des manières !
M. le président. Ne vous mettez pas en colère, monsieur Charasse !
Cela étant dit, je vous donne acte de vos rappels au règlement, mes chers collègues.
5
services dans le marché intérieur
Discussion des conclusions du rapport d'une commission
M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion des conclusions du rapport de M. Jean Bizet fait au nom de la commission des Affaires économiques et du plan sur :
- la proposition de résolution (n° 177) présentée par M. Jean-Pierre Bel et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, en application de l'article 73 bis du règlement sur la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative aux services dans le marché intérieur (n° E 2520) ;
- sa proposition de résolution (n° 182) présentée en application de l'article 73 bis du règlement sur la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative aux services dans le marché intérieur (n° E 2520) ;
- la proposition de résolution (n° 209) de MM. Robert Bret, Gérard Le Cam, Mmes Michelle Demessine, Evelyne Didier, MM. Michel Billout, Yves Coquelle, Mme Eliane Assassi, M. François Autain, Mme Marie-France Beaufils, M. Pierre Biarnès, Mmes Nicole Borvo Cohen-Seat, Annie David, MM. Guy Fischer, Thierry Foucaud, Mme Gélita Hoarau, M. Robert Hue, Mmes Hélène Luc, Josiane Mathon, MM. Roland Muzeau, Jack Ralite, Ivan Renar, Bernard Vera et Jean-François Voguet, présentée en application de l'article 73 bis du règlement relative à la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative aux services dans le marché intérieur (n° E 2520) (n°s 230, 236).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur.
M. Jean Bizet, rapporteur de la commission des affaires économiques et du Plan. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le 13 janvier 2004, la Commission européenne a présenté une proposition de directive relative aux services dans le marché intérieur, aussi appelée « directive Bolkestein », du nom du commissaire européen qui était alors chargé du marché intérieur.
Ce texte est aujourd'hui en cours d'examen devant le Parlement européen. Les parlementaires français, eux aussi, ont souhaité exprimer leur position sur ce texte. Au Sénat, la délégation pour l'Union européenne a constitué un groupe de travail animé par notre collègue Denis Badré, qui a rendu un rapport d'information très éclairant. Trois propositions de résolution ont été déposées, dont la commission des affaires économiques a été saisie. Elles lui ont permis d'en rédiger une quatrième qui, adoptée le 9 mars dernier, vous est présentée aujourd'hui.
Alors qu'elle a parfois été présentée à Bruxelles, notamment par M. Romano Prodi, comme une avancée décisive, la directive « Emploi et services » - c'est bien de cela qu'il s'agit -, selon l'expression de notre nouveau ministre de l'économie, a été très décriée en France. Elle ne paraît pourtant mériter ni cet honneur ni cette indignité.
Si on l'examine sereinement ce texte, on s'aperçoit d'abord qu'il comprend deux volets bien distincts. Le premier, qui fait globalement l'unanimité, vise à simplifier le droit d'établissement d'une entreprise européenne dans un autre Etat membre, en appliquant bien sûr la totalité des règles du pays d'accueil.
Le second volet tend, quant à lui, à faciliter la prestation de service d'une entreprise établie dans un pays de l'Union européenne à un client situé dans un autre Etat membre.
Ce qui fait débat, en l'espèce, c'est précisément l'application de la règle dite du pays d'origine. Le texte prévoit en effet que certaines des règles juridiques régissant la prestation soient celles du pays où réside l'entreprise et non celles du pays où réside le client.
Bien sûr, lorsqu'on entend cela pour la première fois, on ne peut réprimer certaines craintes !
J'avoue que cela a aussi été mon cas, comme en témoigne la résolution que j'avais déposée à titre personnel avant que je ne sois chargé par la commission des affaires économiques d'approfondir le sujet.
L'analyse du texte et les consultations que j'ai conduites m'ont amené à constater que ce principe du pays d'origine faisait l'objet de tant d'exclusions qu'il était loin d'être d'application générale.
De fait, il ne change pas les garanties actuelles reconnues aux travailleurs détachés. Il faut le souligner et le répéter. Cela signifie que, bien évidemment, un travailleur envoyé en France par une entreprise slovaque continuera d'être soumis aux mêmes règles que les travailleurs français en termes de conditions de travail et de salaire. En avoir conscience permet sans doute d'apaiser de nombreuses inquiétudes.
De plus, le principe du pays d'origine ne s'appliquera pas aux consommateurs : il ne peut concerner que des services vendus par une entreprise à une autre entreprise, et non à un particulier.
Par ailleurs, il ne s'applique pas non plus aux services d'intérêt général, c'est-à-dire aux services non marchands, même si la rédaction de cette exclusion doit, à l'évidence, être améliorée.
Quant aux autres services publics - ceux qui ont un aspect économique -, les plus importants d'entre eux sont aussi exclus par la proposition de la Commission européenne. Il en va ainsi de la distribution d'électricité, de gaz et d'eau, des transports, de la poste, des télécommunications ou d'autres activités plus spécifiques comme le transport de déchets.
Enfin, la liste est longue des autres activités exclues : une vingtaine sont expressément citées, auxquelles s'ajoutent celles qui poseraient à l'Etat membre des problèmes d'intérêt public, d'ordre public, de santé publique.
A y regarder de près, ce principe du pays d'origine ne trouverait donc à s'appliquer que de façon résiduelle. Même si ces limites ne sont pas assez nombreuses pour la commission des affaires économiques du Sénat, il faut reconnaître que l'application limitée de la règle du pays d'origine est conforme à la tradition de la construction du marché européen depuis le traité de Rome de 1957.
M. Pierre Fauchon. Bravo !
M. Jean Bizet, rapporteur. En effet, le principe du pays d'origine a toujours joué un rôle de complément du principe d'harmonisation des législations nationales.
M. Michel Mercier. Un rôle de complément en effet !
M. Jean Bizet, rapporteur. Sa préfiguration était déjà présente dans le célèbre arrêt de la Cour de justice des Communautés européennes « Cassis de Dijon » de 1978, que notre collègue Pierre Fauchon connaît particulièrement bien.
Dans le domaine des services, le principe du pays d'origine a déjà cours dans les secteurs de la télévision - c'est la directive « télévision sans frontière » de juin 1997 - ou du commerce par Internet - c'est la directive « commerce électronique » de juin 2000, deux secteurs qui sont appelés, vous en conviendrez, mes chers collègues, à se développer dans les années qui viennent.
En définitive, ce que les auteurs de la proposition de directive ont souhaité, c'est inscrire ce principe dans un cadre juridique bien défini et en faire un aiguillon pour la construction du grand marché européen des services.
Il nous faut d'ailleurs être clairs : en l'absence de texte arbitré par les plus hautes autorités politiques de l'Union européenne, c'est la Cour de justice qui risque fort de préciser la portée du principe du pays d'origine dans les services, dès lors qu'elle estimera que c'est utile pour résorber le retard pris dans le secteur tertiaire pour la réalisation des objectifs fixés par le traité de Rome en 1957.
M. Charles Revet. Bien sûr, c'est la Cour de justice qui va faire la loi !
M. Jean Bizet, rapporteur. Il faut bien le dire, monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, c'est de la réalisation du traité de Rome, qui comprend un chapitre entier sur le droit d'établissement et un autre sur la liberté de prestation de service, qu'il est aujourd'hui question.
Le grand marché européen des services est aussi un élément central de la stratégie arrêtée par le Conseil de Lisbonne en mars 2000 visant à « faire de l'économie européenne l'économie de la connaissance la plus compétitive du monde à l'horizon 2010 ». C'est dans cinq ans, mes chers collègues ! Et pour cause, le secteur tertiaire crée 70 % de la richesse et des emplois dans l'Union européenne et il y occupe 90 % des PME. Or il est le parent pauvre du grand marché européen puisqu'il ne représente aujourd'hui que 20 % des échanges intracommunautaires.
Plus encore, c'est dans les activités de services, notamment de services aux entreprises, que se trouve le principal potentiel d'innovation et d'adaptation des nouvelles technologies, comme le rappelait encore récemment dans son rapport M. Camdessus. D'ailleurs, c'est le discours que l'Europe a toujours promu à 1'Organisation mondiale du commerce, l'OMC, dans les négociations sur les services, par la voix de notre compatriote Pascal Lamy, relayé plus récemment par son successeur Peter Mendelssohn. Ce point sera précisément au coeur des négociations commerciales multilatérales en décembre 2005 à Hongkong.
Je crois qu'on ne peut pas, le matin, applaudir à la stratégie de Lisbonne et regretter le décrochage de croissance face au bloc américain et au bloc asiatique constaté depuis ces dix dernières années et, le soir, ne pas chercher à lever les entraves au développement d'une dynamique européenne des services.
M. Pierre Fauchon. Très juste !
M. Jean Bizet, rapporteur. Des études néerlandaises ont même chiffré de un à trois points de PIB communautaire le gain lié à l'achèvement du grand marché intérieur des services. Cela correspond à la création de centaines de milliers d'emplois. La France, première exportatrice de services en Europe, quatrième pays exportateur au niveau mondial, ne l'oublions pas, n'aurait-elle pas beaucoup à gagner dans l'application au tertiaire du modèle économique et social du marché déjà mis en oeuvre pour le marché unique des biens et des personnes ?
Il m'apparaissait important, mes chers collègues, de rappeler cet objectif économique, car il est le fondement et l'enjeu de notre débat.
Quant à la proposition de directive présentée pour atteindre cet objectif, je vous dirai tout net qu'elle est inacceptable en l'état.
Elle est en effet mal calibrée, mal rédigée, mal évaluée en termes d'impact, et parfois mal inspirée.
Premièrement, elle est mal calibrée, c'est-à-dire que son champ d'application est trop large.
En se limitant aux seuls « services économiques », la proposition exclut les services d'intérêt général, mais elle inclut, en revanche, certains secteurs non marchands comme la santé, la culture ou quelques activités plus spécifiques qui posent des problèmes d'ordre public et qui n'ont donc rien à faire dans cette directive. Aussi la proposition de résolution adoptée le 9 mars par la commission des affaires économiques du Sénat demande-t-elle l'exclusion de ces secteurs de l'ensemble du champ de la directive.
Deuxièmement, la proposition est également mal rédigée, et ce sur les deux points qui sont les plus sensibles, ce qui peut laisser à penser que la première réaction très négative de nombreux lecteurs de ce texte est largement imputable à la maladresse d'expression de la Commission européenne elle-même.
Les services d'intérêt général sont, bien entendu, nous venons de le rappeler, complètement exclus de l'ensemble du texte. La directive ne s'applique qu'aux services économiques, mais cela n'est pas affirmé de manière suffisamment explicite. C'est pourquoi votre commission des affaires économiques demande une rédaction du texte plus claire sur ce point.
En outre, le principe du pays d'origine est présenté comme un principe général, avant de subir une trentaine d'exclusions de diverses natures, réparties dans des articles différents et présentées de manière parfois ésotérique. Il est donc absolument nécessaire que la primauté des textes sectoriels soit consacrée. Il en est de même de la primauté des textes spécifiques comme la directive en préparation sur les qualifications professionnelles ou la convention de Rome sur les obligations entre fournisseurs et clients au sein de la communauté européenne.
Troisièmement, le texte est aussi mal évalué quant à son impact.
La commission des affaires économiques estime que, pour être acceptables, les articles relatifs au principe du pays d'origine ne doivent pas simplement être rendus plus explicites. Il faut aussi que nous, parlementaires, sachions quelles sont les activités de services pour lesquelles ce principe présenterait un avantage, comme c'est déjà le cas dans les domaines de la télévision sans frontière et du commerce électronique, ainsi que je l'ai souligné tout à l'heure. Pour la commission saisie au fond, cela nécessite de disposer au préalable des conclusions d'études d'impact sectorielles, que nous demandons au Gouvernement de nous fournir.
Quatrièmement, enfin, le texte est mal inspiré sur un point important puisqu'il concerne les travailleurs.
En effet, comme nous l'avons dit, la directive garantit les conditions de travail et le salaire du pays d'accueil à tout travailleur qui serait détaché d'un autre Etat membre, et ce conformément à la directive 96/71 d'ores et déjà en vigueur.
Toutefois, la proposition prive les Etats membres d'accueil de la possibilité d'imposer un régime de déclaration ou d'autorisation au détachement des travailleurs européens. Cela rend trop difficile les tâches de contrôle. C'est inacceptable, surtout dans la perspective de la libre circulation des travailleurs des nouveaux Etats membres à l'horizon 2011. Il convient de maintenir l'application stricte de la directive 96/71, toute cette directive, rien que cette directive.
Madame la ministre, cela fait beaucoup de choses à réécrire sur des points importants. Mais cela est indispensable pour que le marché intérieur des services se construise dans le respect du modèle économique et social européen. Il faut continuer à articuler harmonisation et reconnaissance mutuelle des règles d'origine, car il s'agit de construire l'Europe par le haut, nous l'avons toujours dit. (M. Michel Mercier acquiesce.)
D'ailleurs, sur la plupart de ces points, l'équipe du successeur de M. Bolkestein, que j'ai rencontrée à Bruxelles, a décidé de reprendre le texte et cela a été annoncé publiquement il y a quelques jours, notamment afin d'éviter tout risque de nivellement par le bas, de dumping social et d'interférence avec les activités non marchandes.
C'est pour faire oeuvre utile dans cet exercice de réécriture que la commission des affaires économiques du Sénat a adopté la résolution qui est soumise aujourd'hui à l'approbation du Sénat.
Monsieur le président, mes chers collègues, je crois en effet profondément que notre Haute assemblée est le lieu où l'on sait dépasser les caricatures et faire fi des épouvantails pour s'attaquer au fond des sujets et éviter la facilité immédiate pour préserver les intérêts réels de la France, notamment dans les négociations européennes.
Nous ne devons pas nous laisser aveugler par les craintes suscitées par la proposition de directive en l'état.
C'est en tout cas dans cet esprit qu'a travaillé la commission des affaires économiques - en particulier sa majorité dans toutes ses composantes - afin d'arriver au texte qui vous est soumis.
Permettez-moi enfin de conclure par une réflexion plus personnelle. Indépendamment de tout ce que nous venons de dire sur le texte lui-même, j'ai parfois le sentiment qu'une inquiétude demeure chez certains, quant à notre compétitivité et nos emplois face à l'ouverture à l'Est.
Cette inquiétude part de l'idée que la concurrence se fait essentiellement sur les prix. Si tel était le cas, jamais l'Allemagne ne serait devenue numéro un mondial pour les machines-outils, alors qu'elles sont vendues à des prix très élevés ! Et ce qui est vrai pour l'industrie l'est encore davantage pour les services ! La concurrence se fait d'abord sur la notoriété et le savoir-faire,...
Mme Michelle Demessine. Sur les prix aussi !
M. Jean Bizet, rapporteur. ... qui garantissent au client un service « zéro délai, zéro défaut », comme l'exigent les standards de qualité d'aujourd'hui.
C'est cela qui fait le succès d'entreprises telles que Accor, Bouygues, Veolia et de nos PME. Je rappelle que neuf PME sur dix aujourd'hui en Europe relève précisément des services. C'est en France qu'a été inventée la conception-construction dans le BTP qui est aujourd'hui pratiquée sur tous les grands chantiers mondiaux. C'est en France aussi que se sont développés les métiers liés à la gestion déléguée des services publics urbains !
Ces compétences ne s'improvisent pas, car elles nécessitent la maîtrise de processus complexes, tant au plan technologique que dans la gestion de la relation avec le client. C'est aussi en France que « s'affirme » le concept de « développement durable », concept fondamental de l'équilibre économique et environnemental de demain et pour lequel nos entreprises possèdent un réel savoir-faire.
Sur tous ces secteurs, par exemple, faut-il vraiment croire que la concurrence infra-européenne nous serait préjudiciable ?
Tout cela nous éloigne en apparence de la réécriture de la directive, mais dans un pays qui a trop tendance à douter de lui-même et de l'avenir, je pense que ces quelques réalités méritaient d'être rappelées.
C'est pourquoi votre commission saisie au fond vous demande d'adopter la proposition de résolution qu'elle vous présente, assortie de ceux des amendements qui lui paraissent pouvoir la compléter utilement. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Denis Badré, rapporteur pour avis de la délégation pour l'Union européenne. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, aujourd'hui, nous innovons. Pour la première fois, la délégation pour l'Union européenne intervient pour avis aux côtés d'une commission travaillant au fond.
Elle sera certainement appelée à le refaire puisque, lors de la réunion du Congrès à Versailles, voilà une quinzaine de jours, a été adopté le nouvel article 88-5 de la Constitution qui nous permet d'émettre un avis chaque fois qu'un problème de subsidiarité se posera.
La délégation a pour rôle aujourd'hui de montrer qu'elle apportera une valeur ajoutée à tous les débats dans lesquels elle sera appelée à intervenir de cette manière. Voilà une redoutable exigence et un honneur pour celui qui porte, en son nom et pour la première fois aujourd'hui, cette responsabilité.
J'en suis fier et quelque peu impressionné, mais je suis partiellement rassuré, m'exprimant après mon excellent collègue et ami Jean Bizet. Le rapport qu'il vient de nous présenter m'a semblé parfait sur une proposition de résolution qui me paraît globalement satisfaisante. Comme il l'a dit en conclusion, nous allons peut-être amender légèrement ce texte qui, globalement, va néanmoins dans le bon sens.
Dans ce débat, la délégation, ses membres y ont veillé, aura pour constante préoccupation le rôle de la France dans la construction européenne ; elle ne doit nullement intervenir avec le même regard et la même responsabilité au fond qu'exerce la commission des affaires économiques.
Votre délégation intervient sur cette affaire dans un contexte passionné, à la veille du référendum sur le traité institutionnel, et nous devons veiller à ce que les débats portant sur la proposition de directive, d'une part, et sur le traité institutionnel, d'autre part, soient clairement distingués.
Il faut travailler sur la directive en parlant de la directive et sur le traité institutionnel en parlant du traité institutionnel. Veillons bien à ne pas faire de confusion !
Votre délégation intervient également sur un sujet qui déchaîne beaucoup de passions et suscite de nombreuses interrogations.
Il nous appartient aujourd'hui, en application de l'article 88-4 de la Constitution, de soumettre au Gouvernement notre lecture de la proposition présentée par le commissaire Bolkestein dans le cadre des travaux de la précédente Commission et, le cas échéant, les arguments qui lui permettront d'adopter des positions plus fortes et plus claires lorsqu'il sera appelé à traiter de cette question lors du Conseil européen.
Il nous appartient également d'éclairer autant que possible le débat en apaisant les inquiétudes de nos concitoyens lorsque celles-ci ne sont pas fondées et en les prenant en compte lorsqu'elles le sont, afin de les présenter au Gouvernement, assorties de nos commentaires.
Il nous faut en effet rappeler sans cesse, à temps et à contretemps, et c'est aussi le rôle de la délégation, que l'Europe n'est pas une abstraction bruxelloise. L'Europe, c'est d'abord nous.
L'Europe, c'est bien sûr la Commission qui détient le pouvoir d'initiative, et l'exercera de plus en plus, comme cela a été confirmé et réaffirmé par la Constitution.
L'Europe, c'est aussi le Conseil européen, le Parlement européen, mais aussi et d'abord l'ensemble des Européens, qui s'expriment de façon normale à travers leurs parlements nationaux. Tel est aujourd'hui le cas sur ce sujet sensible.
A cet égard, notre délégation me semble avoir parfaitement joué son rôle de « vigie » en se saisissant de cette affaire dès l'été dernier et en confiant à un groupe de travail le soin d'approfondir cette question. En effet, avant d'être confirmé dans mon rôle de rapporteur pour avis de la délégation pour l'Union européenne, j'étais l'animateur d'un groupe de travail pluriel qui réunissait, à mes côtés, Marie-Thérèse Hermange, Serge Lagauche et Robert Bret. Pour ma part, j'ai trouvé cette formule originale très intéressante. J'ai personnellement beaucoup apprécié cette expérience, qui consiste à procéder à Bruxelles à des auditions et qui est beaucoup plus enrichissante dans la mesure où elle permet d'échanger des points de vue complémentaires.
Ainsi préparé, notre rapport en est ressorti plus solide dans son contenu. J'en rends publiquement hommage à mes trois collègues. Je voudrais leur dire que, si je suis rapporteur de cette délégation, je le fais en complicité avec eux - la notion de rapporteur pluriel n'existe pas ! - et sous leur contrôle, chacun étant libre de conserver son point de vue personnel ou celui de son groupe politique. Toutefois, nous nous sommes rejoints sur un certain nombre de points centraux.
Nous avons donc déposé un rapport d'information, sur la base duquel la commission des affaires économiques a pu prolonger la réflexion, le plus loin et le plus vite possible. Notre rôle était donc en quelque sorte de préparer le travail de Jean Bizet, qui a ainsi pu présenter son excellent rapport en commission, puis devant notre assemblée.
Les travaux se sont bien déroulés, à cela près que les délais ont été très courts : quelques jours seulement se sont écoulés entre le début des travaux de la commission et aujourd'hui. Certes, nous avons travaillé non dans la précipitation, car, au Sénat, nous savons nous prémunir contre ce danger, mais rapidement.
Cela étant dit, nos avis convergent sur le fond du sujet.
Mon analyse repose sur trois points.
Le premier point de mon propos sera très bref puisque Jean Bizet l'a déjà largement présenté, et je ne répéterai pas maladroitement ce qu'il a très bien dit.
Je tiens simplement à réaffirmer que le fait de travailler sur la mise en place d'un marché unique des services relève d'une bonne intention du point de vue de la construction européenne. Tôt ou tard, il aurait fallu le faire. Cela est fait et c'est positif : il faut avancer dans cette voie, car c'est bon pour la construction européenne et pour la France, étant donné le rôle joué par celle-ci dans le domaine des services en Europe, à condition bien sûr que le texte soit bon.
J'en viens aux deux points suivants.
J'analyserai la proposition de directive Bolkestein de deux points de vue : la manière dont celle-ci a été présentée et son contenu européen, puisque je représente la délégation pour l'Union européenne.
Tout d'abord, en ce qui concerne la manière, ce texte survient à une période clef de la construction européenne, alors que nous voulons et devons construire l'Europe des Européens : 450 millions d'Européens doivent en effet entrer dans la démarche que nous proposons, afin de faire vivre les directives qui seront prises au niveau européen.
Ensuite, s'agissant du contenu de cette proposition de directive, je vais tenter de compléter l'exposé de Jean Bizet.
Il est essentiel qu'un texte aussi important et lourd de conséquences réponde à un double défi.
Le premier défi est l'élargissement de l'Union à vingt-cinq Etats membres, qui existe de fait depuis le 1er mai 2004 mais n'est pas encore complètement réussi et auquel il nous appartient de parvenir. N'oublions jamais qu'il doit s'agir de notre première préoccupation aujourd'hui.
Le deuxième défi à relever est la relance et la réussite du processus de Lisbonne.
A l'avenir, l'Europe existera. Or chacun de nos Etats et chaque Européen ne se reconnaîtront dans la démarche européenne que si nous parvenons à renforcer la compétitivité de l'Union européenne.
A cette fin, nous devons encourager toutes les mesures qui pourront servir une politique d'innovation scientifique, afin de hisser l'Union européenne au même niveau que ses grands concurrents développés dans le monde, notamment les Etats-Unis.
Par ailleurs, il nous faut mettre en oeuvre une politique d'aide au développement digne de ce nom, afin de pouvoir travailler avec nos concurrents dans le contexte complètement différent des pays en voie de développement.
Revenant sur le deuxième point, la manière dont cette proposition de directive Bokelstein a été présentée, je ferai trois observations générales, également valables pour toutes les directives futures. En effet, il faudra à l'avenir attirer systématiquement l'attention sur les trois points suivants.
Premièrement, on ne construit pas l'Europe « à reculons » ou en se défendant de la construire. L'Europe est notre avenir et l'avenir ne peut se construire qu'en le regardant en face.
Une directive qui ne concernerait que ceux dont la situation n'a pu être traitée ailleurs et de manière spécifique est désobligeante à l'égard de ceux-ci.
Les cas de quelques secteurs de services qui apparaissaient importants sont traités. Les autres secteurs, dont on ne sait pas quoi faire ou qui semblent moins importants, sont regroupés dans une nouvelle proposition directive. Cela n'est pas respectueux pour les Européens concernés.
Par ailleurs, cette façon de procéder est une sorte de pousse-au-crime, une façon de décourager les représentants de ces secteurs, traités avec un peu de mépris, de « monter dans la voiture-balai » et de les inciter à s'exonérer de la démarche européenne.
On ne construit pas l'Europe en proposant implicitement aux Européens de sortir de la démarche qu'on leur propose. Telle n'est pas l'Europe que nous voulons construire et, en tout cas, telle n'est pas celle pour laquelle je milite depuis ma naissance.
Ce qui est vrai pour la directive Bolkestein l'est pour toutes les autres démarches. Il faut proposer, sur des sujets aussi importants, des démarches positives, en étudiant les secteurs et les préoccupations horizontales séparément. Il faut aborder les questions du détachement, de l'harmonisation des qualifications professionnelles, des conditions d'établissement d'une entreprise dans un autre Etat que le sien, mais il convient de ne pas traiter les personnes ou les problèmes par le mépris.
Deuxièmement, les Européens veulent et doivent savoir où on leur propose d'aller. A cet égard, si de nombreuses inquiétudes et appréhensions se sont développées à la suite de la présentation de ce texte, c'est parce que celui-ci n'était pas assorti d'une étude d'impact suffisante.
Avant de proposer aux Européens la réforme en profondeur que constitue cette directive, nous demandons que preuve nous soit donnée que toutes les analyses nécessaires ont été effectuées, montrant par là même que nous savons où nous allons et ce que prévoit cette directive, et que nous pouvons répondre aux appréhensions qu'elle suscite.
La Commission doit assortir les textes aussi importants et lourds de conséquences que celui-ci d'une étude d'impact indiquant leurs conséquences pour l'Union européenne et pour ses relations avec chacun de ses membres. Cela me paraît très important.
Troisièmement, pour travailler ensemble, il faut partager des définitions en commun. Or ce texte manque de définitions. Il évoque le principe du pays d'origine, le PPO, mais chaque pays met derrière la notion de services, de services publics, de services d'intérêt général, de services d'intérêt économique ce qu'il veut bien.
Comment construire une politique commune à partir de lectures qui seront différentes d'un pays à l'autre ? S'agissant d'un texte aussi important, il faut pouvoir se référer à des directives fortes, claires, acceptables par tous et partagées par tous les Européens.
Tant que ce travail ne sera pas fait, nous avancerons dans le brouillard et nous ne pourrons pas faire du bon travail.
J'en viens à la troisième partie de mon propos, qui porte sur le contenu. La deuxième partie était la plus longue, car j'y abordais un certain nombre de points de méthode à propos de cette directive et des directives à venir.
Comme Jean Bizet, je pense que ce texte n'est pas globalement mauvais. Il comporte un certain nombre de bonnes dispositions, notamment des mesures de simplification, de consolidation et de clarification pour une présentation cohérente et nette. De ce point de vue, le texte est bon.
J'en viens au principe du pays d'origine que le rapporteur a longuement développé dans son analyse.
Dans le contexte du processus de Lisbonne et de l'élargissement de l'Union européenne, nous devons partager une exigence : viser l'excellence. Or cette exigence est bafouée par le principe du pays d'origine qui, lui, nous incite à nous aligner sur le moins-disant. Je présente la situation de manière globale, mais c'est ainsi qu'elle est perçue par les Français et par de nombreux Européens. Nous refusons cette situation.
S'agissant du contenu, on peut aller plus loin dans la démarche. Mais l'objectif doit être toujours de partager l'exigence et non pas de s'aligner sur le moins-disant.
En effet, l'Europe du moins-disant représente une régression pour tous ceux qui ont déjà construit une politique sociale ou environnementale. Leur reprocher de l'avoir fait en arguant du fait qu'ils seront conduits demain à s'aligner sur ceux qui n'ont pas fourni cet effort revient à nier cet effort. Ce n'est pas non plus l'Europe que nous voulons.
Ce serait également un poison mortel pour l'Union européenne : les Etats se braqueraient les uns contre les autres puisqu'ils seraient en situation de concurrence et les entreprises se précipiteraient vers celui qui leur offrirait les conditions de développement les plus souples.
Ne dressons pas les Etats les uns contre les autres dans cette course au moins-disant ! Par ailleurs, celle-ci donnerait une image détestable de l'Union européenne dans le monde. Or je souhaite que l'Europe apparaisse dans le monde comme une oeuvre de paix, de démocratie, de défense des droits de l'homme mais aussi d'exigence sociale et écologique.
En rabattant cette ambition, nous rendrons un très mauvais service et à l'Europe et à chacun des Etats qui la constitue.
Selon certains, le principe du pays d'origine est fondamentalement européen puisqu'il respecte la diversité. Respecter la diversité, en faire une richesse chaque fois que cela est possible : oui ! Mais pousser à l'extrême cette démarche en respectant intégralement la diversité revient à nier l'Europe.
Si chacun continue à faire demain ce qu'il faisait hier, alors ce n'est pas la peine de faire l'Europe. Autant dire qu'elle n'est qu'une coquille vide, puisque l'on n'y fait rien ensemble.
Lorsque l'on a décidé de s'unir, c'est pour mettre en commun un certain nombre de dispositions. On commence à construire l'Europe à partir du moment où l'on renonce au principe du pays d'origine.
D'aucuns disent que ce principe prévaut depuis la jurisprudence « Cassis de Dijon » de la Cour de justice des Communautés européennes du 20 février 1979. Or cet arrêt concerne les produits et non les services.
Le cassis de Dijon est produit à Dijon et non dans un autre Etat de l'Union européenne, même s'il est vendu dans un autre Etat. On en revient là à la notion d'appellations d'origine contrôlée, les AOC, bien connue des milieux agricoles et sur laquelle il n'est pas question de revenir.
La diversité des terroirs, de ce point de vue, est une richesse de l'Union européenne. S'agissant des produits, c'est évident, il faut la sauvegarder.
En revanche, en ce qui concerne les services, la situation est complètement différente. Une entreprise d'un autre Etat qui rendra un service en France le fait dans le pays de destination et non dans le pays d'origine : le service est donc rendu chez le client. L'arrêt « Cassis de Dijon » n'est, par conséquent, en rien transposable dans le domaine des services.
Par ailleurs, notre délégation a développé, comme Jean Bizet l'a fait dans son rapport, les difficultés d'ordre pénal que provoquerait la mise en oeuvre du PPO.
Enfin, et ce sera mon dernier point, certains ont dit que la reconnaissance mutuelle était équivalente au PPO. Oui et non ! La reconnaissance mutuelle, telle qu'elle existe dans le corpus européen, est une manière de valoriser la différence lorsque celle-ci est positive.
Par exemple, le service public de la justice est rendu de manière différente en Grande-Bretagne et en France. Il n'est pas question de demander à ces pays d'adopter le système de l'autre, mais il faut essayer d'harmoniser les deux dispositifs qui, chacun, ont leur valeur dans la tradition de droit et le contexte dans lesquels ils s'inscrivent.
En l'occurrence, il ne s'agit ni de choisir un autre système que la reconnaissance mutuelle, ni d'adopter le principe du pays d'origine.
Il faut savoir clairement de quoi l'on parle et distinguer les situations.
Nous devons chercher le meilleur moyen de construire l'Europe, d'en faire une véritable Union, tout en préservant sa diversité, à partir d'une démarche commune, ou bien unique dans certains domaines, lorsque c'est possible.
Cette démarche sera faite d'harmonisation, de reconnaissance et de respect et, dans un certain nombre de cas, d'efforts politiques de la part des uns et des autres. Ceux-ci devront se rappeler qu'ils sont entrés ensemble dans l'aventure de la construction européenne afin que celle-ci réussisse et que chacun retrouve l'intérêt commun qu'il avait à s'y engager. Chaque Etat est ainsi appelé à faire un petit effort pour privilégier l'intérêt commun par rapport aux intérêts particuliers de chacun des membres.
C'est tout cela la démarche de l'Union européenne pour la construction européenne. Tel est le défi que nous avons à relever.
Aujourd'hui, il faut valoriser ce qui fait notre tradition et notre richesse, l'apport de la France dans l'Union européenne, mais aussi admettre le regard de l'autre sur notre système.
A cet égard, j'en reviens au service public. Le service public à la française, c'est très bien, mais cela ne doit pas devenir une exception française.
Si l'Union européenne reprend le service public à la française dans ce qu'il a de très bon pour en faire le service public à l'européenne, tant mieux ! Cela témoignera de la qualité de notre système.
Si, dans certains cas, pour en revenir à l'exemple de la justice, nos partenaires nous disent que notre système est différent du système britannique, mais conviennent qu'il est intéressant et mérite d'être conservé, tant mieux !
Le regard de l'autre nous montrera que nous pouvons progresser, mais il nous incitera aussi, dans certains cas, à réfléchir sur nous-mêmes. Et c'est en ce sens que la démarche européenne, la correction fraternelle et l'acceptation du regard de l'autre sont positifs.
Je vous invite donc à poursuivre cette voie pour construire tous ensemble une Europe qui respecte la diversité comme une richesse chaque fois que c'est possible, pour nous réunir autour de valeurs essentielles, la paix, la liberté et la démocratie chaque fois que nous en faisons le choix et que nous exprimons la volonté politique de le faire. (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Claudie Haigneré, ministre déléguée aux affaires européennes. Monsieur le président, messieurs les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, la Commission européenne a soumis, en janvier 2004, une proposition de directive relative aux services qui vise à mettre en oeuvre les principes de la libre prestation de services et de libre établissement de façon horizontale pour l'ensemble des services non encore couverts par des directives spécifiques.
Comme j'ai eu l'occasion de le dire très clairement devant cette assemblée il y a une dizaine de jours à l'occasion d'une question d'actualité, le Gouvernement considère que cette proposition de directive de la Commission n'est pas acceptable en l'état et doit faire l'objet d'une remise à plat.
M. Michel Mercier. Très bien !
Mme Claudie Haigneré, ministre déléguée. Nous sommes favorables à un approfondissement du marché intérieur dans le domaine des services qui contribuera au regain de croissance et d'emploi dont l'Europe a besoin et qui permettra à la France, première nation exportatrice de services en Europe, de faire jouer ses atouts.
Mais la méthode envisagée n'est pas acceptable. La proposition de texte, telle qu'elle vient d'être réexposée, repose sur deux volets principaux : le premier est lié au libre établissement des prestataires de services dans les différents Etats membres. Il prévoit notamment la simplification des démarches administratives par la mise en place de guichets uniques et le développement de l'administration électronique, ainsi que la réduction et la limitation des régimes d'autorisation en place dans les Etats membres.
Nous sommes globalement favorables à ces mesures de simplification, mais il ne serait pas acceptable qu'elles conduisent indirectement à porter atteinte à notre modèle social et culturel, en particulier à nos services publics et à la diversité culturelle, qui doivent rester garantis par des mesures spécifiques.
C'est pourquoi nous demandons notamment l'exclusion du champ de la directive des services sociaux et de santé, de l'audiovisuel et de la presse, des services de gestion collective des droits d'auteur et droits voisins, des professions juridiques réglementées, des transports dans leur intégralité et des jeux d'argent.
Nous demandons, en outre, que la Commission européenne mette sur la table une proposition de texte sur les services d'intérêt économique général afin de sécuriser le rôle, l'organisation et le financement des missions de services publics.
Le second volet du texte, qui vise à assurer la libre prestation de services par un prestataire établi dans un autre Etat membre, comporte des risques majeurs, qu'il nous faut examiner tous ensemble avec la plus grande prudence. Il prévoit, en particulier, le recours généralisé au principe du pays d'origine, selon lequel le prestataire de services est soumis uniquement à la loi du pays dans lequel il est établi.
Appliqué de façon mécanique, le principe du pays d'origine risque de conduire à un nivellement par le bas des législations. C'est pourquoi le Gouvernement estime indispensable de privilégier la poursuite du processus d'harmonisation.
M. Michel Mercier. Très bien !
Mme Claudie Haigneré, ministre déléguée. Un tel principe ne doit pas pouvoir s'appliquer, dans un secteur donné, en l'absence d'un socle d'harmonisation permettant d'éviter tout dumping réglementaire.
Cette construction alliant principe du pays d'origine encadré et harmonisation a ainsi été mise en oeuvre, comme vous l'avez souligné, de façon satisfaisante, par exemple, dans la directive « télévisions sans frontière », ou encore dans la directive « commerce électronique». De plus, des garanties doivent être apportées quant à l'application du droit pénal national et à l'articulation avec les textes communautaires et internationaux existants.
Enfin, comme vous l'avez rappelé à juste titre, monsieur Bizet, concernant le détachement des travailleurs, il ne doit y avoir aucune ambiguïté sur le fait que c'est le droit du travail du pays d'accueil, et non celui du pays d'origine qui s'applique, y compris pour les conventions collectives, et ce, afin de prévenir tout « dumping social ».
Face à de telles incertitudes, le Gouvernement a lancé une série d'études d'impact sectorielles. Elles devront notamment permettre d'établir si, dans certains secteurs et de façon suffisamment encadrée sur la base d'un socle de protection commun, le principe du pays d'origine peut se révéler globalement positif, non comme une alternative, mais comme un complément à l'harmonisation, et en prenant en compte l'ensemble des acteurs que sont les travailleurs, les consommateurs et les entreprises.
A ce stade de la discussion, je crois essentiel de faire le point avec vous de l'état de la négociation au niveau communautaire. La proposition de directive est soumise au processus de co-décision et doit donc être approuvée dans des termes identiques par le Parlement européen et la majorité qualifiée du Conseil.
Le Conseil Compétitivité du 7 mars dernier auquel j'ai participé a montré que l'ensemble des Etats membres s'accordaient sur deux points essentiels : l'importance de la construction du marché intérieur des services et le fait que la proposition de directive actuellement sur la table ne pouvait pas être acceptée en l'état.
Le même jour, le Chancelier Schroeder indiquait sa convergence de vue avec le Président de la République pour dénoncer le caractère inacceptable du texte en l'état actuel et pour demander sa remise à plat.
La proposition de directive est aujourd'hui entre les mains du Parlement européen dont le rapporteur sur ce sujet, l'Allemande Evelyne Gebhardt, rejoint largement les préoccupations qui viennent d'être exprimées. Le vote en séance plénière du Parlement européen pourrait avoir lieu en juillet prochain au plus tôt, semble-t-il.
L'action conjuguée du Gouvernement, du Parlement européen, mais aussi de l'Assemblée nationale et du Sénat, qui se sont fortement mobilisés, a fait prendre conscience à la Commission européenne des nombreuses difficultés soulevées par cette proposition de directive.
Celle-ci a ainsi annoncé le 2 février dernier, vous vous en souvenez, son intention de la réexaminer en vue de « construire un consensus » sur nos deux préoccupations majeures que sont la mise en oeuvre du principe du pays d'origine et le champ d'application de la directive.
Le commissaire en charge du dossier, Charlie Mac Creevy, a ainsi indiqué à plusieurs reprises son intention de réviser le texte à l'issue de l'examen par le Parlement européen, notamment en excluant du champ d'application les services d'intérêt général financés sur fonds publics et le secteur de la santé, et en apportant les clarifications nécessaires pour ne permettre aucun dumping social.
Notre ligne de conduite pour la suite de la négociation est claire. Nous avons besoin d'une législation européenne sur les services. Nous refusons, en effet, que la construction du marché intérieur des services découle de la seule jurisprudence, qui ne permet pas de lever l'incertitude pesant sur les acteurs économiques, tout autant que sur les consommateurs.
Ainsi, l'exigence de retrait pur et simple du texte ne serait pas une option favorable à nos intérêts. En revanche, la proposition de la Commission devra être profondément réexaminée à l'issue des travaux du Parlement européen.
En ce qui concerne le principe du pays d'origine, il soulève, comme je l'ai rappelé, des difficultés très sérieuses qui, en tout état de cause, devront trouver une réponse sans ambiguïté. Le Gouvernement précisera sa position sur la base des conclusions des études d'impact qu'il a lancées, en prenant en compte le résultat des discussions au Parlement européen, et la réponse qu'y aura apportée la Commission. La France sera d'autant plus efficace pour défendre sa position qu'elle ne sera pas isolée au sein des institutions communautaires.
Nous attendons de la Commission une approche constructive nous permettant de travailler sereinement à la remise à plat de ce texte. Nous resterons vigilants et fermes sur nos exigences essentielles.
A cet égard, je dirai quelques mots sur les propos tenus hier par le Président Barroso - propos tenus à titre personnel...
Mme Nicole Bricq. A titre personnel, vraiment ?
Mme Claudie Haigneré, ministre déléguée. ... et qui appellent des clarifications rapides.
Sachez que j'ai d'ores et déjà, à mon niveau, fait savoir mon étonnement à la Commission à laquelle j'ai demandé des éclaircissements sur cette déclaration, qui ne correspond en rien aux assurances données, notamment par le Commissaire en charge de ce dossier, M. Mac Creevy.
Comme nous l'avons dit à maintes reprises, cette proposition de directive doit faire l'objet d'une remise à plat complète, en particulier s'agissant de la disposition clé du principe du pays d'origine. Ce principe ne pourra être maintenu que dans le cadre strict d'une harmonisation, sous peine de remettre en cause notre modèle social, ce que nous ne souhaitons pas. C'est dans cet esprit que nous aborderons le Conseil européen de la semaine prochaine, les 22 et 23 mars.
Je tiens à saluer l'implication très forte de votre assemblée sur ce texte, en particulier celle de votre commission des affaires économiques, à l'origine de la proposition de résolution que vous vous apprêtez à examiner, et de son rapporteur M. Jean Bizet, ainsi que celle de votre délégation pour l'Union européenne, qui avait mis en place un groupe de travail pluriel, mené par M. Denis Badré et composé de Mme Marie-Thérèse Hermange, de M. Serge Lagauche et de M. Robert Bret. J'ai eu avec les uns et les autres de nombreux échanges constructifs et réguliers, tant sur le fond que sur la forme
Je note d'ailleurs après vous, monsieur Badré, le fait que votre délégation pour l'Union européenne exerce les compétences d'une commission pour avis sur cette proposition de résolution est, à ma connaissance, une première, ce dont nous nous félicitons.
Soyez convaincus que l'action du Gouvernement sur cette proposition de directive a pour objectif de préserver les principes fondamentaux auxquels nous sommes tous attachés.
Cette discussion est, je le crois, emblématique de l'ambition que nous souhaitons donner à la construction européenne. Vous l'avez dit, l'un et l'autre, cette construction doit se faire «par le haut» et non «par le bas ». L'harmonisation reste notre fil directeur, avec le souci de renforcer le modèle social et culturel qui est le nôtre, et de prendre en compte nos ambitions et nos exigences quant au modèle économique. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe Union pour un mouvement populaire, 19 minutes ;
Groupe socialiste, 14 minutes ;
Groupe Union centriste-UDF, 8 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 7 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 6 minutes ;
Réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe, 6 minutes.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme Marie-Thérèse Hermange.
Mme Marie-Thérèse Hermange. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, le débat que nous avons aujourd'hui sur la proposition de directive relative aux services dans le marché intérieur est, pour le groupe UMP, important à plusieurs titres.
Dans la mesure où l'opinion publique s'en est saisie par l'intermédiaire des médias, celle-ci n'aurait pas compris que la représentation nationale en soit privée.
A cet égard, au moment où nous innovons, comme vous l'avez rappelé, nous devons remercier l'ensemble de celles et de ceux qui ont permis que ce débat ait lieu, au premier rang desquels le président du Sénat, Christian Poncelet, mais aussi le président de la délégation pour l'Union européenne, Hubert Haenel, qui a, dès novembre 2004, formé un groupe de travail et la commission des affaires économiques, qui s'est emparée de ce dossier, en déposant, après le dépôt du rapport de Denis Badré, une proposition de résolution, celle de janvier.
Nous devons également remercier les présidents de groupe d'avoir suscité l'inscription de ces textes à l'ordre du jour des travaux du Sénat, ainsi que vous, madame la ministre, d'avoir organisé sur ce thème de multiples réunions avec les parlementaires européens, ce qui constitue un fait nouveau.
Pourquoi ce débat est-il important ?
Tout d'abord, parce que l'objectif visé au travers de la proposition de directive relative aux services dans le marché intérieur est crucial pour l'avenir de la croissance et de l'emploi dans l'Union européenne. A cet égard, il doit être soutenu, car le marché intérieur représente près de 54 % du PIB de l'Union, 70 % des emplois et 20 % des échanges intracommunautaires, comme le constatent à la fois la délégation du Sénat pour l'Union européenne dans son avis et la commission des affaires économiques, évoquant les avantages que la France pourrait en tirer en tant que premier exportateur de services en Europe.
Dans ce contexte, il est évident que, dans la perspective tant d'une politique de l'emploi dénommée, à l'échelon européen, « stratégie de Lisbonne » que des négociations multilatérales engagées au sein de l'OMC, notre pays pourrait retirer des bénéfices de l'achèvement de la mise en place du marché intérieur. Nous devons en être conscients et faire prendre conscience à nos opinions publiques de cet aspect stratégique.
Cependant, vouloir atteindre cet objectif ne saurait conduire à remettre en cause systématiquement les équilibres nécessaires à la cohésion d'une société qui sont constitutifs du modèle fondamental de la construction européenne.
En effet, il est vrai que l'instauration de la libre circulation des services, telle que proposée, se heurte à d'importants obstacles, tenant à la diversité des législations et des réglementations nationales qui, à côté du corpus communautaire, constituent le modèle juridique européen.
C'est en cela que le principal point d'achoppement, voire de rupture pour certains, est constitué par l'application aux services du principe du pays d'origine, ce que constatent tant la délégation du Sénat pour l'Union européenne, puisqu'elle indique dans son rapport que la proposition de directive est inacceptable en l'état, que la commission des affaires économiques, qui rappelle que l'Union européenne ne saurait se construire sur une concurrence entre ses membres, que l'étendue des imprécisions ne permet pas d'atteindre l'objectif fondamental et que l'harmonisation des législations constitue, depuis le Traité de Rome, un fondement de la méthode communautaire, auquel il faut ajouter, depuis les années de la présidence de M. Jacques Delors, le principe de la reconnaissance mutuelle, c'est-à-dire la mise en oeuvre du principe du pays d'origine après harmonisation.
Par ailleurs, ce débat est important parce que nous devons fournir un effort de compréhension et de lisibilité pour prendre, comme dans tout domaine, la mesure, tant négative que positive, des décisions prises. Cela est vrai pour tous les aspects de la proposition de directive examinée aujourd'hui, notamment s'agissant du fameux principe du pays d'origine, que l'on ne peut rejeter a priori, la preuve en étant qu'il a déjà été accepté, mais dont chacun reconnaît que l'on ne peut décider dès aujourd'hui l'application générale, comme l'ont souligné Mme la ministre et MM. les rapporteurs.
C'est aussi à ce titre que ce débat est important, car, sous couvert d'un texte mal formulé et complexe, on est peut-être en train de « diaboliser » un principe qui n'est pas en soi une aberration, puisqu'il a été appliqué dans certains domaines stratégiques, parfois à la demande de la France : je fais ici référence à la directive Télévision sans frontières, à la directive sur le commerce électronique, à la directive relative à la protection des personnes physiques à l'égard des traitements de données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données et à la directive sur un cadre communautaire pour les signatures électroniques, qui ont été appliquées de manière très satisfaisante.
Or pourquoi estime-t-on que ces quatre directives, qui représentent une contribution efficace à la réalisation du marché intérieur, ont été appliquées de manière très satisfaisante ? Parce qu'elles ont été précédées par une certaine harmonisation des législations nationales.
Mais si l'on ne doit pas « diaboliser » ce principe, on ne doit pas non plus s'en remettre à lui comme à un parapluie qui abriterait systématiquement la mise en oeuvre du marché intérieur. En effet, appliqué intégralement et seul, il aboutirait à une sorte de « libéral-souverainisme » aux mains des Anglo-Saxons, des Irlandais, des Italiens, ...
M. Michel Mercier. Des Français !
Mme Marie-Thérèse Hermange. ... des Français, effectivement, en fonction de tels ou tels intérêts particuliers.
C'est dire que, concrètement, l'application de ce seul principe, sans qu'elle ait été précédée d'une certaine harmonisation des législations nationales et entourée de dispositifs permettant de préserver notre modèle culturel et social européen, reviendrait à faire de l'Europe le simple cadre de l'organisation d'un marché unique et de libre concurrence.
Au contraire, l'application de la méthode communautaire traditionnelle, qui consiste en une harmonisation minimale ou optimale avant l'application d'une clause de marché intérieur, correspondrait à l'objectif essentiel de l'Union européenne, à savoir sa construction en tant qu'entité politique et non pas exclusivement en tant que marché de libre concurrence.
Dans cette optique, le rôle de notre assemblée, aujourd'hui et plus encore demain, doit être, me semble-t-il, de suggérer, en liaison et en harmonie avec l'ensemble des institutions compétentes et dans un esprit de pragmatisme et de bon sens, des améliorations, en tenant compte des aspirations collectives nationales, tout en conduisant une démarche d'intégration, à laquelle nous invite la future constitution.
Non, mes chers collègues, il ne faut pas faire table rase des traditions et des législations nationales qui les traduisent. Non, notre assemblée ne peut pas renoncer à édifier, comme notre pays l'a fait depuis cinquante ans, un corpus de droit économique européen. Non, comme l'a dit M. Bizet, nous ne devons pas contraindre notre esprit et notre capacité de compétitivité et de création d'emplois.
Oui, le marché des services est nécessaire. Oui, sa mise en place est de l'intérêt de l'Europe et de la France. Oui, madame la ministre, nous avons besoin d'une législation sur les services. Oui, il est nécessaire d'essayer autant de solutions que possible, jusqu'au succès de nos propositions, car, à l'heure actuelle, rien n'est inscrit dans le marbre et tout peut évoluer.
C'est la raison pour laquelle, en conciliant l'ensemble des observations que j'ai formulées tout à l'heure, il convient, me semble-t-il, que notre proposition de résolution amène à demander l'abandon de la seule application du principe du pays d'origine, au profit de dispositions alliant reconnaissance mutuelle et mise en oeuvre du principe du pays d'origine après harmonisation.
Cela signifie, concrètement, que si une entreprise de travail temporaire lettonne vient opérer en France, elle devra, ce que ne prévoit pas la proposition de directive Bolkestein dans sa forme actuelle, appliquer le droit français et la directive de 1996 concernant le détachement des travailleurs effectué dans le cadre d'une prestation de services, c'est-à-dire respecter les dispositions nationales et un minimum communautaire. (M. Michel Mercier approuve.)
Telle est la proposition que nous pourrions présenter dans l'optique de la demande de remise à plat et de réécriture de la proposition de directive formulée, comme vous l'avez rappelé tout à l'heure madame la ministre, par les plus hautes autorités de l'Etat, à savoir le Président de la République et le Premier ministre.
Je vous remercie, monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, de votre attention, s'agissant d'un dossier bien complexe ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Michel Mercier.
M. Michel Mercier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, des spécialistes reconnus des questions européennes se sont exprimés avant moi. N'étant pas, pour ma part, un spécialiste, je me bornerai à exposer ce que m'inspire, en tant que citoyen français et européen, la proposition de directive relative aux services dans le marché intérieur et à dire des choses simples sur des sujets complexes. Les Françaises et les Français, qui devront se prononcer, le 29 mai prochain, sur le traité établissant une constitution pour l'Europe, essaient comme moi de mieux comprendre ce que peut représenter l'Europe dans leur vie quotidienne.
Il me semble que notre débat sur cette proposition de directive vient à point ; il permet de révéler les dysfonctionnements de l'Union européenne, les « pannes » de l'Europe, tout en nous amenant à nous interroger sur nos méthodes de travail dans l'approche des questions relatives à la législation européenne.
Cette interrogation vaut pour aujourd'hui, et naturellement pour demain : une fois que la Constitution pour l'Europe aura été adoptée, comment les parlements nationaux pourront-ils s'y prendre pour formuler un avis et se prononcer sur des textes européens qui seront beaucoup plus nombreux ?
Aujourd'hui, il s'agit d'une première. Nous allons voir si notre méthode est la bonne, si elle permet à chacun d'entre nous, parlementaires nationaux, d'exprimer clairement aux deux législateurs européens que sont le Conseil de l'Union européenne, au sein duquel sont représentés les gouvernements des Etats membres, et le Parlement européen la façon dont les choses sont ressenties par nos concitoyens.
Cela étant dit, je voudrais formuler deux observations.
En premier lieu, si l'Europe, c'est la prospérité, il faut naturellement achever la construction du marché intérieur, les services devant bien entendu constituer un élément essentiel de ce dernier, compte tenu de la place qu'ils tiennent dans l'activité économique des Etats européens.
Pour que l'Europe, ce soit vraiment la prospérité, il faut donc un marché européen, et non pas des marchés nationaux juxtaposés. On a commencé, depuis 1957, à construire ce marché intérieur. Il faut mener cette démarche à son terme, sauf à laisser subsister une entrave à la prospérité, un obstacle au bon fonctionnement du marché intérieur.
En second lieu, il convient d'être clair sur ce que l'on entend par services, et je voudrais, sur ce plan, dire très nettement que ce qu'ont indiqué Mme la ministre et MM. les rapporteurs de la commission des affaires économiques et de la délégation du Sénat pour l'Union européenne sur le champ d'application de la proposition de directive ne fait pas débat : nous sommes tous d'accord pour estimer que cette dernière concerne les services à vocation économique, à réponse économique et à implications économiques, à l'exclusion des services publics, appellation que je préfère à celle de services d'intérêt général, qui me paraît assez vague et, en tout cas, moins familière à nos compatriotes.
Par conséquent, il faut bien préciser que les services publics ne relèvent pas de cette directive et qu'il conviendra d'en élaborer une autre, afin d'exprimer les choses comme nous voulons qu'elles le soient. Nous sommes tous d'accord, me semble-t-il, pour juger que le marché intérieur doit absolument être achevé et que les services doivent y avoir leur place, la proposition de résolution de la commission paraissant tout à fait satisfaisante à cet égard.
Cela étant, la méthode et les principes retenus pour construire ce marché sont-ils aujourd'hui satisfaisants ?
M. Raymond Courrière. Non !
M. Michel Mercier. A l'évidence, non. Il faut le dire très clairement, et le Président de la République a d'ailleurs demandé que l'on remette à plat la proposition de directive.
M. Raymond Courrière. Il était d'accord, au début !
M. Michel Mercier. Cela ne vous arrive jamais de changer d'avis, mon cher collègue ? Ce serait bien la première fois que je rencontrerais un tel cas ! (Rires.)
M. Raymond Courrière. Il faudrait que M. Chirac se réveille ! (M. Dominique Braye proteste.)
M. Michel Mercier. La réflexion et le travail peuvent amener chacun à évoluer. Une telle capacité représente même, à mon sens, une qualité que nous pouvons tous espérer posséder.
En tout état de cause, lorsque le Président de la République demande que l'on remette à plat la proposition de directive dont nous débattons aujourd'hui, il ne fait que répondre à une demande émanant, me semble-t-il, de tous les citoyens de notre pays. Il faut maintenant que l'on précise en quoi doit consister cette remise à plat.
Comment s'est construite l'Europe jusqu'à présent ? Par la combinaison de deux principes qui ne se sont jamais éliminés l'un l'autre, mais qui se sont alliés l'un à l'autre.
Pour qu'il y ait un marché intérieur unique, il faut que les mêmes règles s'appliquent à tous les Etats membres : soit les règles nationales s'appliquent sur l'ensemble du territoire européen, c'est le principe du pays d'origine, soit les règles sont construites, c'est le principe de l'harmonisation.
Les choses ne peuvent évidemment pas se faire du jour au lendemain par l'élimination de l'un des deux principes. Il faut passer d'un état donné, qui est l'existence de règles nationales, à un marché où les règles retenues reposeront sur l'égalité, pour que chacun puisse avoir ses chances économiques sur ce marché et qu'il construise une vraie prospérité. On ne peut donc pas exclure une règle au profit de l'autre lorsque l'on construit le marché.
Or, ce qui est reproché aux propositions de directive,...
M. Raymond Courrière. C'est d'exister !
M. Michel Mercier. ... c'est d'imposer le principe du pays d'origine sans discussion possible. On ne peut pas approuver cette façon de procéder. Je dois dire à ce propos que la façon dont s'est exprimé hier le président de la Commission européenne, M. Barroso, est inacceptable. (Très bien ! sur les travées du groupe socialiste.)
Nous ne partageons pas son avis lorsqu'il dit : « Si nous devons avoir un marché unique des services, il devra être basé essentiellement sur le principe du pays d'origine assorti des garanties appropriées ».
Je le répète, dans un premier temps, tandis que s'appliqueront les règles du pays d'origine, un effort d'harmonisation doit être mené par la Commission européenne.
Cela n'a rien d'exceptionnel, c'est exactement ce qui s'est fait dès 1992, sous la présidence de Jacques Delors, lorsque, à partir de l'arrêt « Cassis de Dijon », qui a décidé que chaque produit fabriqué dans un pays selon les règles du pays pouvait être vendu dans les autres pays membres, des dizaines de directives ont été publiées pour harmoniser les législations nationales.
Le même M. Barroso, qui arrive à nous faire douter de sa capacité à occuper son poste, voit dans les propositions des anciens Etats membres une protection contre l'arrivée des nouveaux.
Mme Catherine Tasca. C'est honteux !
M. Michel Mercier. En fait, le véritable problème vient de ce que l'on a voulu élargir l'Union européenne avant de l'approfondir.
M. Pierre Fauchon. Voilà l'erreur !
M. Michel Mercier. Il faut donc revenir à une harmonisation minimale. Qu'ensuite les règles du pays d'origine s'appliquent, cela semble normal, dans la mesure où la capacité de production de chaque pays doit être conservée, mais le principe premier de l'Union européenne, c'est l'harmonisation.
Il faut donc remettre à plat, réécrire cette directive en ce sens.
Ce que nous voulons faire le 29 mai prochain, c'est construire l'Union européenne. Mais cela ne signifie pas que l'Union doive s'étendre dans n'importe quelle condition sans autre règle que celle de la reconnaissance du droit de chaque Etat à s'imposer dans les Etats voisins. Telle n'est pas l'Europe que nous voulons.
L'Union européenne que nous voulons, c'est une Union dotée d'une constitution, d'un droit commun minimum, dans laquelle, bien évidemment, l'expression des spécificités nationales soit garantie.
La discussion de cette proposition de résolution nous a permis de rappeler ces principes. Il me semble nécessaire de les réaffirmer avec vigueur au moment où les Françaises et les Françaises vont devoir se prononcer sur ce que sera la future Union européenne. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Gérard Le Cam.
M. Gérard Le Cam. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de directive relative aux services dans le marché intérieur s'inscrit pleinement dans la « stratégie de Lisbonne », qui érige la compétition au rang de valeur de l'Union européenne.
A ce titre, cette proposition de directive préfigure l'Europe telle qu'elle est conçue par le traité constitutionnel européen. La dévotion aux règles du marché règne en maître dans la lettre et dans l'esprit de ces deux textes.
C'est pourquoi nous profitons de ce débat pour alerter à nouveau nos concitoyens sur l'enjeu du référendum du 29 mai prochain.
Déjà, les manifestations de jeudi dernier témoignent de l'angoisse sociale grandissante dans notre pays. A l'instar du traité constitutionnel européen, la proposition de directive Bolkestein ne devrait pas rassurer nos concitoyens sur l'avenir qu'on leur dessine à Bruxelles à l'Elysée et à Matignon.
Il ne s'agit pas d'un discours général, détaché de la réalité technique des textes en question. L'analyse détaillée de la proposition de directive fait apparaître en effet un certain nombre de dangers pour les travailleurs de notre pays et des autres Etats membres.
L'extrême ampleur et l'imprécision du champ d'application de la proposition de directive doivent nous inciter à la vigilance. Celle-ci couvre en effet les services fournis en tant qu'activité économique au sens du traité sur l'Union européenne et de la jurisprudence de la Cour de Justice des Communautés européennes, à savoir les services aux entreprises, les services aux entreprises et aux particuliers ainsi que les services aux particuliers.
La proposition de directive a donc une vocation horizontale. Elle ne prévoit pas une délimitation claire dans les domaines de l'économie sociale et des services d'intérêt général ainsi que dans les domaines déjà couverts par des directives sectorielles.
Dans la mesure où la proposition de directive Bolkestein s'ajoute aux directives sectorielles, elle pourrait remettre en cause les dispositions de textes existants ou en préparation, comme celles qui concernent, notamment, la reconnaissance des qualifications professionnelles et le détachement des travailleurs.
D'une part, l'introduction du principe du pays d'origine pourrait s'articuler difficilement avec la proposition de directive relative à la reconnaissance des qualifications professionnelles également en cours de discussion, laquelle permet à tout ressortissant communautaire, légalement établi dans un Etat membre, d'offrir une prestation de services de façon temporaire et occasionnel dans un autre Etat membre sous son titre professionnel d'origine et en respectant certaines formalités administratives.
La proposition de directive prévoit des mécanismes de reconnaissance mutuelle pour certaines professions mais d'autres professions sont exclues. Ajouter le principe du pays d'origine pourrait conduire à une reconnaissance de fait de qualifications qui, précisément, ont été exclues du champ de la directive sectorielle.
D'autre part, le principe du pays d'origine est en contradiction avec la directive 96/71/CE concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d'une prestation de service, qui consacre l'application du droit du travail du pays d'accueil.
La directive Bolkestein rendrait inapplicable la directive sur le détachement des travailleurs et mettrait très largement fin au pouvoir des Etats membres de vérifier, et donc de garantir, le respect des législations et des réglementations qui protègent les travailleurs contre différentes formes d'abus de la part des employeurs.
M. Bruno Retailleau. C'est vrai !
M. Gérard Le Cam. Afin de résoudre les contradictions inévitables entre les dispositions de cette directive à caractère transversal et celles d'autres directives concernant des services qu'elles régissent, la commission des affaires économiques propose de demander que « soit affirmée la primauté du droit communautaire sectoriel sur la directive sur les services dans le marché intérieur ».
Cette disposition n'a malheureusement aucun sens juridique. Ni dans les traités existants, ni dans la jurisprudence communautaire, ni dans le traité établissant une Constitution pour l'Europe il n'existe de hiérarchie des normes reconnaissant la primauté entre ces deux types de directives.
En cas de contradiction, c'est la Cour de justice des communautés européennes qui sera amenée à trancher, selon une lecture libérale du droit communautaire.
Par ailleurs, à l'heure où l'élargissement entraîne de fortes disparités au sein de l'Union européenne, cette proposition entérine un renoncement injustifié à la méthode communautaire d'harmonisation des législations nationales, et ce afin de rendre légal le dumping fiscal, le dumping social et juridique ainsi que le dumping environnemental.
Nous demandons résolument le rejet du principe du pays d'origine. Nous ne pouvons donc souscrire à la proposition de résolution qui nous est soumise, laquelle se contente de demander l'abandon de ce principe « en l'attente des résultats des études d'impacts » réalisées par le Gouvernement.
On sait d'ores et déjà que le principe du pays d'origine sera appliqué in fine.
C'est inacceptable. Avec cette directive, les salariés issus de pays bénéficiant de législations sociales moins protectrices pourront travailler sur notre territoire dans les domaines des services, y compris des services publics, aux conditions de leurs pays d'origine. En effet, les services d'intérêt général ne sont pas explicitement exclus du principe du pays d'origine.
D'ailleurs, la proposition de résolution de la commission des affaires économiques demande une précision quant aux « conditions de la non-application du principe du pays d'origine aux services d'intérêt économique général », ce qui laisse entendre que, sous certaines conditions, le principe du pays d'origine pourrait s'appliquer.
Plus généralement, nous soulignons la confusion terminologique qui règne en la matière et qui est largement entretenue par les tenants de la directive.
L'ambiguïté est un mode de rédaction prisé par les services de la Commission européenne. Or ce genre de procédé constitue une source d'insécurité juridique et sociale que nous ne pouvons accepter.
On ne peut méconnaître que le traité constitutionnel, non seulement ne protège en rien contre ce genre de dérives, mais les conforte juridiquement puisqu'il érige en objectif de l'Union « un marché intérieur où la concurrence est libre et non faussée » et considère comme « libertés fondamentales » la « libre circulation des personnes, des services des marchandises, ainsi que la liberté d'établissement ».
En outre, la partie III du projet de Constitution, notamment en son titre III, offre une seconde base juridique à la proposition de directive Bolkestein. Elle prône en effet la liberté d'établissement et la liberté de circulation des personnes et des services et interdit toute restriction à ces libertés.
L'attitude des tenants du oui au traité constitutionnel face à la proposition de directive sur les services est contradictoire. Ils prétendent s'opposer à cette directive alors même qu'ils soutiennent le traité constitutionnel qui lui confère une base juridique.
La contradiction ne s'arrête pas là : le parti socialiste européen et la droite du Parlement européen ont tous deux approuvé la directive lors de sa présentation le 13 février 2003, tandis que le parti communiste votait contre.
Les Françaises et les Français doivent être informés du double jeu auquel se livrent les tenants du oui au traité constitutionnel et du non à la directive Bolkestein.
Cette contradiction éclatante a été confirmée par la voix du ministre espagnol de l'économie, Pedro Solbes, le 9 mars dernier, lorsqu'il affirmait que « le principe de l'application du pays d'origine (...) est un principe de base de la construction européenne ».
Rappelons également que le Gouvernement avait soutenu cette proposition lors de la réunion du Conseil européen des 25 et 26 novembre dernier.
Devant le mécontentement, le Premier ministre changeait son fusil d'épaule et annonçait en janvier que cette directive était « inadmissible », qu'il convenait qu'elle soit « remise à plat ».
Depuis, le Gouvernement clame haut et fort que « la directive est inacceptable en l'état et doit faire l'objet d'une remise à plat ».
L'attitude du Gouvernement est fonction des circonstances.
Les déclarations faites hier par M. Barroso sont extrêmement claires. « Quand je dis que nous sommes prêts à répondre aux véritables préoccupations sur la manière de fonctionner du principe du pays d'origine, cela ne signifie pas que nous allons abandonner ce principe », a-t-il expliqué.
La Commission européenne ne rend donc pas les armes. Pour le moment, elle remise la proposition au fond de ses tiroirs pour ne pas effaroucher les électeurs français. Mais cette directive sera bel et bien adoptée en l'état, ou presque, après le référendum français du 29 mai prochain. Ni la Commission européenne, ni les gouvernements des Etats membres ne réviseront fondamentalement ce texte.
La constitution d'une véritable Europe sociale et solidaire appelle une remise en cause profonde des fondements de sa construction.
Il est vrai que depuis plus de cinquante ans elle reste à construire si l'on en croit les affirmations de Dominique Braye, qui, en commission, a tenu les propos suivants : « Il n'existe pas d'Europe sociale et il n'est pas près d'en exister pour un moment ! ». (Sourires.)
M. Dominique Braye. Je m'expliquerai plus tard !
M. Gérard Le Cam. En votant « non » au référendum, les Françaises et les Français mettront concrètement à l'ordre du jour l'adoption pour l'Union européenne d'autres fondements que ceux qui sont proposés dans la directive Bolkestein et le traité établissant une Constitution pour l'Europe. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. François Fortassin.
M. François Fortassin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous assistons à un débat qui a quelque chose de surréaliste.
M. Michel Teston. Ça commence bien !
M. François Fortassin. Inacceptable, mal rédigée, mal écrite, mal expliquée, la proposition de directive est en butte à une sorte de concert d'hostilités auquel je ne pourrais pas ajouter grand-chose.
Et si ce débat est surréaliste, c'est parce que tous ceux qui disent tant de mal de cette directive Bolkestein vont malgré tout la voter.
M. Jean Bizet, rapporteur. En la réécrivant !
M. François Fortassin. Certes ! Mais ce sera un replâtrage. Vous parviendrez au même résultat qu'en appliquant un sinapisme sur une jambe de bois.
M. Denis Badré, rapporteur pour avis. Homme de peu de foi ! (Sourires.)
M. François Fortassin. En fait, cette directive aura des conséquences catastrophiques pour ne pas dire cataclysmiques. Pour ma part, je ne peux pas la dissocier, même si l'on m'explique que les deux textes concernés n'ont rien à voir entre eux, du vote que les Français devront émettre le 29 mai.
Dans la mesure où il faut revoir cette directive, la logique aurait été d'en demander le retrait, de la réécrire avec un peu moins de galimatias démocratique...
M. Daniel Raoul. Très bien !
M. François Fortassin. ... et sans précipitation.
M. Bruno Retailleau. Eh oui !
M. François Fortassin. Et je me place là sur un plan politique.
Depuis des décennies, la France - c'est tout à son honneur - s'est attachée à ce que les pays candidats à l'Union européenne adoptent préalablement à leur entrée un régime démocratique et respectent les droits de l'homme. Cela n'était pas évident pour un certain nombre de pays ; ce ne l'était pas forcément pour nos voisins espagnols et portugais à l'époque de leur adhésion. Ils ont bien joué le jeu. Les pays qui ont adhéré dernièrement ont également accepté cette règle.
Pourquoi la France ne montrerait-elle pas la même exigence en matière d'harmonisation sociale ?
Je regrette, madame la ministre, que vous n'ayez manifesté que de l'« étonnement » auprès de la Commission, que vous ayez « souhaité que... ». Vos propos ont manqué singulièrement de tonicité.
M. Raymond Courrière. C'est mou !
M. François Fortassin. Nous, face aux déclarations de M. Barroso, nous montrons un peu plus que de l'étonnement.
M. Daniel Raoul. Eh oui !
M. François Fortassin. En Europe, la France peut parler d'une voix très forte !
Voilà ce que je souhaitais dire. Comme vous pouvez le constater, monsieur le président, mon intervention fut courte.
M. le président. C'est très bien ! (Rires.)
M. François Fortassin. D'autres présidents de séance m'ont reproché un temps de parole un peu excessif, j'ai donc retenu la leçon. (Sourires.)
Pour ceux qui, comme moi, feront campagne pour le oui au référendum du 29 mai tout en comprenant parfaitement que d'autres puissent émettre un vote négatif, ...
M. Yves Coquelle. Eh oui !
M. François Fortassin. ... accepter cette directive, même avec quelques amodiations ici où là, ce serait se tirer une balle dans le pied. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, du groupe socialiste et du groupe CRC. - M. Retailleau applaudit également.)
M. Dominique Braye. C'est mieux que dans la tête !
M. le président. La parole est à M. Roland Ries.
M. Roland Ries. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, il y a quelques mois, les chefs d'Etat et de gouvernement ont signé le traité établissant une Constitution pour l'Europe. Dans le préambule, ils mentionnent leur conviction « que l'Europe (...) entend avancer sur la voie de la civilisation, du progrès et de la prospérité, pour le bien de tous ses habitants, y compris les plus fragiles et les plus démunis ; qu'elle veut demeurer un continent ouvert à la culture, au savoir et au progrès social ; ».
Ce ne sont pas que des mots. Ces termes contiennent un programme politique pour l'Europe de demain. De plus, ils renvoient à une idée européenne qui guide notre action depuis plus de cinquante ans, une idée européenne dont la Constitution est un aboutissement qui permettra de faire avancer l'Europe politique et l'Europe sociale à laquelle nous aspirons.
C'est dans ce contexte que la Commission européenne a soumis au Parlement et au Conseil européens une proposition de directive dont l'objectif affiché est d'organiser la suppression des obstacles à la liberté d'établissement des prestataires de service et à la libre circulation des services entre les Etats membres.
Quels constats peut-on dresser à la lecture de cette proposition de directive ?
D'abord, son champ d'application reste extrêmement flou. La frontière incertaine entre les notions de services d'intérêt général - exclus de la directive - et de services d'intérêt économique général - concernés, eux, par la directive - illustre déjà les difficultés d'application et d'interprétation à venir.
Ensuite, la directive restreint fortement le champ des régimes d'autorisation et la capacité de contrôle des Etats. A titre d'exemple, elle supprime la déclaration préalable au détachement de travailleurs, qui permettait à l'Etat d'accueil de contrôler le respect par l'entreprise étrangère des règles en matière de droit du travail.
Par ailleurs - c'est peut-être le point essentiel -, l'article 16 de la directive dispose que « les Etats membres veillent à ce que les prestataires soient soumis uniquement aux dispositions nationales de leur Etat membre d'origine ». Concrètement, cela signifie qu'une entreprise d'un autre Etat de l'Union venant fournir un service en France resterait soumise au droit de son pays. En cas de contentieux avec le bénéficiaire du service, l'entreprise ne pourra se voir opposer la réglementation française en vigueur, concernant, par exemple, la protection des consommateurs, les normes de qualité, voire l'engagement de la responsabilité contractuelle du prestataire.
Ce principe du pays d'origine - disposition phare de la directive -, octroiera donc une prime à l'Etat le moins exigeant, au risque d'un dumping social, fiscal, environnemental et juridique.
Le Conseil d'Etat lui-même, dont on connaît pourtant la modération, a rendu le 18 novembre 2004 un avis extrêmement critique sur le texte. Il relève que l'application de ce principe serait source d'insécurité juridique et d'actions contentieuses.
Il ajoute : « L'application simultanée de plusieurs droits nationaux, qui sont placés en concurrence sur un même territoire, soulève plusieurs questions de principe. En l'état du projet (...), il y a lieu de relever que sont en cause certains principes fondamentaux de valeur constitutionnelle tels que la souveraineté nationale, l'égalité devant la loi et la légalité des délits et des peines. »
La Commission a-t-elle perçu les faiblesses de son principe fétiche ?
Il est intéressant de noter qu'elle prévoit déjà dans l'article 17 de la directive vingt-trois cas de dérogations générales au principe du pays d'origine et ajoute trois cas de dérogations transitoires.
Quoi qu'il en soit, cette proposition de directive est en nette rupture avec la méthode employée par les institutions communautaires pour développer la construction européenne.
Lors de la mise en place du marché unique, puis du marché intérieur, à travers le traité de Luxembourg de 1986 et le traité de Maastricht de 1993, la méthode retenue pour favoriser la libre circulation des personnes, des marchandises, des services et des capitaux était fondée sur la recherche d'une harmonisation entre les législations nationales.
Cette méthode a conduit les institutions européennes à proposer des directives pour mettre fin aux obstacles techniques, juridiques et administratifs à la libre circulation des biens de deux manières : la première, c'est l'adoption d'une législation européenne remplaçant, à terme, les législations nationales ; la seconde, c'est le principe dit de reconnaissance mutuelle. Dans ce cas, les Etats membres décident d'accorder aux lois et aux normes techniques en vigueur dans un autre Etat membre la même validité qu'aux leurs. En d'autres termes, si un produit pouvait être commercialisé légalement dans un pays de l'Union européenne, il pouvait l'être dans les autres.
Cette méthode, initiée par Jacques Delors, est aujourd'hui remise en cause par le principe du pays d'origine.
En effet, la Commission européenne refuse d'harmoniser les législations nationales. Elle se contente d'accepter que les législations nationales d'un Etat s'appliquent dans un autre Etat membre de l'Union.
Cela remet profondément en cause la notion même de marché unique, car nous allons nous retrouver devant vingt-cinq législations différentes s'appliquant les unes chez les autres. Au lieu de construire un modèle de société cohérent et de chercher à niveler la qualité de vie des Européens par le haut, on laisse faire les Etats, sans garantie ni protection pour le citoyen européen. Ainsi, le risque est grand pour les consommateurs de se voir soumis à une insécurité juridique accrue et à de nombreux contentieux.
Le principe du pays d'origine a certes déjà été utilisé, notamment dans la directive « télévision sans frontières », mais il n'est jamais apparu comme un principe de fonctionnement et de méthode de construction communautaires.
A vrai dire, comme vous pouvez le constater, mes chers collègues, c'est l'économie générale du texte qui est défectueuse. Sa logique intrinsèque est condamnable.
La commission des affaires économiques nous soumet aujourd'hui une proposition de résolution demandant des aménagements, des modifications et d'autres améliorations.
Oui, on peut essayer de multiplier à l'infini les exceptions, les exclusions, les dérogations, les mises sous condition ! Mais, il faut se rendre à l'évidence, lorsqu'un principe ou une proposition fait l'objet de tant d'aménagements, d'exceptions et de dérogations, c'est qu'il existe un problème avec le principe ou la proposition elle-même.
M. Daniel Raoul. Eh oui !
M. Roland Ries. Amender cette directive n'a pas de sens, car elle n'est pas amendable. Soyons donc clairs, fermes et, surtout, cohérents !
Le groupe socialiste ne peut se satisfaire des palinodies gouvernementales. Depuis quelques semaines, le Président de la République s'émeut de cette directive, entraînant avec lui les ministres dans une surenchère de communiqués critiques.
En réalité, à la fin du mois de novembre, trois ministres français étaient présents, à Bruxelles, au conseil Compétitivité qui examinait cette proposition de directive. Le compte rendu fait mention d'un accord global, avec peut-être quelques remarques sur le principe du pays d'origine, mais en acceptant qu'elle serve de base de discussion.
Mme Catherine Tasca. C'est clair !
M. Roland Ries. Au regard de l'ensemble des dispositions de la directive, comme de l'état d'esprit qui la sous-tend, la seule position conséquente est donc d'en demander le retrait.
A l'heure où l'Europe avance vers l'adoption d'une Constitution qui sera le meilleur rempart contre les dérives de type Bolkestein, nous ne devons pas renier notre idéal d'une Europe sociale et politique, qui est et reste, pour nous, l'objectif ultime. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau.
M. Bruno Retailleau. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, malgré la clarté du rapport, la bonne foi et l'honnêteté intellectuelle de notre rapporteur, je ne pourrai pas m'associer au vote de la proposition de résolution qui a été approuvée par la commission, parce qu'elle me semble terriblement ambiguë et timide.
La proposition de résolution est ambiguë parce que vous ne proposez, madame la ministre, que quelques amodiations : il suffirait, selon vous, de réaliser une étude d'impact, de prévoir quelques exemptions supplémentaires pour rendre les choses acceptables.
Par ailleurs, elle est timide parce que vous ne proposez pas une solution cohérente, qui serait le retrait pur et simple de cette proposition de directive.
Je défendrai un point de vue différent en soutenant tout d'abord que cette directive n'est ni un hasard ni un accident, mais qu'elle procède d'une vraie logique. J'expliquerai ensuite pourquoi elle n'est pas amendable. Enfin, je reviendrai sur l'approche des services publics telle qu'elle s'inscrit pour partie dans le champ de ce projet de directive.
Premier point : cette proposition de directive procède-t-elle d'un accident, d'une maladresse de la Commission ou, au contraire, d'une logique.
Il suffit, mes chers collègues, de lire le premier considérant de la proposition pour s'apercevoir qu'elle sous-tend deux objectifs : d'une part, l'intégration des peuples - à savoir une logique politique - et, d'autre part, le progrès économique et - sans rire !- social.
La logique politique, c'est la dérive fédérale, la course au fédéralisme : il s'agit de supprimer, d'éradiquer toute distinction, toute diversité, toute différence afin d'avoir, avec la Constitution, un Etat unique, un territoire unique, une monnaie unique.
Cette directive a au moins l'intérêt de faire éclater au grand jour la contradiction qui existe entre deux modèles européens : un modèle respectueux des peuples, des nations, des démocraties nationales et un modèle qui veut tout effacer, qui n'est qu'une vision prométhéenne, complètement rêvée de l'Europe.
La logique économique, c'est celle d'un libéralisme perverti. Mes chers collègues, une économie de marché ne peut pas se développer dans le désordre ou dans l'insécurité juridique. Karl Popper, qui n'était certainement pas un penseur marxiste, a dit un jour qu'il fallait défendre la liberté contre ses propres fanatiques. Aujourd'hui, nous en sommes là : il y a une suite logique entre les déclarations de M. Verheugen, de Mme Danata Hubner et de M. Barroso ; ce ne sont pas des interventions sporadiques. Elles correspondent malheureusement, à une constante chez les commissaires européens.
J'ai entendu tout à l'heure un point de vue intéressant selon lequel il existerait une alternative entre le principe du pays d'origine, le PPO, et l'harmonisation.
En fait, le principe du pays d'origine, c'est l'échec de l'harmonisation. Hier, M. Barroso a bien indiqué que l'harmonisation prendrait des années avec des Etats si hétérogènes.
Par conséquent, la Commission a voulu faire un saut qualitatif - si j'ose dire - ...
M. Jean Bizet, rapporteur. Merci de le reconnaître !
M. Bruno Retailleau. ... mais un saut vers le bas, cher ami Jean Bizet.
Certains pourraient être tentés de me rétorquer qu'il y a un précédent dans l'histoire de la construction européenne : l'Acte unique, dont le principe est le PPO. Certes, mais il y a une grande différence : si les marchandises sont des objets, les services impliquent des hommes et des femmes et, derrière la notion de services, il y a les services publics et des standards sociaux.
Vous voyez bien, mes chers collègues, que la genèse de ce texte n'est pas accidentelle mais qu'elle procède d'une logique, je devrais même dire d'une « idéo-logique » : celle qui a cours aujourd'hui à Bruxelles.
Deuxième point : ce texte est-il amendable ? La réponse est bien évidemment négative puisqu'il a une prétention quasiment universelle ou en tout cas quasiment générale. Vous ne pouvez pas dès lors le transformer en un texte sectoriel. Vous aurez beau ajouter quelques exemptions aux vingt-trois exemptions qui existent déjà, vous n'obtiendrez qu'un mauvais gruyère avec de gros trous, autour desquels le PPO subsistera. Par conséquent, il faut abandonner ce texte.
Quant à votre argumentation pivot selon laquelle il vaut mieux une directive, fût-elle mauvaise, plutôt qu'une jurisprudence prétorienne de la Cour de justice, elle me semble très fragile.
En effet, la Cour de justice intervient non pas au niveau des directives mais au niveau des traités. Elle a pour objet de vérifier la conformité des directives aux traités et non l'inverse. Je pourrais vous citer des dizaines d'exemples de jurisprudence - sur le repos dominical, entre autres - dans lesquels une directive a été en tout ou partie annulée par la Cour de justice.
Cette proposition de résolution ne fait que constater par anticipation l'échec programmé de la demande de retrait. On peut le déduire des propos de M. Barroso. Au Parlement européen, une majorité claire ne se dégagera même pas pour abandonner ce texte.
En France, on va « balader » les citoyens électeurs jusqu'au 29 mai prochain. Après, à Dieu va ! et l'on connaît la suite...
Troisième et dernier point : ce texte pose la question des services publics et notamment des services d'intérêt économique général, les SIEG.
Jusqu'à présent, l'intrusion de la Commission européenne dans nos services publics se faisait via le droit de la concurrence ; je pense ainsi à la loi de régulation postale que nous avons adoptée il y a quelques jours.
Mais vous allez constitutionnaliser, graver dans le marbre l'article III-122, octroyant ainsi à la Commission européenne, qui en profitera sans gêne, une légitimité pour intervenir dans les SIEG, sur leurs principes et leurs conditions de fonctionnement.
Mes chers collègues, il faut arrêter de déplorer les effets quand on chérit les causes ! Les deux sont liés et ne peuvent être dissociés.
Je tire trois conclusions de mes propos.
Premièrement, le PPO représente le nivellement général par le bas ; il faut donc l'abandonner. Il s'agit d'être clair et de ne plus dire : « Je ne suis ni pour ni contre. »
Deuxièmement, si la Constitution est votée, nous voterons des résolutions, mais les décisions seront prises ailleurs. Vous voyez à quoi risquent d'être réduits les parlements nationaux, notre assemblée en particulier.
Troisièmement, mes chers collègues, je crois pouvoir dire à tous ceux d'entre vous qui ont aimé la directive Bolkestein qu'ils adoreront la Constitution !
M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Hyest.
M. Jean-Jacques Hyest. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je n'utiliserai pas de formules chocs, lesquelles masquent parfois une certaine complexité, et je me contenterai, en revenant à des choses beaucoup plus concrètes, d'évoquer un aspect de la proposition de directive sur les services.
Je parle de directive sur les services, car je pense que l'on ne devrait jamais affecter les lois d'un nom propre, a fortiori les directives. En l'occurrence, cette proposition de directive tire son nom d'un commissaire, qui n'occupe plus le même poste aujourd'hui.
Cela dit, je me contenterai, monsieur le président, d'évoquer deux problèmes concernant les officiers publics ou ministériels et les avocats. Je n'aborderai les problèmes soulevés par la directive à l'égard de l'application de la loi pénale que lors de l'examen d'un amendement.
En ce qui concerne les officiers publics ou ministériels, la proposition de directive ne prévoit aucune dérogation pour exclure ces professions juridiques réglementées de son champ d'application. Or, à la différence des avocats, les officiers publics ou ministériels ne sont régis par aucune réglementation communautaire sectorielle susceptible de les faire échapper à ce texte général.
Ces professions pourraient bénéficier de l'exception posée par l'article 45 du traité, mais il ressort de l'interprétation de la Cour de justice des Communautés européennes que les professions juridiques réglementées françaises pourraient ne pas être protégées par cette dérogation. La plupart d'entre elles entrent effectivement dans le champ des services participant à l'exercice de l'autorité publique - greffiers des tribunaux de commerce, huissiers de justice, notaires et commissaires-priseurs judiciaires -, mais d'autres - avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation et avoués près les cours d'appel - paraissent exclues du bénéfice de la dérogation de l'article 45 au regard de la jurisprudence de ladite Cour.
C'est la raison pour laquelle le maintien de ces professions dans le champ d'application de la proposition de directive relative aux services pourrait fragiliser leur statut et bouleverser l'organisation judiciaire. La participation de ces professions au service public de la justice mérite d'être prise en compte, même si les activités en cause ne sont pas directement liées à l'exercice de l'autorité publique. A ce titre, il conviendrait de prévoir un traitement particulier de ces professionnels. Comme l'indique d'ailleurs M. Badré dans son rapport, il n'appartient évidemment pas à une directive relative aux services de légiférer dans le domaine « justice et affaires intérieures », qui relève de dispositions communautaires spécifiques.
Madame la ministre, vous avez indiqué que les professions juridiques réglementées devaient être exclues du champ de la directive, et nous en prenons acte ; c'est ce que préconise la proposition de résolution.
Les problèmes soulevés par la proposition de directive à l'égard des avocats sont complètement différents.
La libre prestation de services offerte par les avocats et le libre établissement de ces professionnels dans un Etat membre autre que celui dans lequel la qualification a été acquise font déjà l'objet d'une réglementation communautaire assez avancée à travers deux directives, que nous avons d'ailleurs eu à transposer dans le droit français. Nous avons à plusieurs reprises évoqué ces questions, notamment en commission des lois.
Ce contexte explique le fait que les avocats soient soumis, dans le projet de directive, à des dispositions distinctes de celles qui sont proposées pour les autres professions réglementées.
Néanmoins, le texte proposé par la Commission européenne institue un mécanisme complexe en incluant les avocats dans son champ d'application tout en les excluant de l'application du principe du pays d'origine s'agissant des activités couvertes par la directive 77/249 CE.
Si la méthode communautaire fait primer les textes particuliers sur les textes généraux, la rédaction de la proposition de directive paraît ambiguë en ne reconnaissant pas clairement la primauté du droit communautaire sectoriel. De ce fait, les avocats s'inquiètent d'une éventuelle contradiction entre les principes posés par la directive et ceux régissant les directives sectorielles.
Tel est l'avis exprimé par le barreau de Paris notamment, ainsi que par le Conseil national des barreaux, selon lequel les directives sectorielles se suffisent à elles-mêmes, même si elles peuvent être améliorées.
On pourrait par ailleurs estimer que la clarification de l'articulation entre la directive sur les services et les directives sectorielles permettrait de préserver le statut des avocats sans qu'il soit nécessaire de les exclure du champ de la directive.
La proposition de résolution reprend ce raisonnement en demandant l'affirmation de la primauté du droit communautaire sectoriel sur la directive sur les services dans le marché intérieur, sans remettre en cause le maintien des avocats dans le champ de la directive sous les réserves prévues par l'article 17 du texte.
Afin d'éviter toute erreur d'interprétation et de clarifier la compatibilité des différents textes communautaires qui ne ressort pas de manière évidente de la rédaction de la proposition de résolution, je souhaiterais, madame la ministre, obtenir la confirmation que le fait d'être inclus dans le champ de la directive n'empêche pas les avocats de demeurer sous l'empire des deux directives sectorielles, y compris lorsque les règles qui en résultent seraient contraires à la proposition de directive.
En outre, il conviendrait d'obtenir l'assurance que la logique sectorielle, guidée par le souci d'harmoniser les législations, ne sera pas remise en cause après l'entrée en vigueur éventuelle d'une directive sur les services, mais qu'elle perdurera.
Telles sont les observations relatives aux professions juridiques que je voulais formuler, étant entendu que, pour ce qui concerne l'application de la loi pénale, qui pose de redoutables problèmes, j'aurai l'occasion, lors de l'examen d'un amendement, de développer ce point qui a été abordé tant par la délégation pour l'Union européenne que par la commission des affaires économiques. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)
M. le président. La parole est à Mme Catherine Tasca.
Mme Catherine Tasca. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, Roland Ries a exposé avec force plusieurs des raisons essentielles pour lesquelles nous souhaitons que la Commission européenne retire sa proposition de directive relative aux services dans le marché intérieur, dite « directive Bolkestein ». Il s'agit tout d'abord du risque majeur de dumping social que fait courir l'application du principe du pays d'origine, ensuite, de la rupture avec l'objectif d'harmonisation des législations sociales qu'elle implique. Il est une autre raison que je souhaite développer maintenant, à laquelle nous sommes très attachés en France : je veux parler de la défense des services publics, lesquels, pour les socialistes, sont au coeur du pacte républicain.
Je présenterai demain devant la délégation du Sénat pour l'Union européenne un projet de rapport sur le Livre blanc de la Commission consacré aux services d'intérêt général. Les deux sujets sont directement liés. En l'état, le champ trop vaste des services concernés par la directive Bolkestein est très dangereux, car il risque de définir par défaut et a minima le périmètre des services publics.
Les services dits « d'intérêt économique général » sont en effet concernés par cette proposition de directive. Or, derrière ce vocable, on entend des missions à la fois fondamentales pour la cohésion sociale et très diverses, je pense notamment à tous les services de santé et de protection sociale. Ces services ne peuvent en aucun cas être régis par les mêmes règles que les services marchands classiques.
A l'évidence, la distinction actuellement opérée par la Commission entre les services d'intérêt général et les services d'intérêt économique général n'est pas pertinente : il n'existe pas de service qui soit totalement en dehors de l'économie. Le logement social, par exemple, est un service d'intérêt général forcément inséré dans l'économie. Il devrait être exclu du champ d'application de la directive, qui l'inclut au titre du régime d'autorisation. C'est le cas également de toutes les entreprises d'insertion qui emploient des prestataires de services aux particuliers.
De surcroît, nous ne devons pas le perdre de vue, les services d'intérêt général contribuent à la prospérité économique et sont générateurs d'emploi. D'autres règles que celle de la libre concurrence doivent donc leur être appliquées.
Le 29 mai prochain, les Français vont être consultés par référendum pour savoir s'ils approuvent le traité constitutionnel européen. Nous sommes favorables à cette ratification ; nous menons activement campagne pour le oui. Le projet de directive Bolkestein est en contradiction avec le texte du traité, qui reconnaît, dans ses articles II-96 et III-122, l'existence et les objectifs sociaux des services publics ainsi que le droit des Etats à assurer leur fonctionnement par un financement adéquat.
Les enjeux du débat sur ce traité sont trop graves pour que l'on use d'arguments fallacieux. On ne peut laisser opérer un amalgame trompeur entre les deux textes. Si le traité constitutionnel était déjà applicable, le projet de directive Bolkestein aurait pu être rejeté pour réexamen, en vertu même de l'exercice du contrôle du principe de subsidiarité désormais attribué aux parlements nationaux.
Pour ces raisons, nous demandons non seulement le retrait de la directive actuelle, mais aussi, préalablement à toute nouvelle directive sur les services, l'adoption d'une directive-cadre sur les services d'intérêt général.
Cela relève d'un choix fondamental entre deux modèles européens de société fondés, l'un, sur les seules forces du marché, au détriment des plus faibles, l'autre, que nous devons promouvoir, sur les principes de solidarité et de cohésion sociale garantissant à chacun des conditions de vie dignes.
Ainsi, en matière de services, l'Union européenne ne doit pas être « unijambiste ». Elle doit développer simultanément un droit des services publics et un droit des services strictement marchands.
Madame la ministre, il ne suffit pas de demander l'harmonisation avant l'application de la directive, il faut aller plus loin pour être fidèle à notre projet d'Europe. Cela implique que la Commission retire sa proposition de directive ; cela implique également que la France s'engage fermement à convaincre ses partenaires de la nécessité d'une directive-cadre sur les services d'intérêt général.
M. Raymond Courrière. Très bien !
Mme Catherine Tasca. Face à l'intransigeante arrogance affichée, hier encore, par M. Barroso, en retrait par rapport à ses précédentes déclarations et en contradiction avec le futur traité, la détermination de notre pays doit être sans faille. C'est ce que le groupe socialiste du Sénat attend du Gouvernement ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Bernard Murat.
M. Bernard Murat. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, j'ai écouté les avis de nos éminents rapporteurs, qui ont réalisé un travail remarquable sur un dossier complexe. Je dois l'avouer, je suis moins optimiste qu'eux, même si je voterai la proposition de résolution, celle-ci devant être perçue comme un signal d'alarme à l'intention du président Barroso, qui a mis de l'huile sur le feu. Madame la ministre, nous comptons sur vous pour lui transmettre sans ambiguïté le sentiment exprimé par la majorité du Sénat.
Quatorze mois après sa présentation en catimini, la proposition de directive Bolkestein relative aux services dans le marché intérieur alimente toutes les inquiétudes et risque de perturber le débat démocratique durant la campagne référendaire.
M. Jean-Pierre Bel. Alors, demandez qu'elle soit retirée !
M. Bernard Murat. Un nombre croissant de nos compatriotes, pourtant peu enclins à suivre de près les débats européens, manifestent aujourd'hui leur hostilité à cette proposition de directive. Il ne se passe pas une journée sans que nous soyons interpellés,...
M. Didier Boulaud. Très bien !
M. Bernard Murat. ...dans le secteur économique, dans les médias, au Parlement, sur les incidences négatives qui pourraient découler de l'adoption en l'état de cette directive, qui, comme vous l'avez indiqué, madame la ministre, est inacceptable.
M. Raymond Courrière. Si elle est inacceptable, il ne faut pas l'accepter !
M. Bernard Murat. En Corrèze, le sujet est même abordé en conseil municipal par des maires soucieux de sensibiliser la population de leur commune. Le président de l'association départementale des maires a vigoureusement pris position contre cette directive.
Pourtant, s'inscrivant dans un processus de réformes économiques dont la finalité est de faire de l'Union européenne l'économie la plus compétitive et la plus dynamique du monde à l'horizon 2010, cette directive prétend mettre en place un véritable marché intérieur des services et est présentée par la Commission comme une avancée.
S'il est vrai que le secteur des services représente plus des deux tiers du produit intérieur brut, la libre circulation des services en Europe se heurte à d'importants obstacles dus à la diversité des législations et des réglementations nationales en matière de conditions d'exercice de certaines activités, de protection des consommateurs ou de réglementation des ventes.
Ainsi, alors que l'Europe et la France ont plus que jamais besoin de nouvelles opportunités de croissance, il est important de fixer les règles d'établissement d'un marché unifié des services et de rattraper notre retard en la matière.
Mais dans son état actuel, parce qu'elle a vocation à résoudre en un seul texte les problèmes de l'ensemble des services dans le marché intérieur, ce qui recouvre des activités par nature complexes et hétérogènes, la directive a un caractère transversal, voire universel, qui engendre de nombreuses incertitudes chez les prestataires et les bénéficiaires de services.
Je citerai un exemple parmi d'autres. Au mois de novembre dernier, intervenant lors d'un colloque organisé par le ministère de la jeunesse et des sports sur les enjeux des projets de réglementations de l'Union européenne pour les associations, j'avais dénoncé, devant un auditoire attentif et préoccupé par ce dossier, ce qui paraissait poser problème dans l'application des principes de liberté d'établissement des prestataires de services et de liberté de circulation des services tels qu'énoncés dans ce texte aux activités des associations du secteur sportif, lesquelles peuvent être considérées comme des prestations de services - encadrement de la pratique sportive, organisation de compétitions, etc.
Je n'entrerai pas dans le détail, mais, si nous en restons là, un acteur de l'un des pays de l'Union européenne pourra, sans en demander l'autorisation, créer une activité de services à caractère sportif dans un autre pays de l'Union, et ce en appliquant les conditions d'exercices de son pays d'origine.
Ainsi, le pays d'accueil sera éventuellement confronté, sur son territoire, à la présence d'acteurs soumis à des règles plus favorables. Cette situation risque de provoquer des distorsions de concurrence et d'avoir de nombreuses incidences en termes de qualité et de sécurité, voire, comme vous l'avez signalé, madame la ministre, d'entraîner un nivellement par le bas des législations, en particulier dans le domaine social, même si le modèle français devient de plus en plus une exception qui ne séduit guère nos partenaires européens, même les plus à gauche.
Si la construction européenne est une nécessité pour la France, elle doit avoir pour objectif d'élever le niveau de la qualité des services rendus aux citoyens européens. L'élargissement de l'Europe ne peut se construire sur une concurrence déloyale entre ses membres, en dehors de toute solidarité et sans une forme de tutorat des nations qui constituent son noyau historique.
Par conséquent, maintenir le texte actuel de cette proposition de directive n'est pas envisageable. Le Président de la République et le Premier ministre l'ont clairement indiqué : la proposition de directive de la Commission sur les services est inacceptable en l'état et doit faire l'objet d'une remise à plat.
La Commission européenne elle-même a pris conscience des difficultés soulevées par cette proposition et s'est engagée à améliorer le texte. Cependant, les fondements étant mauvais, nous ne saurions nous contenter d'un simple replâtrage : c'est à la réécriture totale de la directive que doit travailler la Commission. Pour faciliter cette réécriture, ne conviendrait-il pas de retirer la directive, afin de mettre un terme au doute qui assaille les partisans, dont je suis, d'un oui raisonné ?
Madame la ministre, mes chers collègues, nous sommes réunis ce matin pour prendre acte, pour nous positionner et pour adopter une résolution qui, je l'espère, nourrira les travaux à venir, en particulier ceux de la Commission, et trouvera un écho auprès de nos collègues du Parlement européen, qui examineront ce texte au mois de juillet ou à l'automne prochain.
II s'agit pour nous de nous saisir officiellement de ce dossier et de soutenir l'action du Gouvernement au niveau européen afin que soient établies des normes définissant un cadre tant économique que social, et ce dans le respect de notre culture et de nos traditions, ainsi que de notre conception, très hexagonale, je le concède, du service public.
Non, monsieur Bolkestein, l'Europe ne peut se construire sans l'harmonisation des lois et l'adhésion des femmes et des hommes qui y vivent, qui ont une histoire et disent « oui » à l'Europe telle que l'ont voulue ses pères fondateurs, dont le Président de la République est aujourd'hui l'héritier. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et sur certaines travées de l'UC-UDF.)
M. le président. La parole est à M. Francis Grignon.
M. Francis Grignon. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, tout ayant été dit par les orateurs précédents, je me contenterai d'aborder, de façon brève et pragmatique, le problème posé par le principe du pays d'origine, à travers des exemples vécus sur le terrain.
Aujourd'hui, en vertu de la directive européenne du 16 décembre 1996 concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d'une prestation de services, un travailleur d'un Etat membre présent temporairement dans un autre obéit aux règles du pays d'accueil pour le salaire minimal, le temps de travail, la sécurité ou les règles d'hygiène.
M. Pierre Fauchon. Voilà !
M. Francis Grignon. Dans la pratique, une entreprise de l'est européen qui a obtenu un contrat de sous-traitance d'une entreprise française - en Alsace, par exemple - détache toutes les semaines une partie de son personnel, lequel oeuvre chez nous du lundi matin au vendredi soir, avec caravane, victuailles et charges sociales du pays d'origine, et repart avec un salaire situé à mi-chemin entre le nôtre et celui du pays d'origine !
C'est ce que je constate chez moi, au travers d'offres dont j'ai eu connaissance.
La tentation est grande pour l'entreprise française de faire, par ce biais, des offres très concurrentielles : les conséquences sont dramatiques pour l'emploi.
Dans la pratique, bien sûr, la direction des relations du travail ne peut pas tout vérifier, comme ne peut pas être vérifié le respect de la limitation de vitesse à 90 kilomètres heure sur les 3 500 kilomètres que comptent nos routes départementales !
Une nouvelle forme de délocalisation se met déjà en marche, et ce sans la directive Bolkestein.
Etant un européen convaincu, j'ai participé à l'établissement d'un rapport de la commission des affaires économiques intitulé « Délocalisations : pour un nouveau colbertisme européen », la référence à Colbert n'étant là que pour marquer la volonté d'une politique économique forte en Europe. Dans ce texte, nous avons essayé de démontrer, entre autre, que l'Europe ne s'en sortira à long terme que si elle devient une région économique, avec une monnaie unique, certes, mais aussi avec des règles sociales, fiscales et environnementales le plus homogènes possible.
Cependant, cela ne doit pas s'obtenir à la hussarde, en obligeant de facto les entreprises des pays les plus riches à être brutalement confrontées sur leur territoire aux entreprises des pays des plus pauvres.
Il faut construire ensemble ces harmonisations fiscales, sociales et environnementales, sous peine de voir régresser l'idée européenne.
Pour le secteur des services, qui représente en France 700 000 entreprises et plus de 4 millions de salariés, la libéralisation ne doit pas se faire au prix d'un affaiblissement des normes sociales. La directive Bolkestein ne fait que cultiver l'anti-européanisme primaire.
M. Raymond Courrière. Très bien !
M. Francis Grignon. C'est la raison pour laquelle, madame la ministre, je rejoins la position de la commission. Je pense, en effet, contrairement à certains qui proposent l'annulation pure et simple de cette directive, que l'Europe ne se construira que grâce au dialogue.
Je voterai donc la proposition de résolution présentée par la commission, laquelle demande l'abandon du principe du pays d'origine tant que les conséquences de ce principe n'auront pas été estimées. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ? ...
La discussion générale est close.
La parole est à M. le président de la commission des affaires économiques.
M. Jean-Paul Emorine, président de la commission des affaires économiques et du Plan. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la discussion générale sur la proposition de résolution que vous a présentée la commission des affaires économiques vient de s'achever.
Il est maintenant douze heures quarante-cinq ; il nous reste vingt amendements à examiner, dont certains sont lourds de sens et risquent de susciter de longs débats. Leur examen dans des conditions satisfaisantes exige du temps. Il ne serait pas raisonnable de l'entreprendre maintenant, au moment où beaucoup d'entre nous ont déjà des obligations.
C'est pourquoi il me semble nécessaire, comme vous l'envisagez, monsieur le président, de suspendre nos travaux pour les achever ultérieurement.
La commission des affaires économiques va se rapprocher du Gouvernement pour déterminer à quelle date cette reprise pourrait avoir lieu dans un bref délai.
Comme semble devoir être écartée toute interruption du débat sur l'école, qui doit commencer cet après midi, j'inclinerais, pour ma part, à ce que nous nous retrouvions mercredi prochain en soirée, après l'examen du projet de loi portant diverses mesures de transposition du droit communautaire à la fonction publique. (Protestations sur les travées du groupe socialiste.)
M. Didier Boulaud. Merci Drucker !
M. le président. Nous allons donc interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à seize heures avec la discussion du projet de loi d'orientation pour l'avenir l'école.
6
RAPPEL AU RÈGLEMENT
M. le président. La parole est à M. Bernard Frimat, pour un rappel au règlement.
M. Bernard Frimat. J'admire le talent divinatoire de M. Emorine : il évoque une proposition du président de séance, avant même que celui-ci ne l'ait faite ! (Sourires.)
Je tiens tout de même à rappeler, monsieur le président, que l'article 32 de notre règlement prévoit que nos travaux commencent à neuf heures et demie le mardi.
Nous avons eu ce matin un débat dont tout le monde peut louer la qualité. Aucun orateur n'a dépassé son temps de parole, tout s'est déroulé de façon correcte, les interventions étaient fondées et elles se sont fait l'écho d'opinions diverses. La logique serait donc de continuer et de ne pas priver aujourd'hui le Sénat de la suite du débat.
Je constate que les opérations de communication qui se sont déroulées ici même et dont la qualité peut être discutée ont directement pour conséquence de nous empêcher de terminer l'examen de cette proposition de résolution dans la continuité de la discussion générale, ainsi que l'exigerait la moindre honnêteté intellectuelle ! Pour une première, c'est une réussite !
Tout le monde sait l'importance du débat qui nous occupe aujourd'hui. Nous traitons d'un point essentiel sur lequel nous devons dégager les impostures, mettre les choses au clair et lever tous les doutes sur les positions de chacun !
Le Gouvernement prendra la position qu'il souhaite, mais je tiens à faire remarquer que notre discussion sur cette proposition de résolution semblait devoir avoir une certaine importance pour le 22 mars. Et voilà que, de manière tout à fait illogique, on nous propose d'en terminer le 23 mars au soir !
Il s'agit là, monsieur le président, d'une négation du travail de la Haute Assemblée. Je vous demande d'en faire part au président du Sénat.
Pourquoi le Gouvernement, qui a la maîtrise de l'ordre du jour, ne décalerait-il pas d'une heure ou d'une heure et demie le débat sur le projet de loi d'orientation pour l'avenir de l'école ? Il a ainsi le pouvoir de nous permettre de faire sérieusement, cet après-midi, notre travail de parlementaire.
En fait, la prochaine fois, monsieur le président, il vaudra mieux que j'intervienne auprès de Michel Drucker et de Thierry Ardisson : ayant l'oreille de M. le président, ils feront en sorte que nos travaux se déroulent dans des conditions correctes ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. Monsieur Frimat, je vous donne acte de votre rappel au règlement.
Je transmettrai au président du Sénat les termes de votre intervention. Je partage votre sentiment : il faudrait au moins encore deux bonnes heures pour terminer l'examen de ce texte. La conférence des présidents sera saisie.
Pour ce qui est de l'ordre du jour prioritaire de cet après-midi, force m'est de vous dire qu'il ne sera ni modifié ni retardé.
7
NOMINATION DE MEMBRES DE COMMISSIONS
M. le président. Je rappelle au Sénat que le Groupe socialiste a présenté une candidature pour la commission des affaires culturelles et une candidature pour la commission des affaires économiques
Le délai prévu par l'article 8 du règlement est expiré.
La présidence n'a reçu aucune opposition.
En conséquence, je déclare ces candidatures ratifiées et je proclame :
M. Jean Besson membre de la commission des affaires culturelles, en remplacement de M. Jean-Pierre Bel, démissionnaire;
M. Jean-Pierre Bel membre de la commission des affaires économiques, en remplacement de M. Jean Besson, démissionnaire.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures cinquante-cinq, est reprise à seize heures cinq, sous la présidence de M. Christian Poncelet.)
PRÉSIDENCE DE M. Christian Poncelet
M. le président. La séance est reprise.
8
RAPPELs AU RÈGLEMENT
M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour un rappel au règlement.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Monsieur le président, mon rappel au règlement s'adresse à M. le ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche.
Monsieur le ministre, tout le monde le sait, les lycéens, qui sont les premiers concernés par votre projet de loi, manifestent contre ce dernier. Or, des associations de parents d'élèves relèvent que, dans de nombreux établissements, des chefs d'établissement exercent des pressions sur les lycéens pour les empêcher de manifester.
M. Dominique Braye. Ils les aident plutôt !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Monsieur le ministre, pouvez-vous me dire si cela est vrai ?
M. Dominique Braye. Ils essaient plutôt de les envoyer dans la rue !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Peut-être faut-il faire un rapprochement entre cette situation et ce qui s'est passé le 8 mars dernier ; et cela m'amène à vous poser ma deuxième question.
Le 8 mars dernier, tout le monde le sait, des violences ont été commises dans de nombreux endroits par des individus que l'on appelle communément des « casseurs », qui se sont introduits dans la manifestation. Monsieur le ministre, comment se fait-il que les forces de l'ordre aient laissé ces personnes commettre des actes d'agression ?
M. Dominique Braye. C'est scandaleux de dire cela !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Nous savons que cela n'est pas nouveau. Je voudrais vous rappeler, mes chers collègues, ce qui s'est passé à l'occasion de manifestations ...
M. Dominique Braye. C'est scandaleux !
Mme Hélène Luc. Laissez Mme Borvo s'exprimer !
M. le président. Monsieur Braye, faites un effort !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Monsieur Braye, vous dites parfois des choses qui sont inacceptables de mon point de vue, et je vous laisse parler !
M. Dominique Braye. C'est inacceptable de s'en prendre ainsi aux forces de l'ordre !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Même si c'est inacceptable, laissez-moi parler, ...
M. Dominique Braye. Ce sont des mensonges !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. ... car ce que je dis est su de tous ; cela ne doit donc pas vous surprendre !
Souvenons-nous donc des manifestations contre le contrat d'insertion professionnelle, le CIP, qui se sont déroulées en d'autres temps et au cours desquelles des jeunes ont subi des violences et ont été blessés. Monsieur le ministre, vous savez fort bien que la police - et c'est tout à son honneur, car ce n'est pas le cas partout - peut, lorsqu'elle le veut, empêcher des perturbateurs de faire irruption dans les manifestations, ...
M. Dominique Braye. Ah oui ? On essaie de se rattraper !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. ...mais cela ne fut pas le cas le 8 mars dernier.
M. Dominique Braye. Vous attaquez la police !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Si des dispositions ont été prises aujourd'hui, pourquoi ne l'ont-elles pas été ce jour-là ? Je vous demande donc, monsieur le ministre, d'intervenir auprès du ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales pour que toute la lumière soit faite sur le comportement de la police le 8 mars dernier.
M. Philippe Goujon. C'est scandaleux !
M. Dominique Braye. Cela n'appelle pas de réponse !
M. Philippe Goujon. Provocation !
M. le président. Ecoutez-vous les uns les autres, mes chers collègues ! Faites preuve de sérieux, soyez responsables !
M. Dominique Braye. Ils sont irresponsables !
M. le président. Qu'est-ce que cela apporte de « brailler » dans l'hémicycle ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. Jacques Valade, président de la commission des affaires culturelles. M. Braye braille !
M. le président. Cette remarque vaut également pour vous, monsieur Signé ; alors, n'applaudissez pas !
La parole est à Mme Annie David, pour un rappel au règlement.
Mme Annie David. Mon rappel au règlement a trait à l'organisation de nos travaux.
Rarement un débat parlementaire d'importance n'aura été introduit par une campagne publicitaire. Or, monsieur le ministre, c'est ce que vous avez décidé de faire avec votre texte en payant, sur les subsides de votre ministère, un encart dans la presse. Ce résumé, ce raccourci, devrais-je même dire, caractérise bien la précipitation dans laquelle vous tentez d'enfermer notre débat.
En le limitant à quelques points controversés par des centaines de milliers de lycéens, d'enseignants et de parents, vous semblez justifier la clôture prématurée de la discussion parlementaire. Cet encart publicitaire ressemble fort à un « Circulez, il n'y a rien à voir », empreint d'inquiétude face à l'émergence du vrai débat démocratique autour du savoir, de la réussite de tous et des moyens pour y parvenir.
Ainsi, monsieur le ministre, s'agissant de vos objectifs, pourquoi ne pas avoir mis en première ligne la réduction des moyens accordés à l'école, puisque ce ne sont pas moins de 50 000 postes qui ont été supprimés depuis trois ans ?
Monsieur le président, ce projet de loi est important. Le nombre d'orateurs inscrits dans la discussion générale, le nombre d'amendements déposés par la commission saisie au fond - plus de 130 - et par les groupes, le débat engagé au sein des autres commissions elles-mêmes, qu'il s'agisse ou non d'une loi de programmation, tous ces éléments concourent de toute évidence à exiger un débat approfondi, un aller et retour entre les assemblées.
Or, la déclaration d'urgence et la précipitation qui prévaut pour l'examen de ce texte, initialement prévu le 22 mars, marquent une volonté de passer en force pour couper court au débat qui s'engage tant dans le pays que dans les deux chambres. Il s'agit là d'un dévoiement inadmissible de nos institutions.
Monsieur le président, quelle justification trouve le bicamérisme, si cher à votre coeur, si la navette parlementaire est supprimée, la discussion se clôturant au sein d'une commission mixte paritaire qui tranchera les derniers points en suspens, en dehors de tout compte rendu public ?
Rarement la déclaration d'urgence n'aura été utilisée de manière aussi politicienne, une attitude qui ne sied pas à la sérénité qui doit habiter le Gouvernement de la République. Je vous demande donc, monsieur le président, d'agir pour que l'urgence soit levée sur le projet de loi d'orientation pour l'avenir de l'école.
Le simple fait que se pose la question de la programmation - je vous rappelle que les commissions des affaires culturelles et des finances proposent de modifier le titre du projet de loi en l'intitulant « projet de loi d'orientation et de programme pour l'avenir de l'école » -, rend insupportable, sur le plan démocratique, le fait que l'Assemblée nationale ne puisse être saisie, dans la plénitude de ses pouvoirs, du projet de loi modifié par le Sénat.
J'attends une réponse claire de votre part, monsieur le président, et également de la vôtre, monsieur le ministre, pour qu'il soit mis fin à un déni flagrant de démocratie.
En tout état de cause, je demande une suspension de séance pour protester contre les conditions dans lesquelles les débats sont organisés au Parlement et pour permettre aux autorités, aux commissions, au président et au Gouvernement, de se concerter pour savoir comment lever la déclaration d'urgence sur ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
M. le président. Je vous rappelle, madame David, que la déclaration d'urgence est une prérogative constitutionnelle du Gouvernement.
La parole est à M. Jean-Pierre Bel, pour un rappel au règlement. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. Jean-Pierre Bel. Monsieur le président, ce qui s'est passé ce matin dans l'hémicycle m'oblige à appeler solennellement votre attention et à vous rappeler d'une certaine manière le règlement.
Ce matin, en effet, était prévu un débat important sur la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative aux services dans le marché intérieur, dite directive « Bolkestein ». Etaient en discussion les conclusions du rapport de la commission des affaires économiques et du Plan sur plusieurs propositions de résolution.
La séance aurait dû commencer à neuf heures trente. Nous aurions alors disposé du temps nécessaire pour qu'ait lieu un débat riche et fructueux sur un sujet important pour l'avenir de notre pays et de l'Europe, dans le contexte que chacun ici connaît. Or, l'émission de MM. Drucker et Ardisson, qui a nécessité deux jours de préparation, a transformé l'hémicycle et a repoussé le début de nos travaux à dix heures trente.
M. Michel Charasse. Eh oui !
M. Jean-Pierre Bel. Malgré cela, monsieur le président, nous avons conduit les travaux. A la suspension de la séance, à douze heures cinquante, après deux heures de discussion générale, il nous a été dit que nous ne pouvions poursuivre, c'est-à-dire examiner les amendements qui avaient été déposés, ni, a fortiori, procéder au vote de cette résolution, et que la suite du débat était reportée au 23 mars. Or, l'intérêt même de ces discussions était de donner un avis au Président de la République et au Gouvernement avant le Conseil européen qui se tiendra le 22 mars prochain !
Monsieur le président, il est vraiment urgent, selon nous, de souligner avec une grande solennité qu'il faut restaurer le crédit de cette assemblée en rappelant ce qu'elle est, c'est-à-dire la représentation d'élus de la nation qui doivent s'exprimer sur des sujets de première importance.
Notre assemblée était tout à fait dans les temps pour mener un fructueux débat ; elle était même la première à aborder le sujet. Or, avec ce contretemps, elle ne pourra donner son avis sur ce sujet, alors que l'Assemblée nationale le fera cet après-midi.
A un certain moment, il faut faire le départ entre ce qui relève de la politique de la communication et ce qui relève de la politique dans le sens noble du terme !
M. Michel Charasse. La politique en tant qu'institution !
M. Jean-Pierre Bel. Monsieur le président, au nom de mon groupe, j'élève une protestation solennelle et forte (Très bien ! sur les travées du groupe socialiste) sur le déroulement de nos travaux et sur le fait que notre assemblée est privée de la possibilité de s'exprimer sur un sujet de première importance. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE. MM. Hugues Portelli et Jean-Pierre Chauveau applaudissent également.)
M. le président. Monsieur Bel, la séance a été suspendue ce matin alors que plus de deux heures de discussion étaient encore nécessaires pour mener le débat à son terme !
Vous avez fait allusion à la manifestation télévisée d'hier soir. Je vous ferai remarquer que cette émission, qui a été regardée par plus de cinq millions de téléspectateurs (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE) et au cours de laquelle ont pu s'exprimer les représentants de tous les groupes, a, de l'avis général, valorisé notre institution.
Plusieurs sénateurs du groupe socialiste. Le Sénat n'est pas fait pour cela !
M. le président. Interrogez ceux qui y ont participé !
M. Bernard Piras. C'est du spectacle !
M. Jean-Luc Mélenchon. C'est honteux !
M. Yannick Bodin. Ce n'est pas le Cirque d'hiver, ici !
M. le président. En ce qui concerne la discussion des conclusions du rapport sur la directive Bolkestein, je vous indique que nous reprendrons le débat lors d'une toute prochaine séance.
M. Michel Charasse. Ce sera trop tard !
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. François Fillon, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je répondrai à l'interpellation dont j'ai été l'objet concernant les conditions de sécurité de la manifestation du 8 mars dernier.
Il est tout à fait indigne d'accuser, comme vous le faites, madame Borvo Cohen-Seat, les forces de police : elles accomplissent un travail extrêmement difficile dans des conditions qui sont très pénibles (Applaudissements sur les travées de l'UMP.) et qui, pour une large part, dépendent de la qualité de l'organisation de la manifestation.
Les forces de police ont procédé à cinquante interpellations au lendemain de la manifestation du 8 mars et à soixante-dix interpellations avant la manifestation d'aujourd'hui, afin que les lycéens puissent s'exprimer dans les conditions qu'exige la démocratie.
Le Gouvernement n'a jamais fait l'amalgame entre les casseurs et ceux qui manifestent.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Je n'ai pas dit cela !
M. François Fillon, ministre. Ce n'est pas rendre service à notre pays que de montrer du doigt la police qui, encore une fois, a fait de son mieux dans des conditions très difficiles.
Je n'aurai pas la cruauté de vous rappeler que d'autres manifestations, qui ont eu lieu dans d'autres temps, ne se sont pas toujours passées de la meilleure façon qui soit !
M. Gérard Le Cam. Et Malik Oussekine !
M. François Fillon, ministre. Naturellement, les Français qui souhaitent manifester doivent pouvoir le faire en toute sécurité. Cela suppose toutefois que non seulement les conditions d'organisation des manifestations mais aussi les relations entre les organisateurs et la police soient les meilleures possibles. C'est le cas pour la manifestation d'aujourd'hui ; cela ne l'était manifestement pas pour celle du 8 mars. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Mme Hélène Luc. Et la suspension de séance demandée par Mme Annie David ?...
9
Avenir de l'école
Suite de la discussion d'un projet de loi d'orientation déclaré d'urgence
M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, d'orientation pour l'avenir de l'école (nos 221, 234, 239).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. François Fillon, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, à travers ce projet de loi d'orientation, la nation a rendez-vous avec son école.
L'école est au coeur de tous les enjeux et de toutes les préoccupations qui engagent notre avenir. Elle est au croisement de ce que nous avons été, de ce que nous sommes et de ce que nous voulons être demain. C'est dire que tout projet sur l'école porte en lui une ambition pour la France.
Cette ambition s'organise, à mes yeux, autour de trois axes.
D'abord, l'axe de la liberté intellectuelle : dans un environnement qui risque d'être « standardisé », « formaté », les prochaines générations doivent être dotées des clés culturelles de cette liberté. Elle signe en effet, depuis le siècle des Lumières, la singularité française.
Ensuite, l'axe de la responsabilité citoyenne : dans un monde que je pressens chahuté et conflictuel, les vertus républicaines seront primordiales. Nos enfants doivent être éduqués au « vivre ensemble ».
Enfin, l'axe de l'ouverture et de l'adaptation : dans un espace mondialisé et au coeur d'une Europe élargie, notre jeunesse doit être préparée à être acteur et non pas otage des mutations économiques, technologiques et sociales de son temps.
Brillante, républicaine, moderne : voilà la France de demain, telle que je la vois. C'est bien autour de ce dessein que le Président de la République, le Premier ministre et la majorité entendent préparer l'école !
Mesdames, messieurs les sénateurs, ce projet de loi d'orientation est le fruit d'un large débat poursuivi sur près d'une année. Il s'inspire des travaux menés par la commission Thélot dont je tiens à saluer la qualité. Je rends hommage à l'engagement du Sénat dans l'organisation de ce débat sur l'avenir de l'école, puisqu'il a abrité dans ses murs les réunions de la commission et que, sur l'initiative du président de la commission des affaires culturelles, M. Jacques Valade, il a apporté, le 21 janvier 2004, sa propre contribution dont je salue la richesse et la qualité.
M. le président. Je vous remercie, monsieur le ministre, de ces compliments adressés au Sénat !
M. François Fillon, ministre. Il les mérite, monsieur le président !
Ce projet de loi d'orientation a fait l'objet d'une concertation nourrie avec les organisations syndicales et les fédérations de parents d'élèves. Il est enfin le résultat d'une réflexion plus personnelle, développée dans le cadre des nombreux contacts que j'ai pu nouer avec les membres de la communauté éducative.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous voilà maintenant saisis de ce projet de loi d'orientation, dont le contenu est précisé et enrichi par l'excellent rapport de votre collègue, M. Jean-Claude Carle. Je remercie aussi, pour la pertinence de son analyse, M. Gérard Longuet, rapporteur pour avis de la commission des finances.
J'adresse mes chaleureux remerciements à la commission des affaires culturelles, à son président et aux membres de la majorité qui ont collaboré à la préparation de ce projet de loi d'orientation.
Depuis que ce texte est connu, des critiques contradictoires lui ont été adressées, même s'il est intéressant d'observer qu'aucune alternative globale ne lui est véritablement opposée.
Ces critiques ne doivent être ni dédaignées ni rejetées d'un revers de la main. Elles sont symptomatiques des fortes interrogations qui parcourent le système éducatif. Mais elles sont aussi et surtout révélatrices des lignes de fond qui traversent la société française.
L'école est le miroir de la nation, de ses querelles passées et de ses projections futures. Elle est le reflet de nos espérances individuelles et collectives. Elle est à la jointure de nos tensions libérales et égalitaires, de nos exigences privées et publiques. Elle est à la fois le réceptacle de nos dérives sociétales et de nos illusions sociales. Elle est l'épicentre des services publics. Elle est la colonne vertébrale de l'unité nationale.
Toucher à l'école, la changer, c'est, d'une certaine manière, remuer tout cela !
Dès lors, tout indique, jusqu'à preuve du contraire, que le chemin tranquille et consensuel de la réforme de l'école n'existe malheureusement pas. Nombre de mes prédécesseurs, de droite comme de gauche, en firent le constat.
Aujourd'hui, sans grande surprise, ce projet de loi d'orientation suscite des crispations et des manifestations.
Je ne néglige pas la voix de ceux qui ont entre quatorze et dix-huit ans et dont certains des messages généreux ne me semblent pas contredire l'esprit de ce texte. Mais, dans une démocratie, le pouvoir n'est pas dans la rue. En République, si le Gouvernement entend naturellement l'expression légitime des désaccords, la décision revient au Parlement. C'est à lui seul, en tant que représentant de la nation, qu'il appartient de débattre et de trancher, par la loi, la question de l'école. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Pour moi, la détermination républicaine ne s'oppose ni à l'écoute ni au dialogue. Je l'ai déjà montré, je crois.
A la question des options, sur laquelle certains lycéens percevaient un risque pour les sciences économiques et sociales, j'ai répondu favorablement. Sur les points acquis dans le cadre des travaux personnalisés encadrés - ils sont, je le rappelle, maintenus en classe de première -, j'ai indiqué qu'ils pourraient être pris en compte dans la notation du baccalauréat. Sur la réforme du baccalauréat elle-même, j'ai dit que je n'avancerai pas tant que les craintes et les malentendus ne seraient pas dissipés.
Mesdames, messieurs les sénateurs, ce projet de loi d'orientation s'inscrit dans la continuité de l'histoire de ce grand service public qu'est l'éducation nationale. Il reprend certains objectifs de la loi d'orientation de 1989 - votée elle aussi, madame David, selon la procédure d'urgence -, laquelle s'inscrit dans l'esprit de la réforme Haby de 1975 et en conserve des éléments très importants.
M. Dominique Braye. C'est vrai !
M. François Fillon, ministre. La volonté de conduire 80 % d'une génération au niveau du baccalauréat est ainsi confirmée. Notre pays a, en effet, besoin d'hommes et de femmes mieux formés : il ne peut plus accepter de laisser 150 000 jeunes sortir chaque année du système scolaire sans aucun bagage ! C'est pourquoi 100 % des jeunes Français devront avoir un diplôme ou une qualification reconnue.
La France aura également besoin, pour s'affirmer dans la compétition internationale, d'un plus grand nombre d'ingénieurs, de chercheurs, de cadres supérieurs publics et privés. Le projet de loi d'orientation fixe donc un nouvel objectif : atteindre 50 % de diplômés de l'enseignement supérieur. Plus que jamais, nous cherchons à élever le niveau de formation de notre nation.
Cette continuité que je revendique exige cependant de faire prendre un tournant à notre école. En effet, en dépit de ses succès, malgré le dévouement des enseignants, derrière la façade égalitaire, les faits sont là : depuis dix ans, ses résultats stagnent et les discriminations sociales persistent.
Pourquoi cet état de fait, alors même que le budget que nous consacrons à l'éducation est l'un des plus élevés d'Europe, alors même qu'en quinze ans le nombre d'enseignants a progressé de 100 000 pendant que le nombre d'élèves diminuait de 500 000 ?
C'est que nous n'avons pas redéfini les priorités de l'école, ses buts, son organisation, ses pratiques !
Aujourd'hui, je vous propose de nous y atteler.
Le projet de loi fait de la transmission des connaissances et des compétences fondamentales la mission centrale de l'école. C'est en ce sens qu'il faut comprendre la définition d'un ensemble de connaissances et de compétences indispensables qui doivent être acquises à la fin de la scolarité obligatoire, le tout étant couronné par l'examen national du brevet.
La notion de « socle », qui reprend l'une des propositions du rapport de la commission Thélot, ne doit pas donner lieu à malentendu. Il s'agit non pas, comme d'aucuns le prétendent, de l'instauration d'un minimum éducatif, mais de la volonté d'assurer à tous les élèves les conditions de l'accès à une citoyenneté réfléchie et de donner à chacun les moyens d'ouvrir les portes de la culture.
Ceux qui qualifient improprement le socle de « SMIC culturel » ne sont manifestement pas allés à la rencontre des 150 000 jeunes dont je parlais à l'instant.
M. Dominique Braye. Très bien !
M. Adrien Gouteyron. Tout à fait !
M. François Fillon, ministre. Ils passent sous silence ces 80 000 jeunes qui savent si peu lire, écrire et compter à leur entrée en sixième. (Très bien ! sur les travées de l'UMP.)
M. Christian Cambon. Ecoutez, à gauche !
M. François Fillon, ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, une éducation sans priorités claires, c'est une éducation dont l'essentiel échappe aux enfants qui n'ont pas la chance d'être nés là où il faut. (Applaudissements sur les mêmes travées.)
M. Jean-Claude Carle, rapporteur de la commission des affaires culturelles. Très bien !
M. Charles Revet. On les oublie, ceux-là !
M. François Fillon, ministre. Pour tout dire, c'est une éducation qui, derrière une vitrine uniforme et idéalisée, est en réalité élitiste.
M. Adrien Gouteyron. Très bien !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Quelle honte !
M. François Fillon, ministre. Ce socle sera le tremplin qui, aujourd'hui, fait défaut à notre système éducatif et qui, demain, permettra à tous les élèves de poursuivre, plus loin, de façon plus assurée, leur scolarité.
J'affirme que ce socle est l'instrument de la qualité des savoirs transmis à tous, et qu'il est aussi celui de la justice au regard des savoirs réellement acquis par tous !
Bien sûr, nous pourrions aisément faire croire que l'école peut continuer à prodiguer tous ses enseignements sans aucune distinction dans les objectifs affichés. Bien sûr, nous pourrions élargir à l'infini ce socle afin de ne froisser personne... Ce serait commode, mais ce serait lâche, aussi.
M. Charles Revet. Tout à fait !
M. François Fillon, ministre. J'assume ce choix, car il est au coeur de la relance de notre système éducatif. Si, depuis une dizaine d'années, nous plafonnons autour des 60% de bacheliers, c'est parce que, au milieu du parcours, entre l'entrée en sixième et la sortie vers le baccalauréat, il manque une étape solide.
Les connaissances et les compétences retenues dans le socle sont celles qui nous sont apparues comme indispensables à la vie dans la société d'aujourd'hui et à l'accès à la culture universelle : la langue française, d'abord, puis les mathématiques, les éléments d'une culture humaniste et scientifique permettant l'exercice de la citoyenneté, une langue vivante étrangère et, conséquence nécessaire de la grande mutation technologique de la seconde moitié du XXe siècle, la maîtrise des technologies de l'information et de la communication.
Ce socle des indispensables, ce socle maîtrisé par tous, crée une obligation, celle de tout entreprendre pour atteindre le résultat voulu. Cela suppose une nouvelle stratégie destinée à épauler les élèves qui éprouvent des difficultés pour acquérir ce socle.
Tel est l'objet des programmes personnalisés de réussite scolaire.
Ces programmes, qui visent à mettre en place, à tous les moments de la scolarité obligatoire, dès le début de l'école primaire, des parcours personnalisés, ont une double fonction : empêcher que des obstacles sérieux n'aboutissent à un échec rendant inévitable le redoublement ou, lorsque le redoublement se révèle nécessaire, faire en sorte qu'il ne se limite pas à une simple répétition inutile pour l'élève.
Au titre de ces programmes personnalisés de réussite scolaire, trois heures de soutien hebdomadaire par semaine en petits groupes devront pouvoir être proposées aux élèves qui en auront besoin.
Sur la base de groupes de huit élèves, et pour tous ceux qui sont repérés en difficulté lors des évaluations, les besoins sont estimés à 321 millions d'euros pour l'école primaire et à 396 millions d'euros pour le secondaire.
Mais la finalité de la scolarité obligatoire ne se limite pas à l'acquisition du socle des indispensables. A côté de ce socle, toutes les disciplines apportent leur contribution essentielle à la formation de l'élève, à la constitution de sa personnalité, à sa vie de citoyen et à la préparation de son parcours professionnel.
Au-delà de la scolarité obligatoire, l'objectif général que le projet de loi assigne au lycée est de conduire, au travers de ses trois voies, un plus grand nombre de jeunes au niveau du baccalauréat.
Le baccalauréat professionnel pourra ainsi être préparé en trois ans ou en quatre ans. Les lycées généraux et technologiques proposeront, après une seconde générale, des séries recentrées sur un certain nombre de disciplines dominantes.
Dans les séries générales et technologiques, il faudra que les élèves puissent acquérir des connaissances approfondies et maîtriser des méthodes complexes dans les principales disciplines afin de favoriser la poursuite d'études à l'université.
Là encore, l'ambition est de faire accéder le plus grand nombre d'élèves à la haute culture scientifique, économique et sociale, ainsi que littéraire.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous avez entre vos mains le premier projet de loi sur l'éducation qui affirme aussi clairement l'ambition européenne de la France et de son système éducatif.
Au sein de l'Europe du XXIe siècle, je ne puis situer la France qu'au premier rang. Or toutes les comparaisons internationales montrent que notre pays obtient des résultats médiocres dans le domaine de la maîtrise des langues vivantes.
Cette situation n'est plus acceptable, parce qu'elle met en péril la réussite individuelle des jeunes Français aussi bien que la réussite collective du pays.
Elle est préjudiciable à la France en ce qu'elle lui interdit d'occuper pleinement sa place dans le monde, mais elle est préjudiciable aussi à tous les Français individuellement en ce qu'elle limite leurs possibilités de participer au développement des échanges internationaux dans les domaines culturel, scientifique et économique.
C'est pourquoi il est proposé dans le rapport annexé un plan résolu en faveur de l'enseignement des langues, plan qui s'est inspiré d'ailleurs sur plusieurs points de l'important rapport que M. Jacques Legendre a présenté, au nom de la commission des affaires culturelles du Sénat, en novembre 2003 et intitulé : Pour que vivent les langues... : l'enseignement des langues étrangères face au défi de la diversification.
Je veux vous rappeler les mesures essentielles que contient le projet de loi à cet égard.
Le concours de professeur des écoles comportera désormais une épreuve obligatoire de langue vivante. L'enseignement des langues sera recentré sur la compréhension et l'expression orale. Cet enseignement débutera à l'école primaire en CE1. Au collège, la continuité sera assurée avec la langue apprise à l'école, et une seconde langue sera proposée, non plus en classe de quatrième mais dès la classe de cinquième. Au collège et au lycée, l'enseignement des langues sera dispensé en groupes réduits, organisés non plus par classe, mais par niveau de compétence. Les baccalauréats binationaux, de même que les sections européennes et internationales, seront développés.
Financièrement, le dédoublement des groupes de langue est la mesure la plus lourde de ce projet de loi d'orientation, et l'une des plus importantes aussi, avec l'apprentissage de la seconde langue vivante dès la classe de cinquième.
Pour que nous puissions assumer notre ambition en termes d'encadrement, 10 000 équivalents temps plein sur cinq ans devront être prévus.
Sur cette question des langues, donc, une amélioration décisive de notre système éducatif va s'enclencher.
Mesdames, messieurs les sénateurs, avec l'expression « éducation nationale » résonnent en écho deux principes : instruire, mais aussi rassembler la nation.
Amour de la France, citoyenneté, mérite, autorité, laïcité, égalité et fraternité : ces mots, ces usages, il est du devoir de l'école de les faire partager, de les faire respecter. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et sur certaines travées de l'UC-UDF.)
Contrairement à certains, je ne crois pas que ces valeurs soient surannées. Bien au contraire, dans ce monde désordonné où s'insinuent la violence, les communautarismes, les haines racistes ou antisémites, le projet républicain est plus que jamais contemporain.
Entre l'école et la République, il existe un pacte indissoluble que j'entends renforcer.
Ainsi que l'affirme le deuxième article du projet de loi que j'ai voulu : « La Nation fixe comme mission première à l'école de faire partager aux élèves les valeurs de la République ».
Cette mission est confiée à tous les membres de la communauté éducative, et elle doit être vécue par tous les élèves dans l'exercice même de leur scolarité comme un apprentissage de la citoyenneté.
La citoyenneté, cela commence, chez l'élève comme chez l'adulte, par l'adoption d'un ensemble de comportements responsables, respectueux de soi et d'autrui ainsi que des règles de la vie commune, et cela aboutit à la recherche de l'intérêt général et au souci du bien commun.
La citoyenneté, c'est comprendre très tôt que les droits entraînent des devoirs.
Ceux qui ont construit l'école de la République, et qui se situaient dans le prolongement de tous les efforts éducatifs antérieurs, le savaient bien : l'école a une fonction éducative, c'est-à-dire que l'éducation a une fonction morale.
Concrètement, les enseignements, comme l'apprentissage des règles à respecter dans tous les établissements, seront l'occasion de mettre en oeuvre les valeurs de tolérance et de respect des autres, l'égalité des femmes et des hommes, la civilité dans les comportements. C'est ce que je veux promouvoir en intégrant une note de vie scolaire dans le brevet rénové des collèges.
M. Pierre Martin. Très bien !
M. François Fillon, ministre. La violence et la délinquance n'ont rien à faire à l'école. Parce qu'elles s'attaquent prioritairement aux plus faibles et aux plus démunis sur le plan social, nous les combattrons sans aucun état d'âme, en nous inspirant de l'excellent rapport de M. Christian Demuynck sur le violence à l'école, dans lequel votre collègue énumère toute une série de mesures pour enrayer cet engrenage inacceptable. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.) C'est notamment pourquoi j'ai décidé, avec les ministres de l'intérieur et de la justice, de multiplier les relations de travail entre les établissements scolaires, les forces de police et de gendarmerie, la justice et les associations.
Les élèves qui perturbent gravement le déroulement des classes seront pris en charge et seront encadrés par des dispositifs relais dont le nombre sera accru. Ainsi, deux cents classes relais de plus chaque année pendant cinq ans sont prévues, ce qui représente 13 millions d'euros supplémentaires par an.
Parmi les valeurs de la République, l'une d'entre elles est vitale : l'égalité des chances. Pour moi, l'école est là pour briser, pour transcender les barrières sociales.
Nous nous en donnons les moyens.
C'est ainsi que je propose de tripler les bourses au mérite accordées sur critères sociaux aux élèves qui obtiendront de bons résultats au brevet national ou au baccalauréat. Le nombre des bénéficiaires de cette mesure devrait augmenter de 50 000 en trois ans, ce qui représente un effort supplémentaire de 17 millions d'euros par an.
L'égalité des chances, c'est aussi offrir aux élèves en situation de handicap une scolarisation en priorité dans l'établissement scolaire le plus proche de leur domicile. C'est pourquoi le nombre des unités pédagogiques d'intégration pour les handicapés devrait être augmenté de deux cents par an pendant cinq ans, de façon à atteindre l'objectif de 1 000 unités affiché dans le rapport, ce qui représente 16 millions d'euros de dépenses supplémentaires par an.
L'égalité des chances consiste encore, pour l'école, à assurer sa mission de prévention et de surveillance sanitaire ainsi que l'éducation à la santé. Pour cela, le projet de loi prévoit la présence d'une infirmière ou d'un infirmier dans chaque établissement du second degré.
M. François Fillon, ministre. Pour atteindre cet objectif, il faut prévoir le recrutement de 1 520 personnels nouveaux, ce qui correspond à 304 de plus par an pendant cinq ans, soit un effort annuel supplémentaire de 10 millions d'euros.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Où sont les moyens pour tout cela ? Pas dans le budget, en tout cas !
M. François Fillon, ministre. Certains, mesdames, messieurs les sénateurs, ont cru pouvoir affirmer que ce projet de loi restait bien silencieux sur les questions pédagogiques.
C'est tout à fait inexact !
Le projet de loi a, au contraire, pour objet de donner à la pédagogie toute sa place, mais, il est vrai, rien que sa place.
M. Adrien Gouteyron. C'est le bon sens même !
M. François Fillon, ministre. Il s'agit d'abord de dépasser l'opposition stérile des savoirs et de la pédagogie, de mettre les connaissances à la première place, de se centrer sur les savoirs et les savoir-faire les plus importants.
Il s'agit ensuite de mettre clairement la pédagogie au service tant de l'acquisition des savoirs par les élèves que de la transmission des connaissances et des compétences par les enseignants.
Les programmes personnalisés de réussite éducative, les groupes de compétences en langues, la création des conseils pédagogiques, la présence, dans le cahier des charges national de la formation des maîtres, d'un volet consacré à l'adaptation à des publics hétérogènes, l'inscription dans la loi du principe de la liberté pédagogique, qui n'y figurait pas jusqu'à présent, sont autant d'éléments qui font de cette loi une grande loi pédagogique.
Dans ce domaine, notre texte tend à affirmer plusieurs principes.
Tout d'abord, la pédagogie vise en priorité à soutenir les élèves en difficulté, à individualiser les modalités de l'enseignement et à rechercher les moyens de l'adapter à la diversité des classes.
Ensuite, le choix des méthodes pédagogiques relève de la responsabilité de chaque enseignant. Conformément à la tradition scolaire française, réaffirmée avec solennité à travers l'inscription dans la loi du principe de la liberté pédagogique, l'enseignant est considéré comme un « maître », dont la compétence, fondée sur la maîtrise des savoirs à enseigner, s'étend naturellement à la manière de les enseigner.
Cependant, l'autorité pédagogique de l'enseignant doit, évidemment, s'exercer dans le cadre des programmes et s'enrichir de la concertation et du travail en équipe, que la création du conseil pédagogique dans les établissements publics locaux d'enseignement, les EPLE, a pour fin d'organiser et de promouvoir. Elle doit bénéficier des conseils et du suivi des corps d'inspection.
Enfin, dans la formation des maîtres, il s'agit également de redéfinir les liens entre la pédagogie et les savoirs. C'est pourquoi j'ai proposé que la formation initiale des enseignants soit confiée à l'université : aujourd'hui autonomes et souvent livrés à leur propre logique, les instituts universitaires de formation des maîtres, les IUFM, prendront le statut d'école intégrée aux universités, comme c'est le cas, d'ailleurs, dans la quasi-totalité des pays développés.
M. Christian Cambon. Très bien !
M. François Fillon, ministre. L'Etat fixera, dans un cahier des charges national - c'est une nouveauté - le contenu de la formation initiale des enseignants, qui sera réorientée sur deux ans autour de trois volets : la formation disciplinaire, la formation pédagogique et la formation du fonctionnaire du service public de l'éducation.
La formation continue des enseignants sera, elle aussi, recentrée sur l'échange de pratiques pédagogiques performantes et l'approfondissement disciplinaire. En plus des dispositifs déjà existants, tout enseignant pourra bénéficier, sur présentation d'un projet personnel de formation, d'un crédit d'heures de l'ordre de vingt heures par an.
Vous le voyez, mesdames, messieurs les sénateurs, le projet de loi vise à affirmer l'importance de la pédagogie et à en préciser la portée dans les classes, dans les établissements scolaires et dans les instituts universitaires de formation des maîtres.
Avec ce texte, nous misons sur la force et la capacité du service public de l'éducation à assumer ces nouvelles orientations.
Sur le terrain, j'ai, comme vous, croisé tant de professeurs et de chefs d'établissements, motivés, passionnés, ajustant leurs méthodes, inventant, construisant l'école de demain ! J'ai confiance dans l'école de la République, j'ai confiance dans son aptitude à relever les défis de son temps.
Si l'éducation nationale ne continue pas à s'adapter, ne répond pas aux aspirations des Français, n'obtient pas tous les résultats qu'on en est en droit de lui demander, alors, elle est en péril.
C'est pourquoi il n'est pas acceptable d'opposer la logique du service public avec la poursuite de la qualité, ni de prétendre qu'avoir des objectifs, développer une stratégie et évaluer des résultats serait incompatible avec la culture du service public. Il n'est pas davantage acceptable de laisser dire que mieux gérer le système éducatif, c'est vouloir le brader ou l'asservir à la loi du marché.
M. Jean-Luc Mélenchon. Personne n'a dit cela !
M. François Fillon, ministre. La modernisation du service public passera par des contrats d'objectifs plus clairs entre l'établissement scolaire et l'académie et par un ciblage des moyens, là ou l'échec scolaire est le plus flagrant. Ce sera le cas, notamment, pour les programmes personnalisés de réussite scolaire. Elle passera également par une meilleure utilisation des ressources humaines en matière d'aide et de remplacement des professeurs absents.
Cette question des remplacements de courte durée est devenue, pour les élèves et leurs parents, le symbole d'un blocage peu admissible de l'institution scolaire. Alors que personne n'a jamais osé aborder ce sujet quasi tabou, nous vous proposons de nous y attaquer.
Tout professeur absent pourra être remplacé par l'un de ses collègues de l'établissement exerçant dans sa discipline ou dans une autre discipline si aucune autre solution n'est possible. L'intervention des enseignants dans ce cadre donnera naturellement lieu au paiement d'heures supplémentaires.
La modernisation du service public passera aussi par la simplification des niveaux de décision entre les rectorats, par les inspections académiques et les services centraux, et par la mise en oeuvre de la loi organique relative aux lois de finances.
Un Haut conseil de l'éducation donnera au Gouvernement des avis sur les questions relatives à la pédagogie et aux programmes, à l'organisation et aux résultats du système éducatif ainsi qu'à la formation des enseignants.
Partout, il s'agit de passer progressivement d'une logique quantitative à une logique plus réactive, plus qualitative. Il faut désormais promouvoir une meilleure répartition des moyens et une meilleure gestion des ressources humaines en fonction d'objectifs lisibles et régulièrement évalués.
Mesdames, messieurs les sénateurs, la rénovation du service public de l'éducation et la réussite de tous les élèves, qui est un objectif ambitieux, ne se décrètent pas.
Chacun a son rôle à jouer.
Il appartient au Gouvernement d'évaluer la situation et de tracer les grands axes de progression : c'est ce que nous faisons ici en prévoyant 2 milliards d'euros et le recrutement de 150 000 enseignants d'ici à cinq ans.
Il revient, ensuite, à tous les acteurs de ce grand service public auquel notre pays confie ce qu'il a de plus précieux, l'avenir de ses enfants, de se mobiliser autour d'objectifs partagés.
C'est ainsi que l'éducation nationale poursuivra sa marche en avant.
Telles sont les priorités définies dans ce projet de loi d'orientation pour l'avenir de l'école, dont je suis convaincu qu'il contribuera à assurer à la France un avenir à la hauteur de ses ambitions.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, contrairement à ce qui est parfois, et même souvent, dit, les réformes d'ampleur de l'éducation nationale sont peu nombreuses : ce n'est que tous les quinze ans, environ, que la nation, par l'intermédiaire de ses élus, a rendez-vous avec son école.
M. Adrien Gouteyron. C'est vrai !
M. François Fillon, ministre. Ce rendez-vous, nous y sommes. Dans cette longue histoire de l'école, j'ai l'honneur d'agir dans le prolongement de nombre de mes prédécesseurs, dont certains furent illustres. Ils ont voulu l'école de la République, ils l'ont faite. Avec ce texte, j'ai le sentiment ne pas être infidèle à l'esprit universel qui était le leur. (Applaudissements prolongés sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires culturelles.
M. Jacques Valade, président de la commission des affaires culturelles. Vous venez de rappeler, monsieur le ministre, les éléments essentiels de la démarche du Gouvernement et les propositions contenues dans ce projet de loi sur l'avenir de l'école.
Ce texte répond à une attente, celle des milliers de Français, de tous horizons, qui, participant à la consultation voulue par le Président de la République, se sont exprimés, au cours de 26 000 réunions publiques, sur ce qu'ils attendaient de notre école pour demain. Ce grand débat, organisé sous l'égide de la commission présidée par Claude Thélot, a permis de mobiliser la nation tout entière sur ce sujet stratégique pour son avenir, donnant ainsi tout son contenu à l'affirmation qu'il faut sans cesse répéter : l'avenir de l'école se décide aujourd'hui.
La commission des affaires culturelles a été pleinement associée à cette démarche, puisque trois de ses membres, Jean-Claude Carle, aujourd'hui rapporteur, Annie David et Monique Papon, ont activement participé à ses travaux.
Tous ces avis, toutes ces contributions ont été transcrits dans Le Miroir du débat et la commission Thélot en a fait la synthèse. Son rapport, intitulé Pour la réussite de tous les élèves, a été remis au ministre de l'éducation nationale le 6 avril dernier : c'est le message adressé par nos compatriotes aux responsables politiques que nous sommes pour une nouvelle école républicaine.
Comme l'ont indiqué le président et des membres de la commission lorsque nous les avons auditionnés, ce rapport est une expression collective et trace des pistes pour accompagner l'évolution de l'école, remédier à ses carences actuelles et, de ce fait, éclairer les rédacteurs de la future loi.
Le Gouvernement s'est immédiatement mis au travail à partir de ces propositions en élaborant ce projet de loi d'orientation pour l'avenir de l'école, qui vient aujourd'hui devant la Haute Assemblée.
Je salue votre courage politique, monsieur le ministre, de vous être livré à ce difficile exercice pour synthétiser et transcender ces milliers d'avis exprimés. Il est de moins en moins facile de préparer un projet de loi de réforme de l'école et nombre de vos prédécesseurs ont reculé devant les réactions, les manifestations ou les grèves suscitées par leurs projets. L'histoire nous montre que l'acte de légiférer sur l'école - vous l'avez rappelé, monsieur le ministre - ne se produit que tous les quinze ans : Jules Ferry en 1881, Marcel Astier en 1919, Michel Debré en 1959, René Haby en 1975 et Lionel Jospin en 1989...
Cependant, nous ne pouvions négliger la situation difficile de notre école, décevoir l'espoir de nos concitoyens, qui se sont exprimés et ont, en quelque sorte, passé commande pour une école rénovée : éduquer et former notre jeunesse en donnant à chacun sa chance et en s'efforçant de ne laisser personne sur le bord du chemin.
Il s'agit, non pas d'une révolution, mais d'une nécessaire évolution souhaitée par tous. Nous avons, à partir d'un constat, l'obligation, l'impérieuse nécessité, avec réalisme et fermeté, de porter remède aux dysfonctionnements de l'école et de la projeter dans le XXIe siècle.
C'est ce à quoi vous vous êtes attaché, et, par votre projet, le « contrat France 2005 », vous avez le mérite de proposer des solutions à ce constat d'échec qui sanctionne notre système scolaire.
Il est, en effet, insupportable que 150 000 jeunes quittent l'école négativement, sans formation de base, sans qualification et, de ce fait, sans réelle chance d'insertion professionnelle et sociale.
La perception par les jeunes de cette absence d'avenir entraîne des dérives publiques tout à fait regrettables, même si, le plus souvent, elles sont amplifiées, voire exploitées. Il n'en demeure pas moins que la jeunesse exprime sa perception des difficultés réelles du présent et ses inquiétudes tout aussi réelles pour l'avenir.
La communauté nationale, tout particulièrement celle des adultes, a une responsabilité majeure dans ce domaine.
Quatre orientations se sont dégagées du débat national, quatre défis prioritaires pour l'école de demain, qui sont des chantiers incontournables.
La référence à l'égalité des chances ne suffit plus ; il faut l'organiser, et vous vous y efforcez, monsieur le ministre, d'une façon qui est non plus incantatoire mais concrète, en vous attaquant aux racines profondes de cette situation.
Notre système éducatif, a, en fait, peu évolué au cours des décennies précédentes.
Il est vain de penser que tous les enfants, à situation sociale comparable, peuvent atteindre des niveaux scolaires, voire universitaires, identiques : peut-on imaginer que tous les enfants, tous les adolescents, tous les adultes, pour prendre l'image du sport, aient la même capacité à courir, sauter, jouer au football avec le même talent et atteindre les performances des meilleurs et des plus doués ?
L'évocation de l'égalité de tous les individus par rapport à la performance est une tromperie, sauf à tirer vers le bas l'ensemble et, par conséquent, à pénaliser les meilleurs.
En revanche, il est de notre devoir impérieux de mettre en place tous les systèmes utiles pour faire émerger tous les talents dont l'épanouissement peut être contrarié par l'origine sociale ou par l'aptitude même des enfants, qui est plus ou mois facile à révéler et à mettre en valeur.
Il faut ouvrir l'école au plus grand nombre, organiser l'émergence des talents, soutenir les plus défavorisés ou les plus fragiles...
Mme Hélène Luc. C'est pour cela qu'on veut donner des bourses au mérite !
M. Jacques Valade, président de la commission des affaires culturelles. ...et faciliter l'orientation en fonction des capacités de chacun, non par la négative, comme c'est trop souvent le cas actuellement.
Il faut désormais mieux prendre en compte la diversité des capacités et des situations. Le projet de loi que vous nous présentez, monsieur le ministre, s'y emploie.
Les Français demandent à l'école de donner à leurs enfants une culture générale et des compétences minimales, de prendre en compte leur diversité, d'améliorer la gestion du système éducatif et de répondre aux défis de l'ouverture à l'international de la France.
Je laisse à M. le rapporteur le soin de développer ces thèmes et de montrer comment le projet de loi d'orientation tente d'y apporter une réponse.
Quoi qu'il en soit, nous adhérons totalement à vos propositions essentielles, monsieur le ministre : maîtrise d'un socle de connaissances de base ; lutte contre l'échec scolaire par un soutien personnalisé ; développement de l'enseignement des langues vivantes, dès le CE1 pour la première langue, à compter de la cinquième pour la seconde.
J'ajouterai que, bien qu'elle ait disposé de délais très courts, ce qu'elle a déploré, la commission des affaires culturelles a préparé l'examen de ce texte avec soin et avec sérieux. Elle avait heureusement anticipé le calendrier et débuté ses consultations dès le dépôt du projet de loi d'orientation, le 12 janvier dernier.
La commission a procédé à une cinquantaine d'auditions, si l'on y inclut celles de son rapporteur, qui a été très studieux pendant la semaine des vacances parlementaires du mois de février. Je confirme que nous avons rencontré l'ensemble des organisations représentatives des enseignants, des chefs d'établissement, des parents d'élèves et des lycéens, ainsi que de nombreux spécialistes de l'éducation.
Permettez-moi, enfin, d'évoquer deux points particuliers du projet de loi.
En premier lieu, j'ai eu l'honneur l'an dernier d'être le rapporteur du projet de loi encadrant, en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics. J'avais moi-même demandé au cours du débat que ce texte s'accompagne d'un effort important en matière d'enseignement du fait religieux - et donc d'une adaptation de la formation des enseignants en ce sens - afin d'améliorer la connaissance critique des religions et de favoriser la compréhension mutuelle entre les différentes cultures et traditions de pensée. C'est de l'ignorance, en effet, que naît l'intolérance ; c'est sur ce terrain que prospèrent les extrémismes.
J'approuve donc l'initiative, dont la force symbolique est très grande, de notre collègue député M. Jean-Pierre Brard, visant à introduire l'enseignement de l'histoire du fait religieux.
En second lieu, j'aborderai les dispositions relatives à la réforme des instituts universitaires de formation des maîtres, marquant la volonté - cela est bien normal - de les intégrer aux universités. C'est un réel progrès, même si subsistent un certain nombre de difficultés, sur lesquelles notre rapporteur reviendra.
A cet égard, nous constatons tous que la réflexion n'a pas été suffisamment poussée sur la question de l'articulation entre l'enseignement secondaire et l'enseignement supérieur. Des membres de la commission Thélot avaient déjà regretté cette frontière fixée à leur champ d'investigation. Et les nombreuses personnes que nous avons auditionnées ont déploré que nous ne nous attaquions pas à cette question, tout particulièrement à l'inacceptable taux d'échec en première année d'université.
M. Jacques Legendre. Très bien !
M. Jacques Valade, président de la commission des affaires culturelles. Le 29 janvier dernier, à l'occasion d' « Objectif emploi » organisé par le Sénat, les participants avaient mis en avant cette question. La commission « Défis éducatifs » avait proposé que, dès le secondaire, les élèves soient mieux informés des possibilités qu'offre l'enseignement supérieur, afin d'éviter les erreurs d'aiguillage qui conduisent à l'échec et à un gâchis inacceptables. Ce qui est vrai pour les étudiants et pour les élèves l'est également pour les professeurs des classes préparatoires et du premier cycle de l'enseignement supérieur.
Certes, le projet de loi d'orientation fixe au système éducatif l'objectif de faire obtenir un diplôme de l'enseignement supérieur à 50 % d'une classe d'âge - contre 38 % aujourd'hui. L'organisation de ce niveau est donc, de ce fait, absolument à revoir.
La commission des affaires culturelles souhaite, monsieur le ministre, que la réflexion soit approfondie dans des conditions sereines, loin de toute agitation de la rue, en vue de sortir de cette impasse.
Elle a fait de nombreuses autres propositions, que son rapporteur va maintenant vous présenter. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
(M. Philippe Richert remplace M. Christian Poncelet au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. Philippe Richert
vice-président
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Claude Carle, rapporteur de la commission des affaires culturelles. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en ouvrant, le 20 novembre 2003, le débat national sur l'avenir de l'école, le Président de la République rappelait que « l'école a été le rêve de la République » et qu'elle reste « la plus belle de ses réussites ». Cependant, ajoutait-il, « l'école exprime une forme de désarroi. Elle s'interroge sur le contenu de ses missions ».
Il a souhaité, alors que notre système éducatif cherche un nouveau souffle, que l'ensemble des Français puissent faire partager leurs préoccupations et exprimer leurs attentes et leurs aspirations.
En effet, notre destin collectif est intimement lié à l'avenir de l'école.
La commission du débat national sur l'avenir de l'école, présidée par M. Claude Thélot, à qui je souhaite rendre un hommage appuyé, comme vous l'avez fait, monsieur le ministre, a accompli un travail considérable pour établir la synthèse de ces contributions.
Cette démarche confère une assise et une légitimité toutes particulières au projet de loi d'orientation qui a ensuite été élaboré par le Gouvernement.
A l'occasion d'une rencontre organisée dans ma région, une jeune enseignante m'a semblé avoir trouvé les mots justes pour formuler le constat partagé : « l'école va bien pour les enfants qui vont bien ».
Le projet de loi d'orientation que vous nous présentez aujourd'hui, monsieur le ministre, nourri de ces débats et de nombreuses concertations, vise à permettre à notre école d'aller bien pour tous nos enfants.
L'école de la réussite pour tous, c'est d'abord celle qui assure l'égalité des chances, laquelle n'est pas seulement l'égalité dans l'instant, mais est aussi l'égalité face à l'avenir.
Ce n'est pas par la seule inflation continue des moyens que nous gagnerons ce pari. Dans son rapport intitulé Mieux gérer, mieux éduquer, mieux réussir, la commission d'enquête sénatoriale constituée en 1998, sous la présidence de notre collègue Adrien Gouteyron, nous avait déjà mis en garde contre les limites d'une hausse budgétaire mal maîtrisée.
En effet, pendant plusieurs décennies, notre système éducatif a enregistré une formidable progression, conjuguant massification et démocratisation de l'accès aux niveaux supérieurs de formation. Mais, depuis dix ans, il a atteint un palier, et ce en dépit d'une augmentation de 25 % du budget de l'enseignement scolaire.
La persistance d'inégalités jette le doute sur la capacité de l'école à remplir son rôle de meilleur instrument de promotion sociale. Un enfant d'ouvrier a toujours dix-sept fois moins de chances qu'un enfant de cadre d'accéder à une grande école. Enfin, dans un récent avis, le Haut Conseil de l'évaluation de l'école a montré que la pauvreté, au sens large, - la pauvreté économique et sociale, mais également culturelle -, était la première cause du grand échec scolaire.
L'éducation est notre première priorité nationale. Chacun se sent concerné par ce qui touche à cette question. Le temps est venu pour la nation de se réapproprier son école pour en fixer les grandes orientations, afin qu'elle porte ses espoirs et ses exigences.
La première de ces exigences est que chacun maîtrise, à l'issue de la scolarité obligatoire, un socle commun de connaissances et de compétences indispensables. C'est la condition primordiale de l'efficacité et de la qualité de notre école. C'est avant tout un impératif de justice sociale, en termes d'égalité des chances face à la transmission des savoirs, dès lors que l'école s'adresse à tous les élèves.
A ceux qui prétendent que le socle commun de connaissances constituerait une culture au rabais ou un nivellement des ambitions, je me contenterai de rappeler ces quelques chiffres connus de tous : quand 15 % des élèves entrent en sixième en éprouvant de grandes difficultés en lecture, que 7 % des adolescents de dix-sept ans sont dans une situation proche de l'illettrisme et que 150 000 jeunes sortent chaque année du système scolaire sans qualification et sans maîtrise des bases fondamentales du savoir, garantir à tous la maîtrise d'un socle commun de connaissances est une ambition forte et élevée. Je défie quiconque de dire le contraire !
Mme Hélène Luc. Et c'est une question de gestion financière ?
M. Jean-Claude Carle, rapporteur. Ce socle commun de connaissances répond, en outre, à la principale préoccupation de la majorité des Français. La nation affiche ainsi clairement ses attentes à l'égard de l'école, en définissant ce que nul ne peut ignorer pour poursuivre sa formation, réussir sa vie en société et préparer son avenir professionnel. En parallèle, l'acquisition de ce socle de connaissances par tous les élèves devra faire l'objet, à chaque étape, d'une évaluation, prise en compte dans la poursuite de la scolarité.
Mais ce serait une erreur de voir dans ce socle commun une illusoire uniformité des parcours de réussite. L'école accueille des élèves divers ; elle a pour devoir d'offrir et de promouvoir des voies de réussite plurielles.
L'égalité des chances appelle aujourd'hui d'autres réponses que l'égalité de traitement. Cette dernière a produit des effets limités et parfois destructeurs. Bien au contraire, l'égalité des chances repose, à mon sens, sur l'inégalité de traitement. Nous en sommes aujourd'hui convaincus.
J'ai été guidé, tout au long de l'examen du projet de loi, par cette phrase d'Hervé Bazin dans son Abécédaire : « Pour que chacun soit, nous devons vivre ce paradoxe : tous égaux, tous non pareils ».
La personnalisation des apprentissages que vous avez souhaitée, monsieur le ministre, avec le programme personnalisé de réussite scolaire - je vous proposerai de le rebaptiser « parcours de réussite éducative » pour en souligner l'aspect progressif et global - constitue, en ce sens, une avancée importante.
Plusieurs des amendements que je présenterai au nom de la commission des affaires culturelles répondent au souci d'aller plus loin dans cette direction.
Tout d'abord, j'ai souhaité donner à ce projet de loi d'orientation une forte tonalité politique, pour mettre un terme au postulat culturel de hiérarchisation des formes d'intelligence sur lequel est bâti notre système éducatif. En raison de préjugés tenaces, la voie professionnelle demeure toujours perçue comme une voie de relégation, qu'on ne rejoint qu'à la suite d'une orientation par l'échec, une orientation subie et non choisie.
C'est pourquoi il appartient à la nation de proclamer haut et fort que l'école doit accorder le même intérêt à toutes les formes de talents, reconnaître et valoriser l'intelligence « du geste », celle de la main, tout autant que les capacités d'ordre plus conceptuel. Pour cela, elle doit privilégier des approches diversifiées.
L'école de l'égalité des chances est d'abord celle qui permet à chacun d'aller au plus loin de ses potentialités, dans l'expression de ses talents, aussi bien intellectuels que manuels, artistiques et sportifs.
Ensuite, et dans le même esprit, l'école doit s'adapter aux élèves qui présentent des besoins spécifiques, pour leur offrir les meilleures chances de réussite.
Nous avons eu de riches débats, ces derniers mois, en vue d'améliorer les conditions de scolarisation des élèves handicapés. J'ai souhaité que ce projet de loi d'orientation adresse des messages analogues à l'égard des élèves intellectuellement précoces, qui sont, paradoxalement, les oubliés de la difficulté scolaire. L'école doit pouvoir leur offrir un cadre pédagogique adapté et stimulant, pour accompagner leur progression, y compris en favorisant une accélération de leur parcours scolaire.
En outre, l'école de la République a le devoir d'accueillir les « primo-arrivants », c'est-à-dire les élèves non francophones qui arrivent sur notre territoire. Leur assurer une maîtrise rapide de la langue française est la première clé à leur donner pour faciliter leur intégration.
Enfin, l'éducation nationale doit reconnaître qu'elle ne détient pas le monopole des voies de la réussite. Il m'a semblé primordial de donner à ce projet de loi d'orientation toute sa dimension, en l'inscrivant dans une vision large et solidaire de toutes les composantes du système éducatif.
L'enseignement privé sous contrat contribue à la qualité du service public de l'éducation et doit disposer de moyens humains suffisants pour remplir ses missions.
De même, les voies de l'alternance, l'apprentissage et l'enseignement agricole concourent, avec succès, aux objectifs de réussite et d'élévation des niveaux de qualification.
Par souci de parallélisme, il est apparu légitime de compléter les éléments de programmation introduits par l'Assemblée nationale par des données similaires traduisant l'engagement du Gouvernement à mettre en oeuvre, dans l'enseignement agricole, les mesures annoncées. Le Sénat, en particulier la commission des affaires culturelles qui y consacre un rapport budgétaire au moment de l'examen du projet de loi de finances, présenté par notre collègue Françoise Férat, manifeste un attachement fort pour cette composante originale de notre système éducatif, qui accueille près de 175 000 élèves et dont la réussite est saluée unanimement.
A ce titre, l'une des propositions que je vous présenterai prend modèle sur l'organisation des lycées agricoles, dont l'ancrage dans nos territoires contribue à favoriser l'insertion professionnelle des élèves : dans le cadre d'une expérimentation, les lycées professionnels pourront élire le président de leur conseil d'administration parmi les personnalités extérieures qui y siègent.
Cela permettra, dans la logique du projet de loi, non seulement de renforcer le pilotage stratégique des établissements, mais aussi de permettre au chef d'établissement de se consacrer pleinement à son rôle essentiel d'animateur pédagogique. Monsieur le ministre, votre texte renforce en effet de façon tout à fait positive ses missions en ce domaine, en lui confiant la présidence du conseil pédagogique, nouvellement institué.
Par ailleurs, nous ne remporterons le pari de l'école de la réussite de tous et de l'égalité des chances que si l'ensemble des acteurs réussissent et se mobilisent autour de ces objectifs.
Guidé par cette conviction, je vous présenterai un certain nombre de propositions qui s'inscrivent dans le prolongement des orientations déjà tracées par le projet de loi, en faveur d'une plus large ouverture de l'école sur ses partenaires.
Telle est la vocation de l'importance renouvelée que j'ai souhaité donner à la notion centrale de « communauté éducative ». Dans un récent rapport sur les violences scolaires, notre collègue Christian Demuynck, relatant les propos d'un proviseur, relevait très justement que « l'équilibre d'un jeune repose sur trois piliers, sur lesquels il s'appuie et se construit : l'école, la famille, la cité ». Ces piliers sont réunis au sein de la communauté éducative.
En premier lieu, les parents y occupent une place particulière. L'école doit mieux reconnaître la responsabilité qu'ils assument dans la réussite des élèves, pour les associer plus étroitement au suivi de leur scolarité. La réussite d'un jeune est forcément le résultat d'une conjugaison entre l'action de l'école et celle de la famille ; or on observe encore parfois, dans le milieu scolaire, les stigmates d'une défiance réciproque entre les familles et les enseignants, alors qu'il convient de privilégier, au contraire, les relations fondées sur le dialogue et sur la confiance mutuelle.
En second lieu, cette meilleure compréhension réciproque et ce souci d'ouverture doivent prévaloir avec l'ensemble des « acteurs de la cité ». Ces derniers apportent une contribution de plus en plus active et essentielle à la réalisation de la mission éducative.
Ces partenaires sont, de toute évidence, les collectivités territoriales, auxquelles la loi confie une « compétence partagée » en matière d'éducation. Elles s'en sont pleinement saisies avec une efficacité et une capacité d'innovation que nous connaissons tous.
La communauté éducative réunit également les autorités institutionnelles de l'Etat, les services médico-sociaux et les milieux professionnels et économiques, dont l'implication est devenue une exigence accrue pour répondre aux attentes et aux défis nouveaux auxquels est confrontée notre école, à savoir les défis non seulement de la sécurité, de la prévention des comportements à risques, mais aussi de l'orientation et de la préparation des parcours professionnels des élèves.
L'information sur les métiers est en effet l'une des premières sources d'inégalité, un domaine dans lequel les parents et les jeunes se sentent souvent démunis. Les collectivités territoriales et les organismes professionnels doivent contribuer à améliorer la qualité de cette information, en fournissant des données actualisées sur les débouchés professionnels et les perspectives d'évolution de carrière. Il existe un paradoxe inacceptable consistant à voir certaines filières se vider de leurs effectifs, alors qu'elles répondent aux besoins de notre économie et de notre société, y compris au niveau local.
Permettez-moi, monsieur le ministre, mes chers collègues, de prendre l'exemple de mon département. La Haute-Savoie concentre sur le bassin d'emploi de la vallée de l'Arve, c'est-à-dire entre Genève et Chamonix, quelque 800 PME-PMI spécialisées dans le décolletage et les activités connexes de la mécanique. Ces entreprises emploient 13 000 salariés, et chaque année, elles doivent recruter environ 500 personnes ayant le niveau du baccalauréat professionnel, voire plus. Actuellement, à peine le quart des besoins est pourvu.
M. Jean-Luc Mélenchon. Voilà !
M. Jean-Claude Carle, rapporteur. Les lycées techniques et professionnels ainsi que les centres de formation d'apprentis, les CFA, éprouvent les pires difficultés à remplir leurs sections.
Le lycée professionnel de Cluses, qui vient d'être restructuré par la région, n'accueille pas plus de 200 élèves, alors qu'il dispose de 400 places. Le CFA attenant à cet établissement ne compte que 40 apprentis alors qu'il peut en accueillir plus du double...
Et pourtant, les salaires sont relativement attractifs. Le titulaire d'un baccalauréat professionnel débute à environ 1 200 euros nets mensuels, pour atteindre 1 500 euros au bout de deux ans et 3 000 euros après cinq ans d'exercice au sein de l'entreprise.
M. Jean-Luc Mélenchon. C'est normal !
M. Jean-Claude Carle, rapporteur. Cette inadéquation entre l'offre et la demande est inacceptable. Elle l'est d'autant plus que, dans le même temps, de nombreux jeunes qui ont suivi certaines filières à l'image plus attractive poussent la porte non pas d'une entreprise mais de l'ANPE.
Une orientation réussie est celle qui concilie non seulement le projet du jeune, mais encore les besoins de l'économie locale et répond donc aussi aux exigences en termes d'aménagement du territoire.
Je clos cette parenthèse en soulignant que le système éducatif doit faire davantage confiance aux acteurs de terrain sur lesquels repose, au quotidien, la réussite des élèves. Ce projet de loi n'a pas vocation à tout définir et à tout déterminer. Il servira de levier, de cadre dans lequel s'inscriront des expérimentations et des politiques contractuelles et de partenariats, qui sont des vecteurs d'initiatives locales et sources d'efficacité.
Dans ce sens, j'ai estimé essentiel que le projet de loi incite au développement de réseaux dans le second degré, au niveau de l'échelon de proximité que constitue le bassin de formation.
M. Gérard Longuet, rapporteur pour avis de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Très bien !
M. Jean-Claude Carle, rapporteur. Il s'agit de favoriser l'ouverture des établissements sur leur environnement et de briser le cloisonnement qui les isole parfois. En effet, la logique de complémentarité entre les établissements de tous types doit prévaloir sur celle de concurrence, pour aboutir à une offre de formation plus riche et plus cohérente. De surcroît, le fonctionnement en réseau a vocation à faciliter le développement de passerelles entre les différentes voies pour proposer aux élèves des perspectives plus larges et plus diversifiées.
Enfin, la réussite de tous les élèves, c'est aussi, il faut le souligner, la réussite de tous les personnels des établissements scolaires, et, en premier lieu, celle des enseignants. Car les enseignants sont, bien entendu, au coeur de l'école et de son évolution.
Mme Hélène Luc. Ce sont des mots !
M. Jean-Claude Carle, rapporteur. Ils consacrent, chaque jour, leur temps et leur énergie à instruire, à accompagner et à éduquer ces jeunes qui sont le levain de notre société. C'est donc sur leurs épaules que repose largement notre avenir.
Mme Hélène Luc. C'est pour cela que vous voulez leur faire faire des heures supplémentaires pour remplacer les autres professeurs ! Vous pensez qu'ils ne travaillent pas assez bien !
M. Jean-Claude Carle, rapporteur. Or, nous le savons bien, la mission des enseignants est difficile et les conditions dans lesquelles ils l'exercent ne sont pas toujours aisées, l'implication des élèves laissant parfois à désirer et l'atmosphère d'agressivité étant palpable dans un certain nombre d'établissements.
Mme Hélène Luc. Quel mépris pour les enseignants !
M. Jean-Claude Carle, rapporteur. Aussi, je veux aujourd'hui rendre hommage aux enseignants et à l'ensemble des personnels qui agissent au quotidien dans nos établissements.
M. Pierre Hérisson. Très bien !
M. Jean-Claude Carle, rapporteur. Je souhaite qu'ils soient convaincus que ce projet de loi a pour ambition de les aider à accomplir leur mission, de leur donner de nouveaux outils d'intervention ou d'organisation. Je pense à la priorité conférée au socle commun, au parcours personnalisé de réussite éducative, mais aussi à l'affirmation de leur liberté pédagogique, au soutien qu'ils peuvent trouver chez les autres membres de la communauté éducative ou au sein du conseil pédagogique.
De même, l'amélioration de l'orientation des élèves devrait se traduire par une plus grande motivation de ces derniers ; la meilleure prise en charge de la diversité des élèves devrait aussi faciliter le travail des enseignants.
Enfin, l'adaptation de leur formation à leurs nouveaux besoins va dans ce sens.
En bref, les mesures que nous allons voter doivent bénéficier aux élèves et également, à travers eux, à leurs professeurs, pour la réussite de tous.
Je rappellerai cette citation de notre illustre collègue Victor Hugo : « Chaque enfant qu'on enseigne, c'est un homme qu'on gagne ».
Mme Hélène Luc. Tirez-en toutes les conclusions !
M. Jean-Claude Carle, rapporteur. Pour cela, notre pays a besoin d'enseignants qui maîtrisent leurs disciplines, qui adaptent leurs méthodes pédagogiques aux élèves qui sont devant eux. Avant tout, ne l'oublions pas, notre école a besoin de professionnels qui aiment leur métier et qui aiment nos enfants, ce qui est le cas.
Monsieur le ministre, il nous faut renforcer l'attractivité de ce métier, parmi les plus beaux. Cela paraît simple et évident. Mais le général de Gaulle n'a-t-il pas écrit : « Les choses capitales qui ont été dites à l'humanité ont toujours été des choses simples. » ?
Tentons, dans cette perspective, de traduire en mots simples, dans le présent projet de loi, la nouvelle ambition de notre pays pour notre école.
M. Jean-Claude Gaudin. Très bien !
M. Jean-Claude Carle, rapporteur. Au terme de mon intervention, permettez-moi de remercier les administrateurs de la commission des affaires culturelles, qui ont beaucoup travaillé. Très tôt ce matin, ils classaient encore les quelque six cents amendements qui ont été déposés sur ce texte.
Je remercie également vos collaborateurs, monsieur le ministre, avec lesquels nous avons eu des discussions intenses, parfois très serrées, qui ont été fructueuses.
Mes chers collègues, je vous adresse aussi à vous tous, qui avez participé à de nombreuses auditions, mes remerciements, et je sais gré tout particulièrement à M. Valade, pour ses conseils très éclairés. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Gérard Longuet, rapporteur pour avis de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, après les interventions de Jacques Valade, président de la commission des affaires culturelles, et de Jean-Claude Carle, rapporteur de ladite commission, je m'exprimerai au nom de la commission des finances avec beaucoup de modestie, tant la qualité du travail effectué par nos collègues emporte notre adhésion et notre respect.
La commission des finances a souhaité se saisir de ce projet de loi. C'est une innovation, car ni la loi présentée par René Haby en 1975, ni la loi d'orientation sur l'éducation du 10 juillet 1989 n'avaient fait l'objet d'un examen par la commission des finances de l'Assemblée nationale ou du Sénat.
A l'occasion de la première lecture de ce projet de loi, l'Assemblée nationale a introduit des éléments que l'on peut qualifier de « programmation ». Pour autant, sa commission des finances ne s'en était pas saisie.
A la Haute Assemblée, la commission des finances a estimé nécessaire de donner un avis sur le projet de loi que nous examinons en raison d'une double préoccupation.
Il s'agit d'abord, naturellement, de l'importance du budget consacré à l'éducation, qui connaît une croissance constante depuis ces dix dernières années.
Par ailleurs, monsieur le rapporteur, alors que la commission des finances s'efforce de faire partager au Sénat la culture de la loi organique relative aux lois de finances, la fameuse LOLF, culture non plus des moyens mais de la performance, celle du système scolaire semble, hélas ! plafonner depuis près d'une dizaine d'années ; les chiffres cités dans votre rapport en témoignent.
C'est forte de cette double préoccupation que la commission des finances s'est interrogée sur ce projet de loi, sur sa dimension budgétaire et sur les critères de performance que vous avez souhaité introduire, monsieur le ministre, et sur lesquels nous allons naturellement revenir.
Pour ce qui concerne l'importance du budget, je rappelle avec force une évidence que nous partageons tous : l'enseignement est, à tort, une dépense de fonctionnement. En effet, c'est le premier investissement national. La transmission du savoir, qu'il s'agisse d'instruire, d'éduquer, de former, selon les points de vue, est assurément le premier et le meilleur des investissements que nous pouvons faire collectivement pour améliorer les chances de notre pays.
C'est tellement vrai - monsieur le rapporteur, vous l'avez rappelé - que plus de un million de Français ont participé aux 26 000 réunions qui ont été organisées. Il s'agit, sans doute, du plus grand débat, représentatif de l'appétit d'engagement de nos compatriotes, sur le thème de l'éducation.
L'éducation nationale compte 60 millions d'usagers, et, monsieur le ministre, je le crains, hélas ! 60 millions d'avis Ne nous plaignons pas du fait que les Français se passionnent pour ce sujet.
La première raison de l'implication de la commission des finances tient donc au fait que la dimension budgétaire de l'éducation nationale ne cesse, non pas d'être préoccupante, mais, très légitimement, de nous conduire à nous interroger sur ce que nous estimons être une dépense d'investissement, dont la maîtrise mérite d'être évaluée, notamment en termes de performance.
En effet, au cours de ces dix dernières années, le budget de l'éducation scolaire, hors enseignement supérieur, est passé de 45,9 milliards d'euros à près de 57 milliards d'euros en 2005, soit une progression de 25 %, alors que les effectifs ont diminué de près de 500 000 élèves.
Aujourd'hui, le budget de l'enseignement scolaire est le premier budget public, civil et militaire, avant celui de la défense et le remboursement de la dette, heureusement d'ailleurs ! Sa part dans le budget général est passée de 17,6 % à 19,6 % en dix ans. Il s'agit donc bien d'un projet national, traduit par des chiffres et des engagements importants qui nous situent, dans l'espace international, à un niveau respectable. Je souhaiterais à cet égard donner quelques précisions.
Comparons la France avec les pays de l'OCDE, l'organisation de coopération et de développement économiques. La France consacre 6,5 % de son PIB à l'éducation, hors formation continue, alors que la moyenne de l'OCDE est de 5,5 %.
Certes, comparaison n'est pas raison ! Toutefois, à travers ces chiffres, pointe déjà l'une des lacunes de notre système d'enseignement : sa faible productivité. A titre d'exemple, le coût d'un élève dans le secondaire en France est supérieur de 30 % au coût moyen d'un élève dans un pays de l'OCDE.
La commission des finances souhaite faire une observation : nous ne nous situons plus dans un débat franco-français. Naturellement, d'une majorité à l'autre, on peut se rejeter les responsabilités. La vérité est que nous sommes observés de l'extérieur, notamment en raison de notre participation au programme international de suivi des acquis, puisque le ministère de l'éducation nationale transmet des données. Un tel programme permet d'établir, année après année, la performance du système scolaire et le savoir moyen des élèves français au regard de leurs jeunes homologues des pays de l'OCDE.
M. Jean-Luc Mélenchon. Cela ne vaut rien du tout !
M. Gérard Longuet, rapporteur pour avis. Évidemment, la comparaison n'est pas une raison absolue, monsieur Mélenchon, je le reconnais volontiers, mais l'absence totale de comparaison est la certitude de l'absurdité ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.) C'est pourquoi je me réjouis que le ministère de l'éducation nationale s'engage dans une logique d'étude, d'analyse, de réflexion.
Sur ce point, la commission des finances n'a pu que constater la stagnation de la performance ; c'est la seconde raison qui l'a motivée.
Mais je n'ouvrirai pas la polémique. Je relèverai plutôt le bon rattrapage que nous avons connu de 1985 à 1995 - reconnaissons-le, il résulte essentiellement du développement des baccalauréats professionnels, domaine dans lequel vous avez oeuvré, mon cher collègue - qui nous a permis de porter près de 65 % d'une classe d'âge au niveau du baccalauréat.
Depuis dix ans, nous observons une stagnation sur l'ensemble des critères de réussite, que ce soit le taux d'accès au baccalauréat ou le pourcentage de jeunes en situation d'échec scolaire. Monsieur le rapporteur, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, vous l'avez tous rappelé, je n'y reviendrai pas.
Mme Hélène Luc. Si, vous pouvez y revenir... C'est un gros problème !
M. Gérard Longuet, rapporteur pour avis. En revanche, je voudrais traiter d'un phénomène qui n'a pas encore été évoqué : l'hypocrisie implicite d'un système de sélection qui n'ose pas dire son nom et qui fonctionne souvent au bénéfice de ceux qui ont la maîtrise des mécanismes d'orientation. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Nous avons, à l'entrée du deuxième cycle du secondaire, cent trente options pour le baccalauréat. Ceux qui connaissent les bonnes options ont plus de chances non seulement d'obtenir leur diplôme, mais surtout de réussir dans l'enseignement supérieur.
Savez-vous que près de 11 % des élèves titulaires de baccalauréats généraux qui font des études supérieures sortent sans diplôme - c'est déjà considérable ! - contre 60 % des élèves titulaires d'un baccalauréat professionnel qui entrent dans l'enseignement supérieur, en général en STS, sections des techniciens supérieurs ou en IUP, instituts universitaires professionnalisés ? Autrement dit, le taux d'échec est six fois plus élevé dans ce dernier cas ! Cela signifie que l'on restitue, par le biais des orientations sélectives, une sélection que l'on n'ose pas faire parce que l'on craint d'évoquer le problème de la réussite scolaire ! (Nouveaux applaudissements sur les mêmes travées.)
M. Dominique Braye. Très bien !
Mme Hélène Luc. Vous allez donc renforcer la sélection !
M. Gérard Longuet, rapporteur pour avis. Heureusement, aujourd'hui, nous ne pouvons plus nous cantonner à ce débat franco-français, nous disposons de données extérieures. Nous avons le devoir de confronter les perspectives de réussite que nous offrons aux jeunes Français à celles auxquelles ils pourraient prétendre s'ils étaient anglais, allemands ou finlandais, la Finlande ayant, nous dit-on, le meilleur système européen à ce jour. (Murmures sur les travées du groupe socialiste.)
Monsieur le ministre, avant d'examiner les moyens, la commission des finances voudrait saluer votre courage. En effet, vous avez affiché des objectifs qualitatifs et quantitatifs. Pour une fois, je commencerai par souligner les objectifs qualitatifs, m'éloignant ainsi momentanément du quantitatif.
Vous évoquez des comportements et des valeurs.
Il n'y a pas de système sans direction, ni de marcheur sans boussole. Vous nous proposez les valeurs de la République. Il était, en effet, raisonnable de les rappeler au moment où l'éducation pourrait donner l'impression d'être le lieu d'un happening permanent qui verrait, au nom d'une créativité sans limite, des enfants, des jeunes, bref des élèves, disponibles pour toutes les imaginations. Car, il revient également à l'éducation nationale d'instruire et de transmettre, et pas simplement d'éveiller, de surcroît dans le désordre ! Il y faut des repères, et ces repères communs sont les valeurs de la République.
Vous rappelez, en termes simples, l'existence du règlement intérieur tant il est vrai que l'on ne peut pas vivre en communauté si certaines règles ne sont pas respectées. C'est une banalité de le dire ! Il est désolant que, aujourd'hui, ce soit original d'avoir le courage de l'écrire ! Monsieur le ministre, je vous remercie de l'avoir fait. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
De la même façon, introduire dans la notation de l'élève une note de vie scolaire, c'est restituer au comportement de tous les jours, qui traduit une façon de se tenir, de respecter les autres et ce que l'on reçoit, une force et une importance qui avaient, semble-t-il, disparu au détriment peut-être des professeurs mais surtout des élèves exposés à la loi de la plus « grande gueule », qu'il serait nécessaire de chasser de nos classes !
Je souhaiterais évoquer d'autres valeurs qualitatives contenues dans votre texte, notamment le choix de l'aide à la personne plutôt que de l'aide au territoire. Sans doute les zones d'éducation prioritaire étaient-elles utiles lorsqu'elles ont été mises en place ; toutefois, aujourd'hui, il paraît plus respectable d'aller vers l'élève, de le considérer comme une personne, avec ses difficultés, que de baptiser, de façon définitive, telle zone comme étant « à protéger » et telle autre comme étant « à négliger ».
L'aide à la personne est une forme de respect ; cela ouvre la voie à un dialogue entre l'enseignant, l'élève et, je l'espère, ses parents, dialogue de responsabilité comme il se pratique souvent - pourquoi ne pas le dire ? - dans l'enseignement privé, qui, reconnaissons-le toutefois, jouit de la double liberté du choix de ses professeurs et du choix de ses élèves. Mais je n'ouvrirai pas ce débat maintenant.
Chaque fois que l'on peut personnaliser une action publique, on a une chance d'optimiser son résultat.
Le dernier point qualitatif de votre projet que la commission des finances voudrait saluer est l'émergence du concept d'établissement.
Nous parlons très souvent, dans les discours, de « communauté éducative » ; la vérité est, hélas ! beaucoup plus modeste. L'enseignement public est sans doute la plus grande profession libérale nationalisée. Je souhaite que, progressivement, les écoles, les collèges et les lycées deviennent des communautés éducatives au sein desquelles les dialogues se nouent : entre enseignants, entre enseignants et élèves, entre enseignants, élèves et parents et, enfin, avec le monde extérieur.
Vous introduisez ces valeurs éducatives, et ce non sans un certain nombre de tensions, il faut le reconnaître. Je pense que le débat permettra de traiter les différents thèmes abordés : l'autonomie de l'enseignant, qu'il faut respecter ; le projet pédagogique, qui est une action collective ; l'autorité du chef d'établissement, ce qu'elle est en dehors de ses fonctions logistiques.
Concernant les objectifs quantitatifs, monsieur le ministre, la commission des finances vous apporte une adhésion totale.
Je me contenterai de résumer les plus importants d'entre eux : 100 % de jeunes formés, avec peut-être l'espoir d'une étape intermédiaire ; 80 % d'une classe d'âge au baccalauréat, objectif qui ne peut être partagé que par tous ; augmenter de 20 % le nombre de bacheliers des catégories socioprofessionnelles les plus défavorisées, ce qui est bien la tradition de l'élitisme républicain et de l'école comme ascenseur social.
Deux autres objectifs quantitatifs nous rappellent que la France est en train de « dévisser » par rapport aux grands pays : porter 50 % d'une classe d'âge au niveau de l'enseignement supérieur, ce n'est pas un gaspillage si cet enseignement supérieur tient compte de la diversité des élèves et propose un enseignement supérieur technologique et professionnel à côté de l'enseignement supérieur général. Ce dernier a ses siècles de noblesse, mais il ne doit pas étouffer les autres formations.
Par ailleurs, lorsque vous proposez une augmentation de 50 % du nombre des apprentis dans les CFA des lycées, il s'agit de l'objectif global. Je ferai une remarque malicieuse : espérons cependant qu'une bataille de filières n'aura pas lieu et que l'on n'ouvrira pas la compétition sur un bien rare, le jeune d'aujourd'hui, qu'il faut, hélas ! se disputer.
Au nom de la commission des finances, je terminerai par ce qui est le coeur de notre responsabilité : le jugement que nous avons à porter sur les moyens qui donnent à votre projet, au-delà d'une loi de principe, l'allure d'une loi , sinon de programmation, du moins de programme.
M. Adrien Gouteyron. Très bien !
M. Gérard Longuet, rapporteur pour avis. Monsieur le ministre, je vous rendrai service non pas immédiatement, mais sur le long terme.
Je souhaiterais ouvrir ce débat en évoquant les chiffres issus du rapport Thélot. On a rendu hommage à la commission du même nom, d'autant plus que l'on n'a pas forcément suivi toutes ses conclusions ! En effet, sa conclusion financière s'élevait à 8 milliards d'euros. Mes chers collègues, puisque la commission des finances a vocation à parler de « gros sous », je souhaite vous expliquer pourquoi cette somme n'était pas d'une évidente nécessité.
Quatre de ces huit milliards d'euros étaient destinés à étendre aux élèves des lycées professionnels l'avantage que constitue, pour les apprentis, le bénéfice d'un salaire. Or, l'apprentissage est un contrat de travail et ce salaire est payé par les entreprises.
Quel que soit le respect que j'éprouve envers ceux qui ont fait cette proposition, je ne vois pas pourquoi le contribuable verserait ce que les entreprises paient. Cette première mesure, qui représente à elle seule, je le répète, la moitié de la dépense Thélot, est simplement hors sujet ; plus exactement, elle aboutirait à transformer tous les élèves de l'enseignement professionnel en salariés disposant d'un contrat de travail, ce qui est simplement impossible et ne correspond d'ailleurs pas à leur souhait.
Par conséquent, il faut accepter de considérer l'enseignement pour ce qu'il est : un investissement. Hélas ! les investissements demandent une période de maturité avant de rapporter. L'apprentissage est une voie particulière, qui a ses avantages : on peut le choisir librement, on ne peut pas l'imposer. C'est la raison pour laquelle cette dépense spectaculaire n'a simplement pas de sens, à cet instant.
En revanche, deux autres dépenses préconisées par la commission Thélot ne peuvent pas être prises en charge aujourd'hui, mais méritent qu'on s'interroge : il s'agit du coût de l'institutionnalisation de la fonction de directeur d'école, chiffré à 700 millions d'euros, et de celui de la consolidation des fonctions de directeur d'établissement du second degré, principaux et proviseurs, évalué à 250 millions d'euros.
En effet, si nous voulons pouvoir compter sur les établissements, ne nous faisons pas d'illusion : il faudra réfléchir au statut de leurs chefs qui, pour exercer des responsabilités, demanderont assez naturellement, un jour ou l'autre, des contreparties !
Mme Hélène Luc. Oui, mais de cela, on ne dit rien !
M. Gérard Longuet, rapporteur pour avis. C'est un débat que nous ne pouvons pas avoir dans le climat budgétaire que nous connaissons ; nous ne pouvons pas régler tous les héritages des décennies précédentes.
Je vous remercie, monsieur le ministre, de ce que vous faites aujourd'hui.
Vous avez évoqué, devant l'Assemblée nationale, la somme de 2 milliards d'euros, mais, en années pleines, si toutes les mesures aboutissent, comme nous le souhaitons, en particulier celles d'entre elles qui dépendent de la bonne volonté des enseignants ou de la mobilisation des chefs d'établissement - je pense, par exemple, au remplacement des heures non assurées ou à l'engagement des enseignants dans les projets de formation permanente dans le cadre du DIF, le droit individuel à la formation -, elles représenteront en réalité près de un milliard d'euros de dépenses supplémentaires sur cinq ans.
Il s'agit donc d'une avancée extrêmement significative, qui recouvre, hors lycées professionnels, presque la moitié du projet Thélot, et la commission des finances tenait à vous en rendre hommage, monsieur le ministre.
Cependant, s'agissant des objectifs généraux, je mettrai peut-être deux bémols.
Vous avez, monsieur le ministre, ouvert la porte au débat sur l'établissement d'enseignement.
La commission des affaires culturelles a, comme la commission des finances, déposé un amendement tendant à rendre possible l'extension, par voie d'expérimentation, à ceux des lycées généraux qui le souhaitent, du statut des lycées agricoles.
Ce débat est-il prématuré ? L'expérimentation, qui n'est donc pas imposée, est-elle la bonne formule ? En tout état de cause, si nous voulons une éducation nationale forte, nous avons le devoir de construire sur le long terme des établissements responsables. Et il n'y a pas d'établissement responsable s'il n'y a pas de chef d'établissement en situation de responsabilité.
Or l'expérience prouve que les lycées agricoles, sans doute parce qu'ils sont marginaux et qu'ils ont avec la vie professionnelle des liens plus étroits - peut-être aussi du fait du sentiment défensif d'une communauté qui se sent assiégée par l'évolution industrielle -, ont une vie collective très intense.
Mme Hélène Luc. Pourquoi ne retient-on donc pas les propositions Thélot sur ce point ?
M. Gérard Longuet, rapporteur pour avis. Les lycées agricoles ont su, comme le disait Jean-Claude Carle, trouver leur place dans les bassins d'emplois, justement parce que la fonction de président a été séparée de celle de directeur.
Je ferai une autre remarque, qui, elle, a trait aux collectivités locales.
Monsieur le ministre, nous sortons d'un long débat sur la décentralisation. Certains d'entre nous portent un regard peut-être désabusé sur cette dernière.
M. René-Pierre Signé. Il n'y a pas de décentralisation...
M. Gérard Longuet, rapporteur pour avis. Je crois pour ma part que nous ne devons pas projeter sur la décentralisation nos déceptions personnelles, quand bien même nous pourrions avoir, comme c'est mon cas et comme c'est le vôtre aussi, des raisons pour le faire. La France est éternelle : elle survit aux vicissitudes et aux aléas.
Il n'y aura pas d'éducation réussie si l'on n'utilise pas ce formidable réservoir que constituent les collectivités locales en termes de partenariat. Jules Ferry ne s'y était pas trompé qui avait créé l'école communale. Les collèges sont départementaux, les lycées sont régionaux. Est-ce la meilleure ou la seule formule ? Je n'en sais rien, mais, dans une loi de ce type, je n'imagine pas que l'orientation des jeunes puisse se faire sans un partenariat fort avec les régions, je n'imagine pas qu'une éducation sportive, culturelle, artistique puisse se faire sans les communes, je n'imagine pas qu'un suivi social des élèves puisse se faire sans les départements.
Monsieur le ministre, c'est un débat que nous retrouverons sans doute dans le cours de la discussion des articles. Je sais que vous n'y êtes pas hostile, mais je sais aussi qu'on ne peut pas tout traiter dans le présent projet de loi.
Pour en terminer avec les mesures que contient ce dernier, à défaut de toutes les chiffrer dans mon intervention, je confirme que l'aide à la personne, à travers les heures de soutien, représente 240 millions d'euros pour la première dépense ; que les remplacements de courte durée, s'ils fonctionnent à plein, c'est-à-dire si plus de 80 % des heures sont assurées, représentent 240 millions d'euros ; que l'effort en faveur des langues vivantes, avec 10 000 équivalents temps plein au terme de cinq ans, représente environ 400 millions d'euros, soit, pour ces seules mesures, un total de près de 950 millions d'euros.
L'effort que vous consentez est donc significatif, monsieur le ministre, et, en disant cela, je tente de faciliter les réunions d'arbitrage que vous ne manquerez pas d'avoir avec votre collègue et notre ami Jean-François Copé ! (Sourires.)
Ma dernière réflexion portera sur l'évaluation.
Grâce à la LOLF, nous sommes aujourd'hui non pas dans une culture de l'indicateur et de la statistique maniaque, mais dans le souci de la performance, et je crois, monsieur le ministre, qu'à cet égard nous devons encore progresser.
Nous ne pouvons nous satisfaire des articles superficiels qui, véritables « marronniers », ressortent dans les magazines à la veille ou au lendemain de chaque baccalauréat. En effet, on ne mesure pas la performance du système scolaire en classant les lycées par leur taux de succès au baccalauréat alors que l'on sait que certains de ces établissements ont la faculté d'éliminer tous les élèves qui n'ont aucune chance de réussir.
En revanche, on ne peut pas faire vivre un ensemble qui représente le premier budget de la nation, qui s'appuie sur près de un million d'enseignants et qui suppose la mobilisation de dizaines de milliers d'établissements sans se poser la question de la culture du résultat, c'est-à-dire du suivi de l'élève et de la façon dont, au cours d'une année de scolarité, il progresse, afin que, d'année en année, il soit mieux orienté.
C'est la raison pour laquelle, monsieur le ministre, la commission des finances souhaite que les projets annuels de performances recoupent totalement les dix indices que vous avez établis et qui ont l'immense mérite de sortir la réflexion générale sur l'éducation de la catégorie des voeux pieux pour en faire un projet collectif partagé. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Mes chers collègues, je soumets au Sénat une motion concernant les modalités de discussion de l'article 8 et du rapport annexé au projet de loi.
Le rapport annexé fait l'objet de 212 amendements.
Or, l'article 8, qui prévoit l'approbation des orientations et objectifs figurant dans ce rapport annexé, fait lui-même l'objet d'un amendement de suppression n° 486, déposé par le groupe CRC.
Cet amendement de suppression a pour effet mécanique de mettre en discussion commune les 212 amendements portant sur le rapport annexé.
Afin de clarifier notre débat, je vous propose, avec l'accord de M. le président de la commission des affaires culturelles, d'examiner séparément l'amendement de suppression de l'article 8, puis, le cas échéant, de discuter les amendements portant sur l'annexe.
Notre débat gagnera ainsi en lisibilité.
Il n'y a pas d'opposition ?...
Il en est ainsi décidé.
Demande de réserve
M. Jacques Valade, président de la commission des affaires culturelles. Monsieur le président, je demande la réserve de l'article 8 du projet de loi portant sur le rapport annexé et des amendements s'y rapportant jusqu'après l'examen des autres articles, c'est-à-dire jusqu'après l'article 62.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement sur cette demande de réserve ?
M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe Union pour un mouvement populaire, 126 minutes ;
Groupe socialiste, 82 minutes ;
Groupe Union centriste-UDF, 34 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 27 minutes ;
Groupe du rassemblement démocratiqueet social européen, 21 minutes.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. André Vallet.
M. André Vallet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il n'est pas possible d'aborder cette discussion sans rappeler à tous ceux qui, de bonne foi parfois, de mauvaise foi souvent, s'agitent à propos du « manque de moyens accordés par la nation au budget de l'éducation nationale » quelques chiffres significatifs.
M. le rapporteur pour avis de la commission des finances a dit que l'investissement des Français pour leur école représentait presque 7 % du produit intérieur brut, soit un taux supérieur à celui de toutes les nations européennes.
Chaque Français participe à hauteur de 1 700 euros par an au financement du budget de l'éducation nationale.
En trente années, la nation a accru son effort de 96 % pour le premier degré, de 76 % pour le second degré, alors que le nombre d'élèves ne cesse de décroître : on comptait ainsi 42 500 élèves de moins en 2003 dans les collèges et lycées, et 41 300 en 2004.
Le taux d'encadrement était, par enseignant, de 21 élèves en 1960, de 16 élèves en 1975, de 13,4 élèves en 1990, de 11,6 élèves en 2003.
M. Yannick Bodin. Cela ne veut rien dire !
M. André Vallet. Au contraire : cela signifie qu'il y a moins d'enfants mais plus d'adultes dans les établissements !
Pourtant, malgré l'effort financier indéniable, de 15 % à 20 % des élèves franchissent les portes du collège sans maîtriser la lecture d'un texte.
Dans l'enceinte des établissements scolaires, se multiplient les délits, actes de violence, insultes, difficiles cependant à chiffrer réellement parce que souvent classés comme de banales incivilités.
Nous venons d'apprendre que 32 000 professeurs, pourtant payés, ne sont pas utilisés pour enseigner. Le coût budgétaire est de 1,5 milliard d'euros ! Il n'y a donc toujours pas assez de transparence, monsieur le ministre, dans la gestion du personnel de l'éducation nationale. C'était pourtant, en 1999 déjà, une des conclusions de la commission d'enquête mise en place par le Sénat et que présidait notre collègue Adrien Gouteyron.
Je vous livre, mes chers collègues, tous ces chiffres « en vrac » et sans analyse précise, mais ils sont incontestables. Nous ne pouvons les écarter d'un revers de la main.
Toutes ces insuffisances appellent la réforme, et il me faut vous donner acte, monsieur le ministre, de l'avoir entreprise. C'est d'ailleurs ce qu'avait bien compris M. Allègre, l'un de vos prédécesseurs, mais les mêmes groupes et les mêmes réseaux que ceux qui se déchaînent aujourd'hui contre votre projet l'avaient empêché d'agir.
Il fallait réagir, non pas en donnant encore plus de moyens, comme le réclament des syndicalistes sourds et aveugles face aux chiffres que je viens d'énoncer, insensibles aux difficultés budgétaires de notre pays, mais en tentant de réformer, en définissant les grands objectifs du système éducatif, de la maternelle à la classe de terminale, pour les quinze années à venir.
Les progrès de l'école ne se feront pas grâce à l'adjonction de nouveaux moyens. L'urgence est non pas de donner toujours plus, mais d'utiliser autrement et mieux le potentiel de moyens et de compétences de l'éducation nationale.
Le malaise des élèves et des enseignants est plus diffus, plus profond que les slogans affichés sur les pancartes.
Les lycéens redoutent l'avenir : avec ou sans diplôme, ils craignent de ne pouvoir s'intégrer dans notre société et de ne pas trouver leur place dans la vie professionnelle.
Les enseignants n'ont pas l'impression d'être reconnus par la République et doutent de leur mission. Ils doivent, plus que jamais, être respectés, dans la société, dans leur hiérarchie ; ils doivent être confortés dans leur légitimité. Il faut redéfinir leurs missions et leur rendre leur fierté ; ils le méritent.
Je rejoins les conclusions de la commission Thélot, qui voudrait que « la réussite de tous les élèves repose, au-delà de leurs efforts et de leur travail scolaire, sur des personnels confiants, convaincus, reconnus et qui travaillent autrement ».
Le Président de la République a souhaité qu'un grand débat ait lieu, qu'une consultation nationale puisse être organisée. Cela a été fait, et souvent bien. Un million de personnes ont été mobilisées.
Il est vrai, monsieur le ministre, que la synthèse de ce travail n'engageait pas le Gouvernement, comme vous l'avez déclaré à plusieurs reprises, mais j'aurais aimé que, profitant du consensus qui s'était dégagé, vous repreniez un plus grand nombre de propositions de la commission nationale du débat sur l'avenir de l'école. J'aurais aimé, et c'est un sentiment partagé par mon groupe, que vos bonnes propositions soient plus audacieuses en de nombreux domaines
Le temps me manque pour énoncer tout ce que nous aurions aimé voir dans votre texte pour améliorer plus durablement le service public de l'éducation.
Je pense à l'accroissement de l'autonomie des établissements en termes de marges de manoeuvre financières et pédagogiques, à l'accroissement de la capacité d'action de l'équipe de direction ; je pense aussi aux propositions concernant l'école primaire et visant à transformer les établissements en établissements disposant d'un statut propre.
Je pense aussi aux propositions visant à transformer les écoles primaires en établissements disposant d'un statut propre.
Le brevet des collèges sera rénové ; qui pourrait s'en plaindre ? Il aurait néanmoins été souhaitable de considérer que, dans le collège, maillon faible de notre système éducatif, il n'est plus possible de dispenser à des classes hétérogènes un enseignement laissant de côté tous ceux qui, à ce niveau, présentent de lourds déficits.
Ce texte était aussi peut-être l'occasion, monsieur le ministre, de dire que le goût du travail, l'effort d'entreprendre, l'évaluation, la sanction de l'absence de travail sont incontournables dans la formation d'un citoyen.
J'aurais aimé, par ailleurs, que vous redéfinissiez mieux les missions des enseignants, s'agissant de l'accompagnement des élèves en difficulté, parfois menacés d'illettrisme, donc d'échec scolaire, du suivi individualisé, des relations avec les parents, du travail en équipe et de la concertation. Est-il concevable que les parents de ces élèves, parents aisés bien sûr, soient contraints de se tourner vers le marché florissant du soutien scolaire ? Est-il concevable que l'Etat, par le biais d'un avantage fiscal, finance indirectement les insuffisances de l'école ?
Le coeur de ce texte repose sur l'idée d'un socle commun, sur un ensemble de connaissances et de compétences indispensables. C'est, de mon point de vue, un élément très positif de la loi. Le recentrage de l'école primaire sur un nombre réduit de savoirs fondamentaux doit permettre à l'école de retrouver sa fonction essentielle : apprendre à parler, à écrire, à compter et à vivre ensemble.
Il est bon de rappeler que tel était déjà le souci de Lionel Jospin, ministre de l'éducation nationale en 1989, puisque la loi d'orientation sur l'éducation du l0 juillet 1989 précisait ceci : « la maîtrise de la langue française fait partie des objectifs fondamentaux de l'enseignement ». Tel était aussi le souci de Claude Allègre qui affirmait : « Transmettre la langue nationale est la priorité absolue. Se sentir chez soi dans la langue française est indispensable pour accéder à tous les savoirs ; ce que l'école doit d'abord à tous ses enfants, ce sont les apprentissages fondamentaux : lire, écrire, compter. » C'était également le souci de Jack Lang qui déclarait, le 20 juin 2000 : « quelle que soit la valeur de l'école, on ne peut se résigner à voir 10 % à 15 % d'élèves en situation d'échec scolaire. »
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C'est un constat !
M. André Vallet. « Aujourd'hui comme hier, l'enfant qui quitte l'école doit naturellement avoir acquis les savoirs fondamentaux qui sont lire, écrire, compter et raisonner. Il doit aussi disposer de compétences nouvelles, telles que comprendre et parler une langue vivante ou utiliser l'ordinateur pour écrire les textes et trouver les informations. »
M. Yannick Bodin. C'est sût !
M. André Vallet. Ces déclarations relativisent - c'est le moins que l'on puisse dire - l'emportement de la minorité plurielle à l'encontre du socle commun, très injustement qualifié aujourd'hui de « SMIC. culturel ». J'aurais préféré, au regard des enjeux, un consensus sur toutes les ouvertures que permet ce texte, quitte à reprendre ultérieurement le chantier, pour que nos enfants ne soient pas les victimes de guerres politiques stériles.
Votre texte, monsieur le ministre, malgré ses insuffisances, amorce un retour à plus de cohérence, à plus de logique pour que nos enfants acquièrent des connaissances susceptibles d'ouvrir à chacun d'eux un monde toujours plus complexe. C'est le retour à des valeurs qui, pour être anciennes, n'en sont pas moins authentiques et fondamentales.
C'est la raison pour laquelle le groupe Union centriste-UDF apportera très majoritairement son soutien à ce projet de loi, en souhaitant que ce dernier soit rapidement et courageusement complété afin que notre pays gagne la bataille de la matière grise, seule ressource inépuisable dont nous disposons. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Annie David.
Mme Annie David. Monsieur le ministre, mes chers collègues, après ce concert d'éloges, mon intervention va quelque peu briser votre consensus, mais il en est ainsi du débat démocratique et j'espère que vous écouterez mon intervention jusqu'au bout, comme j'ai écouté celles des précédents orateurs.
Avant d'en arriver, monsieur le ministre, à l'analyse de votre projet de loi par le groupe communiste républicain et citoyen, qui sera d'ailleurs complétée par mon amie Gélita Hoarau, sénatrice de la Réunion, je reviendrai, faute d'avoir reçu une réponse à mon rappel au règlement, sur la procédure d'urgence qui nous est imposée.
Vous ne cessez d'insister - surtout, il faut bien le dire, en direction des médias - sur l'importance d'un vrai débat parlementaire sur l'éducation. Voilà quelques jours, répondant en direct à la télévision à une jeune dirigeante d'un syndicat lycéen, vous disiez que « la démocratie, après la phase nécessaire de consultations, c'est le débat et la décision du Parlement », et vous opposiez la démocratie à la démonstration de force des lycéens dans la rue.
Mais, craignant la montée de la protestation contre votre projet de loi, vous avez décidé de réduire le débat parlementaire à sa plus simple expression en décrétant la procédure d'urgence alors même qu'il était engagé à l'Assemblée nationale !
Par ailleurs, vous avez avancé notre discussion, initialement prévue le 22 mars, et ce au détriment, notamment, d'un texte sur les violences faites aux femmes, qui nécessite pourtant d'être examiné en urgence ! De surcroît, vous avez décidé que tout serait « bouclé » en trois jours et demi !
Ainsi, monsieur le ministre, après avoir réussi le tour de force de susciter l'opposition presque unanime du Conseil supérieur de l'éducation, si l'on excepte les représentants du MEDEF, vous regardez passer les défilés de lycéens, qui sont de plus en plus importants malgré les vacances d'hiver et les casseurs, ces lycéens dont nous regrettons qu'ils n'aient pas été auditionnés par la commission des affaires culturelles. Vous voyez se succéder les mouvements de grève et de protestation des enseignants et de l'ensemble des personnels, ainsi que des parents d'élèves. A cet égard, la journée du 10 mars a été une confirmation très forte de cette mobilisation. Or, la seule réponse que vous nous proposez est une démocratie formelle, raccourcie, rabougrie, amputée de ce qui lui donne vie et sens : une écoute et une prise en compte attentive de ce que disent les intéressés sur les problèmes qui les concernent au premier chef.
Quelle leçon d'instruction civique donnez-vous là à nos jeunes et au pays, monsieur le ministre ? La seule réponse démocratique possible ne serait-elle pas le retrait de votre réforme ?
Bien sûr, me direz-vous, vous avez pris en compte une partie des revendications qui s'expriment quant au baccalauréat, à la deuxième langue vivante en seconde, à la section ES, à l'éducation physique et sportive au brevet des collèges. J'ai envie de dire : « bravo les jeunes ! Bravo les profs, les personnels et les parents ! » Mais personne ne s'y est trompé : ces reculs sont avant tout tactiques. D'ailleurs, s'agissant du baccalauréat, vous avez confirmé, depuis lors, votre volonté d'en rester à six épreuves, et vous refusez aux lycéens la prise en compte des travaux personnels encadrés, les TPE. On ne saurait être plus clair !
L'adoption par l'Assemblée nationale de 136 amendements, déposés dans leur quasi-totalité par la majorité gouvernementale, non seulement ne modifie en rien l'esprit de votre projet, mais tend même à en aggraver certains aspects particulièrement rétrogrades. Nous en ferons la démonstration au cours du débat, en défendant nos amendements.
Au demeurant, monsieur le ministre, vous donnez vous-même, tous les jours, la meilleure preuve de ce que j'avance ici, par le truchement de la préparation de la carte scolaire pour la prochaine rentrée : les suppressions d'emploi tombent « comme à Gravelotte », avec leur cortège de fermetures de classes, de dédoublements, d'options...
Aggravation des conditions d'études pour les élèves, des conditions de travail pour les personnels, des financements à la charge des collectivités territoriales, notamment à travers la décentralisation des personnels techniciens et ouvriers de service, ou TOS, imposée elle aussi grâce au coup de force du 49-3 : voilà la réalité de la prochaine rentrée, préparée comme un avant-goût de votre réforme ; voilà pourquoi une jeunesse, une profession et une majorité de parents se lèvent contre ce projet de loi. Allez-vous poursuivre longtemps cette politique désastreuse, dangereuse pour la démocratie même que vous prétendez défendre ?
Vous aviez pourtant, depuis longtemps, des indications fiables sur ce que les personnels de l'école, les parents, les élèves souhaitaient trouver dans une nouvelle loi sur l'école. Nul, en effet, dans notre pays - et surtout pas les élus communistes - ne conteste la nécessité de transformer l'école pour répondre aux questions lourdes que posent ses propres insuffisances et échecs, ainsi que les évolutions de la société. Le « miroir du débat », fruit d'un débat national qui a rassemblé plus d'un million de participants, était, de l'avis général, un bon reflet des aspirations et propositions des partenaires de l'école.
Hélas ! monsieur le ministre, vous n'en avez guère tenu compte, pas plus d'ailleurs que la commission Thélot, sur laquelle vous connaissez ma position, puisque j'ai été conduite à en démissionner alors qu'elle refusait d'inscrire à son ordre du jour des questions que je posais au nom des personnels, des jeunes et de leurs familles. Elle s'est essayée à un compromis entre les aspirations citoyennes et les exigences formulées par le MEDEF, relayées par les tenants de la construction de l'Europe néo-libérale que vous voudriez nous faire accepter aujourd'hui. Je n'invente rien : cela figure dans le rapport qui reprend de larges extraits des textes officiels du Conseil européen de Lisbonne de mars 2000, dont il n'avait été question dans aucun débat.
Même ce compromis, monsieur le ministre, vous ne l'avez pas respecté, de sorte que nombre d'organisations qui avaient accueilli favorablement le travail de la commission Thélot et approuvé certaines de ses propositions vous le reprochent aujourd'hui et vous demandent de retirer votre projet de loi ! Allez-vous les entendre ? Allez-vous permettre qu'une réelle concertation s'engage ?
Vous m'avez dit, lors de votre audition par la commission, voilà quelques jours, qu'« il y a environ 60 millions d'avis ». Je ne peux que regretter de nouveau que vous n'en ayez retenu qu'un seul : le vôtre ! Votre méthode est une caricature de la démocratie qui justifie cette vieille blague de comptoir : « la démocratie, c'est cause toujours ! ». Votre méthode, c'est celle que rejette de plus en plus le pays, celle qui empoisonne la vraie démocratie au point de conforter, ce que je regrette, la tendance des citoyens à s'abstenir aux élections.
Mais, malheureusement, on comprend pourquoi vous en êtes réduit à cette situation en découvrant la teneur de votre projet de loi dont je vais maintenant commenter le contenu.
Votre projet de loi s'organise autour d'une conception de l'acte éducatif totalement rétrograde, d'objectifs démagogiques, sans moyens pour les atteindre, et d'une volonté d'économies budgétaires entraînant une aggravation considérable des conditions d'enseignement pour les élèves comme pour les personnels, c'est-à-dire, en bout de course, une aggravation prévisible de l'échec scolaire que vous prétendez combattre !
J'ai parlé tout d'abord d'une conception rétrograde de l'acte éducatif. En effet, alors que toutes les recherches sur l'efficacité de l'acte d'apprentissage mettent l'accent sur le fait, d'une part, que le rapport des jeunes au savoir est le fondement même de la réussite ou de l'échec scolaire, d'autre part que ce rapport au savoir se construit dans des processus liés à des contenus et à des situations d'apprentissage multiples et diversifiées, tout votre discours consiste à dérouler une logique de responsabilité individuelle et de culpabilisation moralisatrice des élèves et des familles. C'est bien là, en effet, la fonction de la « note de vie scolaire » qui sera validée pour l'obtention du brevet des collèges, ou des « bourses au mérite » attribuées à certains élèves en fonction de leurs résultats, ou encore du « contrat individuel de réussite éducative », transformé en « programme personnalisé de réussite scolaire » et qui deviendra sans doute le « programme personnalisé de réussite éducative » à l'issue de notre discussion.
Parallèlement, aucune réflexion n'est menée sur les causes réelles de l'échec scolaire et les moyens d'y remédier, et aucun outil de réflexion pour les combattre n'est mis à la disposition des enseignants puisque vous continuez la casse du Centre national de documentation pédagogique, le CNDP, et de l'Institut national de recherche pédagogique, l'INRP.
Le fil rouge de cette logique est le suivant : si échec scolaire il y a, la faute en revient à l'élève et à sa famille, et non pas à l'institution ! On leur proposera donc une sorte de « contrat d'objectifs », dans le plus pur style de la gestion de l'entreprise, comme si l'éducation était une marchandise négociable de gré à gré !
Non, monsieur le ministre, l'éducation n'est pas une marchandise, et le problème de l'échec scolaire est trop sensible, trop douloureux et trop grave pour l'avenir même de notre pays pour être traité avec un tel mépris des réalités complexes qu'il recouvre !
Rétrograde encore, votre proposition sur les redoublements que vous encouragez alors que tous les spécialistes indiquent, ce que confirme d'ailleurs l'avis du 14 décembre 2004 du Haut conseil de l'évaluation de l'école, que, sauf exception, les redoublements soit sont inefficaces en termes de progrès des élèves, soit affectent négativement les élèves en termes de motivation et de comportement en les stigmatisant et en les maintenant, à terme, dans leur échec. Par ailleurs, le redoublement est inéquitable !
Rétrograde surtout le « socle commun de connaissances » que vous proposez.
Alors que toutes les recherches en sciences de l'éducation montrent que la formation d'un jeune est le résultat de processus complexes, qui font intervenir de nombreux champs du savoir, de l'ordre non seulement de la socialisation et de la rationalité, mais aussi du sensible, de l'affectif, du corporel, et que cela passe par des champs disciplinaires divers et variés, tels que les pratiques langagières, mathématiques, artistiques, technologiques ou physiques et sportives, vous prévoyez, face à ces avancées de la recherche pédagogique, un « socle commun de connaissances » réducteur, étriqué et étroitement utilitariste, avec, il est vrai, des enseignements complémentaires pour ceux qui réussissent, car l'enseignement à plusieurs vitesses, vous ne l'oubliez pas, reste votre objectif fondamental : d'un côté, l'école appauvrie, débouchant sur des orientations vers l'apprentissage dès la classe de cinquième pour certains, de l'autre côté, une école plus noble, qui continuera à être conçue pour ceux qui possèdent déjà, de par leur origine sociale, les outils intellectuels et matériels pour réussir !
Rétrograde encore, votre réponse à mon collègue et ami François Liberti, à l'Assemblée nationale : alors qu'il vous interpellait sur votre volonté rampante d'aller progressivement vers une diminution de l'offre de scolarisation en maternelle sous la responsabilité de l'Etat, c'est-à-dire vers un transfert progressif de cette école aux collectivités territoriales, commençant par la suppression systématique de l'accueil des enfants de deux ou trois ans, vous lui avez répondu que l'école maternelle n'assurerait, à cet âge, qu'une « fonction de garde, celle de la socialisation » !
C'est méconnaître le rôle extrêmement positif que joue notre école maternelle dans les premiers apprentissages dès le plus jeune âge, rôle confirmé par de nombreuses études de spécialistes de la petite enfance, contrairement à ce que vous avez cru pouvoir affirmer. Ce rôle est d'autant plus important pour la suite de la scolarité que l'enfant est issu d'un milieu défavorisé ; là encore, un avis du Haut conseil de l'évaluation de l'école est des plus explicites à ce sujet. D'ailleurs, c'est peut-être pour cette raison que vous souhaitez supprimer cette instance...
Mais votre projet de loi est tout aussi rétrograde sur d'autres plans, notamment lorsque vous préconisez le retour progressif et imposé à la bivalence des enseignants du collège, qui avait été abandonnée depuis près de vingt ans, ou lorsque vous proposez que l'on en revienne à l'apprentissage de l'hymne national dans les établissements du premier degré, dans le cadre de l'instruction civique : non pas que nous soyons opposés à cet apprentissage, monsieur le ministre, mais croyez-vous que l'on résoudra, par ce moyen, les difficultés rencontrées par nos jeunes issus de l'immigration ? Ne pensez-vous pas que la démarche pertinente consisterait plutôt dans une revalorisation de l'enseignement de notre histoire, sachant que notre hymne national n'est compréhensible et porteur de sens que si l'on en resitue le contenu dans son contexte, celui d'une armée populaire et révolutionnaire, sauvant à Valmy la République naissante, face à l'envahisseur contre-révolutionnaire venu en France pour tenter d'y rétablir le système féodal ?
Et ne croyez-vous pas qu'il faudra autre chose qu'un chant pour que les jeunes appartenant aux milieux en difficulté sociale, notamment ceux qui sont issus de l'immigration, retrouvent des raisons d'espérer une vie meilleure dans notre pays ?
Dès lors, pour contrebalancer l'effet désastreux de ces mesures, vous avancez des objectifs ambitieux et séduisants, mais dont nous affirmons ici qu'ils sont purement démagogiques, comme je vais vous le démontrer en prenant quelques exemples.
L'accession de 80 % d'une classe d'âge à un baccalauréat : on voudrait bien y croire, alors que le taux plafonne depuis plusieurs années en dessous de 70 % dans notre système éducatif et que ce pourcentage tend même à régresser ! Cela signifie que le seuil de difficultés auquel le système est confronté suppose, pour être franchi, un effort qualitatif et quantitatif important, que vos suppressions de moyens empêcheront !
C'est la même chose pour les 50 % de l'ensemble d'une classe d'âge que vous prétendez conduire à un diplôme de l'enseignement supérieur, alors que le nombre d'étudiants stagne depuis plus de vingt ans, que l'échec des jeunes dans les deux premières années d'études est catastrophique et que le pourcentage d'enfants issus des classes ouvrières est infinitésimal ! Que préconisez-vous, monsieur le ministre, pour résoudre ces problèmes ?
Voilà un projet qui nous aurait intéressés !
De même, on voudrait bien croire au recrutement de 300 infirmières par an jusqu'en 2010, mais vous ne nous dites pas où vous allez les trouver, sachant que le vivier de jeunes en formation est déjà notoirement insuffisant pour couvrir les besoins du pays dans le secteur hospitalier ! De plus, même lorsque les postes existent dans le système éducatif, il est difficile de les pourvoir tant les rémunérations sont faibles ! Aurez-vous recours à la directive Bolkestein ?
On voudrait bien croire, enfin, aux objectifs que vous annoncez à la fin de votre rapport annexé, tel celui-ci : « La proportion de bacheliers généraux parmi les enfants de familles appartenant aux catégories socioprofessionnelles défavorisées augmentera de 20 % ». Mais rassurez-vous, chers collègues de l'UMP, ce n'est pas pour demain, car, là encore, rien n'est dit sur les moyens à mettre en oeuvre pour y parvenir !
M. Jacques Valade, président de la commission des affaires culturelles. Nous n'avons aucune inquiétude !
Mme Annie David. Des mots, encore des mots !
J'en viens à l'aspect démagogique de votre texte, monsieur le ministre, lorsque vous chiffrez le coût de certaines des réformes annoncées, telles que la multiplication des unités pédagogiques d'intégration, les UPI, ou des dispositifs relais.
Où comptez-vous prendre l'argent, sinon par redéploiements internes ? Ces derniers ne pourront se faire qu'au prix de dégradations dans d'autres secteurs, comme le montrent les nombreuses suppressions de postes auxquelles vous procédez en ce moment et que vous programmez encore dans le projet de budget pour 2006.
D'ailleurs, toutes les mesures que vous chiffrez sont annoncées comme étant inscrites « dans la limite des crédits ouverts chaque année par la loi de finances ». C'est une sage précaution quand on connaît quelque peu les évolutions de la loi de finances !
Nous l'avions bien compris, il s'agit non pas d'une programmation de moyens, mais uniquement d'un affichage permettant de mesurer la hauteur des redéploiements envisagés, redéploiements dont nous craignons qu'ils ne se fassent au détriment de l'éducation prioritaire, notamment des zones d'éducation prioritaires, les ZEP, sur lesquelles vous êtes peu disert dans votre projet de loi !
En réalité, ce que vous organisez, c'est le renforcement d'une école ségrégative, l'école du tri social et de la fabrication d'une main-d'oeuvre adaptée aux besoins de l'économie, telle que la préconisent le MEDEF et les textes en provenance de Bruxelles. A tel point d'ailleurs que, à certains égards, on pourrait croire que vous avez procédé à un exercice pratique de ces nouvelles technologies que nous voulons enseigner à nos jeunes : je veux parler de la fonction « copier-coller »...
Tout autre est notre conception de la transformation - que nous affirmons nécessaire - de notre système éducatif.
Ce que nous proposons - et nous vous suggérons d'en débattre sérieusement -, c'est une série de mesures véritablement novatrices visant à construire une école de l'égalité, de la justice et de la réussite scolaire pour tous les jeunes. Ces mesures sont énumérées et justifiées dans une proposition de loi que nous avons déposée voilà quelques jours. En cet instant, et pour conclure mon propos, je me contenterai de souligner les grands axes qui la structurent.
Contrairement à l'objectif que vous fixez d'un « savoir minimum » pour une partie importante de la jeunesse, nous proposons que tous les jeunes, quelles que soient leurs origines sociales, culturelles ou géographiques, puissent accéder à la maîtrise des savoirs, des connaissances et des compétences, constituant une culture commune de haut niveau, riche, équilibrée, diversifiée, porteuse de valeurs de progrès et de libération humaine. Cette culture doit permettre à chacune et à chacun d'entre eux de donner un sens à leurs études et leur apporter les outils intellectuels pour développer leur personnalité, pour apprendre un métier, un métier choisi et non pas imposé sur la base de l'orientation par l'échec, et, enfin, de développer une citoyenneté responsable et active.
En clair, nous souhaitons que chaque jeune puisse retrouver confiance en un avenir meilleur ! Et nous voulons donner au système éducatif et à la nation les moyens d'atteindre cet objectif ambitieux !
Dans cette perspective, nous préconisons une scolarité obligatoire de trois à dix-huit ans, intégrant donc notre école maternelle comme premier cycle de l'école primaire, obligation étant faite à l'Etat d'assurer la scolarisation de tous les enfants de deux ans, lorsque les familles en font la demande.
Mais pour lutter véritablement contre l'échec scolaire, il sera nécessaire de transformer les structures et le fonctionnement même du système éducatif, le contenu des programmes, la formation des enseignants et des autres personnels qui assument, toutes et tous, des missions éducatives.
Ainsi, nous proposons de libérer l'initiative pédagogique des personnels et de l'associer, dans chaque établissement scolaire, à un Conseil scientifique et pédagogique, organisme indépendant de la direction de l'établissement et composé de personnels, de parents, d'élèves, d'élus, organisme dont la responsabilité principale consisterait à établir des diagnostics sur la nature des difficultés rencontrées par les élèves et à élaborer des solutions, collectives et individuelles, pour y répondre.
Dans le même ordre d'idées, nous proposons de créer des « observatoires des scolarités » à l'échelon des départements et des régions, ainsi qu'une structure sur le plan national, qui pourrait se confondre avec le Haut conseil de l'évaluation de l'école, dont nous demandons le maintien.
Sur le plan national, nous proposons également de mettre en place un « fonds national de lutte contre les inégalités à l'école », car il y a beaucoup à faire dans ce domaine pour toute politique sérieuse de lutte en faveur de la réussite scolaire de tous les jeunes.
Afin de renforcer la compétence professionnelle des personnels enseignants, nous proposons de porter à deux ans la durée de leur formation professionnelle initiale en Institut universitaire de formation des maîtres, ou IUFM. Si l'on tient compte de l'année de préparation au concours d'entrée, la durée totale de la formation serait de trois ans.
En outre, nous proposons que soient organisés des prérecrutements dès le niveau du baccalauréat, tels qu'ils existaient autrefois dans le cadre des Instituts de préparation aux enseignements du second degré, les IPES, afin de favoriser l'entrée dans les carrières de l'enseignement à des jeunes issus des milieux populaires.
Dans la même logique de développement de l'initiative et d'innovation pédagogique, nous proposons que soit renforcée la formation continue de tous les personnels et que cette dernière soit conçue non seulement comme un droit, mais aussi comme une obligation au service de la réussite de tous, et qu'elle soit donc assurée sur le temps de travail.
Nous pensons que la formation et l'éducation des élèves relèvent de la « responsabilité partagée » école-famille-société. Dans ce cadre, nous proposons le renforcement du rôle de chacun des partenaires afin de leur permettre d'assumer au mieux leur responsabilité propre, en concertation avec les autres.
C'est pourquoi nous souhaitons que le statut de parent délégué, qui avait été créé par la loi d'orientation sur l'éducation de 1989 - mais il n'a jamais été appliqué, comme chacun sait ! - soit mis en application et renforcé.
De même, nous proposons l'élaboration d'un statut de « citoyen en formation » s'appliquant aux élèves, avec des droits reconnus, par exemple, pour l'exercice d'une activité syndicale ou politique dans les lycées.
Enfin, nous souhaitons que soit transformé radicalement le mode de gestion du système éducatif par l'introduction du principe de la double légitimité. Ce principe est simple : pour être validé, tout texte réglementaire nouveau doit recevoir, au préalable, l'approbation des deux instances légitimes et compétentes, l'instance des élus de la nation et l'instance de concertation compétente.
Comme vous le voyez, contrairement à la perspective autoritariste et de renforcement des pouvoirs hiérarchiques qui caractérise votre projet de loi, monsieur le ministre, nous nous situons dans une perspective de développement de la démocratie participative, seule susceptible de permettre l'adhésion des acteurs du système éducatif à un projet de transformation progressiste de l'école.
Par cette proposition de loi, nous souhaitons, avec toutes celles et tous ceux qui en ont la volonté, ouvrir une réelle alternative au libéralisme, qui puisse répondre aux aspirations citoyennes et contribuer, par là même, à la construction d'une autre société à finalité humaine !
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, vous l'aurez compris, le groupe communiste républicain et citoyen votera contre ce projet de loi ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC. - M. Jean-Luc Mélenchon applaudit également. - Exclamations sur certaines travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Bernard Seillier. (Applaudissements sur certaines travées de l'UMP.)
M. Bernard Seillier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les principes de la République qui ont fondé les lois scolaires à la fin du XIXe siècle, reposant sur l'instruction obligatoire, la gratuité, l'égalité de droit et de traitement, avaient pour objectif l'extension de la fréquentation scolaire à tous les enfants.
Le présent projet de loi fait de la consolidation du pacte social, lequel se forge à l'école, un objectif majeur qui nécessite une adhésion aux valeurs à transmettre parce que ces dernières constituent le bien commun et une condition de l'obtention même du résultat attendu.
La mission première de l'école n'est pas, en effet, directement politique. Il s'agit d'abord de la formation de l'esprit et du jugement par la pratique des différentes disciplines intellectuelles, par la culture de la sensibilité, de l'esprit de géométrie et de finesse, par la connaissance de l'être humain à travers la fréquentation des oeuvres de la littérature, par le goût de la recherche de la vérité et l'acceptation de l'effort pour y parvenir, l'honnêteté intellectuelle, le sens et le souci du bien commun et, enfin, par l'instruction civique, qui consiste à faire partager aux élèves les valeurs de la République, mais qui ne prend son sens et sa puissance que si le préalable de l'instruction est acquis.
En 1989, la loi Jospin avait voulu mettre l'élève au centre du système éducatif. L'école devait permettre à l'élève d'acquérir un savoir et de construire sa personnalité par sa propre activité. Il fallait non plus transmettre des savoirs, mais « aider l'élève à devenir l'acteur de sa propre formation », lui « apprendre à apprendre ».
Une telle conception n'est recevable qu'à la condition de ne pas oublier que cette capacité n'est pas spontanée et qu'elle requiert des apprentissages préalables. Il serait paradoxal et insensé de concevoir une ambition si noble, mais réelle, pour l'éducation et, dans le même temps, de priver l'enfant de sa capacité, tout aussi réelle, d'y parvenir.
C'est pourquoi apprendre à lire à l'enfant est la première mission de l'école primaire.
Dès votre arrivée au ministère de l'éducation nationale, monsieur le ministre, vous vous êtes prononcé en faveur de la lutte contre l'illettrisme. C'était d'ailleurs déjà pour vous une priorité dans vos précédentes responsabilités ministérielles, je m'en souviens.
Or, devant l'ampleur des difficultés en la matière, une évolution comparative des différentes méthodes d'apprentissage de la lecture est devenue indispensable. Il ne doit pas y avoir de tabou ni de censure dans ce domaine.
Quand un instituteur réussit en cours préparatoire à obtenir que tous ses élèves sachent lire, et bien lire, à la fin de l'année, il ne doit pas être sanctionné parce qu'il a utilisé une méthode traditionnelle, celle grâce à laquelle nous avons tous, dans cette enceinte, appris à lire.
M. Gérard Longuet, rapporteur pour avis. C'est bien vrai !
M. Bernard Seillier. Il doit être imité ! En pédagogie, comme dans toutes les sciences, c'est l'expérience qui est le critère décisif.
Depuis cinquante ans, le fonctionnement du cerveau a fait l'objet d'études minutieuses qui ont vérifié le bien-fondé des méthodes traditionnelles, au demeurant toujours perfectibles. La formation des maîtres doit comporter cette connaissance du fonctionnement du cerveau, qui a besoin d'aller du simple au complexe, d'associer d'abord des voyelles et des consonnes, puis des mots composés de plusieurs syllabes simples, etc.
De plus, l'apprentissage de notre langue doit être un moyen pour nos enfants de s'ouvrir à l'immense et passionnante question de la francophonie.
Quant aux échecs en matière d'apprentissage des langues étrangères, je suis convaincu qu'ils sont largement dus à une connaissance insuffisante du français et de la grammaire française : le refus de la grammaire systématique et de la vérification de la compréhension par l'exercice de la traduction fait que les enfants sont noyés, et l'apprentissage d'une langue étrangère leur apparaît comme un exercice irrationnel.
A l'image de ce qui se pratique dans plusieurs autres pays européens, le projet de loi propose une mesure essentielle pour réduire les inégalités, à savoir la mise en place d'un socle commun de connaissances et de compétences indispensables que tous les élèves devront avoir acquises à la fin de leur scolarité obligatoire.
Le projet de loi vise non pas à resserrer les exigences de l'école sur un bagage commun minimal, mais à instaurer une obligation de résultats qui bénéficie à tous et qui permette à chacun de développer ses talents et d'atteindre ses objectifs personnels et professionnels.
Le Haut conseil de l'éducation est chargé de définir le contenu de ce bagage commun. Je souhaite que le Parlement ait aussi son mot à dire sur la question.
L'école primaire et le collège ont l'une et l'autre un rôle à jouer dans les acquisitions fondamentales. Il me semble essentiel qu'un enfant ne puisse passer en classe de sixième qu'à la condition de savoir écrire, lire et compter. Or tel n'est pas le cas actuellement. Il n'est que d'entendre les doléances des professeurs de l'enseignement secondaire pour constater qu'ils sont, dans de nombreuses circonstances et quelle que soit leur discipline, obligés de revenir à l'enseignement de notions élémentaires réputées acquises à l'entrée en sixième. Cela crée des situations insolubles dans les classes très hétérogènes du collège unique.
L'idée du programme personnalisé de réussite scolaire me semble excellente, à condition que le redoublement soit obligatoirement imposé à la fin de chaque cycle si les connaissances fondamentales ne sont pas acquises.
L'acquisition de connaissances clairement définies est essentielle. Il est grand temps de rompre avec cet incessant remaniement des programmes et des cursus, source d'angoisse et d'effacement des repères, tant pour les élèves que pour les enseignants.
Le principe de la liberté pédagogique des enseignants est clairement affirmé dans la loi. Chaque enseignant pourra adapter ses méthodes à la classe et aux élèves. L'enseignant est celui qui connaît le mieux ses élèves et celui qui peut le mieux tenir compte de leur diversité. C'est dans la classe que la liberté pédagogique, l'autorité et la responsabilité de chaque enseignant sont pleinement engagées et s'articulent les unes par rapport aux autres.
A cet égard, il serait essentiel que la liberté pédagogique soit utilisée pleinement, pourquoi pas au sein d'établissements expérimentaux, en particulier pour lutter contre le fléau de l'illettrisme.
Ces objectifs ne peuvent être atteints que sous l'autorité des enseignants et avec l'appui des parents, sous réserve que les notions d'effort et de travail soient réhabilitées. C'est pourquoi l'autorité du chef d'établissement, celle du directeur dans son école, celle de l'enseignant dans sa classe doivent être réaffirmées.
S'il est souhaitable de faciliter la présence des parents dans les instances de vie scolaire, il faut éviter toute confusion des rôles : il appartient aux seuls professeurs de procéder à l'évaluation et à la validation des acquis. Toutefois, le lien avec les familles est très important dans le primaire. Les parents doivent être sensibilisés aux conditions indispensables de la réussite scolaire : hygiène de vie, sommeil, calme, petit-déjeuner, danger des médias pour les petits. Mais, par rapport aux familles, l'école ne joue qu'un rôle subsidiaire dans l'éducation. La décomposition, de plus en plus fréquente hélas ! de la famille, cellule de base de la société, crée dans les établissements scolaires des situations que les professeurs n'ont pas les moyens de résoudre.
L'autorité des enseignants doit être restaurée, tout particulièrement sur la question du redoublement. Aujourd'hui, dans le secondaire, les parents peuvent faire appel de la décision de redoublement, et, dans le primaire, former un recours motivé devant l'inspecteur d'académie.
Ce projet de loi clarifie les rôles de chacun : le redoublement pourra être prononcé, dans le primaire, par le conseil des maîtres, et, dans le secondaire, par le conseil de classe, la décision finale appartenant au chef d'établissement et l'avis des parents n'étant que consultatif. Si la procédure est clarifiée, il n'en demeure pas moins que l'objectif est bien d'éviter le redoublement.
La proposition visant à créer un Haut conseil de l'éducation est excellente. Des sujets essentiels pourraient alimenter les travaux de cette instance, comme, par exemple, s'agissant du cas délicat de l'éducation dite affective et sexuelle, le lien entre la famille et l'école. Le Haut conseil de l'éducation pourrait aussi mener une réflexion approfondie sur la laïcité et ses différentes conceptions. En effet, des débats sont actuellement conduits de manière anarchique sur la place de la religion à l'école. Une autorité telle que le Haut conseil doit se pencher sur ce problème pour apporter l'éclairage indispensable aux questions que peut soulever, notamment, une interprétation arbitraire de l'Islam.
L'école est fondée non seulement sur la transmission de la culture et des savoirs, mais aussi sur l'acquisition des droits et des devoirs qu'impose la vie en société. Le règlement intérieur est la loi interne de la communauté scolaire ; il doit être commenté et constitue un vrai tremplin pédagogique pour l'instruction civique.
Je souhaiterais souligner aussi l'importance de deux matières fondamentales, à savoir l'histoire et l'éducation physique. L'histoire, celle de la France notamment, permet de savoir d'où l'on vient pour choisir et construire son avenir personnel et collectif. Il est nécessaire, pour intéresser les élèves, de leur proposer des récits édifiants et de leur parler de personnages admirables : les grands hommes dont, pour certains, il a été question ici même hier, des héros et des saints qui ont toujours fourni le socle sur lequel se construit toute personnalité.
Il est essentiel de promouvoir également l'éducation physique, aussi indispensable à l'éveil et à la construction de la personnalité des enfants que les disciplines intellectuelles. Je me félicite, monsieur le ministre, que, au cours des débats à l'Assemblée nationale, vous ayez réaffirmé que l'éducation physique et sportive, dont l'enseignement est obligatoire à tous les niveaux, joue un rôle fondamental dans la formation de l'élève et dans son épanouissement personnel. L'éducation physique est en effet, dès le plus jeune âge, un élément fondamental, voire irremplaçable, dans le développement de l'enfant et de l'adolescent. De plus, elle présente un intérêt notable pour la santé des enfants. Elle permet de lutter contre la sédentarité et constitue de ce fait le meilleur moyen de prévention de l'obésité. Rappelons que l'obésité touche aujourd'hui un enfant âgé de dix ans sur dix et que ce chiffre a été multiplié par quatre à cinq depuis les années soixante.
Enfin, monsieur le ministre, je souhaiterais soulever un point qui me tient à coeur en tant que maire : l'accueil des enfants de deux ans. Celui-ci constitue certes une dimension de la politique familiale, mais il permet aussi d'offrir une solution à des couples qui doivent concilier vie familiale et vie professionnelle. Le taux moyen national de scolarisation en maternelle à deux ans est de 35 % ; il est de plus de 50 % dans les départements ruraux. La scolarisation d'un enfant de deux ans résulte non pas seulement d'un choix économique, mais aussi du choix de l'école pour l'école. Depuis des années, l'amélioration de la qualité des écoles rurales et de celle de leur fonctionnement passe aussi par le renforcement de l'accueil des plus jeunes enfants. Je souhaiterais que le Gouvernement tienne compte de cet élément essentiel dans l'évaluation du nombre de postes nécessaires.
Par conséquent, des questions aussi fondamentales que celles qui sont soulevées ici pourraient opportunément faire l'objet d'un référendum, ainsi que l'avait souhaité Jacques Chirac en 1995. En effet, il existe deux conceptions incompatibles à propos de l'école. Deux approches anthropologiques leur correspondent selon la place qui est faite à une vérité sur l'homme. Parce que ce projet de loi est conforme à l'expérience multiséculaire d'une vérité anthropologique, il constitue à mon sens une réelle avancée pour le système éducatif de notre pays. C'est pourquoi, avec la majorité du groupe du RDSE, je lui apporterai mon soutien. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RDSE, de l'UC-UDF et de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Yannick Bodin.
M. Gérard Longuet, rapporteur pour avis. « Il n'est de richesses que d'hommes » !
M. Yannick Bodin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je commencerai, comme l'a fait tout à l'heure M. le rapporteur, en me référant au Président de la République. (Murmures sur les travées du groupe socialiste.)
M. Jean-Claude Carle, rapporteur. Bonne référence !
M. Yannick Bodin. Lors de ses voeux aux corps constitués, le Président de la République avait souhaité que les objectifs de la loi sur l'école mobilisent « l'ensemble de la communauté éducative ».
M. Jean-Pierre Sueur. Il promet tellement !
M. Yannick Bodin. Force est de constater que son voeu a été exaucé : toute la communauté éducative est mobilisée, mais elle est mobilisée contre le projet du Gouvernement ! (M. Jean-Luc Mélenchon applaudit.)
M. Jacques Valade, président de la commission des affaires culturelles. Mais non !
M. Yannick Bodin. Quels sont les objectifs de ce projet de loi ?
Construire une école toujours plus juste, plus efficace, plus ouverte, plus sûre, indiquait le Président de la République. Pour ce faire, le présent texte devait être la pierre angulaire d'une réforme de l'école, à même de donner à celle-ci un nouveau souffle, quinze ans après sa réorganisation par la grande loi Jospin pour l'adapter aux évolutions de la société et aux aspirations de la jeunesse et des familles.
Pour mener à bien ce projet, le Gouvernement a, durant un an, organisé une large consultation, un grand débat, qui a conduit à la publication du « Miroir du débat », en avril 2004. Qu'en reste-t il ?
Ensuite, une commission dirigée par Claude Thélot a remis un rapport, qui, pour dire le moins, proposait un grand nombre de pistes très utiles.
Pourtant, monsieur le ministre, de cette consultation, de ce rapport, votre texte ne s'est que très peu inspiré. Il manque de souffle, d'ambition. Il n'aborde que très timidement des thèmes pourtant primordiaux pour l'école de demain. Il ne répond pas aux défis auxquels l'école doit faire face en ce début du xxiè siècle.
Vous n'avez pas voulu écouter ce qui vous était dit. Vous n'avez fait que survoler le rapport Thélot, qui abordait pourtant des sujets importants, même si je conçois que l'on puisse aussi émettre quelques réserves sur ce point.
Monsieur le ministre, nous entamons ce débat dans un contexte politique plus que difficile pour le Gouvernement. Votre projet de loi est en effet jugé très sévèrement par l'ensemble des acteurs du monde de l'éducation, à commencer par le Conseil supérieur de l'éducation, qui l'a rejeté. En outre, les professeurs et les lycéens, lors de grèves et de manifestations très suivies, ont demandé le retrait de ce texte. A l'issue de mouvements lycéens importants à Paris comme en province, ils ont obtenu que vous reculiez sur la réforme du baccalauréat.
Face à ces mouvements, vous avez fait le choix provoquant de déclarer l'urgence sur ce texte. Vous souhaitez en fait couper court au débat, vous débarrasser au plus vite de ce dernier, trop conscient du rejet suscité.
La sagesse voudrait que vous retiriez votre texte. (M. Jean-Luc Mélenchon applaudit.) En effet, toutes les organisations du monde de l'éducation s'y opposent. Elles nous l'ont clairement dit au cours des auditions auxquelles la commission des affaires culturelles a procédé.
M. Jean-Claude Carle, rapporteur. Non !
M. Jacques Valade, président de la commission des affaires culturelles. C'est faux !
M. Yannick Bodin. Tel est le cas des organisations lycéennes, l'union nationale lycéenne, l'UNL, et la fédération indépendante et démocratique lycéenne, la FIDL, qui, il est vrai, n'ont pas été entendues.
M. Jacques Valade, président de la commission des affaires culturelles. Mais si !
M. Yannick Bodin. Tel est le cas des syndicats d'enseignants, qui sont venus nous dire, en commission, leur opposition à cette réforme : citons le syndicat général de l'éducation nationale, le SGEN-CFDT, la fédération syndicale unitaire, la FSU, l'union nationale des syndicats autonomes-syndicat des enseignants, l'UNSA-SE, le syndicat national des personnels de direction de l'éducation nationale, le SNPDEN, et même la confédération syndicale de l'éducation nationale, la CSEN, dont une des composantes, le syndicat national des lycées et collèges, le SNALC, n'est pourtant pas un syndicat très marqué à gauche. En tout cas, ils nous l'ont clairement dit.
Tel est encore le cas des parents d'élèves, dont les trois organisations, la fédération des conseils de parents d'élèves des écoles publiques, la FCPE, la fédération des parents d'élèves de l'enseignement public, la PEEP, mais aussi l'union nationale des associations de parents d'élèves de l'enseignement libre, l'UNAPEL, sont venues ensemble devant la commission...
M. Jacques Valade, président de la commission des affaires culturelles. Etrangement !
M. Yannick Bodin.... pour tenir, après l'avoir publié ensemble dans la presse, un même discours de rejet de votre projet. Monsieur le ministre, vous avez réussi une première dans l'histoire de l'école : réunir les parents du public et du privé contre vous ! (Mmes Gisèle Printz et Dominique Voynet, MM. Jean-Luc Mélenchon et Jean-Pierre Sueur applaudissent.)
Pourtant, personne aujourd'hui ne nie la nécessité de faire évoluer l'école. Tous ici, nous sommes conscients des difficultés qu'elle rencontre pour réaliser les missions qui lui ont été confiées par la République. Quinze ans après, il faut bien sûr relancer la réforme Jospin de 1989. (Rires sur certaines travées de l'UMP.)
En effet, il y a encore beaucoup à faire. Cent cinquante mille jeunes quittent tous les ans l'école sans diplôme ou sans qualification. Sur le constat, nous sommes d'accord.
Trop d'élèves ont un niveau encore trop faible à leur entrée en sixième. C'est une évidence.
Les résultats scolaires restent trop dépendants de l'origine sociale des élèves.
Trop souvent, l'orientation au collège se fait par l'échec et non par la préparation individualisée d'un projet personnel formatif et professionnel.
L'enseignement professionnel est dévalorisé.
Les jeunes Français ne parlent pas assez bien les langues étrangères.
Bref, l'école, c'est vrai, a besoin d'avancer, de se réformer, d'évoluer. Nul n'en doute, pas plus ici que dans les manifestations lycéennes, pas plus les lycéens et les professeurs que les parents d'élèves, qui ont réagi très négativement à votre projet.
Votre texte, monsieur le ministre, constitue d'abord un renoncement. Il n'est pas adapté aux besoins réels de l'école, il manque en grande partie d'ambition, quand certaines des mesures qu'il contient ne sont tout simplement pas rétrogrades ou même dangereuses.
Il manque donc d'ambition : il ne comporte rien sur l'évolution et la redéfinition du métier d'enseignant, rien sur la politique en faveur la petite enfance ou sur l'amélioration des transitions entre l'école et le collège, entre le collège et le lycée, entre le lycée et l'enseignement supérieur !
Il ne comporte rien non plus sur le rapport entre l'inégalité sociale et la réussite scolaire, point majeur que le débat sur l'école a pourtant mis avec force en évidence ! Rien, en tout cas rien de nouveau, sur l'orientation, qui doit devenir le moment d'un choix et non être vécue comme un échec. Rien sur les ZEP et sur l'éducation prioritaire, alors qu'il faut approfondir ce dispositif qui a donné certains résultats. Rien sur la scolarisation à deux ans, cependant que votre vision de l'école maternelle est extrêmement réductrice.
Rien non plus sur la pluridisciplinarité, alors qu'une réflexion approfondie sur le sujet aurait été très utile. Rien pour revaloriser les filières professionnelles. Rien sur le cadre plus large de la formation tout au long de la vie, alors que l'on sait bien, aujourd'hui, que tout le monde sera amené à revenir à l'école au moins une fois dans sa vie.
Rien, enfin, sur les nouveaux rapports entre l'éducation nationale et les collectivités territoriales, et le rôle de celles-ci par rapport aux politiques éducatives.
Sur tous ces sujets, monsieur le ministre, votre projet de loi est vide. Il faudra pourtant, un jour, avoir le courage de traiter de toutes ces questions dont dépend la réussite de l'école républicaine.
Venons-en, monsieur le ministre, à votre projet de loi.
Votre définition du socle commun doit être revue. Certes, il ne s'agit pas de remettre en cause l'idée qu'il faille s'assurer que tout élève a acquis, à sa sortie du système scolaire, un socle commun de connaissances et de compétences qui lui permette de travailler, de poursuivre à tout moment sa formation et aussi d'être un citoyen.
Mais votre définition de ce socle est par trop restrictive ! Sont absents, alors qu'ils font aussi partie des fondamentaux de la formation et de l'éducation des futurs adultes, l'éducation physique et sportive, l'enseignement artistique et la culture technologique.
Cette idée d'un socle de compétences et de connaissances, nous la revendiquons. Mais pour qu'il soit un réel levier de l'égalité des chances, il faut qu'il soit réellement commun ! Aux termes de votre projet de loi, il sera le minimum réservé à certains, tandis que d'autres auront le privilège de découvrir d'autres matières, avant même la fin de la scolarité obligatoire.
M. Yannick Bodin. Il faut que ce socle commun soit aussi suffisamment large pour permettre à chacun de partir sur la même base, quel que soit son milieu social d'origine.
Ce projet de loi était l'occasion d'avancer, de créer, d'assurer un réel socle commun, d'offrir une réelle culture à tous. Là encore, vous vous arrêtez en chemin.
Il y a donc là un manque d'ambition, mais certaines des mesures que vous proposez sont rétrogrades et dangereuses.
Il en est ainsi de la remise en cause de l'organisation de la scolarité en cycles puisque vous rétablissez l'année comme unité principale du temps scolaire, mais aussi de la possibilité de faire redoubler les élèves chaque année et au seul bon vouloir des enseignants, ce qui participe d'ailleurs à la destruction du principe des cycles.
Il en est ainsi, encore, de la réintroduction de l'orientation professionnelle dès la fin de la classe de quatrième, avec la mise en place, prévue dans l'annexe du projet de loi, d'une classe de troisième avec option « découverte professionnelle » à raison de six heures par semaine, offerte non pas à tous les élèves mais seulement à ceux qui ont des difficultés dans les autres matières.
Et je ne parle pas de la note de « vie scolaire » qui - j'en fais malheureusement le pari - deviendra très rapidement la « note de conduite ». C'est votre petit côté Choristes ! (Exclamations sur plusieurs travées de l'UMP.)
M. Jean-Claude Carle, rapporteur. Le film Les Choristes a été un grand succès !
M. Yannick Bodin. Je parle non pas du film, qui était excellent, mais de la manière dont on y pratiquait la discipline !
Je dois aussi revenir sur la suppression des TPE en terminale. Après un début difficile, ils reçoivent aujourd'hui des louanges.
M. Yannick Bodin. Et c'est le moment que vous choisissez pour les supprimer !
M. Yannick Bodin. Ces travaux ont été créés pour favoriser l'apprentissage de l'autonomie, de la réflexion personnelle, de l'esprit critique, qui sont autant de compétences fondamentales non seulement pour la réussite scolaire mais encore pour le futur des élèves, notamment ceux qui se destinent à des études supérieures.
Là encore, vous allez à rebours des évolutions positives récentes de l'école. Je vous ai pourtant entendu dire, voilà quelques jours : « Mais on a toujours fait des exposés. »
M. Yannick Bodin. Alors, monsieur le ministre, pourquoi les supprimez-vous ?
M. François Fillon, ministre. On peut faire des exposés en classe sans qu'il soit besoin de créer des heures supplémentaires !
M. Yannick Bodin. Dans un tout autre domaine, vous créez une autorité administrative, que vous prétendez indépendante, le Haut conseil de l'éducation. L'étendue de ses fonctions ainsi que le mode de nomination de ses membres font craindre qu'elle ne soit jamais capable de jouer pleinement son rôle d'orientation et de contrôle. En tout cas, elle ne sera jamais indépendante.
Enfin, il me faut dire un mot de votre proposition de « contrat personnalisé de réussite scolaire » que les députés, trop conscients des difficultés juridiques importantes que cette initiative risquait d'entraîner, ont rebaptisé « programme personnalisé de réussite scolaire » - et on parle d'ailleurs maintenant de « parcours ».
M. Jean-Claude Carle, rapporteur. Absolument !
M. Yannick Bodin. Si l'appellation a évolué, le contenu, lui, n'a strictement pas changé. Or, il faut le dire, ces contrats, ces programmes ou ces parcours seront à la fois inefficaces et dangereux.
En effet, il est illusoire de croire qu'on réglera les difficultés scolaires en ajoutant des heures supplémentaires à l'emploi du temps des élèves. (M. Christian Demuynck s'exclame.) Comment croire que les élèves en voie de déscolarisation retrouveront le goût d'apprendre avec quelques heures d'école en plus ?
Ce qu'il leur faut, c'est de l'école autrement : des méthodes pédagogiques innovantes, des maîtres formés à ce type de situation. Et si l'école ne remplit pas, ou remplit mal, sa mission envers les élèves en difficulté, vous favorisez la prolifération des officines privées à but lucratif qui, évidemment, attirent une « clientèle privilégiée ». Où est alors l'égalité des chances ?
M. Jean-Luc Mélenchon. Très bien !
M. Yannick Bodin. Vous risquez de plonger les élèves et leurs parents, déjà en difficulté, dans la spirale de l'échec. Vous ne cherchez pas à leur redonner confiance ou à leur offrir un espoir de réussite par un accompagnement individualisé. Non, en fait, vous les culpabilisez. Le devoir de la République est de créer les moyens et les méthodes pour que ses enfants réussissent, ce n'est pas de faire porter l'échec a priori sur les familles ou sur leurs enfants.
Mme Annie David. Eh oui !
M. Yannick Bodin. Quant à votre vision de la formation des enseignants, elle me paraît également conservatrice et rétrograde.
Enseigner, monsieur le ministre - vous en serez sûrement d'accord -, c'est un métier. Cela s'apprend. Il ne suffit pas de posséder un savoir, fût-ce à la perfection, pour être capable de le transmettre.
M. Yannick Bodin. Bien maîtriser sa discipline est une condition nécessaire pour enseigner, mais ce n'est pas une condition suffisante. Il faut aussi apprendre le métier.
M. Yannick Bodin. Or votre réforme des IUFM va dans le mauvais sens. (M. le ministre fait un signe de dénégation.) Votre volonté de rattacher ces IUFM à une université - choix opéré sans concertation - est inquiétante : quelles places et quelle autonomie auront-ils sur les plans financier et pédagogique ? En réalité, le point fort de votre réforme, c'est la dissolution - la disparition, allais-je dire - des IUFM dans l'université, alors qu'il fallait renforcer la professionnalisation, notamment par une année supplémentaire en IUFM. Nous vous proposerons d'ailleurs, mes chers collègues, de supprimer le chapitre V de ce projet de loi, afin de prendre le temps de lancer une vraie réflexion sur le métier d'enseignant : ceux qui se destinent à la carrière d'enseignant ont besoin d'apprendre à enseigner, d'apprendre le travail en équipe, d'apprendre à orienter les élèves.
Ainsi, le projet de loi qui nous est aujourd'hui présenté ne répond pas, tant s'en faut, aux défis de l'école. Il n'est pas assez ambitieux alors que c'est d'un nouveau souffle que l'école a aujourd'hui besoin. Et quand ce texte prévoit des évolutions, celles-ci sont pour la plupart teintées de trop de conservatisme pour ne pas nous inquiéter et inquiéter toute la communauté éducative.
Mais, au-delà, force est de constater que la politique menée par le Gouvernement ne permet pas de mettre en oeuvre une politique ambitieuse de l'éducation. Vous avez, monsieur le ministre, chiffré le coût budgétaire de cette réforme à 2 milliards d'euros, dont vous vous êtes d'ailleurs bien gardé de spécifier les modalités de budgétisation.
Il y a fort à craindre qu'il s'agisse de simples redéploiements et de mise en oeuvre de moyens nouveaux. D'ailleurs, la seule mesure concrète que nous connaissons à ce jour en termes financiers est la suppression des TPE en terminale afin de financer - mais comment ? - le renforcement de l'apprentissage des langues. Ce n'est pas maintenant que vous pourrez faire quelque chose pour la rentrée prochaine :...
M. Yannick Bodin.... les dotations horaires globales sont, à ce jour, attribuées.
M. Yannick Bodin. Ces 2 milliards d'euros ne sont pas assurés. Et ce n'est pas leur inscription dans le rapport annexé, dont la valeur normative contraignante est loin d'être démontrée, qui nous rassure. Le premier euro de cet engagement n'est pas budgété, en tout cas pas dans la loi de finances pour 2005 ; aucune programmation réelle n'accompagne votre projet. D'ailleurs, la rectrice de Toulouse a été amenée à présenter sa démission parce qu'elle n'était plus capable, vu le sacrifice du budget de l'éducation par l'actuel gouvernement, d'assurer correctement sa mission.
Vous vous engagez, toujours dans cette annexe, à recruter, chaque année, 30 000 enseignants, conseillers principaux d'éducation et conseillers d'orientation sur la période 2006-2010, mais cet engagement laisse songeur eu égard à la suppression des quelque 90 000 postes d'adultes dans les établissements scolaires depuis que le gouvernement auquel vous appartenez est aux responsabilités.
Je citerai un exemple qui décrédibilise l'ensemble de votre discours sur le sujet : le Gouvernement annonce qu'il y aura une infirmière par établissement, ce qui serait effectivement une bonne chose. Mais, mes chers collègues, faut-il vous rappeler que pas un poste supplémentaire d'infirmière n'a été budgété ni en 2004 ni en 2005 ? Là encore, nous ne pouvons nous satisfaire des discours du Gouvernement, à moins, monsieur le ministre, que vous ne nous annonciez tout à l'heure la préparation d'un collectif budgétaire vous permettant d'assurer la rentrée scolaire 2005 dans de meilleures conditions.
Pour conclure, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce projet de loi, je le répète, est sans ambition par ses insuffisances et dangereux par certaines mesures proposées.
Il aurait fallu définir clairement ce que l'on entend par « réussite pour tous », affirmer la priorité accordée aux élèves et aux territoires en difficulté, mettre en oeuvre un suivi vraiment personnalisé des élèves, redéfinir l'orientation scolaire et professionnelle, revaloriser les formations technologiques et professionnelles, réaffirmer le rôle des parents et les aider, préciser le rôle des collectivités territoriales dans les politiques d'éducation, redéfinir le métier d'enseignant et renforcer la formation des maîtres, accroître le nombre d'adultes dans les établissements. Enfin et surtout, il aurait fallu inclure ce débat dans le contexte plus large de la formation tout au long de la vie.
Sur tous ces sujets essentiels, votre projet de loi est souvent muet. Au mieux, il reste flou. C'est ce que l'on appelle « une occasion manquée ». (Murmures sur les travées de l'UMP.) Il reviendra donc à l'actuelle opposition, quand le moment sera venu,...
Mme Dominique Voynet. Bientôt !
M. Yannick Bodin.... de reprendre votre travail (Mme Gisèle Printz applaudit) pour donner à la France un projet pour l'école digne de ses ambitions et de sa jeunesse. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à Mme Monique Papon.
Mme Monique Papon. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le Président de la République, en souhaitant qu'un grand débat ait lieu sur l'école, a répondu à l'aspiration d'un grand nombre de nos concitoyens. Il leur a donné la parole ; ce fut un véritable exercice de démocratie directe lorsque un million de nos concitoyens ont pu s'exprimer pour dire ce qu'ils attendaient de l'école et comment ils envisageaient son adaptation aux besoins nouveaux de notre société.
Pour ma part - j'ose le dire -, je suis très heureuse et fière d'avoir participé aux travaux de la commission Thélot qui, en quelque sorte, a balisé le terrain de notre réflexion sur l'école.
Oui, monsieur le ministre, votre projet de loi prépare, pour l'essentiel, l'école des quinze années à venir, avec l'ambition louable d'élever le niveau général de connaissances et le taux de diplômés, et d'attaquer les plaies ouvertes de notre système scolaire : beaucoup trop de jeunes enfants manquant de bases fondamentales, un brevet des collèges démonétisé, des instituts de formation des maîtres souvent inadaptés parce que trop théoriques, etc.
Le coeur de vos propositions permettra à l'école, j'en suis persuadée, d'amener tous les élèves à la réussite, quels que soient leurs talents.
Parmi les nombreux aspects du projet de loi dont la finalité louable est de débloquer l'ascenseur républicain et de sortir d'un élitisme intellectuellement séduisant mais socialement désastreux, je m'attacherai à développer deux points qui, entre autres, reflètent les propos qui ont été recueillis au cours du grand débat : la maîtrise des fondamentaux par un meilleur apprentissage de la lecture et les missions de l'école à l'heure d'une Europe toujours plus présente.
Peut-on, aujourd'hui, se satisfaire du fait que 10 % à 15 % d'enfants ne sachent pas lire en quittant le cours préparatoire ? Peut-on se satisfaire du fait que 10 % des enfants sortent de l'école primaire en ne disposant que de 300 mots de vocabulaire à peine ? Comment expliquer que, dans notre société si bavarde, qui ne cesse de communiquer, il y ait encore tant de jeunes qui ne maîtrisent pas usuellement notre langue après douze années passées sur les bancs de l'école ?
S'agissant de la lecture, vous avez affirmé, monsieur le ministre, qu'elle était la « clef indispensable » pour tout le reste. Je me garderai bien de me prononcer sur les méthodes, dont vous avez d'ailleurs confié l'étude à d'éminents spécialistes. Nous en saurons sûrement davantage dans quelques semaines, quand ils vous remettront leur rapport.
Je me bornerai à poser la question suivante, au risque de me faire taxer de nostalgique de la pédagogie traditionnelle : où sont donc passés les manuels dans de nombreuses écoles primaires ?
Comment découvrir le plaisir du livre quand, dans le primaire, on vous distribue au coup par coup des photocopies plus ou moins bien collées dans des classeurs, bientôt froissées dans le cartable ?
Le manuel scolaire, c'est le premier livre que certains enfants ont la chance d'avoir entre les mains, car nombreux sont ceux qui n'en disposent pas à la maison. L'école leur donne donc l'occasion d'avoir un rapport concret avec la lecture. C'est cela aussi lutter contre les injustices sociales.
Le livre devient alors un outil de liberté, grâce auquel l'enfant développe son autonomie, sa curiosité intellectuelle. C'est aussi et surtout, pour le citoyen en devenir qu'il est, l'outil fondamental de connaissances dont il aura besoin pour discerner le monde social, culturel et politique dans lequel il vit.
On connaît bien évidemment les réticences de certains enseignants face aux manuels, qu'ils accusent d'être des « carcans » réduisant leur liberté pédagogique et amenuisant leur créativité : ce sont des doléances que nous avons largement entendues lors des débats.
Il ne s'agit pourtant pas d'accabler les enseignants, de plus en plus confrontés à l'hétérogénéité des classes, ni de les enfermer dans une pédagogie qu'ils n'auraient pas souhaitée. D'ailleurs, le texte que vous nous proposez aujourd'hui, monsieur le ministre, rappelle et insiste sur la liberté pédagogique de chacun des enseignants.
Bien entendu, à l'époque de l'informatique et du web, il faut aussi faire une large part aux outils de demain : je pense à la complémentarité du numérique.
La question des outils pédagogiques ne mériterait-elle pas d'être mieux intégrée dans le cursus des IUFM ? L'éducation nationale ne doit-elle pas aider les enseignants à choisir et à utiliser leurs outils en professionnels, par le biais de formations adaptées ? En effet, face à la profusion et à la diversité des supports qui sont à leur disposition, les enseignants peuvent parfois se sentir déconcertés.
Je souhaite maintenant, monsieur le ministre, que, dans notre réflexion, les missions de l'école se déclinent davantage à l'heure de l'Europe. Comment pourrions-nous, en effet, dissocier la mise en oeuvre de cette loi d'orientation de l'ouverture de l'Europe à de nouveaux membres ? Il faut reconnaître que, depuis une cinquantaine d'années, ont été enregistrées de réelles avancées communautaires, une progression des échanges et de l'équivalence des diplômes, ainsi qu'une mobilité accrue des enseignants. Mais la formation proprement dite de l'élève est et reste nationale.
Si les sciences les plus techniques ne peuvent souffrir aucune contestation internationale, il n'en est pas de même pour les sciences humaines comme l'histoire, la littérature ou l'instruction civique. L'importance accordée par tel ou tel pays aux événements et aux oeuvres pèsera inévitablement sur l'orientation du savoir commun.
C'est maintenant qu'il faut, à travers nos programmes d'enseignement, réfléchir à la formation des futurs citoyens européens. Sinon, nous serons confrontés à une addition de cultures nationales européanisées que tenteront les réflexes identitaires.
Ne faudrait-il pas penser à un accroissement de l'éducation à la citoyenneté européenne dès les plus petites classes, dans le cadre de chaque enseignement ?
Je dis « oui » à la pratique dès l'école primaire d'une langue étrangère, indispensable à la nécessaire mobilité des jeunes, et « oui » au rapprochement des contenus d'enseignement et des systèmes éducatifs, en lien direct avec le processus engagé à Lisbonne.
Traditionnel pilier de la souveraineté nationale, l'école française, tout en confortant son identité, doit se convertir à l'Europe, d'abord dans l'éducation de ses enfants.
En conclusion, une réforme de l'école était une nécessité. Depuis dix ans, notre système est en panne, et c'est une obligation pour nous de sauver chaque année 150 000 jeunes du marasme d'une scolarité sans diplôme.
Monsieur le ministre, nous apprécions votre courage, vous qui êtes confronté au difficile fonctionnement de l'une des plus grandes administrations d'Europe et qui gérez le plus important budget de l'Etat.
Nous sommes à vos côtés sur le chemin de crêtes que vous avez tracé parce que nous voulons, avec vous, redonner toute sa force à l'école, creuset de la République. Il en va de la réussite et de l'épanouissement de nos enfants, qui prendront peut-être un jour notre place dans cet hémicycle. L'un des pères de l'éducation américaine, Horace Mann, n'avait-il pas écrit que les écoles étaient les lignes de fortification de la République ? (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Muguette Dini.
Mme Muguette Dini. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce projet de loi tente de répondre à deux questions fondamentales concernant notre école : comment faire pour que tous les élèves puissent acquérir un socle commun indispensable de connaissances ? Comment faire pour que les jeunes sortant du système scolaire soient armés pour une vie autonome et épanouissante ?
Je ne peux qu'être d'accord avec ce programme, mais je constate qu'il se préoccupe essentiellement du champ de l'école obligatoire, c'est-à-dire l'école élémentaire et le collège. On y parle peu de ce qui préoccupe les parents, les enfants et les enseignants : la violence à l'école, l'accueil des tout petits, l'âge de la scolarité obligatoire, le contenu de la formation des maîtres.
Je vais successivement aborder ces quatre points.
Tout d'abord, la violence en général et en milieu scolaire en particulier, et ce dès la maternelle, est un souci constant de tous nos concitoyens. Elle nuit à l'équilibre des élèves. Elle est source de perturbations importantes, y compris pendant les cours. Elle fait peur. Elle décourage.
Or le projet de loi que vous nous proposez procède plus de l'incantation que de la prise en compte pragmatique de ce grave sujet.
On n'y envisage aucune prévention précoce, on n'y insiste pas assez sur la formation des enseignants à la gestion des conflits et l'on n'y propose aucune sanction éducative adaptée à chaque stade de cette violence. Je regrette que cette préoccupation majeure n'occupe pas une place plus marquée dans ce projet.
Ma deuxième remarque concerne l'accueil des enfants de moins de trois ans. Ce point est rappelé dans le rapport annexé, mais aucune disposition nouvelle n'est envisagée.
Je sais que cet accueil, gratuit, rend de grands services aux parents. Mais rend-il service aux enfants ?
Je m'étonne, monsieur le ministre, que l'on puisse, d'un côté, exiger dans les structures multi-accueil de jeunes enfants, dans les crèches et dans les haltes garderies la présence d'un adulte spécifiquement formé pour sept enfants et, de l'autre, concevoir comme normal qu'un seul enseignant, secondé par un agent technique spécialisé des écoles maternelles, un ATSEM, ait à prendre en charge de 25 à 35 enfants âgés de deux ans.
N'y aurait-il pas à inventer des « jardins-passerelles », par analogie avec les jardins d'enfants, qui permettraient aux petits d'aller à l'école le matin jusqu'à onze heures et d'être ensuite pris en charge jusqu'au retour des parents par du personnel formé spécifiquement à cet accueil ?
Un sénateur de l'UMP. Qui paiera ?
Mme Muguette Dini. Nombre de communes sont intéressées par cette expérience, mais comment pourront-elles assumer la charge salariale que représentera ce mode d'accueil innovant ?
Je sais que mon propos dépasse le cadre de l'éducation nationale et donc celui de votre action, monsieur le ministre. Mais je ne vois pas en cette matière d'égalité des chances, et je crois que nous devrons nous pencher très sérieusement sur l'accueil de ces jeunes enfants.
Le troisième point que je souhaite aborder est l'âge de la scolarité obligatoire.
Françoise Dolto l'a dit : « tout se joue avant six ans ». Si cela est vrai sur les plans psychologique et affectif, c'est également vrai pour le langage.
Dans l'acquisition de la maîtrise de la langue et de la communication, l'école maternelle occupe une position déterminante et stratégique puisque la pauvreté du vocabulaire est déjà identifiable à l'entrée dans le primaire. Tous les experts, sur ce sujet, vont dans le même sens.
Il est nécessaire, à la sortie de l'école maternelle, de maîtriser un vocabulaire minimum afin de pouvoir apprendre à lire et à écrire pendant le premier cycle de l'école élémentaire. Ce minimum requis se situe entre 600 et 900 mots maîtrisés par l'enfant. Or des études montrent une augmentation croissante des enfants entrant en cours préparatoire et ne disposant pas d'un tel vocabulaire : 11 % d'entre eux ne connaissent qu'environ 350 mots, rendant presque impossible leur apprentissage de la lecture, et ce quelle que soit la méthode retenue.
C'est aussi à l'école maternelle qu'apparaissent les premières manifestations de sexisme, de racisme, de violence verbale et physique. Et c'est le meilleur moment pour apprendre aux enfants la tolérance et le respect de l'autre.
Monsieur le ministre, ne doit-on pas envisager rapidement de rendre l'école obligatoire dès l'âge de trois ou quatre ans, ce qui permettrait de mieux répartir l'acquisition du socle commun des fondamentaux, en particulier du langage, indispensable à l'apprentissage de la lecture ?
Le quatrième point sur lequel je souhaite intervenir concerne la formation des maîtres.
Plus que du sort administratif des IUFM, c'est du contenu de la formation que se préoccupent les parents et les futurs enseignants, et, à ce sujet, je voudrais faire quelques remarques et suggestions. Je sais que cela relève plus souvent du règlement que de la loi, mais le texte que vous nous proposez est peu précis quant aux missions de cette formation.
Ne doit-on pas revenir à une spécialisation professionnelle plus poussée, adaptée à l'enseignement de chaque tranche d'âge ? Ne doit-on pas consacrer plus de temps, dans la formation des maîtres, à la psychologie de l'enfant, à la gestion des relations et des conflits, à l'éducation au respect et au civisme ?
Ne doit-on pas mieux adapter la formation disciplinaire aux programmes enseignés et privilégier la formation professionnelle par rapport à cette même formation disciplinaire ?
Ne doit-on pas imposer qu'une forte proportion d'enseignants d'IUFM soit encore en contact avec le public scolaire ?
Ne doit-on pas s'assurer de la véritable motivation des candidats au métier d'enseignant ? Ne doit-on pas prévoir de tester l'aptitude ou l'inaptitude à enseigner ? Ne doit-on pas prévoir de véritables passerelles vers d'autres emplois de la fonction publique ou privée quand il s'avère que le choix de ce métier a été une erreur ?
Ces questions, politiquement incorrectes, sont celles que se posent tous les parents qui auront, au moins une fois dans leur propre scolarité ou dans celle de leurs enfants, subi les conséquences, quelquefois dramatiques, de l'influence d'un enseignant incapable, pendant toute sa carrière, de maîtriser son enseignement. Que dire, d'ailleurs, de la vie de cet enseignant si mal à l'aise dans l'exercice de sa profession ?
Ce projet de loi, monsieur le ministre, répond bien imparfaitement à ces questions et à beaucoup d'autres, posées lors du grand débat sur l'école. Il ne suffira pas à changer fondamentalement notre école et à atteindre les objectifs que vous nous proposez dans le rapport annexé.
Nous ne ferons pas l'économie, dans un délai que j'espère court, d'une vraie grande réforme.
En attendant, monsieur le ministre, je voterai ce projet de loi en le considérant comme un traitement homéopathique, espérant qu'il sera suffisamment efficace pour éviter un traitement draconien ou une intervention chirurgicale ! (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Gélita Hoarau, dont je salue la première intervention. (Applaudissements.)
Mme Gélita Hoarau. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je vous remercie pour cet accueil chaleureux.
De notre capacité à enraciner aujourd'hui les valeurs républicaines d'égalité, de liberté et de fraternité dans l'esprit de notre jeunesse, à forger l'esprit critique, à élargir le champ des connaissances, dépend l'avenir du pays.
Voilà une noble ambition, partagée, qui mérite un débat à la hauteur de l'enjeu, éloigné des visions partisanes. Mais l'affirmation d'une ambition ne saurait suffire à emporter l'adhésion en l'absence d'une mobilisation des moyens adéquats. C'est le sentiment des lycéens et des enseignants qui constatent au quotidien une dégradation de leurs conditions de vie dans les établissements.
La Réunion a connu, elle aussi, de grandes manifestations lycéennes. S'il est toujours hasardeux de sonder les reins et les coeurs des jeunes manifestants, ce serait toutefois manquer de lucidité que de ne pas voir dans leur mobilisation, d'une part, l'expression d'une réelle demande d'amélioration de leurs conditions actuelles d'enseignement et, d'autre part, l'expression d'une réelle angoisse face à l'avenir.
Il existe dans notre île, comme ici, une fracture au sein de la jeunesse entre celle qui, désireuse de réussir son parcours éducatif, s'inquiète de son avenir et celle qui, gagnée par la désespérance, est déjà en situation d'échec et retourne contre l'école sa colère et ses frustrations.
Les Réunionnais sont particulièrement attachés à l'école qui, au cours des dernières décennies, a joué un rôle indiscutable en termes de cohésion sociale et comme moteur d'ascension sociale. L'affirmation de l'école publique a accompagné le passage d'une société coloniale à une société fondée sur la réalisation des valeurs républicaines, notamment par l'accès du plus grand nombre à l'enseignement. S'il ne s'agit pas de nier ces avancées, il ne saurait non plus être question de passer sous silence les disparités et les retards actuels du système éducatif à la Réunion.
J'illustrerai mon propos de quelques affirmations concrètes.
Le taux de scolarisation des enfants de deux ans est, chez nous, de 15 %, contre 34 % en métropole. L'échec scolaire en cours préparatoire à la Réunion est presque le double de celui de métropole. En CM2, il est plus élevé de quelque 25 %.
En 2002, l'écart de réussite au brevet des collèges était inférieur de onze points dans notre département. Le taux de scolarisation des 16-19 ans y est inférieur de douze points. Quant au taux d'accès au baccalauréat, il est de 57 %, contre 69 % en métropole. A la Réunion, 19 % des jeunes sortent du système scolaire sans qualification, et l'illettrisme touche 20 % de la population.
Je pourrais continuer l'énumération de chiffres, tous porteurs, en filigrane, d'un fort enjeu social : comment ne pas rappeler, en effet, que le chômage des jeunes est de 51 % chez nous, contre 20 % en métropole ?
C'est la raison pour laquelle l'organisation et le contenu de l'enseignement doivent répondre prioritairement à la réduction de ces inégalités. Et non seulement les mesures contenues dans ce projet de loi n'y concourent à mon avis pas, mais la suppression des TPE risque même d'être un facteur aggravant.
Pour faire face aux retards, comme aux besoins créés par la progression démographique de l'île, le système éducatif réunionnais a aussi et surtout besoin de moyens. Le dernier plan de rattrapage en personnel enseignant date en effet de 1998-2002. Il n'y en a pas eu d'autres depuis, en dépit des retards incontestables, notamment au niveau du ratio d'encadrement.
Pis, la suppression brutale de milliers d'aides éducateurs a eu pour conséquence une dégradation des conditions de vie scolaire.
Comment ne pas s'inquiéter également des conséquences du transfert du personnel TOS vers les collectivités locales ? Chez nous, le conseil régional et le conseil général, ainsi que la majorité des organisations syndicales, estiment que ce transfert n'est pas acceptable dans les conditions prévues.
J'ai d'ailleurs déposé très récemment sur ce sujet une proposition de loi qui pourrait contribuer au règlement définitif de ce problème.
Monsieur le ministre, nous ne retrouvons pas dans votre projet de loi les moyens d'une ambition pour la jeunesse de notre île, jeunesse qui est pourtant notre atout essentiel. Cet investissement dans l'avenir est aussi la condition du maintien de la cohésion sociale actuelle.
Votre projet de loi, monsieur le ministre, ne mérite ni excès d'estime ni indignité. Néanmoins, compte tenu de la réalité réunionnaise, nous ne pourrons l'approuver. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
M. Jacques Valade, président de la commission des affaires culturelles. C'est dommage !
M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures vingt, est reprise à vingt et une heures trente.)
M. le président. La séance est reprise.
Nous poursuivons la discussion du projet de loi d'orientation pour l'avenir de l'école.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. François Fortassin.
M. François Fortassin. Monsieur le ministre, je vous donne acte d'un certain courage pour mener cette réforme...
M. Charles Revet. Le ministre est courageux !
M. François Fortassin. ... et, sur la forme, d'une simplicité de ton qui tranche quelque peu avec des méthodes que nous avons connues naguère. Il est vrai que le langage ésotérique et le galimatias technocratique semblent avoir disparu. Par exemple, « les apprenants tentant de maîtriser le référentiel bondissant - aléatoire s'il s'agit de rugby - dans un espace interstitiel de liberté » deviendraient sans doute, dans votre bouche, « des élèves jouant au ballon dans la cour de récréation » ! (Sourires.)
M. Jean-Claude Carle, rapporteur. Très bien !
M. François Fortassin. C'est incontestablement une bonne chose.
Toujours sur le plan du vocabulaire, j'ai relevé que vous avez souvent fait référence, dans votre discours, à l'école de la République, et même - mais une seule fois - à la laïcité. J'y reviendrai tout à l'heure.
Cela étant, il est incontestable que nous partageons un certain nombre d'idées s'agissant de l'école primaire. En revanche,...
M. Charles Revet. Voilà le « mais » ! On le voyait venir ! (Sourires.)
M. René-Pierre Signé. Le « mais » va être terrible !
M. François Fortassin. ...je m'interroge sur un certain nombre de points.
En effet, si certains principes extrêmement généreux auxquels vous vous êtes référé, comme l'égalité des chances, la mixité sociale, la promotion des mérites et des talents, font certainement l'unanimité, je n'ai pu discerner, monsieur le ministre, comment vous comptiez en définitive vous y prendre pour les mettre en pratique.
En outre, vous avez évoqué le fait religieux, qui doit être enseigné dans les établissements scolaires. Nous n'y voyons bien sûr pas d'inconvénient, mais il serait important, à nos yeux, d'instaurer un enseignement de la laïcité en se fondant sur ses principes mêmes, que l'on peut finalement résumer très simplement ainsi : la laïcité affirme que la religion a un caractère exclusivement privé, que l'école doit être un lieu neutre et que l'Etat doit s'honorer de permettre l'exercice de toutes les religions.
A l'évidence, la laïcité est intimement liée à l'école de la République, cette école à laquelle vous comprendrez que je sois très attaché, mes chers collègues, puisque, comme un certain nombre d'entre vous, j'en suis le produit.
De plus, la laïcité constitue le meilleur socle pour enseigner la tolérance et le droit à la différence.
M. René-Pierre Signé. Et voilà ! Tout est dit !
M. François Fortassin. Je pense donc, monsieur le ministre, que votre réforme devrait mettre très fortement l'accent sur ces principes.
Par ailleurs, je n'ai pas eu le sentiment - mais peut-être n'ai-je pas été assez attentif - que vous affirmiez avec suffisamment de force que l'Etat, même s'il accepte d'autres formes d'enseignement au nom de la tolérance, se devait de remplir sa mission, qui est de défendre l'école de la République, l'école publique.
En tout état de cause, il conviendrait sans doute que l'apprentissage de la citoyenneté et la lutte contre les incivilités soient fondés sur des valeurs profondes, et non pas exprimées au travers d'un langage qu'un certain nombre d'adolescents ne comprennent pas parce qu'ils n'ont pas l'habitude de l'utiliser.
Nous n'allons bien sûr pas nous faire les chantres du « verlan », mais il faut tout de même savoir qu'un certain nombre d'enfants s'ennuient aujourd'hui à l'école tout simplement parce qu'ils ne comprennent pas ou parce qu'ils comprennent mal le langage employé par les membres du corps enseignant. Or on doit aller vers eux, d'une manière ou d'une autre, au travers des valeurs profondes de laïcité que j'ai évoquées.
Vous en avez également appelé, monsieur le ministre, à la restauration de l'autorité. Nous ne pouvons qu'être pleinement d'accord avec vous sur ce point, mais encore faudrait-il définir ce qu'est l'autorité dans un établissement scolaire, car cette notion n'y recouvre peut-être pas tout à fait la même chose que dans d'autres institutions.
A mon sens, l'autorité, c'est avant tout la compétence, et pas seulement la compétence technique : il y a aussi des méthodes qui ne sont pas exclusivement pédagogiques pour faire passer des idées. Cela s'appelle le charisme. A-t-on déjà mesuré si les élèves maîtres, les futurs professeurs, avaient ou non du charisme ?
M. René-Pierre Signé. On n'a pas d'unité de mesure !
M. François Fortassin. Peut-être, mon cher collègue, mais il y a des méthodes. C'est en tout cas un réel problème.
J'ai la chance d'avoir, dans mon département, d'excellents chefs d'établissement.
M. Charles Revet. Il y en a aussi ailleurs !
M. François Fortassin. Sans doute ! Toutefois, certains enseignants deviennent chefs d'établissement non parce qu'ils se sentent une vocation pour assumer des responsabilités administratives, mais parce qu'ils s'ennuient devant leurs élèves...
M. Jacques Valade, président de la commission des affaires culturelles. Et ils ennuient leurs élèves !
M. François Fortassin. ... à partir d'un certain stade de leur carrière. Ils se reclassent alors dans l'administration.
Mme Dominique Voynet. Ou ils deviennent sénateurs ! (Sourires.)
M. François Fortassin. Ce n'est certainement pas la meilleure des motivations pour se destiner à remplir des fonctions d'autorité au sein des établissements scolaires.
Cela étant, il s'agit tout de même d'un système de participation et si l'on ne peut, bien sûr, demander à des enfants très jeunes de participer à la vie de l'établissement scolaire, il conviendrait d'écouter attentivement les adolescents, qui sont des préadultes.
Enfin, monsieur le ministre, j'ai le sentiment que les arts plastiques et l'éducation physique risquent d'être les parents pauvres, pour ne pas dire les sacrifiés, de votre réforme.
M. Jean-Claude Carle, rapporteur. Mais non !
M. François Fortassin. Or on sait que les arts plastiques et l'éducation physique permettent un mieux-être de l'élève et participent à son éveil. En tant qu'ancien enseignant, j'ai ainsi le souvenir d'élèves qui se sont révélés dans certaines disciplines parce qu'ils étaient devenus bons en sport et qu'ils se sentaient beaucoup mieux dans leur corps.
M. Jean-Claude Carle, rapporteur. Absolument !
M. François Fortassin. Cette observation vaut sans doute aussi pour les disciplines artistiques.
M. Jean-Claude Carle, rapporteur. C'est vrai !
M. François Fortassin. Par ailleurs, il est un fait que je ne peux passer sous silence : Mme Belloubet-Frier, rectrice de l'académie de Toulouse et femme au demeurant remarquable, a démissionné. Elle a écrit que sa décision était motivée par « la difficulté de plus en plus certaine à assurer une continuité dans le discours pédagogique [qu'elle a] porté depuis cinq ans et dans la capacité à affirmer une cohérence entre des ambitions affichées et des actes posés concrètement ».
Ce ne sont pas des opposants politiques qui ont fait cette déclaration !
M. François Fortassin. Il est tout de même inhabituel qu'un recteur démissionne. Et, pour avoir côtoyé cette personne dans l'exercice de ma mission de président de conseil général, je puis témoigner qu'elle est très solide. Cette démission doit donc nous amener à nous interroger, monsieur le ministre.
En conclusion, je soulignerai qu'il faudrait peut-être examiner de très près le contenu des programmes. En effet, j'observe que plus on déplore une baisse du niveau des élèves - qui n'est d'ailleurs pas démontrée -, plus les livres scolaires sont d'une difficulté et d'une prétention extrêmes.
M. Jacques Valade, président de la commission des affaires culturelles. C'est vrai !
M. François Fortassin. Il faut en tirer les conclusions. On ne peut pas demander à des adolescents ou à des jeunes gens de travailler sur des ouvrages qui rebutent les adultes !
Vous le comprendrez donc, monsieur le ministre, je ne peux pas voter votre projet de loi.
M. Jacques Valade, président de la commission des affaires culturelles. C'est dommage !
M. François Fortassin. Si, au hasard de l'examen des amendements, un certain nombre d'entre eux nous convenaient, nous pourrions, bien entendu, réviser notre position.
M. Jacques Valade, président de la commission des affaires culturelles. Belle ouverture !
M. François Fortassin. Sachez en tout cas, monsieur le ministre, que votre réforme rencontre une forte opposition. Vous pouvez peut-être avoir raison seul contre tous, mais vous devriez néanmoins tenter d'analyser certains de vos torts. (Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Luc Mélenchon.
M. Jean-Luc Mélenchon. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je vais vous parler d'enseignement professionnel, car les socialistes considèrent que cette voie d'enseignement constitue l'un des enjeux essentiels du débat éducatif pour les années à venir...
M. Jean-Claude Carle, rapporteur. Pour nous aussi !
M. Jean-Luc Mélenchon. ... et qu'elle n'a pas la place qu'elle devrait avoir dans notre travail législatif.
Auparavant, je dirai un mot du contexte dans lequel se déroulent les débats sur l'éducation en France.
Dans notre pays, école et République vont ensemble depuis la grande Révolution de 1789 et Condorcet. Les Français ont la passion de l'égalité, et c'est à l'école qu'ils confient le plus souvent la réalisation de cette passion.
Toutefois, égalité ne signifie pas nivellement, mais plutôt égalité des droits et des opportunités en proportion des efforts, du mérite et du talent. Il ne faut pas chercher d'autre explication au mouvement actuel de la jeunesse lycéenne, puisqu'il semble parfois que vous ayez du mal, monsieur le ministre, à en saisir le sens.
Alors, bien sûr, nous le savons, l'école ne peut annuler les inégalités que la société reproduit et creuse sans cesse. Je trouverais d'ailleurs vain et désespérant de le lui demander.
Il n'empêche que l'exigence égalitaire a été et reste féconde pour les Français. Elle nous a imposé d'agir en partant de l'idée que chaque jeune est éducable, que chaque jeune est capable du meilleur et que la société tout entière trouve son compte dans le perfectionnement humain de chacun.
Nous avons largement réussi en empruntant cette voie, que d'autres pays n'ont pas choisie : la République éducative a fait réussir la France, la place des Français dans les domaines d'excellence technique et culturelle en atteste. C'est le résultat concret des travaux de notre école.
Si nous avons l'une des économies les plus productives du monde, si nous sommes en tête dans tant de domaines techniques, scientifiques, culturels, c'est grâce à notre école. Ne le perdons jamais de vue !
Dès lors, comment comprendre que les premiers mots de l'exposé des motifs du projet de loi que vous nous soumettez dénigrent cette performance ? Et comment comprendre, mes chers collègues, que tant d'entre vous commencent par une sorte de constat désespérant qui, selon moi, n'a pas de raison d'être ?
Pourquoi dire que le budget de l'éducation ne cesse d'augmenter depuis des années, ce qui est vrai, sans amélioration des résultats concrets, ce qui est faux ?
M. Gérard Longuet, rapporteur pour avis. Si, depuis dix ans !
M. Jean-Luc Mélenchon. En 1989, la loi d'orientation de Lionel Jospin a permis une élévation extraordinaire du niveau d'éducation des Français. La part d'une classe d'âge accédant au niveau du baccalauréat n'a-t-elle pas doublé en dix ans ? (Exclamations sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Charles Revet. On peut toujours se faire plaisir, mais...
M. Jean-Luc Mélenchon. De 1985 à 1995, elle est passée de 35 % à 69 % !
M. Gérard Longuet, rapporteur pour avis. Sur cette période, c'est vrai, mais après ?
M. Jean-Luc Mélenchon. Le précédent doublement avait nécessité quatre-vingts années d'efforts ! C'est donc bien que les moyens qui ont été mis en oeuvre ont rencontré le succès.
Le plus remarquable, depuis 1989, ce sont les résultats considérables atteints dans la professionnalisation durable des jeunes et dans l'élévation du niveau de qualification de ceux qui sortent du système éducatif.
Le nombre de bacheliers professionnels n'a-t-il quadruplé ? Le nombre de titulaires de diplômes universitaires technologiques et de brevets de technicien supérieur n'a-t-il pas doublé ? Celui des titulaires de diplômes supérieurs d'études spécialisées n'a-t-il pas triplé ? Quant à la licence professionnelle, que nous avons créée il y a quatre ans, n'enregistre-t-elle pas les résultats en expansion vigoureuse que vous connaissez tous ?
Il y a eu une pause dans le progrès, certes, mais il n'y a pas eu de régression. Pourtant, les années que vous mentionnez comme des années de pause ont également été les années les plus dures, socialement, à maints égards. C'est en effet l'époque à laquelle nous avons à la fois connu un recul démographique et une augmentation du nombre des primo immigrants. Ce sont les années fric, les années strass et paillettes,...
M. Gérard Longuet, rapporteur pour avis. Les années Mitterrand !
M. Jean-Luc Mélenchon. ... au cours desquelles on a laissé croire à la jeunesse que tout pouvait s'acquérir sans effort.
Eh bien, pendant ce temps-là, nous n'avons pas régressé, nous avons continué à maintenir notre niveau de performance.
Enfin, on ne le dit jamais assez, le nombre des élèves qui sortent du système scolaire sans qualification n'a-t-il pas été réduit de plus de 35 % depuis 1989 ?
Certes, l'objectif de 100 % de qualifiés n'est pas encore atteint. Mais citez-moi un seul système éducatif dans le monde qui soit parvenu à 100 % de réussite ! Citez-en un seul qui, pour une population scolaire équivalente à la nôtre, soit parvenu à la capacité de notre système pour qualifier sa jeunesse.
Au total, si nous pouvons penser atteindre notre but, c'est grâce à l'outil éducatif qui nous a déjà permis d'acquérir ces résultats et non en dépit de lui.
Certes, le dénigrement peut être une politique. Je ne vous fais pas de procès d'intention à cet égard, monsieur le ministre : nous verrons bien si c'est la vôtre. Notre crainte est qu'il se passe à propos de l'école ce qui s'est déjà passé avec tant de nos services collectifs. Le dénigrement a en effet préparé les esprits à la fatalité d'un recours élargi aux services marchands.
Nous ne pouvons ignorer la pression qui s'exerce dans ce sens concernant l'éducation à l'échelon international à la lecture des documents publiés par la Banque mondiale, par l'OCDE et par le Fonds monétaire international.
Nous pouvons encore moins l'ignorer si l'on tient compte des analyses des investisseurs financiers qui pointent les 1 400 milliards de dépenses annuelles consenties par les Etats, dans les pays avancés, en faveur de l'éducation. Ceux-là veulent de toutes leurs forces qu'un système par capitalisation, baptisé « responsabilisation individuelle », vienne prendre la place de l'actuel système de financement par répartition, d'une génération sur l'autre, tel qu'il fonctionne à présent.
On connaît exactement les moyens prescrits pour passer de l'un à l'autre de ces systèmes : ils figurent en toutes lettres dans les recommandations des organismes que j'ai cités.
Pour formater un marché des savoirs, il faut d'abord autonomiser toujours plus les établissements scolaires de tous niveaux, notamment sur le plan financier. Il faut ensuite les mettre en compétition en étalonnant leurs résultats. Il faut, enfin et surtout, cantonner les obligations de l'Etat aux seuls âges de la scolarité obligatoire.
A l'aune de ce programme, votre projet de loi est politiquement correct. Je ne suis donc pas étonné que ce soit sur les voies technologiques et professionnelles que se concentre, selon moi, le non-dit le plus flagrant du texte en débat. Ce sont, en effet, les premiers savoirs que le secteur marchand vise.
L'acquisition de qualifications professionnelles est la condition sine qua non de l'accès au travail, car le niveau des pré-requis techniques et culturels de chaque métier ne cesse de s'élever et le nombre d'activités qui tendent à devenir des métiers, notamment dans l'aide à la personne, ne cesse de s'étendre. Nul ne peut s'en passer et, de fait, ce sont ces formations que le secteur marchand a déjà commencé à investir de toutes les façons possibles.
Actuellement, le secteur public de l'éducation assure la transmission gratuite de ces qualifications. Elles sont certifiées par l'Etat et reconnues dans les conventions collectives, qui leur font correspondre des niveaux de salaire. On comprend donc l'enjeu !
Si l'on juge ce texte d'après les actes que vous avez posés, on peut alors franchement se demander si vous n'êtes pas en train d'abandonner ce secteur du service public. Vous nous direz tout à l'heure ce qu'il en est vraiment de vos intentions...
Ce qui se passe dans l'enseignement professionnel secondaire est parlant. Même si elle est insuffisante, la demande des jeunes en la matière ne cesse d'augmenter. Les inscriptions en lycée professionnel sont en forte hausse, à rebours de la tendance générale de tout le second degré. Au total, les effectifs de jeunes inscrits dans l'enseignement professionnel dépassent aujourd'hui les 710 000 élèves, soit le niveau le plus élevé depuis 1995.
Pourtant, les moyens publics ne cessent de reculer depuis 2002 et plus de 2 000 emplois de professeurs des lycées professionnels sont supprimés dans les budgets de 2004 et de 2005.
La situation s'aggravera avec la chute de 40 % des recrutements de professeurs des lycées professionnels constatée en 2004.
Dans le même temps, vous annoncez que votre loi facilitera la mise en oeuvre du plan Borloo en faveur de l'apprentissage. Or ce plan se propose de ponctionner vers cette voie 150 000 jeunes actuellement scolarisés sous statut scolaire, puisque la classe d'âge est en recul et que l'on veut passer de 350 000 apprentis à 500 000 apprentis.
Ce bilan à grands traits éclaire les impasses que fait le projet de loi sur des questions clefs. Rien n'est dit sur les moyens mis en oeuvre pour augmenter la proportion de bacheliers professionnels parmi les jeunes qui parviennent au niveau du brevet d'études professionnelles mais qui sortent du système pour 50 % d'entre eux.
Rien n'est dit sur la rétribution des périodes en alternance ni, d'une façon générale, sur l'allocation d'études qui est indispensable pour ces jeunes : ce sont eux qui ont le plus besoin de cette aide pour continuer à étudier quand parfois 100 % d'une section d'enseignement professionnel travaille le soir et le week-end pour payer ses études ou pour faire vivre son couple et ses enfants, situation que nombre d'entre vous, élus locaux, connaissez parfaitement bien.
Rien n'est dit sur les moyens à mettre en oeuvre pour rendre réellement possible la transition du bac professionnel vers les classes de l'enseignement supérieur en section de technicien supérieur ou en institut universitaire de technologie, où l'on manque de monde. Je parle ici des moyens pédagogiques de préparation intellectuelle et des moyens matériels de la vie des jeunes.
Rien n'est dit sur le logement des jeunes, qui est pourtant la question clef de la mobilité vers les établissements scolaires professionnalisant, situation qui est ô combien soulignée par les suppressions massives de sections auxquelles vous avez procédé.
Rien n'est dit non plus sur la création de diplômes professionnels européens. Je ne parle pas du licence-master-doctorat, le LMD, qui n'a rien à voir ici sauf à constater la déstructuration des niveaux de qualification délivrés dans l'enseignement supérieur qu'il provoque et dont il ne sera pourtant pas question alors qu'il y a urgence.
Pourtant, le gouvernement de Lionel Jospin avait montré la faisabilité de tels diplômes européens. Pourquoi votre prédécesseur a-t-il abandonné tout cela au ministère du travail et consenti à ce qu'il en soit de même au niveau européen alors que le ministère de l'éducation nationale français en avait pris l'initiative et avait réussi à créer par ce moyen deux diplômes européens ?
Pourquoi n'en dites-vous rien vous-même, monsieur le ministre, vous qui avez déjà dit à plusieurs reprises votre intérêt pour ces questions ?
Pourquoi votre projet de loi n'évoque-t-il pas, même de manière allusive pour que l'on puisse s'y référer, la place des commissions professionnelles consultatives ? Elles sont cruciales dans notre système de certification. : ce sont elles qui fixent le contenu des diplômes professionnels. Pourquoi ne rien dire des moyens de leur modernisation ?
Pourquoi n'y a-t-il ni bilan ni projet concernant le grand répertoire national des diplômes auquel est dorénavant confiée la reconnaissance des certifications dans notre pays et dont la plupart de nos concitoyens ignorent jusqu'à l'existence ?
Pourquoi ne dites-vous rien du regroupement nécessaire sous une même autorité politique des établissements d'enseignement professionnel, aujourd'hui répartis entre divers ministères tels que ceux de l'agriculture, des transports, ou encore entre écoles professionnelles de diverses obédiences ministérielles dont la dispersion et le cloisonnement constituent à la fois un gâchis de moyens et une perte considérable d'opportunités, de transferts de savoir-faire professionnels et de techniques pédagogiques ?
Enfin, pourquoi, dans ce moment de sensibilité si grande à l'exigence laïque, ne dit-on rien de la nécessité d'une laïcité étendue à la protection de l'espace scolaire contre l'intrusion des marques, des logos et des sponsors, ces machines à abrutir et à conditionner l'esprit ? La laïcité n'est pas oeuvre antireligieuse, elle est oeuvre de liberté de l'esprit, de liberté de la conscience, quelles que soient les formes de conditionnement qui s'y opposent.
La liste pourrait être longue de tout ce qui est décisif et qui se trouve abandonné à je ne sais quelle main invisible du marché et de la technocratie réunis, tandis que tant de détails de niveau réglementaire vont encombrer notre discussion.
Pourtant, l'enjeu de la place du service public de l'éducation se joue sur ces questions, dont je conviens qu'elles sont certes très techniques... mais tellement politiques !
C'est la véritable question qui est posée au moment où l'Organisation mondiale du commerce, l'OMC, se positionne progressivement, avec l'Accord général sur le commerce des services, l'AGCS, pour « marchandiser » le secteur éducatif.
La loi de 1989 de Lionel Jospin avait une large ambition pour le service public de l'éducation. Elle englobait tous les aspects du parcours éducatif et qualifiant, et c'est, à mon avis, de cette manière qu'il faut travailler. Elle nous a permis de relever victorieusement les défis des années quatre-vingt-dix, les résultats globaux de notre économie en attestent. Sa dynamique n'est pas épuisée.
Vous, membres de la majorité, qui êtes confrontés au défi du creux démographique et des départs en retraite massifs, que proposez-vous afin de permettre le bond en avant des qualifications que cette situation impose ?
C'est à croire que vous cherchez plutôt à organiser la pénurie de personnels hautement qualifiés dont nous avons besoin. Il est vrai qu'alors le recours - mathématiquement nécessaire - à l'importation de main-d'oeuvre, selon le modèle anglo-saxon, s'imposerait. Vos amis libéraux pourront alors prétendre que la directive Bolkestein est un atout !
Non, décidément, on ne peut pas parler d'école sans parler de modèle de société ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Jacques Legendre.
M. Jacques Legendre. Monsieur le ministre, vous n'en serez certainement pas étonné - et je le dis à regret parce que, sur un sujet aussi important, j'aurais aimé que la bonne foi soit au rendez-vous sur toutes les travées (Murmures sur les travées du groupe socialiste) -, ...
M. Roger Karoutchi. Oui !
M. Jacques Legendre. ... quand une réforme émane de la partie droite de l'hémicycle, elle est généralement condamnée, quelles que soient les idées qu'elle développe.
Plusieurs exemples me viennent à l'esprit.
Christian Fouchet, dont beaucoup ont oublié qu'il fut ministre de l'éducation nationale, ...
M. Gérard Longuet, rapporteur pour avis. Mais non, nous n'avons pas oublié ! Il a aussi été député de Toul !
M. Jacques Legendre. ... ne pouvait pratiquement plus se déplacer dans un établissement scolaire de notre pays sans que sa visite soit considérée comme une provocation. Il se trouve que c'est lui qui avait inventé les collèges d'enseignement secondaire, les CES, et les instituts universitaires de technologie, les IUT. Qui, aujourd'hui, oserait condamner les IUT ?
M. Yannick Bodin. Les CES, oui !
M. Jacques Legendre. Par ailleurs, il y a trente ans - j'ose le dire, même s'il est dangereux de l'avouer (Sourires) -, j'ai été le rapporteur à l'Assemblée nationale de la loi Haby, qui organisait le collège unique.
Je connaissais bien M. Haby. La création du collège unique répondait - peut-être trop, d'ailleurs ! - aux théories de MM. Bourdieu et Passeron sur la reproduction sociale au sein de l'école : pour casser le phénomène de « reproduction », ces derniers considéraient qu'il fallait sortir des filières trop rigides du premier cycle du second degré et organiser le collège unique.
Cette mesure, qui aurait dû être favorablement accueillie bien au-delà des rangs de la majorité de l'époque, a provoqué anathème et manifestations, nous sommes plusieurs à pouvoir l'attester sur ces travées.
Monsieur le ministre, ne soyez donc pas étonné d'entendre que votre réforme, à son tour, provoque des oppositions ...
M. René-Pierre Signé. Il y en a beaucoup !
M. Jacques Legendre. ... et qu'elle mériterait d'être renvoyée en commission ou réétudiée à un moment certainement moins favorable.
Mais un autre souvenir m'inquiète considérablement.
Il y vingt-cinq ans, secrétaire d'Etat chargé de la formation professionnelle en collaboration avec M. Beullac, alors ministre de l'éducation nationale, ...
M. Jean-Claude Carle, rapporteur. Un excellent ministre !
M. Jacques Legendre. ... j'ai dû mettre sur pied un plan décennal de développement de la formation - c'était en 1980 - destiné à faire en sorte que plus un seul jeune ne sorte en 1990 du système scolaire sans une culture générale suffisante et une qualification professionnelle attestée. Eh bien, nous en sommes encore loin !
A l'époque, on parlait de 120 000 jeunes en grave difficulté. Les chiffres sont aujourd'hui toujours du même ordre. Or ces résultats interpellent aussi bien, il faut être honnête, les gouvernements de gauche que de droite ! Ils montrent qu'il était nécessaire qu'un nouveau débat se déroule devant l'Assemblée nationale et le Sénat et que la nation soit saisie de ce problème.
Ceux qui, désinformés, manifestent de bonne foi sans toujours savoir ce qu'il en est, sont justement ceux qui paieront les conséquences des dysfonctionnements et des incapacités de notre système.
M. Jacques Legendre. En prenant le problème à bras-le-corps, nous ne faisons que notre devoir.
Je ne veux pas dire par là que rien n'a été fait depuis vingt ou trente ans : ainsi, il est vrai que le nombre de bacheliers a augmenté ; je veux simplement dire que le problème le plus grave est celui des jeunes en difficulté, et aucun gouvernement n'a pu véritablement le résorber.
Au demeurant, quand on examine les résultats du baccalauréat, on constate qu'il y a quand même un problème. Ainsi, on dénombrait, certes, 500 000 bacheliers en 2003, dont 268 000 pour le bac général, 149 000 pour le bac technologique et 91 000 pour le bac professionnel. Mais que sont devenus ces bacheliers ensuite ?
Notre objectif, qui est également le vôtre, est bien qu'une grande majorité des bacheliers se dirigent ensuite vers l'enseignement supérieur. Mais là, c'est le massacre : 60 % de ceux qui y accèdent n'obtiennent aucun diplôme ! Nous faisons donc moins bien que nos voisins des Pays-Bas, d'Allemagne ou d'Espagne.
Le dire, ce n'est pas chercher à polémiquer ou s'en prendre à tel ou tel gouvernement, c'est simplement montrer la nécessité à laquelle nous sommes confrontés d'améliorer des résultats insupportables.
M. Gérard Longuet, rapporteur pour avis. C'est exact !
M. Jacques Legendre. Vous vous attachez, monsieur le ministre, à assurer à tous les jeunes la maîtrise d'un « socle commun ». Vous avez raison ! Ce souci est pragmatique et raisonnable. Cependant, il vous vaut deux critiques bien différentes.
Pour les uns, un peu méprisants, ce socle est insuffisant. Cette « culture partagée » - je préfère ce terme - n'est qu'un SMIC culturel. C'est oublier qu'il s'agit d'abord de garantir ce niveau à des jeunes qui, actuellement, ne l'atteignent pas, et de loin ... Comment peut-on réussir sa vie au XXle siècle quand on ne sait pas vraiment lire, écrire et compter ?
Le reproche qui vous est fait est d'autant plus injuste que le brevet, que vous avez entrepris de revaloriser, est là pour sanctionner l'acquisition de cette culture commune. Les objectifs chiffrés que vous prescrivez à l'effort national montrent bien que vous avez l'ambition qu'un maximum de jeunes aillent bien plus loin dans l'acquisition des connaissances.
D'autres constatent que le contenu de ce « socle » ne mentionne pas leur discipline. Ils craignent alors pour son avenir.
Il est pourtant évident qu'un socle ne peut pas tout contenir. Ne pas être inscrit parmi les fondamentaux ne porte pas condamnation de la matière ! Je pense ici aux inquiétudes exprimées par les professeurs des disciplines artistiques et je ne peux pas croire non plus - moi qui suis historien - que l'histoire-géographie ne trouve pas sa place parmi des connaissances sans lesquelles il n'est pas de citoyen ni de « culture humaniste et scientifique permettant l'exercice de la citoyenneté ».
Mais il ne s'agit pas seulement de débattre des contenus, il faut également être très attentif à la pédagogie mise en oeuvre.
En 1975, pour favoriser l'égalité des chances, on a décidé d'admettre tous les jeunes dans un collège unique, avec des classes hétérogènes. Je croyais à l'époque que, s'il était possible de fusionner des sixièmes de type lycée et de type collège, il serait peut-être plus discutable d'adjoindre à la même classe des élèves relevant de ce qu'on appelait alors le « type III ».
Nous savons maintenant que ces classes uniques des collèges n'ont pas donné les résultats escomptés, puisque des dizaines de milliers d'élèves sortent encore du système éducatif sans aucune formation et que les journées d'appel de l'armée recensent encore environ 6 % d'illettrés.
On nous répond maintenant qu'il s'agit pour l'enseignant de pratiquer une « pédagogie différenciée ». Certes ! Mais le professeur pourra-t-il réellement se démultiplier, différencier sa pédagogie ?
Et puis, de quelle pédagogie parle-t-on ? On nous parle d'une pédagogie « centrée sur l'élève ». L'expression est a priori sympathique, et l'on adhère à cette vision. Mais, concrètement, il s'agit de remplacer la leçon de grammaire par « l'observation réfléchie de la langue française ». Les écoliers doivent ainsi « comparer des éléments linguistiques divers pour en dégager les ressemblances et les différences ». Quitte à paraître totalement dépassé - et pour avoir été aussi professeur de français -, je crois qu'une bonne leçon de grammaire et une bonne dictée continuent à ne pas être inutiles, ...
M. Jean-Claude Carle, rapporteur. Très bien !
M. Jacques Legendre. ... notamment si l'on veut préserver la fonction d'« ascenseur social » de l'école.
Cette pédagogie est-elle efficace ?
Les pays anglo-saxons, qui ont pratiqué avant nous ces méthodes, en sont revenus. Ferons-nous de même ?
Allons-nous au moins laisser aux enseignants le choix des méthodes pédagogiques ? Les IUFM, où ils seront formés, assureront-ils la connaissance de plusieurs méthodes ou persisteront-ils à ne faire connaître que ce qui semble sur le point de devenir une pédagogie officielle ?
Les conseils pédagogiques d'établissement, que vous avez créés, sont sans doute utiles pour assurer une certaine coordination au sein de l'établissement. Mais comment concilier leur existence et le respect de la liberté pédagogique des enseignants ?
Quant à la nation, c'est sur le résultat qu'elle est en droit de juger le choix d'une pédagogie.
Il doit donc être clair pour tous que l'objectif est de permettre au maximum de jeunes l'acquisition des connaissances qui leur seront nécessaires et non de se conformer à telle ou telle idéologie « pédagogiste ».
En France, s'il est un domaine où les résultats ne sont pas satisfaisants - et, là aussi, je ne cherche à polémiquer avec personne -, c'est bien l'apprentissage des langues. D'ailleurs, par deux fois, en 1993 et en 2003, j'ai commis un rapport sur ce sujet, que j'ai soumis au Sénat. Il fut chaque fois adopté à l'unanimité !
Le constat est inquiétant sur deux points.
Premièrement, on constate un resserrement du choix des langues apprises. L'anglais et l'espagnol sont en position très dominante, tandis que recule l'allemand et que nous négligeons les autres grandes langues européennes ou celles des grands ensembles du XXIe siècle, y compris l'arabe.
Deuxièmement, le niveau atteint est tout simplement trop faible.
Votre projet, monsieur le ministre, prévoit des avancées significatives. Ainsi, commencer l'apprentissage d'une langue étrangère en CE1 est un incontestable progrès, et inscrire comme objectif l'augmentation de 20 % du nombre des élèves en allemand rendra à cette langue utile une partie du terrain perdu.
Pour ce faire, nous devons nous doter d'instruments capables d'assurer une véritable diversification du choix des langues. Dans chaque académie, une carte régionale des langues doit être élaborée avec tous les partenaires concernés - parents, écoles, collectivités locales, monde économique - et la continuité des filières doit être assurée.
En outre, il faut que le choix des familles dans le primaire soit précédé d'une véritable information sur les langues et cultures proposées. Il faut également tenir compte du souhait légitime de certains parents de voir proposer à l'école les langues régionales de France.
Et pourquoi ne pas inscrire aussi parmi nos objectifs l'augmentation de 10 % des élèves apprenant l'arabe, rappelant ainsi que cette langue a toute sa place au sein de l'école de la République - et c'est plus important là qu'ailleurs - et que la France entretient avec le monde arabe, où la francophonie est très présente, des relations de dialogue dans le respect et la réciprocité ?
L'école doit assurer à tous une culture générale suffisante. Elle prépare aussi à la vie professionnelle. Mais elle ne peut le faire efficacement que si elle fournit aux familles et aux élèves les moyens d'une orientation et d'une information professionnelles efficaces.
Il est bon que soient encouragés les échanges entre l'école et l'entreprise. Mais l'entreprise, dans cette période de concurrence âpre, n'a sans doute pas pour priorité d'apporter son concours à l'école. Dès lors, ne pourrait-on pas envisager une diversification de la formation et de l'origine professionnelle des conseillers d'orientation ? Ne pourrait-on pas davantage faire appel au service public de l'emploi, qui connaît bien les besoins locaux et nationaux et qui s'occupe de tous ceux qui viennent de sortir du système scolaire ?
L'orientation et l'information sont au coeur de la réussite scolaire. Il est bon, aujourd'hui, de le rappeler. Il n'y aura pas de réforme profonde de l'école si nous ne savons pas mettre en place un système d'orientation et d'information efficace !
Enfin, il me paraît nécessaire de prononcer ce mot qui sème la tempête : baccalauréat !
Il paraît, monsieur le ministre, que vous avez voulu réformer le baccalauréat ? J'avais cru comprendre que vous souhaitiez tout au plus réformer la façon de passer cet examen afin que cette lourde machinerie ampute le moins possible le temps consacré à l'enseignement. C'est une mesure que je peux comprendre. Et le recours au contrôle continu, qui donne déjà des résultats incontestés dans l'enseignement agricole, ne méritait pas le tohu-bohu dont certains se réjouissent !
J'ose dire cependant que cette réforme des modalités de passage du baccalauréat est accessoire. Vous avez choisi de la soumettre à nouveau à débat. Vous avez eu raison !
Mais il est un autre débat, beaucoup plus fondamental, dont nous ne pourrons plus faire longtemps l'économie : c'est celui qui porte sur le rôle du baccalauréat et sur l'articulation entre le second cycle du second degré et l'enseignement supérieur, puisque notre objectif est bien que le maximum de bacheliers aillent dans l'enseignement supérieur.
Quand on veut amener 80 % d'une classe d'âge au bac et 50 % d'une classe d'âge à un diplôme supérieur, on ne peut pas parler de l'école en faisant l'impasse sur ce qui se passe après. Et là, les chiffres sont accablants !
Il y a des causes à ces échecs, à ce « massacre des innocents » dans le premier cycle de l'enseignement supérieur. Elles sont à rechercher non seulement dans l'enseignement supérieur, mais aussi dans le second cycle du second degré.
Cet échec massif est un insupportable gâchis financier et humain, doublé de beaucoup d'hypocrisie sociale, car ceux qui réussissent sont souvent ceux qui savent, avec le bon bac, choisir la bonne orientation. Et tant pis pour les autres ! Cette situation n'est pas admissible.
Ne soyons pas trop fiers de nos objectifs proclamés - les fameux 80 % d'une classe d'âge au baccalauréat - si c'est pour conduire ensuite tant de bénéficiaires à l'échec.
Monsieur le ministre, cette loi ne réglera pas tous les problèmes, mais elle a le mérite de poser bien des questions et d'apporter - sur le socle des connaissances et compétences indispensables ou sur les langues, par exemple - des réponses intéressantes.
Nous attendons du Gouvernement qu'il poursuive l'action engagée sous votre impulsion, monsieur le ministre, et qu'il améliore en particulier l'articulation entre l'école et l'enseignement supérieur.
Aujourd'hui, malgré les critiques, sachez toutefois que nous sommes à vos côtés. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly.
Mme Catherine Morin-Desailly. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, au terme d'un débat national approfondi et d'une large concertation de plus d'un an réunissant plus d'un million de personnes, le rapport de la commission présidée par Claude Thélot avait suscité de grands espoirs et l'attente d'une véritable réforme de notre système éducatif. Une grande loi d'orientation et de programmation, refondant nos politiques éducatives pour les quinze prochaines années, avait été annoncée.
Sur cette priorité qu'est l'éducation de notre jeunesse, je crois que nous souhaitons tous une profonde évolution de notre système éducatif. C'est pourquoi nous ne pouvons qu'être aujourd'hui déçus par de nombreux points du texte proposé.
Ce dernier est en retrait par rapport aux travaux et aux conclusions de la commission Thélot, dont il faut saluer l'excellent travail. La grande loi sur l'école, annoncée par le Président de la République, ne montre pas, hélas ! suffisamment d'ambition pour construire l'école de demain. Beaucoup le déplorent.
Etait-il nécessaire de passer tant de temps à consulter, à débattre, à mobiliser autant d'énergies, à associer les parents d'élèves pour aboutir à un résultat en demi-teinte ?
Ce préambule étant posé, je voudrais tout de même souligner les éléments positifs de ce projet de loi.
C'est le cas, tout d'abord, du socle commun des connaissances et compétences indispensables, idée reprise du rapport Thélot. Il apparaît en effet utile de définir enfin ce qui doit être acquis par chaque élève en fin de scolarité obligatoire.
Cette question d'une culture commune à tous, d'un noyau dur de connaissances, est récurrente depuis une trentaine d'années. La mise en place du collège unique par la réforme Haby et la massification de l'enseignement ne se sont pas accompagnées d'une nécessaire définition des savoirs et savoir-faire à acquérir par tous les élèves.
Nombreux sont les experts qui ont depuis soulevé en vain le problème, entraînant un dysfonctionnement qui se traduit parfois par un décalage entre professeurs et élèves, quels que soient le sérieux et la compétence des uns et la bonne volonté des autres. C'est là le problème d'un système qui n'a pas su ou n'a pas pu porter la réforme jusqu'à son terme.
Ce socle commun doit être envisagé non pas comme un savoir minimal, mais comme un ensemble de compétences clés et de savoir-faire à acquérir tout au long de la scolarité. En cela, ces savoir-faire sont transversaux à l'ensemble des disciplines enseignées. Les élèves ont besoin, certes, de connaissances, mais aussi de méthodes d'apprentissage. Montaigne ne disait-il pas qu'il vaut mieux une tête bien faite qu'une tête bien pleine ?
Si l'on y réfléchit bien, cette proposition est révolutionnaire. Elle engage à repenser notre système éducatif, construit aujourd'hui sur des disciplines cloisonnées, intégrant peu l'épanouissement personnel des élèves dans ses objectifs.
Je regrette qu'à ce titre le socle n'inclue ni l'éducation artistique et culturelle ni la notion de maîtrise corporelle, car si l'école doit apprendre à penser, elle doit aussi développer la sensibilité et aider l'élève à être en harmonie avec lui-même et le monde.
L'autre aspect positif de ce projet de loi est le renforcement et la généralisation des dispositifs de suivi individualisé des élèves. Je pense ici au programme personnalisé de réussite scolaire, le PPRS, que notre commission propose de rebaptiser « parcours personnalisé », qui va dans le bon sens pour autant que sa présentation veille à ne pas stigmatiser les élèves en difficulté mais à les inscrire dans une démarche positive et valorisante.
L'échec scolaire ne pourra être réduit que si l'on passe d'un enseignement uniforme à un enseignement adapté à chacun. Permettre aux enseignants de repérer très tôt et de traiter en amont les élèves qui connaissent des difficultés d'apprentissage de la lecture ou de l'écriture et qui risquent de décrocher durablement du système scolaire est fondamental.
Il faudra cependant qu'avec ce programme soit réellement donnés aux enseignants les moyens d'enseigner sur la base d'apprentissages individualisés. Il est vrai que, pour l'heure, on ne voit pas très bien comment cela sera possible au quotidien avec des classes hétérogènes de plus de trente élèves généralement et présentant une grande diversité entre eux.
Le Haut conseil de l'éducation aura la délicate tâche de définir les contenus du socle commun et les programmes personnalisés de réussite scolaire, les PPRS.
Si l'objectif d'offrir une qualification et un avenir aux 150 000 jeunes abandonnés aujourd'hui en cours de route est louable et nécessaire, il faut, en corrélation avec ces ambitions, penser à l'évolution, à l'adaptation et à l'attractivité de ce beau et noble métier qu'est l'enseignement. Car une réflexion sur cette question manque cruellement dans le projet de loi d'orientation. Il est en effet regrettable que ce dernier ne définisse pas avec plus de précision les missions des enseignants et les moyens dont ceux-ci disposeront pour les remplir.
Profitons du renouvellement sans précédent des personnels enseignants - prés de la moitié d'entre eux partiront à la retraite dans les années à venir - pour traiter vraiment la question de leur formation. Je pense, bien sûr, à l'incitation des futurs enseignants au travail en équipe, à l'interdisciplinarité, aux pédagogies différenciées ainsi qu'aux relations avec les parents, les associations et les partenaires extérieurs.
Les conseils pédagogiques institués par le texte ne peuvent répondre que partiellement à cette demande.
Par ailleurs, au-delà de la simple réforme structurelle des IUFM, c'est à dire de leur rattachement aux universités tel qu'il est annoncé, pourquoi ne pas faire preuve de pragmatisme et ne pas répondre favorablement à la proposition qui consiste à mieux recruter et mieux préparer les futurs enseignants en basant leur formation sur une alternance « théorie-pratique » accrue, tel que l'UDF l'a fait préciser dans le rapport annexé à l'Assemblée nationale ?
Favoriser le plus en amont possible - ce qui n'est pas toujours le cas aujourd'hui - la présence des futurs enseignants dans les classes et les établissements les préparerait mieux aux réalités du terrain.
Des dispositifs accompagnant l'entrée dans le métier, avec des modules de « pré-professionnalisation » dès la licence pour ceux qui se destinent au concours, l'allongement de la formation initiale à deux ans, contre huit mois actuellement -cette mesure est réclamée par les directeurs d'IUFM -, et intégrant un concours en deux temps, l'un validant les savoirs disciplinaires, l'autre validant, après formation, les compétences professionnelles, nous semblent des propositions pertinentes.
Il faut aussi repenser la formation continue, élément indispensable pour s'adapter à un monde qui bouge. Les enseignants doivent pouvoir enrichir constamment leur pratique pédagogique. Si l'un des objectifs est, par exemple, la maîtrise des nouvelles technologies de l'information et de la communication, il faut permettre aux enseignants d'actualiser effectivement leurs connaissances dans ce domaine.
Il faut par ailleurs leur permettre de s'ouvrir à de nouvelles perspectives, proposées notamment au moment des évaluations académiques. Je pense ici aux possibilités d'évolution ou de reconversion ; face à l'usure du métier, il faut pouvoir offrir à ceux qui le souhaitent de nouvelles missions et jeter des passerelles vers d'autres métiers.
Enfin, il me paraît important de profiter de la discussion de ce projet de loi pour actualiser certaines fonctions et leur conférer un statut réel : je pense aux psychologues scolaires ainsi qu'aux directeurs d'écoles maternelles et élémentaires.
L'autre élément décevant à mes yeux de ce projet de loi, c'est l'absence de mesures fortes en faveur des zones d'éducation prioritaires.
Alors que la commission Thélot proposait une politique très ambitieuse en faveur de la mixité sociale, je regrette que le texte ne prenne pas suffisamment la mesure de l'enjeu représenté par les élèves socialement et culturellement défavorisés.
Réduire l'échec scolaire nécessite une politique de différenciation maîtrisée - le succès des classes-relais l'a prouvé -, c'est-à-dire une réduction volontariste, grâce à l'allocation de moyens renforcés, des inégalités territoriales et sociales.
Pourquoi, dans ce cas, ne pas recourir à des procédures spécifiques telles que la constitution d'équipes pédagogiques motivées, stables, et surtout formées, comme le seront, je l'espère, les équipes de réussite éducative ?
Il faut aussi favoriser la nomination d'enseignants aguerris et volontaires et privilégier des pratiques pédagogiques adaptées et innovantes ainsi que la collaboration avec les partenaires de l'école - services sociaux, justice, police -, car ce n'est pas à travers l'école seule que l'on arrivera à remédier au phénomène de la ghettoïsation.
Rapidement évoquées, telles sont les raisons pour lesquelles ce projet de loi, malgré certaines avancées, ne répond pas complètement aux attentes qu'il a suscitées.
Ce texte ayant été, dans un premier temps, présenté comme un projet de loi d'orientation et de programmation, il est dommage que son second volet semble avoir été évincé.
Le texte attendu devait devenir un élément moteur de notre système éducatif, permettant d'adapter les exigences nouvelles de l'enseignement et de la formation à un moment charnière ou près de la moitié des personnels enseignants va être renouvelée.
La philosophie même du texte qui nous est présenté peut poser question puisque ce dernier semble oublier le rôle prépondérant de l'école maternelle. En effet, si le socle des connaissances et compétences indispensables permet de penser à l'école et au collège ensemble, ce qui est positif, la maternelle est singulièrement absente de la réflexion, ce qui surprend lorsque l'on sait que tout se joue avant l'âge de six ans.
En conclusion, ce texte ne semble pas à la hauteur des vrais défis que notre école aura à relever. Il manque d'audace. C'est pourquoi je serai attentive au débat que nous allons avoir et au sort réservé aux amendements que moi-même et mes collègues défendrons. (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF ainsi que sur quelques travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Dominique Voynet.
Mme Dominique Voynet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, quand un peuple doute de son école, quand trop de ses enfants s'y sentent mal à l'aise, le risque de désordre est puissant pour toute la société.
Certains sourient, avec une indulgence un peu forcée, des manifestations lycéennes. Ils y voient - je pense pour ma part qu'ils se trompent - une sorte de rituel adolescent printanier, comme si les jeunes n'exprimaient pas un réel malaise face à l'école et à sa finalité, comme s'ils n'éprouvaient pas une vraie angoisse à l'idée que leur réussite scolaire - ou leur échec - décidera de leur vie tout entière, comme s'ils ne s'inquiétaient pas du rôle qui leur est assigné dans une société âpre et compétitive, alors que se rapproche le moment de quitter le système scolaire.
Notre responsabilité est d'entendre d'urgence ce qu'ils ont à nous dire, non par « jeunisme » ou par opportunisme politique, mais parce que se jouent là des choses fortes pour notre avenir commun.
Ce malaise, les spécialistes et les évaluateurs, rapport après rapport, en ont pointé les modes d'expression comme autant de symptômes : l'échec, la crise, le retrait.
Alors même qu'elle était en passe d'atteindre les objectifs quantitatifs que lui avait assignés la société française des années soixante, l'école a été secouée par la restructuration profonde de notre modèle de « vivre ensemble ».
Elle a été ébranlée par la crise des modèles anciens d'intégration sociale issus chez nous à la fois de la société industrielle et de la période d'après-guerre. Elle a, du coup, très largement cessé de fabriquer de l'égalité et de la cohésion pour devenir parfois en elle-même un facteur d'aggravation des inégalités. Plutôt que l'incarnation de la fraternité ou du mérite, elle est devenue celle du modèle dominant de la réussite : la compétition pour la survie et le chacun pour soi. Au lieu de liberté et d'enthousiasme pour le savoir, l'école s'est mise à produire la peur de ne pas y arriver.
Qui plus est, en dehors de moments de liberté pédagogique trop rarement arrachés à la dictature des fameux programmes, on s'ennuie trop souvent en classe. On apprend sans comprendre, ou parce qu'on comprend qu'il ne faut pas se poser de questions. On tente d'empiler des savoirs parfois contradictoires sans en saisir les enjeux. On accepte l'autorité parce qu'elle oriente et parce qu'elle sanctionne.
Apprendre à apprendre, de façon personnelle, n'est d'ailleurs pas officiellement un moment d'enseignement, pas plus que la capacité à coopérer, à résoudre des conflits ou à travailler en équipe. Et quand cela existe, on envisage de le supprimer sous d'étranges prétextes budgétaires.
Alors, des milliers de jeunes se retirent du système ou sont écartés du jeu. Ils viennent gonfler la statistique des « perdus pour l'école ». Trop souvent, et compte tenu de la place décidément très excessive qu'occupe toujours la formation initiale dans notre hiérarchie sociale, ils viendront plus tard gonfler les statistiques des exclus et des parias du travail.
Des milliers d'autres, mal orientés, tâtonnent, multiplient les allers-retours et les demi-échecs, le désolant « tir au pigeon » des deux premières années à l'université étant particulièrement édifiant à cet égard.
Bref, les commandes contradictoires auxquelles nous l'avons soumise, la difficulté que nous avons rencontrée à en redéfinir les missions, la crise de nos propres valeurs, ont transformé l'école française en un bateau sans pilote ni boussole, conduit par l'habitude ou la seule logique budgétaire, autrement dit par le propre poids de l'institution.
Le résultat est que la performance de notre système et la productivité de notre dépense nationale pour l'école ont sans doute reculé en Europe et que la sélection sociale scolaire est repartie à la hausse.
Chacun essaie donc de se frayer une voie en contournant le système, en exploitant les opportunités et les échappatoires. Dérogations diverses et cours particulier sont devenus un sport national. Pendant ce temps, les plus fragiles cumulent les facteurs d'échec et les retards.
Au moment où je prononce ces mots, je m'aperçois d'ailleurs qu'ils pourraient s'appliquer à notre système de santé. Comme l'hôpital, l'école s'enorgueillit de ses secteurs hyper-performants, mais elle ne parvient ici ou là à maintenir ses acquis et à cacher sa misère montante que grâce au dévouement de ses centaines de milliers d'agents : ils ont compensé l'empilement des consignes et l'inertie de leur hiérarchie face aux mutations par de l'énergie, du dévouement, de l'inventivité - beaucoup - et même parfois de la débrouille.
Un de nos grands problèmes, monsieur le ministre, est que cette inventivité n'est jamais valorisée, ni reprise, ni intégrée à la réflexion de tout le système.
Dans ces circonstances, ce que nos concitoyens attendent de la politique - et je crois qu'ils ont raison - ce n'est pas qu'elle se défausse, c'est qu'elle indique des lignes, qu'elle redonne du sens, qu'elle propose des priorités.
Hélas ! monsieur le ministre, vous n'avez rien pu, su ou voulu produire de tel et nous allons discuter pendant ces quelques jours d'une réforme qui n'en est pas une. Comme l'a dit de façon cruelle un observateur, le texte qui nous est proposé est un texte « sans foi ni loi ». (Protestations sur les travées de l'UMP.)
Sans foi parce vous n'amorcez aucun tournant fort, aucun changement courageux de direction. Votre projet ne provoque d'ailleurs aucun débat intellectuel, il laisse sans voix ceux qui consacrent un peu de passion à ce sujet.
M. Jacques Valade, président de la commission des affaires culturelles. Pourquoi intervenez-vous, alors ?
Mme Dominique Voynet. Sans loi parce que vous êtes probablement convaincu que le système est irréformable en raison de ses blocages supposés. Donc, en politique averti qui applique une consigne présidentielle - puisqu'il le faut -, vous avez choisi de « faire comme si ».
Je passe sur les ficelles les plus grosses, les milliards qui s'ajoutent aux milliards, les chiffres qui tombent pile et les colonnes qui s'équilibrent sur le papier : c'est un genre que pratique ce gouvernement avec une rouerie particulière. (Nouvelles protestations sur les travées de l'UMP.)
Il faut le reconnaître, monsieur le ministre, sur ce terrain, vous n'arrivez pas à la cheville de Jean-Louis Borloo, qui a fait très fort avec la loi dite « de cohésion sociale » !
M. Gérard Longuet, rapporteur pour avis. Il semble, monsieur le ministre, que ce soit là un compliment !
Mme Dominique Voynet. Mais, dans le secteur de l'éducation, où l'on a supprimé des dizaines de milliers de postes, cela se voit davantage encore.
Je passe sur les instillations hasardeuses et revanchardes, sur les mesures qui sentent l'encre violette : apprentissage de la Marseillaise dans le primaire, note de conduite au brevet, bourses d'excellence pour les pauvres méritants - à moins que ce ne soit pour les méritants pauvres... -, sans oublier le conseil d'utiliser de préférence des méthodes d'apprentissage de la lecture qui ont « prouvé leur efficacité » !
Mme Dominique Voynet. D'autres mesures sont nettement plus douteuses, comme l'obligation faite aux professeurs de remplacer les absences au pied levé, le rétablissement du redoublement sans appel possible...
Mme Dominique Voynet. ...alors que nous sommes déjà vice-champions d'Europe en la matière, juste après le Portugal, ou encore la nomination de professeurs de LEP en sixième, sans que rien ne soit dit de l'évolution de leur statut.
Bien d'autres points de votre projet posent problème. Il en est ainsi du traitement alambiqué de la bivalence des enseignants au détour d'une phrase sur la certification complémentaire,...
M. Jacques Valade, président de la commission des affaires culturelles. Parlons-en !
Mme Dominique Voynet. ... des dispositions qui flirtent un peu hypocritement avec le rétablissement des filières dès la troisième, ou de la désintégration programmée, sans fleurs ni couronnes, des IUFM. Leurs liens et leur synergie avec les universités méritaient pourtant une vraie réflexion !
Mme Dominique Voynet. Mais, ce qui est accablant, c'est de voir qu'au bout des quatre-vingt-dix-neuf pages du document vous n'avez pas voulu aborder les questions de fond. Fallait-il une loi pour définir un « socle commun des connaissances »...
Mme Dominique Voynet. ...ou mettre en place le « programme personnalisé de réussite scolaire » ?
Faut-il vraiment sortir de l'ENA pour dire, cent douze ans après la mort de Jules Ferry, que le but de l'école est de permettre à tous de savoir lire, écrire, compter, jargonner en anglais, lire un journal et utiliser une souris d'ordinateur ?
M. Gérard Longuet, rapporteur pour avis. Il faut sortir du suffrage universel pour le dire !
M. Charles Revet. Et il y a des moments où il faut le dire...
Mme Dominique Voynet. Faut-il avoir enseigné pour comprendre que l'on peut bien signer tous les contrats et tous les programmes que l'on veut, ceux-ci ne seront que des marqueurs stigmatisants de plus si l'on ne se pose pas la question des méthodes éducatives, des formes pédagogiques et, excusez la pédanterie, des processus cognitifs qui sont à l'oeuvre chez tous les élèves ?
Ce que le pays aurait voulu voir débattre, c'est cet ensemble de pistes largement mises en exergue dans la consultation organisée par votre malheureux prédécesseur et dont le rapport de conclusion est désormais soumis dans vos tiroirs à la « critique rongeuse des souris » !
Rien sur le redécoupage des matières et des savoirs pour tenir compte de l'évolution de la connaissance depuis vingt-cinq ans et pour donner une cohérence à nos enseignements.
Rien sur l'organisation des classes et des divisions, sur les rythmes et les temps scolaires pour progresser par cycles en tenant compte des aptitudes d'apprentissage et non plus par simples découpages annuels.
Rien sur la pratique du travail personnel et l'acquisition des méthodes, c'est-à-dire sur le partage des tâches entre les enseignants et les autres producteurs d'éducation dans et en dehors de l'école.
M. Roger Karoutchi. C'est dans la loi !
Mme Dominique Voynet. Rien sur les politiques territoriales d'éducation.
Rien sur le traitement différencié des grands lycées de centre-ville et des collèges de banlieue.
Rien sur les mécanismes d'orientation professionnelle pour les plus fragiles, au-delà des stages qui valident des échecs.
Rien non plus sur le sens à donner au métier d'enseignant et sur la recomposition en profondeur des carrières.
M. Roger Karoutchi. Vous n'avez pas la moyenne, monsieur le ministre ! (Sourires.)
Mme Dominique Voynet. J'en viens au dernier point de mon intervention, monsieur le ministre, le plus important sans doute : comment gouverner l'école ?
Vous avez sacrifié au rite de la forcément très Haute Autorité, si indépendante qu'elle sera désignée politiquement et qu'elle sera à la fois juge et partie de ses propres attributions.
L'idée même de démocratie scolaire ou de « parlement de l'école » vous terrifie sans doute. L'hypothèse d'un dispositif national et de dispositifs régionaux de copilotage associant enseignants, parents et professionnels de l'éducation capables d'examiner les conditions concrètes de respect des programmes nationaux dans le cadre de procédures décentralisées est sans doute un cauchemar pour vous, tout comme le sont une réforme du rôle des chefs d'établissement, un renforcement de la représentation des élèves, une refonte des inspections.
Monsieur le ministre, je prends donc acte que vous avez décidé d'être prudent et de ne rien troubler, que vous avez préféré n'aborder aucune des questions très sérieuses posées par la commission Thélot, tout en invoquant son travail à tout instant.
Je déplore que vous ayez fait le service minimum en vous contentant de donner quelques signaux à la partie la plus anti-soixante-huitarde de votre électorat et en chargeant la barque des enseignants, invités à colmater les brèches en en faisant toujours plus. (M. Roger Karoutchi s'exclame.)
Je me désole que vous n'ayez pas essayé de mobiliser les ressources du changement que sont, par exemple, la montée de nouvelles générations de professeurs, la qualité de nos recherches en sciences de l'éducation, la disponibilité des parents et des élèves.
Il est vrai que nous n'avons ni les mêmes contraintes ni les mêmes points de repère. Vous comprendrez donc que nous ne puissions évidemment accepter ni la lettre ni l'absence d'esprit de ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. René-Pierre Signé. Quelle philippique !
M. le président. La parole est à M. Christian Demuynck.
M. Christian Demuynck. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, principal pilier de notre pays, l'éducation nationale est le socle sur lequel s'est appuyée la République afin d'enseigner et de propager les valeurs qu'elle incarne et qu'elle porte en elle.
En plus de cent ans, l'école a permis d'élever le niveau de connaissance des Français, apparaissant ainsi comme un véritable vecteur d'intégration sociale et culturelle. L'école est le lieu où l'on apprend à vivre en société, dans un milieu encadré. Elle est en cela parfaitement complémentaire de la cellule familiale.
Malheureusement, cette école de la République n'existe plus et son rôle d'« ascenseur social » a quasiment disparu, au détriment des personnes les plus défavorisées. En effet, depuis une vingtaine d'années, notre système n'a pas réussi à se réformer et à s'adapter aux évolutions de la société. Et nous payons aujourd'hui le prix des réformes que nous n'avons pas réussies, ou pas eu le courage de faire lorsque cela était nécessaire.
J'aimerais penser, comme le soulignent certains, que cela est simplement dû à un manque de moyens, qu'il suffirait donc d'augmenter : si cette mesure permettait de sauver notre école et d'assurer l'avenir de nos enfants, aucune majorité, quelle qu'elle soit, ne s'y opposerait.
Mais ce n'est pas vrai, ce n'est pas simplement en augmentant le budget consacré à l'éducation que nous résoudrons le problème. La preuve : en vingt-cinq ans, les moyens ont été multipliés par deux et, en quinze ans, 130 000 enseignants supplémentaires ont été recrutés alors que, dans le même temps, le nombre d'élèves diminuait de 500 000.
La France est l'un des pays au monde qui consacre le plus de moyens à l'éducation, avec plus de 1 500 euros par habitant et par an. Pourtant, les résultats ne sont pas au rendez-vous. Il s'agit donc d'un problème beaucoup plus complexe que le simple manque de moyens ; un problème qui touche le fonctionnement même de notre système éducatif.
Aussi, je souhaite saluer le courage dont vous faites preuve, monsieur le ministre, en nous présentant ce projet de loi. Il est indispensable, car il répond à une impérieuse nécessité de réformer l'éducation dans notre pays.
Je regrette simplement que, sur un sujet aussi grave qui devrait recevoir l'assentiment de tous et entraîner un débat loin de toute idéologie partisane, certains aient refusé de participer aux discussions, préférant encourager la désinformation à de seules fins politiques.
Les manifestations d'élèves qui se sont succédé illustrent parfaitement la campagne de désinformation qui a été menée. En effet, j'ai eu l'occasion de rencontrer de nombreux jeunes ces dernières semaines et je n'ai pu que constater leur méconnaissance du texte puisqu'ils évoquaient pêle-mêle la suppression de l'école maternelle, la présence de policiers dans les écoles, le bac par établissement ou par département, la suppression de l'éducation physique et sportive ou des disciplines culturelles, certains, opposés au contrôle continu, continuant d'ailleurs de réclamer le retrait de la réforme du baccalauréat, alors que cette disposition n'est plus à l'ordre du jour.
Je remarque au passage que ces mêmes élèves souhaitaient le maintien des travaux personnels encadrés en terminale,...
M. Gérard Longuet, rapporteur pour avis. Qui relèvent justement du contrôle continu !
M. Christian Demuynck. ...qui, réalisés tout au long de l'année, sont pris en compte dans la note du baccalauréat dans le cadre, précisément, du contrôle continu ! Voilà un paradoxe qui laisse perplexe.
M. Gérard Longuet, rapporteur pour avis. Et ce n'est pas le moindre !
M. Christian Demuynck. En tous cas, quels qu'ils soient, ceux qui manipulent ces jeunes à des fins politiciennes ne sont dignes d'aucun respect. (Protestations sur les travées du groupe socialiste. - Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)
M. Gérard Longuet, rapporteur pour avis. C'est vrai !
M. Christian Demuynck. Cependant, les revendications de ces jeunes ne doivent pas nous laisser indifférents. En effet, elles sont le reflet de leurs inquiétudes, de leurs craintes de l'avenir et du chômage. II faut entendre, comprendre, aider les jeunes, même si le côté « rebelle » ou la participation à la contestation dans le cadre de manifestations peut agacer.
Pour les aider, il faut leur expliquer ce que pourrait être leur avenir, en leur proposant un système d'orientation efficace. Nous sommes, en effet, un pays extraordinaire où les structures d'orientation sont diverses et multiples : conseillers d'orientation, CIO, points information jeunesse, missions locales, organismes mis en place par les collectivités...
Malgré tout, c'est le parcours du combattant au moment du choix de l'orientation, car aucun document ni personne n'explique les prospectives ou les perspectives d'emploi par filière. Aucune structure n'est capable de donner une information complète, et nous laissons des jeunes s'engager dans des filières qui leur offrent la quasi-certitude d'obtenir un diplôme ouvrant droit au chômage.
Je pense par exemple à tous ces jeunes qui s'engagent dans la filière écologique, qui obtiennent une licence de gestion des ressources environnementales et se retrouvent au chômage parce que personne ne leur a dit qu'ils avaient peu de chance de trouver un emploi à l'issue de leurs études. Et ce qui est valable pour l'environnement l'est aussi pour d'autres filières !
En revanche, dans la fonction publique, il existe des gisements d'emplois considérables. En tant que maire, monsieur le ministre, je peux vous dire que j'ai beaucoup de mal à recruter des cadres responsables des services techniques, des finances, des ressources humaines, ou bien des maîtres nageurs, des policiers municipaux, des plombiers, des menuisiers. Quant à la filière sanitaire et sociale, les difficultés sont telles que nous sommes toujours à la limite des règles de sécurité.
Je pense donc qu'il serait intéressant d'instaurer un livret d'information professionnelle destiné à l'ensemble des élèves et regroupant les perspectives d'emplois de chaque filière. Ce livret pourrait être élaboré par le Haut Conseil de l'éducation, en collaboration avec les organisations professionnelles. II serait mis à jour tous les ans et présenté aux élèves de troisième et de terminale par le personnel des CIO, afin de les aider à faire leur choix.
Je tiens également à saluer le caractère social du projet que vous nous présentez, monsieur le ministre. En effet, l'une des principales mesures du texte vise à majorer le montant des bourses au mérite de 30 % et à en multiplier le nombre par trois, ce qui permettra d'encourager et d'aider les bons élèves dans la suite de leur parcours.
Le programme personnalisé de réussite scolaire est également un bon moyen de venir en aide aux enfants qui ne possèdent pas les connaissances fondamentales, ces derniers pouvant désormais bénéficier d'un soutien scolaire adapté à leurs difficultés.
L'un de nos collègues prétendait tout à l'heure que cette mesure serait sans effet. Je peux pourtant vous dire que l'expérience réalisée dans ma ville avec des jeunes en difficulté et des professeurs volontaires a montré qu'en quelques semaines ces jeunes réussissaient à intégrer le cursus normal de leur formation.
Car, nous le savons bien, un enfant qui ne possède pas les bases suffisantes au début de sa scolarité se sentira mal à l'aise à l'école et y mettra de la mauvaise volonté. Ce sont souvent les élèves en difficulté qui perturbent la classe afin de se faire remarquer et de se distinguer des autres, ce que leurs résultats ne leur permettent pas.
Aussi, si nous voulons éviter de tomber dans un tel écueil, il est primordial de ne pas laisser un enfant en situation d'échec s'enliser sans rien faire. Mais une telle démarche ne peut être réellement efficace que si les évaluations des enseignants font l'objet d'un suivi personnalisé de l'élève.
C'est sur ce point que je tiens à attirer votre attention, monsieur le ministre. En effet, les évaluations, pour être pertinentes, doivent être régulières et prendre en compte l'évolution des résultats de l'élève tout au long de l'année. Oui, l'évaluation est indispensable, comme le souligne le rapport annexé, si nous voulons détecter les enfants en difficulté.
Une telle évaluation est également nécessaire pour les enseignants.
M. Adrien Gouteyron. Très bien !
M. Christian Demuynck. En l'espèce, je pense que la notation des intéressés doit davantage tenir compte du travail qu'ils fournissent et des résultats qu'ils obtiennent avec leurs élèves. En effet, aujourd'hui, les enseignants sont très rarement inspectés et leur note est liée non pas à leur valeur pédagogique mais à leur ancienneté.
Ce système désespère les enseignants de qualité, qui sont, quoi que l'on en dise, très nombreux. Car celui qui reste après les cours, qui élabore un projet, qui reçoit régulièrement les parents, n'est pas mieux noté ni plus reconnu que celui qui se contente d'assurer simplement ses heures.
Il n'est pas non plus de bonne gestion qu'à sept ans de la retraite les professeurs atteignent leur notation maximale, sans perspective d'évolution. Il convient, monsieur le ministre, de changer ce système désespérant, démotivant et injuste : certains d'entre eux m'ont fait part, lors de réunions que j'ai organisées dans mon département, de la perte de motivation qui pouvait se faire jour après de nombreuses années d'enseignement.
En la matière, nous devrions développer des passerelles à l'intérieur de l'éducation nationale, mais aussi avec le reste de la fonction publique, afin de leur donner la possibilité de se réorienter s'ils le désirent. Car, nous le savons, un enseignant qui n'est pas motivé aura davantage de mal à capter l'attention des élèves, à les intéresser, et donc à être un bon pédagogue.
Enfin, je tenais à dire un mot de la multiplication des violences à laquelle nous assistons depuis plusieurs années dans les établissements. Et, en tant qu'élu de Seine-Saint-Denis, je suis particulièrement concerné par ce sujet.
Il est inadmissible que, aujourd'hui, l'école ne soit plus un rempart contre la violence et que les élèves se sentent menacés lorsqu'ils s'y rendent.
Disant cela, je ne fais là que reprendre les mots des chefs d'établissement, des enseignants et des parents d'élèves que j'ai rencontrés lors de l'élaboration du rapport que je vous ai remis, monsieur le ministre, au mois de juin dernier.
Je suis d'ailleurs heureux de constater que le rapport annexé à votre projet de loi prévoit de quintupler le nombre des dispositifs relais qui prennent en charge temporairement les élèves difficiles avant de les réintégrer dans leur cursus habituel.
Cependant, il faudrait compléter cette disposition en augmentant le nombre d'internats dans les établissements, et ce en collaboration avec les collectivités locales concernées. En effet, si nous voulons aider les enfants qui vivent dans un environnement familial difficile, il est indispensable de les extraire de leur milieu pour qu'ils suivent leurs études dans de meilleures conditions.
En conclusion, même s'il est perfectible, comme tous les textes, ce projet de loi est fondamental pour l'avenir de notre école et pour le devenir de nos enfants. Et je tenais une nouvelle fois à vous faire part, monsieur le ministre, de mon soutien total.
Il n'est pas aisé de préparer un projet de loi sur l'école, chacun ayant son idée sur ce qu'il faudrait changer. Les enseignants souhaitent souvent davantage d'autonomie, les parents, eux, désirent être plus associés à l'éducation que reçoivent leurs enfants à l'école.
Nos collègues de l'opposition savent, d'ailleurs, combien il est difficile de rédiger un texte qui satisfasse tout le monde. Ils ont beau critiquer celui que vous nous présentez aujourd'hui, monsieur le ministre, ils étaient confrontés aux mêmes oppositions, aux mêmes craintes, lorsqu'ils étaient au pouvoir.
Ils nous reprochent de ne pas avoir ouvert le débat sur ce thème : pourtant, plus de 26 000 réunions se sont tenues sur l'ensemble du territoire, réunions auxquelles ont participé plus d'un million de Français. Nous ne pouvons donc pas dire qu'il n'y a pas eu de débat ou de discussion : c'est un faux procès. (Mme Dominique Voynet s'exclame.)
La gauche nous reproche également de passer en force, en déclarant l'urgence sur ce texte. Pourtant, Lionel Jospin n'a-t-il pas agi de la même façon lorsqu'il était ministre de l'éducation nationale en 1989 ? Je crois décidément que certains ont la mémoire courte ! (Protestations sur les travées du groupe socialiste.)
M. Jacques Valade, président de la commission des affaires culturelles. C'est exact !
M. Jean-Claude Carle, rapporteur. C'est vrai !
M. Christian Demuynck. Non, ce projet ne met pas l'école en danger. Non, il n'y aura pas de baisse du budget de l'éducation nationale. Au contraire, ses auteurs préparent l'école des vingt prochaines années et se donnent les moyens de leurs ambitions !
Ce projet de loi est indispensable. Quoi qu'il se passe dans la rue, monsieur le ministre, nous savons que nous pouvons compter sur vous pour tenir bon ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Françoise Férat.
Mme Françoise Férat. Monsieur le président, monsieur le ministre, messieurs les rapporteurs, chers collègues, avec l'examen de ce projet de loi d'orientation pour l'avenir de l'école, le Sénat a la possibilité de poursuivre et de concrétiser certaines des orientations du grand débat national organisé à la demande du Président de la République.
De cette consultation sans précédent, nous retiendrons surtout les huit programmes d'action élaborés par la commission Thélot : la refonte de la scolarité obligatoire, les voies de formation au lycée, la définition du projet scolaire par les élèves, la mixité sociale, la capacité d'action des établissements, le métier de professeur, la place des parents et le rôle des partenariats.
Je regrette que les pistes ébauchées par ladite commission n'aient pas été davantage reprises dans le présent projet de loi. Je me réjouis, en revanche, que la « maîtrise d'un socle commun », idée qu'elle avait proposée, figure dans le texte qui nous est soumis.
Grâce à cette nouvelle approche, la collectivité ne fixe plus seulement des taux de réussite, mais invite désormais l'école à délivrer le niveau de connaissances indispensable à la réussite de l'élève, pour sa vie tant personnelle que professionnelle.
Ainsi, aux termes de l'article 6, ce socle comprend la maîtrise de la langue française, des principaux éléments de mathématiques et des nouvelles technologies. Il comprend également la pratique d'au moins une langue étrangère ainsi qu'une culture scientifique et humaniste.
Je suis favorable à cette orientation. Pour autant, il me semble qu'elle pourrait utilement s'ouvrir sur un autre enseignement tout aussi indispensable à l'épanouissement personnel : celui de l'histoire et de la géographie. En effet, comment espérer que chaque individu atteigne un parfait accomplissement dans sa vie citoyenne si l'apprentissage des fondements de notre civilisation n'est pas inscrit officiellement dans le socle des connaissances indispensables ?
Ce point fera l'objet d'un amendement que je vous soumettrai.
Monsieur le ministre, j'axerai mes propos sur la place réservée aux langues vivantes étrangères.
Force est de constater qu'elle est particulièrement choisie. En effet, la définition du socle et le paragraphe consacré à la dimension européenne confirment la détermination de la France à rattraper son retard dans le domaine de la maîtrise des langues, passeport culturel obligatoire pour devenir un individu professionnellement mobile.
Le défi à relever est tout aussi important qu'il est difficile.
Nombreux ont été les cris d'alarme, nombreuses ont été les propositions sans que nous puissions pour autant percevoir de véritables améliorations.
À ce titre, les excellents travaux de notre collègue Jacques Legendre nous éclairent sur les faiblesses récurrentes de notre système éducatif. Interpellé par ces carences, il avait présenté en 1994 un véritable plaidoyer en faveur de la diversification des langues vivantes et de l'efficacité de leur enseignement.
Huit ans après, en dépit d'avancées perceptibles, un nouveau rapport est venu, dans le cadre du grand débat national sur l'école, répondre à une inquiétude qu'il a qualifiée de « renouvelée ».
Le resserrement de l'offre linguistique et l'insuffisante mobilisation en faveur de l'apprentissage des langues étrangères demeurent autant de sujets de préoccupations en France.
Pourtant, ces exigences sont importantes et elles le seront d'autant plus après le prochain élargissement de l'Europe, creuset dans lequel cohabiteront des centaines de millions de citoyens aux moeurs et aux coutumes différentes.
Or seul l'échange oral leur permettra de se découvrir mutuellement, d'échanger leurs savoirs, leurs connaissances, leurs expériences.
Comme le précise une communication de la Commission européenne en date du 24 juillet 2003, « le citoyen doté de bonnes compétences linguistiques est mieux équipé pour profiter de sa liberté de travailler ou d'étudier dans un autre Etat membre ».
Ce plan d'action, qui entend généraliser sur notre territoire l'idée actée à Lisbonne en 2000 d'une Europe de la connaissance, constitue donc une base de propositions permettant à chaque pays membre de prendre des mesures concrètes afin de promouvoir l'apprentissage des langues et la diversité linguistique.
D'importantes similitudes sont d'ailleurs à noter entre ces orientations et les principes d'action affichés dans ce projet de loi.
Au cours de sa scolarité obligatoire, chaque élève suivra ainsi un enseignement de deux langues étrangères. En outre, l'apprentissage de l'une de ces deux langues sera anticipé pour commencer dès le plus jeune âge, puis sera ensuite intensifié au collège par l'appropriation d'une seconde langue, progressivement proposée dès la cinquième ; il sera enfin complété dans le cadre des formations dispensées dans l'enseignement supérieur.
En complément, le rapport annexé fait état de nombreux exemples attestant d'une politique volontariste d'apprentissage linguistique : regroupement des élèves par paliers de compétences, groupes dédoublés en terminale, opérations « école ouverte en langues », développement des sections européennes et internationales, jumelage, correspondant étranger pour chaque collégien, appui aux établissements pour organiser des projets dans le cadre des programmes européens, formation des enseignants.
Cependant, l'expérience m'incite à faire preuve de plus de réserve. En effet, cette litanie d'actions appelle des moyens financiers qui, bien que relevant de la loi de finances, devraient apparaître, tout au moins à titre symbolique, dans ce texte !
Ainsi, derrière chaque proposition se cache souvent une réalité différente. Devons-nous nous réjouir de la multiplication des sections européennes et internationales sans même nous demander si elles ont actuellement les moyens humains et matériels de respecter le cadre imposé ? Je ne le crois pas, monsieur le ministre, mais peut-être me contredirez-vous sur ce point.
Souhaitant vivement l'efficacité tout autant que l'effectivité des actions évoquées dans le rapport annexé au présent projet de loi, je vous proposerai un nouvel amendement visant à réaliser, dans le cadre d'un rapport à remettre au Parlement, une évaluation qualitative et quantitative des programmes actuellement mis en oeuvre.
C'est donc à l'aune de nos débats à venir et de la bienveillance avec laquelle seront étudiés mes amendements...
M. Jean-Claude Carle, rapporteur. Ils seront étudiés avec le plus grand intérêt !
Mme Françoise Férat. ... et ceux de mon groupe que je me déterminerai sur ce texte. (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF.)
M. le président. La parole est à M. René-Pierre Signé.
M. René-Pierre Signé. Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, l'école est une institution centrale qui pose des défis majeurs puisqu'elle détermine l'avenir de chacun de nos concitoyens comme celui de notre société tout entière.
C'est dans chaque établissement, jour après jour, que l'école se construit. Là réside la difficulté des enjeux, et je salue le travail quotidien des enseignants, du personnel d'encadrement et des personnels techniques.
Pour autant, si cet avenir dépend des enseignants - je souligne au passage la qualité de leur engagement -, il dépend également des décisions prises par les politiques.
Une loi d'orientation se doit de fixer les missions du service public, ses objectifs et les moyens à attribuer pour éduquer et pour former.
Le projet de loi qui nous est aujourd'hui présenté pourrait faire l'unanimité, mais dans un sens négatif ! Pour s'en convaincre, il n'est nul besoin d'écouter la rue, où les lycéens manifestent leur refus, car d'autres protestations s'élèvent chez les parents d'élèves, les enseignants, les élèves et les élus.
Bref, un large consensus apparaît pour rejeter les propositions telles qu'elles sont formulées.
Que peut-on reprocher à ce projet de loi ? Beaucoup !
D'abord, il arrive au pire moment : 85 000 postes manquent dans le secondaire. Dans la petite ville de Château-Chinon, deux postes et demi d'enseignants sont supprimés sur les six suppressions prévues dans la Nièvre ; la perte d'effectif atteint 2 % au collège, soit 10 % de baisse de la dotation globale horaire. En conséquence, la classe de troisième d'insertion a été supprimée.
On a oublié, ou cassé, le plan pluriannuel de recrutement pour la sempiternelle raison de la baisse des effectifs, alors qu'un encadrement plus dense devient impérieusement nécessaire.
Les aides éducateurs, les surveillants sont partis faute de nouveaux contrats ; les infirmières, les assistantes sociales, les médecins, les TOS même, alors que les bâtiments doivent être entretenus, sont, de façon affligeante, en nombre insuffisant.
L'appel au remplacement par d'autres enseignants n'est que la résultante du non-renouvellement des contrats à durée déterminée des professeurs contractuels.
Par ailleurs, faut-il en revenir à cette notion passéiste, que l'on perçoit comme un reproche sous-jacent, de rachat nécessaire par le biais du redoublement ? Le redoublement ne traite que les conséquences et jamais les causes des inégalités !
Faut-il mettre en place une sélection précoce, qui nous éloigne de l'égalité des chances ? De nombreuses propositions contenues dans ce projet de loi semblent procéder d'un tel choix : la réforme du bac, heureusement repoussée, la suppression des TPE en terminale, privant les élèves isolés de passerelles de convergence avec l'université.
A juste titre, l'échec scolaire pèse comme un fléau. Faute de moyens, l'école ne peut adapter son enseignement à certaines catégories d'élèves, ni surtout corriger les inégalités sociales, ressenties douloureusement à l'école. Elle ne peut pas davantage corriger les disparités territoriales qui engendrent aussi des inégalités et affectent la cohésion sociale.
Pour palier l'échec total, vous exigez un socle minimum de connaissances assez restrictif, aux choix limités et fort incomplets. C'est mieux que rien, monsieur le ministre, mais c'est une exigence de niveau CM2 assez peu ambitieuse !
Que peut envisager l'élève ainsi nanti, sinon entrer dans des filières à l'avenir incertain ? Il est vrai que l'on peut espérer, sans trop y croire, que le contrat individuel éducatif viendra apporter une solution salvatrice.
La manifestation de Guéret, mobilisation impressionnante traduisant le mal-être, le mal-vivre de la ruralité, devrait donner à réfléchir : « non » à la suppression des écoles, mais, au-delà, « non » aux disparités d'enseignement pour des élèves qui ont le tort de vivre à la campagne, où manquent les structures périscolaires. Les écoles n'ont-elles pas dû attendre le financement des communes pour être informatisées ? Quelles sources de disparités rencontre l'enseignement dans les zones rurales !
L'école doit apporter à tous le savoir, mais elle doit également développer l'intelligence, la curiosité intellectuelle, former à la citoyenneté, favoriser l'insertion professionnelle. Mais l'école rurale en a-t-elle les moyens ? Peut-on s'instruire et progresser aussi facilement si l'on est moins sollicité, si l'émulation est moindre et si, a fortiori, certaines matières ne sont pas proposées ?
On a parlé tout à l'heure de l'apprentissage des langues, mais l'enseignement musical, qui me tient particulièrement à coeur, est bien oublié. Il ouvre pourtant l'une des portes de la culture, de la citoyenneté et permet une prise de conscience sociale. Toutefois, en France, cet enseignement est essentiellement basé sur la pratique instrumentale, qui est fort coûteuse, avec, en préalable, l'enseignement rébarbatif et rebutant du solfège.
Les écoles de musique que financent les collectivités locales les moins impécunieuses ne sont que source d'échec : sur cent violonistes, un demi à peine fait carrière ! Le vrai enseignement musical doit être, monsieur le ministre, vocal. Mieux que l'instrument, c'est le chant, le chant choral, qui enseigne la musique et lui donne son attrait. (Mme Gisèle Printz applaudit.)
Les pays de l'Est l'ont compris et affichent de belles réussites. En Hongrie, par exemple, on ne peut être institutrice sans être musicienne et sans avoir été formée au chant choral et une école sur dix est une école musicale.
Le langage musical s'apprend en chantant, tout comme le solfège. Développons l'enseignement musical par la voix, exigeons-le dès l'école primaire. Ce n'est ni impossible ni coûteux.
Quoi qu'il en soit, on ne sent pas, dans le démantèlement programmé des services publics, que l'école rurale ait le vent en poupe, même si les regroupements pédagogiques bénéficient d'une mesure de grâce. Mais pour combien de temps ?
Pourtant, l'école doit avoir un programme unique sans zones d'ombre puisqu'elle est le lieu de tous, un lieu pour tous. L'éducation est un objectif commun, et chaque acteur doit réussir individuellement, avec le soutien des autres. Et, si les professeurs ne sont pas les seuls possesseurs des savoirs puisque la télévision, les ordinateurs, les valeurs marchandes peuvent brouiller les messages, ils restent cependant la référence.
Quant à l'école maternelle, autre maltraitée, elle a une mission spécifique et doit être distincte de l'école élémentaire. On a déjà supprimé les inspecteurs des écoles maternelles, qui se sont fondus dans le groupe des inspecteurs départementaux de l'éducation nationale, les IDEN, première atteinte - mais il y en aura d'autres - à sa spécificité.
L'école maternelle joue dans l'enseignement un rôle original et essentiel que l'on ne prend pas suffisamment en compte. Elle se doit d'ouvrir ses portes aux enfants de deux ans. Et il est à noter que se sont élevées à Guéret des protestations émanant d'habitants de Seine-Saint-Denis, dont les préoccupations semblent les mêmes s'agissant de l'admission tardive des enfants. En effet, n'ouvrir l'école qu'aux enfants âgés de trois ans, c'est leur faire perdre au moins une année et leur imposer un retard qui ne se rattrapera pas.
Prétendre que l'école n'est qu'une simple garderie à deux ans, c'est méconnaître le travail d'éveil intelligent que dispensent les maîtres, ou en faire fi : on sait que tout enfant a un capital cognitif que l'on doit développer entre zéro et six ans. C'est la période la plus fertile.
Il faut soutenir l'enfant dès son jeune âge pour réduire, si on le peut, les inégalités criantes entre les enfants qui sont sollicités par leurs parents et ceux que nourrit seulement une culture de rue ou de télévision.
M. Jacques Valade, président de la commission des affaires culturelles. Nous sommes d'accord !
M. René-Pierre Signé. Dès la maternelle, on doit détecter les difficultés qui apparaissent, ou vont apparaître chez certains élèves et on doit peut-être leur proposer un enseignement différent.
Mettre l'école au coeur de la nation, c'est rassembler les jeunes dans une même citoyenneté et mettre fin au gâchis que représente l'échec scolaire dans une société à la recherche de cohésion sociale.
Cette école, au coeur de la nation, doit être la même partout : ni ghettos urbains ni ghettos ruraux, ni école de l'échec ni école à deux vitesses. C'est tout simplement une référence laïque et, comme le disait Condorcet, ce qu'il faut former, ce sont non pas des virtuoses, mais des hommes et des citoyens. Et qui dit citoyens dit citoyens libres et égaux, citoyens qui ont les mêmes chances. Doivent être ainsi privilégiées la promotion, la prévention et non pas la notion de réparation, pour ne pas dire de rédemption.
Il conviendrait d'aller vers un vaste service public qui offre, en termes de construction scolaire, de recrutement, de formation, les mêmes possibilités à toutes les écoles, l'accès à la culture de façon égalitaire, des activités diverses, artistiques, sportives, toutes éducatrices et formatrices.
Les dispositions introduites par ce projet de loi d'orientation n'apportent des perspectives exaltantes ni pour le monde éducatif ni pour les élèves, en particulier en zone rurale. Certes, des objectifs exigeants sont affichés, mais les moyens d'y parvenir restent flous et contestables. Faute de cohérence, ces objectifs resteront au stade de l'intention.
L'école a besoin d'avoir un cap et des moyens, elle n'a besoin ni d'une orientation élitiste ni de coupes budgétaires. L'école dessine notre avenir, il faut la considérer avec égards et respect, toujours et partout, à tous les âges de la vie scolaire et dans tous les territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. Jean-Paul Virapoullé. Amen !
M. le président. La parole est à M. Adrien Gouteyron.
M. Adrien Gouteyron. Monsieur le ministre, on a entendu beaucoup de choses, ici et ailleurs ; laissez-moi à mon tour exprimer mon étonnement face aux critiques qui vous ont été adressées.
Jacques Legendre a rappelé tout à l'heure ce qui s'est passé voilà quelque temps, j'allais presque dire quelques décennies. Moi qui ai la chance de pouvoir comparer ce qui se passe aujourd'hui avec ce qui se passait lorsque je n'étais pas encore parlementaire et que j'occupais d'autres fonctions, ...
M. René-Pierre Signé. Aujourd'hui, cela s'aggrave !
M. Adrien Gouteyron. ... je puis vous dire que je suis frappé par la permanence du vocabulaire, des formules, des critiques,...
M. Roger Karoutchi. Exactement !
M. Adrien Gouteyron. ... et par le refus de l'évolution. C'est assez extraordinaire ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)
Le monde de l'éducation, ou du moins certains des éléments qui le composent, s'agite beaucoup, mais avance très peu.
M. Yannick Bodin. C'est vrai !
M. Adrien Gouteyron. Comme vous l'avez dit dans votre propos introductif, monsieur le ministre, je crois qu'il est nécessaire de fixer de temps en temps un cap.
C'est ce qui a été fait, pour ne citer que quelques grandes dates, en 1975 avec la loi Haby, en 1989 avec la loi Jospin, puis cette année avec vous.
Oui, notre pays a besoin que soit fixé un cap, cela correspond à une nécessité sociale. C'est tout l'intérêt de votre projet de loi, monsieur le ministre, et je ne comprends pas, je le répète, les critiques qui ont été émises à votre encontre.
J'observe d'ailleurs que les critiques émanant de certains groupes peuvent être contradictoires. Certains sont d'un optimisme...
M. Gérard Longuet, rapporteur pour avis. Débridé !
M. Adrien Gouteyron. ... qui m'étonne beaucoup : je pense notamment à notre collègue Jean-Luc Mélenchon, ancien ministre ...
M. René-Pierre Signé. Excellent ministre !
M. Adrien Gouteyron. ... pour lequel j'ai une grande estime et qui a cité quelques pourcentages, omettant toutefois de les comparer à ceux des autres pays.
Il a évoqué le développement de l'enseignement professionnel et a expliqué que l'effectif ne diminue pas, mais il a oublié d'examiner comment l'effectif se répartit dans les sections. Les élèves se répartissent-ils dans des sections qui débouchent sur un emploi ou, au contraire, les effectifs sont-ils excessifs dans des sections qui ne débouchent sur rien ?
Inversement, Mme Dominique Voynet, ancien ministre elle aussi, nous a dressé tout à l'heure un exposé d'une noirceur absolument effarante.
Ce n'est pas dans ces positions extrêmes que l'on peut trouver la vérité.
Pour ma part, je ne suis pas de ceux qui négligent la voix des jeunes. Quoi qu'on puisse dire des manifestations - et on pourrait beaucoup en dire ! -, je crois qu'elles expriment quelque chose, et quelque chose dont il faut tenir compte. La jeunesse connaît un vrai malaise - pas toute la jeunesse, mais certains jeunes -,...
M. René-Pierre Signé. C'est vrai !
M. Adrien Gouteyron. ... et il faut le prendre en compte.
M. René-Pierre Signé. Il faut se réveiller !
M. Adrien Gouteyron. Permettez-moi à cet égard une réflexion un peu amusée.
Lorsque j'entends certains des jeunes qui parlent au nom des lycéens, je suis frappé par l'assurance de leur langage, par le caractère stéréotypé et conformiste de leur discours. On croirait entendre des syndicalistes aguerris ou des politiques avertis.
M. David Assouline. Et alors ?
M. Adrien Gouteyron. Voilà au moins une formation dont la qualité ne régresse pas ! (Sourires et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)
M. Roger Karoutchi. C'est l'école des cadres !
M. Adrien Gouteyron. Monsieur le ministre, je ne reviendrai pas sur les chiffres : nos éminents rapporteurs ont rappelé l'effort considérable consenti par la nation sous tous les gouvernements depuis des décennies. Cet effort, il faut le prendre en compte et s'en réjouir.
Au-delà des chiffres, donc, permettez-moi simplement de faire ici allusion au récent rapport de la Cour des comptes, qui mérite quelques commentaires.
Je constate, cher président Valade, que, lorsque j'avais l'honneur et le bonheur d'occuper la fonction qui est la vôtre aujourd'hui, j'avais présidé une mission - au sein de laquelle siégeait d'ailleurs M. Carle -, dont les conclusions ...
M. Gérard Longuet, rapporteur pour avis. Eminent rapport !
M. Adrien Gouteyron. ... allaient tout à fait dans le sens que celles de la Cour des comptes, même si les totaux n'étaient pas exactement les mêmes. Et je considère, monsieur le ministre, que l'on aurait tort de ne pas prendre en compte les critiques qui ont été ainsi émises, car ces deux documents méritent une analyse approfondie.
A l'heure où la nation est de plus en plus exigeante sur les moyens qu'elle met à la disposition des services publics - et elle a raison de l'être -, l'intérêt de l'éducation nationale est d'examiner la situation de près et de s'assurer que les moyens mis à sa disposition sont bien utilisés. Si le rapport de la Cour des comptes peut vous y aider, monsieur le ministre, je m'en réjouis.
M. David Assouline. C'est une note confidentielle !
M. Adrien Gouteyron. J'entendais ce matin à la radio la présidente du Haut Conseil à l'intégration parler de l'égalité des chances. Fort bien !
Selon elle, cette égalité progresse. Je considère, je l'avoue, que ses propos sont quelque peu optimistes, comme l'ont été tout à l'heure, je le répète, ceux de Jean-Luc Mélenchon. En effet, selon le rapport du Haut Conseil de l'évaluation de l'école, rendu public au mois de février, 150 000 jeunes sortent du système sans qualification, 15 % des élèves ne maîtrisent pas les connaissances de base, tandis que 10 % des jeunes - ce qui représente, je le précise, 170 000 personnes dans une classe d'âge, ce qui n'est pas rien, mes chers collègues ! - éprouvent des difficultés très graves
Alors, monsieur le ministre, vous proposez, dans votre texte, des solutions fortes. En effet, qui peut sérieusement contester la nécessité de prévoir un socle commun des connaissances ? Qui peut sérieusement contester le programme personnalisé de réussite scolaire, qui tend à répondre à cet objectif ? Qui peut contester la nécessité de procéder à une évaluation ? Qui peut contester la nécessité d'apporter un soutien ? Personne, s'il est de bonne foi !
M. Yannick Bodin. Cela ne marchera pas !
M. Adrien Gouteyron. Qui peut contester la nécessité d'intégrer dans ce texte le respect et la force des valeurs républicaines dans la formation des jeunes ? Personne, s'il est de bonne foi !
Monsieur le ministre, ces mesures vont dans le bons sens. Permettez-moi cependant d'insister sur un point, et je rejoindrai là les propos du rapporteur pour avis de la commission des finances.
M. Longuet, comme M. le rapporteur de la commission des affaires culturelles, a expliqué qu'il fallait personnaliser la pédagogie,...
M. David Assouline. Il faut des moyens pour cela !
M. Adrien Gouteyron. ... tenir compte des personnes, des élèves.
J'en suis moi aussi tout à fait convaincu, tout comme les enseignants, qui s'appliquent à mettre en place cette pédagogie mais qui le font souvent isolément et, pour ainsi dire, sans avoir suffisamment de repères.
Monsieur le ministre, je pense très sincèrement qu'il faut donner de la souplesse à notre système éducatif - j'insiste sur cet adjectif -, car il est trop systématique, trop rigide.
Il me paraît nécessaire d'engager une expérimentation exigeante, à condition qu'elle soit évaluée et que ses résultats soient exploités et mis à la disposition de l'ensemble des enseignants. Or il en a rarement été ainsi dans le passé.
C'est pourquoi j'ai déposé un amendement dont l'objet, je m'en réjouis, rejoint les intentions de la commission des affaires culturelles.
A l'instar de certains de mes collègues qui y ont fait allusion, monsieur le ministre, je veux moi aussi insister sur la nécessité de constituer des équipes d'enseignants cohérentes, ce qui ne peut que rarement résulter des hasards de mouvements opérés sans autre considération que le seul barème.
Dans le passé ont été créés - et des ministres de toutes tendances y ont pris leur part - des dispositifs permettant de stabiliser les équipes et de les rendre plus cohérentes. Je pense en particulier, pourquoi ne pas le dire, aux possibilités ouvertes en 2001 par Jack Lang afin de favoriser, par voie de circulaire, la stabilité des équipes de direction et des équipes éducatives dans certains établissements.
Plus récemment, une autre circulaire a défini les affectations prioritaires à valoriser. Nous sommes là sur la bonne voie !
C'est pourquoi j'ai déposé un autre amendement - peut-être vous posera-t-il, monsieur le ministre, plus de problèmes que le précédent (M. le ministre sourit) - tendant à ouvrir plus largement le dispositif que je viens de décrire en permettant que les enseignants, dans les établissements où ont lieu des expérimentations ainsi que dans les ZEP, puissent être affectés selon des procédures particulières.
Au demeurant, monsieur le ministre, en ce qui concerne les ZEP, je partage le sentiment du rapporteur pour avis, qui a tout à l'heure affirmé préférer les mesures individualisées aux mesures territoriales. Mais il se trouve que les élèves en difficulté sont souvent concentrés dans certains établissements, et que cela justifie des mesures particulières.
M. Gérard Longuet, rapporteur pour avis. Eh oui !
M. Adrien Gouteyron. Selon les informations dont je dispose - et vous me direz, monsieur le ministre, si elles sont fondées -, les moyens réservés aux établissements situés en ZEP sont accrus de 9 % par rapport à ceux qui sont affectés aux établissements dits « normaux ». Mais, en réalité, si l'on intègre la rémunération des enseignants dans le calcul, on s'aperçoit que les établissements situés en ZEP ne sont pas aussi surdotés qu'on le pense parfois. En effet, dans les établissements de centre-ville, c'est-à-dire dans ceux qui sont socialement favorisés, les enseignants sont plus anciens, donc plus expérimentés.
Ainsi, la surdotation, les moyens supplémentaires ne se comptent pas seulement en postes : ils dépendent aussi et surtout des hommes et des femmes qui les occupent ! Voilà pourquoi j'ai déposé ce second amendement.
Permettez-moi avant de conclure, monsieur le ministre, de citer un souvenir qui est resté très présent dans ma mémoire et qui remonte à l'époque où j'occupais, cher Jacques Valade, la fonction de président de la commission des affaires culturelles. Plusieurs membres de la commission et moi-même avions visité un établissement très difficile du sud de Paris. Or nous y avons rencontré un chef d'établissement qui était un véritable animateur, entouré d'enseignants soudés, capables de définir des objectifs et de se mobiliser pour les atteindre, exigeants mais toujours soucieux de la personnalité des élèves. Cela existe ! C'est possible !
M. Charles Revet. Bien sûr !
M. Adrien Gouteyron. Donnons-nous les moyens de généraliser cet exemple...
Enfin, monsieur le ministre, pour ne pas allonger mon intervention, je ne vous lirai pas la lettre que m'a adressée une enseignante qui est aujourd'hui très découragée : alors qu'elle a toujours été excellemment notée et que ses chefs d'établissement ne tarissent pas d'éloges à son sujet, sa note est aujourd'hui bloquée parce qu'elle ne doit absolument pas dépasser celle de ses collègues plus anciens !
Monsieur le ministre, je partage à cet égard les propos de notre collègue Christian Demuynck. Il faut avoir le courage de résoudre ce problème qui ne relève pas de la loi, mais du règlement, donc de la volonté politique.
Je ne conclurai cependant pas mon propos sur une note pessimiste, car des évolutions sont selon moi possibles. Je vous fais confiance, monsieur le ministre, parce que le discours que vous avez prononcé était profondément républicain. Je suis convaincu que le projet de loi d'orientation que vous nous soumettez contribuera à améliorer la situation et je le voterai avec conviction ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Yves Dauge.
M. Yves Dauge. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ma première observation portera sur la méthode.
Il est vrai que le débat a eu lieu. Il a été riche et nous nous accordons tous à dire qu'il a été utile. De même, le rapport Thélot contenait des avancées significatives, et nous avons tous été intéressés par ce travail.
Vous nous proposez aujourd'hui recourir à la loi. Est-ce un exercice obligé ? Je vous pose la question, monsieur le ministre ! Alors que nous étions dans une dynamique de réflexion positive et qu'il semblait possible de trouver un accord sur de nombreux points, vous avez tout à coup voulu précipiter les choses et recourir à la procédure parlementaire afin d'élaborer une grande loi, dans un contexte difficile qui vient d'être largement décrit.
Je ne suis pas le seul à avoir cette impression. Ainsi, la commission des affaires culturelles a reçu de nombreuses personnalités et toutes se sont étonnées : pourquoi ne pas prendre le temps de la réflexion et se mettre d'accord sur les quelques éléments - ils ne sont pas très nombreux - qui relèvent spécifiquement de la loi ? Vous l'avez d'ailleurs vous-même admis, monsieur le ministre, puisque vous avez déjà retiré de ce texte un certain nombre d'articles.
Cette situation n'est pas nouvelle : face à une crise ou à un problème, on nomme une personnalité d'exception, qui remet un rapport de qualité. Puis vient le temps de la loi, qui fige tout - c'est ce qui risque d'arriver aujourd'hui avec la recherche - et qui referme l'espace d'ouverture que l'on s'était donné. Le moment de réflexion consensuelle que l'on avait su créer cesse alors, tout est terminé. C'est la crispation, les gens sont dans la rue, l'opposition des syndicats est quasi totale, les parents clament leur désaccord...
Cette façon de gouverner ne permet guère de progresser !
Permettez-moi, monsieur le ministre, de penser en cet instant aux responsables de grandes sociétés publiques - la SNCF ou EDF, par exemple -, qui gèrent des centaines de milliers de personnes. Ils dialoguent, cherchent à améliorer les structures, et ils obtiennent des résultats. Pour autant, ils ne réclament pas tous les jours de grandes lois, même si, de temps en temps, des aménagements législatifs s'imposent !
J'ai l'impression qu'ici, avec l'école, on ne s'occupe pas de l'institution. Comment la faire évoluer ? Quelle structure modifier ? Quel système choisir ?
Pour ma part, je m'étonne que soit enclenché un processus législatif accéléré sur une question que tout le monde juge essentielle. Cela crée d'importantes frustrations ! Une telle précipitation était-elle vraiment nécessaire, monsieur le ministre ? On a cité la loi Haby, la loi Jospin, on a dit que ce troisième exercice législatif marquerait une étape considérable dans le processus. Une telle conviction est sympathique, mais je crains que cette étape ne soit inachevée.
Vous annoncez, monsieur le ministre, la création de postes d'infirmières ou l'institution d'heures supplémentaires pour faire de l'accompagnement. C'est formidable ! Mais avec quels budgets ? Au demeurant, de telles mesures nécessitent-elles vraiment une loi ? Ne relèvent-elles pas d'un autre domaine ? Trop de lois tue la loi ! Sur un sujet aussi sensible, il aurait fallu se limiter à des dispositifs strictement législatifs.
J'en viens maintenant au fond.
Nous avons tous entendu de nombreuses personnalités, en commission comme sur le terrain. Comme mes collègues, dans les conseils d'établissement, j'ai rencontré les principaux de collèges ou les proviseurs de lycées. Ils sont respectueux des hiérarchies et connaissent leur sujet. Et je dois admettre qu'ils n'ont pas fait preuve d'un enthousiasme extraordinaire...
Sur l'échec scolaire, par exemple, de nombreux enseignants demandent une évaluation objective. Or, actuellement, personne n'est en mesure de donner des chiffres exacts et de dire si la situation s'est aggravée. Tous les personnels d'éducation regrettent la disparition du Haut Conseil de l'évaluation de l'école au profit du Haut Conseil de l'éducation. Cette institution, à laquelle ils étaient très attachés, permettait pourtant une évaluation des résultats et des comparaisons à l'échelon international.
M. Yves Dauge. L'échec scolaire couvre en fait une large gamme de situations et les enseignants s'avouent assez impuissants face à un certain noyau dur qui correspond à des situations critiques, à des conditions familiales tragiques, à une déstructuration de la société, à une population délaissée, celle que nous rencontrons dans nos permanences.
Il faut le dire franchement : les enseignants sont pointés du doigt, mais ils ne peuvent régler ces questions-là seuls ! Or la démission est générale, elle concerne les familles, les institutions, et jusqu'à l'Etat lui-même, dont les interventions de façade se contentent de masquer le vide !
Monsieur le ministre, alors que nous sommes confrontés à une véritable dégradation sociale et économique et que l'extrême pauvreté progresse de façon inquiétante sur certains territoires, vous culpabilisez les enseignants et vous les rendez responsables de l'échec scolaire !
M. Yves Dauge. Vous ne mettez pas en cause les enseignants, mais ce projet de loi cible constamment l'échec scolaire en sous-entendant la responsabilité des enseignants.
M. Charles Revet. Ce n'est pas vrai !
M. Yves Dauge. Si ce n'était pas vrai, cher collègue, j'en serais ravi ! Mais telle est bien la réalité et, dans cette question de l'échec scolaire, je voudrais que l'on identifie aussi ce qui ne relève pas de la seule responsabilité des enseignants et que l'on n'impute pas à leur incapacité un problème plus large et vraiment terrifiant.
M. Jean-Luc Mélenchon. C'est vrai !
M. Yves Dauge. Car il est trop facile d'isoler une institution et un corps, en l'occurrence celui des enseignants, au milieu d'un désastre social,...
M. Roger Karoutchi. Oh !
M. Yves Dauge. ... qui n'est pas général, certes, mais qui est bien visible en certains points du territoire. Même dans ma région, qui n'est pas touchée autant que d'autres, je vois bien l'extrême pauvreté progresser. (Exclamations sur les travées de l'UMP.) Chers collègues de l'UMP, je suppose que vous faites des permanences le samedi, comme moi. Vous êtes donc également à même de constater le phénomène.
M. Roger Karoutchi. Moi, c'est le vendredi !
M. Yves Dauge. Il faut tout de même être réaliste dans cette affaire ! Voilà pourquoi je replace cette question de l'échec scolaire dans son contexte, car vous êtes tous des gens de terrain assez responsables pour comprendre ce que je veux dire.
Des enseignants de grande qualité et au dévouement sans limites m'ont dit qu'ils ne continueraient pas indéfiniment à exercer un métier devenu par trop difficile. Ils ne sont pas tous âgés, comme on pourrait le croire, et ils avaient une ambition ; ils croyaient qu'ils « tiendraient ».
Cette question de l'échec scolaire en appelle une autre, monsieur le ministre : celle du métier. Nous-mêmes, politiques, remettons en cause notre métier. Pourquoi celui d'enseignant ne serait-il pas remis en cause, lui aussi ? Car il ne suffit pas de savoir ; encore faut-il pouvoir, dans sa classe, résister aux diverses pressions et faire face à toutes sortes d'injustices ; il faut être capable d'ouvrir l'école sur le monde extérieur. Aujourd'hui, IUFM ou pas, tous les enseignants affirment n'avoir ni le temps ni les moyens d'apprendre ce métier.
C'est une réalité, monsieur le ministre, qui nous préoccupe tous, indépendamment des clivages politiques.
Je terminerai sur la question des collectivités locales et des territoires pour aborder, monsieur le ministre, le problème de la gestion du système éducatif, les mécanismes de la programmation, la façon dont on gère les équipes pédagogiques, les enseignants, et la manière dont nous, élus, sommes traités par l'institution.
Je dois vous dire, monsieur le ministre, que si les préfets et les sous-préfets se comportaient comme les recteurs et les inspecteurs d'académie, il y aurait vraiment des problèmes en France. Parce que ces gens-là nous ignorent. J'apprécierais d'ailleurs beaucoup que vous nommiez de temps en temps - mais vos prédécesseurs auraient pu le faire avant vous - des personnes issues d'autres milieux, ayant d'autres références que celles de l'éducation. Nos interlocuteurs actuels sont certainement très compétents, mais ils n'ont aucune culture du terrain ; ils ne savent pas ce qu'est un bassin d'emploi ou une revendication d'une collectivité locale.
En d'autres termes, nous sommes ignorés et mis devant le fait accompli ; nous sommes soumis en permanence à des programmations mathématiques qui ignorent présent et avenir. D'ailleurs, monsieur le ministre, pour avoir vous aussi exercé des responsabilités d'élu, vous savez très bien ce qui se passe dans les quartiers urbains en grande difficulté ou dans les zones rurales qui connaissent des fermetures de classes, aujourd'hui de collèges et, demain, de lycées.
Dans mon département, qui n'est pourtant pas très éloigné de la région parisienne, puisqu'il s'agit de l'Indre-et-Loire, on ferme le lycée professionnel de Descartes. Et deux ou trois collèges sont menacés. Mais qui s'en préoccupe, sinon les élus ? Tous les contacts que je peux avoir avec l'éducation nationale n'aboutissent à rien, et depuis des années.
A Nouâtre, commune rurale dont le collège est en péril, il suffirait, pour sauver l'établissement, d'ouvrir un pensionnat de quelques dizaines de places. J'observe d'ailleurs qu'il n'y a aucun pensionnat dans l'enseignement public, en tout cas dans ma région. Cet établissement accueillerait des élèves issus de zones défavorisées, de quartiers difficiles, par exemple de Joué-lès-Tours. Ces enfants seraient ainsi soustraits, pendant la semaine, aux milieux dans lesquels ils sont en train de se perdre. Ils pourraient, à peine à trente kilomètres de chez eux, faire du sport, découvrir la nature, tout en rentrant à la maison le week-end. On créerait ainsi une alternance entre ville et campagne et on sauverait le collège.
Voilà ce que je demande depuis des années, mais je n'ai aucun retour ; je n'ai même pas l'écoute minimale d'un fonctionnaire de l'institution, une institution dont on comprend qu'elle désespère les enseignants eux-mêmes.
Qui s'occupera demain de l'évolution démographique catastrophique amorcée sur une partie importante du territoire ? Personne ! Et l'on ne répondra pas davantage à d'autres questions, tout aussi évidentes, qui se posent. On n'entendra que les cris de révolte des personnes qui se battent contre les fermetures de classes !
Nous sommes dans un système institutionnel qui est incapable de gérer les conflits, d'anticiper quoi que ce soit. La machine est aveugle, monsieur le ministre, et nous aurons beau discuter des cycles, des enseignants, des méthodes pédagogiques, ce sera en pure perte tant que le système continuera à ne pas regarder le monde tel qu'il est, tel qu'il bouge et tel qu'il doit être ouvert sur l'extérieur. C'est regrettable !
Faut-il pour autant une loi ? Je n'en suis pas sûr ! Mais l'on ne peut pas indéfiniment fermer les yeux et aller dans le mur en suscitant la révolte aussi bien des élus locaux que des parents, bref, des citoyens. Car n'oubliez pas que nous sommes dans une démocratie vivante, qui se réveille devant l'épreuve et qui manifeste, associations en tête, pour porter haut ses exigences.
C'est absence totale d'écoute, de compréhension de l'évolution de la société, est insupportable.
Ma conclusion, monsieur le ministre, mes chers collègues, c'est que la société civile, la vie démocratique dans nos campagnes comme dans nos villes, est en avance sur les institutions, et sans doute aussi sur la pensée politique ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Pierre Martin.
M. Pierre Martin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, beaucoup de choses intéressantes ont été dites. Je limiterai donc mon propos à quelques témoignages et à certaines réflexions que m'inspire une carrière d'enseignant.
Dès l'intitulé du projet de loi nous savons qu'il est ici question de l'avenir de l'école. L'école, il est vrai, est importante dans notre société, et je ne la conçois que comme l'école de la réussite, une institution au service des enfants, avec une logique d'efficacité et de résultat. Quant au mot « avenir », je souhaiterais qu'il soit associé à l'avenir de nos enfants, car c'est bien d'eux qu'il s'agit. La nation a un devoir vis-à-vis de ces enfants, qui sont aussi notre avenir, puisqu'ils seront les citoyens de demain, ceux qui feront, si je puis m'exprimer ainsi, « tourner la mécanique ».
Donc, l'enfant est bien l'acteur principal, le personnage central de ce texte.
Pour reprendre le constat du président de la commission des affaires culturelles, quand on examine ces enfants dans leur classe, dans un cours, on s'aperçoit qu'ils sont assez dissemblables : il y en a des grands et des petits ; il y en a des forts et des moins forts ; il y en a qui ont des performances intéressantes en sport, d'autres en d'autres disciplines. Et l'on voit aussi combien l'intelligence est loin de revêtir la même forme. Autrement dit, l'un des problèmes de l'école tient à cette diversité : comment en faire l'école de la réussite pour tous ?
Ces enfants ont tous des qualités, qu'il faut d'abord déceler, puis exploiter pour les valoriser, d'autant que, chacun s'accorde à le dire, le monde dans lequel ces enfants vivent est en constante évolution, tout comme le pays, ses habitants et la société. D'ailleurs, qui pourrait nier que les enfants il y a vingt ans, qui étaient déjà différents des enfants vingt ans auparavant, n'étaient pas comme ceux d'aujourd'hui ?
Il va donc de soi que l'école doit se transformer et s'adapter. Mais, paradoxe de notre pays, la moindre velléité de changement suscite le scepticisme. Nous sommes tous d'accord sur le constat, et je remercie M. le ministre du grand débat national qu'il a ouvert et qui a permis à tous ceux qui le souhaitaient de s'exprimer. Mais l'important est que le constat débouche sur l'action.
Il est facile de dire qu'il faut des moyens nouveaux ; il faut aussi parfois, mes chers collègues, de l'imagination ! Chacun d'entre nous sait, dans la responsabilité qui est la sienne, que ces moyens ne sont pas aussi évidents que cela à trouver.
M. Yannick Bodin. Surtout pour les infirmières !
M. Pierre Martin. En France, c'est à partir de l'âge de six ans que les enfants doivent aller à l'école ; cela s'appelle l'obligation scolaire. Mais cela ne signifie pas qu'ils ont tous envie d'aller à l'école. (Sourires.)
M. Gérard Longuet, rapporteur pour avis. C'est vrai !
M. Pierre Martin. Pour avoir l'expérience des enfants, je sais qu'ils sont plus nombreux à ne pas avoir envie qu'à avoir envie et, en l'absence d'envie, la réussite n'est pas forcément au rendez-vous. Il faut donc imaginer les éléments qui sont susceptibles de susciter l'envie. Il peut s'agir de locaux adaptés, dans lesquels les enfants se rendent avec plaisir ; ces locaux dépendent des élus. Il faut aussi...
M. Yannick Bodin. Des moyens !
M. Pierre Martin. ... des parents concernés, des parents intéressés. Il faut également des enseignants qualifiés, ce qui est souvent le cas, mais aussi motivés. Ces conditions étant réunies, les enfants aimeront peut-être aller à l'école. Or aimer aller à l'école, c'est déjà un facteur de réussite.
Mais si le plaisir n'est pas au rendez-vous, si cette envie n'existe pas, il faut trouver pour chaque enfant l'argument mobilisateur. Et là, c'est au maître de jouer son rôle, un rôle important s'il en est, car le maître est le pivot de l'école ; c'est aussi un animateur, un comédien dans sa classe, lui qui doit plaire aux enfants pour les motiver.
Mais les enseignants sont-ils tous aptes à enseigner ? Il me paraît indispensable de poser cette question. A cet égard, je souhaiterais, monsieur le ministre, des inspecteurs sur le modèle de ceux que nous avons connus il y a une quarantaine d'années. Aujourd'hui, ils s'excusent presque de déranger le maître dans sa classe, quand ils ne lui demandent pas purement et simplement au préalable si, ce jour-là, l'inspection est possible.
J'aurais beaucoup à dire sur le sujet, car, comme j'ai pu le constater, les choses ont énormément changé ; on devrait revenir à un peu plus de rigueur.
La formation des maîtres est difficile : il faut leur apprendre à gérer une classe souvent hétérogène, ce qui n'est pas aisé. Inclure cette dimension dans la formation n'est pas évident.
Une chose est sûre, en revanche : le maître est pleinement responsable de la réussite de ses élèves. Il doit remplir la mission de l'école, c'est-à-dire transmettre à tous des savoirs essentiels, en s'appuyant sur le socle de connaissances, dont il doit se servir comme d'un tremplin.
Je prendrai l'exemple de l'apprentissage de la lecture. J'ai entendu dire de tout temps que, si les enfants n'avaient pas appris à lire, c'est parce que la méthode n'était pas bonne. Je considère que la méthode est uniquement un support ; c'est le maître qui demeure responsable de la conduite des opérations.
Permettez-moi, comme aurait pu le faire La Palice, d'énoncer cette vérité : on ne peut pas apprendre à lire sans lire, de même qu'on ne peut pas apprendre à écrire sans écrire. Il est bon de rappeler cette vérité, car elle définit parfaitement la façon dont doit être conduit l'apprentissage pendant le cours préparatoire.
Depuis longtemps, chacun s'accorde à reconnaître que le cours préparatoire est essentiel et qu'il doit être assuré par des maîtres expérimentés. Car un enfant qui a raté son CP risque fort de rater une partie de sa scolarité.
Or que se passe-t-il, bien souvent ? Le chef d'établissement choisit généralement son cours ; il demande, par exemple, à enseigner en CM 2. Et, au dernier arrivé, souvent inexpérimenté, est attribuée la classe dont personne n'a voulu, c'est-à-dire le CP.
Cela étant, le directeur, qui est le capitaine, doit occuper une place stratégique et créer une équipe pédagogique qui non seulement réponde aux besoins des enfants, c'est-à-dire apporte un soutien et fasse preuve de solidarité si nécessaire, mais aussi, et surtout, fasse en sorte que l'enfant gagne. Une telle équipe inspire confiance tant aux enfants qu'aux parents et un climat favorable à la réussite se crée.
Par ailleurs, le maître doit offrir aux enfants une certaine image, ceux-ci ayant un don de mimétisme très développé. Nous avons tous en mémoire un maître de l'école primaire qui nous a laissé un souvenir extraordinaire, qui s'est dévoué et nous a offert le meilleur de lui-même.
Cela montre à quel point les maîtres, par leur philosophie, leur qualité, leur comportement, ont une grande influence sur les élèves.
M. Charles Revet. C'est vrai !
M. Pierre Martin. Les maîtres donnent une chance aux élèves, mais cette chance ne va pas nécessairement les conduire immédiatement à la réussite. Dès lors, il faut leur offrir ce que l'on appelle une « seconde chance ».
J'aimerais aussi que les maîtres tiennent des propos un peu plus élogieux qu'ils ne le font parfois au sujet de certains métiers ; je pense en particulier à l'artisanat.
En tant qu'élus ruraux, nous recevons chaque jour des plaintes d'artisans de nos campagnes déplorant de ne plus trouver de personnel qualifié, car aucun jeune ne veut apprendre le métier. C'est dommage, car certains artisans sont de véritables artistes, dont le travail suscite l'admiration.
Là aussi, il y a une issue ! Pour que ces métiers retrouvent la faveur des jeunes, il conviendrait de promouvoir certains baccalauréats.
Ce qui est sûr, c'est que la réussite scolaire est toujours vécue par le jeune comme un succès.
Monsieur le ministre, certains examens ont été supprimés, alors que l'amour propre des uns et des autres a parfois besoin d'être flatté. Ainsi, il fut un temps où les enfants étaient tout fiers d'avoir obtenu le certificat d'études, leurs parents et leur maître également. Ce sentiment de fierté, il est bon que les élèves l'éprouvent encore de nos jours, car certains termineront leur scolarité sans le moindre succès à un examen.
Les parents ont, eux aussi, un rôle essentiel à jouer. Il faut donc les mobiliser, les associer et, surtout, leur expliquer le parcours de l'enfant. Car nombre d'entre eux, pourtant bien intentionnés et prêts à aider leur progéniture, ne savent pas comment s'y prendre et, parfois, voulant bien faire, font plus de mal que de bien. Il n'est pas question de mettre en place une « école des parents », mais il faut absolument mobiliser les parents.
Je pourrais poursuivre mon propos en évoquant les collèges et les lycées (Protestations sur les travées du groupe socialiste.), mais je me bornerai à formuler deux réflexions à cet égard.
Il n'est plus possible de laisser entrer au collège des enfants ne sachant ni lire, ni compter, ni écrire, comme cela se produit encore parfois.
Quant au baccalauréat, faisons en sorte qu'il laisse la porte entrouverte à la poursuite des études, ce qui n'est pas toujours le cas. A tout le moins, l'école doit transmettre les valeurs de la République et permettre à chaque enfant d'avoir une qualification.
Monsieur le ministre, dans votre texte, j'ai trouvé nombre de réponses aux questions que je me posais : la formation des maîtres, une qualification pour tous, la garantie que chaque enfant puisse aller au bout de son ambition, l'accompagnement des élèves en difficulté et un programme personnalisé de réussite scolaire. Je voterai donc ce projet de loi d'orientation. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)
M. le président. La parole est à M. David Assouline.
M. David Assouline. Tout ça pour ça, monsieur le ministre !
Le 15 septembre 2003, c'est-à-dire voilà un an et demi, jour pour jour, le Premier ministre installait la commission du débat national sur l'avenir de l'école. Dans leur lettre de mission adressée à M. Claude Thélot, président de cette commission, les ministres chargés de l'éducation nationale à cette date écrivaient : « Toutes les forces de la nation doivent pouvoir s'exprimer sur ce sujet fondamental pour l'avenir de notre pays ».
Cette vaste concertation nationale, voulue par le Président de la République, devait - je cite toujours la lettre de mission - « éclairer les principales lignes d'évolution possibles et souhaitables de notre système éducatif pour les dix ou quinze prochaines années » et déboucher « sur un projet de loi d'orientation. »
Avec ce texte, vous avez décidé, monsieur le ministre, que nous en étions au terme du processus. Mais la montagne a accouché d'une souris. La souris, c'est votre projet de loi, monsieur le ministre ! Et voilà qu'en plus vous la faites accoucher aux forceps avec la déclaration d'urgence. (Sourires.)
Dans votre dispositif législatif, largement extra-législatif d'ailleurs, vous avez manifestement choisi d'ignorer la plupart des recommandations que la commission Thélot vous a remises le 12 octobre dernier, ou de ne retenir que les plus contestables.
Ainsi, dans le long rapport annexé au projet de loi, qui n'a a priori aucune valeur normative, mais qui vise à introduire, dans un dispositif législatif censé assurer l'avenir de l'école de la République, des circulaires ministérielles, un long développement est consacré à la sécurité dans les établissements.
Louable souci que de vouloir « offrir aux élèves un climat de sérénité et de travail propice à leur éducation et à la progression de chacun » ! Pourquoi pas, en effet, octroyer une base légale au règlement intérieur des établissements pour donner à un tel document, qui doit être partagé par toute la communauté éducative, plus de force ?
Cependant, était-il nécessaire, dans l'esprit des mesures prises par Nicolas Sarkozy au ministère de l'intérieur, de pénaliser ce sanctuaire que doit être un établissement scolaire en transformant en une espèce de délégué du procureur de la République le chef d'établissement, dont vous affirmez, monsieur le ministre, que l'une des fonctions prioritaires est de signaler au Parquet « les infractions pénales en vue de mettre en oeuvre des réponses rapides et adaptées » ?
Tout ça pour ça...
Vous retenez aussi du rapport Thélot la proposition, unanimement rejetée par les syndicats d'enseignants, de faire assurer au personnel pédagogique une présence plus importante dans les établissements, notamment face aux élèves.
Certes, le Gouvernement n'est pas allé jusqu'à intégrer dans son projet de loi une disposition visant directement à accroître la productivité des enseignants. Car n'ayons pas peur des mots : c'est bien de cela qu'il s'agit dans l'esprit de nombre de parlementaires de la majorité, qui ont dû lire avec satisfaction la note confidentielle de la Cour des comptes, dévoilée, par un heureux hasard, le 11 mars dernier, et concluant, sur la base de méthodes de calcul du temps de travail des enseignants tout à fait erronées, que ceux-ci ne passaient pas assez de temps en classe.
Il est tout de même prévu, à l'article 24 du projet de loi, l'ajout d'une mission aux enseignants - assurer les remplacements de leurs collègues dans le même établissement - dont les conditions de rémunération ne sont pas définies, car sans doute pas prévues.
Au final, le résultat de la concertation nationale voulue par le Président de la République sur l'avenir de l'école est malheureusement très faible : objectivement, il se limite à quelques articles d'un projet de loi modifiant le code de l'éducation.
Et vous n'avez même pas daigné revoir cette copie bâclée quand la quasi-unanimité du Conseil supérieur de l'éducation a rejeté le projet le 16 décembre dernier.
Quant au dialogue social avec les représentants des personnels de l'éducation nationale, il a tourné court : le 22 octobre 2004, lors d'une table ronde à Matignon avec les partenaires sociaux, alors que la commission Thélot venait de vous remettre son rapport, vous déclariez, monsieur le ministre : « L'Education nationale réussit et réussira grâce aux fonctionnaires qui la servent et pour lesquels l'engagement personnel dans le service public est chaque jour fortement vécu. »
M. Roger Karoutchi. Très bien !
M. David Assouline. Quant à la réforme de l'école, vous vous étiez dit prêt à la « porter » avec les syndicats. Au regard des réactions des principaux syndicats d'enseignants et des personnels de votre administration, vous n'avez pas été, apparemment, très convaincant.
Tout ça pour ça...
Il est vrai que le gouvernement auquel vous appartenez n'a guère pour habitude de dialoguer vraiment : le fait d'avoir interdit, en déclarant l'urgence, à la représentation nationale de disposer du temps nécessaire à une délibération approfondie sur un sujet déterminant pour l'avenir de la nation dans les vingt ans qui viennent le confirme de nouveau.
Les syndicats lycéens ont mis cette déclaration d'urgence sur le compte de votre « peur » de débattre, le syndicat des enseignants - SE-UNSA - estimant, pour sa part, que cette déclaration d'urgence illustrait « l'incapacité politique du Gouvernement à mener le dialogue ».
Je vois, dans ce mépris du Parlement, une certaine infidélité du gouvernement de Jacques Chirac à la volonté du Président de la République, Jacques Chirac, que la réforme de l'école de son quinquennat fasse l'objet d'un consensus national. Ce n'est pas la première fois, d'ailleurs, que celui-ci fait l'inverse de ce qu'il dit ! C'est en quelque sorte une seconde nature.
Ce qui m'étonne un peu plus - et je l'ai constaté à l'occasion du débat sur le projet de loi constitutionnelle - c'est la capacité des parlementaires de droite à « s'asseoir » si allègrement sur leurs fonctions quand un ordre leur est donné : l'urgence est déclarée, un coup de sifflet est donné et l'on se met au garde-à-vous ! (Protestations sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)
Tout ça pour ça...
L'une des dispositions du projet de loi d'orientation manifeste en tout cas une curieuse conception du pluralisme. Il s'agit de la composition du Haut conseil de l'éducation, qui remplace le Conseil national des programmes et le Haut Conseil de l'évaluation de l'école, et dont l'indépendance ne sera nullement garantie.
M. David Assouline. En effet, les critères sur lesquels seront choisies les personnalités appelées à y siéger ne sont pas précisés. On peut donc craindre le pire !
En tout état de cause, au-delà des acteurs de la communauté éducative, l'ensemble des Français ne peut que s'inquiéter des intentions réelles dissimulées dans ce texte, que l'on soustrait aussi largement à la discussion démocratique.
Que cache votre projet de loi, monsieur le ministre ?
Les objectifs que vous assignez à l'école - conduire 80 % d'une classe d'âge au baccalauréat, 50 % à l'enseignement supérieur, et 100 % à sortir du système éducatif avec une qualification - ne peuvent qu'être partagés par tous les Français.
Si ce projet de loi est adopté, monsieur le ministre, il nous faudra prendre date pour dresser le bilan de son application, afin de vérifier que l'Etat atteint bien ses objectifs. Mais comment le pourra-t-il, alors que, depuis l'arrivée au pouvoir de la droite, les décisions gouvernentales en matière d'éducation ont consisté à supprimer des postes d'aides éducateurs et, concomitamment, à ne pas remplacer 10 000 surveillants ? On dit même qu'il manquera près de 70 000 postes à la rentrée prochaine par rapport à la rentrée 2002.
Afin de privilégier la lutte contre l'échec scolaire lié à l'environnement socio-économique et territorial, lien que les inspections générales de votre ministère jugent, dans leur rapport pour l'année 2004, comme une évidence, la commission Thélot a proposé l'attribution d'une dotation supplémentaire - celle-ci pourrait atteindre jusqu'à 25 % - aux établissements dont les taux d'échec scolaire sont les plus élevés. Vous n'avez pas retenu cette proposition, monsieur le ministre, car vous êtes lucide sur l'évolution de votre budget, et ce alors que les inégalités continuent de progresser de façon préoccupante.
Ainsi, malgré la mise en place des ZEP et l'investissement massif des enseignants, les écarts entre les groupes sociaux sont révélateurs : 68 % des élèves orientés à la fin de la troisième vers un cycle professionnel sont issus des milieux les plus populaires ; 20 % des jeunes d'une classe d'âge quittent le système éducatif sans aucune qualification. La scolarisation en maternelle dès l'âge de deux ans concernait 35 % d'une classe d'âge en 1985. Ce taux n'est plus aujourd'hui que de 28 %. A l'université, les enfants issus des milieux les moins favorisés n'y occupent encore qu'une place marginale.
Quant au redoublement, il est préconisé pour les élèves « faibles » dès le début du primaire, au mépris d'études convergentes dénonçant sa nocivité. Ainsi, 90 % des élèves que l'on fait redoubler au cours préparatoire n'obtiendront jamais le baccalauréat. Le fait que le passage d'une classe à l'autre, au collège et au lycée, ne soit plus automatique à l'intérieur des cycles remet fondamentalement en cause l'organisation des études qui participe à l'égalité des chances.
Dans le même esprit, on voit mal comment la suppression des travaux personnels encadrés, vivement dénoncée par l'Union nationale lycéenne, l'UNL, pourrait contribuer à remédier aux situations d'échec au cours des premières années du cursus universitaire, alors que cette innovation pédagogique permettait justement de favoriser une transition sereine entre le secondaire et le supérieur.
La disparition de nombre d'options destinées à favoriser le travail personnel des élèves dissimule mal le manque de moyens que votre gouvernement a décidé d'octroyer à l'Education nationale. Ce manque de moyens vous contraint à chercher à réaliser des économies partout où vous le pouvez. Cette motivation n'était d'ailleurs sans doute pas totalement étrangère à votre décision d'instaurer, avant d'y renoncer, une forte dose de contrôle continu pour l'obtention du baccalauréat.
M. Roger Karoutchi. Tout le monde le demandait !
M. David Assouline. Par ailleurs, de toute évidence, l'instauration de mentions au brevet des collèges renforcera, comme le soulignent les organisations lycéennes, l'inégalité et la concurrence entre les établissements, ces tendances risquant d'aggraver le phénomène connu du contournement de la carte scolaire.
Quant à la note de vie scolaire, mesure cohérente avec d'autres dispositions réactionnaires du texte, elle revient à évaluer, de manière tout à fait subjective, le comportement des élèves. Ainsi, trois fois plus de bourses seront désormais attribuées en tant compte du seul mérite des élèves.
M. David Assouline. Au-delà de la question, essentielle, des moyens que la nation consacre à l'avenir de ses enfants, vous semblez nier les aspirations des collégiens et des lycéens à suivre une formation de haut niveau culturel et éducatif avant d'être orientés dans la perspective de leur seule insertion dans le monde de l'entreprise.
Or l'option de découverte professionnelle créée en classe de troisième et la décision de conditionner l'orientation des collégiens, en fin de troisième, au « projet de l'élève », risquent de confirmer une tendance, vivement souhaitée par le patronat, de professionnaliser le système éducatif en enfermant les jeunes, dès leur adolescence, dans une spécialisation toute tracée.
L'insertion professionnelle directe à l'issue de l'obtention d'un CAP obéit à la même logique. Mais qui dit orientation précoce dit également rupture d'égalité entre les élèves.
Qui plus est, il semble bien, à la lecture de votre texte, monsieur le ministre, que vous ayez fait le choix d'un pilotage managérial de l'école, au même titre qu'un quelconque service public industriel et commercial.
« Le projet de loi est très managérial dans sa conception générale. Depuis Jules Ferry, c'est la première loi où la pédagogie est aussi peu présente et où la culture est clairement entrepreneuriale », ...
M. David Assouline. ...concluait récemment le professeur en sciences de l'éducation Philippe Meirieu.
M. Jacques Valade, président de la commission des affaires culturelles. Ce n'est pas étonnant !
M. David Assouline. Continuez à le traiter d'imbécile !
La « contractualisation », qui touche peu à peu tous les domaines de l'action publique, s'appliquera désormais à la relation entre l'élève et sa famille, d'une part, et l'établissement scolaire, d'autre part, au travers de l'instauration du contrat individuel de réussite éducative, le CIRE.
Si la mise en place de dispositifs individualisés de suivi des élèves est plutôt à encourager, le CIRE risque de faire porter à la famille de l'élève la responsabilité de l'échec de celui-ci, permettant ainsi à l'institution scolaire, comme le craint l'UNL, de se dédouaner.
En matière de formation des enseignants, si le rapprochement des IUFM de la vie académique des universités est une mesure positive, celui-ci ne doit pas être motivé par la perspective de réaliser de potentielles économies d'échelle en fusionnant les moyens aujourd'hui affectés en propre aux IUFM avec ceux qui sont octroyés aux unités de formation et de recherche, les UFR.
Il importe que la réforme de la formation des enseignants soit plus globale. Leur cursus doit être cohérent, s'étaler sur trois ans et exclure au maximum les périodes de bachotage liées à la préparation des concours. Mais une telle orientation, essentielle pour assurer un haut niveau de formation à nos maîtres, est impossible sans moyens.
Or les 2 milliards d'euros qu'exigera, de votre propre aveu, monsieur le ministre, l'application du projet de loi ne sont pas budgétisés. Il semblerait qu'il faille, pour les obtenir, du moins dans l'esprit du ministère des finances, redéployer des crédits déjà dédiés à l'enseignement et à la recherche.
Plus généralement, à l'occasion du vote du présent projet de loi d'orientation, le Gouvernement veut insuffler à l'éducation nationale une « culture du résultat ». Les contenus des programmes et des enseignements risquent donc de plus en plus, sous couvert d'intégration à l'Europe de la connaissance et de préservation de la compétitivité de la main-d'oeuvre française et sur fond de globalisation économique, d'obéir à une logique marchande.
Les enseignants, les élèves, les parents d'élèves sont-ils prêts à accompagner et à vivre, ou plutôt à subir, cette évolution ? Les manifestants, qui contestent ce projet de loi depuis maintenant plusieurs semaines, démontrent le contraire. D'ailleurs, votre constance, monsieur le ministre, à ne pas vouloir écouter les lycéens, le mépris affiché pour leur façon d'exprimer leur revendication,...
M. Jacques Legendre. Ce n'est pas vrai !
M. David Assouline. ...montrent que ce gouvernement se crispe autour d'une conception étroite de la vie démocratique, excluant celles et ceux, pourtant membres à part entière de la collectivité, qui n'ont pas formellement la possibilité de s'exprimer autrement.
Pourtant, les mouvements lycéens sont bien la preuve d'une réelle maturité. On ricane sur leur éclosion tous les cinq ans. N'est-ce pas le rythme de notre respiration démocratique ? Les citoyens n'élisent-ils pas leurs députés tous les cinq ans ? Ces jeunes, auxquels vous demandez, monsieur le ministre, de faire des choix définitifs quant à leur orientation intellectuelle et professionnelle dès leur adolescence ne pourraient-ils pas voir leur citoyenneté reconnue dès l'âge de seize ans ? Mais il s'agit d'un autre débat !
Lorsqu'on exige d'une génération qu'elle soit responsable, il faut en tirer les conséquences et lui donner les moyens d'exercer cette responsabilité !
En définitive, monsieur le ministre, votre projet de loi d'orientation n'est pas à la hauteur des défis que devra relever l'école de la République au cours des vingt ans à venir. La colère de la jeunesse, qui est la première concernée par ce texte, témoigne qu'il n'est pas fait pour elle. Il n'est pas fait pour l'avenir. Quel gâchis !
Tout ça pour ça...
Monsieur le ministre, levez la procédure d'urgence sur ce texte et continuons à discuter sur le fond ! L'urgence est de voter rapidement un collectif budgétaire, afin de réussir une rentrée 2005 qui s'annonce catastrophique. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC. - Exclamations sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Roger Karoutchi.
M. Roger Karoutchi. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j'étais tout jeune agrégé lorsque fut votée la loi sur l'éducation de 1975. Au sein de l'établissement dans lequel je me trouvais alors, les manifestations, les protestations, la véhémence syndicale se cristallisaient autour des mêmes thèmes qu'aujourd'hui : les enseignants ne sont pas considérés ; on ne sait pas ce que l'on veut faire du système éducatif ; on est loin de la République.
En 1989, j'ai changé d'établissement. La loi d'orientation sur l'éducation de Lionel Jospin a été votée. Les syndicats disaient alors : la preuve que ce texte est un mauvais coup, c'est que l'urgence a été déclarée, que les critères pédagogiques ne sont pas précisément définis et que La République n'apparaît pas dans ce texte .
En 1997, tout nouvel inspecteur général, j'assistais à la réunion de Claude Allègre au cours de laquelle il inaugurait sa formule : il faut absolument « dégraisser le mammouth ». En effet, disait-il, le système éducatif ne fonctionne pas, de nombreux problèmes se posent dans le monde enseignant, les résultats scolaires ne sont pas au rendez-vous, les formules pédagogiques ne sont pas satisfaisantes. Rien ne va ! Il faut que cela change !
Aujourd'hui, monsieur le ministre, on entend les mêmes interrogations : qu'est-ce qui ne va pas dans le système éducatif ? Pourquoi ne défend-on pas la République ? En quoi les valeurs laïques sont-elles contestées ? Et l'on se demande, comme en 1975, comme en 1989, comme en 1997, s'il ne faudrait pas plus de moyens financiers.
La vérité est simple : l'éducation nationale est extraordinairement difficile à réformer. Il est donc inutile, à gauche comme à droite, de se lancer des invectives sur le thème de la destruction du système éducatif. Par pitié, un peu de mesure ! Franchement, notre système éducatif ne mérite ni tant de haine ni tant d'honneur.
Aujourd'hui, le texte que vous nous présentez, monsieur le ministre, est le résultat d'une consultation que tout le monde a acceptée. Sauf erreur de ma part, aucune consultation préalable de l'opinion n'a eu lieu, ni en 1975, ni en 1989, ni en 1997, avant que le texte soit soumis au Parlement.
M. Jacques Valade, président de la commission des affaires culturelles. Eh oui !
M. Roger Karoutchi. Où en sommes-nous aujourd'hui ?
Oui, l'école doit changer, parce que le monde change, parce que la France change, parce que la société change ! Et personne ici, pas plus vous, monsieur le ministre, que les parlementaires, notamment ceux de la majorité, ne mettent en cause la qualité de la grande majorité de nos enseignants. Nous disons simplement que le système éducatif doit changer, afin de ne pas être, à un moment ou à un autre, étranglé par son immobilisme.
Du reste, nous avons tous entendu, de la part de nos collègues de gauche, des propos contradictoires. Certains disent que le système éducatif est totalement replié sur lui-même, qu'il refuse d'écouter les élus. D'autres déclarent qu'il ne faut en aucun cas toucher au système éducatif, parce que les enseignants constituent une catégorie à part et que l'éducation doit être un monde protégé. Il n'existe pas de monde protégé ! La France bouge, l'Europe bouge, le monde bouge ! Personne ne peut croire que les jeunes, français ou autres, seront protégés simplement parce qu'ils seront derrière les grilles d'un lycée ou d'un collège. Ils sont face à un monde qui change. Les formes d'éducation ont évolué. Les jeunes sont éduqués non seulement par leurs familles, par les enseignants, mais aussi par les médias, notamment la télévision, et par les voyages.
Aujourd'hui, il faut faire des transformations, mais pas la révolution. Personne ne remet en cause le statut, la qualité, la formation de nos enseignants. Personne ne soutient que le système éducatif actuel doit être voué aux gémonies et que nous allons forcément en trouver un nouveau demain. Simplement, il faut qu'il se transforme ; sinon, il est mort.
Tous les enseignants, tous les parents d'élèves, tous les jeunes que nous rencontrons dans nos permanences, mes chers collègues, nous disent que cela ne va pas. Mais personne ne prétend détenir la solution miracle. Il est en effet très difficile de changer l'éducation nationale, de modifier un système en place depuis des décennies, lourd, replié sur lui-même, sûr de ses valeurs, parfois à juste titre. Mais si ce système n'évolue pas, l'éducation nationale ne parviendra pas à assumer ses responsabilités.
Oui, monsieur le ministre, il faut instaurer un véritable apprentissage des langues étrangères. La France n'est pas un roc isolé au milieu d'une mer ! Il faut également définir un socle de connaissances non pas pour réduire le nombre des matières ou la base des connaissances de nos jeunes, mais pour tenir compte de l'immensité des secteurs qui se créent, des connaissances nouvelles à acquérir. Ce socle fondamental donnera à chaque jeune la possibilité d'acquérir d'autres connaissances. Le dispositif complet permettra d'assurer aux jeunes une formation de qualité et adaptée à leurs aspirations et à leurs besoins.
Si nous voulons aboutir à ce résultat, il faut apporter un soutien personnalisé à chacun. Tout à l'heure, j'ai entendu dire que tripler le nombre de bourses au mérite serait une mesure réactionnaire. Pourtant, nous avons tous reconnu, sur l'ensemble des travées de cette assemblée, que le progrès républicain était dans le travail et dans le mérite, beaucoup plus que dans l'héritage ou la famille. Alors, sachons ce que nous voulons !
Le projet de loi que vous nous présentez, monsieur le ministre, vise effectivement à transformer le système éducatif. Il rencontre des résistances ici ou là, mais il y en a toujours quand on modifie un système. En tout cas, votre volonté est claire : dans le respect, j'y insiste, de notre système éducatif, des valeurs de la République et de la laïcité, vous souhaitez faire évoluer le système éducatif : une meilleure connaissance des langues étrangères, la définition d'un socle de connaissances, un soutien personnalisé et une approche différente des élèves.
Tout à l'heure, il a été soutenu que ce texte était dépourvu de toute pédagogie. Certains membres de cette assemblée ont été enseignants et ils maîtrisent un certain nombre de domaines de l'éducation. Pensez-vous qu'ils puissent accepter que la pédagogie soit définie dans une loi ? Il est inacceptable de tenir de tels propos !
Monsieur le ministre, vous mettez en place, dans ce projet de loi, les conditions pour que notre système éducatif évolue. Qui le fera évoluer ? Ce seront les parents, les enseignants, les élèves. Pour ma part, je fais confiance au monde éducatif et aux jeunes, même si, aujourd'hui, ils se révoltent un peu face à ce texte. Ils savent très bien que le système doit changer. Enseignants, parents, jeunes et vous, monsieur le ministre, faites changer les choses ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)
M. le président. La parole est à M. André Lardeux.
M. André Lardeux. Monsieur le ministre, à entendre certains orateurs précédents, j'ai l'impression que l'histoire s'accélère brutalement. Pour synthétiser ces propos, on pourrait dire que vous êtes au pouvoir depuis le printemps 2002 et que des élèves entrés à la maternelle au mois de septembre de ladite année ont déjà échoué au baccalauréat. (Sourires.) Il est un peu surprenant d'en arriver là !
Plus sérieusement, j'apporte mon entier soutien à la démarche que vous avez entreprise pour mettre l'éducation nationale sur la voie de la réforme. Je le fais notamment en tant qu'enseignant avec une bonne trentaine d'années d'expérience en lycée polyvalent d'enseignement général et technologique situé dans un quartier populaire.
La nomenklatura bien pensante, réfugiée dans les beaux quartiers de nos agglomérations, affirme, avec l'aplomb de ceux qui n'ont rien fait, que votre texte serait vide. J'avoue alors ne pas comprendre pourquoi elle a manipulé les manifestations de lycéens de ces dernières semaines, comme on a pu le constater, par exemple, à la une de la presse locale angevine. D'ailleurs, transformer des jeunes en thuriféraires du conservatisme le plus profond, il faut le faire, si je puis dire !
Ces manifestations n'ont rien de spontané, d'autant que l'élément le plus contesté, à savoir la réforme du baccalauréat, après avoir figuré de façon sibylline dans le rapport annexé, fera, comme vous l'avez annoncé, l'objet d'une concertation.
Connaissant le goût pour la lecture du lycéen moyen, que j'ai fréquenté un certain nombre d'années, il y a fort à parier que le nombre de lycéens lecteurs du texte intégral soit fort réduit.
En revanche, les mêmes manifestants ne se préoccupent ni du brevet, ni des CAP, ni des BEP, qui sont tout aussi concernés, ce qui ne peut que m'amener à m'interroger sur le fondement des événements récents.
Monsieur le ministre, j'adhère à vos propositions parce que, pour la première fois depuis longtemps, vous faites prévaloir le bon sens et le pragmatisme sur les dogmatismes idéologiques. Vous nous proposez d'affirmer ce que la nation attend de l'école, à savoir assurer l'avenir des élèves qui lui sont confiés et réconcilier ainsi la nation et l'école. Vous rappelez les exigences fondamentales, notamment l'élévation du niveau de la formation initiale des jeunes Français, et c'est le moins que l'on puisse attendre du système éducatif pour préparer l'avenir du pays.
Vous rappelez que tout citoyen a le droit de demander des comptes à l'école. Vous ne cherchez pas le grand soir, la révolution, dont certains rêvent peut-être, et vous avez raison. D'ailleurs, il y a au moins autant de réformes de l'éducation nationale que de sénateurs dans cette assemblée. Vous placez au coeur des préoccupations les nécessaires remèdes aux échecs de certains élèves et aux inégalités.
Il ne m'est pas possible d'aborder tous les aspects du projet de loi. Aussi, je limiterai mon intervention au niveau des connaissances, à la formation des enseignants et à la réforme des examens.
Il y a péril, car l'école de la République est menacée d'implosion, ballottée par des demandes contradictoires et par les faiblesses de la société. Celle-ci a tendance à incriminer l'ensemble du corps enseignant et vous avez raison de souligner que c'est une erreur : dans leur majorité, les enseignants sont des serviteurs loyaux de la République, mais, dans certains cas, ils sont désenchantés.
En raison des vertus que l'on exige des enseignants, il est peu de parents, de journalistes ou de notables qui seraient capables et dignes d'exercer ce beau métier.
Cette situation engendre des réactions soit de découragement, pour beaucoup, soit hystériques chez une minorité se livrant à une désinformation peu compatible avec les principes de neutralité et de laïcité de l'enseignement public, ainsi qu'avec les exigences de rigueur et d'honnêteté intellectuelle de ceux qui ont la charge de former les jeunes.
De nombreux enseignants sont mal à l'aise face à l'image que l'école leur renvoie. En effet, pour les plus âgés, la génération des anciens combattants de mai 68, c'est à la fois l'effondrement d'une fantasmagorie appuyée sur l'égalitarisme et la volonté d'une pensée et d'un corps uniques qui a montré que massification n'était pas synonyme de démocratisation, et l'effondrement d'une idéologie rousseauiste et naïve croyant que le nec plus ultra de la pédagogie est la spontanéité de l'élève dont l'inné serait porteur de tous les espoirs. Les résultats observés montrent l'inanité de cette illusion et que le slogan « il est interdit d'interdire » a une date de péremption depuis longtemps dépassée.
Pour les plus jeunes enseignants, c'est l'échec de la formation, si par euphémisme on veut l'appeler ainsi, des IUFM, qui ne leur fournissent ni le bagage scientifique nécessaire à l'autorité du savoir ni le bagage pédagogique et technique nécessaire à l'autorité du pouvoir pour affronter des classes de plus en plus rétives et de moins en moins curieuses. C'est le résultat de l'inadaptation des programmes des IUFM et des choix des formateurs, trop souvent là pour échapper à l'enseignement devant les élèves.
Ce désarroi est accentué par un sentiment de déconsidération réel, même s'il est souvent excessif et nourri par une indigestion de réformettes et de déclarations démagogiques.
Aussi, monsieur le ministre, votre proposition d'intégrer les IUFM aux universités est une indispensable mesure de bon sens. Il restera ensuite, et ce ne sera pas le plus aisé, à en écarter tous les Trissotin et autres femmes savantes qui les encombrent. Il faudra aussi faire des efforts pour que les enseignants puissent se reconvertir à d'autres métiers.
Vous avez raison de rappeler que l'on attend beaucoup de l'école, mais que l'on ne peut tout en attendre ; elle ne peut résoudre tous les maux de la société. En effet, les valeurs sur lesquelles elle doit s'appuyer et sur lesquelles vous insistez sont antinomiques avec celles sur lesquelles la société surfe, si tant est que l'on puisse qualifier de « valeur » le laxisme généralisé et la loi du moindre effort. Comment convaincre les jeunes que, pour réussir, il faut travailler, alors qu'ils observent des adultes qui ne pensent qu'à l'organisation de leurs jours de RTT ? Comment convaincre qu'il y a du plaisir dans l'effort et le travail quand les médias étalent le laisser-aller et exaltent l'absence d'effort ?
Aussi, je suis convaincu que les principes sur lesquels vous vous appuyez sont en mesure de remédier à cette situation, qu'ils n'ont rien de passéistes, bien au contraire. Ils peuvent aider à remettre en route l'ascenseur social, à détecter les jeunes talents, souvent négligés par choix égalitariste.
A cet égard, le présent projet de loi a le mérite de ne pas être réservé aux initiés des arcanes du système éducatif. En effet, la massification de l'école a donné un avantage certain à ceux qui savent, ce qui est une source d'inégalités que confirment les résultats aux examens et les orientations prononcées. Aussi, les mesures préconisées me paraissent de nature à redonner confiance dans le système éducatif à tous ceux qui ont besoin de ses services.
D'aucuns affirment que la solution réside dans les moyens. C'est un mythe dont il est difficile de se débarrasser et qui évoque le tonneau des Danaïdes.
Le rapport de la Cour des comptes, même s'il faut le manipuler avec quelque prudence, le rappelle : il n'y a jamais eu autant de moyens. Pourtant, les difficultés comme l'illettrisme ou la violence se sont aggravées. Les problèmes seront donc résolus non pas par une augmentation considérable des moyens, mais par une meilleure utilisation de ceux-ci, puisqu'il semble bien que l'on assiste, depuis une vingtaine d'années, à une inflation des moyens accompagnée de rendements décroissants.
Monsieur le ministre, vous refusez de vous engager dans des réformes gadgets et vous souhaitez redonner de la stabilité à l'école, tout aussi nécessaire aux élèves qu'aux enseignants.
La modernisation et la clarification du système d'orientation que vous proposez s'imposent pour mettre fin à la façon essentiellement négative dont celui-ci fonctionne actuellement. Elles sont nécessaires pour que les élèves trouvent un sens aux efforts qui leur sont demandés. A juste titre, vous suggérez de redonner aux enseignants le rôle central qu'ils n'auraient jamais dû perdre dans le processus d'orientation ; cette mesure exige une formation approfondie, qui leur fait actuellement défaut. En effet, que savent les enseignants du système éducatif dans son ensemble, des entreprises, de l'environnement socioéconomique, etc. ?
Pour que ce dispositif soit efficace, il faut le centrer sur les établissements, qui doivent constituer de véritables communautés de formation et d'éducation. Les chefs d'établissement doivent disposer d'une véritable autorité sur ces communautés et être des managers éducatifs représentant l'Etat quand il s'agit de l'enseignement public.
Cela suppose une révision des modes d'évaluation des différents acteurs. Les inspections des enseignants sont trop rares pour être significatives et pour encourager les progrès.
Pour tout cela, rétablir l'autorité en s'appuyant sur des moyens classiques relève d'un pragmatisme de bon aloi
Pour ce qui est des connaissances, vous proposez de définir des objectifs fondés sur un socle commun. Cette démarche est nécessaire et se situe dans la droite ligne des créateurs de l'obligation scolaire, comme Jules Ferry. Mais la loi ne doit pas tomber dans le travers de vouloir définir les programmes ; certains amendements tendent à montrer que cette tentation existe. L'enseignement doit simplement se concentrer sur ce qui est fondamental et éviter la multiplication des options plus ou moins ésotériques et élitistes, dont le principal objectif est le détournement des contraintes de la carte scolaire.
Je dirai maintenant quelques mots sur le baccalauréat et l'émoi disproportionné que l'évocation de sa modernisation nécessaire a suscité. Il n'y a rien de sacrilège à vouloir réformer ce que d'aucuns qualifient de « monument de ringardise ». On n'y a pratiquement pas touché depuis 1969, au point qu'il n'est devenu trop souvent qu'un assignat dont beaucoup d'étudiants mesurent vite la dévaluation lorsqu'ils s'engagent dans les formations universitaires. C'est trop souvent un passeport pour nulle part !
Introduire le contrôle continu dans l'examen du baccalauréat est une nécessité ; c'est d'ailleurs en partie le cas pour l'éducation physique ou les TPE. Cela a pour but non seulement d'en alléger l'organisation, mais aussi d'en améliorer la valeur. Peut-on, par exemple, concevoir de juger le niveau de langue d'un élève sur une épreuve écrite terminale ou un oral de dix minutes ? Et les exemples sont nombreux.
Votre projet de réforme, monsieur le ministre, doit être soutenu, car il veut réconcilier la nation et son école, avec des objectifs clairs : garantir la liberté pédagogique des enseignants, affirmer leur autorité, récompenser le mérite avec les bourses du même nom - ce qui est simplement de la discrimination positive intelligente -, rappeler la place essentielle du travail, définir le socle de connaissances nécessaires, refuser les gadgets, prendre en compte les difficultés des élèves. Ces mesures de bon sens, auxquelles on n'est plus habitué, sont une garantie de qualité, d'efficacité et de justice.
Après cela, monsieur le ministre, il vous restera à vaincre les forces d'inertie de ceux qui trouvent toujours de bonnes raisons de ne rien faire et à vous opposer au rétropédalage de quelques autres.
Vous répondrez alors à ce que la nation souhaite, pour aller dans le sens de ce qu'écrivait naguère Jacques Julliard.
« En vérité, nous ne sommes pas respectés parce que nous ne nous respectons plus. [...] la France est envahie de bobologues compatissants, de sociologues misérabilistes, [...] de jeunologues à l'écoute. Ecoutez donc un peu moins et tâchez donc de comprendre un peu plus. Ce que ces "jeunes" attendent de nous, [...] c'est de notre part un peu plus de fierté, un peu plus de croyance dans nos propres valeurs. Il faudrait être à la fois plus ferme et plus généreux, quand nous sommes complaisants et égoïstes. Il faudrait, envers les jeunes, sortir de ce cercle vicieux où tout leur est permis parce que rien ne leur est proposé. »
Monsieur le ministre, je suis convaincu que vos propositions sont là pour répondre à ces défis. C'est pourquoi je voterai sans crainte la réforme que vous nous proposez. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Paul Virapoullé.
M. Jean-Paul Virapoullé. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j'interviens plus en tant que militant de l'éducation que comme sénateur. En 1986 j'ai été élu député. J'étais donc membre de l'opposition lorsque M. Jospin, alors ministre de l'éducation, nous présenta son projet de loi d'orientation en 1989. J'ai étudié le texte, sur lequel j'ai déposé deux amendements : le premier visait à indiquer qu'il s'agissait d'une priorité nationale ; le second prévoyait le rattrapage, dans les cinq ans à venir, de l'écart existant, en matière d'encadrement, entre les départements d'outre-mer et la métropole. Ce n'est pas tout à fait réalisé, mais c'est en bonne voie !
Lorsque j'ai annoncé à mes collègues que j'allais voter cette loi, car elle n'était pas si mauvaise que cela, il m'a été répondu ceci : « quand on appartient à l'opposition, on ne vote pas une loi de la majorité ». Je me suis alors permis de faire une réflexion de bon sens : « l'école de mon pays, comme la force de dissuasion et la défense, ne devrait pas faire l'objet d'un enjeu politicien ». Puis, j'ai voté la loi. Je ne le regrette pas, parce que cela a permis de faire évoluer les choses dans le bon sens.
Ce soir, l'opposition campe sur ses positions idéologiques : elle fait un procès d'intention à une loi courageuse que vous êtes en train de mettre en place, monsieur le ministre ; elle dénigre ce texte comme si nous étions réunis ici, pendant quatre jours, pour supprimer le service public, laïque et gratuit de l'éducation, pour faire le procès des élèves, des parents et des enseignants.
Tel n'est pas notre intention, ni celle du Gouvernement, ni celle du Président de la République, qui souhaitait cette loi, et encore moins celle de la majorité qui vous soutient, monsieur le ministre ! Nous sommes venus exprimer notre reconnaissance aux enseignants, car ils travaillent dans des conditions difficiles.
Lorsque vous êtes un instituteur frais émoulu de l'IUFM et que votre classe compte vingt-deux nationalités différentes, eh bien ! vous avez d'abord peur de rentrer dans la classe ; ensuite, vous craignez de vous faire agresser à la sortie. Vous n'avez pas la reconnaissance de vos aînés, alors que vous trimez pour faire réussir les élèves.
Nous ne faisons pas le procès des enseignants, des parents ou des enfants ! Nous essayons de nous frayer un chemin pour apporter une solution à ces jeunes. Tel est l'objet du présent projet de loi et c'est la raison pour laquelle je le soutiens.
Certains disent que, si l'ascenseur social est bloqué, c'est la faute de l'école. Ce n'est pas vrai !
Il est minuit passé, heure propice au rêve, alors faisons un rêve ensemble : nous avons une école idéale ; tout le monde réussit et en sort bachelier. Pour autant, tout le monde aura-t-il un emploi ? Non, la file d'attente des chômeurs diplômés à l'ANPE va simplement augmenter !
Pendant les mois de discussion qui ont précédé l'examen de votre projet de loi, monsieur le ministre, comme beaucoup de sénateurs, j'ai reçu des lycéens, des parents, des enseignants. Je leur ai demandé s'ils avaient lu le projet de loi. Certains d'entre eux étaient gênés, car ils ne l'avaient ni lu ni étudié. Au fil des jours, les manifestations s'estompent et la compréhension s'installe, en dehors des slogans que l'on a entendus ce soir, parce que les gens admettent que ce n'est pas l'école qui bloque l'ascenseur social : c'est la société de libre-échange, imposée par des puissances financières extérieures à l'Europe, en Asie ou sur le continent américain, qui est en train de démanteler des pans entiers de notre circuit de production. Dès lors, les personnels qualifiés ne trouvent plus d'emploi dans notre pays. Ce n'est pas l'école qui va résoudre ce problème ; c'est une Europe politique forte, que nous voulons construire au fil des ans. Donnons à l'école sa part de mérite et de responsabilité, et à la politique la sienne !
Il ne faut pas exploiter la crainte, justifiée, des jeunes, des enseignants et des parents en faisant un faux procès à ce projet de loi. Chacun constatera, dans les mois à venir, que l'on ne souhaite pas la fin du service public.
Aux termes de la loi, lorsqu'un enfant rencontrera une difficulté, on n'attendra pas qu'il rentre en sixième sans savoir ni lire, ni écrire ni compter : on interviendra dès la découverte du problème et on l'aidera à remettre le pied à l'étrier ! On offrira à chaque élève un socle commun de connaissances. On admet qu'un élève ne puisse pas soulever cent kilogrammes, on admet qu'il ne puisse pas courir comme Marie-Josée Perec ou jouer au football comme Zinedine Zidane, mais on n'admet pas qu'il n'ait pas les mêmes capacités intellectuelles que d'autres. On dispense à toute une classe les mêmes connaissances et, si l'un des élèves trébuche, on le considère comme un âne ! Le projet de loi a au moins le mérite de donner à chacun sa chance !
Je ne vois pas en quoi on exécute le service public, laïque et gratuit de l'éducation lorsqu'on fournit aux enfants en difficulté les moyens de s'intégrer, au fur et à mesure, au cursus et de réussir.
Par ailleurs, monsieur le ministre, j'ai déposé un amendement tendant à ce que l'orientation soit enseignée.
Je ne veux choquer personne, mais, jusqu'à présent, l'école est un peu trop la propriété du milieu enseignant. L'école est le miroir de la société ! Alors, faisons rentrer la société dans l'école ; organisons des rencontres entre le monde du travail et les enfants, qui, demain, mettront leurs compétences au service du pays ; invitons les boulangers, les maçons, les pâtissiers, les mécaniciens, les médecins, les ingénieurs dans les collèges et les lycées. Ce sont eux les vrais conseillers d'orientation ! Ce sont eux qui éveilleront les vocations, qui donneront le goût à l'apprentissage d'un métier à notre jeunesse.
Je souhaite que cette loi soit audacieuse, afin que tombent les murs des lycées et des collèges et que pénètre dans l'école le monde du travail. Si nous y parvenons, au lieu de s'engager dans des voies de garage, les jeunes se lanceront dans des cursus qui correspondent à leur vocation.
Enfin, si l'école moderne n'est pas une caserne où tout le monde doit mesurer un mètre soixante et exécuter un travail identique pendant le même temps, alors elle contribuera à relever le défi de la société Si on éveille la vocation de chaque enfant en lui demandant le métier qu'il rêve d'exercer un jour et qu'on lui donne les moyens de s'acheminer vers ce métier, des miracles se produiront.
A la Réunion, il n'y a ni pétrole ni minerai ; la seule richesse, ce sont les jeunes. Monsieur le ministre, en 1946, date de la départementalisation, on comptait trente bacheliers. Grâce au miracle de l'égalité, de la liberté et de la fraternité, valeurs que seule notre République peut dispenser, alors que la population triplait, le nombre de bacheliers passait à plus de deux mille.
Des problèmes subsistent, que ma collègue de la Réunion a évoqués, par exemple un retard dans l'encadrement. On n'a pas pu réaliser en cinquante ans ce que vous avez accompli en deux siècles ! Toutefois, en cinquante ans, l'école a fait des miracles : elle a offert une voie d'intégration sociale à des familles qui vivaient dans la misère.
La pire des injustices, selon Socrate, c'est de traiter de la même manière des personnes qui se trouvent dans des situations différentes. Selon la région, le quartier, les facultés intellectuelles données par le bon Dieu, les jeunes sont dissemblables.
Monsieur le ministre, votre projet de loi, que je voterai avec espoir, a le mérite de faire du sur-mesure : on passera du moule unique à l'école de la vocation. En étant audacieux, en provoquant la rencontre entre le monde du travail et les désirs professionnels de notre jeunesse, on fera émerger une société de progrès, de liberté, d'éducation, de travail et de dignité. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)
M. le président. La parole est à M. Philippe Goujon. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. Philippe Goujon. Mes chers collègues, M. le ministre l'a dit et c'est vrai : avec le texte qui nous est soumis, la nation a rendez-vous avec son école.
Aujourd'hui, plus de deux siècles après que Condorcet a construit son premier projet sur l'instruction publique, des centaines de milliers d'élèves ne maîtrisent pas leur langue maternelle et, chaque année, ils sont 80 000 à ne savoir réellement ni lire, ni écrire, ni compter à leur entrée en sixième. Chaque année, pas moins de 150 000 jeunes sortent du système scolaire sans diplôme, ni qualification reconnue.
Ces données suffisent, à l'évidence, à traduire la situation de malaise endémique dans laquelle se trouve l'école, pourtant premier facteur de cohésion et premier lieu d'intégration dans notre société, et elles montrent l'ampleur des défis que cette dernière doit relever.
Si l'éducation nationale n'obtient pas les résultats que l'on est en droit de lui demander, alors elle est en péril, comme l'est aussi l'avenir de la nation et de la République.
A la hauteur des enjeux, le projet de loi que vous nous présentez, monsieur le ministre, engage une profonde transformation de notre système éducatif et fixe à celui-ci de nouveaux objectifs pour les années à venir : assurer la réussite de tous les élèves ; renforcer la qualité du service public de l'éducation ; ouvrir davantage l'école sur les exigences du monde extérieur.
Votre texte est le résultat d'un long processus de maturation, marqué par un large débat, étalé sur près d'une année, au cours de laquelle plus d'un million de Français ont pris la parole pour dire leurs espérances et leurs attentes. Ayant participé - comme nombre d'entre vous, mes chers collègues -à ce débat dans le XVe arrondissement de Paris, je tiens à témoigner ici de sa très grande richesse.
Après avoir consulté la communauté scolaire de mon arrondissement, j'ai constaté la justesse de bien des orientations contenues dans le projet de loi, même si, bien sûr, des questions restent en suspens.
Aussi, monsieur le ministre, je veux particulièrement vous féliciter pour la méthode employée, qui, loin des discours convenus, est faite de discussion avec tous, d'écoute de chacun, de décisions lucides et courageuses prises dans l'intérêt général.
En présentant ce projet de loi, vous refusez l'inaction coupable, vous luttez résolument contre les inégalités et vous défendez sans relâche les valeurs républicaines.
Notre école a relevé le défi de la démocratisation et de la massification, mais, il faut le reconnaître, depuis plus de dix ans, les résultats stagnent. Dans ces conditions, il est primordial de faire évoluer le système, ce qui implique d'agir à la fois sur les structures, sur les hommes et sur les stratégies.
S'agissant des structures, le projet de loi renvoie avec justesse au projet d'école et au conseil des maîtres dans le premier degré, comme il renvoie au projet d'établissement et au conseil de classe dans le second degré. Cependant, il ne consacre pas un exact parallélisme des formes, les écoles n'ayant pas le statut d'établissement public local d'enseignement.
Or la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales permet de créer des établissements publics locaux d'enseignement primaire. Sans nul doute, la création d'EPLE du premier degré qui regrouperaient plusieurs écoles favoriserait une gestion plus souple des personnels, donc une meilleure utilisation des compétences. La globalisation des moyens permettrait également de mieux répartir ce qui relève du périscolaire. Aussi serait-il opportun, monsieur le ministre, que des dispositions réglementaires traduisent cette orientation.
Le statut d'EPLE du premier degré devrait être accompagné de celui de chef d'établissement pour le directeur.
En effet, l'absence de statut pour les directeurs d'école rend difficile l'affirmation de leur autorité auprès de leurs collègues, en particulier lorsqu'il s'agit de mettre en place les réformes pédagogiques. Si, à la tête d'un EPLE du premier degré, se trouvait un directeur ayant statut de chef d'établissement non seulement l'autorité qui manque tellement aujourd'hui se trouverait renforcée, mais l'inspecteur d'académie aurait un seul interlocuteur et l'inspecteur de l'éducation nationale n'aurait plus besoin d'assumer de tâche administrative ; il retrouverait alors tout naturellement son rôle de conseiller pédagogique.
Cette expérience mériterait d'être tentée à Paris, d'autant qu'elle ouvrirait le chemin d'un renforcement de l'accompagnement pédagogique et d'une véritable politique d'encadrement, chemin qui reste aujourd'hui largement fermé.
Sur un autre plan, je tiens à insister sur la nécessité de maintenir les moyens attribués aux directeurs d'écoles, tels les logements de fonction, pour leur permettre d'exercer pleinement les missions qui leur sont confiées. Une menace existe sur ce point.
Au-delà de l'exemple du premier degré, c'est l'ensemble de la politique d'encadrement de notre pays en matière d'éducation nationale qui mérite d'être renouvelée, afin que les enseignants trouvent enfin les aides et les conseils pédagogiques cohérents qu'ils attendent. Le temps est peut-être venu de redéfinir la mission des corps d'inspection et de réaffirmer leur vocation pédagogique.
Beaucoup plus largement, même si, je tiens à le souligner, ils ne se résignent pas, il convient que les enseignants jouissent, aussi bien dans la société qu'au plus haut niveau de la hiérarchie, de la considération et de la confiance aptes à les mobiliser autour de leur ambition, qui est également la nôtre : assurer la réussite de tous les élèves.
Mais la communauté scolaire, ce sont aussi les parents d'élèves. L'éducation n'est-elle pas d'abord de la responsabilité des parents ? Il est bon de préciser que les familles concourent à la réussite des missions de l'école.
En ce qui concerne le fonctionnement des conseils, je le dis de façon incidente, mais j'y insiste, il serait vivement souhaitable que soit mieux respectée la circulaire du 3 mai 2001 précisant que les temps de représentation des parents dans l'établissement doivent être compatibles avec leur temps de travail.
Les hommes mettent en oeuvre des stratégies. Pour traiter les problèmes de l'école, la logique quantitative a désormais atteint ses limites ; d'autres l'ont dit avant moi. En vingt-cinq ans, les moyens ont été multipliés par deux et, en quinze ans, 130 000 enseignants supplémentaires ont été recrutés tandis que le nombre d'élèves baissait de 500 000 !
Dès lors, il importe de dissocier l'évaluation des élèves de celle des moyens et d'évaluer la performance des établissements à l'aune des résultats des élèves. C'est pourquoi la démarche d'évaluation doit être impérativement accompagnée d'une politique contractuelle entre chaque académie et les établissements, comme cela est d'ailleurs mentionné dans le rapport annexé, en référence à la loi organique relative aux lois de finances.
Si l'expérimentation du statut d'EPLE du premier degré et de celui de chef d'établissement pour les directeurs a, conformément à mes voeux, lieu à Paris, cette politique contractuelle s'appliquera de facto à ces écoles et leur permettra de répondre ainsi aux critiques fortes qui leur sont adressées dans le rapport de septembre 2004 des inspections générales sur l'évaluation de l'enseignement dans l'académie de Paris.
La principale singularité parisienne tient au fait que, sur l'initiative de Jacques Chirac, alors maire de Paris, des professeurs de la Ville de Paris, dits PVP, participent à l'enseignement maternel et primaire aux côtés des maîtres de l'enseignement public. Mais, aujourd'hui, si la mission des inspections générales a reconnu « la qualité de l'enseignement dispensé par les PVP », elle a déploré « l'absence trop fréquente de coordination » avec les maîtres, « l'effet "déresponsabilisant" de la multiplication des enseignants » et « les graves dysfonctionnements qui en résultent parfois ».
La politique contractuelle entre l'académie et les établissements apporterait sans doute une solution à de telles insuffisances. Le lien évaluation-résultats que cette politique obligerait à tisser serait d'autant plus utile que, si l'on en croit le rapport, il a été constaté que « l'académie de la capitale de la France n'enregistrait pas, globalement, les bons résultats scolaires que l'on aurait attendus ».
Enfin, l'orientation, chacun le reconnaît, est l'un des points faibles de notre institution scolaire. Alors que le redoublement ne peut constituer qu'un moyen de dernier recours, une meilleure orientation s'impose, comme d'ailleurs s'impose une mobilisation plus forte du mouvement associatif pour le soutien scolaire.
Celui-ci devrait être conçu en étroite complémentarité avec le « programme personnalisé de réussite scolaire », que le rapporteur propose judicieusement de rebaptiser « parcours personnalisé de réussite éducative ».
Cette notion de personnalisation est fort pertinente, s'agissant aussi bien des élèves perturbant gravement le déroulement des classes, qui seront pris en charge par les dispositifs relais que vous allez multiplier, monsieur le ministre, que des élèves en situation de handicap, scolarisés dans des unités pédagogiques d'intégration, dont le nombre sera considérablement augmenté, ce qui est extrêmement important, même s'il importe de ne surtout pas renoncer à scolariser ces élèves dans les établissements normaux, moyennant un accompagnement individualisé.
En ce qui concerne les élèves qui rencontrent des difficultés avec l'institution scolaire, faut-il, monsieur le ministre, préférer l'intégration de la note de vie scolaire dans le brevet plutôt que d'en faire un indicateur de socialisation depuis la classe de sixième ?
Parce qu'il convient aujourd'hui de prendre en considération la dimension européenne de l'éducation et le problème de l'orientation tout au long de la vie, un regroupement des personnels de l'éducation nationale chargés de l'information et de l'orientation des élèves et du monde professionnel pourrait utilement être envisagé et organisé au sein d'un grand service d'orientation et d'information.
La réunion de ces personnels au sein d'une même structure constituerait un progrès certain, au-delà de la simple « coopération » évoquée dans le rapport annexé.
Monsieur le ministre, votre projet de loi est un texte de bon sens qui vise à redresser une situation compromise. Nous partageons pleinement votre détermination à le mettre en oeuvre.
Garantir l'acquisition par chaque élève d'un socle commun de connaissances et de compétences, loin d'instaurer un minimum éducatif, constitue la condition de l'accès à une citoyenneté réfléchie et à la culture universelle non pas, comme l'aurait dit Jules Ferry, pour « embrasser tout ce qu'il est possible de savoir », mais pour « apprendre tout ce qu'il n'est pas permis d'ignorer » : c'est une disposition de bon sens.
Dépasser l'opposition stérile des savoirs et de la pédagogie, c'est encore du bon sens.
Garantir le remplacement des professeurs absents, symboles pour les élèves et leurs parents d'un blocage inadmissible de l'institution scolaire, et éviter ainsi les classes sans professeurs, mais aussi, je le dis incidemment en référence aux dysfonctionnements révélés récemment dans la gestion des personnels, les professeurs sans classe, c'est toujours du bon sens.
Développer massivement l'enseignement des langues vivantes, c'est plus que du bon sens : c'est une impérieuse nécessité dans l'Europe que nous voulons.
Tripler les bourses accordées aux bons élèves et les prolonger dans l'enseignement supérieur, c'est aussi plus que du bon sens : c'est briser les barrières sociales.
Par conséquent, monsieur le ministre, c'est non seulement sans réserves, mais aussi avec conviction que je voterai ce projet de loi lucide et ambitieux, que vous défendez avec énergie et talent pour la seule cause qui vaille : l'avenir de nos enfants ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Fourcade.
M. Jean-Pierre Fourcade. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, intervenant à cette heure tardive dans la discussion générale, je ne vais ni énumérer toutes les qualités de ce projet de loi, que je soutiens, ni indiquer les éléments qui fondent ma conviction ; je bornerai mon propos à un constat, un souvenir, une remarque et une suggestion.
S'agissant du constat, il est temps que nos concitoyens découvrent que le monde qui les entoure est de plus en plus compétitif et complexe, et que la formation des jeunes doit tenir compte de ses exigences.
Tout ce que l'on peut raconter à propos de l'histoire, par exemple à l'occasion de commémorations comme celle du centenaire de la naissance de Jean-Paul Sartre, ou sur la proximité du mois de mai, n'a pas grand sens au regard du problème auquel nous sommes confrontés : trop de jeunes sortent du système éducatif sans aucune formation, ce qui est source de chômage, de mauvaise insertion et de violence.
J'en viens au souvenir, monsieur le ministre. En 1975, j'étais au gouvernement et je discutais avec René Haby de ce fameux texte que certains intervenants ont évoqué. J'ai eu, avec René Haby, un grand débat financier sur la question de savoir s'il convenait de prévoir, dans le budget de 1976, une provision en vue d'améliorer le statut des chefs d'établissement. Or je me souviens qu'à la suite de la discussion de ce texte en conseil des ministres il avait été décidé de consacrer une provision importante - il s'agissait de plusieurs centaines de millions de francs de l'époque - à l'amélioration du statut, de la reconnaissance et des rémunérations des directeurs d'école et des chefs d'établissement.
Quelque temps plus tard, alors que je demandais à René Haby de m'indiquer les mesures d'application de cette décision, il m'a répondu qu'il avait rencontré avec les organisations syndicales des difficultés telles qu'il avait consacré cet argent à d'autres actions. Voilà trente ans, monsieur le ministre, que le mécanisme perdure !
Je constate, avec plaisir, que votre texte comporte un certain nombre d'éléments qui favoriseront cette amélioration du statut des directeurs d'école et des chefs d'établissement. Mais c'est encore insuffisant : nous ne parviendrons à redresser l'ensemble de notre système qu'en donnant aux directeurs d'école et aux chefs d'établissement des pouvoirs de notation pour assurer la cohésion de leurs équipes. Votre texte va dans ce sens. Je constate que, trente ans plus tard, ce sont les mêmes qui nous expliquent qu'il ne peut y avoir de primus inter pares, de gens qui commandent, et que nous devons adopter un dispositif totalement égalitaire. Je le déplore, car ce n'est pas dans ces conditions que nous pourrons améliorer le fonctionnement de notre système scolaire.
Ma remarque concerne les travaux dirigés. J'ai interrogé des lycéens qui participaient à des manifestations sur leurs inquiétudes eu égard à ce projet de loi, en dehors de la question du baccalauréat. Ils m'ont répondu qu'ils ne comprenaient pas pourquoi on prévoyait de supprimer les travaux dirigés en terminale. Pour avoir étudié le texte, je leur ai fait valoir qu'à partir du moment où l'on mettait en place un parcours personnalisé de manière à aider les élèves dès qu'ils rencontraient des problèmes, que ce soit dans l'enseignement primaire, au collège, ou au lycée, il était difficile de conserver tout le système.
Les travaux dirigés permettent de former un certain nombre de jeunes au dialogue, à la recherche personnelle et à la discussion, autant de qualités insuffisamment développées dans les parcours scolaires. Monsieur le ministre, quel sort comptez-vous réserver, dans les réformes futures, à cet aspect du travail des enseignants ?
J'en arrive à ma suggestion. Celle-ci part d'une constatation, qui m'a été inspirée par mes fonctions de maire. Exerçant ces fonctions depuis trente-quatre ans, j'ai quelque expérience des sujets relatifs à l'enseignement. Et j'ai eu la chance, dans les deux villes qui m'ont confié leur administration, d'y avoir un corps enseignant de très grande qualité. J'ai toujours constaté que les circulaires ministérielles, les fameux « bulletins officiels », l'accumulation de divers documents étaient une composante très importante, sinon du mécontentement, du moins de l'irritation permanente des membres du corps enseignant.
Les technologies de communication sont aujourd'hui beaucoup plus développées : nous disposons d'internet, d'extranet, voire de blog, dernière modalité permettant d'avoir une conversation libre sur ordinateur. La très grande majorité des enseignants actuels sont compétents, dévoués - tous nos collègues l'ont dit -, mais ils sont quelque peu désorientés par l'évolution de la société et les efforts qui leur sont demandés pour régler des problèmes que ni la police, ni la justice, ni les pouvoirs publics locaux ou nationaux ne parviennent à résoudre. Tous ces enseignants seraient heureux que vous, le numéro un de l'énorme pyramide à laquelle ils appartiennent, puissiez leur parler tranquillement Si vous preniez l'habitude, toutes les semaines ou tous les quinze jours, de vous adresser soit aux directeurs d'école, soit aux proviseurs, soit aux principaux, soit aux animateurs, soit aux personnels qui travaillent dans les ZEP pour leur exposer les problèmes que vous rencontrez, les orientations que vous prévoyez et les objectifs de la réforme que vous proposez au Parlement, vous casseriez le système actuel, un peu opaque, ces relations tayloriennes qui existent entre le ministre, son cabinet, les inspecteurs généraux, les recteurs, les inspecteurs d'académie et autres.
Monsieur le ministre, en vous entretenant directement, au moyen des mécanismes modernes, avec les personnels de base, à condition, bien entendu, de le faire régulièrement, en instillant un peu plus d'humanité et de considération dans vos rapports avec l'ensemble de ceux qui forment actuellement les enfants, vous accompagneriez parfaitement la réforme courageuse que vous avez lancée, et que je voterai sans aucune réserve.(Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)
M. le président. La parole est à M. Charles Revet.
M. Charles Revet. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, étant le dernier intervenant, je ne reprendrai pas ce qui a été dit excellemment par de nombreux orateurs précédents, en particulier par le président de la commission, Jacques Valade, et par les deux rapporteurs, Jean-Claude Carle et Gérard Longuet.
Monsieur le ministre, à l'évidence, nous partageons l'analyse qui figure dans l'exposé des motifs et les objectifs que vous assignez à ce projet de loi. Je formulerai donc simplement quelques réflexions.
Notre système scolaire s'articule autour de quatre niveaux d'enseignement : la maternelle, l'enseignement primaire, l'enseignement secondaire et l'enseignement supérieur. Je m'exprimerai sur le contenu de ces différentes strates.
Vous proposez, à juste titre, monsieur le ministre, de développer l'enseignement des langues étrangères et de commencer cet apprentissage dès l'école primaire. Au risque de vous surprendre, je serais partisan de le prévoir plus en amont encore, c'est-à-dire dès la maternelle.
En effet, je suis toujours surpris de voir la quantité de connaissances que les tout jeunes enfants peuvent « engranger » en peu d'années. Ainsi, des jeunes qui ne savent ni écrire ni compter peuvent, dès l'âge de cinq ou six ans, quasiment tenir une conversation avec des adultes. Cet apprentissage précoce pourrait constituer la meilleure solution : d'abord, peu d'enseignants sont formés pour assurer cette mission ; ensuite, il faut, au niveau élémentaire, consacrer l'essentiel du temps à ce que Jean-Claude Carle a souvent appelé « les fondamentaux », c'est-à-dire le socle de base qui comprend l'apprentissage de la lecture et de l'écriture ; enfin, un élève de maternelle, pour peu que la démarche soit adaptée, ce qui suppose qu'elle soit ludique et attractive, sera plus réceptif à l'apprentissage des langues.
Vous voulez, monsieur le ministre - et nous vous approuvons - faire en sorte que le socle de base de connaissances - la lecture, l'écriture et le calcul - soit nettement plus solide.
Pour autant, monsieur le ministre, tous les jeunes n'accéderont pas à l'enseignement supérieur : certains prendront assez rapidement une autre orientation. Dans ces conditions - cela vous paraîtra peut-être rétrograde - ne faudrait-il pas valider les acquis, par exemple en réinstaurant le certificat d'études primaires ou en validant des études antérieures ? Car le jeune qui entrera en apprentissage n'aura aucune validation de ses années d'études faute d'avoir pu passer son brevet.
Vous avez, monsieur le ministre, manifesté votre volonté de redonner à l'apprentissage sa vraie place : vous souhaitez en faire une filière adaptée et plus attrayante pour un certain nombre de jeunes. Il est vrai que l'apprentissage peut, pour certains, représenter une nouvelle chance, mais il faudrait pouvoir y accéder plus tôt, c'est-à-dire à partir de quatorze ans.
Je me permettrai de vous faire part d'une expérience que j'ai engagée en Seine-Maritime, voilà quelques années.
Le collège Georges Braque, situé sur les hauteurs de Rouen, est incendié. Je me rends le matin sur les lieux : je rencontre la principale et je prends rendez-vous quelques jours plus tard pour suivre les travaux avec les services concernés. A la date convenue, arrivé devant l'établissement, j'engage la conversation avec quatre ou cinq jeunes attroupés devant le portail. Ils me demandent qui je suis et ce que je viens faire. Je leur réponds que je suis le président du conseil général et que je viens voir l'avancement des travaux de leur collège. J'interroge ensuite l'un d'eux sur ce qu'il aimerait faire dans la vie. Il me répond : « je voudrais être mécanicien ». Je lui demande s'il souhaiterait apprendre la mécanique dans son collègue. Il me dit : « j'en rêve ! ». Je rappelle que ce collège est situé dans l'un des secteurs des plus difficiles de la banlieue rouennaise et qu'il connaît un taux d'échec très élevé.
J'ai donc fait part à la principale de cette conversation en lui demandant si elle serait prête à tenter une expérimentation dans son collège, afin que ces jeunes qui rencontrent des difficultés puissent y apprendre un métier. Elle m'a objecté qu'il lui fallait auparavant obtenir l'accord de l'inspecteur d'académie, du recteur. J'ai donc téléphoné à ces derniers, lesquels m'ont répondu qu'il fallait également avoir l'accord du ministre.
Trois mois plus tard, les accords sont obtenus, mais on demande si je suis prêt à contribuer financièrement à ce projet. J'accepte de faire un essai. Après plusieurs réunions avec le recteur, l'inspecteur d'académie, les professeurs et les principaux du collègue, un programme est établi.
Quelle n'a pas été ma surprise, monsieur le ministre, de recevoir la visite en Seine-Maritime de l'actuel Premier ministre le premier week-end de Pentecôte, après sa nomination, pour s'informer sur les expérimentations qui avaient été engagées. Il a pu entendre, dans l'hôtel de ville de Rouen où étaient rassemblés les intervenants, deux témoignages de jeunes. Une jeune fille, en particulier, a souligné que le collège ne l'intéressait pas, mais que l'expérimentation qui lui avait été proposée comprenant un tiers temps de formation classique, une formation d'apprentissage au collège et un stage pratique en entreprise, lui avait permis d'obtenir un CAP et de trouver un emploi. Le témoignage de l'autre jeune était analogue.
Il me semble que nous devrions nous appuyer sur de telles démarches pour pouvoir donner une nouvelle chance à ces jeunes. C'est une bonne expérience.
M. Gérard Longuet, rapporteur pour avis. Bien sûr !
M. Charles Revet. Il ne s'agit pas d'un problème d'argent ou d'enseignants ; ces derniers sont dévoués et de grande qualité. C'est le système scolaire qui n'est plus adapté et il importe de le changer.
Il faut redonner leur chance à un maximum de jeunes, en particulier aux 150 000 ou 160 000 qui sortent chaque année du système scolaire sans diplôme et aux 80.000 qui en sortent quasiment illettrés. Je suis quelque peu surpris d'entendre qu'il ne faut pas délibérer à cet égard. Qu'allons-nous faire de ces jeunes ? Monsieur le ministre, c'est à cela que nous voulons travailler avec vous, pour que, demain, un maximum d'entre eux puissent être des citoyens responsables et pleinement épanouis dans leur vie personnelle, leur vie familiale et leur vie professionnelle. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF. M. André Lejeune applaudit également.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ? ...
La discussion générale est close.
La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.
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Transmission DE PROJETS DE LOI
M. le président. J'ai reçu, transmis par M. le Premier ministre, un projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, autorisant l'approbation des protocoles d'application de la convention alpine du 7 novembre 1991 dans le domaine de la protection de la nature et de l'entretien des paysages, de l'aménagement du territoire et du développement durable, des forêts de montagne, de l'énergie, du tourisme, de la protection des sols et des transports.
Le projet de loi sera imprimé sous le n° 245, distribué et renvoyé à la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.
J'ai reçu, transmis par M. le Premier ministre, un projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, autorisant l'approbation du protocole additionnel à la convention sur le transfèrement des personnes condamnées.
Le projet de loi sera imprimé sous le n° 246, distribué et renvoyé à la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.
J'ai reçu, transmis par M. le Premier ministre, un projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, autorisant l'approbation du protocole modifiant la convention portant création d'un office européen de police (convention Europol) et le protocole sur les privilèges et imunités d'Europol, des membres de ses organes, de ses directeurs adjoints et de ses agents.
Le projet de loi sera imprimé sous le n° 247, distribué et renvoyé à la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.
J'ai reçu, transmis par M. le Premier ministre, un projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, autorisant l'approbation de la convention sur la cybercriminalité et du protocole additionnel à cette convention, relatif à l'incrimination d'actes de nature raciste et xénophobe commis par le biais de systèmes informatiques.
Le projet de loi sera imprimé sous le n° 248, distribué et renvoyé à la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.
J'ai reçu, transmis par M. le Premier ministre, un projet de loi, modifié par l'Assemblée nationale, relatif aux aéroports.
Le projet de loi sera imprimé sous le n° 249, distribué et renvoyé à la commission des affaires économiques et du Plan.
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DÉPÔT D'UNE PROPOSITION DE LOI
M. le président. J'ai reçu de Mme Gélita Hoarau une proposition de loi relative au personnel techniciens, ouvriers, de service dans la région et le département de la Réunion et tendant à modifier la loi du 13 août 2004 relative aux Libertés et responsabilités locales.
La proposition de loi sera imprimée sous le n° 243, distribuée et renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.
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DÉPÔT D'UNE PROPOSITION DE résolution
M. le président. J'ai reçu de M. Robert Bret une proposition de résolution, présentée au nom de la délégation pour l'Union européenne en application de l'article 73 bis du règlement, sur la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil concernant l'accès au marché des services portuaires (n° E-2744).
La proposition de résolution sera imprimée sous le n° 244, distribuée et renvoyée à la commission des affaires économiques et du Plan, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.
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TEXTES SOUMIS AU SÉNAT EN APPLICATION DE L'ARTICLE 88-4 DE LA CONSTITUTION
M. le président. J'ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :
- Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil concernant les droits des personnes à mobilité réduite lorsqu'elles font des voyages aériens.
Ce texte sera imprimé sous le n° E-2840 et distribué.
J'ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :
- Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil concernant l'information des passagers du transport aérien sur l'identité du transporteur aérien effectif et la communication des informations de sécurité par les Etats membres.
Ce texte sera imprimé sous le n° E-2841 et distribué.
J'ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :
- Proposition de règlement du Conseil modifiant le règlement (CE) n° 3605/93 en ce qui concerne la qualité des données statistiques dans le contexte de la procédure concernant les déficits excessifs.
Ce texte sera imprimé sous le n° E-2842 et distribué.
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ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l'ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à aujourd'hui, mercredi 16 mars 2005, à quinze heures et le soir :
Suite de la discussion du projet de loi (n° 221, 2004-2005), adopté par l'Assemblée nationale, après déclaration d'urgence, d'orientation pour l'avenir de l'école.
Rapport (n° 234, 2004-2005.) fait par M. Jean-Claude Carle, au nom de la commission des affaires culturelles.
Avis (n° 239, 2004-2005.) de M. Gérard Longuet au nom de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation.
Le délai limite pour le dépôt des amendements est expiré.
Délai limite pour les inscriptions de parole et pour le dépôt des amendements
Projet de loi portant diverses mesures de transposition du droit communautaire à la fonction publique (n° 172, 2004-2005) ;
Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mardi 22 mars 2005, à dix-sept heures
Délai limite pour le dépôt des amendements : mardi 22 mars 2005, à dix-sept heures.
Projet de loi organique relatif aux lois de financement de la sécurité sociale (n° 208, 2004-2005) ;
Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mercredi 23 mars 2005, à dix-sept heures ;
Délai limite pour le dépôt des amendements : mercredi 23 mars 2005, à seize heures.
Personne ne demande la parole ?...
La séance est levée.
(La séance est levée le mercredi 16 mars 2005, à une heure vingt.)
La Directrice
du service du compte rendu intégral,
MONIQUE MUYARD