PRÉSIDENCE DE M. Christian Poncelet
M. le président. La séance est reprise.
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Organisme extraparlementaire
M. le président. J'informe le Sénat que M. le Premier ministre a demandé au Sénat de bien vouloir procéder à la désignation du sénateur appelé à siéger au sein du conseil d'administration du Centre national des oeuvres universitaires et scolaires.
Conformément à l'article 9 du règlement, j'invite la commission des affaires culturelles à présenter une candidature.
La nomination au sein de cet organisme extraparlementaire aura lieu ultérieurement, dans les conditions prévues par l'article 9 du règlement.
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Levée de l'état d'urgence
M. le président. Mes chers collègues, en application de l'article 3 de la loi du 18 novembre 2005, j'ai reçu, le 3 janvier 2006, une communication de M. Dominique de Villepin, Premier ministre, sur la levée de l'état d'urgence à compter du 4 janvier 2006.
Selon la lettre du Premier ministre, « le Gouvernement a constaté que la situation de l'ordre public s'était substantiellement améliorée depuis le commencement des troubles ».
À cette lettre étaient joints le rapport du Premier ministre au Président de la République ainsi que le texte du décret publié au Journal officiel du lendemain.
Acte est donné de cette communication, dont j'ai fait part à l'ensemble des membres de la conférence des présidents.
Je ne puis personnellement que me réjouir de cette nouvelle, mais il paraît nécessaire d'insister sur le fait que les questions posées à notre société et à notre système de valeurs demeurent.
La politique de la ville, qui est déjà l'un des axes de travail des commissions du Sénat, doit faire l'objet de toute notre attention. Fidèles à nos traditions, nous nous devons, mes chers collègues, de veiller à dépassionner le débat public sur ce point. Telle sera, je pense, la contribution de la mission commune d'information sur « le bilan et les perspectives d'avenir des politiques conduites envers les quartiers en difficulté » que nous avons constituée et au sein de laquelle sont bien sûr représentées toutes les tendances de notre assemblée, mission qui se réunira pour la première fois demain. Je souhaite qu'elle se rende autant que possible sur le terrain pour contribuer à renouer le dialogue entre les institutions et les citoyens.
Par ailleurs, je tiens à attirer l'attention du Sénat sur le fait que le premier projet de loi qu'il est amené à examiner en ce début d'année porte sur la ratification par la France de la charte européenne de l'autonomie locale. Cette séance, à l'évidence, constitue l'aboutissement d'un très long parcours et une régularisation très attendue.
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Charte européenne de l'autonomie locale
Adoption d'un projet de loi
M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, autorisant l'approbation de la Charte européenne de l'autonomie locale, adoptée à Strasbourg le 15 octobre 1985 (nos 92, 2004-2005, 15).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Catherine Colonna, ministre déléguée aux affaires européennes. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, j'ai l'honneur de vous présenter le projet de loi autorisant l'approbation de la charte européenne de l'autonomie locale.
Permettez-moi d'aborder brièvement l'objet et l'historique de ce texte, avant d'en évoquer les principales dispositions.
La charte européenne de l'autonomie locale a été élaborée au sein du Conseil de l'Europe, sur la base d'un projet présenté en 1981 par la Conférence permanente des pouvoirs locaux et régionaux d'Europe, organe consultatif du Conseil de l'Europe.
Adoptée à Strasbourg le 15 octobre 1985, la Charte repose sur le principe selon lequel le degré d'autonomie politique, administrative et financière accordé aux collectivités territoriales constitue un élément essentiel d'une démocratie véritable, fondée sur une administration efficace et décentralisée et sur la participation des citoyens à la vie locale. Sur le fond, la Charte fixe un certain nombre de principes a minima et de garanties de base dont doivent bénéficier les collectivités locales.
La charte européenne de l'autonomie locale est entrée en vigueur en 1988. Elle a obtenu un très vif succès puisqu'elle a été ratifiée, à ce jour, par quarante et un États, soit la quasi-totalité des États membres du Conseil de l'Europe.
La France fait partie des premiers États signataires. Toutefois, la procédure d'approbation de ce texte a été interrompue en 1991 à la suite d'un avis défavorable rendu par le Conseil d'État. Il avait alors été considéré que la Charte s'adaptait mal à la réalité de nos institutions et comportait par ailleurs certaines ambiguïtés pouvant être sources de revendications ou de contentieux.
À la faveur des réformes intervenues depuis 2002 au bénéfice des collectivités locales et de la démocratie locale, en particulier avec l'adoption de la loi constitutionnelle du 28 mars 2003 relative à l'organisation décentralisée de la République ainsi que de la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et aux responsabilités locales, le Gouvernement a souhaité relancer la procédure d'approbation de la charte européenne de l'autonomie locale. Ces réformes, en consolidant l'organisation décentralisée de la République et en encourageant l'autonomie des collectivités territoriales d'un point de vue tant juridique que financier, ont en effet rendu les dispositions de la Charte parfaitement compatibles avec le droit français.
La charte européenne de l'autonomie locale comporte trois parties.
La première partie contient les dispositions de fond énonçant les principes de l'autonomie locale que les États parties s'engagent à respecter. Elle précise qu'il faut un fondement légal ou, mieux encore, constitutionnel à l'autonomie locale. Elle définit le concept d'autonomie locale, qui correspond, en droit français, au principe de « libre administration » des collectivités territoriales. Elle établit les principes régissant la nature et l'étendue des pouvoirs des collectivités locales. D'autres articles visent à protéger les limites territoriales des collectivités locales, qui doivent être consultées préalablement à toute modification de ces limites, et à assurer à ces collectivités une autonomie en ce qui concerne leurs structures administratives ainsi que la possibilité de recruter du personnel compétent. Cette partie définit également les conditions de l'exercice d'un mandat électoral local.
Deux articles importants ont par ailleurs respectivement pour objet de limiter le contrôle administratif exercé sur les actes des collectivités locales, contrôle qui doit normalement être proportionné et limité à un contrôle de légalité et non d'opportunité, et de garantir aux collectivités locales des ressources financières suffisantes. Les autres dispositions concernent le droit des collectivités locales de coopérer et de constituer des associations, ainsi que la protection de l'autonomie locale par le droit de recours juridictionnel.
La deuxième partie de la Charte concerne la portée des engagements souscrits par les parties. Compte tenu de la diversité des situations locales en Europe, en effet, il n'était pas possible d'imposer un cadre unique à l'ensemble des parties. C'est pourquoi la Charte permet à chaque État de désigner les stipulations de la première partie du texte par lesquelles il entend être lié. L'engagement est ainsi « à la carte », avec toutefois un socle minimal d'obligations pour lesquelles la liberté de choix est réduite.
En l'espèce, le gouvernement français entend indiquer qu'il se considère lié par l'ensemble des stipulations de la première partie du texte à l'exclusion du deuxième alinéa de l'article 7, celui-ci semblant en effet imposer la compensation financière des gains perdus par les élus locaux du fait de l'exercice de leur mandat ou la rémunération du travail accompli ; or une telle disposition est en contradiction avec le régime forfaitaire appliqué en France aux élus locaux.
La troisième partie du texte, enfin, comporte les dispositions finales habituelles concernant les modalités de signature et d'entrée en vigueur, le champ d'application géographique, les modalités de dénonciation ainsi que le rôle du secrétaire général du Conseil de l'Europe en sa qualité de dépositaire du texte.
Au total, la charte européenne de l'autonomie locale définit et protège les conditions de l'autonomie locale en Europe tout en respectant le principe de la souveraineté de l'État dans l'organisation de l'autonomie locale.
L'approbation de la Charte ne nécessite pas de modification de notre droit interne. En effet, la Charte s'emploie à rappeler le respect des cultures politiques et juridiques nationales pour les articuler avec un corpus de dispositions minimales dont certaines étaient déjà appliquées en droit français en 1985 et dont les autres l'ont été depuis l'adoption de la loi constitutionnelle du 28 mars 2003 ainsi que de la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et aux responsabilités locales.
La libre administration des collectivités locales ayant ainsi fait l'objet d'avancées constitutionnelles et législatives déterminantes, les éléments de la Charte qui, en 1991, avaient été considérés comme une source éventuelle de confusion, de difficulté, de conflits ou de contentieux sont à présent en étroite adéquation avec le droit français des collectivités territoriales.
Telles sont, monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, les principales observations qu'appelle la charte européenne de l'autonomie locale, dont l'approbation fait l'objet du projet de loi qui vous est aujourd'hui soumis. (Applaudissements sur les travées de l'UMP. - M. Jean-Claude Frécon applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Daniel Goulet, rapporteur de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, la charte européenne de l'autonomie locale a été signée par la France voilà plus de vingt ans, le 15 octobre 1985, à Strasbourg, sous l'égide du Conseil de l'Europe.
Elle est le fruit - Mme le ministre et M. le président l'ont souligné, et, dans cette enceinte où siègent les représentants des élus locaux, cela n'étonnera personne - de plusieurs années de travaux au sein de la Conférence permanente des pouvoirs locaux et régionaux de l'Europe, devenue depuis le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux, cet organe consultatif du Conseil de l'Europe composé d'élus des collectivités territoriales des États membres.
L'objectif de la Charte, seul instrument international relatif aux collectivités territoriales, est de promouvoir l'application du principe de subsidiarité au sein des États, en partant du double postulat que l'action publique est plus efficace lorsqu'elle est décidée au plus près du terrain et qu'elle est plus légitime lorsque la responsabilité des élus s'exerce, sur les questions locales, à un niveau proche des citoyens.
Elle vise non pas seulement la protection des droits des collectivités territoriales face à l'État, mais aussi la préservation de l'autonomie communale, en consacrant le principe de l'interdiction de la tutelle d'une collectivité sur une autre.
Respectueuse de la diversité des organisations politiques des États signataires, la Charte fixe des orientations qu'il revient au législateur national de décliner et d'adapter ; elle comporte ainsi de nombreux renvois à la loi nationale.
Elle prévoit notamment - vous l'avez rappelé, madame le ministre - des garanties législatives et constitutionnelles pour l'autonomie locale, la préservation et l'adaptation des compétences des collectivités, l'adéquation de leurs moyens, notamment financiers, avec leurs compétences, et la possibilité de coopération entre collectivités territoriales.
Aucun de ces principes ne soulevait a priori de difficulté pour la France, qui figurait en 1985 parmi les premiers signataires de la Charte, au nombre des pays les plus décentralisés d'Europe.
L'article 12 de la Charte permet en outre une acceptation partielle du texte pour le cas où certaines stipulations seraient incompatibles avec le droit national. Il est également possible pour un État d'assortir sa ratification de déclarations interprétatives, ainsi que le fait la France, afin de préciser la façon dont est entendu un article dont les termes restent ambigus ou n'ouvrent que des possibilités.
Notre pays précise ainsi que les établissements publics de coopération intercommunale n'entrent pas dans le champ d'application de la Charte, que la responsabilité des exécutifs locaux devant les assemblées locales est entendue comme une faculté, et que la notion de péréquation financière ne doit pas avoir pour effet d'entraver la libre administration des collectivités territoriales.
Comment expliquer, dans ces conditions, que notre pays, qui a été l'un des initiateurs et des promoteurs de ce texte, soit aujourd'hui le seul, avec la Serbie-Monténégro qui ne l'a signé que très récemment, à ne pas l'avoir ratifié ?
J'avancerai plusieurs tentatives d'explication.
Tout d'abord, la charte européenne de l'autonomie locale, comme tout accord international, est le fruit d'un compromis entre différentes traditions juridiques qui se traduit dans le vocabulaire utilisé. Le terme « autonomie » est associé dans notre langue - nous avons eu un débat sur ce point au sein de la commission des affaires étrangères - à la capacité de légiférer. Or la Charte ne prévoit rien de tel et définit ce terme comme « le droit et la capacité effective pour les collectivités territoriales de régler et de gérer dans le cadre de la loi une part importante des affaires publiques ». Il s'agit bien là de la libre administration des collectivités territoriales.
Ce délai exceptionnel s'explique également par l'avis négatif formulé par le Conseil d'État, saisi en 1991 par le gouvernement de Michel Rocard d'un premier projet de loi d'approbation. Plus que de difficultés juridiques, le Conseil d'État a argué de l'incompatibilité générale du texte avec la tradition institutionnelle de notre pays.
Plutôt que la marque d'un jacobinisme persistant qui serait démenti par les faits, il faut voir dans cet avis la manifestation d'une réticence profonde de notre pays à subir une influence extérieure en matière institutionnelle et administrative.
Si nous pouvons comprendre cette réticence, intimement liée à notre histoire, ne perdons cependant pas de vue les efforts considérables consentis par les nouvelles démocraties d'Europe centrale et orientale dans ces différents domaines, à une période où elles venaient à peine de recouvrer leur souveraineté.
La situation actuelle est d'autant plus paradoxale que notre pays participe activement à des programmes de renforcement des capacités institutionnelles dans ces États membres du Conseil de l'Europe, qui sont signataires de la Charte, même si leurs standards en matière de démocratie locale se situent de facto en deçà des exigences françaises.
L'absence de ratification française suscite alors l'incompréhension de nos partenaires. Les sénateurs membres de la délégation française à l'assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe - j'en suis - y sont directement confrontés ! La semaine prochaine, lorsqu'ils siégeront à Strasbourg, ils en entendront encore parler, car on sait que nous débattons de ce point aujourd'hui.
La Haute Assemblée, à qui la Constitution confie la mission d'assurer la représentation des collectivités territoriales de la République, a pris clairement position en faveur de la ratification de ce texte par la voix de son président Christian Poncelet, à l'occasion de travaux tenus dans son enceinte en juin 2001 et consacrés à la décentralisation française vue d'Europe.
M. le président. Je vous remercie de ce rappel, monsieur le rapporteur.
M. Daniel Goulet, rapporteur. Depuis 1991 et l'avis du Conseil d'État, un grand nombre de réformes sont intervenues dans le domaine des collectivités locales.
La réforme constitutionnelle du 28 mars 2003 a consacré le caractère décentralisé de la République et apporté des garanties significatives en matière financière, par exemple. Elle a notamment inscrit dans la Constitution le principe de subsidiarité, le droit à l'expérimentation des collectivités territoriales, le principe de l'interdiction de la tutelle d'une collectivité territoriale sur une autre ainsi que celui de l'autonomie financière.
En matière financière, précisément, les stipulations de la Charte se situent désormais en deçà des garanties offertes par la Constitution française qui prévoit, aux termes de son article 72-2, que « les recettes fiscales et les autres ressources propres des collectivités territoriales représentent, pour chaque catégorie de collectivités, une part déterminante de l'ensemble de leurs ressources ».
Avec cette réforme, la France est devenue l'un des pays les plus décentralisés d'Europe.
Dans ces conditions, rien ne justifie plus de différer davantage la ratification d'un texte dont la France est l'un des tout premiers signataires et, surtout, l'un des auteurs et des promoteurs.
Notre pays ayant retrouvé une position d'avant-garde en matière de décentralisation, plus aucun obstacle, fût-il symbolique, ne s'oppose à la ratification de ce texte que la commission des affaires étrangères vous demande, mes chers collègues, de bien vouloir adopter. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Frécon.
M. Jean-Claude Frécon. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, je tiens tout d'abord à indiquer que je souscris à l'excellent rapport de notre collègue Daniel Goulet concernant le projet de loi de ratification qui nous est soumis.
Je souhaite, pour illustrer de manière concrète les problèmes de l'application de cette charte, vous faire part de mon expérience personnelle, celle d'un élu siégeant depuis douze ans à Strasbourg au sein du congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l'Europe, et notamment du groupe de travail chargé du suivi de l'application de cette charte à l'ensemble des États membres du Conseil de l'Europe, qui sont actuellement quarante-six.
Cette charte a été rédigée de 1980 à 1982, puis quelque peu retouchée en 1984 et 1985 à Strasbourg, au sein de ce qui s'appelait à l'époque la « Conférence permanente des élus locaux et régionaux », plusieurs élus français figurant dans le groupe de rédaction.
Le contenu de ce texte reflète largement non seulement le droit de nos collectivités locales en Europe occidentale, mais aussi la pratique quotidienne et démocratique dans notre république française.
La France a donc figuré tout naturellement parmi les dix premiers États signataires de ce texte, le 15 octobre 1985. Mais à ce jour, elle est le seul pays à avoir signé ce texte, mais à ne pas l'avoir ratifié, alors que, sur le fond, sa législation est presque en parfaite concordance avec tous les articles de cette charte.
Je rappelle d'ailleurs à ce sujet que, pour pouvoir ratifier le texte, il est demandé d'adhérer non pas à l'ensemble de la Charte, mais seulement à vingt des trente alinéas qu'elle comporte, obligation que la législation française respecte tout à fait.
C'est donc pour d'autres motifs, fondés sur un avis partiellement défavorable du Conseil d'État en 1991, que notre pays est resté « à la traîne ».
Le texte de cette charte doit, depuis maintenant huit ans, être obligatoirement signé et ratifié par tous les pays candidats au Conseil de l'Europe. Par conséquent, toutes les nouvelles démocraties siégeant au sein du Conseil de l'Europe ont dû remplir cette obligation.
Sur les quarante-six pays membres du Conseil de l'Europe, seuls trois petits pays, dont la vie municipale et la vie nationale sont très proches, n'ont pas encore signé la Charte : il s'agit d'Andorre, de Monaco et de Saint-Marin.
Par ailleurs, deux pays seulement n'ont pas ratifié la Charte. Le premier est la Serbie-Monténégro ; mais cette dernière a signé la Charte voilà quelques mois et devrait la ratifier dans les délais voulus.
Le second de ces pays est la France. Voilà vingt ans que nous attendons cette ratification ! La France restera-t-elle encore une fois toute seule ? Ce serait difficile à accepter.
Dans les fonctions que j'exerce au sein du Conseil de l'Europe, représenter la France me met parfois dans l'embarras. Pourtant, toutes les nouvelles démocraties envient la France, pays qui, à la fin du xviiie siècle, après l'émergence des grandes pensées philosophiques, a mis en application les principes de démocratie et de démocratie locale.
Au cours des dernières années, j'ai conduit des missions d'observation dans vingt et un pays membres du Conseil de l'Europe pour vérifier l'application des principes de cette charte, dont j'ai toujours été un avocat : principe de démocratie locale, principe de proximité, principe de subsidiarité - le mot a été inscrit dans la charte européenne de l'autonomie locale avant de devenir un terme important de notre législation -, principe d'autonomie financière des collectivités locales, de répartition des compétences. Tous ces principes sont inscrits dans nos textes nationaux.
Il m'est souvent arrivé, après avoir exposé ces principes, que le représentant d'un pays étranger me demande : « Pourquoi la France n'a-t-elle pas ratifié cette charte dont vous nous dites tant de bien ? » Certains m'interpellent sous la forme de questions objectives ; d'autres ne sont pas mécontents de placer le représentant de la France dans une situation quelque peu ambiguë...
Mes chers collègues, rien ne s'oppose plus à la ratification de la charte européenne de l'autonomie locale par notre pays. Depuis l'avis réservé du Conseil d'État en 1991, des lois votées en 1992, en 1999 et en 2004 ainsi que la réforme constitutionnelle de 2003 ont permis, si besoin était, de préciser ces notions. Si quelques réserves pouvaient subsister, elles ont été levées par ces nouveaux textes. C'est donc avec confiance que je souhaite l'adoption de ce projet de loi de ratification.
Pour sa part, le groupe socialiste votera ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi qu'au banc de la commission.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion de l'article unique.
Article unique
Est autorisée l'approbation de la Charte européenne de l'autonomie locale, adoptée à Strasbourg le 15 octobre 1985, et dont le texte est annexé à la présente loi.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article unique du projet de loi.
(Le projet de loi est adopté.)
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SOUHAITS DE BIENVENUE à M. le président du sénat de madagascar
M. le président. Mes chers collègues, j'ai le très grand plaisir de saluer la présence, dans notre tribune officielle, du président du Sénat de la République de Madagascar, M. Guy Rajemison. (Mme la ministre déléguée, Mmes et MM. les sénateurs se lèvent.)
M. Rajemison est venu préparer les assises de la coopération décentralisée auxquelles je me rendrai au mois de mai prochain à Madagascar.
Il est accompagné par notre collègue M. Jean Faure, président de notre groupe d'amitié France-Madagascar et pays de l'océan Indien.
Au nom du Sénat de la République, je souhaite à M. le président du Sénat de Madagascar la plus cordiale bienvenue et je forme des voeux pour que son séjour en France contribue à renforcer les liens d'amitié entre nos deux peuples et nos deux pays. (Applaudissements.)
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Convention internationale pour la protection des obtentions végétales
Adoption d'un projet de loi
M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi autorisant la ratification de la révision de la convention internationale pour la protection des obtentions végétales (nos 144, 1996-1997, 369, 1996-1997, 119).
La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Catherine Colonna, ministre déléguée aux affaires européennes. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, ce projet de loi va me donner l'occasion d'évoquer Mona Lisa, mais hélas avec beaucoup moins de talent et de poésie que Léonard de Vinci ! (Sourires.)
Le 2 décembre 1961 fut conclue à Paris la convention internationale sur la protection des obtentions végétales. L'objet de cet instrument était d'assurer la protection des obtenteurs de nouvelles espèces ou variétés de plantes, à l'instar de celle dont bénéficient notamment les inventeurs dans le domaine industriel. Ainsi cette convention reconnaissait-elle un droit au créateur d'une nouvelle variété végétale et en fixait-elle les modalités d'exercice.
Très vite cependant, il est apparu que la convention ne recueillait qu'un nombre limité d'adhésions.
Afin de permettre une application géographique élargie des dispositions de la convention, un acte additionnel fut adopté le 10 novembre 1972 et entra en vigueur à l'égard de la France le 11 février 1977. En modifiant les dispositions financières du texte originel, il devait faciliter l'adhésion d'un plus grand nombre de pays en développement.
Cette première modification n'eut pas l'effet escompté puisque, en 1978, seuls dix États avaient adhéré à la convention modifiée. Une conférence diplomatique adopta donc, le 23 octobre 1978, à Genève, une version révisée de la convention, allégeant certaines exigences imposées aux États parties, qui entra en vigueur, pour la France, le 13 avril 1983.
C'est un nouvel acte de révision de la convention, signé le 19 mars 1991, qui fait l'objet du projet de loi aujourd'hui soumis à votre examen. Celui-ci a été présenté à la commission des affaires étrangères de la Haute Assemblée le 26 juin 1997, et cette dernière l'a approuvé.
D'une façon générale, cette nouvelle version de la convention de 1978 précise et élargit les droits de l'obtenteur en généralisant la notion de certificat d'obtention végétale au lieu et place du brevet. Elle prend acte de la mondialisation des échanges dans le secteur des semences et plants et vise à instaurer un cadre juridique équilibré pour la pratique des « semences de ferme ».
Le nouveau dispositif est de nature à sécuriser la recherche variétale qui, en France notamment, implique des financements substantiels et induit des emplois en grand nombre.
En effet, grâce à la recherche agronomique et aux progrès génétiques, des variétés végétales nouvelles ont pu être élaborées, permettant notamment un meilleur rendement agricole, une protection accrue contre les maladies, une meilleure adaptabilité à des sols difficiles ou encore des gains de précocité. La place qu'occupe la recherche française est remarquable, comme en témoignent les données économiques et commerciales du secteur « semences et plants ».
Ce qu'il est convenu d'appeler la « profession semencière » regroupe plus d'une centaine d'établissements de recherche obtenteurs, quelque 300 établissements de recherche, 30 000 agriculteurs multiplicateurs de semences et plus de 2 000 distributeurs. Le secteur représente au total 7 000 emplois.
Sur le plan international, la France est le premier producteur de semences de l'Union européenne, le deuxième dans le monde et le troisième exportateur mondial. La sélection française occupe plus de 300 000 hectares en multiplication ; elle représente une production de 800 millions d'euros et des exportations de 180 millions d'euros.
En outre, la protection des droits des obtenteurs est un élément fondamental de la recherche variétale, qui fournit aux agriculteurs des plantes plus productives et mieux adaptées aux environnements difficiles. Ces investissements en recherche sont à leur tour déterminants pour la production de nouvelles plantes ainsi que pour l'industrie agroalimentaire. Les essais actuels de sélection aboutissent à des variétés plus économes en intrants, mais aussi plus résistantes aux maladies et aux parasites. A titre d'exemple, certaines variétés françaises sélectionnées ont un rendement plus de deux fois supérieur au rendement de variétés américaines équivalentes mais non travaillées.
En outre, la généralisation du certificat d'obtention végétale de l'Union pour la protection des obtentions végétales renforcera la sécurité des échanges entre sélectionneurs. Ce certificat est fondé sur des critères plus adaptés aux végétaux que ceux des brevets. Il ne constitue pas une entrave à la recherche phytogénétique puisque l'autorisation de l'obtenteur n'est pas requise pour la mise au point de nouvelles variétés ou pour les actes accomplis à titre expérimental.
Enfin, grâce à la faculté offerte par la nouvelle convention de créer une exception en faveur des agriculteurs utilisant des semences de ferme, la France pourra appliquer l'accord obtenu entre les représentants des agriculteurs et ceux des obtenteurs, trouvant un meilleur équilibre entre les intérêts de ceux qui souhaitaient faire sortir cet usage de l'illégalité et de ceux qui voulaient le soumettre à un certain nombre de conditions et limites.
La France a été l'un des promoteurs de l'Union pour la protection des obtentions végétales dès son origine et elle a toutes les raisons de souhaiter tant l'entrée en vigueur de la nouvelle version que la ratification de cette dernière par le plus grand nombre d'États ou d'organisations internationales.
Trois États - Israël, le Danemark et la Colombie - ont déjà ratifié cette convention qui entrera en vigueur après la cinquième ratification. La France peut donc être le quatrième État à ratifier cette convention, portant à trois le nombre d'anciens États parties.
L'importance économique de la recherche variétale pour la France, l'intérêt des résultats de cette recherche pour l'activité agricole, les éléments d'une meilleure sécurité juridique pour les obtenteurs, prévus par le texte, enfin, la forte mobilisation que notre pays a su créer autour de la convention, depuis ses débuts, nous incitent à donner une appréciation favorable à cette nouvelle version de la convention internationale pour la protection des obtentions végétales, qui fait l'objet du projet de loi aujourd'hui soumis à votre approbation. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean Puech, rapporteur de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, le projet de loi autorisant la ratification de la convention internationale sur la protection des obtentions végétales, dans sa version de 1991, qui a été examiné et approuvé en juin 1997 par la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat, est enfin soumis à notre vote.
Ce texte précise et élargit les droits de l'obtenteur, c'est-à-dire de celui qui a créé ou découvert et mis au point une nouvelle variété végétale. Il institutionnalise la notion de certificat d'obtention végétale au lieu et place du brevet : le brevet ne s'applique qu'à une technique de reproduction variétale ou de transformation génétique ; le certificat d'obtention végétale, quant à lui, protège la variété transformable elle-même. L'obtenteur est également garanti contre toute exploitation commerciale de sa variété.
Par ailleurs, la protection n'est plus limitée à vingt-quatre espèces. Elle est désormais étendue à la totalité des genres ou espèces végétaux.
Elle couvre non plus seulement le matériel de reproduction, mais également tout acte de reproduction. Cette disposition - et c'était un point délicat - était bien entendu défavorable à l'emploi, par certains agriculteurs, de semences dites « de ferme », obtenues après un tri effectué sur la récolte d'une variété protégée et constituant, pour ces agriculteurs récoltants, des semences de la même variété mais devenues, de fait, « libres de droit ».
Le conflit opposant les obtenteurs et les utilisateurs de semences de ferme sur la rémunération du droit d'obtenteur dura plusieurs années et fut difficile à régler. Les agriculteurs les plus concernés étaient les utilisateurs de semences de blé tendre, avec lesquels un accord interprofessionnel a finalement été conclu en juin 2001. Ils peuvent désormais semer sur leur propre exploitation une partie de leur récolte, à la condition de verser au titulaire du droit une rémunération équitable qui aidera ce dernier à financer ses recherches.
Mes chers collègues, cette question importante étant aujourd'hui clarifiée, la convention soumise à votre approbation peut, à mon avis, être désormais ratifiée sans problème. J'ajouterai qu'elle doit l'être le plus rapidement possible sous peine de voir de nombreuses variétés risquer de tomber très rapidement dans le domaine public.
La ratification de la convention qui nous est présentée aujourd'hui, combinée à une modification du code de la propriété et du code rural qui, vous l'avez peut-être noté, a été récemment inscrite à l'ordre du jour du Sénat, permettra d'allonger la durée de protection des obtentions végétales et d'améliorer ainsi le financement de la recherche.
Cette ratification apportera donc un appui réel - vous l'avez souligné, madame la ministre - à la recherche variétale indispensable à un secteur de pointe, dans lequel la création de nouvelles variétés nécessite le financement de nombreux programmes de recherche d'une durée moyenne de dix ans. Ainsi, les entreprises de semences investissent beaucoup plus dans la recherche que les entreprises d'autres secteurs, la part de la recherche et du développement atteignant de 12 à 15 % dans une entreprise de semences contre 2 ou 3 % dans une entreprise « classique ». C'est pourquoi les instituts privés et publics de recherche en matière d'obtention végétale attendent avec impatience cette ratification pour lutter à armes égales sur un marché très concurrentiel, dominé par quelques grandes firmes multinationales.
Telles sont toutes les raisons pour lesquelles la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées vous propose, mes chers collègues, d'adopter le présent projet de loi. (Applaudissements sur les travées de l'UMP. - M. Richard Yung applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Gérard Le Cam.
M. Gérard Le Cam. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, il est demandé au Parlement d'autoriser la ratification de l'acte de révision de la convention de 1961, acte signé le 19 mars 1991. Un autre projet de loi venant traduire dans l'ordre interne nos engagements internationaux sera ensuite examiné le 2 février 2006 par le Sénat.
Notons, d'ores et déjà, que la France est liée par le règlement CE n° 2100/94 du Conseil du 27 juillet 1994 instituant un régime de protection communautaire des obtentions végétales, qui reprend les dispositions de la convention de l'Union pour la protection des obtentions végétales, ou UPOV, révisée en 1991. Ce règlement a été discuté loin de cette assemblée mais n'a pas manqué de susciter de nombreuses réactions critiques de la part de plusieurs organisations professionnelles et syndicats intervenant dans le secteur agricole.
L'examen du projet de loi n° 144 autorisant la ratification de la révision de la convention internationale pour la protection des obtentions végétales est donc l'occasion pour notre assemblée de débattre enfin des enjeux liés à la réglementation de la propriété des espèces végétales.
Cette réglementation, même si elle a été améliorée à la marge grâce à la vigilance et à la lutte de professionnels du secteur, soulève encore un certain nombre de problèmes.
L'un des enjeux majeurs concerne la question des semences de ferme. Je tiens dès à présent à dire quelques mots à ce sujet car, contrairement au rapporteur, notre collègue Jean Puech, nous ne pensons pas que la question soit réglée ni par l'accord interprofessionnel sur le blé tendre signé en 2001 ni par la « cotisation volontaire obligatoire », dont l'appellation même reflète justement les incohérences.
Rappelons que, dès 1991, les obtenteurs et les multiplicateurs, lors de la conférence diplomatique de l'UPOV, ont cherché à interdire l'utilisation de semences fermières.
L'UPOV prévoyait, jusqu'en 1991, deux exceptions au système des droits de propriété intellectuelle spécifique aux semences : la recherche - un obtenteur ne peut pas demander de redevance si on utilise sa semence pour créer une nouvelle variété - et les fermiers, autorisés à utiliser leur semence. Depuis 1991, l'exception agricole est laissée à la discrétion des États et a d'ailleurs failli disparaître. Son caractère facultatif l'expose à nouveau à ce risque. Vous venez d'ailleurs de le reconnaître, madame la ministre, en précisant que la France « pourra ».
En réalité, en présentant la recherche comme le seul moyen de résister à la concurrence extérieure, les lobbies des obtenteurs et des organismes qui se trouvent derrière eux espèrent la mise en place d'un marché national de semences certifiées pour établir un monopole profitable à eux seuls et entraîner notre agriculture vers les hybrides et les organismes génétiquement modifiés, les OGM.
Or, le risque réel de ce mouvement est un recul de la diversité génétique, un financement qui pourrait être exclusivement orienté vers les OGM, avec toutes les dérives que l'on connaît, comme le contrôle de la reproduction des semences par des procédés tels que la technologie « Terminator ».
Plus généralement, le texte de 1991, en renforçant les droits de l'obtenteur et en diminuant parallèlement ceux des exploitants, vient renforcer nos craintes relatives à un système déjà problématique.
En effet, ce texte étend notablement les droits de l'obtenteur, la protection concernant la variété transformable en elle-même, entendue de manière très large, avec la notion de « variétés essentiellement dérivées de la variété protégée ».
À ce titre, on ne peut pas nier la prise en compte par le texte des modifications génétiques des espèces végétales. Il est donc important que cette question soit abordée dans les débats à venir, sans attendre le projet de loi spécifique aux OGM.
Ensuite, les champs matériels et temporels de la protection sont sensiblement étendus. Ainsi, c'est la totalité des genres ou espèces végétaux qui peuvent être concernés, et ce pour des délais minimaux de vingt à vingt-cinq ans. Tout laisse à penser que l'on cherche à instaurer des rentes au profit des obtenteurs, rentes largement déconnectées des efforts de recherche, comme en témoigne d'ailleurs le secteur de la pomme de terre.
Il y aurait encore beaucoup de choses à dire, et nous attendons énormément des débats à venir sur cette question intrinsèque. Le monde végétal constitue une part essentielle du monde vivant. Les modifications et améliorations que l'homme peut y apporter par la science et la recherche ne peuvent souffrir de comparaison avec la recherche industrielle. En un mot, ce qui est vital pour l'homme ne peut être soumis à la marchandisation.
Compte tenu de ces remarques, le groupe communiste républicain et citoyen s'abstiendra par précaution sur ce projet de loi, en attendant le débat du 2 février 2006. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion de l'article unique.
Article unique
Est autorisée l'adhésion à l'accord portant révision de la convention internationale pour la protection des obtentions végétales, signé à Genève le 19 mars 1991, dont le texte est annexé à la présente loi.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article unique du projet de loi.
(Le projet de loi est adopté.)