Sommaire
PRÉSIDENCE DE M. Christian Poncelet
2. Organisme extraparlementaire
3. Dépôt d'un rapport du Gouvernement
4. Candidature à une commission
MM. Claude Domeizel, Guy Fischer, le président, Nicolas About, président de la commission des affaires sociales.
Suspension et reprise de la séance
6. Régimes spéciaux de retraite. - Débat sur une déclaration du Gouvernement
MM. Xavier Bertrand, ministre du travail, des relations sociales et de la solidarité ; Nicolas About, président de la commission des affaires sociales ; Dominique Leclerc, rapporteur de la commission des affaires sociales pour les dispositions relatives à l'assurance vieillesse du projet de loi de financement de la sécurité sociale ; Alain Vasselle, rapporteur de la commission des affaires sociales pour les équilibres généraux du projet de loi de financement de la sécurité sociale ; Alain Gournac, Guy Fischer.
PRÉSIDENCE DE M. Adrien Gouteyron
M. Jean-Pierre Bel.
MM. Aymeri de Montesquiou, Jean-Marie Vanlerenberghe, Claude Domeizel.
M. le ministre.
Clôture du débat.
7. Nomination d'un membre d'une commission
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. Christian Poncelet
8. Immigration, intégration et asile. - Discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence
Discussion générale : MM. Brice Hortefeux, ministre de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du codéveloppement ; François-Noël Buffet, rapporteur de la commission des lois.
PRÉSIDENCE DE M. Philippe Richert
Mme Éliane Assassi, MM. Georges Othily, Pierre Fauchon, Mme Michèle André, MM. Adrien Gouteyron, Gérard Delfau, Mme Muguette Dini, MM. Pierre-Yves Collombat, Jean-Patrick Courtois, Mme Nathalie Goulet, M. Adrien Giraud, Mme Catherine Tasca, M. Soibahaddine Ibrahim, Mme Alima Boumediene-Thiery, MM. Hugues Portelli, Christian Demuynck.
Suspension et reprise de la séance
M. le ministre.
Clôture de la discussion générale.
Motion no 35 de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, MM. le rapporteur, le ministre, Charles Josselin. - Rejet par scrutin public.
Motion no 31 de M. Louis Mermaz. - MM. Louis Mermaz, le rapporteur, le ministre. - Rejet par scrutin public.
Demande de renvoi à la commission
Motion no 32 de Mme Bariza Khiari. - Mme Bariza Khiari, MM. le rapporteur, le ministre. - Rejet.
Article additionnel avant l'article 1er
Amendement n° 77 de Mme Eliane Assassi. - Mme Éliane Assassi, MM. le rapporteur, le ministre, Pierre-Yves Collombat. - Rejet.
Article additionnel avant l'article 1er ou après l'article 19
Amendements nos 78 de Mme Eliane Assassi et 175 de Mme Bariza Khiari. - Mmes Éliane Assassi, Bariza Khiari, MM. le rapporteur, le ministre. - Rejet des deux amendements.
Article additionnel avant l'article 1er
Amendement n° 126 de Mme Michèle André. - Mme Michèle André, MM. le rapporteur, le ministre. - Rejet.
M. Louis Mermaz, Mmes Bariza Khiari, Alima Boumediene-Thiery, Eliane Assassi, Monique Cerisier-ben Guiga.
Demande de priorité l'article 4 et l'amendement n° 94 après l'article 1er. - MM. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. - La priorité est ordonnée.
Renvoi de la suite de la discussion.
9. Dépôt d'un rapport d'information
10. Ordre du jour
compte rendu intégral
PRÉSIDENCE DE M. Christian Poncelet
1
PROCÈS-VERBAL
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n'y a pas d'observation ?...
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.
2
organisme extraparlementaire
M. le président. J'informe le Sénat que M. le Premier ministre a demandé au Sénat de bien vouloir procéder à la désignation des quatre sénateurs appelés à siéger au sein de la commission de surveillance et de contrôle des publications destinées à l'enfance et à l'adolescence.
Conformément à l'article 9 du règlement, j'invite la commission des affaires culturelles à présenter les candidatures.
La nomination au sein de cet organisme extraparlementaire aura lieu ultérieurement, dans les conditions prévues par l'article 9 du règlement.
3
Dépôt d'un rapport du Gouvernement
M. le président. J'ai reçu de M. le Premier ministre, en application de l'article 116 de la loi de finances rectificative pour 2006, le rapport relatif aux taxes locales sur la publicité.
Acte est donné du dépôt de ce rapport.
Il a été transmis à la commission des finances et est disponible au bureau de la distribution.
4
Candidature à une commission
M. le président. J'informe le Sénat que le groupe pour un mouvement populaire a fait connaître à la présidence le nom du candidat qu'il propose pour siéger à la commission des affaires économiques, à la place laissée vacante par Mme Adeline Gousseau.
Cette candidature va être affichée et la nomination aura lieu, conformément à l'article 8 du règlement.
5
Rappel au règlement
M. le président. La parole est à M. Claude Domeizel, pour un rappel au règlement.
M. Claude Domeizel. Mon rappel au règlement porte sur les conditions de travail qui nous sont imposées.
Le débat qui est inscrit à l'ordre du jour de la présente séance a été avancé de huit jours. M. Xavier Bertrand, ministre du travail, a convoqué les présidents de groupe des deux assemblées hier, lundi 1er octobre, à seize heures.
M. le président. Il ne les a pas convoqués, il les a invités.
M. Xavier Bertrand, ministre du travail, des relations sociales et de la solidarité. Je vous remercie, monsieur le président, la différence n'est pas seulement d'ordre sémantique.
M. Claude Domeizel. J'ai dû remplacer M. Jean-Pierre Bel, président de notre groupe, qui ne pouvait assister à cette réunion, au cours de laquelle nous avons été informés des principales orientations que le Gouvernement souhaitait donner à cette réforme.
Monsieur le président, reconnaissez que nous n'avons pas eu le temps de digérer ces informations et de réunir nos groupes respectifs.
Telles sont les raisons pour lesquelles je vous demande une suspension de séance d'au moins une demi-heure, à défaut de l'heure qui nous aurait été utile, afin de permettre aux membres de notre groupe de s'informer.
Par ailleurs, monsieur le président, nous nous interrogeons sur l'organisation de ce débat. L'article 39 du règlement du Sénat prévoit que seuls « les présidents de la commission spéciale ou des commissions permanentes concernées » peuvent intervenir dans ce type de débat. Or, je constate que deux rapporteurs sont inscrits dans la discussion.
Le temps de parole de trente minutes qui a été accordé à la commission des affaires sociales sera-t-il partagé entre son président et les deux rapporteurs ?
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Bien sûr !
M. le président. La parole est à M. Guy Fischer.
M. Guy Fischer. Par ce rappel au règlement, je tiens à manifester la colère du groupe communiste républicain et citoyen.
C'est la première fois depuis que je siège dans cette enceinte, c'est-à-dire depuis douze ans, qu'une séance commence aussi tôt. En l'occurrence, cela ne me gêne pas. Mais, si nous cédons continuellement à la pression du Gouvernement, compte tenu du nombre de promesses que M. Sarkozy a faites, peut-être faudra-t-il prévoir l'ouverture des séances publiques à huit heures !
M. Charles Revet. Il veut faire avancer les choses !
M. Guy Fischer. Quoi qu'il en soit, nous souhaitons nous réunir avant de discuter d'un sujet aussi important.
M. le Président de la République et M. le Premier ministre, par médias interposés, ont donné le contenu de cette réforme en livrant leurs attaques contre les régimes spéciaux de retraite et en les stigmatisant comme s'ils étaient à la source de toutes les difficultés de notre système de protection sociale.
Par ailleurs, le règlement du Sénat prévoit que, lors d'un débat consécutif à une déclaration du Gouvernement, seul le président de la commission compétente peut intervenir. Or, M. Dominique Leclerc, rapporteur chargé de la réforme des retraites, ainsi que M. Alain Vasselle, rapporteur de la commission des affaires sociales pour les équilibres généraux du projet de loi de financement de la sécurité sociale sont inscrits dans la discussion. Je regrette que nous n'ayons pas eu la possibilité de les entendre avant.
Ce débat va donc s'engager dans les plus mauvaises conditions. Nous avons dû travailler toute la nuit.
M. Louis Souvet. Vous êtes des stakhanovistes !
M. Guy Fischer. Nous estimons que les membres de nos groupes ont le droit d'être informés. Je ne peux que partager le point de vue de M. Domeizel.
Monsieur le président, cette façon de travailler perturbe la sérénité avec laquelle se déroulent habituellement nos débats. Je tiens donc à exprimer de nouveau le mécontentement de mon groupe, comme je l'avais fait lors de la conférence des présidents.
M. le président. La conférence des présidents a décidé de donner un temps de parole de trente minutes à tous les groupes sans distinction.
En outre, elle a décidé d'inscrire ce débat à l'ordre du jour de la séance de ce mardi matin pour ne pas empiéter sur la discussion importante qui s'ouvrira cet après-midi et aussi, comme je le souhaitais, pour permettre au Sénat de saisir l'opportunité qui lui était offerte de débattre des régimes spéciaux de retraite en premier avant l'Assemblée nationale.
M. Charles Revet. Cela montre l'importance du Sénat !
M. le président. Nous en sommes convaincus, mon cher collègue.
Dans un souci de conciliation, je suspendrai la séance jusqu'à neuf heures quarante, si M. le président de la commission, auquel je vais donner la parole, en est d'accord.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, je ne suis pas opposé à la suspension de séance que souhaite M. Domeizel.
Monsieur Fischer, le président de la commission dispose d'un temps de parole de trente minutes. Toutefois, j'ai estimé de mon devoir, comme je l'ai toujours fait, d'associer les rapporteurs concernés au débat. Il s'agit en l'occurrence du rapporteur de la commission des affaires sociales pour les dispositions relatives à l'assurance vieillesse du projet de loi de financement de la sécurité sociale et du président de la mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale, la MECSS, qui est également rapporteur de la commission des affaires sociales pour les équilibres généraux du projet de loi de financement de la sécurité sociale.
Nous nous engageons à ne pas dépasser le temps de parole qui nous est imparti. Il me paraît important que les responsables de ce dossier au sein de la commission soient entendus au même titre que les groupes parlementaires.
Par ailleurs, je tiens à souligner que, peut-être pour la première fois, le groupe communiste républicain et citoyen dispose du même temps de parole que les autres groupes pour exprimer son point de vue. Mais je comprends la douleur de M. Fischer d'avoir dû travailler toute la nuit sur un sujet que nous attendons depuis vingt-cinq ans et sur lequel nous nous sommes déjà prononcés à maintes reprises.
M. le président. La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à neuf heures quinze, est reprise à neuf heures quarante.)
M. le président. La séance est reprise.
5
régimes spéciaux de retraite
Débat sur une déclaration du Gouvernement
M. le président. L'ordre du jour appelle la déclaration du Gouvernement, suivie d'un débat, sur les régimes spéciaux de retraite.
La parole est à M. le ministre.
M. Xavier Bertrand, ministre du travail, des relations sociales et de la solidarité. Monsieur le président, monsieur le président de la commission, mesdames, messieurs les sénateurs, la question des retraites nous concerne tous.
Les Français, nous le savons, sont très attachés à leur système de retraite. C'est d'ailleurs pour en assurer la pérennité que régulièrement, comme l'ensemble des pays qui nous entourent, nous devons le moderniser. Voilà pourquoi différentes étapes ont marqué la réforme des retraites : 1993, 2003. Voilà aussi pourquoi un nouveau rendez-vous sur ce sujet, annoncé dès 2003, a été fixé en 2008.
Mais, s'il y a différentes étapes, c'est aussi qu'il existe en France non pas une retraite, mais des retraites. Les régimes spéciaux reflètent la construction de la couverture du risque vieillesse en France au cours des siècles : le plus ancien est le régime des marins, créé par Colbert en 1670 ; celui de l'Opéra de Paris date de 1698 ; le régime de retraite de la SNCF est issu des différents régimes particuliers qui furent mis en place au xixe siècle dans les compagnies de chemin de fer privées et unifiés au début du siècle dernier : c'est en 1909 qu'ont été définies les caractéristiques fondamentales du régime des cheminots, telles que l'âge d'ouverture des droits à la retraite à 50 ou 55 ans.
Le meilleur moyen de relever les défis de demain, ce n'est certainement pas l'immobilisme ni le statu quo : c'est de regarder l'avenir avec lucidité et de faire le choix de la responsabilité, c'est de faire évoluer les régimes spéciaux sans remettre en cause leur identité ni le statut des agents concernés.
Sur un tel sujet, le Gouvernement a donc choisi d'avancer sans idéologie aucune.
M. Guy Fischer. Il n'y a qu'à lire les journaux !
M. Xavier Bertrand, ministre. Il ne s'agit certainement pas de stigmatiser qui que ce soit, ni d'assurer la victoire d'un tel sur un tel : cela n'intéresse pas les Français et, pour être clair, cela ne m'intéresse pas non plus. La seule chose qui intéresse le Gouvernement et le Président de la République, c'est d'assurer la justice et la pérennité de notre système de retraite dans son ensemble.
Car les régimes spéciaux doivent faire face aux mêmes enjeux démographiques et financiers qui ont conduit à ajuster les paramètres des retraites des salariés du secteur privé, des indépendants, des agriculteurs ou, plus récemment, des fonctionnaires.
Or ces ajustements, opérés par la loi du 22 juillet 1993 relative aux pensions de retraite et à la sauvegarde de la protection sociale, puis par celle du 21 août 2003 portant réforme des retraites, n'ont concerné aucun des régimes spéciaux. Cette situation accentue la singularité de ces derniers et suscite bien des interrogations.
Avant le rendez-vous de 2008 sur les retraites, il nous faut donc veiller à ce que l'ensemble des Français soient sur un pied d'égalité, et cela commence par la durée de cotisation. Le financement de notre régime de retraite par répartition doit faire face à un déséquilibre qui est le résultat du vieillissement et de l'allongement de l'espérance de vie. Cette évolution est d'abord une formidable bonne nouvelle pour l'ensemble des Français ; mais c'est aussi un formidable défi collectif à relever si nous voulons sauvegarder notre système par répartition.
M. Guy Fischer. Voilà qui annonce bien des choses !
M. Xavier Bertrand, ministre. Ce système, nous sommes déterminés à en assurer la pérennité. Pour cela, nous le savons tous, il n'existe que trois solutions : soit réduire les pensions de retraite, ce dont les Français ne veulent pas ; soit augmenter les cotisations, ce qui pénalise le pouvoir d'achat ; soit, enfin, allonger la durée de cotisation.
C'est cette dernière solution que nous avons retenue, comme d'ailleurs l'ensemble des pays européens, car c'est la réponse la plus cohérente à l'allongement de l'espérance de vie : si nous vivons tous plus longtemps, nous devons aussi travailler plus longtemps pour voir nos pensions garanties.
Pour les régimes spéciaux, le déséquilibre financier est encore accentué par les évolutions démographiques propres à ces régimes, qui rassemblent aujourd'hui plus de 1 100 000 retraités pour environ 500 000 cotisants : ainsi, cette année, plus de 5 milliards d'euros de subventions d'équilibre seront inscrites au budget de l'État.
Soyons précis : le principe de ces subventions est tout à fait justifié, comme est légitime la compensation démographique entre les différents régimes de retraite. C'est là tout simplement l'expression de la solidarité nationale, et il n'est pas question de la remettre en cause.
Mais attention : je ne veux faire croire à personne que, en trouvant une solution aux régimes spéciaux, nous trouverons aussitôt une solution globale à nos régimes de retraite dans leur ensemble.
M. Jean-Luc Mélenchon. A quoi bon !
M. Xavier Bertrand, ministre. Les enjeux ne sont pas les mêmes. N'est-il donc pas tout aussi légitime que les salariés des régimes spéciaux travaillent davantage pour bénéficier d'une retraite à taux plein ? Je suis convaincu que la solidarité sera d'autant plus acceptée par chacun de nos concitoyens que les principales règles seront les mêmes pour tous.
M. Alain Vasselle, rapporteur. Très bien !
M. Xavier Bertrand, ministre. Cette harmonisation de la durée de cotisation est un point essentiel, et ce n'est aujourd'hui une révélation pour personne, puisque c'est un engagement fort que le Président de la République a pris devant les Français durant la campagne.
D'ailleurs, la nécessité de faire évoluer les règles des régimes spéciaux fait aujourd'hui, me semble t-il, l'objet d'un large consensus dépassant les clivages traditionnels, tant dans l'opinion que dans les différentes analyses faites à ce sujet.
Ainsi, les régimes spéciaux ont fait l'objet de plusieurs rapports récents dont les conclusions sont concordantes. Au sein de votre Haute Assemblée déjà, dans le cadre du projet de loi de finances pour 2007, deux documents présentés par M. Dominique Leclerc, au nom de la commission des affaires sociales, traitent avec précision de la question des principaux régimes spéciaux hors fonction publique.
M. Alain Vasselle, rapporteur. Excellents rapports !
M. Xavier Bertrand, ministre. De même, dans son rapport sur la sécurité sociale de septembre 2006, la Cour des comptes se livre à une analyse approfondie des régimes de retraite de trois entreprises publiques : les Industries électriques et gazières, IEG, la RATP et la SNCF.
Mais je voudrais aussi citer les travaux du Conseil d'orientation des retraites, le COR, qui avait déjà noté dans son rapport de mars 2006, que « dans une perspective d'équité entre les cotisants, il est difficile de ne pas imaginer que la nouvelle étape de la hausse de la durée d'assurance prévue en 2008 ne s'accompagne pas de questions sur l'évolution des régimes spéciaux des entreprises publiques dont la réglementation n'a jusqu'ici pas évolué ». Dans son rapport de janvier 2007, le Conseil souligne également que, si l'approche concernant les régimes spéciaux ne peut être que différenciée compte tenu de leur diversité, des orientations générales répondant au principe d'équité peuvent être envisagées, au premier rang desquelles figurent l'allongement des durées d'assurance en fonction des gains d'espérance de vie, mais aussi les logiques d'indexation des pensions.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous connaissez toutes et tous la qualité des travaux du Conseil d'orientation des retraites, ainsi que la richesse et la diversité de la composition de ses membres, et, quand je m'adresse à vous, je sais que certains d'entre vous y siègent.
Par ailleurs, les chiffres publiés par le COR montrent que l'espérance de vie dans les régimes spéciaux se situe au même niveau que celle de l'ensemble des Français, à l'exception des marins et des mineurs, dont les régimes de retraite ne seront d'ailleurs pas réformés, compte tenu d'une pénibilité qui ne fait pas débat et compte tenu aussi d'une espérance de vie plus faible que celle des autres salariés. Je rappelle que les règles actuelles des régimes spéciaux remontent à 1946 pour les gaziers et les électriciens, à 1948 pour la RATP, et à 1966 pour la SNCF, c'est-à-dire à une période où l'espérance de vie des salariés de ces régimes était très inférieure à ce qu'elle est aujourd'hui.
Nous l'avons dit très clairement, notre objectif est d'harmoniser les règles des régimes spéciaux avec celles de la fonction publique. Je vais vous en donner les raisons.
Je voudrais d'abord souligner que, depuis la réforme de 2003, les principaux paramètres, à commencer par la durée de cotisation et le mode d'indexation des pensions que je viens d'évoquer, sont communs au régime général et à la fonction publique et sont amenés à évoluer de manière identique à l'avenir.
Mais, fondamentalement, le choix de faire converger les régimes spéciaux vers les règles de la fonction publique s'explique par les exigences de service public auxquelles se trouvent soumis l'ensemble des agents des entreprises concernées. Il n'est pas non plus question de nier les contraintes particulières inhérentes à la mission de service public, ni même la pénibilité de certains métiers.
Comme l'a indiqué M. le Président de la République, tous les sujets sont sur la table. Il s'agit en premier lieu - je voudrais y revenir devant vous, mesdames, messieurs les sénateurs - de la durée de cotisation que nous souhaitons harmoniser avec celle de la fonction publique, soit actuellement quarante années. Nous voulons aussi mettre en place un système de décote et de surcote pour inciter à la prolongation d'activité, et indexer les pensions sur les prix, parce que sauvegarder notre régime de retraite, c'est aussi garantir le pouvoir d'achat des retraités et des futurs retraités.
Nous devons également revoir les pratiques de certaines entreprises qui mettent automatiquement à la retraite leurs salariés dès qu'ils remplissent les conditions pour bénéficier d'une pension. II faut mettre fin à ces pratiques-couperets, d'autant que, vous le savez, nous préparons de nouvelles initiatives pour favoriser l'emploi des seniors. C'est une attente très forte qu'ont exprimée les syndicats de salariés sur ce point. Cela serait d'ailleurs cohérent avec les mesures que le Gouvernement vous proposera dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale.
Il s'agit aussi de donner un vrai choix aux agents qui souhaitent poursuivre leur activité. Je citerai l'exemple chez moi, dans le Saint-Quentinois, d'un agent de conduite de la SNCF qui a quarante-huit ans, dont les deux enfants vont entrer à l'université, et qui sera bientôt obligé d'arrêter de travailler alors qu'il préférerait continuer pour pouvoir payer leurs études.
La concertation, qui est toujours en cours aujourd'hui, porte aussi sur les clauses qui empêchent les salariés de ces entreprises de bénéficier du régime spécial s'ils n'ont pas une ancienneté minimale dans l'entreprise, généralement fixée à quinze ans. Dans un contexte de concurrence et de mobilité des salariés, ces « durées de stage » peuvent parfois poser de vraies difficultés aux agents concernés.
Nous discutons également des bonifications, qui sont souvent très différentes d'un régime à l'autre, voire d'une entreprise à l'autre, et même d'un salarié à l'autre. En outre, la pénibilité des métiers a évolué. Et ce n'est pas forcément à travers le système de retraite qu'il faut en tenir compte. On doit jouer sur d'autres paramètres que la durée de cotisation plus courte ou les bonifications : je pense à la prévention, aux conditions de travail, à la question de la rémunération, à l'organisation du travail ou encore à la gestion des parcours professionnels, notamment dans les deuxième et troisième parties de carrière.
D'autres points sont sur la table. Ainsi, lors de la réforme de 2003, un dispositif de retraite additionnelle a été mis en place pour les agents de la fonction publique. Ne convient-il pas de définir un mécanisme similaire dans les régimes spéciaux ou d'introduire un dispositif d'épargne-retraite pour tenir compte d'une partie des primes qui n'entrent pas aujourd'hui dans le calcul de la pension ?
Les autres volets de la réforme de la fonction publique de 2003 ont naturellement vocation à être discutés sans tabou, qu'il s'agisse du rachat des années d'études ou des avantages familiaux au regard du principe d'égalité entre les hommes et les femmes.
Enfin, parmi les sujets ouverts à la négociation, un des plus importants concerne le rythme de la convergence avec le régime de la fonction publique. J'ai entendu à ce sujet les interrogations des salariés des régimes spéciaux, qu'ils soient gaziers, agents de la RATP, cheminots ou clercs de notaire. Je leur ai dit à tous, et je veux le répéter ici avec force, que cette réforme ne se fera pas brutalement.
Ce ne sera pas une réforme-couperet et il est bien clair que nous n'harmoniserons pas les durées de cotisation du jour au lendemain pas plus que nous n'introduirons brutalement un mécanisme de décote qui bouleverserait les projets de vie des agents de ces entreprises. Nous ne l'avons pas fait pour les autres régimes lors des précédentes réformes de 1993 et 2003, nous ne le ferons pas davantage pour les régimes spéciaux.
Nous allons donc agir progressivement, ...
M. Guy Fischer. En douceur !
M. Xavier Bertrand, ministre. ... car cette progressivité, c'est aussi une question de respect et de considération pour les agents : nous ne pouvons pas dire à un gazier ou à un roulant qui est à deux mois de la retraite, qu'il devrait, du jour au lendemain, travailler deux ans et demi de plus. Ce respect, nous le devons aux agents et, à travers eux, au service public qu'ils assurent et qu'ils représentent.
Pour conduire cette réforme, nous avons fait le choix d'une méthode, celle du pragmatisme et de la plus large concertation possible. Cette concertation concerne au premier chef les partenaires sociaux : je le dis à l'ensemble des agents des régimes spéciaux, cette réforme est nécessaire et la meilleure façon de la réussir, c'est de la mener avec eux. Pour ma part, je ne sais pas réformer sans concertation, voilà pourquoi, à la demande de M. le Président de la République, j'ai conduit depuis quinze jours une première concertation afin de faire un état des lieux du dossier.
J'ai reçu l'ensemble des organisations syndicales représentées dans les branches et les entreprises concernées et celles qui en ont fait la demande, ainsi que les employeurs et les directions des entreprises concernées, soit au total plus d'une quinzaine de rendez-vous.
Toutes les organisations ont participé à cette concertation, ce qui est déjà important en soi, et toutes ont pu constater que la réforme n'était pas bouclée, que nous jouions cartes sur table et qu'il existait de vrais espaces de concertation. Sur tous les points, j'ai demandé à l'ensemble des acteurs, fédérations comme entreprises, de me faire part de leurs propositions. Des réunions techniques approfondies sont organisées aujourd'hui encore par mes collaborateurs avec tous ceux qui souhaitent construire et discuter avec nous des modalités pratiques de la réforme. D'autres organisations nous ont fait savoir qu'elles formuleraient des propositions par écrit.
Mais ce sens de l'ouverture, je veux aussi l'exprimer vis-à-vis du Parlement. Si j'ai souhaité m'exprimer devant vous après avoir reçu hier au ministère les représentants de l'ensemble des groupes et des commissions concernées, c'est pour rendre compte de notre action devant la représentation nationale et montrer que, sur un sujet aussi important, le Gouvernement entend avancer dans la transparence et le dialogue.
J'ai bien entendu tout à l'heure les remarques qui portaient sur la forme. Puissent-elles ne pas nous éloigner du fond et ne pas nous empêcher d'entendre les positions et les propositions de chaque groupe sur cette question essentielle.
C'est tout le sens du débat que nous allons avoir aujourd'hui, et si ce débat ne donne pas lieu à un vote, c'est tout simplement parce que les règles et les paramètres des régimes spéciaux ne relèvent pas du domaine de la loi. Il s'agit, en effet, de dispositions statutaires qui relèvent du domaine réglementaire.
Nul besoin de se lancer dans des polémiques en disant que prendre un décret, ce serait passer en force et refuser le dialogue. Je voudrais simplement rappeler que l'on a déjà vu voter des lois qui faisaient fi du dialogue - j'ai en mémoire un exemple sous un gouvernement de gauche et un autre sous un gouvernement de droite, la loi n'est pas la garantie de la concertation et du dialogue - et a contrario on peut tout à fait avancer par la concertation, même si au final on emprunte la voie réglementaire, après avoir écouté les uns et les autres pour modifier son projet et trouver la bonne solution. Je prendrai à cet égard l'exemple de l'interdiction de fumer dans les lieux publics. Oui, c'était un décret. Oui, il y a eu une très large concertation. Oui, nous avons pu aussi associer les parlementaires, et la voie qui a été retenue est, à mon sens, réellement la bonne.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je veux annoncer clairement devant vous le calendrier à venir.
À la suite du débat que nous allons avoir aujourd'hui d'abord devant le Sénat, et de celui que j'aurai demain à l'Assemblée nationale, j'engagerai dans le courant du mois d'octobre avec les mêmes acteurs un second tour de discussions. À cette occasion, je leur présenterai un document d'orientation précisant, parmi tous les sujets mis sur la table, ce qui relève de la responsabilité gouvernementale, à savoir les principes généraux d'harmonisation, et ce qui relève de la négociation dans les entreprises.
Car l'objectif des concertations que je mène avec les partenaires sociaux et les entreprises concernées est de dégager les principes communs de l'harmonisation des régimes spéciaux avec le régime de la fonction publique. Ensuite, ces principes seront mis en oeuvre entreprise par entreprise, pour tenir compte des spécificités et de l'identité de chaque régime, et des négociations s'ouvriront alors sans délai sur un certain nombre de sujets au sein des branches ou des entreprises concernées.
La réforme devra être prête pour la fin de l'année, ce qui nous laisse trois mois entiers. Nous avons donc le devoir d'expliquer, le plus rapidement et le plus précisément possible, à chaque agent relevant des régimes spéciaux, à la fois les objectifs et le contenu de cette réforme, afin qu'il puisse en mesurer les enjeux et les conséquences pour lui-même.
Mesdames, messieurs les sénateurs, voilà ce que je voulais vous dire dans un premier temps en ouvrant ce débat.
La réforme des régimes spéciaux est nécessaire, telle est la raison pour laquelle nous devons la réussir. Nous avons même la possibilité de nous retrouver sur l'essentiel, sur l'idée de justice et sur la nécessité de garantir l'avenir des retraites des salariés concernés par ces régimes spéciaux.
J'ai le sentiment que ce débat n'est ni de droite ni de gauche et que, dans un débat comme celui-ci, il est essentiel de bien comprendre les positions et les propositions de chacun. (M. Jean-Luc Mélenchon s'exclame.)
J'ai également le sentiment que chacun peut apporter un regard serein sur ce dossier, que le dialogue dans cet hémicycle peut être de même nature que le dialogue social, franc, bien sûr, mais forcément constructif.
J'ai enfin le sentiment que, sur ce dossier, avec détermination et méthode, nous pouvons faire la preuve que la société française de 2007 est tout sauf une société bloquée. (Applaudissements sur les travées de l'UMP, de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, conformément aux engagements qu'il avait pris devant les Français avant les échéances électorales du printemps 2007, le Président de la République a lancé le 18 septembre dernier la réforme des régimes de retraite dits « spéciaux ».
Cette décision fera date dans notre histoire sociale, car tous les gouvernements qui se sont succédé depuis vingt-cinq ans ont, volontairement ou non d'ailleurs, calé devant l'obstacle.
L'enjeu est donc crucial : il s'agit de mettre fin à une situation qui, sournoisement, empoisonne la vie politique et sociale de notre pays depuis des décennies.
Le Gouvernement entend y procéder par voie réglementaire, ce qui est juridiquement fondé sachant qu'une place essentielle sera, bien entendu, réservée au dialogue entre les pouvoirs publics et les organisations syndicales.
Dans ce cadre, néanmoins, nous n'aurions pas compris que le Parlement restât à l'écart de ce débat et nous sommes particulièrement sensibles au fait qu'il s'ouvre ce matin et, en premier lieu, devant le Sénat. J'y vois, monsieur le ministre, le signe de la reconnaissance du travail de réflexion mené de longue date sur le sujet par la commission des affaires sociales et vous savez pouvoir compter sur son soutien, que j'ose dire « éclairé ».
Ce débat me donnera l'occasion de vous faire part des différentes constatations auxquelles elle est parvenue. Dominique Leclerc, rapporteur de la commission des affaires sociales pour les dispositions relatives à l'assurance vieillesse du projet de loi de financement de la sécurité sociale, vous présentera des propositions plus concrètes ; puis Alain Vasselle, en tant que président de la mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale, insistera sur les grands enjeux de ce dossier pour les finances sociales.
Au préalable, saluons le courage d'aborder enfin cette question taboue des régimes spéciaux. Ils sont désormais devenus une source d'inégalités croissantes entre les assurés sociaux, ce que les Français, très majoritairement, n'acceptent plus.
Quelques chiffres donnent un aperçu du problème.
Les sept grands régimes spéciaux rassemblent 1,1 million de retraités pour seulement 471 000 actifs. La masse des prestations versées s'élève chaque année à plus de 13 milliards d'euros, soit l'équivalent de 0,8 % de la richesse nationale, et elle devrait continuer à s'accroître à l'avenir. La survie de ces régimes n'est possible que grâce à la solidarité nationale. En 2005, 59 % des prestations vieillesse étaient non pas financées par les cotisants, mais par des ressources publiques. On pense que ce taux atteindra 70 % à l'horizon de 2040-2050, si rien ne change. Il est donc grand temps d'agir, et ce pour plusieurs raisons.
Pour une raison démographique, d'abord, car, dans le régime général, le rapport entre cotisants et retraités se détériore du fait du départ en retraite des baby-boomers. Dans ces conditions, il n'est pas concevable de les mettre encore davantage à contribution pour les régimes spéciaux.
Pour une raison financière, ensuite, car les sommes à financer sont colossales. On estime à 300 milliards d'euros, au cours des six prochaines décennies, les engagements globaux de retraite des sept principaux régimes spéciaux.
Pour des raisons de justice et d'équité entre Français, enfin, car ces régimes sont restés à l'écart de toute réforme en 1993, en 1995 et en 2003. Est-il vraiment défendable que 2 % de la population active se trouvent exemptés de l'effort collectif de sauvetage des régimes de retraite, tout en continuant à bénéficier d'un traitement privilégié financé par les autres ?
M. Guy Fischer. C'est de la stigmatisation !
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Si vous voulez, monsieur Fischer !
Le fait d'esquiver de nouveau ce problème nous exposerait à des conflits de génération et à la « guerre des deux France », dont parle l'universitaire Jacques Marseille.
M. Guy Fischer. Vous voyez !
M. Jean Desessard. Quelle référence !
Mme Michelle Demessine. Chacun ses références !
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Les termes « réforme des régimes spéciaux » méritent toutefois d'être précisés, car, si l'orientation définie par le Président de la République ne souffre aucune ambiguïté, l'issue des négociations avec les partenaires sociaux peut en altérer sensiblement le contenu dans un sens auquel nous pourrions ne pas être favorables.
Contrairement à ce que certains affirment, tout n'est pas joué d'avance, car cette réforme reste largement à inventer. En théorie, trois solutions sont envisageables.
Tout d'abord, il est possible de procéder à une « quasi-non-réforme », ou plutôt à une « réformette », en ne touchant qu'aux paramètres les plus « visibles » et les plus inéquitables qui caractérisent les grands régimes spéciaux, comme la durée de cotisation. C'est peu ou prou la voie qui a été empruntée par la Banque de France au début de l'année 2007. Il en résulterait une modification marginale des règles applicables à ces régimes, et donc un rapprochement a minima avec les autres catégories sociales. Du même coup, les économies pour les finances publiques et les finances sociales seraient limitées et ne permettraient pas d'enrayer la dérive sensible des dépenses prévue d'ici à 2050.
On peut aussi penser à une réforme timide ou prudente. Ainsi, les régimes spéciaux seraient maintenus, mais leurs cotisants seraient « alignés » ou « harmonisés » sur les règles de la fonction publique. Ce scénario intermédiaire est plus ambitieux que le précédent, mais l'ampleur de la réforme dépendra in fine des négociations entre les directions des grandes entreprises nationales et les partenaires sociaux, du rapport de force qui s'instaurera entre eux d'ici à la fin de l'année et des réactions de l'opinion publique.
Je veux aussi mentionner la possibilité de ce que j'appellerai « une vraie réforme », même si elle n'est pas encore vraiment évoquée par les pouvoirs publics.
Dans ce cas de figure, la réforme consisterait d'abord à placer en extinction ces régimes pour les nouveaux entrants, lesquels seraient alors affiliés au régime général ainsi qu'à l'AGIRC, l'Association générale des institutions de retraites des cadres, et à l'ARRCO, l'Association des régimes de retraites complémentaires.
M. Guy Fischer. Voilà !
M. Charles Revet. C'est normal !
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. De façon complémentaire, les personnes actives, bénéficiant déjà de l'ancien système avant cette échéance, seraient toutes concernées par un processus d'harmonisation avec le code des pensions des pensions civiles et militaires de retraite. Ce processus serait conduit selon une modulation variant avec l'âge des assurés sociaux et leur ancienneté. Il va de soi que les jeunes cotisants feraient l'objet d'une harmonisation plus poussée que ceux qui sont sur le point de partir en retraite. C'est là le champ de la négociation collective à ouvrir. Parallèlement, les droits acquis des actuels retraités devront naturellement être respectés.
M. Guy Fischer. Eh oui !
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Clairement, c'est ce schéma qui a notre préférence.
M. Guy Fischer. Celui de la droite revancharde !
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Il a déjà prévalu pour la chambre de commerce et d'industrie de Paris en 2005, pour France Télécom en 1997 et, dès 1981, pour l'ancienne SEITA.
M. Guy Fischer. Voilà !
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. À titre personnel, j'avais d'ailleurs déposé un amendement en ce sens pour l'ensemble des régimes spéciaux, à l'occasion de l'examen du projet de loi de finances pour 2006.
Au lieu de procéder au changement brutal ou à la remise en question des situations acquises, évoqués de façon caricaturale par certains observateurs, ce mode opératoire consisterait simplement, pour prendre une image, à « fermer le robinet » des régimes spéciaux, et à le faire vite, car la pratique montre, je le rappelle, qu'il faut soixante ans pour mettre totalement en extinction un régime de retraite.
Parmi les différentes solutions techniques envisageables, celle-ci me semble, et de loin, la meilleure. D'abord, parce qu'elle présente le mérite d'être simple et crédible. Ensuite, parce qu'elle donne l'assurance de réaliser des économies substantielles et progressives pour les finances sociales et les finances publiques. Certes, on peut objecter que le basculement sur le régime général, ainsi que sur l'AGIRC et l'ARRCO, se traduirait aussi par l'intégration des primes dans l'assiette de cotisation, mais ce surcoût ponctuel sera marginal eu égard à l'économie réalisée par rapport aux règles des pensions qui régissent les trois fonctions publiques.
En définitive, monsieur le ministre, mes chers collègues, vous l'avez compris, notre commission a la volonté d'agir en tant que force de proposition dans le débat qui s'ouvre sur les régimes spéciaux. Bien que de nature réglementaire au regard de notre Constitution, ce sujet essentiel ne saurait être étranger aux préoccupations du Parlement ni réservé aux partenaires sociaux et aux directions des grandes entreprises nationales. Je vous remercie donc, monsieur le ministre, d'avoir engagé cette concertation, et je souhaite que nous puissions refaire le point sur ce dossier avant que vous ne preniez les décrets. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)
M. le président. La parole est à M. Dominique Leclerc, rapporteur.
M. Dominique Leclerc, rapporteur de la commission des affaires sociales pour les dispositions relatives à l'assurance vieillesse du projet de loi de financement de la sécurité sociale. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, voilà donc enfin venu le moment, pour notre pays, de mener à bien la réforme, jusqu'à présent toujours repoussée, des régimes spéciaux de retraite.
Cette décision du Président de la République a bien sûr une portée politique, économique et sociale majeure. Sur ce dossier en particulier, peut-être plus encore que sur les autres, il fallait marquer une rupture avec le passé. C'est désormais chose faite, et le statu quo va être remis en cause.
Cette réforme, nous l'attendions depuis longtemps, monsieur le ministre, et nous nous sommes attachés à la préparer tout au long de la précédente législature. La commission des affaires sociales la soutiendra donc avec détermination.
Il est encore trop tôt dans le déroulement du processus de réforme pour en connaître dès aujourd'hui les contours précis. Mais, comme Nicolas About, j'incline naturellement à préférer une harmonisation prenant pour référence les caisses de retraite du secteur privé, plutôt que le régime, toujours plus coûteux, des trois fonctions publiques. Il serait, je crois, naturel et juste, d'affilier les futurs employés de la SNCF, de la RATP et des industries électriques et gazières - pour ne parler que des plus importantes - au régime général, d'une part, et, bien évidemment, aux régimes complémentaires AGIRC et ARRCO, d'autre part.
L'enjeu principal consiste toutefois à sortir de l'impasse actuelle et à faire en sorte que ces fameux régimes ne soient plus un monde à part, totalement immobile, au sein du paysage français des retraites. Il faut aller dans le sens d'un rapprochement des principaux paramètres de la retraite, par exemple celui de la durée de cotisation, pour aboutir à une sorte de socle minimum de solidarité. Si nous voulons conserver le système de répartition auquel nous tenons, nous sommes convaincus que la solidarité nationale ne s'exprimera que si nous adoptons des paramètres convergents, voire identiques, pour les bénéficiaires des différents régimes.
Je me rallierai donc, si tel devait être le choix définitif, à la solution consistant à harmoniser les régimes spéciaux avec ceux de la fonction publique.
M. Guy Fischer. Quand même !
M. Dominique Leclerc, rapporteur. Notre commission a d'ailleurs élaboré un certain nombre de propositions pour accompagner cette réforme.
L'objectif est non seulement de changer la situation actuelle, perçue comme inacceptable par nos compatriotes, mais surtout d'enrayer, au moyen de mesures énergiques, la dynamique de progression des dépenses.
En ma qualité de rapporteur de la commission des affaires sociales pour l'assurance vieillesse du projet de loi de financement de la sécurité sociale, depuis 2001, d'une part, et de rapporteur de la commission des affaires sociales du projet de loi portant réforme des retraites en 2003, d'autre part, je vous suggère, monsieur le ministre, d'appliquer un ensemble de dispositions que je regrouperai en trois volets.
Tout d'abord, il s'agit d'« arrimer » solidement les grands régimes spéciaux à celui de la fonction publique. Cela suppose de prévoir que, sauf exception, les règles du code des pensions civiles et militaires de retraite ont désormais vocation à leur être appliquées. Il est aussi nécessaire de créer une caisse de retraite dans tous les petits régimes qui en sont aujourd'hui dépourvus.
Il faut aussi instituer pour chacun des régimes spéciaux, comme cela a été fait en 2004 dans la fonction publique, un système de retraite additionnel obligatoire par points, dont l'assiette sera constituée par une partie des primes des assurés sociaux.
Ensuite, c'est la deuxième priorité, il convient de redresser les comptes.
S'il n'est pas question de revenir sur la situation des retraités actuels, comme cela a déjà été souligné, ni de faire reposer les efforts demandés sur les actifs les plus âgés, il est, en revanche, légitime de mettre en oeuvre des mesures fortes pour les « nouveaux entrants ».
Il faudrait aussi compléter, par l'entrée en vigueur rapide du système de décote, l'augmentation prévue jusqu'à quarante ans de la durée de service nécessaire pour obtenir une retraite à taux plein.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Bien sûr !
M. Dominique Leclerc, rapporteur. Je suggère, au passage, de synchroniser le calendrier de mise en oeuvre de la décote avec celui de la surcote, dont l'objet consiste inversement à encourager l'allongement de la durée d'activité. C'est une question de bon sens.
Enfin, je propose de supprimer les « clauses-couperets » prévoyant toujours, dans de nombreux régimes spéciaux, la mise à la retraite d'office des assurés sociaux à un âge précoce, souvent inférieur à soixante ans. Cela donnerait la possibilité à ceux qui le souhaitent de travailler jusqu'à soixante-deux ans, voire soixante-cinq ans.
Enfin, permettez-moi, monsieur le ministre, de faire une dernière suggestion : celle de ne pas exclure, par principe, les régimes spéciaux du champ d'application de la future réforme des retraites de 2008, quitte à prévoir une phase de transition destinée à y introduire les modifications qui seront apportées l'an prochain au code des pensions civiles et militaires de retraite. Il serait, en effet, fâcheux de rattraper le retard accumulé entre 1993 et 2008 par rapport aux autres caisses de retraite et, surtout, de ne pas prolonger au-delà cette démarche d'harmonisation.
M. Guy Fischer. M. le ministre s'est engagé à ne toucher à rien en 2008 !
M. Dominique Leclerc, rapporteur. Notre commission souhaite aussi profiter de ce débat pour vous faire part des inquiétudes que lui inspire le processus de concertation avec les organisations syndicales.
Au Sénat, nous sommes nombreux à être préoccupés par les contreparties qui pourraient être accordées par les directions des grandes entreprises nationales, dans le cas où elles aboutiraient à vider la réforme d'une partie de sa substance.
De ce point de vue, comme M. About l'a indiqué, la réforme du régime de retraite de la Banque de France, qui a été menée au début de l'année 2007, ne me semble pas être un exemple à suivre. (M. Guy Fischer s'exclame.)
Pourra-t-on éviter la création de nouveaux avantages qui se substitueraient à ceux qui auront été supprimés ou bien l'augmentation des salaires pour compenser la hausse des cotisations ?
Saura-t-on éviter la création de dispositifs de cessation progressive d'activité, coûteux pour la collectivité nationale et avantageux pour les ressortissants des régimes spéciaux ou bien la définition d'une conception extensive de la « catégorie active » autorisant des départs précoces ?
En se fondant notamment sur le rapport déjà oublié de la Cour des comptes d'avril 2003, on constate que le code des pensions constitue une référence juridique à la fois perfectible et coûteuse, surtout si on la compare au secteur privé. Je pense en particulier - mais cela a été dit et on le sait maintenant - aux diverses modalités de bonification des pensions ou aux nombreuses possibilités dérogatoires de départ avant soixante ans, qui concernent près des deux tiers des fonctionnaires, ceux qui n'ont pas été touchés par les autres mesures, notamment celle de l'allongement à quarante ans, prises, quoi qu'on en dise, lors des réformes de 2003. Toutes ces règles mériteraient, elles aussi, d'être remises à plat, à l'occasion du fameux rendez-vous de 2008 sur les retraites.
Cette réforme des régimes spéciaux de retraite me conduit à revenir sur le dossier des adossements aux caisses de retraite du secteur privé.
L'adossement est cette procédure comptable et financière très complexe qui, moyennant une soulte, a conduit à étendre la solidarité interprofessionnelle aux retraites des gaziers et des électriciens. Ce schéma a été utilisé pour les industries électriques et gazières, les IEG, en 2004 ; il pourrait, dit-on, être reconduit pour la RATP, voire la SNCF.
Au cours des dernières années, le Sénat a veillé à sécuriser au niveau législatif la mise en oeuvre de ces adossements. La commission des affaires sociales, en particulier, a obtenu que figurent dans le code de la sécurité sociale le principe de « stricte neutralité financière » des adossements pour les assurés sociaux du secteur privé, l'obligation d'information par les caisses de retraite tout au long des vingt-cinq années de l'adossement et le principe d'un contrôle accru du Parlement.
Or, il faut bien le dire, sur ce dernier point, la commission des affaires sociales constate qu'elle continue à n'avoir connaissance des opérations préparant les futurs adossements qu'au travers de la lecture de la presse - c'est toujours très intéressant - et elle demande donc le renforcement des garanties de neutralité de l'opération pour le régime général.
Mes chers collègues, j'attire votre attention sur la nécessité d'établir un lien entre ce dossier des adossements et la réforme des régimes spéciaux que le Gouvernement s'apprête à conduire.
Pour conclure, j'observe que, depuis 1995, le temps a passé et les mentalités de nos concitoyens ont beaucoup évolué. Notre pays est prêt ; il attend une réforme de grande ampleur des régimes spéciaux.
Le Parlement en général, le Sénat en particulier, doit prendre sa part dans cette réforme et exercer un suivi attentif des négociations dans les grandes entreprises nationales. La commission des affaires sociales s'y est préparée de longue date. Le débat d'aujourd'hui fournit aux parlementaires que nous sommes une première opportunité d'intervention.
Voici, monsieur le ministre, une note présentant la synthèse des positions de la commission des affaires sociales. (M. Dominique Leclerc, rapporteur, remet à M. le ministre la note de synthèse de la commission des affaires sociales. - Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)
M. le président. La parole est à M. Alain Vasselle, rapporteur.
M. Alain Vasselle, rapporteur de la commission des affaires sociales pour les équilibres généraux du projet de loi de financement de la sécurité sociale. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le président Nicolas About et notre collègue Dominique Leclerc ont bien mis en exergue les travaux de la commission des affaires sociales sur la question, ô combien sensible, de l'avenir des régimes spéciaux. Je suis convaincu que nos propositions fourniront une contribution à la fois utile et originale dans le débat public que nous appelons de nos voeux.
Pour avancer sur les régimes spéciaux, le Gouvernement aura besoin de continuer à bénéficier non seulement du soutien du Parlement, mais également d'un fort soutien de l'opinion publique. Nous tenterons de nous y employer.
En ma qualité de président de la mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale, la MECSS, je me bornerai donc à compléter les propos de mes collègues sur trois points précis : premièrement, le coût de ces régimes pour les finances publiques et les finances sociales ; deuxièmement, la nécessité de profiter de la réforme annoncée par le président de la République pour mettre fin aux dérives des systèmes de compensation démographique ; troisièmement, l'urgence de promouvoir davantage de transparence dans le mode de financement de ces caisses de retraite.
À ce stade de mon propos, monsieur le ministre, j'ajouterai une remarque. Si, effectivement, toutes les mesures que vous allez prendre sont d'ordre purement réglementaire et n'appellent pas de dispositions législatives, vous savez quand même que leurs conséquences sur les lois de financement de la sécurité sociale ne seront pas nulles. Si le Parlement n'avait pas été consulté, associé à la réforme, il aurait toujours eu la possibilité, au moment de la présentation du projet de loi de financement de la sécurité sociale, le PLFSS, de ne pas voter les crédits sous le prétexte que le Gouvernement ne respecte pas ses engagements. C'est aussi la solution dont dispose un conseil municipal face au maire : ce dernier peut bien prendre un certain nombre de mesures, mais si le conseil municipal ne vote pas, dans le budget, les crédits nécessaires à leur mise en oeuvre, le maire ne sera pas plus avancé !
Par conséquent, le Gouvernement a été bien inspiré et a eu raison d'associer en amont le Parlement à sa réflexion. Je ne doute pas un seul instant, d'ailleurs, que telle était sa volonté.
Il faut que nos concitoyens sachent que les réformes que vous engagerez sont le résultat d'un travail effectué en partenariat entre le Gouvernement et le Parlement.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Bien sûr !
M. Alain Vasselle, rapporteur. Faute d'informations statistiques, il est quasiment impossible de savoir combien coûte à la collectivité nationale le maintien des régimes spéciaux. Le débat d'aujourd'hui nous fournit l'occasion d'aborder cette question quelque peu dérangeante.
Les régimes spéciaux, dans leur quasi-majorité, sont avant tout caractérisés par leur insuffisance structurelle de financement et présentent tous des ratios démographiques très défavorables. Leur survie n'est donc possible que grâce à l'apport de ressources extérieures, à hauteur de 60 % aujourd'hui, et de plus encore d'ici à trente ans si l'on n'agit pas maintenant.
Selon le rapport de la Cour des comptes de septembre 2006 sur l'exécution de la loi de financement de la sécurité sociale, la masse des pensions versées par les régimes spéciaux peut être ventilée en trois composantes : premièrement, les pensions qui seraient versées si les règles d'acquisition et de liquidation des droits à la retraite étaient celles des régimes de droit commun, c'est-à-dire le régime général et les régimes complémentaires ; deuxièmement, les avantages spécifiques liés à leurs règles plus favorables ; enfin, troisièmement, le coût du déséquilibre démographique stricto sensu.
Il n'existe malheureusement encore aucune étude permettant d'évaluer avec précision l'importance relative de ces différents facteurs. Tout juste peut-on indiquer qu'à l'occasion des travaux préparatoires de la loi du 9 août 2004 relative au service public de l'électricité et du gaz et aux entreprises électriques et gazières le ministère des finances avait précisé à notre collègue Dominique Leclerc que le surcoût du « chapeau » du régime des IEG s'expliquait grosso modo, pour moitié, par la précocité des départs en retraite et, pour le reste, par le mode de calcul plus favorable des pensions.
La question controversée du coût des régimes spéciaux nécessiterait donc des investigations complémentaires importantes qui font aujourd'hui défaut de la part des statisticiens publics. Nous disposons toutefois de quelques informations absolument incontestables pour en approcher la réalité.
Pour les soixante prochaines années, les engagements de retraite des sept principaux régimes spéciaux s'élèvent à environ 300 milliards d'euros, comme l'a dit tout à l'heure le président Nicolas About. Cette somme se décompose de la façon suivante : 105 milliards d'euros pour la SNCF, 90 milliards d'euros pour les IEG ; 27 milliards d'euros pour les marins, 25 milliards d'euros pour les mines - j'ai cru comprendre qu'on voulait avoir une démarche plutôt prudente vis-à-vis des marins et des mines... -, 23 milliards d'euros pour la RATP et 12 milliards d'euros pour la Banque de France. Vous conviendrez qu'il s'agit d'une somme considérable !
Le président Nicolas About l'a rappelé également, il existe une forte disproportion entre le faible nombre des cotisants - 471 000 pour 24,4 millions d'actifs, soit 1,9 % - et la part relative des retraités des régimes spéciaux - 1,1 million sur un total de 13,5 millions, soit 8,1 % - dans la population française. Par conséquent, nous sommes aujourd'hui dans la situation suivante : à l'inverse du régime général, il y a moins d'un actif pour deux retraités dans les régimes spéciaux. Vous comprendrez qu'une telle situation ne peut perdurer. Au fil du temps, le régime général connaîtra également une dégradation.
Le montant des retraites versées par les sept grands régimes va s'accroître : il était de 11,8 milliards d'euros en 2003 ; le conseil d'orientation des retraites l'estime à 13,7 milliards en 2020 et à 18,1 milliards en 2050.
Leur besoin de financement, qui était de 7 milliards d'euros en 2003, passerait à 10,3 milliards en 2020, 10,8 milliards en 2040, puis 12,8 milliards en 2050. À législation inchangée, le recours croissant à la solidarité nationale est donc massif et inévitable.
Au total, il est quasiment impossible de savoir combien « coûte » à la solidarité nationale le maintien de ces régimes. Pour ma part, j'estime intuitivement à 6 milliards d'euros, au minimum, par an, le surplus de prestations versées, par rapport à la situation théorique qui verrait ces assurés sociaux affiliés au régime général et à l'AGIRC - l'ARRCO. Pour vous donner un point de repère, ces 6 milliards d'euros représentent environ la moitié du budget de l'enseignement supérieur en 2006.
Il paraît utile - le bureau et la commission des finances pourraient y réfléchir, monsieur le président du Sénat - de renforcer les moyens budgétaires de la commission des affaires sociales et de la MECSS, afin que nous puissions pousser nos investigations et faire appel à des bureaux d'études, si nécessaire extérieurs, pour mener à bien notre travail et aider le Gouvernement dans la connaissance, aussi précise que possible, de ce que représente le coût des régimes spéciaux dans le budget de la sécurité sociale.
M. le président. Je compte sur vous pour déposer un amendement pendant la discussion budgétaire, afin d'augmenter la dotation du Sénat. Ainsi, vous aurez satisfaction !
M. Alain Vasselle, rapporteur. Je compte aussi sur vous pour me soutenir, monsieur le président, si l'amendement était déposé.
Je suis également convaincu, monsieur le ministre, que nous devons profiter de cette future réforme des régimes spéciaux pour apporter davantage de transparence et améliorer ainsi l'information de l'opinion publique, dont le soutien apparaît déterminant sur ce dossier.
Je propose d'introduire pour ces caisses de retraite l'obligation de publier, dans leurs rapports annuels, différentes données : le niveau des engagements de retraite à moyen et long terme, les principales caractéristiques de la population d'assurés sociaux, la répartition entre ressources propres et ressources extérieures du régime.
De la même manière, le Parlement trouverait utile de disposer de meilleurs indicateurs sur les régimes spéciaux dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale et, dans le projet de loi de finances, pour la mission « Régimes sociaux et de retraite ». Ces éléments nous permettraient une comparaison entre les trois fonctions publiques et le régime général sur les âges de départ à la retraite - puisque la fonction publique est la référence -, notamment avant cinquante-cinq ans et soixante ans, sur la pension moyenne des retraités, sur la réalité du cumul emploi-retraite et sur l'espérance de vie des assurés au moment de leur départ en retraite...
Nos concitoyens veulent savoir, ce qui m'apparaît légitime et naturel, comment sont financés les avantages spécifiques des régimes spéciaux en matière de retraite. La réforme que nous sommes sur le point d'engager doit aussi résoudre ce problème.
J'ajouterai un dernier mot sur l'argument de la pénibilité que vous avez évoqué, monsieur le ministre, pour justifier le statu quo. Je ne conteste pas la difficulté du métier des conducteurs de train. Mais, heureusement, leurs conditions de travail n'ont rien à voir avec celles qui prévalaient voilà cent ans ! La pénibilité est une notion évolutive très difficile à prendre en compte objectivement.
M. David Assouline. On disait déjà cela il y a un siècle !
M. Alain Vasselle, rapporteur. Cela nécessiterait des investigations suffisamment poussées pour que nous puissions avoir une opinion totalement objective sur ce sujet.
M. Guy Fischer. C'est comme la pénibilité du métier de paysan !
M. Alain Vasselle, rapporteur. La pénibilité a évolué ; elle n'est plus de même nature, monsieur Fischer !
Enfin, j'estime que la remise à plat des régimes spéciaux doit être l'occasion de refonder le système de compensation démographique entre toutes les caisses de retraite. Ce système redistribue chaque année 10 milliards d'euros, notamment en direction de la SNCF, des mineurs et des marins.
Au fil du temps, la complexité de ce mécanisme n'a fait que s'accroître, tandis que l'État en modifiait les règles à plusieurs reprises, en fonction de ses intérêts. Dans un rapport publié en décembre 2006, la MECSS, que je préside, avait proposé de mettre un terme à ces dérives. Nous avions appelé à la mise en extinction progressive, d'ici à 2012, de la « surcompensation », ce mécanisme de transferts entre les seuls régimes spéciaux par le biais du « pompage » des excédents de la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales, la CNRACL, très chère à notre collègue Domeizel !
Nous avions aussi souhaité un moratoire sur le mode de fonctionnement actuel des mécanismes de la compensation démographique entre tous les régimes sociaux. Sur ce sujet, à nouveau, il serait légitime d'introduire l'obligation d'une information préalable des commissions parlementaires compétentes avant tout changement de règles.
Je serais même favorable à ce qu'une modification des règles de la compensation démographique ne puisse intervenir que dans la loi de financement de la sécurité sociale. Il faut tirer tous les enseignements des réformes constitutionnelles que nous avons engagées et donner à la loi de financement de la sécurité sociale le rôle souhaité par le constituant. Voilà, mes chers collègues, une dimension « collatérale » de la réforme des régimes spéciaux.
En 2003, on s'en souvient, notre majorité avait fait le choix politique de laisser de côté les régimes spéciaux. Cette décision s'expliquait par le traumatisme des grèves de 1995 et par le fait que notre priorité était alors d'assurer le succès du socle de la réforme des retraites. La loi du 21 août 2003 prévoit une clause de rendez-vous pour prendre les mesures d'ajustement qui s'imposent. Ce débat, prévu en 2008, aura été précédé par la réflexion que nous ouvrons ce matin sur les régimes spéciaux. Il appartiendra au Gouvernement de la mettre en oeuvre et au Parlement d'y contribuer.
Mes chers collègues, tels sont les éléments d'information que je souhaitais livrer à votre réflexion.
Monsieur le ministre, je tiens à vous assurer de notre soutien pour cette réforme ambitieuse, qui ne sera certainement pas facile à réaliser. Mais je suis persuadé que l'opinion publique est convaincue de sa nécessité. Bien entendu, certains continueront de s'y opposer, mais c'est l'intérêt général qui doit primer dans notre pays. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)
M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, chaque groupe dispose d'un temps de parole de trente minutes.
Dans la suite du débat, la parole est à M. Alain Gournac.
M. Alain Gournac. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens tout d'abord à remercier le Gouvernement d'avoir inscrit à l'ordre du jour de nos travaux ce débat sur les régimes spéciaux. L'occasion nous est aujourd'hui donnée d'affirmer avec force la nécessité du changement dans un domaine où les réformes sont plus que jamais nécessaires.
Le Gouvernement prouve ainsi sa volonté de résoudre les difficultés liées au financement de nos retraites dans un esprit de transparence et de concertation la plus large possible.
Comme vous le savez, monsieur le ministre, le Sénat a beaucoup travaillé, et ce depuis longtemps, sur la difficile question des retraites. Examinons ce qui a été fait.
Notre majorité peut être fière des décisions courageuses et parfois impopulaires, mais nécessaires, qu'elle a prises depuis l'apparition du problème. Dès 1993, nous avons voté la loi présentée par le gouvernement d'Édouard Balladur visant à réformer le régime général et les régimes dits « alignés ». Cette loi a permis de porter progressivement de 37,5 annuités à 40 annuités la durée des cotisations nécessaire pour percevoir une retraite à taux plein.
Dix ans plus tard, notre majorité a également approuvé la loi présentée par François Fillon, alors ministre des affaires sociales. Grâce à ce texte, nous avons préservé la retraite par répartition et accompli un pas décisif vers l'égalité entre les salariés du privé et du public en harmonisant la durée de cotisation, fixée à quarante ans pour tous.
La loi portant réforme des retraites de 2003, fruit d'une ferme volonté politique partagée par le Gouvernement de Jean-Pierre Raffarin et notre majorité, est un motif de fierté pour cette dernière, qui a prouvé qu'elle voulait prendre à bras-le-corps les problèmes qui engagent l'avenir de la nation.
Ces réformes, qui étaient nécessaires, ont commencé à porter leurs fruits. Les Français savent que le financement de leur retraite est assuré et que le principe de la répartition est sauvé. Nous devons désormais garder le cap pour asseoir la pérennité de ce régime.
Les évolutions déjà engagées doivent donc être prolongées dans l'esprit volontariste de la loi de 2003, qui prévoyait une reprise de la concertation en 2008, c'est-à-dire l'année prochaine.
Des actes forts sont indispensables, afin de poursuivre l'oeuvre de redressement entreprise et d'aboutir à une vraie égalité de condition entre tous les salariés français.
Oui, la réforme s'impose ! Ne rien faire nous exposerait à être les victimes des mutations démographiques qui s'annoncent. Si nous ne pouvons que nous réjouir de l'allongement de l'espérance de vie moyenne des Français, qui traduit le haut niveau de développement de notre pays, une telle évolution a pour conséquence, en l'état actuel de la fécondité, le vieillissement de la population française : la proportion de personnes âgées de plus de soixante ans devrait passer de 21 % de la population totale, en 2005, à 27,3 %, en 2020, et celle des personnes âgées de plus de soixante-cinq ans de 16,6 % à 21 %.
En 2050, suivant le scénario de base de l'INSEE, plus d'un tiers de la population aura plus de soixante ans. Le poids des actifs au sein de la population totale est appelé à décroître.
L'âge moyen de cessation d'activité des salariés est, dans notre pays, l'un des plus faibles de tous les pays industrialisés. Dans le même ordre d'idées, le taux d'activité des personnes âgées de cinquante-cinq ans à soixante-quatre ans atteint, en 2006, 37,6% dans notre pays, contre 45,3 % dans l'Union européenne.
M. Jean-Luc Mélenchon. Cela ne se compare pas !
M. Alain Gournac. J'ai encore la possibilité de le faire !
M. Jean-Luc Mélenchon. Ce sont des statistiques ! Il faut notamment prendre en compte la part des femmes qui travaillent ! Vous enfilez des perles !
M. Alain Gournac. D'une part, ce taux est très éloigné de l'objectif de 50 % fixé à l'horizon 2010 dans le cadre de la stratégie de Lisbonne. D'autre part, et surtout, ces chiffres prouvent que notre système actuel décourage le travail des quinquagénaires et des sexagénaires.
M. Jean-Luc Mélenchon. On les met dehors !
M. Alain Gournac. C'est un vrai scandale, que le Président de la République n'a d'ailleurs pas manqué de dénoncer avec force dans le discours qu'il a prononcé dans les locaux de notre assemblée le 18 septembre dernier, devant l'Association des journalistes de l'information sociale.
Si aucune mesure nouvelle n'est prise, la proportion des actifs au sein de la population française aura tellement diminué que la charge financière qui pèsera sur eux deviendra insupportable.
M. Guy Fischer. Les bénéfices des entreprises qui sont cotées au CAC 40 continuent d'exploser !
M. Alain Gournac. Seule une politique volontariste peut prévenir la dégradation qui s'annonce. C'est pourquoi il est de notre devoir de favoriser l'augmentation du taux d'emploi pour assurer la viabilité de notre système de protection sociale, auquel, nous le savons, les Français sont très attachés.
La préservation de nos grands équilibres sociaux et économiques passe nécessairement par l'allongement de la durée de cotisation, y compris pour les actifs qui relèvent actuellement des régimes spéciaux.
Oui, il est urgent d'agir ! En effet, la Cour des comptes, dont personne ne pourra contester l'objectivité, recommandait, dès septembre 2006, la réforme de ces régimes, en mettant en oeuvre les principes inscrits dans la loi de 2003.
L'âge de la retraite est précoce dans les régimes spéciaux en raison des bonifications d'annuités. À la SNCF, l'âge de départ à la retraite est fixé à cinquante-cinq ans. Mais, grâce aux bonifications d'annuités liquidables, accordées en raison de la nature des emplois occupés, le départ à la retraite peut être anticipé de cinq ans.
De plus, ces régimes ont conservé la règle des 37,5 annuités nécessaires pour liquider la retraite à taux plein. Quelle que soit la durée de la carrière validée, le taux d'annuité est garanti - 2 % -, alors que, dans le régime général, la durée de cotisation est de 40 annuités.
Il résulte de cette situation un déséquilibre financier. Certains des déficits engendrés, comme celui de la SNCF, qui atteint 3 milliards d'euros, sont compensés en partie par l'État. Mais qui les finance ? Ce sont les salariés du régime général ! Il s'agit non pas de stigmatiser telle ou telle profession, telle ou telle entreprise, ...
M. Guy Fischer. Non, à peine !
M. Alain Gournac. ... mais de chercher l'équité entre salariés.
Mes chers collègues, vous le savez, le Président de la République a réaffirmé de façon ferme et précise son engagement à traiter la question des régimes spéciaux. Nous devons agir pour permettre le respect de cet engagement. C'est une question de cohérence politique et de justice. Le vote des Français nous oblige.
Bien sûr, une phase de concertation est un préalable à cette réforme, et il n'a jamais été question de la refuser. Nous savons que la solidarité nationale doit être fondée sur la transparence. Vous l'avez d'ailleurs prouvé, monsieur le ministre, puisque c'est sous votre autorité qu'un dialogue de fond a été engagé, dès le 19 septembre dernier, avec les partenaires sociaux. Vous n'avez d'ailleurs pas manqué de rappeler que certains métiers, tel celui de marin pêcheur, dont la pénibilité est toujours aussi forte, ne seraient pas concernés par la réforme. Ce n'est que justice !
J'en suis sûr, mes chers collègues, notre majorité est déterminée à agir, tant pour parvenir à l'égalité entre tous les salariés que pour permettre à tous les futurs retraités de bénéficier d'une retraite à taux plein.
Nous devons prendre nos responsabilités et compenser le basculement démographique annoncé en augmentant l'activité pour tous les salariés, et tout particulièrement en favorisant l'emploi des personnes âgées de cinquante-cinq ans et plus.
Des mesures ont été prises dans le cadre de la réforme des retraites engagée en 2003 et du plan national d'action concerté pour l'emploi des séniors élaboré en 2006. Elles devront évidemment être poursuivies et amplifiées.
D'ores et déjà, le Gouvernement a inscrit des dispositions dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2008 afin d'encourager le travail et la prolongation d'activité des séniors et d'inverser la logique infernale qui incite les employeurs à se débarrasser de ces salariés et décourage les intéressés à reprendre un travail.
Monsieur le ministre, nous soutiendrons le Gouvernement dans sa volonté de réforme parce que nous sommes conscients de notre responsabilité devant les Français et convaincus qu'il est urgent d'agir.
Le groupe de l'UMP aidera le Gouvernement dans ses choix responsables et volontaires pour tenir les engagements pris par le Président de la République devant les Français. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Guy Fischer.
M. Jean-Pierre Bel. Il aura fallu attendre une heure et demie pour que l'opposition puisse s'exprimer sur ce texte !
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. C'est le tirage au sort, mon cher collègue !
M. Guy Fischer. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, après l'instauration du service minimum en juillet dernier, la privatisation de GDF au 1er septembre et l'annonce, le week-end suivant, de la réforme des régimes spéciaux, ceux-ci sont désormais dans le collimateur du Gouvernement.
Monsieur le ministre, voilà quelques jours à peine, à l'occasion de l'examen du projet de loi relatif à la recodification du code du travail, vous vous présentiez de manière fort péremptoire comme le champion du « dialogue social », ...
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. C'est vrai !
M. Guy Fischer. ... allant jusqu'à nous affirmer que vous ne saviez pas réformer sans négocier !
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Il l'a dit !
M. Guy Fischer. Je me souviens même que vous nous mettiez, ma collègue Annie David et moi-même, au défi de prouver le contraire.
M. Guy Fischer. En précipitant ainsi le débat parlementaire, alors même que les discussions avec les partenaires sociaux ne sont pas closes et qu'elles auraient, de toute évidence, mérité plus que les quinze jours gracieusement accordés par le Président de la République - mais vous venez de nous dire que, en fait, elles prendraient tout le mois d'octobre -, vous me donnez aujourd'hui l'occasion de prouver que vous n'êtes pas l'homme de dialogue que vous disiez être.
Dialoguer, monsieur le ministre, ce n'est pas seulement informer les autres ; c'est prendre le temps de l'écoute, auquel succède celui de l'échange, puis des propositions concrètes, des discussions et des éventuelles modifications.
M. Jean-Pierre Bel. Bravo !
M. Guy Fischer. Vous confondez écoute, concertation et négociation ; c'est bien dommage ! En fait, vous pratiquez la politique du fait accompli !
M. Roland Courteau. Eh oui !
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Mais non !
M. Guy Fischer. Par ailleurs, nous n'avons pas la mémoire courte. Je me souviens, comme si c'était hier, d'une séance du Sénat, que je présidais, le 5 juillet 2004. Notre assemblée examinait - déjà en urgence, et en plein été - le projet de loi destiné à adapter la forme juridique d'EDF et de GDF à l'ouverture du marché à la concurrence. M. Nicolas Sarkozy, alors ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, avait tenu les propos suivants :
« J'en viens maintenant aux garanties sociales.
« Je le redis avec force : le statut des agents, défini en 1946, sera maintenu. Son champ d'application - production, transport, distribution, commercialisation - ne sera pas modifié ; les agents concernés - les retraités, les présents dans l'entreprise, les futurs embauchés - et son contenu - les dispositions relatives à la garantie de l'emploi, les prestations et les oeuvres sociales - seront maintenus.
« La réussite d'EDF et de Gaz de France est aussi le fruit d'une histoire sociale qu'il nous faut prendre en compte et respecter. »
Voilà ce que disait, ce jour-là, M. Nicolas Sarkozy.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Il avait raison de le dire !
M. Guy Fischer. C'est donc dans la précipitation de la consultation des partenaires sociaux et de la représentation nationale que s'ouvre le débat sur la « réforme » des régimes spéciaux.
Vos méthodes, monsieur le ministre, en disent long sur vos objectifs. L'émoi suscité par les propos du Premier ministre, qui annonçait, sur un plateau de télévision, que la réforme des régimes spéciaux de retraite était prête, aisée à mettre en oeuvre et attendait le feu vert du Président de la République pour être lancée, était donc fondé.
À juste raison, les organisations syndicales ont dénoncé cette nouvelle provocation, cette négociation « à froid », considérant qu'une telle « réforme » n'était pas facile - mais j'y reviendrai - et méritait pour le moins un débat.
Or, que nous proposez-vous aujourd'hui ? Une communication gouvernementale anticipée d'une semaine, au pas de course, qui ne fera pas l'objet d'un vote, et ce alors même que les organisations syndicales exigent un délai de réflexion plus long.
Je tiens à vous avertir : ce qui pouvait apparaître, hier encore, comme des fautes de parcours est, en fait, un réel mode de gouvernement. C'est inacceptable, et vous ne le savez que trop !
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Parlez du fond !
M. Guy Fischer. D'ailleurs, pour mieux comprendre votre conception du dialogue social, il suffisait de lire dans le journal Le Monde du 18 septembre dernier les propos suivants, tenus par le conseiller social du Président de la République : « L'action gouvernementale doit s'appuyer sur le dialogue social, mais celui-ci ne doit pas être organisé dans des calendriers tels qu'ils feraient obstacle à l'action ».
Or, aujourd'hui, vous nous confirmez que la réforme des régimes spéciaux sera bouclée d'ici au 31 décembre !
M. Alain Vasselle, rapporteur. On ne va pas attendre dix ans pour la faire !
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Quel est le projet communiste ?
M. Xavier Bertrand, ministre. On va y venir au projet communiste ! On finira bien par avoir des propositions !
M. Guy Fischer. Cela n'est pas sans me rappeler les méthodes scandaleuses utilisées en 1995 par la majorité RPR de l'époque, visant à priver la représentation nationale, et particulièrement le Sénat, d'un débat digne de ce nom. Débordés par les manifestants, vous aviez finalement été contraints de reculer !
M. Roland Courteau. Et quel recul !
M. Guy Fischer. Vous abordez aujourd'hui le même sujet, à savoir l'alignement des régimes spéciaux sur le régime général. J'évoque ce dernier, mais, en réalité, vous vous êtes dit qu'il valait mieux les aligner, d'abord, sur celui de la fonction publique.
M. Guy Fischer. M. Leclerc, quant à lui, va droit au but en disant qu'il ne faut pas perdre de temps et qu'il convient d'aligner les régimes spéciaux sur le régime général !
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Ce n'est pas ce que nous avons dit !
M. Guy Fischer. Si, il l'a dit !
M. Jean-Pierre Bel. Laissez M. Fischer s'exprimer ! Cela fait deux heures que l'opposition attend de pouvoir intervenir !
M. Guy Fischer. Vous tentez de reprendre les mêmes techniques de contournement du débat démocratique ; c'est inacceptable !
M. Guy Fischer. Le MEDEF, si prompt à ouvrir le débat sur les régimes spéciaux, ne semble pas pressé d'entamer celui de la pénibilité. On comprend pourquoi !
Vous nous proposez donc, aujourd'hui, d'aligner la durée de cotisation des régimes spéciaux sur la disposition en vigueur dans la fonction publique, en la faisant passer de 37,5 à 40 annuités, puis - le Premier ministre l'a clairement annoncé - à 41 annuités dès 2008.
Dès lors, monsieur le ministre, je vous pose une première question : comment tiendrez-vous parole ? Vous avez dit hier que vous réformiez en 2007, mais que vous ne toucheriez absolument pas aux régimes spéciaux en 2008. Ces derniers seront-ils donc exonérés ?
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Et votre proposition, monsieur Fischer, quelle est-elle ?
M. Guy Fischer. On en parlera !
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Vous n'en avez pas ! Vous ne savez que critiquer le Gouvernement !
M. Guy Fischer. Permettez-moi de poursuivre mon propos, afin de respecter mon temps de parole !
La protection sociale connaît de grandes difficultés financières depuis plusieurs décennies et des réformes d'ampleur sont donc nécessaires. En effet, nous ne pouvons nous satisfaire du déficit de la sécurité sociale, estimé à 12 milliards d'euros pour 2008. Sous la droite, c'est un déficit record et même historique. Il faut remonter à 2004 pour retrouver un niveau comparable ! Le déficit cumulé de la sécurité sociale sur cinq ans s'élèvera ainsi à 42 milliards d'euros.
Mais, contrairement aux propos du Président de la République, nous ne considérons pas que les bénéficiaires des régimes spéciaux en soient la cause ou l'origine. Leur stigmatisation est inacceptable !
Certes, les régimes spéciaux sont déficitaires, à hauteur de 5,1 milliards d'euros. Mais, de manière plus générale, les difficultés de la protection sociale sont dues aux politiques économiques menées ces dernières années. D'ailleurs, l'échec de celle qui est conduite par le Gouvernement se confirme, et se confirmera en 2008.
Le déficit de la sécurité sociale est dû aux politiques de l'emploi, qui n'ont de cesse de casser l'emploi stable au bénéfice des contrats précaires que votre majorité crée pour satisfaire le patronat. (Mme Michelle Demessine approuve.)
Cela est particulièrement vrai dans les entreprises publiques, notamment celles qui sont concernées par les régimes spéciaux. Le cas est patent à la SNCF, où les gains de productivité dus à l'évolution des technologies n'expliquent pas, à eux seuls, la diminution du nombre de cheminots, qui est passé de 470 000 à 160 000 !
Le déficit de la sécurité sociale est dû également à l'accroissement du temps partiel imposé - particulièrement aux femmes -, qui diminue considérablement l'assiette des cotisations.
Il est dû, enfin, aux nombreux cadeaux fiscaux en direction des plus riches que votre gouvernement multiplie, à l'image du bouclier fiscal voulu par le MEDEF, promis par M. Sarkozy, exécuté par M. Fillon.
Pour mémoire, ce sont 14 milliards d'euros qui ont été dilapidés pendant l'été, soit presque, euro pour euro, le montant du déficit annuel de la sécurité sociale.
Ce chiffre est à rapprocher des 38 milliards d'euros d'exonérations fiscales offertes en 2007 au patronat et aux spéculateurs. Cela correspond à l'élargissement du bouclier fiscal, qui ne concerne que les 245 000 foyers les plus riches, sur 35 millions de foyers fiscaux recensés dans notre pays.
M. Guy Fischer. Ceux-là recevront un chèque de 85 000 euros de réduction d'impôts. La mesure coûtera 1,4 milliard d'euros par an. Voilà la vérité !
Je citerai encore la suppression quasi totale de l'impôt sur la fortune, la suppression des impôts locaux pour les plus riches, la suppression des droits de succession pour 4 % des Français les plus aisés...
Il est bien évident que tous ces cadeaux fiscaux de l'été vont réduire les marges de manoeuvre de l'État et accroître le déséquilibre budgétaire, sans compter, bien entendu, qu'ils vont accentuer les inégalités, et ce d'autant que la croissance n'est pas au rendez-vous. La réduction des dépenses publiques est, plus que jamais, à l'ordre du jour et le présent débat y est lié.
En juillet dernier, le ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique, M. Eric Woerth, annonçait qu'il faudrait à la France une croissance de 3 % pour réduire sa dette afin de la ramener au-dessous de 60 % du produit intérieur brut dès 2010 et annuler le déficit des finances publiques. Il tablait sur une croissance comprise entre 2,25 % et 2,5 % pour 2007, et d'environ 2,5 % pour 2008.
Or, selon de nombreux économistes, on enregistrerait plutôt une dégradation des finances publiques en raison du coût du « paquet fiscal », d'une croissance inférieure aux prévisions gouvernementales, des taux d'intérêt croissants, ce qui alourdit la charge de la dette, sans parler de la crise du secteur de l'immobilier.
Gilles Carrez, rapporteur général du budget à l'Assemblée nationale, admettait lui-même que, à 2,5 % de croissance, on passe ; à 2 %, on aura des problèmes, et à 1,7 % - comme cela se profile -, les difficultés s'accroîtront. Telle est la réalité !
Cette faillite a des causes que nous ne cessons de dénoncer, à savoir des cadeaux fiscaux et l'allégement du coût du travail. Elle est également instrumentalisée, afin de faire accepter des mesures d'austérité qui seraient dictées par la conjoncture mondiale.
Je veux vous démontrer non seulement que les régimes spéciaux ne sont pas à stigmatiser, mais que le fait d'isoler leur réforme est une aberration et une tromperie. En effet, derrière ces régimes, c'est bien l'ensemble de la protection sociale que vous souhaitez attaquer.
En 2007, nous assisterons à l'alignement des régimes spéciaux sur le régime de la fonction publique, avec l'allongement de la durée de cotisation de 37,5 à 40, puis à 41 annuités, l'indexation des pensions sur les prix et non plus sur les salaires et, enfin, la création d'une décote ou d'une surcote et le calcul du taux de remplacement sur les six derniers mois.
Telle est, résumée, la réforme que vient de définir M. le ministre.
Mais MM. Leclerc et Vasselle, ainsi que M. le président de la commission disent que cela ne suffit pas, qu'il faut aller plus loin et demander encore plus d'efforts au plus grand nombre.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Mais non ! Nous parlons des nouveaux entrants !
M. Guy Fischer. Dans un second temps - que l'on pourrait qualifier de « second coup de fusil » - votre projet concerne la réforme des retraites dans son ensemble.
Je citerai un taux, tout d'abord : 90 % du financement de la réforme des retraites reposent sur les seuls salariés. En effet, la part des cotisations patronales dans la masse salariale n'a cessé de diminuer, les allégements passant de 1 milliard d'euros en 1993 à 25,6 milliards d'euros en 2007. Dans le même temps, le pouvoir d'achat des retraites a baissé de près de 15 %.
A ce stade du débat, je remarque l'absence de l'ensemble des sénateurs du groupe UMP ! (Vives protestations sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
M. Jean-Pierre Bel. Regardez, c'est saisissant ! Il n'y a plus un sénateur de l'UMP !
M. Guy Fischer. Oui, ils sont tous partis ! C'est le signe du mépris le plus total !
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Il y en a un, là ! (M. le président de la commission désigne son voisin, M. Dominique Leclerc, rapporteur.)
M. Jean-Pierre Bel. Un seul ! (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. Guy Fischer. C'est scandaleux, monsieur le président de la commission !
Je poursuis tout de même mon propos. Quant aux retraites complémentaires, l'application des accords de 1996-2003, que seule la CGT a refusé de signer, fait que l'évolution de la valeur du point de retraite est indexée sur les prix, tandis que le prix d'achat d'un point de retraite est indexé sur les salaires. Ainsi, pour le même salaire, le nombre de points attribués diminue d'année en année.
Enfin, dernière étape de votre projet, la casse annoncée de la sécurité sociale et du système de retraite par répartition.
M. François Marc. Ils ne sont pas là pour vous entendre !
M. Guy Fischer. La philosophie des réformes engagées par le Gouvernement est de favoriser le basculement d'une logique de solidarité vers un régime d'assurance, le passage d'un droit collectif à un droit individuel. (C'est vrai ! sur les travées du groupe socialiste.)
De même qu'il faudra cotiser individuellement pour garantir son accès aux soins, de même M. Sarkozy ne s'est pas caché, dans son discours du 18 septembre au Sénat, de vouloir inciter les Français à garantir leur éventuelle future dépendance ou leur retraite par des placements financiers.
Le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2008 n'augmente-t-il pas les retraites de 1,1 % - vous voyez l'aumône ! -, alors que l'inflation prévue s'établit d'ores et déjà à 1,6 % ?
Les parlementaires communistes sont favorables à une réforme des systèmes de retraites, comme à celle de la sécurité sociale dans son ensemble.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Ah !
M. Guy Fischer. Ainsi, ils souhaitent une réelle réforme, qui ne diminue pas les droits, mais, au contraire, les garantisse et les élève.
Cette réforme nécessaire que, par idéologie, vous refusez d'appliquer, laissez-moi vous en esquisser les premiers traits.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Oui !
M. Guy Fischer. Il faudra bien, compte tenu de l'évolution de la démographie de notre pays, donner la priorité aux besoins humains. Oui, il faut les faire passer avant la logique financière qui, à ce jour, a caractérisé les plans de financement de la sécurité sociale et a fait des budgets sociaux des variables d'ajustement de votre politique libérale, notamment en matière d'emploi.
Nous proposons le retour aux 37,5 annuités pour ouvrir droit à une retraite pleine et entière.
Mme Michelle Demessine. Voilà notre proposition !
M. Guy Fischer. Pourquoi ne pas profiter du développement exponentiel des technologies et du fort accroissement de l'espérance de vie ? Faut-il revenir à la situation qui était celle de la fin du xixe siècle ? Faut-il revenir au travail jusqu'à soixante-cinq ou soixante-dix ans pour les populations les plus modestes ?
Il conviendra de revoir l'ensemble des dispositions antisociales prises par les gouvernements de droite, qui rendent de plus en plus virtuel le départ à la retraite à soixante ans.
Pour ce faire, nous voulons confirmer le droit à partir en retraite à l'âge de cinquante-cinq ans pour celles et ceux qui ont commencé à travailler tôt en confortant le système de la « carrière longue », que M. Fillon souhaite remettre en cause, afin de permettre notamment la modification de la règle des cent soixante-huit trimestres validés.
Il nous faudra aussi tenir compte de l'exigence des jeunes qui, poursuivant de longues études, entament tardivement leur carrière professionnelle. Nous proposons que leurs années d'études et de formation après dix-huit ans soient prises en compte.
En effet, en moins de trente ans, le début de la vie professionnelle a reculé de près de sept ans, et de neuf ans pour ce qui est de l'intégration dans un premier emploi stable. Cela rend impossible la validation de cent soixante trimestres à l'âge de soixante ans. Parce qu'il s'agit là de l'une des conséquences de la précarisation du travail, il faudra, par équité envers les plus jeunes, y revenir.
Le problème majeur de notre société, c'est l'explosion de la précarité, qui touche essentiellement les femmes et les jeunes. (Marques d'approbation sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
Mais il faut également, et de manière urgente, revaloriser substantiellement l'ensemble des retraites, qui n'ont cessé de diminuer. Cela passe par leur réindexation sur l'évolution des salaires bruts. Il s'agit de mettre fin au désastre causé par l'indexation des retraites sur les prix hors tabac, qui a pour conséquence d'appauvrir les retraités.
Le Comité national des retraités et des personnes âgées estime d'ailleurs que, entre 1993 et 2005, l'évolution des retraites a été inférieure de 14 % à celle des salaires, précisément en raison de leur indexation sur les prix.
Cette réalité, vous ne pouvez la nier. C'est le vécu de millions de retraités, ceux que Jean-Pierre Raffarin, alors Premier ministre, avait qualifiés de « peuple d'en bas ».
Il existe, mes chers collègues, une véritable paupérisation des retraités. L'urgence est donc de garantir la retraite totale - retraites de base et complémentaire - à 75 % du salaire moyen des dix meilleures années de carrière, avec un minimum au moins égal au SMIC.
Il faut également poursuivre les efforts entamés en 1997 en faveur des régimes de retraite agricole en revalorisant la retraite totale du chef de l'exploitation à un niveau égal à 75 % du SMIC brut, en instaurant la parité du montant de la retraite des conjoints et des conjointes avec celle du chef de l'exploitation et en supprimant les coefficients de minoration.
S'agissant des fonctionnaires, nous proposons de rétablir les droits prévus par le code des pensions avant le plan Fillon, et même de les améliorer. En l'espèce, MM. les rapporteurs ont fait un certain nombre de propositions.
Avec mes collègues du groupe communiste républicain et citoyen, je réclame que le montant des pensions soit fixé sur la base de 75 % du traitement des six derniers mois d'activité.
Il faudra également inclure les primes et les indemnités au traitement indiciaire de base, rétablir totalement les bonifications pour enfant, supprimer les décotes pour carrière incomplète, qui pénalisent particulièrement les femmes. C'est un problème d'actualité.
Tout cela suppose, monsieur le ministre, de prendre la mesure de l'enjeu de société qui s'annonce. Il faut rompre définitivement avec la logique comptable qui anime votre politique et qui vous conduit à ignorer les besoins des Français. La solution est évidente ; elle consiste à donner à la protection sociale les moyens financiers suffisants pour lui permettre d'assumer l'ensemble de ses missions et de satisfaire tous les besoins.
Pour ce faire, nous nous prononçons pour la mise à contribution des revenus financiers et spéculatifs des entreprises et des banques. Pour nous, tous les revenus du travail doivent être concernés, car il ne saurait y avoir, d'un côté, les salariés contributeurs et, de l'autre, les plus riches qui ne participeraient pas.
Redonner à la sécurité sociale les moyens de ses ambitions passe également par le remboursement de la totalité des dettes qu'a l'État envers elle, par la suppression des exonérations de cotisations sociales et par la fin de votre politique de cadeaux fiscaux, qui n'ont eu pour seules conséquences que de l'appauvrir, de tirer les salaires « vers le bas » et d'épargner les bénéfices des entreprises.
Vous comprendrez d'ailleurs notre grand contentement lorsque, à la lecture du rapport annuel de la Cour des comptes sur la sécurité sociale, nous avons découvert que son président, qu'on ne peut soupçonner de partager les conceptions de notre groupe, propose justement de taxer les stock-options et les parachutes dorés. S'adressant à la presse lors de la présentation de ce rapport, Philippe Seguin recommandait, en effet, « la suppression ou le plafonnement de l'exonération sur les stock-options », en précisant que les « cinquante premiers bénéficiaires devraient toucher une plus-value de plus de 10 millions d'euros chacun sur les options attribuées en 2005. » Il ajoutait que pour ces seuls bénéficiaires, « les cotisations manquantes s'élèvent à 3 millions d'euros. »
Votre seule réponse consiste à réduire les dépenses alors même que la priorité devrait être à l'accroissement des recettes. La solution, c'est l'élargissement de l'assiette de cotisations, une alternative crédible reprise là encore par M. Seguin, qui précise, concernant les stock-options, qu'ils constituent « un complément de salaire au versement différé ou une incitation à l'actionnariat et [qu'ils] sont donc bien un revenu lié au travail, donc normalement taxable. » (M. Jean-Marc Juilhard gagne l'hémicycle, suscitant des applaudissements nourris et des exclamations ironiques sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
J'en reviens à ma question initiale : pourquoi une telle précipitation ? Il s'agit, en fait, de dissimuler les échecs de votre propre politique.
M. Roland Courteau. Eh oui !
M. Guy Fischer. C'est un habile effet de manches visant à dissimuler l'échec du plan Fillon, qui devait, je vous le rappelle, conduire à l'équilibre de la branche retraite de la sécurité sociale. Or, les chiffres prouvent qu'il n'en est rien.
Mme Annie David. Exactement !
M. Guy Fischer. Quelle conséquence tirez-vous de cet échec ? Aucune ! Vous persistez à vouloir mettre les seuls salariés à contribution tout en épargnant les entreprises, et ce alors même que les bénéfices de celles qui sont cotées au CAC 40 continuent d'exploser.
Monsieur le ministre, il semble clair à l'ensemble de la représentation nationale que votre politique systématique d'appauvrissement de la sécurité sociale, de culpabilisation des affiliés, de suspicion et d'opposition entre les Français n'a qu'un seul objectif : préparer l'après-sécurité sociale.
M. Guy Fischer. Vous devez, par respect pour les Français, annoncer votre projet réel et dire enfin ce que vous souhaitez faire.
M. Guy Fischer. Vous souhaitez, en fait, la fin du régime par répartition au bénéfice d'un régime par capitalisation qui ferait la part belle au secteur privé et assurantiel.
M. Guy Fischer. De même, vous souhaitez fiscaliser entièrement le financement de la protection sociale au moyen de la TVA sociale - ou de ce que l'on pourrait appeler la TVA sur le travail. Ainsi, la mise en place des franchises médicales, l'appel aux mutuelles complémentaires, la création des plans d'épargne retraite et l'annonce de la création d'une cinquième branche couvrant le risque de la dépendance, dans laquelle le privé sera fortement mis à contribution, sont autant de signes de votre coupable projet.
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Guy Fischer. C'est d'ailleurs ce qu'esquissait la loi Fillon du 21 août 2003 portant réforme des retraites qui offre aux plus riches la possibilité de se constituer des compléments de retraite par capitalisation grâce à des exonérations fiscales massives. Le dispositif issu de cette loi, qui ne connaît qu'un faible succès, vise à ajouter à la retraite perçue une rente viagère qui correspond à l'épargne réalisée par l'adhérent.
C'est cela que vous voulez généraliser à l'ensemble des salariés. Je ne parle pas de ceux qui sont titulaires des minima sociaux ou de ceux qui perçoivent un salaire proche du SMIC. Votre projet s'inscrit dans la perspective de la fin d'un système par répartition au bénéfice d'un système par capitalisation.
Mais pourquoi un tel empressement ? Quelle est cette situation si indigne qu'elle provoque une telle précipitation de votre part ?
Les régimes spéciaux, qui ne se limitent pas aux seuls régimes de retraite, ont une histoire. Ils sont la résultante d'une réalité sociale marquée par la construction progressive d'un régime solidaire fondé sur la répartition et la solidarité intergénérationnelle.
Ils sont le fruit de luttes courageuses menées par des milliers d'hommes et de femmes attachés à leur outil de travail et à leur développement.
Ils traduisent en outre la reconnaissance de la nation envers le service public et ses agents, sur lesquels pèsent des contraintes particulières et qui remplissent leur mission spécifique avec attachement, qualité et dévouement. Car c'est aussi de cela qu'il nous faudra parler.
Comment évoquer les régimes spéciaux en éludant la question des agents ? Derrière un statut particulier se trouvent des hommes et des femmes. Je vous rappelle, à cet égard, le formidable travail réalisé par les agents d'EDF au lendemain des tempêtes de décembre 1999.
Avant 1945, les régimes considérés comme spéciaux ne l'étaient pas, car ils n'existaient pas en raison de l'opposition du patronat à un véritable régime de protection sociale. Il faudra attendre 1945, la fin de la guerre et l'application du programme national de la Résistance pour qu'enfin tous les salariés de notre pays aient droit à un régime de protection fondé sur la solidarité intergénérationnelle et sur la répartition qui offre un salaire de substitution une fois l'âge de la retraite venue, en cas de maladie ou d'accident, ou bien lors d'une naissance. Ce système fut d'ailleurs gravé dans le marbre de la Constitution.
C'est à cela que voudrait s'attaquer le Gouvernement, désirant progressivement abandonner les risques malheureux- accidents, maladies - pour n'assurer que les risques heureux, telle la grossesse. Et encore, dans quelles conditions ? Je vous renvoie à votre refus récent et rétrograde d'allonger le congé de maternité de trois semaines...
D'ailleurs, la proposition du Président de la République de créer une cinquième branche couvrant le risque de la dépendance ne dupe personne...
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Ah bon ?
M. Guy Fischer. ...puisque, simultanément, il en appelle au privé pour être imaginatif et proposer des placements fiscalement intéressants.
Aujourd'hui, les régimes spéciaux de retraite concernent 1,6 million de personnes, actifs et retraités confondus. Ce serait donc pour 1,1 million de retraités sur 14 millions et pour 500 000 actifs - soit 2 % de tous les actifs - qu'il faudrait agir de la sorte, précipiter le débat, défier les syndicats ?
M. Dominique Leclerc, rapporteur. Il ne faut rien faire !
M. Guy Fischer. Il me semble important de rappeler ici quelques vérités sur les régimes spéciaux. À cette fin, je prendrai deux exemples : celui de la SNCF et celui des industries électriques et gazières.
Mes chers collègues, contrairement à ce que nous avons pu entendre ici ou là, les salariés de la SNCF ne sont pas les nantis de notre République.
MM. Dominique Leclerc, rapporteur, et Pierre Hérisson. On ne l'a jamais dit !
M. Guy Fischer. Environ 60 % des retraités de la SNCF touchent une pension de 1 100 euros. Si, dans le privé, le taux de remplacement est globalement égal à 73 %, il est égal à 66 % chez EDF et à 63 % à la SNCF. Quelle en est la raison ? Elle réside dans des salaires bas, parfois inférieurs au SMIC, complétés par des primes qui ne sont pas prises en compte dans le calcul des droits à la retraite.
Le Gouvernement voudrait également faire croire que les régimes spéciaux coûtent aux assurés sociaux, n'hésitant pas à stigmatiser ces agents. Mais, en réalité, c'est bien votre projet de réforme qui ferait payer les assurés sociaux, monsieur le ministre ! Aujourd'hui, ces régimes sont autonomes, à l'image de celui des industries électriques et gazières, qui, ne se contentant pas d'être en strict équilibre, dégage un excédent de près de 300 millions d'euros et participe à la compensation démographique.
M. Guy Fischer. Certes, le régime de retraite de la SNCF est déficitaire, mais pour deux raisons. D'une part, la diminution importante du nombre de salariés a conduit à une diminution concomitante du nombre d'actifs et, par conséquent, du nombre de cotisants. D'autre part, il souffre d'un déficit démographique. C'est cela que vient compenser l'État - et rien d'autre - à hauteur de 4 milliards d'euros.
Ce que vous n'avez pas dit, monsieur le ministre, c'est que ce dispositif est fondé sur le strict principe de solidarité qui s'applique également au régime général, et ce en vertu d'un règlement européen de 1969. Pour mener à bien vos projets, il vous faudra nécessairement modifier ce règlement, qui concerne toutes les entreprises ferroviaires européennes.
D'où cette question, monsieur le ministre : entendez-vous, en fait, réformer les régimes spéciaux ou bien les droits spécifiques attachés aux agents bénéficiant des régimes spéciaux ? Cette distinction n'est pas neutre. J'ai bien peur, pour ma part, que vous ne fassiez ce dernier choix.
En fait, les régimes spéciaux participent à hauteur de 47 % à la compensation, là où le régime général y participe pour 46 %. Les principaux bénéficiaires de cette compensation sont les exploitants agricoles à hauteur de 70 %, les commerçants et artisans à hauteur de 24 % et les régimes spéciaux à hauteur de 7 % seulement.
Mme Annie David. Eh oui !
Mme Michelle Demessine. Voilà la vérité !
M. Guy Fischer. D'ailleurs, l'examen de l'origine des produits de la caisse de retraite de la SNCF apporte un éclairage particulier : les cotisations des cheminots et de la SNCF représentent 38 % de ces produits contre 54 % pour la contribution de l'État au titre du déficit démographique, la compensation et la surcompensation n'en représentant que 7 %.
Le régime spécial de la SNCF, contrairement à vos dires, ne vit pas des financements issus des autres régimes et du régime général. Au contraire, les régimes spéciaux participent largement au financement d'autres caisses, comme nous l'avons démontré. Voilà la réalité ! Voilà ce que, dans votre précipitation, vous souhaitez taire !
À écouter les propos de M. Fillon, de M. Sarkozy et même les vôtres, monsieur le ministre, on pourrait croire qu'il s'agit là d'une réforme capitale, commandée par la morale, l'équité et la justice. En entendant M. le Président de la République exprimer son sentiment d'indignation et son désir d'équité pour la conduite de ses réformes, j'ai cru un instant qu'il s'agissait d'une remise à plat de notre système fiscal, qu'il était question de la mesure tant attendue par l'opposition pour supprimer tous vos cadeaux fiscaux. Il n'en est rien ! Votre cible, ce sont les régimes spéciaux.
Les agents concernés par ces principaux régimes - ils appartiennent à la SNCF, à la RATP et aux IEG - bénéficient, en résumé, de trois mesures favorables : une durée de cotisation plus courte, des possibilités de départ à la retraite anticipée et le calcul de la retraite sur les six derniers mois de salaire. Pour autant, ces acquis ne sont pas sans contrepartie.
Ce qui est indigne, pour vous, c'est le droit à la retraite à cinquante-cinq ans accordé à des agents qui n'ont de cesse de faire évoluer leurs entreprises jusqu'à les rendre « leaders » au niveau européen, voire mondial. En voulant supprimer cette disposition, vous feignez d'ignorer le mode spécifique de calcul de la durée de cotisation. Je vous rappelle que, dans les régimes spéciaux, seuls les trimestres strictement cotisés sont pris en compte.
Ce qui est indigne pour vous, c'est le droit pour des hommes et des femmes de bénéficier d'une retraite à cinquante-cinq ans en raison de la pénibilité de leur profession. Je vous entends déjà, prêt à minorer cette caractéristique. Ce serait mal connaître le monde du travail ! Combien de suicides de salariés dans les entreprises vous faudra-t-il encore pour comprendre que la pénibilité, jusqu'alors évaluée sur le plan physique, se mesure aujourd'hui sur le plan psychologique ?
Mme Annie David. Eh oui !
M. Guy Fischer. Ce qui est indigne pour vous, c'est la référence de calcul de la pension, correspondant dans bien des cas aux six derniers mois de traitement alors que, dans le privé, la pension se calcule sur les vingt-cinq meilleures années. Mais, si une évolution est nécessaire ici, ne doit-elle pas être pour une fois un progrès et non une régression ? Faudrait-il toujours que vos mesures nivellent par le bas, quand, de toute évidence, nous pourrions tirer l'égalité vers le haut ?
Ce débat tronqué sur les régimes spéciaux évite soigneusement d'aborder le problème de l'accroissement important du déficit de la protection sociale par les transferts entre régimes : il faut, en effet, parler du financement de la couverture sociale des agriculteurs, des commerçants et artisans, ainsi que des régimes placés, de longue date, sous assistance respiratoire. Notre rapporteur Alain Vasselle, qui parle de « régimes en coma dépassé », ne me contredira pas.
Ainsi, en 2005, le régime général a versé près de 7 milliards d'euros au régime agricole au titre de la compensation démographique,...
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. C'est un coup bas !
M. Guy Fischer. ...près de 5 milliards d'euros provenant, pour leur part, des régimes des fonctionnaires.
Pour autant, je n'entends pas stigmatiser ces régimes, dont les ressortissants sont aussi les victimes d'un système.
Mes collègues Claude Domeizel et Dominique Leclerc ont démontré que, dans les années quatre-vingt, les réserves importantes de la Caisse nationale de retraite des collectivités locales, la CNRACL, ont été asséchées, pillées en totalité, afin d'alléger la charge, pour l'État, du financement de certains régimes spéciaux.
Ils poursuivent leur analyse en parlant de « hold-up » sur les ressources de la Caisse nationale d'assurance vieillesse et en démontrant qu'entre 2001 et 2005 le régime général a été le grand perdant, dans la mesure où sa contribution s'est accrue de 21 % et qu'à l'inverse l'État a acquitté une charge sensiblement moins élevée au titre des fonctionnaires civils et militaires.
Cela démontre qu'il est impossible aujourd'hui de montrer du doigt les régimes spéciaux hors d'une analyse globale de la réforme des retraites.
Ne conviendrait-il donc pas justement de rechercher une convergence par le haut des régimes des secteurs du privé et du public, en prenant notamment comme critère la pénibilité du travail ?
Pourquoi ne pas aborder le problème de l'égalité d'une toute autre manière ? Il s'agirait, tout d'abord, d'assurer à chacun le droit à une véritable retraite à soixante ans et de définir, pour les jeunes entrés tardivement dans la vie professionnelle, de nouvelles conditions d'acquisition des droits.
Il faut dégager les ressources - elles existent, nous l'avons démontré - pour une réforme de progrès, qui réponde aux aspirations des salariés à mieux vivre après la retraite, à profiter de l'augmentation de la durée de la vie, à condition que la pénibilité du travail, dont le stress, puisse régresser en parallèle...
Autrement dit, il est nécessaire de créer un véritable socle de garanties communes aux salariés du privé comme du public.
La question des retraites ne peut donc, je crois l'avoir démontré, être réduite à un problème démographique. Elle est et doit être un véritable phénomène de société, un enjeu de la qualité du travail et de la vie.
Oui, l'harmonisation par le haut est financièrement possible et nous n'aurons de cesse de vous le rappeler. Alors que se cache-t-il encore derrière votre projet ? Nous avons vu qu'il ne pouvait s'agir d'une mesure d'équité, auquel cas vous auriez supprimé les dispositions du projet de loi en faveur du travail, de l'emploi et du pouvoir d'achat.
Nous avons vu qu'il ne pouvait s'agir, à moyen et à long terme, d'une mesure comptable. Hier, monsieur le ministre, vous avec déclaré qu'il n'y aurait aucune conséquence financière,...
M. Guy Fischer. Vous avez dit que, dans l'immédiat, l'État ne ferait pas d'économie.
En agissant de la sorte, vous faites le pari connu et scandaleux de diviser les Français pour mieux asseoir votre autorité et casser ce à quoi nos concitoyens sont le plus attachés, à savoir notre contrat social.
Vous savez que le « nouveau contrat anti-social » proposé par Nicolas Sarkozy sera majoritairement rejeté un jour ou l'autre. Votre seule option : accuser l'autre de tous les maux, faire planer le doute et la suspicion, comme vous l'avez fait avec le projet de loi relatif à la maîtrise de l'immigration, comme vous le faites aujourd'hui avec les régimes spéciaux et comme vous comptez le faire demain avec les franchises médicales et le régime général des retraites.
Malgré toute votre propagande, vous ne parviendrez pas à convaincre les Français que la branche retraite de la sécurité sociale est déficitaire en raison de l'existence des régimes spéciaux ; vous ne réussirez pas à opposer les salariés entre eux.
Le Président de la République désire une chose plus que tout : ajouter à son tableau de chasse les régimes spéciaux. Voilà la vérité ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
(M. Adrien Gouteyron remplace M. Christian Poncelet au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. Adrien Gouteyron
vice-président
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Bel, pour un rappel au règlement.
M. Jean-Pierre Bel. Je tiens à saluer le retour des sénateurs de l'UMP dans cet hémicycle.
Pour ceux d'entre nous qui se posaient la question de savoir si l'opposition est importante et nécessaire, ils en ont eu une démonstration ce matin. Pendant plus d'une demi-heure, en effet, sur un débat essentiel - M. le ministre nous a expliqué que c'était le meilleur moment pour discuter de cette réforme des régimes spéciaux -, aucun sénateur de l'UMP n'était présent dans l'hémicycle ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Il y avait le meilleur d'entre nous : Dominique Leclerc !
M. Jean-Pierre Bel. Je félicite l'opposition d'avoir rappelé au président la nécessité de les mobiliser... (Nouveaux applaudissements sur les mêmes travées.)
M. le président. Je vous donne acte de votre rappel au règlement, mon cher collègue.
Dans la suite du débat, la parole est à M. Aymeri de Montesquiou.
M. Aymeri de Montesquiou. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, héritage ou prolongement de concepts de l'Ancien régime, les régimes spéciaux illustrent combien la France est imprégnée par la préservation de ses particularismes. Les régimes spéciaux, depuis des siècles, sont le produit d'un État protecteur qui a tant marqué notre histoire.
Mme Dominique Voynet. Vous êtes un spécialiste de l'Ancien régime !
M. Aymeri de Montesquiou. La volonté de récompenser l'effort de ceux qui exerçaient un métier vital pour la nation ou qui étaient soumis à de fortes contraintes a conduit à la création de régimes de protection sociale spécifiques.
La question qui nous est posée aujourd'hui est de savoir si ces régimes spéciaux, en ce début du XXIe siècle, ont toujours une raison d'être et, plus largement, si d'autres secteurs d'activité nouveaux ne sont pas concernés par le stress et la pénibilité.
On tend à considérer en France que ce qui existait dans le passé doit se pérenniser. Or, en s'appuyant sur le seul bon sens, on est conduit à constater que les conditions qui justifiaient ces régimes spéciaux n'existent plus. Comme l'a récemment déclaré le chef de l'État : « Il existe des régimes spéciaux de retraite qui ne correspondent pas à des métiers pénibles, il existe des métiers pénibles qui ne correspondent pas à un régime spécial de retraite. »
Je ferai un rappel historique : ces régimes spéciaux, dont nous parlons tant, remontent parfois jusqu'à Louis XIV ! Comme vous l'avez souligné, monsieur le ministre, c'est en effet dès 1673 que les marins ont bénéficié d'une pension en cas de blessure les empêchant de continuer leur activité. En 1709 était institué un véritable régime de retraite pour tous les marins de commerce et de la pêche. Au XIXe siècle furent aussi mis en place les régimes de retraite de la Banque de France, de la Comédie-Française, des chemins de fer - en 1855 - et des mines. Je m'en tiendrai à cette litanie non exhaustive.
Par la suite, lors de la création du régime général des assurances sociales en 1930, puis du régime général de sécurité sociale en 1945, les ressortissants des régimes spéciaux choisirent pour la plupart de rester protégés par des régimes mieux adaptés à leur spécificité et qui offraient une meilleure protection. Quoi de plus normal !
La pénibilité du travail d'un conducteur de locomotive ou d'un mineur ne laissait à ces derniers, en moyenne, qu'une durée de retraite de cinq ans !
Le sujet que nous abordons est d'autant plus complexe que ces régimes sont parfois très différents. Certains assurent l'intégralité de la protection sociale de leurs membres : c'est le cas pour les marins, les agents de la SNCF, le personnel de la chambre de commerce et d'industrie de Paris ou les notaires. D'autres n'offrent qu'une protection partielle et ne touchent que la branche vieillesse : c'est le cas des régimes des fonctionnaires locaux, des employés des industries électriques et gazières ou des personnels de l'Opéra de Paris.
J'insisterai sur les trois principaux régimes spéciaux de retraite : EDF-GDF, SNCF et RATP. Comme le rappelle le rapport de la Cour des comptes, ces régimes concernent près de 500 000 bénéficiaires et comptent 361 000 cotisants actifs. Celui de la SNCF, dont bénéficient 178 000 agents, prévoit un départ à la retraite à cinquante-cinq ans, à cinquante ans pour les agents de conduite. À la RATP, les personnels de maintenance peuvent partir à la retraite à cinquante-cinq ans et les conducteurs à partir de cinquante ans. Enfin, à EDF et GDF, l'âge de départ à la retraite est fixé à soixante ans, sauf pour les salariés qui occupent des fonctions pénibles et qui peuvent partir à cinquante-cinq ans. Nous constatons donc une grande hétérogénéité, qui s'explique par des choix et un contexte datant d'environ soixante ans, et non par des causes contemporaines.
Pour éviter que les entreprises n'aient à supporter un financement de plus en plus lourd, EDF-GDF et la RATP ont d'ores et déjà entrepris d'adosser les retraites de leurs agents au régime général. Ce transfert de charges est compensé par le versement d'une soulte, à ceci près que les gaziers, électriciens et agents de la RATP continueront à bénéficier de conditions spécifiques plus favorables que les autres salariés : départ à cinquante-cinq ans, voire cinquante ans, durée de cotisations de trente-sept ans et demi au lieu de quarante, pension calculée sur le dernier salaire, comme le souligne le rapport de la Cour des comptes, qui regrette que la loi de 2003, alignant les durées de cotisations des fonctionnaires sur celles des salariés du privé, ne se soit pas occupée de cette question.
Ces régimes sont théoriquement autofinancés, mais, pour des raisons démographiques, ils sont de plus en plus déficitaires. Ce déficit est couvert par des subventions de l'État : 2,5 milliards d'euros pour la seule SNCF, ce qui est considérable !
Alors que de nouveaux efforts s'annoncent en 2008 pour l'ensemble des Français et que le Gouvernement doit gérer équitablement ses dépenses publiques, il est difficile de ne pas réformer ces régimes.
C'est pourquoi les acteurs du système de retraite estiment en toute logique que la poursuite du statu quo est devenue impossible au-delà de l'horizon 2008. Nombre de syndicalistes et de membres du parti socialiste partagent cet avis. Je ne ferai pas l'exégèse des propos de Manuel Valls, de Michel Rocard ou du nouveau directeur général du FMI. Et puisque l'Union européenne et la mondialisation nous conduisent à la comparaison...
M. Jean-Luc Mélenchon. Vous citez trois socialistes alors que nous sommes 300 000 ! (Exclamations sur les travées de l'UMP.)
M. Aymeri de Montesquiou. J'ai choisi les plus notables, monsieur Mélenchon !
M. Jean-Luc Mélenchon. Il en est d'autres qui ont une opinion contraire !
M. Aymeri de Montesquiou. Quel pays développé autre que le nôtre a aujourd'hui conservé ses régimes spéciaux ? Aucun.
L'objectif est d'aboutir, d'ici à la fin de l'année, à une harmonisation équitable des règles des régimes spéciaux avec celles de la fonction publique et de mettre ainsi l'ensemble des Français sur un pied d'égalité dans la perspective du rendez-vous de 2008 sur les retraites.
La réforme des régimes spéciaux ne vise en aucune façon à opposer certaines catégories professionnelles à d'autres ; elle tend, au contraire, à sauvegarder la retraite de tous, aujourd'hui menacée par les déséquilibres démographiques. À cet égard, pourquoi les régimes spéciaux feraient-ils exception ? Des évolutions sont donc nécessaires.
Mais la réforme des régimes spéciaux doit avant tout être guidée par un impératif d'équité et de justice.
Nous sommes tous conscients, sur ces travées, que la situation actuelle ne peut être perçue que comme une source d'inégalités injustifiées entre les salariés. La pénibilité d'une profession spécifique doit être démontrée. Je pense spontanément aux marins pêcheurs, qui risquent très souvent leur vie et qui connaissent des conditions de travail extrêmement difficiles.
Certains régimes concernant des professions aux adhérents peu nombreux se sont déjà engagés dans la voie de l'auto-réforme, comme celui des clercs de notaire ou celui de la Banque de France. Traiter ces systèmes de retraite au cas par cas et les inciter à mettre en oeuvre cette évolution par eux-mêmes, telle doit être l'approche de cette réforme. En cas d'échec, il faudra que l'État intervienne et détermine les modifications nécessaires.
Pour autant, mes chers collègues, il faut dire clairement aux Français que le problème des retraites ne sera pas définitivement réglé avec la réforme des régimes spéciaux. Il est, en effet, tout à fait inexact de présenter leur suppression comme le moyen de financer les petites retraites, les régimes spéciaux ne représentant que 2 % des actifs. Est-il équitable que l'ensemble des Français contribue massivement à l'équilibre des retraites d'une petite minorité de leurs concitoyens travaillant moins longtemps qu'eux alors que la pénibilité de leur profession n'est pas avérée ?
Si les comptes de la sécurité sociale sont plus que préoccupants, c'est notamment du fait de la caisse d'assurance vieillesse. Nous sommes dans la première phase de la réforme de 2003. Celle-ci anticipe en particulier le départ à la retraite de salariés qui ont commencé à travailler très jeunes, le départ à la retraite de fonctionnaires et le principe de l'allongement de la durée de cotisation à partir de 2008.
Pour le prochain rendez-vous de 2012, notre objectif doit donc être d'équilibrer les comptes du régime général par l'allongement de la durée de cotisation d'une ou de plusieurs années en fonction de la pénibilité des métiers. Ayons le courage d'affirmer cette réalité ! Nous ne sommes donc qu'au début d'un chemin qui sera ardu.
La remise en cause des régimes spéciaux pourrait servir de modèle pour une nouvelle réforme du régime général, qui devra se faire dans la concertation et en tenant compte de la pénibilité de chaque métier.
Mes chers collègues, il est plus que temps d'aligner rapidement les régimes spéciaux sur le régime général. C'est une question d'équité qui emporte des conséquences financières.
M. Dominique Leclerc, rapporteur. Très bien !
M. Aymeri de Montesquiou. Il faut privilégier la négociation, refuser le passage en force et utiliser le débat parlementaire.
Il est, bien sûr, hors de question de stigmatiser les fonctionnaires. Cette réforme doit se faire dans un esprit de dialogue avec l'ensemble des acteurs concernés et en s'appuyant sur la négociation au sein des branches ou des entreprises. Tel est le défi qui s'offre à nous !
Consultations, concertations, négociations : la méthode choisie par le Gouvernement est essentielle ! Le contexte est très favorable, car une chose est sûre, monsieur le ministre, l'immense majorité des Français est prête à vous suivre. Ainsi, 68 % de nos compatriotes sont favorables à une réforme des régimes spéciaux de retraite et à leur rapprochement avec le régime général, soit une progression de neuf points en un an, selon un sondage du CSA. Néanmoins, ils refusent l'injustice !
Comme le dénonce encore une fois la Cour des comptes, n'oublions pas que les stock-options distribuées aux cadres dirigeants des grandes entreprises représentent un manque à gagner total de 3 milliards d'euros pour la sécurité sociale.
M. Roland Courteau. Eh oui !
M. Aymeri de Montesquiou. Dès lors, comment demander dans le même temps un effort à un salarié gagnant le SMIC et ignorer les stock-options ?
M. Roland Courteau. Eh oui !
M. Jean Desessard. Très bien !
M. Aymeri de Montesquiou. Je le répète, le succès de la réforme dépend du sentiment de justice que ressentiront nos concitoyens. Aujourd'hui, à la devise de la République, on peut ajouter le terme « équité », ...
M. Jean-Luc Mélenchon. Non, cela n'a rien à voir !
M. Aymeri de Montesquiou. ... ce qui, dans ce contexte, signifie harmonisation.
Je souligne que la transparence de ce débat est capitale pour l'information des Français et leur acceptation de la réforme.
Monsieur le ministre, le groupe du RDSE est sensible au fait que vous organisiez un débat parlementaire alors que ce sujet est d'ordre réglementaire. Cela démontre votre désir d'informer les Français. Il vous suivra donc, convaincu que cette réforme est indispensable à l'équilibre des retraites par répartition et qu'elle répond à un besoin d'équité. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Vanlerenberghe.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il faut réformer les régimes spéciaux. Le principe même de cette réforme s'impose aujourd'hui à tous et les syndicats savent qu'une remise à plat s'impose. Ils sont d'ailleurs prêts à faire évoluer le système à l'issue de véritables négociations. Dès lors, l'urgence peut être l'ennemie de l'excellence.
Qui ignore que la réforme des régimes spéciaux de retraite est autant une nécessité économique qu'une question d'équité ?
S'il s'agit d'une nécessité économique, c'est parce que les comptes de ces régimes sont structurellement et très fortement déséquilibrés et que, jusqu'ici, aucune réforme d'envergure ne s'est attaquée au problème. Quand j'utilise le mot « déséquilibre », j'emploie presque un euphémisme. Les chiffres sont en effet édifiants !
Les régimes spéciaux, ce sont 13 milliards d'euros de prestations de retraite sur les 236 milliards totaux de prestations. Sur ces 13 milliards d'euros, l'État versera, pour 2007, une subvention d'équilibre qui devrait s'élever à 5 milliards d'euros, soit à peu près le montant du déficit prévisionnel de la branche vieillesse du régime général.
M. Jean-Luc Mélenchon. Oui, et pourquoi ?
M. Jean-Marie Vanlerenberghe. Pour être plus précis, le rapport de la commission des comptes de la sécurité sociale, qui vient d'être rendu public, table sur un déficit de la branche vieillesse du régime général de 4,6 milliards d'euros. Selon la même source, le déficit de cette branche devrait fortement s'accroître en 2008, pour atteindre 5,7 milliards d'euros.
On le voit, nous sommes entrés dans une dynamique implacable, que l'on retrouve pour les régimes spéciaux. L'année prochaine, la subvention d'équilibre versée par l'État à l'ensemble des régimes spéciaux pour équilibrer la gestion de leur risque vieillesse devrait passer de 5 milliards d'euros à 5,5 milliards d'euros.
Conclusion : par la magie comptable, les régimes spéciaux sont supposés être équilibrés. En réalité, le montant de la subvention d'équilibre versée par l'État à ces régimes permet d'évaluer l'ampleur de leur déficit. Il est, en effet, supérieur à celui du déficit de la branche vieillesse pour des régimes qui concernent dix fois moins d'assurés.
Cela serait déjà suffisant pour s'alarmer. Mais la réalité du déséquilibre est encore plus grave. La raison en est simple : la subvention de l'État ne couvre pas la totalité de ce déséquilibre. Pour ce faire, d'autres sources de financements, telles que les cotisations extraordinaires, les subventions de l'employeur ou la compensation inter-régimes, sont alternativement utilisées. Encore une fois, il est difficile d'évaluer le montant de ces compléments d'équilibre. Toutefois, selon le rapport de la MECSS, la mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale, de nos collègues MM. Domeizel et Leclerc, qui prévoyait d'ailleurs l'extinction de ce système de compensation très complexe, ils doivent tourner autour de 2 milliards d'euros.
Ainsi, sur 13 milliards d'euros de prestations de retraite, le déficit des régimes spéciaux pourrait atteindre 7 milliards d'euros. Pourquoi un tel déséquilibre ? Là où le bât blesse, c'est que la représentation nationale ne dispose pas de toutes les informations, pourtant essentielles, lui permettant de répondre de façon satisfaisante à cette question fondamentale.
Le déséquilibre global des régimes spéciaux peut s'expliquer par trois causes.
La première, la plus connue, est le déséquilibre démographique que connaissent la plupart de ces régimes.
La deuxième est, bien entendu, le montant des pensions qui seraient versées si les règles d'acquisition et de liquidation des droits à la retraite étaient celles des régimes de droit commun.
La troisième correspond aux avantages spécifiques.
Or les experts, en particulier ceux de la Cour des comptes, s'accordent à dire que le déséquilibre démographique, pourtant si souvent invoqué, est loin d'être la principale cause de déficit des régimes spéciaux. Les avantages spécifiques accordés à leurs ressortissants, c'est-à-dire ce qu'on appelle « le régime chapeau », l'expliqueraient pour l'essentiel.
Toute la question est là : parmi ces avantages, lesquels sont-ils toujours justifiés et comment revenir sur les autres ?
Les régimes spéciaux sont hérités de l'histoire. Clin d'oeil historique, le régime spécial de retraite des personnels de l'Opéra national de Paris a été créé en 1698 par Louis XIV. C'est dire !
Les avantages spécifiques accordés dans le cadre de ces régimes peuvent ne plus du tout correspondre à la réalité actuelle. Je ne reviendrai pas sur l'exemple, devenu tarte à la crème, des cheminots.
M. Jean-Luc Mélenchon. Et celui des curés ?
M. Jean-Marie Vanlerenberghe. On pourrait effectivement en citer d'autres, monsieur Mélenchon !
M. Jean-Luc Mélenchon. Travailler plus pour gagner plus !
M. Jean-Marie Vanlerenberghe. Il est curieux que ce soit vous qui fassiez cette remarque !
M. Jean-Luc Mélenchon. C'est pour montrer l'absurdité de ce raisonnement !
M. le président. Poursuivez, monsieur Vanlerenberghe.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe. Autrement dit, certains avantages des régimes spéciaux ne se justifient plus. Inversement, certains professionnels qui doivent affronter des conditions d'exercice difficiles et exorbitantes du droit commun ne bénéficient d'aucun avantage social spécifique en contrepartie. C'est injuste ! C'est donc là que l'on touche à la question d'équité inhérente à la réforme des régimes spéciaux.
Face à ce constat économique et éthique, rien de conséquent n'a été fait jusqu'ici. La réforme Balladur de 1993 ne traitait que du régime général. Celle de François Fillon, en 2003, épargnait soigneusement, elle aussi, les régimes spéciaux.
Cela ne signifie pas que rien n'a été fait. Certains régimes ont fait l'objet de réformes ponctuelles. Parmi celles-ci, quelques-unes nous semblent très positives, tandis que d'autres peuvent apparaître comme dangereuses.
Schématiquement, les bonnes réformes sont celles où il s'est agi de procéder à l'extinction d'un régime spécial obsolète en versant tous les nouveaux assurés au régime général et en prévoyant une sortie du régime en sifflet, même pluri-décennale, pour tous les autres. C'est ce qui a été fait pour les régimes de la Seita, de France Télécom, de la chambre de commerce et d'industrie de Paris ou des mines. Cela s'est très bien passé.
Remarquons que, même dans le cadre de ces réformes que nous jugeons positives, l'extinction totale des régimes concernés ne peut être que très longue. J'en veux pour preuve que, vingt-cinq ans après sa fermeture, le régime de la Seita coûte toujours 121 millions d'euros par an aux finances publiques.
Selon le rapport de Dominique Leclerc sur les régimes sociaux et de retraite pour le projet de loi de finances de 2007, la mise en extinction nécessite entre soixante et quatre-vingts ans pour être menée à son terme. Malgré tout, monsieur le ministre, n'est-ce pas là la solution la plus réaliste ? Ne serait-ce pas celle qui se profile quand vous dites vouloir agir progressivement ?
En revanche, nous ne pouvons pas cautionner l'usage qui a été fait de la technique de l'adossement des régimes spéciaux au régime général et aux régimes complémentaires ; nous ne pouvons que nous joindre à la Cour des comptes, qui a très justement critiqué cette fausse solution, ainsi que Dominique Leclerc l'a également souligné.
En simplifiant, l'adossement consiste à sortir les engagements de retraite du bilan d'une entreprise pour les transférer au régime de base et aux régimes complémentaires, à charge pour l'entreprise de verser à l'ACOSS, à l'AGIRC et à l'ARRCO les cotisations sociales et les subventions d'équilibre.
En fait, il s'agit d'un trompe-l'oeil, d'un artifice comptable qui soulage les finances publiques et préserve le niveau des prestations servies aux ressortissants de ces régimes. Dans le même temps, ce procédé pérennise des avantages qui peuvent être aujourd'hui obsolètes ou injustifiés et transfère le risque de l'opération sur les comptes de la CNAV.
L'adossement ne doit pas être généralisé. Mais, heureusement, ce n'est pas ce que propose le Gouvernement.
Sommes-nous pour autant rassurés ? Pas le moins du monde ! Nous craignons que la réforme qui est proposée n'en soit pas tout à fait une ; nous craignons qu'un trompe-l'oeil n'en remplace un autre.
Monsieur le ministre, vous proposez un alignement des régimes spéciaux non pas sur le régime général, mais sur le régime des fonctionnaires.
Malgré la réforme de 2003, le régime du secteur public demeure plus avantageux que le régime général, notamment sur un point : le salaire de référence est celui des six derniers mois. Rappelons quand même qu'il n'inclut pas les primes.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe. Mais allons plus loin : sur quoi l'alignement devrait-il porter ?
Si j'en crois les déclarations du Président de la République, les régimes spéciaux devraient être alignés sur le régime des fonctionnaires sur cinq points : les surcotes et les décotes, la durée de cotisation, l'indexation des pensions, la bonification et la pénibilité.
Reprenons chacun de ces cinq points pour apprécier la consistance de la réforme qui pourrait se profiler.
L'alignement des régimes spéciaux sur le régime des fonctionnaires en matière de surcote et de décote est théoriquement une excellente chose. Mais théoriquement seulement, car la loi de 2003 prévoit que le système des surcotes et des décotes ne s'appliquera qu'en 2015. Qu'en sera-t-il pour les régimes spéciaux ? Les surcotes et les décotes s'appliqueront-elles pour eux en 2020 ? Et pourquoi pas au-delà ? Dans ces conditions, la réforme attendrait.
L'alignement de la durée de cotisation est également une bonne disposition mais qui, elle aussi, pourrait demeurer théorique.
Tout dépendra donc des conditions négociées et obtenues par les représentants des personnels.
On ne peut intervenir brutalement, avez-vous dit, monsieur le ministre, mais il faut agir, pour respecter l'équité avec les autres régimes !
M. Jean-Marie Vanlerenberghe. L'alignement du mode d'indexation des pensions des régimes spéciaux sur celui des pensions du régime du secteur public, quant à lui, est une authentique bonne mesure.
En revanche, nous n'avons aucune visibilité sur ce qui pourrait sortir des négociations en matière de bonification et de pénibilité.
En d'autres termes, notre crainte est la suivante : la grande réforme des régimes spéciaux à laquelle le Gouvernement semble s'atteler pourrait ne pas améliorer l'équilibre de ces régimes.
M. Dominique Leclerc, rapporteur. Très bien !
M. Jean-Marie Vanlerenberghe. J'en prends bonne note, monsieur le ministre !
Rien ne serait plus grave, et ce pour deux raisons : d'abord, parce qu'il est a urgent de réformer ; ensuite, parce qu'il n'y a rien de pire que de faire croire que l'on réforme quand on ne le fait pas.
Nous avons bien compris, monsieur le ministre, que votre réforme n'est pas comptable. Cependant, il nous semble bien difficile de faire totalement l'impasse sur la question financière lors de ce débat.
En effet, assurer ou, à tout le moins, améliorer l'équilibre des régimes spéciaux est le meilleur moyen d'atteindre l'objectif que vous vous êtes fixé de garantir la retraite des assurés concernés et, en termes d'équité, d'éviter que ces retraites ne pèsent trop lourdement sur tous les autres.
Monsieur le ministre, en dépit du fait que votre réforme ne soit pas comptable, vous êtes-vous fixé des objectifs d'amélioration significative des comptes des régimes spéciaux ? Les avez-vous quantifiés et datés ? Dans l'affirmative, pouvez-vous nous livrer quelques informations ?
Une série de questions se posent donc. Quand sera appliqué le régime des surcotes et des décotes aux régimes spéciaux ? Dans quelles conditions se réalisera l'allongement de la durée de cotisation ? Quelles bonifications sont envisageables ? La pénibilité sera-t-elle prise en compte ?
M. Xavier Bertrand, ministre. Ces questions, je les ai posées tout à l'heure. J'attends des réponses, moi aussi !
M. Jean-Marie Vanlerenberghe. De plus, pourra-t-on éviter la mise en place d'un système d'une complexité ahurissante ? N'aboutira-t-on pas, en pratique, à une nouvelle différenciation des régimes applicables aux assurés en fonction de la nature de leur employeur et, pour un même employeur, en fonction de leur emploi ?
Telles sont les questions que nous nous posons. Je constate que vous vous les posez également, monsieur le ministre, mais je pense orienter un peu les réponses !
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Très bien !
M. Jean-Marie Vanlerenberghe. J'ai orienté les réponses préalablement à ce débat, monsieur le ministre !
Nous sommes inquiets, car les réponses ne nous semblent pas évidentes ...
M. Jean-Marie Vanlerenberghe. Absolument !
Nous le sommes également pour une autre raison, plus générale : il ne faudrait pas que l'arbre des régimes spéciaux cache la forêt de l'ensemble du système de retraites.
Nous l'avons toujours dit, les réformes menées jusqu'à présent ne permettaient de couvrir que la moitié des besoins de financement du système par répartition.
Les projections de la Cour des comptes sont alarmantes : le déficit s'élève aujourd'hui à 5 milliards d'euros pour le seul régime général et il sera peut-être de 10 milliards d'euros d'ici à la fin de la législature.
Parce que la question des régimes spéciaux ne nous semblait pas dissociable de celle de l'ensemble du système, l'UDF proposait sa remise à plat, axée autour du remplacement de l'annuité par le point.
Une telle réforme, souhaitée également par Dominique Leclerc, permettrait une mise en extinction progressive des régimes spéciaux tout en autorisant de façon individualisée la conservation de certains des acquis liés à ces régimes.
Visiblement, cette solution n'est pas envisagée par le Gouvernement. Nous le regrettons, bien entendu, et nous attendons d'autant plus d'être rassurés, monsieur le ministre.
Nous serons très vigilants sur le développement des négociations à venir. Cette vigilance, nous l'exercerons dans la limite de nos moyens qui sont, en la matière, extrêmement limités ; c'est le dernier point que je voulais souligner, en guise de conclusion, car il s'agit d'un aspect non négligeable, voire fondamental !
La qualité du contrôle parlementaire en matière de réforme des régimes spéciaux dépendra de deux points.
Elle dépendra, d'abord, de l'amélioration de l'information fournie à la représentation nationale dans ce domaine. Aujourd'hui, cette information est trop lacunaire, comme l'a précisé à l'instant Alain Vasselle.
Les chiffres de l'ampleur des déficits et des déséquilibres de ces régimes ne sont pas précisément calculés. Comme le soulignait Dominique Leclerc dans le rapport auquel j'ai fait référence, aucune étude n'évalue avec précision l'incidence sur le déséquilibre de la démographie et les avantages « chapeaux ».
Ensuite, pour suivre l'évolution de la réforme, ce débat était nécessaire, et je vous en remercie, monsieur le ministre, mais il serait très souhaitable qu'un autre débat parlementaire soit organisé, comme vous l'avez promis, avant que vous ne tiriez les conclusions définitives du processus que vous avez engagé, autrement dit avant que vous ne preniez le décret final.
En conclusion, nous soutenons le principe de la réforme des régimes spéciaux de retraite, nous apprécions la démarche de concertation que vous avez entreprise, mais ses modalités nous interpellent singulièrement ! (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF.)
M. Dominique Leclerc, rapporteur. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Claude Domeizel. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. Claude Domeizel. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis plusieurs semaines, le Président de la République ainsi que le Gouvernement ne cessent d'annoncer, à grands coups de trompette, le lancement de la fameuse réforme des régimes spéciaux dont on parle depuis des années !
Au-delà d'une opération de communication magistralement orchestrée, de quoi s'agit-il véritablement ? Surtout, mes chers collègues, que faisons-nous ici et à quoi rime notre débat sans vote d'aujourd'hui ?
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. On dit ce en quoi l'on croit !
M. Claude Domeizel. Monsieur le ministre, vous nous avez délivré des généralités sur les régimes spéciaux. Vous avez confirmé que votre réforme se fera par décrets et qu'aucun paramètre ne sera écarté.
Et vous voudriez que nous donnions notre avis sur des orientations aussi vastes, mal définies et non arrêtées ? C'est un piège dans lequel nous ne tomberons pas !
M. Jean-Louis Carrère. Il est partout ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. Claude Domeizel. Mon propos pourrait s'arrêter là. Je poursuivrai cependant, ne serait-ce que pour vous faire part de notre sentiment sur la forme et sur le fond de votre démarche.
À treize heures, monsieur le ministre, quand vous quitterez cet hémicycle, vous vous direz, j'en suis sûr : « mission accomplie au Sénat ! » Et vous vous préparerez, demain, pour un exercice identique à l'Assemblée nationale !
En effet, dans la « foulée » du Président de la République, vous avez été invité à consulter les partenaires sociaux, puis les présidents de groupes et de commissions parlementaires, ainsi que les dirigeants d'entreprises, le tout en quinze jours ! Prêts ? ... Partez !
M. Jean-Louis Carrère. Vous avez le fouet ?
M. Claude Domeizel. Dans de pareilles conditions, comment laisser aux divers interlocuteurs le temps de prendre du recul, de travailler et de faire le point avec leur base ?
Ce calendrier accéléré compense-t-il tactiquement la baisse de confiance dont commence à souffrir le Président de la République après le vote du paquet fiscal fort coûteux de 15 milliards d'euros, ...
M. Guy Fischer. Ce n'est qu'un début !
M. Claude Domeizel. ... la baisse du pouvoir d'achat et la dégradation de la situation économique ? À moins qu'il ne cache une stratégie électorale à l'approche des élections municipales !
Malgré ce simulacre de concertation, nombreux sont ceux qui pensent que les décisions sont déjà arrêtées. J'en ferai la démonstration tout à l'heure.
Après une concertation que vous avez menée au pas de charge, monsieur le ministre du travail, l'ordre du jour du Sénat a été chamboulé en toute hâte pour permettre d'avancer de huit jours la consultation de la représentation nationale.
M. Jean-Louis Carrère. Ça ne leur porte pas chance en général : souvenez-vous de la loi Falloux !
M. Claude Domeizel. Je rappelle le calendrier imposé : hier lundi, à seize heures, se tenait, dans votre bureau, une réunion des présidents des groupes des deux assemblées ; le même jour, à dix-sept heures au plus tard, intervenait la clôture des inscriptions de parole dans ce débat sans vote ; aujourd'hui, à neuf heures, s'est ouverte la séance publique au Sénat. Le tout a été programmé dix jours plus tôt.
Soyons sérieux : comment rendre compte de cet entretien dans nos groupes politiques avant ce matin neuf heures ?
Mme Annie David. Eh oui !
M. Xavier Bertrand, ministre. C'est pour cette raison que vous avez obtenu une suspension de séance !
M. Claude Domeizel. Pourquoi tant de précipitation ?
Reconnaissez, monsieur le ministre, que la forme est particulièrement irrespectueuse des droits et de la dignité du Parlement - le fond l'est tout autant !
M. Guy Fischer. C'est du mépris !
M. Claude Domeizel. Franchement, comment peut-on espérer traiter une question aussi importante et complexe que celle des régimes de retraite spéciaux en seulement quatre heures de débats, sans présentation ni discussion au sein de la commission des affaires sociales - avouez que cela aurait été un minimum - et sans que les groupes aient pu être informés de vos projets pour arrêter une position ?
M. Jean-Luc Mélenchon. C'est de la dictature !
M. Claude Domeizel. Dans ces conditions, monsieur le ministre, mes chers collègues, par honnêteté et respect à l'égard de mes collègues du groupe socialiste, je précise que les propos que je tiendrai sont, pour la plupart d'entre eux, le fruit d'une réflexion personnelle, car ils n'ont pas été validés par mon groupe.
MM. Jean-Louis Carrère et Roland Courteau. Nous vous soutenons tout de même !
M. Claude Domeizel. On lit, dans la presse, que le Gouvernement souhaiterait procéder par voie essentiellement réglementaire.
Comment pourrait-on se passer de toute mesure législative, alors que le programme tracé par le Président de la République, à savoir une harmonisation des régimes spéciaux sur la base du régime de retraite de la fonction publique, repose sur le code des pensions civiles et militaires de retraite, lui-même essentiellement issu de la loi ?
Le lien entre les régimes spéciaux et la loi est incontestable, notamment sur le plan financier. Les interventions de Dominique Leclerc et d'André Vasselle en sont bien une preuve.
Je pense, en particulier, aux compensations et à l'autorisation de faire appel à des ressources externes, c'est-à-dire à des emprunts, car les caisses de retraite, ne l'oublions pas, empruntent.
Je pense également à la loi adossant la caisse des IEG, au régime général, car cette caisse nationale est issue de la loi.
Je pense tout simplement aux participations financières qui sont prélevées sur le budget de la nation.
Ne serait-ce que pour des raisons de principe, je ne comprends pas pourquoi le Parlement ne peut pas s'exprimer par un vote !
Comprenez-moi bien, je ne cherche en aucun cas à éluder le débat en posant ces préalables. Au contraire, monsieur le ministre, j'entends vous répondre sur le fond de votre démarche qui me semble bien floue, voire hasardeuse.
M. Claude Domeizel. Contrairement aux règles de notre assemblée, notre discussion d'aujourd'hui ne s'appuie sur aucun document officiel. Pour le deviner, nous en sommes réduits à lire la presse !
Monsieur le ministre, dois-je désormais m'abonner à un quotidien local de l'Aisne pour savoir ce que vous avez dit sur les retraites lors d'une inauguration ou une foire à Braine ou à Crouy ?
M. Roland Courteau. C'est intéressant !
M. Claude Domeizel. Tout à fait, mais il s'agit de votre département, monsieur le ministre !
M. Claude Domeizel. Surfant sur un sondage favorable de l'opinion publique, le Président de la République a donné son feu vert le 18 septembre, lors de l'assemblée générale d'une association de journalistes, et il aurait même qualifié d' « indignes » - j'insiste sur ce terme - les régimes spéciaux réservés à des privilégiés.
M. Guy Fischer. Eh oui, il l'a dit !
M. Claude Domeizel. Pourquoi stigmatiser une partie de la population, ...
M. Roland Courteau. C'est grave !
M. Claude Domeizel. ... monter les catégories les unes contre les autres, exacerber des sentiments de jalousie, alors que les régimes spéciaux ont une histoire ?
Ils n'ont pas été mis en place pour favoriser une partie des salariés.
Lors des négociations d'octobre 1945 dont est issu le régime général, le législateur a considéré que les régimes qui préexistaient avant la guerre conserveraient leur statut, car les salariés tenaient - on peut les comprendre - aux avantages liés aux emplois particulièrement pénibles.
Nos échanges d'aujourd'hui me donnent enfin l'occasion de revenir sur la réforme des retraites de 2003, car les comptes de la branche vieillesse se sont détériorés à une vitesse faramineuse depuis quatre ans. La perte s'élève à 5 milliards d'euros cette année, avec en perspective un doublement de ce déficit, déjà abyssal, d'ici à 2012.
Nous l'avions prédit à l'époque, la loi du 21 août 2003 n'a rien réglé. Je suis certain qu'il en ira de même pour cette pseudo-réforme des régimes spéciaux que le Gouvernement nous prépare.
Que nous dit le Conseil d'orientation des retraites, le COR ? La question des régimes spéciaux a été examinée en séance plénière le 12 juillet 2006. Par ses travaux d'expertise, le Conseil d'orientation des retraites considère qu' « une réforme des régimes spéciaux est inévitable et que cette démarche passe par l'adoption de mesures courageuses, dont certaines risquent effectivement d'être impopulaires. »
M. Claude Domeizel. Tout à fait !
Le COR nous fournit des pistes de réflexion opérationnelles pour toute véritable réforme, qui suppose à l'évidence des efforts partagés de l'État, des régimes eux-mêmes et de leurs assurés sociaux.
M. Claude Domeizel. Elle est dans mes habitudes, monsieur le ministre !
M. Claude Domeizel. Mais cet avis du COR n'exclut pas une nécessaire concertation ni une appréhension de la réforme plus globale plutôt que considérée sous le seul angle des régimes spéciaux.
À titre personnel, je déplore que rien n'ait bougé depuis vingt ans, voire cinquante ans. En effet, la plupart des caisses de retraite connaissent un rapport démographique défavorable et font appel, dans des proportions plus ou moins importantes, à l'impôt ou à la solidarité entre régimes.
Mais il ne faut pas oublier que l'origine de ce problème est ancienne. On en revient alors inévitablement à 1945, ou à la loi de 1974, qui a finalement débouché sur la création du système de compensation démographique généralisé entre les caisses de retraite.
On a constaté une même reculade dans la loi de finances de 1986 par l'instauration d'une compensation entre régimes spéciaux et particuliers, cette fameuse surcompensation bien connue des maires, car elle finit par faire participer exagérément la fiscalité locale au déficit des caisses de retraite. Or, chacun le sait, ce système de compensation est aujourd'hui à bout de souffle.
Dans ce contexte, il n'est guère surprenant que l'extrême diversité des régimes sociaux suscite des réactions passionnées de nos concitoyens. Sans doute une majorité de Français considère-t-elle qu'il n'est plus possible de maintenir le statu quo intégral sur les régimes spéciaux, notamment sur la question sensible de la durée de cotisation de trente-sept ans et demi.
Encore faudrait-il que le Gouvernement se donne les moyens de son ambition réformatrice autoproclamée, en ouvrant un véritable dialogue social. Je crois fondamentalement que les partenaires sociaux y sont pleinement disposés, à condition, toutefois, de ne pas avoir le sentiment que tout est joué d'avance.
Quels sont les paramètres considérés ?
Vous nous avez dit hier, et vous l'avez répété ce matin, que tout est sur la table : ...
M. Claude Domeizel. ... la durée des cotisations, la décote et la surcote, l'indexation des pensions, la bonification, la pénibilité, la durée de stage de quinze ans, la retraite d'office, les retraites additionnelles, l'égalité entre hommes et femmes, etc.
Ce trop-plein d'ouverture masque mal la réalité de vos intentions.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Oh !
M. Claude Domeizel. Tout, en fait, est décidé !
M. Claude Domeizel. Monsieur le ministre, comment en serait-il autrement si vous devez rendre votre copie dès le 15 octobre prochain ?
M. Claude Domeizel. C'est ce que vous nous avez dit hier !
M. Claude Domeizel. Vous nous avez dit que le décret ne serait pas publié avant le 15 octobre, mais qu'il le serait peut-être le 16 !
M. Xavier Bertrand, ministre. Peut-être cela était-il écrit dans une dépêche, mais si j'ai besoin d'un porte-parole, je vous le ferai savoir !
M. Claude Domeizel. Je ne vais pas vous faire le reproche de savoir où vous allez, mais nous aimerions pouvoir mieux cerner vos intentions !
Ces sujets complexes, il est vrai, nécessitent des travaux techniques préalables, des échanges approfondis, une confiance mutuelle, et non le simulacre de négociation en quinze jours auquel nous venons d'assister !
Enfin, je suis convaincu que la question des régimes spéciaux doit être traitée dans la globalité, c'est-à-dire dans le cadre du rendez-vous de 2008, et non séparément. Qu'il s'agisse du déficit du régime général, du déficit du FFIPSA, le fonds de financement des prestations sociales des non-salariés agricoles, ou du déficit du fonds de solidarité vieillesse, non, il n'y a pas d'urgence, contrairement à ce que vous voulez faire croire, d'autant plus que les régimes spéciaux ne représentent que 7 % des assurés. Ce n'est pas parce que vous allez, en octobre, résoudre la question des régimes spéciaux que vous réglerez, pour autant, contrairement à ce qu'a dit le Président de la République, le problème des retraites dans son ensemble !
Cela suppose notamment de remettre à plat le système de compensation démographique, ainsi que Dominique Leclerc et moi-même le soulignions dans le rapport rédigé conjointement, en 2006, dans le cadre de la mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale, la MECSS.
Si vous abordez la notion de pénibilité sous le seul angle des régimes spéciaux, vous allez commettre une erreur grave et amplifier la cacophonie que vos discours ont engendrée.
Je ne crois pas que la réalité de votre projet soit celle que vous avancez. Loin d'être une grande réforme de structure, je crains au contraire qu'il ne s'agisse que d'une opération limitée, menée dans la précipitation, pour des raisons essentiellement politiciennes.
Que constate-t-on en lisant les rares informations rendues publiques par le Gouvernement sur ce sujet et en écoutant les réactions des partenaires sociaux ? Manifestement, vous entendez modifier deux ou trois paramètres de ces régimes - alors que vous nous avez dit, monsieur le ministre, que tout était sur la table -, ceux qui, comme le mode d'indexation des pensions ou la durée de cotisation, sont les plus facilement appréhendés par l'opinion publique. Mais entreprendre une refonte générale de ces régimes, dont certains ont été conçus voilà cent ou cent cinquante ans, nécessiterait - pardonnez-moi d'y insister -, du temps et des travaux préparatoires. Or, ce n'est pas la voie que vous avez choisie.
Je ne peux m'empêcher de penser qu'il s'agit de permettre au Président de la République d'afficher à tout prix, avant les élections municipales de mars 2008, la mise en oeuvre - dans de mauvaises conditions - de l'un de ses engagements électoraux les plus emblématiques, opération qui est vouée, je le crains, à l'échec.
Sans doute cherchez-vous aussi à donner des gages à votre majorité, au moment où apparaissent les premières difficultés et la fin de l'état de grâce. Mais, en réalité, les contours de cette réforme répondront-ils aux attentes de nos concitoyens ? Ceux qui, parmi eux, attendent la disparition des régimes spéciaux risquent d'être déçus, de même d'ailleurs que ceux qui espéraient sincèrement que vous alliez résoudre ce problème dans un esprit de responsabilité et de dialogue avec les partenaires sociaux.
Enfin, les assurés sociaux des régimes spéciaux eux-mêmes, qui dans leur immense majorité sont disposés à faire des efforts, ne pourront se satisfaire d'une pseudo-réforme, sans contrepartie, menée à la va-vite et sur des bases aussi improvisée.
Mais sous la baguette d'un chef d'orchestre « frénétique » - ce n'est pas moi qui ai trouvé ce qualificatif -, l'impératif de communication et la logique d'affichage doivent prévaloir coûte que coûte !
Du moins pourriez-vous éclairer le Sénat sur les contours et le mode opératoire de votre réforme, qui me semblent bien flous.
Ainsi, nous attendons de savoir quels seront exactement les régimes concernés par votre projet de réforme. En effet, on entend des versions différentes : cent vingt régimes ? Une quarantaine ? Pour ma part, je n'en connais que douze, si je lis bien le code de la sécurité sociale.
En quoi consistera « l'harmonisation », annoncée par le Président de la République, des régimes de retraite spéciaux avec ceux de la fonction publique ?
À quelle échéance cette évolution pourrait-elle être effective ?
Le dialogue mené isolément dans chacun de ces régimes sera-t-il une simple concertation ou une véritable négociation ?
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Vous n'avez pas écouté !
M. Claude Domeizel. La fin de l'année constitue-t-elle une date butoir pour le Gouvernement ? Mais vous nous avez dit que, dès le 15 octobre, tout cela serait pratiquement prêt...
M. Xavier Bertrand, ministre. Arrêtez ! Pas de préjugé « à la petite semaine » ! Pas vous, monsieur Domeizel !
M. Claude Domeizel. Monsieur le ministre, vous le savez, nous nous sommes opposés, de ce côté de l'hémicycle, à votre réforme des retraites en 2003, et je crois que l'évolution de la situation de la branche vieillesse nous a, depuis lors, donné rétrospectivement raison.
M. Francis Giraud. Non, vous avez eu tort !
M. Claude Domeizel. Pour ce que l'on peut discerner de vos projets concernant les régimes spéciaux, je ne suis pas davantage optimiste aujourd'hui.
En écoutant le Président de la République, le Premier ministre et vous-même, nos concitoyens peuvent avoir le sentiment qu'une grande réforme est en préparation, une sorte de « grand bond en avant » s'agissant des régimes spéciaux ! Tel ne sera pas le cas et, comme ce précédent historique fameux, vos projets risquent de finir dans l'impasse.
Ne vous méprenez pas, je suis moi aussi convaincu qu'une réforme des régimes spéciaux est nécessaire et inévitable,...
M. Claude Domeizel. ... dans l'intérêt, d'ailleurs bien compris, de leurs assurés sociaux eux-mêmes. Mais nous aurions dû plutôt aborder cette question, en 2008, à l'occasion de la clause de rendez-vous, en même temps que la prochaine réforme des retraites, et non pas prématurément, en octobre 2007.
Croyez-moi, monsieur le ministre, vous ne gagnerez rien à opposer les différentes catégories d'assurés sociaux entre elles !
La façon dont la présente réforme a été engagée depuis quinze jours laisse craindre le pire pour l'avenir. Mais surtout, nous n'apprécions guère de voir la représentation nationale être tenue à l'écart de ce sujet de société majeur.
Nous en reparlerons à l'occasion de l'examen du PLFSS pour 2008 et de nos prochaines séances de questions au Gouvernement. Vous pouvez compter sur ma vigilance attentive, ainsi que sur celle de mes amis du groupe socialiste !
Vous l'avez compris, monsieur le ministre, nous ne sommes pas favorables à une réforme menée dans la précipitation, ...
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Cela fait vingt-cinq ans qu'on attend !
M. Claude Domeizel. ... à une réforme réalisée dans la cacophonie, à une réforme qui oppose les salariés entre eux.
M. Claude Domeizel. À un moment où le Gouvernement multiplie les cadeaux fiscaux, ou, plus exactement, à un moment où il multiplie les transferts fiscaux vers les plus favorisés au détriment de ceux qui le sont beaucoup moins, il ne faut pas laisser penser que les bénéficiaires des régimes spéciaux sont des « nantis » ou des « super-privilégiés ». (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
Nous ne sommes pas favorables à une réforme qui se dissocie de celle du régime général et des autres régimes.
Nous voulons une réforme globale, qui gomme les inégalités de la loi de 2003 et ses incohérences : aujourd'hui, un million de retraités vivent en dessous du seuil de pauvreté.
Nous voulons une réforme qui s'insère dans le cadre du modèle social et non de la fracture sociale, une réforme qui intègre le critère de pénibilité, une réforme qui prépare l'avenir et qui donne espoir aux générations futures.
Enfin et surtout, nous voulons une réforme qui préserve le système par répartition. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Nous sommes tous d'accord sur ce point !
M. le président. La parole est à M. le ministre. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)
M. Xavier Bertrand, ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, rien ni personne ne me feront regretter d'être devant vous aujourd'hui pour ce débat sur les régimes spéciaux.
À l'évidence, pour voir disparaître un certain nombre de postures adoptées par quelques-uns sur des sujets essentiels, il nous faudra peut-être attendre d'autres débats. Mais, sait-on jamais, peut-être y arriverons-nous ?
M. Jean-Louis Carrère. Occupez-vous des vôtres, surtout sur les tests ADN !
M. Xavier Bertrand, ministre. En tout cas, je vais m'efforcer de répondre le plus précisément possible aux différents intervenants.
Tout d'abord, je voudrais dire au président de la commission des affaires sociales, Nicolas About, sans reprendre le débat sémantique qui ouvrait son propos, qu'il faut avant tout réaliser cette réforme pour les raisons que j'ai exposées tout à l'heure. En effet, chacun sait bien, y compris les agents qui dépendent de ces régimes spéciaux, que, sans cette réforme, personne, sur l'ensemble des travées de cette assemblée, n'est en mesure de garantir, à dix ou à quinze ans, le paiement des pensions dans des conditions satisfaisantes.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. On est bien d'accord !
M. Xavier Bertrand, ministre. Les règles démographiques s'appliquent à tout le monde de la même façon parce qu'elles sont immuables et universelles.
Mme Michelle Demessine. Il faut une réforme des financements !
M. Xavier Bertrand, ministre. Elles ne concernent pas seulement les régimes spéciaux et ne s'appliquent pas qu'à la France ; elles visent l'ensemble des salariés et des pays qui connaissent un allongement de l'espérance de vie.
M. Jean-Luc Mélenchon. Et qui sont concernés par une nouvelle répartition des richesses !
M. Xavier Bertrand, ministre. Il n'y a pas non plus de raison d'exempter les régimes spéciaux des efforts qui ont été demandés à l'ensemble des Français, vous le savez. Ces questions de justice sont d'ailleurs très présentes dans le débat.
M. Jean-Pierre Bel. C'est dit avec douceur et fait avec brutalité !
M. Xavier Bertrand, ministre. Vous avez certainement l'occasion, tout comme moi, de discuter avec un certain nombre d'agents intéressés. Ils savent que cette réforme est inévitable et ont depuis bien longtemps présent à l'esprit l'allongement de la durée de cotisation. Mais ils se demandent dans quelles conditions cette réforme va intervenir. Voilà les questions qu'ils se posent et que je vous ai d'ailleurs posées.
Certains, notamment M. Gournac, m'ont répondu et je les en remercie. D'autres ne m'ont apporté aucune réponse et, bien que les mêmes questions aient été reformulées, je ne les ai pas entendu prendre position.
Je voudrais aussi indiquer qu'il n'y a aucune raison de ne pas faire cette réforme de façon progressive. Comme je l'ai dit tout à l'heure, la réforme du régime général a pris plus de dix ans et celle de la fonction publique plus de cinq ans. Pourquoi faudrait-il, du jour au lendemain, passer de trente-sept annuités et demie à quarante pour les agents de ces régimes spéciaux ? Pourquoi faudrait-il leur appliquer un traitement spécifique ? C'est aussi une question de respect, non seulement par rapport à la mission qui est la leur mais aussi par rapport à leur personne.
Sur tous ces sujets, on peut essayer de nous prendre en défaut ; nous resterons sur ces principes, qui sont des principes de justice. Ces régimes spéciaux doivent être réformés, comme les autres, pas plus et pas moins, selon un traitement qui doit être respectueux des individus
Pourquoi ne pas affilier les nouveaux actifs au régime général ? Cette question a été posée par Nicolas About.
La modification progressive des paramètres en question permet d'obtenir, à terme, un résultat analogue sans faire porter tous les efforts sur les seuls nouveaux recrutés. En définitive, votre proposition aboutit à une situation compliquée à gérer. En effet, nombre de régimes - ceux des travailleurs indépendants, des agriculteurs - ont maintenu une caisse spécifique ; cette situation répond aussi à l'attachement, que je serais tenté de qualifier de légitime, des professions à leurs caisses de retraite.
Qui plus est, la double affiliation entraînerait la mise en place d'un double statut, posant de véritables difficultés pour la gestion des ressources humaines. Les directions de plusieurs entreprises ont insisté sur cet élément, que je tenais à apporter au débat.
Monsieur Leclerc, vous connaissez ces dossiers depuis bien longtemps, tout comme Claude Domeizel. Je voudrais saluer les travaux de la commission des affaires sociales, qui m'a remis tout à l'heure un document précis, contenant des propositions détaillées qui répondent aux questions que j'avais posées.
Certaines d'entre elles vont forcément alimenter le débat, car vous aurez à coeur de les rendre publiques. Une chose est certaine, je dispose enfin d'éléments de réponse aux questions - pas seulement les miennes - qui se posent aujourd'hui ! (Exclamations sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
M. Jean-Pierre Bel. Où est ce document ?
M. Xavier Bertrand, ministre. Ce document m'a été transmis officiellement en séance. Tout le monde n'était peut-être pas présent mais, à la fin de son intervention, Dominique Leclerc est descendu de la tribune pour me le remettre. (Nouvelles exclamations sur les mêmes travées.)
M. Guy Fischer. C'est une initiative personnelle !
M. Guy Fischer. C'est le plus réactionnaire de tous !
M. Xavier Bertrand, ministre. ... je suis très heureux de pouvoir mettre en valeur le travail que vous avez effectué !
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. C'est vrai !
M. Xavier Bertrand, ministre. Vous avez insisté sur la nécessité de supprimer les « clauses couperet ». Je partage votre avis.
Mme Michelle Demessine. Ça, c'est de la concertation !
M. Xavier Bertrand, ministre. Comme je l'ai indiqué tout à l'heure avec un exemple concret, non seulement ces « clauses couperet » ne permettent pas de reconnaître le rôle des seniors dans les entreprises concernées, mais elles empêchent surtout certains agents de bénéficier d'un niveau de pension correct parce qu'ils n'ont pas effectué une carrière complète quand ils sont obligés de partir - à cinquante ans, par exemple, pour un conducteur à la SNCF.
Oui, nous devons imaginer de nouveaux modes de gestion des ressources humaines dans les entreprises concernées ! Les salariés ne doivent pas faire les frais de pratiques non seulement dépassées, selon moi, mais qui appartiendront prochainement au passé.
Vous avez aussi exprimé la crainte que la réforme ne soit dénaturée par les négociations d'entreprise. Naturellement, il n'est pas question de reproduire, sous une forme ou sous une autre, les situations antérieures, ni de permettre la remise en cause, dans les discussions d'entreprise, des principes généraux définis par la réforme.
Au bout du compte, il s'agira de savoir si, oui ou non, la convergence avec la fonction publique a été réalisée, si on est passé d'une durée de cotisation de trente-sept ans et demi à une durée de quarante ans, si l'indexation des pensions se fait sur les prix plutôt que sur les salaires. Ces objectifs sont clairs ! Les négociations se dérouleront, de toute façon au vu et au su de tout le monde.
Je ne doute pas un seul instant que vous suivrez, les uns et les autres, ces négociations d'entreprise avec un maximum d'attention. Nous savons qu'elles n'ont pas d'autre vocation que d'appliquer les principes généraux de la réforme dans chaque entreprise, car il importe de prendre en compte également la spécificité des emplois. En effet, qui peut nier que les situations soient très différentes, à la SNCF par exemple, entre un conducteur, un contrôleur et un agent d'exploitation ou un agent commercial ? Voilà pourquoi il est intéressant de ne pas prendre systématiquement les décisions au niveau gouvernemental.
Vous avez également insisté, monsieur Leclerc, sur la vigilance du Sénat quant aux adossements. Je fais miennes vos remarques, parce qu'il ne faut pas confondre la réforme du financement et la réforme des droits. La réforme du financement a pu déjà être engagée dans certaines entreprises, mais nous savons bien que la réforme des droits constitue l'essentiel du travail à accomplir. Elle seule est de nature à garantir la nécessaire visibilité sur l'avenir de ces régimes et des retraites de leurs affiliés.
Alain Vasselle a souhaité disposer de données plus précises sur les régimes spéciaux. Ce travail a été effectué pour le régime qui a fait déjà l'objet d'un adossement ; il n'y a pas de raison qu'il ne le soit pas pour les autres. Le Conseil d'orientation des retraites, le COR, avait commencé à étudier ce sujet ; je souhaite qu'il puisse poursuivre sa réflexion afin de garantir le maximum de transparence et d'information, pour la représentation nationale, bien sûr, mais pas uniquement.
J'observe, à cet égard, que le Gouvernement a souhaité associer le Parlement à la réforme, quel que soit le niveau juridique des textes qui traduiront cette réforme. Sur le plan de l'information et de la transparence, bien évidemment, je ne peux que rejoindre Alain Vasselle.
Dans son intervention, Alain Gournac a exprimé son soutien à la réforme et évoqué certains aspects pratiques et détaillés. Il est important que les hommes politiques sortent de la phase des généralités pour aborder, d'une certaine façon, les travaux pratiques et être le plus concrets possible.
Vous avez raison de souligner la nécessité d'agir, monsieur le sénateur, comme l'a rappelé d'ailleurs la Cour des comptes dans son rapport de septembre 2006.
M. Jean-Louis Carrère. La Cour des comptes dit aussi autre chose : taxer les stocks-options !
M. Xavier Bertrand, ministre. La volonté d'agir du Gouvernement répond également aux engagements du Président de la République et s'inscrit dans un esprit de concertation.
Personne ne peut être surpris par ce débat, car il a été ouvert pendant la campagne présidentielle. (Bien sûr ! sur les travées de l'UMP.) Cette réforme fait partie des engagements pris devant les Français par le Président de la République et par sa majorité.
M. Charles Revet. Ils ont été approuvés par les électeurs !
M. Xavier Bertrand, ministre. J'ai même le sentiment que, sur un sujet comme celui-ci, le soutien s'étend au-delà de la seule majorité et dépasse clairement les clivages politiques. Votre assemblée, mesdames, messieurs les sénateurs, en est le reflet !
Monsieur Gournac, vous avez eu raison de rappeler que les précédentes réformes des retraites de 1993 et 2003 ont été réalisées par des gouvernements appartenant à l'actuelle majorité. C'est un fait ! De nombreux rapports ont été rédigés à une certaine époque, beaucoup de reports sont intervenus également, mais pas de réformes. Pourtant, à l'époque, la croissance économique aurait pu favoriser les choses...
M. Alain Gournac. Eh oui ! Mais ils ne l'ont pas voulu !
M. Jean-Louis Carrère. La croissance, vous ne savez pas y faire !
M. Xavier Bertrand, ministre. C'est un fait donc, les précédentes réformes ont été réalisées par cette majorité. C'est une question de courage, mais aussi de volonté de dialoguer : pour prendre les mesures nécessaires à la sauvegarde des régimes de retraite par répartition, il faut avoir la volonté d'avancer et de dialoguer. Tel est notre cas et je vous remercie de l'avoir souligné.
Vous avez eu aussi raison de rappeler que le taux d'emploi des seniors dans notre pays est aujourd'hui inférieur à la moyenne européenne. Nous sommes quasiment le pays le plus mal situé en Europe : un tiers seulement des salariés âgés de plus de cinquante-cinq ans est en activité en France, contre 70 % en Suède.
M. Alain Gournac. C'est un scandale !
M. Xavier Bertrand, ministre. La réforme des régimes spéciaux va nous permettre, à son modeste niveau, de développer une politique dans ce domaine. Nous savons pertinemment que différents facteurs créent une situation défavorable à l'emploi des seniors dans l'entreprise.
Je ne me rendrai pas ridicule en tenant un énième discours demandant aux entreprises de leur accorder toute leur place. Il est temps de passer à d'autres mesures que nous aurons l'occasion de vous présenter dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale, notamment la suppression des mises à la retraite d'office et, surtout, des « retraites couperet », qui ont récemment alimenté la chronique. Si Guy Roux a cessé d'entraîner un club de football, il existe des milliers de Guy Roux en France qui voudraient continuer à travailler et qui en sont empêchés par des « clauses couperet » relevant d'une autre époque.
Aymeri de Montesquiou a eu raison de rappeler aussi clairement que le statu quo n'est plus possible, notamment dans la perspective du rendez-vous de 2008 sur les retraites. Ce constat est d'ailleurs partagé, à gauche comme à droite. Au-delà de certaines prises de positions que j'ai pu entendre, il est évident que des lignes de fracture traversent le parti socialiste...
M. Jean-Louis Carrère. Le parti socialiste vous salue bien !
M. Xavier Bertrand, ministre. Elles sont peut-être personnelles, je n'en sais rien... Mais certains ont le courage de dire que cette réforme doit être réalisée, qu'il importe qu'elle le soit dans la concertation. C'est ce que nous faisons !
Certains leaders ont même pris position...
M. Claude Domeizel. Non ! Non !
M. Xavier Bertrand, ministre. Vous ne reconnaissez peut-être pas la qualité de leader à François Hollande, mais tel n'est pas mon problème ! Il s'est exprimé courageusement sur cette question il y a quelques jours.
La seule question qui vaille, c'est de savoir si, à un moment donné, vous allez passer aux travaux pratiques ! Voilà le vrai sujet ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. Jean-Louis Carrère. Ne vous inquiétez pas pour nous ! Si vous voulez la bagarre, vous l'aurez !
M. Xavier Bertrand, ministre. Je vais mettre chacun à l'aise : quand je disais qu'il ne s'agit pas d'opposer les uns aux autres, je ne voulais pas parler du parti socialiste ! Telle n'était pas mon intention !
M. Jean-Louis Carrère. Mêlez-vous des affaires de votre camp ! Réconciliez le Premier ministre avec le Président de la République ! Occupez-vous des tests ADN !
M. Xavier Bertrand, ministre. Je ne pensais pas que je vous énerverais autant en abordant ce sujet, veuillez m'en excuser !
M. Jean-Louis Carrère. Vous êtes un bricoleur !
M. Xavier Bertrand, ministre. Monsieur de Montesquiou, je voulais également vous remercier d'avoir souligné que la méthode choisie par le Gouvernement laisserait une part essentielle à la concertation pour déterminer la bonne voie de passage.
Celle-ci peut-être déterminée avec les partenaires sociaux, je le pense. Mais il était aussi nécessaire de venir en premier devant le Sénat, ce matin ...
M. Jean-Louis Carrère. Il est vide le Sénat ! Les sénateurs de l'UMP arrivent seulement !
M. Xavier Bertrand, ministre. Je suis prêt non seulement à revenir, mais également à poursuivre les échanges avec celles et ceux qui le souhaiteraient, soit au sein de la commission, soit d'une autre façon, pour continuer à travailler et à construire ensemble.
Jean-Marie Vanlerenberghe a eu raison de rappeler qu'une réforme ne se résumera pas à l'adossement. Nous nous retrouvons sur ce constat : la réforme des droits est seule de nature à apporter des garanties sur le financement.
Les travaux du COR montrent d'ailleurs, vous avez également évoqué ce point, que les comparaisons entre le régime général et le régime de la fonction publique sont toujours délicates à opérer, n'est-ce pas, monsieur About ? Entre un calcul fondé sur les vingt-cinq meilleures années et un calcul qui se réfère aux six derniers mois hors primes, il est facile de croire qu'il existe une grande différence a priori...
Mme Michelle Demessine. Regardez les pensions, et vous verrez qu'il n'y en a pas !
M. Xavier Bertrand, ministre. ... mais, dans le cas des fonctionnaires, les primes, qui peuvent représenter 20 % du traitement, ne sont pas prises en compte aujourd'hui dans le calcul de la pension, contrairement au calcul sur les vingt-cinq meilleures années qui, lui les prend en compte. Les évaluations comparatives des deux systèmes n'ont encore jamais été réalisées. Pourtant, ces spécificités existent et doivent être prises en considération.
Pour être complet, je dirai que vous devriez aussi veiller à la différence entre les niveaux de fonction publique dans lesquels exercent les fonctionnaires. Si vous intégrez tous ces paramètres, je n'ai pas le sentiment que les salaires les plus modestes soient les plus pénalisés.
M. Jean-Louis Carrère. Le bouclier fiscal ne les aide pas vraiment !
M. Xavier Bertrand, ministre. Ce sujet requiert donc une approche logique de l'harmonisation avec la fonction publique, à laquelle je crois.
Mais le rythme de montée en charge de la réforme constitue bien le coeur du débat et je vous ai tendu la perche à plusieurs reprises sur ce sujet. J'ai dit que la réforme ne s'appliquerait pas du jour au lendemain. Quel est le bon rythme ? Voilà la question ! Chacun a le droit d'avoir une position sur ce sujet et de présenter des propositions : cependant, je n'en ai pas entendu sur toutes les travées...
La durée de la convergence avec le régime de la fonction publique sur les principaux paramètres est au centre du débat d'aujourd'hui. Nous avons en ce moment des réunions techniques au ministère avec les représentants des entreprises et des syndicats afin de déterminer, avec eux, le bon rythme, mais je reste ouvert aux propositions sénatoriales.
En ce qui concerne la méthode, je rappelle - je l'ai dit à la presse et je l'ai répété tout à l'heure - qu'il ne s'agit pas d'une réforme comptable. En effet, si je vous indique aujourd'hui que nous cherchons à économiser un montant chiffré en millions d'euros, nous enfermons la concertation dans des barrières comptables.
Mme Michelle Demessine. De toute façon, cela ne marchera pas !
M. Xavier Bertrand, ministre. Or, sur un sujet comme celui-ci, nous savons pertinemment que, si nous voulons négocier sur tous les critères que vous avez évoqués, afin de garantir l'avenir des retraites des agents concernés, il faut que la discussion soit la plus ouverte possible. Cela dit, j'ai bien une idée du résultat qui devra être présenté aux Français, aux partenaires sociaux et aux parlementaires...
J'ai écouté longuement le président Guy Fischer...
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Il a parlé trente-sept minutes !
M. Xavier Bertrand, ministre. Je n'ai pas senti le temps passer, monsieur About !
À vous entendre, monsieur Fischer, je peux m'interroger : fallait-il engager cette concertation ? Si je vous ai bien compris, il aurait fallu repousser cette réforme...
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. De vingt-cinq ans !
M. Xavier Bertrand, ministre. Cela étant, je reconnais que vous avez une vision de ce dossier, comme lors de la réforme des retraites de 2003. Vos solutions ne sont certainement pas les nôtres, et je ne suis même pas certain qu'elles emportent l'adhésion d'une majorité de Français, mais vous formulez des propositions, je vous le concède.
D'une certaine façon, vous avez cherché à mélanger les sujets. Peut-être n'était-ce pas l'effet du hasard... J'ai entendu parler de Gaz de France, de la loi en faveur du travail, de l'emploi et du pouvoir d'achat, adoptée cet été,...
M. Alain Gournac. Il a tout mélangé !
Mme Michelle Demessine. Mais c'est un tout !
M. Xavier Bertrand, ministre. ... pour arriver enfin à la question des régimes spéciaux. Je ne prétends pas que vous cherchiez à éviter de l'aborder, je ne vous ferai pas ce procès.
Mais que proposez-vous sur le fond, en définitive ? Vous suggérez de ramener la durée de cotisation à trente-sept années et demie pour tous.
Mme Isabelle Debré. C'est irréaliste !
M. Xavier Bertrand, ministre. Que deviendrait alors le déficit de la Caisse nationale d'assurance vieillesse, qui atteindra l'an prochain plus de cinq milliards d'euros...
M. Alain Gournac. Ils s'en fichent !
M. Xavier Bertrand, ministre. ... alors que la durée de cotisation est d'ores et déjà de quarante années !
Ne trouvez-vous pas plus logique de travailler plus longtemps puisque l'espérance de vie augmente ? Tous les pays européens ont légiféré en ce sens. En 2003, nous avons posé une règle selon laquelle, si l'espérance de vie progresse de trois ans, les salariés consacrent deux années à travailler plus longtemps et conservent le bénéfice d'une année pour eux-mêmes.
Telle était la répartition prévue dans la loi de 2003. Ce que tous les autres pays ont fait, pourquoi nous serait-il interdit aujourd'hui de le faire en France ?
Mme Michelle Demessine. Ils suivent tous la même logique !
M. Xavier Bertrand, ministre. Par ailleurs, n'est-il pas paradoxal de laisser entendre que les revenus du capital ne seraient taxés en aucune façon en France alors que, je le rappelle, ils contribuent à l'effort de solidarité au travers de la CSG ou de la taxe de 2 % sur les revenus du capital, qui alimentent respectivement le Fonds de solidarité vieillesse et le Fonds de réserve pour les retraites ?
Mme Michelle Demessine. C'est vraiment a minima !
M. Guy Fischer. Ah !
M. Xavier Bertrand, ministre. Ne soyez pas impatient, monsieur Fischer ! Le débat sur les stock-options viendra forcément. Je lis la presse comme vous et j'ai constaté qu'un certain nombre de députés avaient l'intention d'inscrire ce thème dans la discussion. Je crois savoir également que le Sénat a très envie d'étudier cette question,...
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Absolument, monsieur le ministre !
M. Xavier Bertrand, ministre. ... qui, bien évidemment, se pose au regard du financement de la protection sociale et de la sécurité sociale. En tant que ministre responsable à la fois du travail et de la solidarité, j'ai le souci que les mesures qui pourraient être retenues ne pénalisent pas le pouvoir d'achat.
Voilà pourquoi il importe de bien distinguer les choses entre les stock-options, l'intéressement et la participation. En effet, des mesures qui frapperaient de la même manière ces différentes catégories de revenus n'auraient pas la même incidence, en termes de pouvoir d'achat, pour leurs bénéficiaires.
Quoi qu'il en soit, de grâce, monsieur Fischer, ne donnez pas à croire que la taxation des revenus du capital serait la solution miracle pour combler les déficits !
Mme Michelle Demessine. Non, il y en a d'autres : le plein emploi et le relèvement des salaires !
M. Xavier Bertrand, ministre. Vous connaissez suffisamment bien ces dossiers de la protection sociale pour savoir que l'enjeu n'est pas de cet ordre.
Enfin, vous avez souhaité aborder la question du remboursement des dettes de l'État à la sécurité sociale. Je tiens à vous en remercier sincèrement, car je crois que c'était là, de votre part, une façon un peu détournée de saluer les efforts du Gouvernement ! (Rires sur les travées du groupe CRC.)
Je conçois que cela vous soit difficile a priori ! Néanmoins, vous avez bien voulu noter qu'Éric Woerth, ministre chargé des comptes publics, avait annoncé que l'État rembourserait cette année les 5 milliards d'euros de dettes en question : vous en aviez rêvé, le Gouvernement l'a fait ! Je vous remercie vivement d'avoir suscité ce débat tout à l'heure, monsieur Fischer... (Exclamations sur les travées du groupe CRC. -Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. Alain Gournac. Merci, monsieur Fischer !
M. Xavier Bertrand, ministre. Je voudrais maintenant répondre à M. Domeizel sur la méthode.
Monsieur Domeizel, nous avons travaillé ensemble dès 2003, quand j'étais rapporteur pour avis, à l'Assemblée nationale, du projet de loi portant réforme des retraites, puis responsable de la mission de préfiguration du groupement d'intérêt public « droit à l'information sur la retraite ». Je connais les fonctions que vous exercez et vous savez le respect que je vous porte, mais je tiens à être précis, monsieur le sénateur : je n'ai jamais réservé à la presse locale de mon département la primeur de l'annonce d'une quelconque réforme. Je ne travaille pas comme cela !
J'ai beaucoup d'attachement pour mes mandats locaux - M. le sénateur Pierre André, qui est mon maire à Saint-Quentin, pourrait en porter témoignage -, mais je n'ai jamais confondu les choses et je sais quelle est ma responsabilité gouvernementale : je ne fais pas de « coups » ou d'effets d'annonce dans la presse quotidienne régionale. En l'occurrence, vous avez fait allusion à des fêtes locales qui se seraient déroulées dans le sud de mon département. (M. Claude Domeizel s'étonne.)
M. Alain Gournac. Vous l'avez dit, monsieur Domeizel ! Eh oui !
M. Charles Revet. Vous avez raison, monsieur le ministre !
M. Xavier Bertrand, ministre. Vous vous êtes exprimé en ce sens à la tribune du Sénat, monsieur Domeizel, et je veux simplement mettre les choses au point. Sur cette question, il ne s'est jamais agi pour moi de réserver un quelconque scoop à qui que ce soit.
Par ailleurs, je ne vous ai jamais annoncé, hier, qu'un texte serait présenté le 15 octobre prochain. (M. Claude Domeizel manifeste son incompréhension.) Si vous l'avez pensé, je redirai encore plus précisément les choses aujourd'hui à cette tribune. (M. Claude Domeizel se tourne vers M. Guy Fischer.) Même M. Fischer vous affirme que rien de tel n'a été annoncé. Mon oreille gauche fonctionne bien ! (Sourires sur les travées de l'UMP.)
M. Charles Revet. On espère que l'oreille droite fonctionne bien aussi ! (Nouveaux sourires sur les mêmes travées.)
M. Xavier Bertrand, ministre. En octobre, le Gouvernement présentera un document d'orientation qui précisera les éléments d'harmonisation et les principes généraux, et qui permettra en même temps d'ouvrir des négociations dans les entreprises. Pourquoi en octobre ? Parce qu'il sera également tenu compte des retours en provenance des organisations syndicales et des directions des entreprises, qui vont nous faire un certain nombre de propositions en vue de définir la bonne répartition entre ce qui relèvera de la responsabilité du Gouvernement, le moment venu, et ce qui relèvera des directions des entreprises.
Je n'ai donc jamais évoqué la date du 15 octobre. Une seule organisation syndicale a indiqué, à la sortie de mon bureau, qu'un décret serait publié ce jour-là, mais cette information a été démentie aussitôt par les autres organisations syndicales. J'ai tenu quinze rendez-vous avec ces dernières, et là non plus je n'ai jamais eu l'intention de réserver un scoop à l'une quelconque d'entre elles. En tout état de cause, il n'a jamais été question de publier tout de suite un décret.
MM. Claude Domeizel et Guy Fischer. Quand sera-t-il publié ?
M. Xavier Bertrand, ministre. Je ne pratique pas le passage en force, et je n'envisage pas de changer de méthode en cours de route. C'est seulement au terme du processus que les textes réglementaires seront pris, monsieur Domeizel. Voilà ce que je tenais à préciser.
Oui, j'ai souhaité que ce débat puisse avoir lieu ; oui, j'ai souhaité pouvoir connaître vos positions - c'est un peu plus clair maintenant ; oui, j'ai souhaité pouvoir disposer de vos propositions - c'est un peu moins clair, je dois le concéder. (Rires sur les travées de l'UMP.)
En effet, j'ai entendu de votre part beaucoup de remarques sur la méthode, mais peu de propositions concrètes sur un thème qui a fait l'objet de rapports parlementaires.
M. Jean-Louis Carrère. C'est à vous de proposer ! C'est vous qui êtes au Gouvernement !
M. Xavier Bertrand, ministre. Moi, je suis prêt à assumer mes responsabilités. Si je m'exprime devant vous sur un sujet d'ordre réglementaire, c'est au nom d'une méthode. Ne vous inquiétez pas : je suis chargé de cette réforme, je saurai faire des propositions.
M. Jean-Louis Carrère. Très bien ! Faites-les, on vous dira ce que l'on en pense !
M. Jean-Louis Carrère. Vous manquez d'idées !
M. Xavier Bertrand, ministre. S'agissant d'un thème relevant du domaine réglementaire, concédez qu'il n'est pas si fréquent que le Gouvernement vienne à la tribune vous expliquer comment il voit les choses et où nous en sommes ! Chacun peut décider de jouer le jeu, comme cela a été le cas tout à l'heure sur certaines travées.
M. Charles Revet. Cela les dérange !
M. Xavier Bertrand, ministre. Cela étant, vous avez eu raison de souligner, monsieur Domeizel, que les paramètres actuels des régimes spéciaux de retraite ont été fixés juste après la Seconde Guerre mondiale ou au milieu des années soixante. Je vous remercie de l'avoir fait, et je pense que vous prenez à votre compte l'opinion du Conseil d'orientation des retraites que vous avez citée.
Cela montre bien que, sur ce sujet, on a le droit d'envisager une modernisation, c'est-à-dire une adaptation, en donnant des garanties aux salariés concernés.
En conclusion, je retiendrai une seule chose de votre intervention : vous n'êtes pas opposé aux réformes, même si, à un moment donné, on aurait pu penser le contraire et croire que, en vous concentrant sur la forme, vous vouliez éviter de vous prononcer sur le fond.
M. Jean-Pierre Bel. Pas du tout !
M. Xavier Bertrand, ministre. Il ne s'agit absolument pas pour moi de vous faire un procès d'intention. Nous avons engagé aujourd'hui un premier débat au Parlement sur les régimes spéciaux de retraite et je resterai à votre disposition pour poursuivre la discussion, mais, sur ce sujet comme sur d'autres, nous avons le sentiment qu'il est possible de trouver une voie de passage. Cette voie, je suis prêt à la déterminer en concertation avec vous. Ma porte est ouverte à tout le monde matin, midi et soir, semaine et week-end.
Je maintiens ma proposition : à vous de voir si vous voulez faire en sorte que nous construisions cette réforme ensemble. C'est le voeu le plus cher que je puisse former devant vous. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Je constate que le débat est clos.
Acte est donné de la déclaration du Gouvernement, qui sera imprimée sous le n° 1 et distribuée.
7
Nomination d'un membre d'une commission
M. le président. Je rappelle au Sénat que le groupe Union pour un Mouvement Populaire a présenté une candidature pour la commission des affaires économiques.
Le délai prévu par l'article 8 du règlement est expiré.
La présidence n'a reçu aucune opposition.
En conséquence, je déclare cette candidature ratifiée et je proclame :
- M. Gérard Larcher membre de la commission des affaires économiques à la place laissée vacante par Mme Adeline Gousseau, démissionnaire de son mandat de sénateur.
M. le président. Mes chers collègues, l'ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à seize heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures quarante, est reprise à seize heures dix, sous la présidence de M. Christian Poncelet.)
PRÉSIDENCE DE M. Christian Poncelet
M. le président. La séance est reprise.
8
Immigration, intégration et asile
Discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence
M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, relatif à la maîtrise de l'immigration, à l'intégration et à l'asile (nos 461 et 470 rectifié, 2006-2007).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. Yannick Bodin. Ministre de la génétique !
M. Brice Hortefeux, ministre de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du codéveloppement. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, pour la première fois dans l'histoire de la Ve République, un ministre est spécifiquement chargé de conduire une politique d'immigration, d'intégration et de codéveloppement.
Nicolas Sarkozy, comme ministre d'État, l'avait appelé de ses voeux ; c'est comme Président de la République qu'il l'a rendu possible grâce à la création d'un ministère régalien qui recouvre l'ensemble du parcours d'un étranger candidat à l'immigration en France, depuis l'accueil au consulat jusqu'à l'intégration dans notre pays et l'éventuel accès à la nationalité française ou le retour vers le pays d'origine.
Il s'agit certainement d'un progrès pour les étrangers qui, respectueux de nos valeurs, souhaitent s'intégrer à la communauté nationale.
L'enjeu est de construire une politique d'immigration préservant l'avenir de notre communauté nationale. Je serai attentif à ce que sa mise en oeuvre respecte l'équilibre attendu par les Français. Nous sommes fermes à l'égard des immigrés qui n'observent pas les lois de la République, comme nous sommes protecteurs à l'endroit de ceux qui respectent nos règles et nos valeurs.
Cet équilibre entre fermeté et protection est précisément l'objet de ce projet de loi relatif à la maîtrise de l'immigration, à l'intégration et à l'asile que je vous soumets aujourd'hui. Ce texte a été préparé dans les premiers jours qui ont suivi la constitution du Gouvernement. Adopté par le Conseil des ministres le 4 juillet, il a été débattu à l'Assemblée nationale, qui l'a adopté le 20 septembre. De dix-huit articles au départ - ce n'était donc pas une « cathédrale législative » ! -, le texte en comprend néanmoins aujourd'hui quarante-huit.
Je ne laisserai pas caricaturer un texte que le Gouvernement a voulu tout à la fois juste et protecteur, un texte qui permettra de favoriser l'intégration et de lutter contre le communautarisme.
Je serai très clair : la politique qui est engagée ne se résume ni au chiffre de 25 000 ni aux trois lettres du sigle ADN.
Le nombre d'éloignements effectifs n'est pas l'alpha et l'oméga de la politique migratoire de la France, mais il est vrai que c'est un indicateur pour évaluer nos résultats.
Les tests ADN ne constituent pas, quant à eux, le coeur d'un texte qui, pourtant, n'en manque pas, mais sont le fruit d'une initiative parlementaire dont nous allons débattre le moment venu.
Être le ministre de la loi n'empêche pas d'être celui du coeur. Je refuse l'idée selon laquelle il y aurait l'éthique, d'une part, et la politique, d'autre part : il n'y a qu'une action, juste, ouverte, responsable, au service des Français et des immigrés légaux.
Pendant trop longtemps, on a privilégié une générosité en trompe-l'oeil qui consistait à accueillir à tout va des migrants, mais sans se soucier de leur intégration à la communauté nationale.
Conformément aux engagements du Président de la République, nous devons préparer une immigration choisie et concertée.
L'immigration choisie, c'est le contraire de l'immigration zéro, qui n'est ni possible ni souhaitable - le ministre d'État Charles Pasqua l'avait d'ailleurs souligné avant moi -, mais c'est aussi le contraire de l'immigration subie, subie par les Français, subie par les immigrés résidant légalement en France et subie, aussi, par les migrants clandestins, victimes de filières et de marchands de sommeil.
Nous le savons, une politique de maîtrise des flux est aujourd'hui nécessaire en France. Plusieurs raisons plaident en faveur d'une telle logique.
Première raison, le système français d'intégration a globalement échoué. Je ne rappellerai pas ici le taux de chômage de la population immigrée par rapport à celui de la population française ; je me contenterai de relever que le taux de chômage de la population immigrée diplômée est de 24 %, alors que celui de la population française diplômée n'est que de 6 %.
Il faut avoir le courage de reconnaître que notre système d'intégration n'est plus un modèle. Quelles que soient nos différences, chacun ici, j'en suis certain, sera d'accord pour constater que, pour réussir l'intégration, il faut d'abord maîtriser l'immigration.
La deuxième raison qui impose de maîtriser les flux migratoires est notre situation démographique. Contrairement à de nombreux pays d'Europe, le taux de fécondité de la France est de 2, à comparer, par exemple, avec celui de l'Espagne, qui est de 1,32, soit le taux le plus faible du monde. Cela signifie que, aujourd'hui et sans doute pour au moins une décennie, la France n'a pas besoin d'une immigration massive pour soutenir une démographie défaillante.
La troisième raison est que la capacité d'accueil de notre pays est tout simplement limitée. Y aurait-il un sens à accueillir des migrants sans en prévoir le nombre au moment où notre pays, selon tous les experts, connaît un déficit de près de 1 million de logements ? L'accueil de migrants sur notre territoire doit se faire dans des conditions satisfaisantes. Aujourd'hui, la situation actuelle ne le permet pas. Je rappelle que, au cours de la législature 1997-2002, seuls 296 000 logements ont été mis en chantier. Si ce chiffre a été porté à 420 000 au cours de la législature 2002-2007, il n'en demeure pas moins qu'il y a un déficit ...
M. Jacques Mahéas. Surtout à Neuilly-sur-Seine !
M. Brice Hortefeux, ministre. ... et nous devons bien en apprécier les conséquences.
J'en viens à la quatrième raison qui justifie notre détermination : nous savons que tout laxisme en matière d'immigration se paie lourdement.
En 1997, il avait été décidé de régulariser 80 000 immigrés clandestins. Je ne considère pas- je l'ai dit devant la commission des lois - que c'était a priori une erreur, et je pense que l'on pouvait réfléchir à toutes les hypothèses. La politique de régularisation générale a donc été tentée dans notre pays, mais elle a créé un appel d'air et a eu pour conséquence logique - je ne condamne pas, je constate - le quadruplement du nombre des demandeurs d'asile entre 1997 et 2002 !
Les délais d'instruction des demandes se sont alors allongés, atteignant parfois jusqu'à trois ans. L'administration, complètement débordée, s'est trouvée dans l'incapacité d'organiser la reconduite à la frontière des personnes déboutées. C'est la démonstration de l'échec de toute régularisation générale.
La cinquième raison qui justifie la maîtrise des flux migratoires tient au dialogue que nous avons engagé avec les pays d'émigration. Il n'est naturellement pas dans notre intérêt, ni dans nos possibilités, d'accueillir toute la misère du monde - des personnages beaucoup plus prestigieux que moi l'ont déjà dit -, mais il n'est pas non plus dans l'intérêt des pays terres d'émigration de laisser se développer sans contrôle l'émigration en France.
Deux immigrés sur trois sont originaires des pays d'Afrique subsaharienne et du Maghreb. Les gouvernements de ces pays amis ont parfaitement compris le risque du pillage de leurs forces vives et de leurs élites, qu'ils forment avec beaucoup de difficulté. Nous refusons, comme eux, tout pillage des cerveaux.
M. Jacques Mahéas. C'est ça, l'immigration choisie !
M. Gérard Delfau. Mais c'est l'immigration choisie !
M. Jacques Mahéas. Heureusement qu'ils sont là pour assurer les gardes dans les hôpitaux !
M. Brice Hortefeux, ministre. ... qui font si cruellement défaut aujourd'hui à de nombreux pays, par exemple le Bénin. (Protestations sur les travées du groupe socialiste.)
Mme Bariza Khiari. « Compétences et talents ».
M. Gérard Delfau. Me permettez-vous de vous interrompre, monsieur le ministre ? (Protestations sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Gérard Delfau, avec l'autorisation de M. le ministre.
M. Gérard Delfau. Je vous remercie, monsieur le ministre.
M. Dominique Braye. Cela ne se fait pas, d'interrompre un ministre !
M. Gérard Delfau. Monsieur le ministre, dans votre argumentation, que je n'approuve pas, mais dont je comprends la cohérence, un élément me trouble : comment pouvez-vous, à juste titre, refuser le pillage des cerveaux des pays africains, par exemple, et, en même temps, être celui qui, au nom du Gouvernement, veut proposer une réforme constitutionnelle afin de pouvoir instaurer des quotas d'immigration selon des critères propres à notre pays ? (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. Veuillez poursuivre, monsieur le ministre.
M. Brice Hortefeux, ministre. Monsieur Delfau, c'est très simple : la carte « compétences et talents » que nous allons mettre en place répondra très exactement à vos préoccupations. Cette carte professionnelle, valable pour une durée de trois ans à six ans, permettra à un étranger de travailler sur notre territoire, de suivre une formation et d'obtenir une qualification. Ce qui va changer par rapport à d'autres époques, c'est que, au terme de ces trois ans ou six ans, cet étranger rentrera dans son pays pour lui faire profiter des progrès qu'il aura accomplis et de son expérience. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP.)
Voilà ma réponse !
Vous avez dit que vous ne souteniez pas mon argumentation, même si vous en compreniez la cohérence. J'espère que cette réponse très précise vous conduira à la soutenir !
M. Charles Pasqua. N'espérez pas trop !
M. Jacques Mahéas. Ce n'est pas convaincant !
M. Brice Hortefeux, ministre. Enfin, sixième et dernière raison, nous voulons maîtriser les flux migratoires tout simplement parce que notre pays est, en Europe, celui qui a déjà accueilli au cours des dernières décennies le plus grand nombre d'étrangers : jusqu'à 400 000 par an dans les années soixante-dix.
C'est vrai que la situation de la France est très différente de celle de l'Espagne ou de l'Italie, qui étaient encore récemment des pays d'émigration et qui sont aujourd'hui devenus des pays d'immigration.
Une politique de maîtrise des flux migratoires est aujourd'hui la seule possible. Elle est la seule qui protège les immigrés illégaux du sort que les filières leur réservent, la seule qui permet aux immigrés légaux une intégration réussie, la seule, enfin, qui donne aux réfugiés le droit d'asile qu'ils méritent.
Nous demeurons néanmoins fidèles à la tradition du droit d'asile et d'accueil des réfugiés politiques. Cette tradition, nous l'honorons. Permettez-moi de vous rappeler quelques chiffres. En 2006, la France a étudié 31 000 demandes d'asile, ce qui la place au premier rang des pays de l'Union européenne. À titre de comparaison, l'Allemagne en a étudié 21 000 et le Royaume-Uni, 28 000. Dans le monde, en 2006, seuls les États-Unis, pour des raisons que chacun connaît, dépassaient la France en nombre de demandes traitées.
Au total, 124 000 personnes bénéficient aujourd'hui, dans notre pays, du statut de réfugié.
Pour ma part - je le dis très clairement devant la Haute Assemblée -, j'entends être pleinement le ministre de l'asile. Il n'y aura pas de tergiversations sur ce point : la question de l'asile et celle de l'immigration sont distinctes et doivent le rester. (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s'exclame.)
Garanti par la convention de Genève, l'asile a sa finalité propre : protéger les personnes qui ne sont plus protégées par leur propre État. L'asile n'est pas et ne sera pas une variable d'ajustement de la politique d'immigration. Pour être encore plus précis, mesdames, messieurs les sénateurs, il n'y aura pas de quota d'accueil des réfugiés politiques.
En me confiant la tutelle de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, l'OFPRA, le projet de loi ne fait que tirer les conséquences de la création du ministère dont j'ai la charge. Il est naturel que la tutelle de l'OFPRA passe du ministère chargé des relations internationales à celui qui est chargé de l'entrée et du séjour des étrangers en France.
Il va aussi de soi que l'indépendance fonctionnelle de l'OFPRA reste entière, sous le contrôle juridictionnel de la Commission des recours des réfugiés. Cela signifie que ce n'est pas moi qui, demain, déciderai si tel ou tel étranger doit être reconnu comme réfugié. L'OFPRA restera souverain dans ses décisions sur les cas individuels.
J'entends même aller encore un peu plus loin pour conforter l'indépendance de la Commission des recours des réfugiés, qui doit devenir une véritable cour nationale du droit d'asile, dotée d'une pleine autonomie budgétaire.
J'ajoute que le projet de loi fait aussi oeuvre utile en adaptant à la dernière jurisprudence européenne le régime du droit de recours contre les décisions de refus d'asile à la frontière. Cela signifie que les étrangers qui demanderont l'asile à Roissy, à leur descente d'avion, pourront, lorsqu'ils estimeront que la France leur refuse à tort le statut de réfugié, rester dans la zone d'attente jusqu'à ce que la décision les concernant soit prise par le juge en urgence.
Je tiens aussi à remercier le président du groupe Union Centriste-UDF, Michel Mercier, d'avoir pris l'initiative d'un excellent amendement, qui vise à favoriser l'intégration des réfugiés politiques. Si celui-ci est adopté, un nouveau dispositif, s'inspirant de ce qui a été fait dans le Rhône - Mme Muguette Dini pourra peut-être en témoigner -, permettra d'améliorer considérablement l'accès des réfugiés à l'emploi et au logement.
Par ailleurs, je connais votre divergence avec l'Assemblée nationale sur le délai de recours devant la Commission des recours des réfugiés. Je souligne simplement, à titre informatif, que le délai de recours moyen est, en Europe, plus près de quinze jours que d'un mois. À l'heure où nous travaillons, à Bruxelles, à un rapprochement progressif de nos systèmes d'asile, c'est une donnée qu'il convient d'avoir à l'esprit. Si je mesure combien la question est sensible, je fais confiance au Parlement pour en débattre avec sagesse.
J'en viens à l'objet principal du projet de loi : favoriser l'intégration des immigrés légaux au sein de notre communauté nationale.
Nous voulons protéger les immigrés légaux contre les dangers du communautarisme et leur donner toutes les chances de s'intégrer à notre communauté nationale. C'est pourquoi nous souhaitons que les personnes rejoignant la France dans le cadre du regroupement familial soient soumises, dans leur pays de résidence, à une évaluation de leur degré de connaissance de la langue française et des valeurs de la République.
Cette réforme est le fruit d'une conviction simple : la langue est le meilleur vecteur d'intégration dans un pays. Elle est la clef de l'accès à l'emploi, au logement, aux services publics et à une vie normale au sein du pays d'accueil.
Comprenons-nous bien : demander aux candidats à l'immigration familiale de passer un test de français et d'apprendre notre langue, c'est à la fois combattre le communautarisme et récompenser les efforts des étrangers qui souhaitent vraiment s'intégrer.
Cette évaluation prendra la forme d'un test de langue usuelle, d'une durée de quinze minutes. Si le test en révèle le besoin, l'étranger bénéficiera d'une formation d'une durée maximale de deux mois, soit quatre-vingts à cent quatre-vingts heures de cours.
En créant ce test et cette formation, la France rejoint plusieurs grands pays européens. Les Pays-Bas ont, par exemple, institué un test de connaissance de la langue et de la société néerlandaises avant l'entrée sur leur territoire. De même, l'Allemagne a adopté le principe d'un examen de maîtrise de la langue et de la culture allemandes préalable au franchissement de ses frontières.
Je rappelle que les dispositions du présent projet de loi, qu'il s'agisse du test de français ou des conditions de ressources, s'inscrivent dans le respect le plus strict des exigences posées par la Constitution et par la jurisprudence du Conseil constitutionnel.
J'ai entendu les interrogations d'un certain nombre d'entre vous sur l'opportunité de proposer aussi aux conjoints de Français résidant à l'étranger de bénéficier d'un test de langue française et d'une formation.
Pour plusieurs d'entre vous, le mariage avec un Français est un signe d'intégration suffisant pour bénéficier d'une présomption d'intégration, rendant inutiles une évaluation et une formation éventuelle avant l'arrivée en France. Cette affirmation est partiellement exacte, et donc partiellement inexacte, car trop générale.
Outre le problème, certes réel, des mariages de complaisance - chacun a cela à l'esprit -, j'insiste sur le souhait du Gouvernement de voir ces conjoints de Français commencer leur parcours d'intégration avant même leur installation en France, car une connaissance minimale de la langue française est nécessaire pour entamer, dès l'arrivée dans notre pays, une socialisation réussie.
Pour qu'il n'y ait pas de malentendu, permettez-moi de revenir sur un point précis. Si l'exemple d'un conjoint de Français venu d'Australie ou du Canada a souvent été utilisé pour démontrer l'existence d'une présomption d'intégration, force est de constater que, en 2004 - c'est la dernière année pour laquelle nous disposons de chiffres précis -, sur les 60 000 conjoints de Français s'étant installés en France, seuls 109 venaient d'Océanie et 264 du Canada ! Ils étaient, en revanche, 43 000 d'origine africaine, dont plus de 12 000 d'Afrique subsaharienne.
Ce sont de ces régions du monde - c'est normal, car ce sont des terres d'émigration - que proviennent, pour l'essentiel, les conjoints de Français qui s'installent en France.
Veuillez m'excuser de cette lapalissade, mais le mariage avec un Français est devenu une source majeure d'immigration familiale en France. Par conséquent, un test préalable d'intégration, le cas échéant suivi d'une formation, nous paraît effectivement nécessaire.
Cela dit, dans certains cas particuliers, un tel test et une telle formation pourraient représenter une contrainte plutôt qu'un avantage. Je pense notamment à la situation des Français expatriés qui se marient à l'étranger et qui souhaitent revenir s'établir en France pour leur carrière. Dans ce cas, sans doute faut-il - j'ai entendu ce qui s'est dit, notamment au sein de la commission des lois - ne pas soumettre le conjoint étranger à un test dans son pays et l'inviter à suivre une telle formation à son arrivée en France.
Par ailleurs, comme vous le savez sans doute, des conventions internationales pourront permettre de dispenser certains ressortissants du mécanisme posé par la loi si la France et l'État d'origine le souhaitent. Naturellement, le gouvernement de la République est prêt à évoquer ce sujet avec nos partenaires qui le voudraient.
S'agissant de l'obligation d'un visa de long séjour pour les conjoints de Français, j'ai également entendu les interrogations qui ont été exprimées.
À cet égard, permettez-moi d'apporter une précision juridique. L'argument selon lequel, au nom du droit au respect de la vie privée et familiale, qui est défini par l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, tout conjoint de Français aurait un droit absolu à s'installer en France n'est pas recevable.
En effet, dans un arrêt du 28 mai 1985, la Cour européenne des droits de l'homme a jugé que l'article 8 ne saurait s'interpréter comme comportant pour un État contractant l'obligation générale de respecter le choix, par des couples mariés, de leur domicile commun et d'accepter l'installation de conjoints non nationaux dans le pays.
Notre règle doit donc être simple et lisible. Pour s'installer en France, il faut un visa de long séjour délivré par un consulat à l'étranger. Les visas de court séjour ne doivent pas être utilisés pour un motif migratoire.
Il existe une procédure de visa de long séjour qui permet concrètement de vérifier si les conditions d'entrée en France sont bien remplies et d'éviter non seulement des difficultés pratiques, mais également d'éventuelles fraudes et mariages de complaisance, malheureusement encore trop nombreux.
D'ailleurs, je constate que l'obligation d'un visa de long séjour est déjà la règle applicable dans d'autres pays européens, notamment au Royaume-Uni ou en Italie.
De même, en cas d'impossibilité de retour dans le pays d'origine ou de difficulté d'ordre humanitaire, la régularisation au cas par cas reste, bien évidemment, possible. Le droit en vigueur prévoit ainsi un dispositif d'admission exceptionnelle au séjour.
Je voudrais à présent évoquer les conditions de ressources. Chacun le comprend, des conditions de ressources adaptées à la taille des familles visent avant tout à favoriser la bonne intégration de celles-ci.
L'étranger souhaitant faire venir sa famille en France devra effectivement prouver qu'il dispose de revenus adaptés à la taille de cette famille. Il s'agit là d'une question de bon sens. Comment une famille étrangère de six enfants arrivant en France et devant financer des dépenses liées à son installation peut-elle décemment se loger dans notre pays et vivre avec des revenus inférieurs à 1 500 euros ?
M. Jacques Mahéas. C'est exactement pareil pour les Français !
M. Brice Hortefeux, ministre. Précisément, j'y viens, monsieur Mahéas.
Sur le principe, exiger un niveau de revenus différent des familles étrangères et des familles françaises se justifie. Comme chacun le sait, la situation de la famille étrangère est plus difficile que celle d'une famille française, puisqu'elle doit combler des retards en termes de relations ou de réseaux, notamment familiaux, et assumer des frais d'installation.
M. Jacques Mahéas. Et donc, pour aider les étrangers, vous voulez leur mettre la tête sous l'eau ! Quel raisonnement !
M. Brice Hortefeux, ministre. Lors du débat à l'Assemblée nationale, le Gouvernement a souhaité adopter une position équilibrée.
Comme vous le savez, le projet de loi tend à définir un plancher de ressources, qui pourra varier entre le montant du SMIC brut, soit 1 280 euros, et un niveau plus élevé en fonction de la taille de la famille. À l'Assemblée nationale, le groupe UMP avait déposé un amendement tendant à fixer ce niveau entre 1,33 fois le SMIC et 1,5 fois le SMIC. J'ai refusé ce dispositif. Puis, la commission des lois de l'Assemblée nationale a souhaité que ce barème puisse atteindre 1,33 fois le SMIC pour les familles nombreuses. Je m'en suis remis à la sagesse de l'Assemblée nationale, mais ma préférence était de ne pas dépasser le seuil de 1,2 fois le SMIC. C'est également la position de la commission des lois du Sénat, ce dont je me réjouis.
Le contrat d'accueil et d'intégration pour la famille favorisera également l'intégration des familles arrivant dans le cadre du regroupement familial.
En signant ce contrat avec l'État, les parents des enfants ayant bénéficié du regroupement familial s'engageront à réussir l'intégration de leurs enfants. À cette fin, ils recevront une formation sur les droits et devoirs des parents en France qui portera sur leurs obligations liées à l'exercice partagé de l'autorité parentale, les relations avec l'école et les institutions liées à l'enfance.
Il s'agit d'un nouvel outil au service de l'intégration. Notre ambition est clairement d'augmenter les chances des enfants entrés en France dans le cadre du regroupement familial de réussir leur vie dans notre pays.
De plus, deux amendements présentés par le Gouvernement ont été adoptés à l'unanimité par l'Assemblée nationale.
Le premier avait pour objet la création d'une carte de résident permanent d'une durée illimitée qui, conformément aux souhaits du Président de la République, permettra de faciliter la vie des étrangers qui séjournent depuis très longtemps en France.
Le second visait à généraliser à tous les primo-arrivants signataires d'un contrat d'accueil et d'intégration l'établissement d'un bilan de compétences professionnelles personnalisé. Comme je l'ai déjà souligné, si l'on veut réduire significativement le taux de chômage des étrangers en France, il faut d'abord veiller à faire en sorte que les étrangers résidant dans notre pays bénéficient d'un accompagnement personnalisé vers l'emploi.
En outre, un nouvel outil statistique permettra de lutter contre les discriminations et de favoriser l'intégration.
C'est l'objet d'un amendement qui a été présenté à l'Assemblée nationale par les deux députés membres de la Commission nationale de l'informatique et des libertés, la CNIL. Chacun connaît la sagesse et l'expertise de cette institution sur des questions aussi sensibles. Qui mieux qu'elle peut légitimement proposer un amendement portant sur les fichiers informatiques ?
Désormais, une autorisation préalable de la CNIL permettra la conduite d'études sur la mesure de la diversité des origines des personnes, de la discrimination et de l'intégration. Il y a une vérité simple : pour lutter contre les discriminations liées aux origines, encore faut-il pouvoir les mesurer !
M. Jacques Mahéas. Il faut faire des tests ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)
M. Brice Hortefeux, ministre. Il s'agira d'un nouvel instrument en faveur de l'intégration. Ainsi, en menant des études fines sur les discriminations par rapport au logement, nous pourrons mieux connaître la nature et la localisation des concentrations de populations d'origine immigrée et orienter le travail des bailleurs sociaux.
Bien entendu, le Gouvernement n'a nullement l'intention de pratiquer quelque fichage « ethno-racial » que ce soit. (Marques de scepticisme sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.) Ce n'est naturellement pas l'objet de l'amendement, dont la rédaction reprend intégralement le texte proposé par la CNIL.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Que de dénégations !
M. Brice Hortefeux, ministre. Parallèlement, le projet de loi encourage concrètement le codéveloppement, l'une des missions essentielles qui m'ont été confiées.
La présence du codéveloppement dans l'intitulé du ministère dont j'ai la charge est le signe d'une volonté forte du Président de la République et du Premier ministre de donner à l'aide au développement une orientation et une dimension nouvelles.
Aujourd'hui, le continent africain représente 65 % des flux migratoires réguliers vers la France. Vous le savez, sur trois étrangers qui s'installent en France, deux viennent d'Afrique du Nord ou subsaharienne. En réalité, les flux migratoires sont d'autant plus importants que la différence de niveau de vie est forte.
M. Charles Revet. Ce n'est que logique !
M. Brice Hortefeux, ministre. Lorsque l'on sait que la moitié des 900 millions d'Africains ont moins de dix-sept ans et que plus du tiers d'entre eux vivent avec moins d'un euro par jour, on comprend à quel point la pression de l'immigration qui s'exerce sur le Nord se nourrit des déséquilibres du Sud.
L'objectif français est clair : devenir un exemple en Europe en imaginant et en mettant en oeuvre des outils efficaces d'aide au développement des pays du Sud.
M. Charles Revet. Très bien !
M. Brice Hortefeux, ministre. Notre souhaitons permettre aux ressortissants des pays d'émigration de mieux vivre chez eux, plutôt que de mal survivre ailleurs.
M. Charles Revet. Bravo !
M. Brice Hortefeux, ministre. J'ai naturellement pris connaissance avec beaucoup d'intérêt du rapport corédigé par le regretté président Jacques Pelletier et par Mme Tasca et M. Barraux, Le codéveloppement à l'essai, dans lequel la politique du codéveloppement était encore considérée comme un « prototype ». Du prototype, sachez que nous avons l'ambition de faire un exemple.
D'abord, le projet de loi de finances pour 2008 nous donne les moyens de notre action en matière de codéveloppement. Au sein de la mission interministérielle « Aide publique au développement », le programme « Codéveloppement », dont j'ai la responsabilité, sera doté d'une enveloppe de 60 millions d'euros d'autorisations d'engagement et de 29 millions d'euros de crédits de paiement. Ainsi, les autorisations d'engagement ont plus que doublé par rapport à 2007. C'est le signe d'un effort important.
Qu'allons-nous faire de ces nouveaux moyens ?
Nous souhaitons d'abord mettre en place un fonds fiduciaire auprès d'une institution multilatérale, telle que la Banque mondiale ou la Banque africaine de développement. Cela nous permettra de lancer des actions visant à améliorer l'accès au système bancaire et les transferts de fonds des migrants vers leurs pays d'origine.
Certains d'entre vous sont des spécialistes sur le sujet. Vous le savez donc, la banque qui est actuellement en situation de monopole - inutile de la nommer, vous la connaissez tous - et qui assure en réalité le transfert de fonds des migrants prend 20 % de commission. Sur dix euros transférés, deux euros sont prélevés au titre des frais bancaires ! Il y a là, me semble-t-il, un véritable sujet de réflexion.
Nous souhaitons donner un nouvel élan à la réinstallation économique des migrants dans leur pays d'origine. Cette aide au projet individuel est distincte de l'aide au retour volontaire. Nous avons l'intention de financer 700 projets individuels d'un montant unitaire supérieur à 7 000 euros.
En outre, nous mobiliserons davantage les diasporas, afin de donner un nouvel élan aux actions bilatérales de développement. En 2008, nous y consacrerons 45 millions d'euros.
Par ailleurs, et c'est déjà public pour l'essentiel, une nouvelle série d'accords de gestion concertée des flux migratoires et de codéveloppement seront progressivement signés. Ainsi, la première partie d'un accord a été signée avec le Sénégal et la deuxième partie le sera avant la fin de l'année. De même, un accord a été signé avec le Gabon au mois de juillet dernier. Des discussions approfondies sont engagées avec le Bénin et la République du Congo. J'ai bon espoir que tout cela puisse aboutir avant la fin de l'année. Là aussi, nous pourrons mettre en oeuvre des programmes de réinsertion sur place de médecins et d'autres professionnels de la santé travaillant en France et volontaires pour un retour. Des accords verront également bientôt le jour avec d'autres pays, notamment le Mali, Haïti, Madagascar, le Cameroun et le Togo.
De plus, je souhaite développer nos actions originales en faveur de l'épargne des migrants.
Là encore, je voudrais rendre hommage à Jacques Pelletier, qui a dirigé pendant près de dix ans le groupe du RDSE. Il fut l'artisan du compte épargne codéveloppement, créé par la loi du 24 juillet 2006 relative à l'immigration et à l'intégration, qui permet aux étrangers souhaitant investir dans leur pays d'origine d'épargner en bénéficiant d'exonérations fiscales. D'ailleurs, au-delà des préférences partisanes, vous aviez exprimé une forte approbation sur cette initiative.
Le compte épargne codéveloppement - naturellement, la presse ne s'intéresse pas à de tels sujets - est désormais opérationnel. Ainsi, le 11 septembre dernier, j'ai signé une première convention avec la Caisse d'épargne, dont le président, Charles Milhaud, avait remis un rapport sur le sujet.
Il faut aller plus loin. En effet, le compte épargne codéveloppement ne profite qu'aux contribuables acquittant l'impôt sur le revenu. Aussi, pour compléter le dispositif, l'Assemblée nationale a adopté à l'unanimité un amendement parlementaire tendant à instituer un livret d'épargne codéveloppement, et le fonctionnement sera comparable à celui du plan d'épargne logement ou à celui du livret d'épargne populaire.
Avant de conclure, permettez-moi de vous faire part de quelques remarques sur l'amendement, d'initiative parlementaire, qui a été adopté à l'Assemblée nationale, tendant à donner aux demandeurs de visa la possibilité de solliciter un « test ADN » pour démontrer leur filiation. (Murmures sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
Comme vous le savez, cette disposition, qui est devenue l'article 5 bis du texte adopté par l'Assemblée nationale, ne figurait pas dans le projet de loi du Gouvernement. Il s'agit d'un amendement déposé par le rapporteur du projet de loi à l'Assemblée nationale, M. Thierry Mariani.
Un débat a eu lieu à l'Assemblée nationale. J'ai écouté les vingt-quatre orateurs qui se sont succédé avant d'exprimer les propositions du Gouvernement.
Le débat se poursuit au Sénat et c'est la logique de nos institutions. Je suis trop respectueux de notre démocratie parlementaire pour le regretter.
Mme Catherine Tasca. Encore heureux !
M. Brice Hortefeux, ministre. Bien au contraire, je me réjouis que les deux assemblées aient souhaité aborder, sans faux-semblant, un débat important.
De quoi s'agit-il ? Chaque année, des demandeurs de bonne foi ne peuvent pas obtenir de visa pour la France parce qu'ils ne parviennent pas à prouver leur lien de filiation, faute de disposer d'un document d'état civil fiable.
Nous le savons tous, des événements comme des conflits ou des catastrophes naturelles, mais également les difficultés structurelles de certains États, rendent les documents d'état civil peu fiables dans de nombreux pays du monde.
Même si notre pays, notamment certaines collectivités, poursuit un effort d'aide à la mise à niveau des services de l'état civil d'un certain nombre d'États - je pense au Mali, au Cameroun, à Madagascar et à la Mauritanie - c'est, à l'évidence, encore insuffisant.
Dans son récent rapport, le président Adrien Gouteyron a rappelé que 30 % à 80 % des actes vérifiés dans certains pays, en Afrique subsaharienne notamment, sont frauduleux. Je pense aussi, naturellement, au rapport de Jean-René Lecerf sur la question des fraudes à l'identité.
Ces défaillances de l'état civil pénalisent les demandeurs de bonne foi. Sur ce point, au moins, j'imagine que chacun sera d'accord. Dans certains cas, la situation de ces personnes est dramatique. Je pense, par exemple, au réfugié politique qui est sur notre territoire mais dont la famille est bien souvent dans l'incapacité de prouver le lien de parenté avec lui.
Je signale à cet égard que, dans une note de mai 2007, donc récente, sur l'intégration des réfugiés dans l'Union européenne, le Haut -Commissariat des Nations unies pour les réfugiés affirme que « la possibilité d'être réuni avec sa famille est de première importance pour l'intégration ».
M. Jacques Mahéas. Là, nous sommes d'accord !
M. Jean-Pierre Bel. Pas question !
M. Brice Hortefeux, ministre. Le Haut-Commissariat constate également que « les tests ADN sont de plus en plus utilisés comme moyen d'établir les liens de parenté dans le cadre du regroupement familial ».
Mme Nicole Bricq. Et alors ?
M. Brice Hortefeux, ministre. Il y a donc bien l'un et l'autre aspect.
Face aux carences de l'état civil dans certains pays, douze pays européens se sont engagés dans la pratique de tests ADN.
Douze pays européens, parfaitement démocratiques, parfaitement respectueux des droits de l'homme,...
M. Jean-Luc Mélenchon. Ah, ça !
M. Brice Hortefeux, ministre. ...ont recours aux tests ADN pour permettre à un demandeur de visa de se constituer un élément de preuve de sa filiation lorsqu'il ne peut apporter cette preuve par un acte d'état civil. C'est le cas du Royaume-Uni - dictature bien connue -, de l'Espagne,...
Mme Alima Boumediene-Thiery. C'est faux !
M. Brice Hortefeux, ministre. ...de l'Italie, de l'Allemagne, mais aussi de la Belgique, du Danemark, des Pays-Bas, de l'Autriche, de la Finlande, de la Lituanie, de la Norvège et bientôt de la Suède.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ce n'est pas vrai !
M. Brice Hortefeux, ministre. Je pose la question à ceux qui sont attachés à la construction européenne : au moment où nous souhaitons harmoniser au plan européen...
M. Jean-Pierre Bel. Ce n'est pas une raison !
M. Brice Hortefeux, ministre. ...les systèmes d'entrée et de séjour des étrangers, pourquoi la France se tiendrait-elle à l'écart en refusant de s'inspirer d'un dispositif éprouvé par nos partenaires européens ? (Vives protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. Jacques Mahéas. Parce qu'elle est le pays des droits de l'homme !
Mme Éliane Assassi. Parce que c'est la France !
M. Brice Hortefeux, ministre. Pourquoi faudrait-il s'interdire, par exemple, de réfléchir à un système similaire à celui que les Britanniques mettent en oeuvre ? L'année dernière, dans ce pays, 10 000 tests ADN ont été pratiqués dans le cadre de demandes de visa. Peut-on en conclure que la Grande-Bretagne travailliste ne respecte pas les droits de l'homme ? (Nouvelles protestations sur les mêmes travées.)
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. La Suisse pratique l'euthanasie et pas la France !
Mme Éliane Assassi. Et la peine de mort aux États-Unis et en Chine ?
M. Brice Hortefeux, ministre. Dans mon esprit, mesdames les sénatrices, il ne faut pas systématiquement copier à l'identique.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Voilà !
M. Brice Hortefeux, ministre. Je pense simplement que, sauf parti pris idéologique, rien ne justifie de rejeter d'emblée un système pratiqué par les travaillistes britanniques, par les socialistes espagnols, par la gauche italienne, par la coalition démocrate-chrétienne et social-démocrate allemande.
M. Jean-Luc Mélenchon. Il n'est pas honteux d'avoir un parti pris idéologique !
M. Brice Hortefeux, ministre. Le débat ne doit pas être interdit et il doit être, autant que possible, rationnel et précis.
Il s'agit, en réalité, de donner un droit nouveau aux étrangers de bonne foi. (Rires sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. Dominique Braye. Eh oui !
Mme Alima Boumediene-Thiery. Il fallait oser, mais il l'a fait !
M. Brice Hortefeux, ministre. Si je peux comprendre les doutes de plusieurs d'entre vous, si j'entends chacun et souhaite rester à l'écoute de tous, je voudrais aussi attirer l'attention sur quelques idées qui ont pu alimenter des malentendus - j'espère que ce n'est que cela - ou des polémiques inutiles.
Tout d'abord, il n'a jamais été envisagé d'obliger une personne à passer un test ADN avant d'obtenir son visa. Le dispositif adopté par l'Assemblée nationale ne prévoit aucune obligation, il définit seulement une faculté. Le consentement exprès des personnes doit naturellement être recueilli. (Mme Catherine Tasca s'exclame.)
De plus, la création de ce test n'empêcherait nullement les enfants régulièrement adoptés de rejoindre leur famille en France. Cette préoccupation a été très largement exprimée. Je rappelle que le test serait décidé à l'initiative du demandeur de visa, c'est-à-dire à l'initiative du représentant légal de l'enfant. S'il est adopté, logiquement, le représentant légal de l'enfant ne demanderait pas le test ! Le texte n'aurait donc aucune incidence pour les enfants adoptés : comme c'est le cas aujourd'hui, ces derniers pourraient entrer en France au titre du regroupement familial si l'acte d'état civil est probant.
Surtout, j'ai souhaité que l'amendement voté à l'Assemblée nationale soit entouré d'un certain nombre de garanties.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Renoncez !
M. Brice Hortefeux, ministre. J'ai tenu à ce qu'il soit bien précisé que c'est à l'initiative du demandeur de visa, ou de son représentant légal, que le test ADN serait proposé : cela signifie concrètement que c'est non pas le consul mais l'étranger qui propose de passer le test, soit qu'il n'ait pas d'acte d'état civil, soit que le consul exprime un doute sérieux sur l'état civil.
Mme Alima Boumediene-Thiery. Soyez crédible !
M. Brice Hortefeux, ministre. Le test ADN n'a qu'un objet : apporter un élément de preuve d'une filiation déclarée.
J'ai souhaité, de plus, que la procédure ait un caractère expérimental.
D'abord, elle ne doit s'appliquer que dans un nombre restreint de pays : il est sage de procéder par étape avant d'envisager une généralisation. Cette approche permettrait de s'appuyer sur l'expérience de nos partenaires européens, en mettant en oeuvre le test dans des pays où d'autres États européens le pratiquent également. J'ai relevé, par exemple, que le Royaume-Uni, qui propose le test dans tous les pays du monde, le pratiquait tout particulièrement au Pakistan, en Éthiopie, au Ghana, en Ouganda et en République démocratique du Congo.
Limitée géographiquement, l'expérience doit aussi être limitée dans le temps. Le Parlement devrait à nouveau débattre du dispositif des tests ADN après une période d'application provisoire de deux ou trois ans...
M. Jacques Mahéas. Vous n'aurez convaincu personne !
M. Brice Hortefeux, ministre. ... et après avoir pris connaissance d'une évaluation effectuée, en toute indépendance, par une « commission de sages ». J'avais dans un premier temps pensé à un rapport du Gouvernement, mais j'ai préféré modifier le projet de loi sur ce point. Cette commission pourrait comprendre deux députés, deux sénateurs, le vice-président du Conseil d'État, le Premier président de la Cour de cassation, le président du Comité consultatif national d'éthique et deux personnalités qualifiées désignées par le Premier ministre.
À l'issue des débats qui ont eu lieu, notamment au sein de la commission des lois, je pense que d'autres garanties peuvent être apportées au dispositif des tests ADN. J'ai entendu les arguments avancés, depuis dix jours, émanant de plusieurs membres de la Haute Assemblée. Je pense notamment à ceux qui ont été exprimés par M. Portelli.
Je tiens à remercier M. Jean-Jacques Hyest de présenter un amendement qui me paraît répondre très précisément et très sagement aux interrogations qui ont été exprimées. (Très bien ! sur les travées de l'UMP.)
M. Bernard Frimat. La commission ne l'a pas adopté !
M. Brice Hortefeux, ministre. Je lui laisserai, naturellement, le soin de l'exposer plus en détail. Permettez-moi simplement de relever son apport essentiel : un régime d'autorisation du test ADN par l'autorité judiciaire.
M. Adrien Gouteyron. Très bien !
M. Brice Hortefeux, ministre. Comme vous le savez, en matière civile, l'identification d'une personne par ses empreintes génétiques ne peut être recherchée qu'en exécution d'une mesure d'instruction ordonnée par le juge judiciaire. Il est nécessaire, j'en suis convaincu désormais, qu'il en soit de même pour les tests ADN susceptibles d'être pratiqués à la demande des personnes sollicitant un visa.
Le dispositif des tests ADN doit donc être entouré de toutes les garanties qu'offre la décision de l'autorité judiciaire, protectrice des libertés individuelles, des intérêts de la famille et des enfants.
M. Paul Blanc. Très bien !
M. Brice Hortefeux, ministre. Autrement dit, les tests ADN effectués par des étrangers dans le cadre d'une demande de visa le seront selon des règles identiques, dans leur principe, à celles des tests ADN actuellement proposés aux Français dans le cadre du code civil. Ce sera donc le juge civil, saisi par le consul lui-même saisi d'une demande par l'étranger souhaitant obtenir un visa, qui décidera de faire pratiquer, ou non, ce test ADN.
Mme Catherine Tasca. Cela va alléger la charge des tribunaux !
M. Brice Hortefeux, ministre. Vous ne pouvez pas demander que le dispositif soit à la fois léger et protecteur : il ne faut pas oublier un argument pour essayer d'en avancer un autre ! (Mme Nicole Bricq s'exclame.)
M. Jacques Mahéas. Le dispositif sera lourd et inefficace !
M. Brice Hortefeux, ministre. Chacun souhaitait que le dispositif soit protecteur, c'est le sens de la proposition qui est avancée.
Il me paraît de même tout à fait raisonnable, monsieur Mercier, que la faculté de recourir aux tests ADN soit limitée à la recherche d'une filiation déclarée avec la mère du demandeur de visa. (Vives protestations sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C'est une mesure discriminatoire entre les hommes et les femmes ! (M. Dominique Braye s'exclame.)
M. Brice Hortefeux, ministre. L'Assemblée nationale avait souhaité que l'identification par empreintes génétiques permette d'apporter un élément de preuve d'une filiation déclarée avec au moins l'un des deux parents - le père, ou la mère -, ou les deux parents.
Mme Nicole Bricq. Cela ne vous étrangle pas de dire cela ?
M. Josselin de Rohan. Du calme, nous n'en sommes qu'au début de la session ! (Sourires.)
M. Brice Hortefeux, ministre. Il convient de préciser que seule la filiation avec la mère pourra être prouvée par le test et produite au soutien d'une demande de visa.
De la sorte, le choix de recourir aux tests ADN ne saurait aboutir à la révélation, pour un père, qu'il n'est pas le père biologique de ses enfants.
M. Charles Revet. Eh oui !
M. Brice Hortefeux, ministre. Ce point avait été longuement évoqué en commission des lois.
Il me semble, en outre, que le remboursement du test ADN par l'État est nécessaire, afin de ne pas pénaliser les demandeurs de visa sollicitant de bonne foi un test ADN mais n'ayant pas les moyens de le financer.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Article 40 !
M. Brice Hortefeux, ministre. Volontariat, expérimentation, décision du juge, limitation à la maternité, gratuité : autant d'avancées qui, au total, font du test ADN un droit nouveau, qui sera utile aux demandeurs de visas de bonne foi.
Permettez-moi de conclure sur une dernière réflexion. Je l'ai dit devant l'Assemblée nationale et le dis désormais devant la Haute Assemblée, le Gouvernement réfléchit à des modifications constitutionnelles destinées à mener à bien la transformation de la politique française de l'immigration.
Vous le savez, le Président de la République a souhaité que nous parvenions à établir chaque année, après un débat au Parlement, des quotas d'immigration, c'est-à-dire un chiffre plafond d'étrangers que la France accueillerait sur son territoire.
Mme Nicole Bricq. À l'heure de la mondialisation, cela ne veut rien dire !
M. Brice Hortefeux, ministre. La mise en place de quotas a deux objectifs précis. Elle doit tout d'abord permettre une maîtrise globale de l'immigration en France, en fixant un objectif quantitatif d'entrées de migrants conforme aux capacités d'accueil de notre pays. Elle est ensuite destinée à obtenir un équilibre entre les différentes composantes de l'immigration et entre les grandes régions de provenance des flux migratoires dans notre pays.
Je mesure naturellement l'importance du débat qui s'ouvre aujourd'hui devant vous. La représentation nationale est saisie d'une question essentielle, puisque l'immigration d'aujourd'hui dessine le visage qu'aura notre pays dans les décennies à venir. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP ainsi que sur certaines travées de l'UC-UDF.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. François-Noël Buffet, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis 2003, notre pays se dote progressivement d'une politique migratoire structurée, après avoir longtemps balancé entre le mythe de « l'immigration zéro » et une certaine résignation à subir les bouleversements d'un monde de plus en plus ouvert à la libre circulation des biens et des idées et traversé de mouvements migratoires puissants.
Quatre lois récentes ont posé les bases de cette politique migratoire : la loi du 26 novembre 2003 relative à la maîtrise de l'immigration, au séjour des étrangers en France et à la nationalité, la loi du 10 décembre 2003, modifiant la loi du 25 juillet 1952 relative au droit d'asile, la loi du 24 juillet 2006 relative à l'immigration et à l'intégration et la loi du 14 novembre 2006 relative au contrôle de la validité des mariages.
Ces lois s'articulent autour de cinq axes principaux : restaurer le droit d'asile, lutter contre l'immigration illégale, harmoniser les politiques européennes, rouvrir l'immigration de travail, aider et inciter les étrangers à s'intégrer.
Des progrès importants ont été réalisés sur ces cinq fronts, même si beaucoup reste à faire.
Ainsi, la loi du 24 juillet 2006, qui a brisé le tabou de l'immigration dite de travail et mis en place des instruments diversifiés pour attirer les meilleurs talents en France et satisfaire des besoins ciblés de l'économie française en main-d'oeuvre, est en cours d'application, des accords devant être conclus avec les entreprises des secteurs en tension de main-d'oeuvre.
Du chemin reste à parcourir pour passer d'une politique de maîtrise des flux à une politique de pilotage des flux dans un espace européen ouvert.
M. le Président de la République, dans la lettre de mission qu'il vous a adressée, monsieur le ministre, inscrit son action dans la continuité en indiquant que le coeur de la mission du ministre sera double : « conforter et approfondir la politique d'immigration choisie, telle qu'elle a commencé de se mettre en oeuvre depuis 2002, et convaincre nos partenaires de s'engager dans la définition d'une politique de gestion des flux migratoires à l'échelon européen et international ».
Elle marque ensuite une rupture à travers précisément la création d'un ministère dédié à la question des flux migratoires réunissant l'ensemble des administrations concernées. Cette réforme fondamentale de structure doit garantir la cohérence d'ensemble de la politique migratoire et d'intégration.
Le projet de loi qui est soumis à notre assemblée et dont la commission des lois est saisie au fond est moins ambitieux que les trois grandes lois précitées votées entre 2003 et 2006. Il amorce cependant une partie des réformes ou orientations nouvelles esquissées par la lettre de mission du Président de la République. Modifié par l'Assemblée nationale en première lecture, il comprend désormais 47 articles regroupés en trois chapitres, contre 18 articles seulement à l'origine.
Outre plusieurs ajustements techniques consécutifs aux lois du 26 novembre 2003 et du 24 juillet 2006, ce texte comporte plusieurs modifications importantes.
Ce projet de loi tire en particulier les conséquences de la nomination d'un ministre de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du codéveloppement en lui accordant plusieurs compétences attribuées traditionnellement aux ministres des affaires étrangères ou de l'intérieur par le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. La tutelle de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, l'OFPRA, lui est notamment transférée.
Toujours en matière de droit d'asile, ce texte met en place un recours suspensif pour les demandeurs d'asile à la frontière, comme la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme nous l'impose. La commission des lois a d'ailleurs adopté plusieurs amendements tendant notamment à porter de 24 heures à 48 heures le délai pour déposer ce recours.
L'Assemblée nationale a adopté de nombreuses dispositions nouvelles. Outre le recours à des tests ADN - j'y reviendrai -, deux d'entre elles sont plus particulièrement remarquables : la création d'un livret épargne codéveloppement et la possibilité de réaliser des études sur la mesure de la diversité ou de la discrimination sans recueillir le consentement des personnes, après autorisation de la Commission nationale de l'informatique et des libertés, la CNIL.
Mais le principal enjeu de ce projet de loi reste la maîtrise de l'immigration familiale : il s'agit de mieux la maîtriser pour mieux intégrer.
L'immigration familiale, je le rappelle, est constituée de trois principales composantes : les familles de Français, les bénéficiaires du regroupement familial et les étrangers dont les liens personnels et familiaux en France sont tels que le refus d'autoriser leur séjour porterait à leur droit au respect de leur vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus.
Avec 92 380 premiers titres de séjour délivrés à des ressortissants de pays tiers à l'Union européenne en 2005, l'immigration familiale reste le principal vecteur de l'immigration en France sur un total d'environ 187 000 titres délivrés. Un titre sur deux est délivré pour un motif familial, voire plus si l'on ne tient pas compte des 46 000 titres délivrés à des étudiants qui n'ont pas nécessairement vocation à s'installer durablement en France.
La part de l'immigration familiale a augmenté très fortement entre 2000 et 2003, du fait en particulier de l'augmentation des mariages mixtes et des régularisations en raison de liens personnels et familiaux.
Les réformes législatives de 2003 et 2006 ont profondément modifié les règles applicables aux différentes composantes de l'immigration familiale. Plusieurs préoccupations ont motivé ces réformes.
Tout d'abord, il était manifeste que certaines voies légales d'entrée en France faisaient l'objet de détournements et de fraudes.
Ainsi, les lois du 26 novembre 2003 et du 26 juillet 2006 ont mieux encadré les procédures de régularisation et allongé les délais pour l'obtention d'une carte de résident ou de la nationalité française par mariage.
Ensuite, bien que l'immigration familiale soit une immigration de droit, il n'était plus possible de laisser fluctuer « au fil de l'eau » une immigration aussi importante sans s'interroger sur notre capacité à intégrer ces primo-arrivants.
Enfin, il fallait redonner un espace, à côté de l'immigration familiale, à une immigration de travail choisie pour répondre à des besoins particuliers de notre économie. Toutefois, le propos n'est pas d'opposer immigration familiale et immigration de travail ; les titulaires d'une carte de résident ou d'une carte de séjour temporaire « vie privée et familiale » travaillent dans leur majorité et, inversement, l'immigration de travail d'aujourd'hui est le terreau de l'immigration familiale de demain.
Ces réformes ont déjà commencé à produire leurs fruits. Dès 2004, on observait une stabilisation - avec une augmentation limitée à 0,8 % - du nombre de premiers titres de séjour délivrés pour motifs familiaux après quatre années de forte hausse. En 2005, la tendance était même inversée, avec une baisse de 2,1 %.
Ces bons résultats ont été acquis alors même que la loi du 24 juillet 2006 relative à l'immigration et à l'intégration, et la loi du 14 novembre 2006, relative au contrôle de la validité des mariages, n'avaient pu évidemment produire encore tous leurs effets.
Simultanément a été élaboré un véritable parcours individuel d'intégration, dont les premiers résultats sont très bons. La politique d'intégration des étrangers, en particulier des primo-arrivants, est le prolongement logique de la politique de maîtrise des flux.
Les premiers résultats du contrat d'accueil et d'intégration, le CAI, obligatoire depuis le 1er janvier, sont plutôt encourageants, même si des ajustements restent à faire, notamment sur la qualité de certains prestataires de formations.
Comme j'ai pu le constater en assistant à une journée d'accueil des étrangers sur la plateforme d'accueil de l'Agence nationale d'accueil des étrangers et des migrations, l'ANAEM, à Paris, les signataires semblent apprécier le déroulement de cette journée.
Fort de ce constat encourageant, l'Assemblée nationale a inséré plusieurs dispositions consolidant ce contrat. Le bilan de compétences professionnelles a notamment été rendu obligatoire.
Ces réformes étaient nécessaires. Le projet de loi les complète sur plusieurs points.
En premier lieu, pour les familles, l'article 3 crée un contrat d'accueil et d'intégration ad hoc en plus du contrat d'accueil et d'intégration existant. Les parents d'enfants bénéficiaires du regroupement familial devront conclure avec l'État un contrat d'accueil et d'intégration pour la famille. La seule obligation liée à ce contrat sera de suivre une formation sur les droits et les devoirs des parents en France. Aussi courte et modeste que sera cette formation, elle devra faire prendre conscience d'un projet commun d'intégration englobant l'ensemble des membres de la famille.
La commission des lois vous propose d'ajouter à cette obligation celle de respecter l'obligation scolaire.
En deuxième lieu, les articles 1er et 4 du projet de loi complètent ce dispositif en prévoyant que les personnes âgées de plus de seize ans souhaitant rejoindre la France dans le cadre du regroupement familial ainsi que les conjoints étrangers de Français seraient désormais soumis, dans les pays de résidence, à une évaluation de leur degré de connaissance de la langue française et des valeurs de la République avant leur entrée en France.
La maîtrise de la langue française est un vecteur fondamental de l'intégration. La formation dispensée dans le cadre du CAI est très bonne, mais elle intervient parfois plusieurs semaines après l'entrée en France. Il peut être préférable de commencer l'apprentissage dans le pays d'origine. Le premier contact avec notre pays ne doit pas provoquer de réactions de repli.
Des craintes ont été exprimées par plusieurs associations sur les contraintes matérielles que ce dispositif pourrait faire peser sur certains étrangers. Toutefois, compte tenu de l'importance du réseau culturel français à l'étranger, les difficultés devraient être assez mineures dans l'immense majorité des cas. L'immigration en France pour rejoindre son conjoint étranger signifie un changement de vie bien plus considérable que l'obligation de suivre une formation linguistique pendant deux mois. L'effort demandé est justement le moyen pour que l'étranger prenne conscience du bouleversement à venir et de la nécessité d'une démarche active pour s'intégrer.
Sous réserve d'un amendement de précision, la commission a donc approuvé ce dispositif appliqué aux membres de la famille d'un étranger qui bénéficient du regroupement familial.
En revanche, elle a considéré que l'obligation, pour les conjoints de Français, de passer un test de langue et de connaissance des valeurs de la République et de suivre le cas échéant une formation n'était pas adaptée.
La commission a en particulier estimé que les conjoints de Français devaient bénéficier d'une présomption d'intégration et qu'ils ne pouvaient être traités exactement comme des conjoints d'étranger. En outre, l'apprentissage du français devrait se faire plus efficacement en France auprès du conjoint français que seul dans le pays d'origine. J'ajoute que les conjoints étrangers de ressortissants communautaires venant s'installer en France ne seraient pas soumis à cette obligation.
En troisième lieu, l'article 2 du projet de loi renforce les conditions du regroupement familial.
Les lois du 26 novembre 2003 et du 24 juillet 2006 ont encadré le bénéfice du regroupement familial dans des règles plus strictes afin de créer les conditions d'une intégration réussie en France.
Les derniers chiffres relatifs au nombre d'entrées en France au titre du regroupement familial indiquent un infléchissement marqué du nombre de bénéficiaires. Ce nombre a connu une forte baisse en 2006. De 27 267 en 2002, il est tombé à 22 978 en 2005 et à 18 140 en 2006. Les premiers chiffres pour 2007 confirment d'ailleurs cette décrue.
Malgré ces premiers résultats et le changement très récent des conditions du regroupement familial, l'article 2 du projet de loi vise à instaurer une nouvelle modification des conditions de ressources exigées pour bénéficier du regroupement familial.
Depuis la loi du 26 novembre 2003, les ressources doivent atteindre un montant au moins égal au salaire minimum de croissance mensuel, sans qu'il soit tenu compte des prestations familiales éventuellement perçues. La loi du 24 juillet 2006 a exclu du calcul des ressources d'autres prestations sociales.
La taille de la famille est également prise en compte dans l'appréciation des conditions de vie réelles. La superficie requise pour le logement familial varie en fonction du nombre de personnes composant le foyer. Un décret du 8 décembre 2006 a d'ailleurs sensiblement renforcé les conditions de logement.
Toutefois, considérant que ce dispositif était encore insuffisant, les auteurs du projet de loi introduisent, avec l'article 2, la possibilité de moduler au-delà du SMIC les ressources exigibles en fonction de la taille de la famille. Il reviendrait à un décret de préciser l'échelle des ressources exigées en fonction du nombre de membres de la famille.
Le pouvoir réglementaire serait néanmoins encadré puisque les ressources ne pourraient ni être inférieures au SMIC ni lui être de plus de 1,2 fois supérieures.
Sur l'initiative du rapporteur de sa commission des lois, l'Assemblée nationale a prévu que le montant minimum de ressources exigibles pour des familles comptant plus de six personnes pourrait atteindre 1,33 fois le SMIC.
Je dois ici rappeler qu'à deux reprises, lors de l'examen de la loi du 26 novembre 2003 et de la loi du 24 juillet 2006, le Sénat a rejeté à l'unanimité des dispositifs similaires à celui du présent projet de loi, introduits par la voie d'amendements d'origine parlementaire à l'Assemblée nationale.
Le Sénat et la commission avaient en effet estimé à l'époque qu'il n'y avait pas lieu de distinguer, sur le plan des ressources, la situation des familles étrangères de celle des familles de Français dans la mesure où le montant du salaire minimum de croissance est considéré comme assurant un niveau de vie suffisant pour tous.
En outre, des doutes légitimes existaient quant à la constitutionnalité d'un tel dispositif.
Toutefois, il est certain qu'une famille de deux ou trois personnes n'a pas les mêmes besoins qu'une famille de plus de six personnes. Les prestations familiales qui compensent le surcoût lié à un enfant dans le budget familial y parviennent moins bien passé un certain seuil.
Pour ces raisons, la commission vous propose un amendement réaffirmant le principe du SMIC tout en tenant compte du cas, assez exceptionnel, il faut le dire, des familles de plus de six personnes. Pour celles-ci, les ressources exigées pourraient être modulées entre 1 et 1,2 SMIC.
J'en viens enfin à la disposition, très controversée, introduite par l'Assemblée nationale, qui permet le recours à des tests ADN pour prouver la filiation d'un demandeur de visa de long séjour pour raison familiale.
Cet amendement se fonde sur un constat : dans de nombreux États, la fraude documentaire, en particulier la fraude à l'état civil, est endémique. Les services consulaires sont confrontés à des difficultés extrêmes pour s'assurer de l'existence ou de l'authenticité d'un acte d'état civil étranger.
Le législateur a tenté d'apporter plusieurs réponses législatives à cette question, d'abord avec la loi du 26 novembre 2003, puis avec celle du 14 novembre 2006. Cette dernière permet à l'autorité consulaire, en cas de doute sur l'authenticité ou l'exactitude d'un acte d'état civil étranger, de procéder aux vérifications utiles pour lever ou confirmer la suspicion de fraude pendant huit mois. Au terme de ce délai, le silence vaut rejet de la demande de visa.
Cette procédure, certes nécessaire, a toutefois pour effet de retarder considérablement la délivrance des visas de long séjour aux demandeurs de bonne foi victimes d'une défaillance de l'état civil de leur pays dont ils ne sont nullement responsables. En cas d'inexistence de l'état civil, il peut même être impossible de prouver une filiation sans recourir à des procédures complexes de preuve prévues par notre droit pour assurer la sécurité juridique nécessaire dans un État de droit.
Pour sortir de cette impasse, les députés proposent donc de recourir à des tests ADN. Plusieurs sous-amendements du Gouvernement ont d'ailleurs sensiblement encadré et modifié le dispositif.
Malgré ces garanties nouvelles, la commission des lois du Sénat a estimé, lors de sa réunion du mercredi 26 septembre, que la banalisation du recours au test ADN dans les conditions prévues heurterait plusieurs principes de notre droit et remettrait en cause des équilibres patiemment construits. De telles dispositions ne peuvent être introduites sans une réflexion préalable sur leur place au regard des principes retenus par notre pays tant en matière de filiation qu'en matière de tests génétiques.
Notre droit de la famille et, en particulier, de la filiation, ne repose pas sur la seule biologie. Au-delà de l'adoption, il est possible de reconnaître et d'élever un enfant qui n'est pas biologiquement le sien. Dans ces cas, le test ne pourrait s'appliquer, ce qui risquerait d'introduire une inégalité de traitement entre demandeurs.
Il faut également songer au cas - cela ne manquera pas de se produire - du demandeur de bonne foi qui découvrira à l'occasion du test qu'il n'est pas le père biologique de son enfant. Des familles pourraient être ainsi détruites, des enfants rejetés. Ces aspects sociologiques et culturels mériteraient sans doute à eux seuls qu'une telle modification soit précédée d'une concertation préalable avec certains pays d'origine.
Plus juridiquement, les lois dites « bioéthiques » de 1994 et de 2004 encadrent très rigoureusement les conditions dans lesquelles il peut être procédé à l'identification d'une personne au moyen de ses empreintes génétiques : cela n'est possible qu'à des fins médicales ou de recherches scientifiques, ou dans le cadre d'une procédure judiciaire, civile ou pénale. Or, le texte adopté par l'Assemblée nationale autoriserait le recours aux tests ADN dans un cadre exclusivement administratif. Pourrait alors être remis en cause un équilibre législatif prudemment élaboré.
Au vu de l'ensemble de ces interrogations, la commission des lois a souhaité supprimer la possibilité d'utiliser ce test, nonobstant les amendements soumis par votre serviteur, proposant notamment de recourir au Comité consultatif national d'éthique lors de la rédaction du décret.
Toutefois, au cours de la réunion de la commission, ce matin, M. Jean-Jacques Hyest a présenté un amendement tenant compte de plusieurs des objections soulevées la semaine dernière.
Tout d'abord, le test ne serait possible que pour prouver la filiation entre la mère et le demandeur de visa. Le cas où un père découvrirait qu'il n'est pas le père biologique ne pourrait donc pas se produire.
Ensuite, un contrôle de l'ensemble de la procédure par le juge serait introduit ; en l'espèce, c'est le président du tribunal de grande instance de Nantes qui serait compétent pour autoriser, après en avoir vérifié la nécessité, le recours au test ADN. Cette mesure s'inscrit donc dans la logique de notre droit positif.
Enfin, l'expérimentation serait réduite à dix-huit mois, et le décret serait pris après avis du Comité consultatif national d'éthique.
Cette proposition a été longuement débattue par la commission. Il a notamment été proposé par notre collègue Pierre Fauchon de prévoir la possibilité d'établir la filiation par la possession d'état, le recours au test ADN ne devant être que l'ultime solution.
Si certains commissaires ont reconnu que cette solution allait dans le bon sens, en particulier parce la procédure serait ainsi placée sous le contrôle du juge, d'autres ont estimé que le dispositif proposé continuait de heurter notre droit de la filiation du fait qu'il autoriserait pour les étrangers le recours à une technique prohibée pour les personnes résidant en France.
La commission, n'ayant pu se départager à l'issue de ce débat, n'a pas émis d'avis sur l'amendement n° 203.
M. Gérard Delfau. Pas d'avis, c'est un avis !
M. François-Noël Buffet, rapporteur. Il revient donc à notre assemblée, réunie en séance plénière, de trancher.
Avant de clore mon propos, monsieur le ministre, mes chers collègues, je souhaiterais attirer votre attention sur la nécessité de consolider la Commission des recours des réfugiés, la CRR.
L'indépendance de cette commission est largement reconnue, et la proportion de décisions de l'OFPRA qu'elle annule en témoigne. Pourtant, elle souffre d'une apparence contraire en raison de son mode de fonctionnement et de financement.
En effet, l'établissement public OFPRA comporte deux entités, créées par la même loi : l'OFPRA proprement dit, qui remplit les missions précitées, et la Commission des recours des réfugiés. Le budget de cette dernière est donc inclus dans la dotation budgétaire allouée à l'OFPRA : le contrôlé finance le contrôleur ! En outre, les rapporteurs de la CRR, qui présentent à la formation de jugement les dossiers sur lesquels elle doit statuer, appartiennent statutairement au même corps que les officiers de protection de l'OFPRA qui prennent la décision d'accorder ou non le statut de réfugié ; la procédure disciplinaire est également commune.
Cette apparente non-indépendance de la CRR pourrait conduire à la condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l'homme. La réforme est donc indispensable.
Le Gouvernement envisage, à partir de la loi de finances pour 2009, de rattacher le budget de la CRR au programme « Conseil d'État et autres juridictions administratives », de façon qu'il ne soit plus fondu dans celui de l'OFPRA. Cette évolution mérite d'être saluée, même si l'on peut regretter qu'elle ne puisse être réalisée dès le budget pour 2008 : des problèmes liés à la passation de marchés publics et aux règles comptables s'y opposeraient. En dépit des obstacles invoqués, j'espère qu'il sera possible d'aller plus vite et d'assurer l'autonomie budgétaire de la CRR dès 2008.
Cette réforme doit également être l'occasion de titulariser une partie des magistrats qui exercent au sein de la CRR comme vacataires. De même, les rapporteurs de la Commission des recours ne devraient plus appartenir au même corps que les officiers de protection de l'OFPRA.
Pour donner le coup d'envoi de ces réformes à venir, l'Assemblée nationale, sur proposition du rapporteur de la commission des lois, a souhaité changer la dénomination de la Commission des recours des réfugiés, qui prendrait désormais le nom de « Cour nationale du droit d'asile ». En ma qualité de rapporteur comme à titre personnel, j'approuve pleinement cette initiative.
En revanche, il est regrettable que les députés aient adopté simultanément un amendement réduisant de un mois à quinze jours le délai de recours devant cette même commission. Lors de la discussion de la loi du 24 juillet 2006, le Sénat avait précisément tenu à inscrire dans la loi ce délai de un mois, compte tenu de l'importance qu'il revêt quand il s'agit de constituer un dossier argumenté. La commission des lois vous proposera donc, mes chers collègues, un amendement visant à maintenir le délai de un mois pour les recours.
La réduction des délais de procédure ne doit peser ni sur les demandeurs d'asile ni sur les magistrats : elle doit passer par une réflexion sur l'organisation et les moyens de fonctionnement de la Commission des recours.
Je souhaiterais qu'à l'occasion de la réforme de l'organisation et du fonctionnement de la Commission s'engage une réflexion sur son champ de compétence. Certes, cela ne figure pas dans le texte, mais une piste pourrait être ouverte. La Commission de recours est en effet la juridiction spécialisée en matière de droit d'asile. On pourrait dès lors trouver une certaine cohérence à ce que lui soient confiés les recours contre les décisions de refus d'entrée sur le territoire au titre de l'asile. Monsieur le ministre, un groupe de travail pourrait être utilement constitué sur l'attribution, à terme, de cette compétence à la future « cour nationale du droit d'asile ».
Mes chers collègues, sous réserve de l'adoption des vingt-sept amendements qu'elle vous soumettra, la commission des lois vous propose de voter le projet de loi. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
(M. Philippe Richert remplace M. Christian Poncelet au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. Philippe Richert
vice-président
M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe Union pour un mouvement populaire, 77 minutes ;
Groupe socialiste, 49 minutes ;
Groupe Union centriste-UDF, 19 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 15 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 12 minutes ;
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous voilà donc réunis en ce tout début de session ordinaire pour examiner le projet de loi relatif à la maîtrise de l'immigration, à l'intégration et à l'asile, le énième texte sur le sujet, qui vise à durcir les conditions à remplir pour bénéficier du regroupement familial, d'une part, et à remettre en cause le droit d'asile, d'autre part.
Permettez-moi tout d'abord de rappeler le contexte dans lequel s'inscrit l'examen de ce texte, car il donne un éclairage saisissant sur l'obstination, voire l'obsession du Gouvernement en matière d'immigration.
Eu égard au contexte économique du pays, où ni la croissance ni l'amélioration du pouvoir d'achat ne sont au rendez-vous, où le chômage est en hausse, où les cadeaux fiscaux ne bénéficient qu'aux nantis, où le Gouvernement et sa majorité n'ont de cesse de « casser » ce qui forme le modèle social de la France - code du travail, régime des retraites, protection sociale, statut de la fonction publique -, il fallait bien, en cette rentrée parlementaire, détourner l'attention des Françaises et des Français et leur désigner sinon un responsable, du moins un ennemi potentiel, de préférence étranger et originaire du continent africain.
Quoi de mieux, dans ces conditions, qu'un projet de loi sur l'immigration prônant le rejet de l'autre, véritable pendant de la politique libérale du Gouvernement et de toutes les régressions sociales et antidémocratiques qui l'accompagnent ? Quoi de mieux pour faire passer cette politique que d'opposer les gens entre eux : les étrangers aux Français, les jeunes aux seniors, les employés du secteur public à ceux du secteur privé, par exemple ?
Le Gouvernement a donc convoqué le Parlement en session extraordinaire dès le 18 septembre dernier, essentiellement pour faire adopter son texte sur l'immigration, sur lequel il a de surcroît déclaré l'urgence. Pourtant, où est l'urgence en l'espèce ? La France serait-elle menacée par une invasion imminente d'étrangers ? Notre pays serait-il dénué de toute législation en la matière ? Pas du tout ! Il ne faut pas oublier que le présent texte est le quatrième en quatre ans ni que le regroupement familial et le droit d'asile ont déjà fait l'objet de restrictions sévères en 2003 et en 2006, sans parler de la loi sur le contrôle de la validité des mariages...
Nous légiférons donc une fois encore sur le même sujet sans disposer d'un bilan de l'application des lois antérieures. Pis : le présent texte n'est pas encore voté, monsieur le ministre, que vous annoncez déjà une nouvelle réforme, constitutionnelle, cette fois-ci, afin d'imposer les quotas d'étrangers en France - comme on impose les quotas laitiers ! -, alors que, derrière ces mots dénués de toute humanité, c'est de la vie de femmes, d'enfants et d'hommes qu'il est question.
Votre projet de loi, monsieur le ministre, intervient dans un contexte marqué par la politique du chiffre que mène le Gouvernement en matière d'expulsions du territoire, politique inhumaine s'il en est. Les objectifs chiffrés - 25 000 expulsions d'ici à la fin décembre 2007 - n'étant pas atteints, vous avez réuni les préfets pour les exhorter à « faire du chiffre » et à remplir les objectifs annoncés par votre prédécesseur, aujourd'hui Président de la République, alors que le législateur n'a jamais inscrit de tels chiffres dans quelque loi que ce soit.
Pour y parvenir, tous les moyens sont permis : outre la fameuse circulaire de février 2006 autorisant les arrestations de sans-papiers dans les préfectures, les hôpitaux ou les centres d'hébergement, le nombre de places en centres de rétention administrative est prévu à la hausse afin qu'il soit possible d'expulser plus de personnes. Certains préfets sont allés jusqu'à écrire aux maires ayant organisé des parrainages de sans-papiers pour les informer qu'ils étaient susceptibles d'être poursuivis pénalement pour aide au séjour irrégulier. On assiste à la multiplication des poursuites à l'encontre des « délinquants de la solidarité ». Les vols groupés, organisés à l'abri des regards de l'opinion publique, ont repris...
La chasse à l'homme, à la femme, à l'enfant sans papiers est ouverte. La terreur est telle chez les sans-papiers et leur famille que deux personnes - un enfant et une femme, qui est décédée - se sont défenestrées par peur des fonctionnaires de police venus les contrôler à leur domicile. C'est inadmissible, c'est scandaleux !
Le décor est planté : voilà donc, monsieur le ministre, mes chers collègues, à quoi mène votre politique sécuritaire à l'égard d'une certaine partie de notre population. Mais cela ne vous suffit pas, cela ne vous suffit plus. Comme vous ne pouvez pas décréter « l'immigration zéro » ni fermer les frontières ; comme, dans le même temps, vous avez un tant soit peu besoin, pour certains secteurs de notre économie où elle fait défaut, d'une main-d'oeuvre peu regardante sur les conditions de travail et sur les salaires, vous avez « choisi » de privilégier la seule immigration de travail, c'est-à-dire sans la famille, car seule la force de travail vous intéresse.
Pour ce faire, vous multipliez les obstacles - vous justifiez la démarche par des motifs plus fallacieux les uns que les autres - afin d'empêcher femme et enfants de venir rejoindre un époux, un père travaillant sur le territoire français. Il s'agit là d'un tournant radical, d'un changement idéologique profond dans la politique de l'immigration de la France. Cette tendance était certes déjà en marche, mais on fait aujourd'hui un sacré « bond en avant » vers le projet de société que vous voulez nous imposer.
C'est une véritable déclaration de guerre qui est faite aux étrangers. Mais pas contre les clandestins ni les illégaux, encore moins contre les trafiquants ou les passeurs, non, non ! Sont ici visés, d'une part, des étrangers régulièrement installés sur notre territoire, qui y travaillent, et qui veulent - c'est la moindre des choses ! - faire venir leur famille en France, et, d'autre part, des demandeurs d'asile ayant fui la misère, la famine, la guerre, qui règnent dans leur pays d'origine.
Ce que vous voulez, c'est privilégier la présence en France d'hommes triés sur le volet, jeunes, célibataires, sans charge de famille, en bonne santé, bien souvent taillables et corvéables à merci. Pas de problème de logement, pas de problème de scolarisation des enfants, c'est économique pour les allocations familiales autant que pour la sécurité sociale... Et, ce qui est également positif, à vos yeux, c'est que, en travaillant en France, l'étranger - sans charge de famille - pourra, grâce au livret épargne codéveloppement et au compte épargne codéveloppement, envoyer de l'argent dans son pays d'origine afin de contribuer au développement de celui-ci : la boucle est bouclée !
Une telle approche économique de l'étranger, à la fois utilitariste et opportuniste, ne peut que conduire à l'échec.
Avec votre texte, monsieur le ministre, des étrangers qui ont pourtant vocation à vivre en France vont se trouver placés devant un parcours semé d'obstacles difficiles à franchir. Ces obstacles, quels sont-ils ? Je n'aborderai ici que les plus symptomatiques de votre politique.
S'agissant, en premier lieu, des freins au regroupement familial, je commencerai évidemment par évoquer la disposition la plus honteuse pour notre pays, celle qui est relative aux tests génétiques.
Décriée par beaucoup à gauche comme à droite ainsi que par la communauté scientifique, religieuse et intellectuelle, cette mesure proposée prétendument pour « faciliter la délivrance de visas », bafoue en réalité nos principes éthiques et juridiques et s'attaque tout simplement à la dignité humaine.
Même avec les corrections que le Gouvernement tente de faire passer par l'entremise de certains sénateurs, même avec vos arguments, qui ne sont pas convaincants mais qui visent à troubler des élus de la majorité, je le dis avec force : cette mesure, parce qu'elle est discriminatoire, parce qu'elle est contraire à plusieurs conventions internationales et parce qu'elle n'est conforme ni à notre tradition humaniste ni à nos valeurs républicaines, cette mesure doit être supprimée, et le vote de la commission des lois du Sénat, la semaine dernière, doit être confirmé en séance publique. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
Si le Sénat ne le confirmait pas, non seulement il n'en sortirait pas grandi...
M. Jean-Patrick Courtois. Si, si !
Mme Éliane Assassi. ...mais de surcroît il prendrait le risque d'ouvrir la voie à l'élargissement de cette pratique à d'autres domaines, par exemple au versement des allocations familiales.
Cette mesure doit absolument être supprimée de ce projet de loi.
Autre frein au regroupement familial : la connaissance de la langue française et des valeurs de la République, soi-disant « pour éviter le communautarisme et favoriser l'intégration ». Comment demander à des étrangers de connaître nos valeurs républicaines quand toute votre politique tourne précisément le dos aux valeurs les plus sacrées, les plus ancrées dans notre République, et qui ont pour nom : liberté, égalité, fraternité, solidarité, coopération, respect du « vivre ensemble » ?
Nombre de questions restent entières quant au dispositif proposé : où, quand, comment et par qui va s'effectuer l'évaluation du degré de connaissance et, en cas de nécessité, la formation ? Qui va prendre en charge cette formation ?
Obstacle supplémentaire, le texte revoit à la hausse les conditions de ressources hors allocations familiales pour bénéficier du regroupement familial et les module en fonction de la taille de la famille. Là où avant on exigeait un SMIC, le projet de loi initial exigeait 1,2 SMIC. Le rapporteur du projet de loi à l'Assemblée nationale a cru bon de faire de la surenchère en l'espèce en précisant : « 1,2 SMIC pour une famille de moins de six personnes et 1,33 SMIC pour une famille de six personnes ou plus ». Qui dit mieux ?
Certains parlementaires souhaitent aller jusqu'à exiger deux SMIC ! Il s'agirait, selon l'argument avancé par les défenseurs de cette trouvaille, d'éviter que les familles concernées ne tombent sous la coupe de marchands de sommeil. Quelle bienveillance !
Le caractère éminemment discriminatoire de cette mesure saute pourtant aux yeux : on exigerait des familles étrangères qu'elles disposent de ressources plus importantes que les familles françaises.
N'est-ce pas pourtant en vertu du caractère discriminatoire de cette mesure que notre Haute Assemblée a repoussé par deux fois en 2003 et 2006 des propositions similaires ?
Obstacle encore avec la création d'un contrat d'accueil et d'intégration à destination des familles, à l'instar de ce qui a été inventé pour les primo-arrivants. Je voudrais insister ici sur le fait que cette exigence supplémentaire sera sanctionnée en cas de non-respect des stipulations du contrat par la suspension du versement des allocations familiales et qu'il en sera tenu compte lors du renouvellement de la carte de séjour des intéressés pour le leur refuser.
Autrement dit, cette mesure - là encore discriminatoire - revient à exiger davantage des familles étrangères que des familles françaises.
Avec une telle disposition, une épée de Damoclès planera sur les familles concernées jusqu'au renouvellement de leur carte de séjour. Des personnes en situation régulière pourront ainsi se retrouver du jour au lendemain sans titre de séjour !
C'est vraiment inadmissible et incompréhensible. Sachant qu'en 2006 le regroupement familial a concerné 23 000 personnes environ dont 9 000 enfants, où est le problème ?
La seule justification de ce projet de loi est de mettre des barrières supplémentaires au regroupement familial et de stigmatiser une certaine frange de la population. Votre texte, monsieur le ministre, va surtout précariser les femmes, dans la mesure où 80 % environ des conjoints rejoignants sont les épouses, ainsi que les enfants, qui ne sont pas épargnés par votre politique d'immigration dévastatrice et qui en sont même les premières victimes.
J'ajoute que les étrangers conjoints de Français ne sont pas plus épargnés par votre texte dans lequel vous avez osé, d'une part, réintroduire l'obligation de retour au pays pour les conjoints désirant obtenir un visa de long séjour et, d'autre part, leur imposer l'apprentissage de la langue française.
En ce qui concerne maintenant le droit d'asile, déjà réformé et restreint à plusieurs reprises, la démarche est la même. Sous des prétextes tout aussi fallacieux que celui qui consiste à invoquer le trop grand nombre de faux demandeurs d'asile, vous multipliez les obstacles. Faut-il rappeler que l'asile est la protection offerte par un pays à des personnes persécutées pour des motifs liés à la race, à la religion, à la nationalité, à l'appartenance à un certain groupe social ou encore en raison de leur opinion politique, ce qui n'a a fortiori rien à voir avec les questions liées à l'immigration et doit en être, par conséquent, détaché ?
Or votre texte, monsieur le ministre, opère sciemment une confusion entre l'exercice d'un droit inaliénable, le droit d'asile régi par la convention de Genève de 1951 pour des personnes en danger fuyant leur pays, et la question de l'immigration.
Cette confusion a été institutionnalisée par le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, la création d'un ministère de l'immigration intégrant l'asile et, avec le présent texte, la mise de l'OFPRA sous tutelle du ministère de l'immigration, alors que l'Office dépendait du ministère des affaires étrangères.
On s'éloigne ici vraiment de la France terre d'asile, de la France patrie des droits de l'homme !
La portée du droit d'asile avait pourtant déjà fait l'objet de restrictions ces dernières années avec l'introduction de notions telles que celles d'acteurs de protection, d'asile interne, de pays d'origine sûrs, de protection subsidiaire, sans parler de la mise en oeuvre de la procédure prioritaire ni de la multiplication des rejets au motif que la demande est manifestement infondée.
Il n'était vraiment pas besoin d'en rajouter. C'est pourtant ce que fait votre texte s'agissant, par exemple, du raccourcissement du délai de recours contre des décisions de l'OFPRA, rendant ce droit au recours totalement ineffectif, de l'application aux déboutés du droit d'asile de l'obligation de quitter le territoire français, l'OQTF, enfin de la mise en conformité a minima - vingt-quatre heures au lieu de quarante-huit heures - de la procédure de recours contre une décision de refus d'entrée sur le territoire français au titre de l'asile.
Pourquoi prévoir tant d'obstacles à l'accès à un droit aussi fondamental que le droit d'asile ? Faut-il rappeler que les mouvements migratoires se font pour l'essentiel dans un axe sud-sud et dans une moindre mesure sud-nord ? Les personnes déplacées ont, en effet, davantage tendance à aller se réfugier dans les pays voisins, ce que confirment pour l'année 2006 les statistiques du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, le HCR, qui relève que 63 % des 9,9 millions de réfugiés du monde se trouvent en Afrique et en Asie et seulement 18 % en Europe.
Vous le savez, on ne change pas les trajectoires migratoires à coup d'articles de loi. Si vous ne voulez pas accueillir toute la misère du monde, alors faisons en sorte d'éradiquer cette misère !
En France, il faut redonner du sens aux mots « accueil », « intégration ». Pour une meilleure intégration, il faut d'abord stabiliser le droit au séjour, et non l'inverse.
N'ayons pas peur d'octroyer certains droits fondamentaux comme le droit de vote pour les résidents étrangers sous certaines conditions ; mettons en place un vrai droit de formation à la langue du pays d'accueil ; respectons le droit de vivre en famille, les droits de l'enfant, les engagements nationaux et internationaux pris par la France, ce que ne fait pas votre texte, monsieur le ministre, et il a encore été aggravé par l'Assemblée nationale. De nombreuses dispositions aussi stigmatisantes que perverses - nous en demanderons la suppression - ont, en effet, été insérées par les députés, mais je ne m'y attarderai pas, faute de temps.
Toutefois, avec ce texte, qui comporte désormais 47 articles quand il n'en comptait que 18 à l'origine, il s'agit bel et bien d'un retour en arrière, qui plus est aux relents colonialistes. Ce qui n'est guère étonnant de la part d'une majorité qui, il n'y a pas si longtemps - rappelons-le - voulait que soit souligné dans la loi « le rôle positif de la colonisation »
M. Christian Demuynck. C'est vrai !
Mme Éliane Assassi. D'une manière plus générale, la politique que vous menez est un retour au Moyen Âge avec la restauration des privilèges pour les riches et rien pour les plus démunis !
Vous l'aurez compris, les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen voteront contre le présent projet de loi.
Mes chers collègues, dans vingt jours, nous serons plusieurs ici à nous rendre dans les lycées pour lire aux élèves la lettre de Guy Môquet à sa famille.
Je me permets simplement de vous rappeler ses dernières pensées : « Vous tous qui restez, soyez dignes de nous ... » (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Georges Othily.
M. Georges Othily. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le texte que nous examinons aujourd'hui, le quatrième en quatre ans, répond aux attentes clairement affirmées il n'y a pas si longtemps par nos concitoyens aux dernières élections présidentielles.
M. Jean-Patrick Courtois. Très bien !
M. Georges Othily. Notre pays s'honore d'être une terre de refuge depuis de nombreuses décennies et il doit le rester. Mais, pour cela, il est nécessaire de mettre en place une véritable politique migratoire, en d'autres termes de mieux encadrer pour mieux maîtriser. Vous comprendrez, monsieur le ministre, que l'élu de la Guyane que je suis y soit particulièrement attentif.
Il faut vivre l'immigration en Guyane pour comprendre les difficultés qu'elle soulève. M. Hortefeux est venu chez nous, il a vu et je pense qu'il est aujourd'hui convaincu de la réalité du problème. Les Guyanais, dans leur très grande majorité, attendent des solutions du Gouvernement, faute de quoi ils les trouveront eux-mêmes. (Mme Monique Cerisier-ben Guiga et M. Louis Mermaz marquent leur étonnement.)
L'immigration doit aussi et surtout être indissociable de l'intégration. Or ce n'est plus le cas aujourd'hui. C'est la raison pour laquelle il nous faut saluer plusieurs mesures du projet de loi qui sont importantes, me semble-t-il.
Je pense tout d'abord à l'obligation de maîtriser la langue française et de connaître les valeurs de la République, essentielle à une bonne intégration. Je pense ensuite au contrat d'accueil et d'intégration pour la famille.
Rappelons que, en Guyane, aujourd'hui, les enfants scolarisés n'ont pas, dans leur majorité, le niveau intellectuel des générations qui sont aujourd'hui représentées au sein de notre hémicycle. Ils ne correspondent pas aujourd'hui à ce que nous sommes ni à ce que nous souhaitons pour la France, c'est-à-dire des hommes et des femmes ayant un bagage intellectuel leur permettant d'aller de plus en plus loin, dans le respect des principes que la République nous a donnés.
Enfin, je salue tout particulièrement la création du livret d'épargne pour le codéveloppement, qui vient compléter une disposition très importante de la loi de juillet 2006, introduite sur l'initiative de Jacques Pelletier. Notre regretté président avait, en effet, proposé de créer un compte épargne codéveloppement pour permettre aux personnes ayant la nationalité d'un pays en voie de développement, vivant en France et détenant une carte de séjour, d'épargner en bénéficiant d'un avantage fiscal dès lors que les sommes étaient réinvesties dans leur pays d'origine.
Monsieur le ministre, vous avez signé, le 11 septembre dernier, la première convention entre l'État et les caisses d'épargne pour la commercialisation des comptes épargne codéveloppement. Cette mesure était innovante et porteuse d'espoirs pour les pays d'émigration, le plus souvent trop pauvres pour investir et développer des activités économiques. L'on sait, par exemple, que, grâce à Western Union, plus de 7 milliards de francs quittent la Guyane et plus de 12 milliards de francs la Guadeloupe.
Nous sommes également allés à Mayotte et nous savons dans quelles conditions s'effectue l'immigration là-bas. Je laisserai à mon collègue de Mayotte le soin de vous exposer son sentiment à l'égard de ce projet de loi ainsi que les attentes des populations de l'outre-mer pour un « bon vivre » et un « meilleur vivre ensemble » dans nos pays.
Avec l'amendement adopté par l'Assemblée nationale, le codéveloppement prend toute son ampleur, puisqu'il permet également aux étrangers qui ne paient pas l'impôt sur le revenu de ne pas être exclus du codéveloppement.
C'est l'occasion de rappeler que les politiques de maîtrise de l'immigration et de lutte contre l'immigration clandestine n'ont de sens que si elles s'appuient sur l'aide publique au développement et les différentes formes de coopération instituées entre la France et les pays d'émigration.
Je tiens d'ailleurs, monsieur le ministre, à saluer votre action en faveur du codéveloppement qui s'est très récemment illustrée par la signature, le 26 septembre dernier, d'une convention de partenariat entre l'Agence nationale de l'accueil des étrangers et des migrations et l'association Entreprendre et réussir en Afrique, convention qui permettra, dans un premier temps, de promouvoir des programmes d'aide au retour volontaire et de réinsertion économique auprès des immigrés du Bénin, du Mali et du Sénégal.
Le point sur lequel il me semble important de revenir concerne la réduction à quinze jours du délai de recours devant la commission des recours des réfugiés. Notre excellent rapporteur, que je félicite pour son travail, vous a indiqué que nous avions beaucoup travaillé sur ce sujet au sein de la commission des lois et il vous a exposé les propositions qu'il avait formulées.
La commission d'enquête sur l'immigration clandestine, que j'ai eu l'honneur de présider, avait déjà à l'époque clairement affirmé que porter le délai de recours à quinze jours était inacceptable. La commission des recours des réfugiés elle-même a d'ailleurs souligné la brièveté du délai de recours, inférieur de moitié au délai de recours devant les juridictions administratives de droit commun. Il serait donc souhaitable de renoncer à faire peser la charge de la réduction des délais de procédure sur les demandeurs d'asile, d'autant que le recours doit être écrit, motivé et rédigé en français, des exigences particulièrement lourdes pour les réfugiés.
Il me semble que notre commission devrait proposer de revenir à la disposition antérieure.
La maîtrise de l'immigration ne doit pas conduire à mener une politique exempte de tout humanisme. Elle doit, au contraire, tendre à une meilleure intégration. C'est dans cet esprit que je nourris l'espoir, avec la majorité de mes collègues du RDSE, que la Haute Assemblée, le Sénat de la République, dans sa plus grande sagesse, saura améliorer ce projet de loi pour que la devise de la République : « Liberté, Égalité, Fraternité » trouve tout son sens. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP. - M. Pierre-Yves Collombat applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Pierre Fauchon.
M. Pierre Fauchon. Monsieur le président, je m'étais inscrit dans la discussion générale pour traiter de l'article 5 bis, qui me touchait beaucoup dans ses aspects philosophiques et humains.
Mme Catherine Tasca. C'était sage !
M. Pierre Fauchon. J'étais donc très mobilisé en la matière, mais je dois constater que la question a depuis beaucoup évolué. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
Mme Éliane Assassi. Quel courage !
M. Pierre Fauchon. M. le ministre a fait preuve tout à l'heure d'un esprit d'ouverture évident, ce dont je le remercie, et le rapporteur de la commission des lois a clairement exposé les données du problème, qui est bien réel.
Mme Éliane Assassi. Alors, parlons-en !
M. Pierre Fauchon. En effet, que faisons-nous lorsqu'il n'existe pas d'état civil ? Car telle est, au départ, la question posée.
Nous sommes maintenant dans une approche beaucoup plus technique, qui ne soulève pas, à mes yeux, de problèmes philosophiques. J'ai proposé à la commission des lois, qui m'a suivi, que l'on se réfère au droit commun, en prenant en considération, d'abord et avant tout, ce que nous appelons, dans le jargon juridique - pardonnez-moi, mes chers collègues -, « la possession d'état ». Mais je m'en expliquerai lors de l'examen de cet article, car la question est quelque peu technique.
La raison d'être de la discussion générale étant que l'on s'en tienne à des généralités, je vous fais cadeau de mon temps de parole, mes chers collègues, et je renonce à intervenir plus longuement ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP.)
M. le président. Quelle sagesse !
La parole est à Mme Michèle André. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Mme Michèle André. Monsieur le président, je tiens dès maintenant à saluer la qualité des travaux menés, depuis plusieurs jours, par M. le rapporteur, car les auditions et les débats ont été nombreux.
Monsieur le ministre, le projet de loi que vous présentez aujourd'hui illustre parfaitement la méthode consistant à exploiter un sujet grave, l'immigration, à des fins médiatiques et politiques. Durant la campagne présidentielle, cette question douloureuse a été largement utilisée pour galvaniser les foules et accroître les craintes de nos concitoyens face à l'avenir.
Vous avez coutume de vous féliciter de la création d'un ministère spécialement chargé de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du codéveloppement.
Nous tenons à réaffirmer que cette dénomination est pour le moins contestable. Si un malaise persiste, c'est en raison du caractère contingent de la notion d'identité nationale et de la juxtaposition de ce terme à la nécessaire politique migratoire de la France. Vous présentez ainsi l'immigration comme une menace à l'encontre de notre identité nationale et vous stigmatisez des populations qui ont déjà du mal à trouver leur place dans notre société.
Par ailleurs, nous déplorons la marginalisation du ministère des affaires étrangères sur la question sensible et symbolique de l'asile.
L'étranger est une nouvelle fois le bouc émissaire ; il sert à expliquer nos problèmes, qui sont aussi, en grande partie, vos échecs. En effet, qui était aux responsabilités au cours de ces cinq dernières années ? Quel était le ministre de l'intérieur qui a fait voter, en novembre 2003, une loi relative à la maîtrise de l'immigration, au séjour des étrangers en France et à la nationalité, et, en juillet 2006, une loi relative à l'immigration et à l'intégration ?
Votre projet de loi, présenté en urgence, - nous en voyons tous les inconvénients aujourd'hui - est le signe de son échec, pour ce qui concerne tant la méthode que le fond.
En effet, c'est la quatrième fois en cinq ans que nous sommes sollicités pour modifier la politique de l'immigration, alors que certaines des mesures précédemment adoptées ne sont même pas appliquées. Or, avant même la fin de la procédure législative, et sans attendre le bilan des dernières lois, vous annoncez une nouvelle étape incluant une modification constitutionnelle pour mettre en place des quotas. Après avoir excité les craintes, vous avez clairement l'objectif de donner un gage de bonne foi à l'opinion publique.
Pour sa part, le groupe socialiste du Sénat dénonce la mise en place de mesures inefficaces et injustes. Nous proposerons de les supprimer et, le cas échéant, nous tenterons d'atténuer leurs effets les plus contestables. À ce stade du débat, je souhaite indiquer la position du groupe socialiste sur quelques points emblématiques.
En premier lieu, vous proposez, monsieur le ministre, de durcir les conditions du regroupement familial. Au-delà des difficultés pratiques de mise en oeuvre de cette mesure, nous considérons que l'exigence d'une évaluation des bénéficiaires du regroupement, dans leur pays d'origine, du degré de connaissance de la langue française et des valeurs de la République, constitue une restriction disproportionnée au droit de vivre une vie familiale normale. De même, l'augmentation du niveau de ressources exigibles pour obtenir un regroupement familial est discriminatoire.
C'est pour cette raison que le Sénat a déjà rejeté par deux fois des propositions similaires. Je forme le voeu qu'il réaffirme cette position, conformément à l'analyse du président de la commission des lois, Jean-Jacques Hyest, mais je n'y reviendrai pas, car le rapporteur s'en est fait fidèlement l'écho. Gardons à l'esprit le fait qu'il n'y a pas lieu de traiter plus mal une famille étrangère qu'une famille française, pour ce qui concerne ses revenus.
Ce projet de loi crée la confusion en mettant sur le même plan le regroupement familial - ma collègue Alima Boumediene-Thiery y reviendra - et la situation des conjoints de Français.
Pour ma part, je tiens à saluer la proposition de la commission de supprimer le premier et le deuxième alinéa de l'article 4 du projet de loi. Pour les conjoints, vous prévoyez l'obligation d'évaluer le degré de connaissance de la langue française et des valeurs de la République. Cette mesure crée, là encore, des discriminations disproportionnées à l'encontre de Français qui souhaitent simplement mener une vie familiale normale.
Par ailleurs, vous remettez en cause la disposition, adoptée en 2006, sur l'initiative notamment de notre regretté collègue Jacques Pelletier, selon laquelle les étrangers entrés régulièrement en France, mariés avec un ressortissant français et séjournant en France depuis plus de six mois avec leur conjoint, présentent la demande de visa de long séjour à la préfecture de leur domicile. Je me félicite que notre commission ait adopté ce matin un amendement tendant à rétablir cette possibilité.
M. Gérard Delfau. Très bien !
Mme Michèle André. L'objection selon laquelle cette mesure ne serait pas efficace ne nous semble pas pertinente, dans la mesure où il aurait suffi de quelques mois seulement pour le vérifier.
En second lieu, il n'est pas acceptable de mettre sur le même plan le regroupement familial et l'asile.
En confiant la tutelle de l'OFPRA, l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, et de la CRR, la Commission des recours des réfugiés, au ministère de l'immigration aux dépens du ministère des affaires étrangères, le projet de loi introduit une confusion entre le droit d'asile et l'immigration, et dénature le sens de la Convention de Genève, qui porte notre tradition et notre obligation de protection des réfugiés.
En outre, comme l'a indiqué le rapporteur, il est indispensable de donner à la CRR son autonomie et sa dimension juridictionnelle, en lui allouant des moyens propres, et ce dès 2008, j'y insiste. C'est possible quand je vois tout ce que certains veulent faire en trois mois, voire en quinze jours !
La Cour européenne des droits de l'homme a condamné la France, le 26 avril 2007, pour absence de recours suspensif contre le refus d'admission sur le territoire français des demandeurs d'asile. À la suite de cette condamnation, le Gouvernement veut réformer a minima. Nous souhaitons que le recours suspensif soit ouvert à l'ensemble des étrangers faisant l'objet d'un refus d'entrée, et non aux seuls demandeurs d'asile. Afin de garantir le respect des principes de recours effectif et de procès équitable, le délai de vingt-quatre heures doit être étendu, l'assistance d'un conseil doit être garantie et l'audience doit avoir lieu dans un tribunal administratif, et non pas en zone d'attente par le biais de la visioconférence, avec traduction.
L'article 20 du projet de loi, visant à autoriser la création de fichiers sur des critères ethniques, a été introduit par un amendement parlementaire. C'est la première fois qu'une telle possibilité est ouverte dans notre pays. J'ai bien entendu les arguments développés quant au sérieux de la CNIL, et je n'y reviendrai pas, mais je considère que l'on ne peut rien faire sans le consentement de la personne. Le groupe socialiste est opposé à cette mesure, qui crée un préalable dangereux et rompt avec la tradition républicaine de lutte contre le communautarisme.
Enfin, nous tenons à saluer la sagesse de la commission des lois du Sénat, qui s'est opposée à l'article 5 bis, tendant à autoriser l'utilisation de tests ADN pour prouver les liens de filiation des candidats au regroupement familial.
Monsieur le ministre, les oppositions à ce dispositif sont nombreuses. Entendez les protestations, qui se multiplient depuis quelques jours, de personnalités importantes et de l'ensemble des associations. Ne dénaturez pas, s'il vous plaît, la position du HCR, et ne traduisez pas dans une loi les dispositions que certains pays européens ont pu adopter en ce sens.
Cette mesure est contraire aux valeurs qui fondent notre République, car elle ignore que le lien de filiation ne se limite pas au lien biologique. Enfin, elle est en contradiction absolue avec les lois de bioéthique, qui sont un point d'équilibre optimal dans un domaine on ne peut plus sensible.
Sur le plan juridique, cette disposition heurte les principes de notre droit civil et du droit international privé ; elle inverse le principe de la force probante, et ce n'est pas l'introduction, ce matin, de l'amendement n° 203 de M. Hyest, qui n'a d'ailleurs pas été adopté par la commission des lois, visant à faire du test un mode de preuve du lien de filiation uniquement avec la mère de famille, qui peut nous convaincre.
Monsieur le ministre, vous avez donné beaucoup de votre temps pour défendre cet amendement parlementaire, ...
M. Gérard Delfau. Eh oui !
Mme Michèle André. ... mais peut-être aurions-nous préféré vous entendre parler de l'amendement n° 21, lui aussi parlementaire, car les associations qui jouent un rôle essentiel auprès des sans-papiers en leur apportant soutien, protection et parfois même nourriture - je veux notamment parler des Restos du Coeur et d'Emmaüs - sont aujourd'hui très inquiètes. Nous reviendrons sur cette question lors de l'examen des amendements.
Au-delà des différentes mesures prévues dans ce projet de loi, c'est l'état d'esprit dans lequel vous le présentez qui nous inquiète et trouble l'image de notre pays dans le monde.
Face à la défiance que vous entretenez à l'encontre des étrangers, il est bon de rappeler, comme le fera tout à l'heure Pierre-Yves Collombat, que l'immigration est une nécessité pour faire face à l'évolution de notre démographie. La mise en place d'une politique de l'immigration est donc indispensable, mais elle doit être juste, efficace et humaine.
Sans égard pour ces exigences, votre logique consiste à faire du chiffre à tout prix et à multiplier des lois toutes plus inefficaces les unes que les autres. Vous avez convoqué certains préfets, les accusant de ne pas avoir réalisé les chiffres prévus au titre des expulsions d'étrangers en situation irrégulière. Si vous avez atteint votre objectif en matière d'exposition médiatique, le procédé consistant à considérer comme des objets jetables des individus aussi respectables que tous les autres est inadmissible, car il ouvre la porte à de nombreux dérapages sur le terrain. Nous le constatons d'ores et déjà, certains magistrats et policiers s'en inquiètent. Vous entretenez un climat détestable qui place certaines personnes dans des situations dramatiques, voire fatales.
Par ailleurs, il ne faut pas laisser penser à l'opinion publique que ce texte va réduire le nombre de personnes en situation irrégulière. Les dispositions de ce projet de loi portent exclusivement sur l'immigration régulière, sur laquelle vous jetez la suspicion. Les mesures que vous proposez sont non seulement injustes, mais elles ouvrent également la voie à un renforcement de l'immigration illégale, que vous prétendez, par ailleurs, combattre.
Au travers de votre politique et de vos déclarations, vous portez atteinte à l'image de la France dans le monde.
Je suis, vous le savez, très engagée au sein de l'Assemblée parlementaire de la francophonie et, à ce titre, je travaille régulièrement hors de nos frontières.
Comme de nombreux parlementaires me l'avaient signalé, j'ai pu personnellement mesurer, lors de notre assemblée générale, à Rabat, en juillet 2006, l'ampleur du trouble suscité dans de nombreux pays, notamment en Afrique, par la loi de 2006.
Cette vague d'inquiétude et d'hostilité s'est encore aggravée après le discours à forte teneur culturaliste prononcé par le Président de la République, à Dakar, dans lequel il reproche à l'homme africain de n'être pas « assez entré dans l'histoire » et de ne s'être jamais élancé vers l'avenir. Dès lors, faut-il s'étonner que ces pays se tournent vers les États-Unis ou la Chine ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Alors que la France donne l'image d'un pays qui se referme sur lui-même, la Chine joue l'ouverture en finançant, nous le savons tous, les bâtiments du parlement mauritanien, du sénat gabonais ou encore le port de Nouakchott, par exemple. Enfin, les visas sont tellement difficiles à obtenir que même les élites se tournent vers d'autres pays. Catherine Tasca reviendra tout à l'heure sur ce sujet, mais je veux vous poser une question, monsieur le ministre : pourquoi certains pays sont-ils si réticents à reconnaître leurs ressortissants en cas de reconduite ? N'avez-vous pas pensé que c'est peut-être leur seule manière de lutter contre le rouleau compresseur que nous leur opposons ? Ne faudrait-il pas examiner cette question avec attention, et instaurer un dialogue d'égal à égal avec tous ces pays du Sud en développement ?
Il n'est plus pensable que chaque pays de l'Union européenne pratique sa propre politique ; nous devons examiner les problèmes ensemble. De vrais choix doivent être faits en matière d'immigration ; ils sont cités régulièrement, remettons-les sur la table. Ce n'est qu'au niveau européen qu'une véritable politique de l'immigration peut être efficace. Certes, l'Europe travaille déjà sur ces sujets, mais il est indispensable d'aller plus loin. Ne laissons pas croire à l'opinion que la solution est uniquement nationale. Sortons des faux-semblants médiatiques et de l'affichage politique pour traiter enfin cette question de l'immigration avec l'attention et le sérieux qu'elle mérite.
Monsieur le ministre de l'immigration, n'oubliez pas que vous avez également en charge le codéveloppement. Une politique de l'immigration ne peut être efficace à long terme que si les pays concernés obtiennent les moyens de se développer. La France doit agir, à sa place et compte tenu de son histoire, de façon exemplaire. Vous avez fait part de projets en la matière ; sachez que nous n'avons pas l'intention de nous contenter d'annonces, d'accords sur la dispense de visa pour les titulaires d'un passeport diplomatique ou d'autres coquilles vides.
Au lieu de mettre en place des tests ADN pour lutter contre la fraude, tests que vous voulez prendre en charge financièrement, il nous semblerait plus utile et plus juste d'aider les pays concernés à mettre en place un état civil.
Cela permettrait d'ailleurs à ces pays de dresser des listes électorales, seules à même de permettre des élections libres et transparentes. En effet, à l'occasion d'opérations électorales que nous sommes périodiquement appelés à observer, nous voyons bien que l'absence de résultats tient notamment à l'absence d'état civil.
Alors que le codéveloppement devrait être un préalable, vous préférez nous faire légiférer sur un texte répressif, que nous considérons inutile et contre-productif.
Je conclurai ce propos en citant l'intégralité d'une phrase de Michel Rocard : « La France ne peut accueillir toute la misère du monde, mais elle doit savoir en prendre fidèlement sa part. ». Ce message équilibré reflète fidèlement les convictions qui nous animent, qui nous poussent à rejeter votre projet de loi au nom des valeurs de notre démocratie et afin d'affirmer encore avec fierté que la devise de la France est bien : « Liberté, Égalité, Fraternité. » ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Adrien Gouteyron.
M. Adrien Gouteyron. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je vais m'exprimer en des termes aussi simples que possible non au nom de la commission des finances, à laquelle j'appartiens, mais parce que, au titre de cette appartenance, j'ai mené un certain nombre de missions.
M. Louis Mermaz. Très bien !
M. Adrien Gouteyron. Ce faisant, j'ai été amené à faire des constats qui, je crois, me permettent de prendre la parole dans ce débat en assez bonne connaissance de cause, même si personne ne détient la vérité totale sur un sujet extrêmement complexe dont il est difficile de saisir tous les tenants et les aboutissants.
Monsieur le ministre, j'ai été attentif aux conditions dans lesquelles l'administration met en oeuvre les orientations arrêtées par le Parlement en matière d'accueil des étrangers, tout d'abord en enquêtant sur l'OFPRA, puis, plus récemment, en examinant le travail de nos services des visas. De ces travaux, j'ai tiré un sentiment : la politique de l'immigration de notre pays a longtemps souffert de l'absence d'outils cohérents, absence qui l'a privée en tout ou partie de son efficacité.
J'ai acquis aussi une conviction, monsieur le ministre : la modernisation de cette politique nous impose de relever trois défis : créer une véritable administration de l'immigration, doter votre ministère d'un vrai budget et simplifier les formalités administratives qui constituent trop souvent un casse-tête pour les visiteurs étrangers.
Le premier défi, qui consiste à créer une véritable administration de l'immigration, est un chantier difficile que vous avez engagé dès votre arrivée ; je veux vous en donner acte. Avec votre portefeuille de ministre, vous avez hérité de services épars, aux cultures de travail différentes, parfois même antagonistes, aux relations souvent empreintes de méfiance, services qui doivent désormais faire preuve de plus de cohérence.
En matière de regroupement familial par exemple, j'ai été frappé de constater sur le terrain des divergences de vues entre les administrations qui travaillent sur le sol national et les consulats à l'étranger, plus concernés par la fraude à l'état civil.
M. Louis Mermaz. Très bien !
M. Adrien Gouteyron. Ainsi, au Congo-Brazzaville, j'ai relevé un nombre significatif de décisions favorables de regroupement familial qui avaient été notifiées aux demandeurs par les préfectures alors que le consulat avait, vérifications à l'appui, établi que les liens de filiation étaient faux. Que se passe-t-il en pareil cas ? Le consulat ne délivre pas, à juste titre, de visa, et il est dans son rôle. Mais que pensent alors ces demandeurs de regroupement familial de l'administration française ?
Le travail des administrations autour de l'immigration économique n'est pas plus satisfaisant. Il est frappant que nos entreprises implantées en Afrique ou en Asie aient autant de difficultés à faire venir leurs collaborateurs en détachement en France, alors qu'il s'agit d'employés qualifiés.
Dans le même temps, il apparaît plus simple à un ressortissant turc résidant en France de faire venir un membre de sa famille pour travailler dans son entreprise de bâtiment ou de restauration rapide, au motif que la maîtrise de la langue turque est un impératif et que cette compétence n'existe pas sur notre sol !
Ces deux exemples soulignent combien l'émergence d'une culture de travail commune aux administrations responsables de la gestion des flux migratoires doit être une priorité. Il n'y a qu'un seul État, porteur d'une seule politique cohérente de l'immigration. Pour cette raison, monsieur le ministre, et contrairement à certains collègues, je me félicite du transfert de la tutelle sur l'OFPRA du ministère des affaires étrangères à votre ministère, gage d'une tutelle utile, prenant au sérieux le travail des agents chargés d'examiner les demandes d'asile. C'est un travail ô combien éminent, ô combien difficile, mais qui, au quotidien, ne figurait malheureusement pas dans les « priorités nobles » de notre diplomatie.
J'en arrive au deuxième défi : une politique de l'immigration se construit avec un budget qui déploie les moyens en fonction des priorités.
Or, à l'automne, monsieur le ministre, le Parlement examinera un budget de l'immigration parcellaire, puisqu'il ne regroupera qu'une maigre partie des crédits consacrés à la politique de l'immigration. Ainsi, les services des visas et les services des étrangers des préfectures n'y figureront pas. Comment procéder à des redéploiements de moyens dans ces conditions ?
Dans mon rapport intitulé Trouver une issue au casse-tête des visas, j'indique que « le coût moyen de traitement d'une demande de visa est de 35 euros, tandis que le coût moyen d'une reconduite à la frontière atteint 1 800 euros. »
Voilà qui devrait nous inciter à investir plus de moyens au moment de l'entrée sur le territoire ; mais notre maquette budgétaire ne rend pas encore possible de tels arbitrages. Je sais que vous êtes sensible à cet état de fait, monsieur le ministre, et que vous ferez tout pour y remédier. Toutefois, je tenais à en parler à cette tribune.
J'en arrive au troisième et dernier défi : un vaste chantier de simplification des formalités administratives reste à engager.
Il s'agit là d'une exigence de service public. Les visiteurs étrangers ne comprennent pas les méandres administratifs des consulats et des préfectures. Comment imaginer développer une immigration économique de qualité si les travailleurs étrangers doivent accomplir, après le parcours du combattant de la demande de visa, le marathon de l'instruction du titre de séjour ?
Cette situation parfois ubuesque est née de la méfiance réciproque qu'entretiennent nos administrations. Tout se passe comme si ces dernières étaient incapables de se faire confiance et gardaient une possibilité de déjuger la décision des autres services. En matière d'immigration économique, il devient urgent, monsieur le ministre, d'adopter une logique de guichet unique et de créer ainsi un titre unique, c'est-à-dire un visa valant également carte de séjour.
C'est la voie qu'a suivie l'Assemblée nationale et que propose d'approfondir notre commission des lois. À titre expérimental, les visas de long séjour délivrés à des conjoints de Français vaudront en eux-mêmes titre de séjour. La commission des lois propose d'étendre cette expérimentation aux futurs titulaires de la carte « compétences et talents » ; je soutiendrai une telle initiative.
À l'avenir, nous pourrons sans doute aller encore plus loin, monsieur le ministre. Je me crois en droit de citer le cas des étudiants. Notre pays a intérêt à accueillir les étudiants étrangers (Mmes Nathalie Goulet et Bariza Khiari, M. Pierre-Yves Collombat applaudissent.), en particulier ceux qui sont déjà engagés dans des études ayant produit leurs fruits.
Mme Nathalie Goulet. Très bien !
M. Adrien Gouteyron. Pourquoi ne pas créer aussi un titre unique valant à la fois visa et titre de séjour ?
Cette simplification des procédures en faveur d'un service public de l'immigration de qualité, plus proche des besoins des visiteurs étrangers, m'a conduit à réfléchir à deux dispositions.
La première, que je formule par le biais d'un amendement présenté avec plusieurs de mes collègues, vise à dispenser de contrat d'accueil et d'intégration, et de ses procédures, les étrangers détachés en France par leur entreprise, ainsi que les détenteurs des cartes « compétences et talents ».
Le contrat d'accueil et d'intégration est une véritable innovation, facteur d'une insertion plus facile dans notre société. Je propose de l'appliquer avec intelligence et souplesse. Lors d'une récente mission au Japon, j'ai rencontré un grand nombre de dirigeants japonais qui m'ont fait part de leur étonnement à l'idée que leurs cadres, détachés dans leurs filiales implantées en France - je pense notamment à la filiale de Toyota installée à Valenciennes -, soient soumis à un tel contrat et aux cours de langue collectifs qui s'y rapportent. L'amendement que je défendrai vise à remédier à une telle situation. J'espère, tout comme mes collègues qui l'ont cosigné, être suivi par le Sénat.
La seconde disposition qui est présentée dans mon rapport sur les visas et qui a donné lieu à nombre de débats vise à autoriser les demandeurs de regroupement familial qui se trouveraient dans l'incapacité de conforter leur demande par un document d'état civil fiable à appuyer cette dernière par des pièces complémentaires.
La première mesure que j'ai proposée et que j'ai entendu suggérer sur toutes les travées me paraît de bon sens. Elle consiste à développer une vigoureuse politique de coopération avec les services d'état civil des pays les plus pauvres. C'est nécessaire, mais c'est une oeuvre de longue haleine qui ne s'accomplira pas par un coup de baguette magique ! S'agissant des personnes qui souhaitent faire venir leurs enfants afin de mener avec eux une vie normale dans notre pays, mais qui ne peuvent prouver leurs liens familiaux - ce sont des cas concrets qui se posent aujourd'hui -, j'ai évoqué dans mon rapport la piste allemande des recherches de filiation menées par des avocats assermentés, la voie américaine du recours aux services d'un auxiliaire de justice qui se rend dans les mairies pour constater de visu les actes d'état civil, ce que nos agents ne peuvent pas toujours faire, et les fameux tests ADN qui sont pratiqués sans drame dans de grandes démocraties européennes.
Je tiens à dire à mon tour ici que ces tests ne peuvent avoir d'autre objet que de faciliter le regroupement familial et d'accélérer les procédures. Il est insupportable de constater sur place que des familles ne peuvent pas se regrouper. Pour ma part, je voterai l'amendement que présentera sur ce sujet Jean-Jacques Hyest. Je le voterai avec conviction, car je ne supporte par ces situations. Je sais bien que moult précautions sont nécessaires. Le Gouvernement a commencé à en prendre en sous-amendant de manière substantielle l'amendement d'origine parlementaire déposé à l'Assemblée nationale. J'ai compris que le président de la commission des lois fera une proposition et j'en ai saisi la teneur.
Monsieur le ministre, vous avez aussi exprimé votre ferme volonté d'éviter toute dérive, tout dérapage, et de prendre toutes les précautions nécessaires pour que le texte que nous voterons soit conforme à l'idée que nous nous faisons de l'éthique républicaine.
Chers collègues, chers amis, je ne supporte vraiment pas les jugements hâtifs, ni les procès d'intention. Je ne supporte pas non plus que l'on nous menace du bûcher. Mais je suis vraiment persuadé que ne siègent dans cet hémicycle que des parlementaires de bonne foi. Certes, nous n'avons pas tous la même opinion, et c'est bien le rôle du Parlement de débattre, mais sans faire de procès d'intention. Il n'y a ici que des parlementaires qui veulent doter notre pays d'une politique d'immigration digne de la France et permettre aux étrangers le souhaitant de regrouper les membres de leur famille sans attendre des années, comme cela arrive parfois, hélas !
En témoigne ce que j'ai lu dans un certain nombre de journaux qui ne passent pas pour être favorables au texte que nous allons voter. C'est ainsi qu'un grand journal du soir décrit des situations qui, je crois, suffisent à étayer ma démonstration. Dans le journal Jeune Afrique, j'ai aussi lu, à propos des tests ADN dont nous allons débattre, des jugements qui sont bien loin des déclarations que l'on entend dans cette assemblée.
M. Adrien Gouteyron. Voilà, mes chers collègues, ce que je tenais à dire.
Monsieur le ministre, ce projet de loi mérite de la lucidité et, tous, nous en ferons preuve. Il mérite aussi de la passion, car le sujet qui est abordé et dont nous débattons est un sujet noble parmi les plus nobles. Le Sénat de la République s'honorera en en débattant sérieusement ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Gérard Delfau.
M. Gérard Delfau. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, pour une fois, l'opinion publique a les yeux tournés vers le Sénat. Nos concitoyens attendent de la Haute Assemblée qu'elle corrige, dans sa sagesse, les errements conjugués du Président de la République et d'une majorité de députés trop dociles aux directives d'un exécutif envahissant.
Le premier enjeu de ce débat sur l'immigration est donc l'équilibre des pouvoirs et le rôle du Sénat au sein du Parlement. À l'ère de la présidence Sarkozy, peut-il exister encore une forme, même atténuée, de démocratie parlementaire ? Si oui, quel est alors le rôle du Sénat ? Au fond, ce début de session ordinaire va servir de travaux pratiques aux membres de la commission Balladur, pour mener à bien leurs réflexions sur le devenir de nos institutions.
Il est temps en effet de rappeler cette évidence inscrite dans notre histoire depuis Montesquieu : pas de démocratie sans contre-pouvoir. Le Sénat s'honore d'être, depuis ses origines, l'un de ces lieux d'exercice du nécessaire équilibre des institutions.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Tout à fait !
M. Gérard Delfau. À l'heure où d'aucuns veulent le faire taire, l'occasion nous est collectivement donnée, mes chers collègues, d'affirmer calmement son existence et son utilité.
Venons-en au texte et voyons comment nous pouvons y imprimer notre marque, à défaut de le renvoyer aux oubliettes, ce qui serait à mes yeux le plus raisonnable. Observons que la dernière loi sur l'immigration datait d'un an et que ses décrets d'application n'étaient pas tous parus quand fut présenté au conseil des ministres, le 4 juillet 2007, ce nouveau projet de loi. Rappelons qu'une loi antérieure, qui avait pour objet de mettre fin à « l'incapacité de l'État à maîtriser les flux migratoires », avait été promulguée le 26 novembre 2003.
Résumons : loi « Sarkozy I », en 2003, loi « Sarkozy II », en 2006, loi « Sarkozy III », en 2007, et j'en oublie sans doute ! Quelle débauche de textes et quel aveu d'impuissance pour celui qui se veut le grand réformateur ! À moins qu'il ne s'agisse d'une « gesticulation législative » destinée à détourner l'attention des vrais problèmes de la France, rongée par la dette et en proie aux inégalités.
C'est la vieille tactique du bouc émissaire et de la peur de l'étranger, l'inverse de la tradition française depuis 1789... Non pas que l'immigration clandestine ne soit pas un problème pour notre pays, au même titre d'ailleurs que pour toutes les nations développées du monde. Mais pourquoi ne pas la traiter rationnellement, efficacement, humainement, en dehors des surenchères politiciennes qui aggravent le mal au lieu de le guérir ?
Heureusement, la commission des lois de la Haute Assemblée a eu la sagesse d'adopter, la semaine dernière, des amendements visant à corriger les outrances de ce texte et à atténuer les mesures discriminatoires, à la limite parfois de la xénophobie. Qu'il s'agisse des conditions du regroupement familial, de l'obtention d'un titre de visa de long séjour pour les conjoints de Français ou du droit d'asile, je suivrai ces recommandations, et je souhaite que le Sénat tout entier adopte cette position.
Il y a, bien sûr, un sujet sur lequel l'opinion publique, et pas seulement en France, nous attend : c'est l'instauration de tests ADN pour confirmer la paternité ou la maternité biologique des candidats au regroupement familial. Cette malheureuse décision de nos collègues de la majorité de l'Assemblée nationale - peut-être suggérée par l'Élysée - a suscité une telle réprobation dans le pays et au sein même du Sénat que la commission des lois a adopté un amendement de suppression de cette disposition. Celui-ci a toutes chances d'être adopté en séance publique.
C'est ce que demandent en tout cas les plus hautes autorités philosophiques, morales et religieuses du pays, de même que d'éminents scientifiques, tel le professeur Axel Kahn, ou d'autres personnalités, tel le président Abdoulaye Wade, au nom du Sénégal. Un trouble profond a gagné l'opinion publique. Ce débat est pour nous l'heure de vérité ; il nous permettra de mettre devant leurs responsabilités les représentants de l'Assemblée nationale, lors de la réunion de la commission mixte paritaire. Le Sénat ne peut laisser passer cette chance d'affirmer son attachement aux droits de l'homme et de prouver qu'il est le contrepoids nécessaire à l'excessive et dangereuse concentration des pouvoirs.
Ce faisant, nous aurons évité le pire, mais nous n'aurons pas avancé d'un pouce sur les vrais dossiers : comment démanteler à l'échelle de l'Europe, et non pas de la France, les réseaux d'immigration clandestine ? Comment tarir la source des flux de migrants en mettant en place un véritable codéveloppement, notamment en Afrique ? Jacques Pelletier, le regretté président de notre groupe, rappelait à chaque occasion que c'était là la clé d'une maîtrise de l'immigration. Sa voix nous manque cruellement aujourd'hui, et pas seulement au Rassemblement démocratique et social européen !
C'est dans cet état d'esprit d'ouverture, mais aussi de fidélité aux grands principes qu'il a si bien incarnés, que j'aborderai ce difficile débat. (Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à Mme Muguette Dini.
Mme Muguette Dini. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce projet de loi présente diverses mesures visant à mieux encadrer l'immigration dite familiale et à faciliter l'intégration des nouveaux arrivants dans notre pays.
Si certaines dispositions nous semblent aller dans le bon sens, d'autres suscitent de notre part réserve, voire inquiétude.
Ainsi, je souhaite souligner l'aspect positif de la signature du contrat d'accueil et d'intégration, aussi bien par le parent déjà présent sur le territoire français que par celui qui y est entré par le biais du regroupement familial.
À cette tribune, lors de l'examen du précédent projet de loi sur ce même sujet, j'indiquais déjà combien il s'avérait important que les femmes étrangères soient elles-mêmes signataires dudit contrat.
Il est en effet essentiel que les deux époux et parents, au travers de la formation qui leur sera dispensée dans ce cadre contractuel, intègrent, selon les termes mêmes du Conseil constitutionnel, les principes républicains suivants : « monogamie, égalité de l'homme et de la femme, respect de l'intégrité physique des enfants et des adolescents, respect de la liberté du mariage, assiduité scolaire [...] ».
J'ai également noté l'adoption de deux dispositions protectrices des femmes étrangères victimes de violences conjugales et séparées de leur conjoint. Il s'agit de l'obtention ou du renouvellement de leur carte de séjour temporaire.
J'apprécie aussi à leur juste valeur les dispositions relatives à l'apprentissage de notre langue et de notre culture par tout ressortissant étranger.
Toutefois, nous attendons du projet de loi plus de précisions sur les modalités de mise en oeuvre de la formation dispensée. Quels organismes assureront l'évaluation et la formation des prétendants ? Quels sont les moyens humains et matériels prévus à cet effet ? Qui en supportera le coût ?
Certaines dispositions liées aux conditions de ressources imposées aux demandeurs du regroupement familial posent également question.
Suivant ainsi les recommandations formulées par la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité, la HALDE, en décembre 2006, le projet de loi n'exige aucun plancher de ressources pour les personnes titulaires de l'allocation aux adultes handicapés ou de l'allocation d'invalidité.
Toutefois, cette disposition ne s'applique qu'à un nombre restreint de personnes handicapées, le bénéfice des allocations susvisées étant soumis à des conditions restrictives. Elle exclut surtout les ressortissants étrangers malades ou invalides aux faibles ressources. En l'état actuel du texte, ces personnes ne pourront être rejointes par certains de leurs proches.
Les associations d'aide aux malades et aux personnes handicapées, ainsi que la Commission nationale consultative des droits de l'homme, s'en émeuvent fortement.
Il en est de même de la situation des ressortissants étrangers retraités ayant des revenus inférieurs au SMIC. Lors des débats à l'Assemblée nationale, vous avez refusé, monsieur le ministre, de prendre en compte le cas de ces derniers, au motif que la loi du 5 mars 2007 instituant le droit au logement opposable et portant diverses mesures en faveur de la cohésion sociale a créé une « aide à la réinsertion familiale et sociale des anciens migrants dans leur pays d'origine ».
Mme Bariza Khiari. Il n'y a pas de décret !
Mme Muguette Dini. Cependant, les contours du dispositif restent flous, le décret s'y rapportant n'étant pas paru.
Pour conclure sur ce point, nous ne pouvons nous contenter d'un texte éloigné de situations réelles souvent difficiles. Nous devons nous efforcer de prendre en considération les nombreux cas concrets au sujet desquels les acteurs de terrain nous interpellent.
Par ailleurs, le groupe de l'UC-UDF a déposé des amendements de suppression du dernier alinéa des articles 4 et 9 ter.
L'article 4 vise à abroger la disposition permettant aux conjoints étrangers de Français arrivés régulièrement en France de déroger à l'obligation de retourner dans leur pays d'origine pour obtenir le visa de long séjour nécessaire à la délivrance de leur titre de séjour de longue durée.
Cette exception fut adoptée à l'unanimité, moins une abstention, par le Sénat, lors de la discussion du précédent projet de loi sur ce sujet. Notre assemblée avait en effet jugé que cette obligation constituait une atteinte disproportionnée au droit, pour nos concitoyens concernés, de mener une vie conjugale et familiale normale.
L'article 9 ter du projet de loi, quant à lui, tend à réduire d'un mois à quinze jours le délai de recours contre les décisions de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, l'OFPRA, devant la Commission des recours des réfugiés. Là encore, le délai d'un mois résulte d'une proposition de la commission des lois adoptée par le Sénat en juin 2006.
Toutes les associations d'aide aux réfugiés soulignent que, devant la Commission des recours des réfugiés, les requérants sont tenus de présenter un recours motivé, reprenant la totalité des raisons de leur demande d'asile et contestant les motifs de rejet de l'OFPRA. Par conséquent, pour sauvegarder l'effectivité du droit de recours des demandeurs d'asile, ledit délai doit demeurer d'un mois.
Avant de conclure, je souhaite m'attarder sur la situation des étrangers qui ont acquis la qualité de réfugiés.
De par leur statut, ces étrangers bénéficient de mesures particulières d'hébergement et d'un accompagnement de trois mois en centre d'accueil pour demandeurs d'asile, afin d'assurer leur intégration. Ils signent le contrat d'accueil et d'intégration et bénéficient des prestations qui y sont attachées.
L'expérience montre que ce suivi est trop court et les prestations du contrat d'accueil et d'intégration insuffisantes pour un accès rapide à l'emploi et au logement.
Ces constats ressortent d'une expérience menée dans le département du Rhône - vous y avez fait allusion, monsieur le ministre -, ...
Mme Muguette Dini. ... laquelle a regroupé l'association Forum réfugiés et les services du logement des préfectures, des villes, du conseil général et des bailleurs sociaux. Grâce à ce partenariat, la moitié des personnes inscrites dans le dispositif ont été relogées au bout de huit mois et 38 % l'ont été dans les six mois souhaitables.
En 2006, 51 % des réfugiés accompagnés ont bénéficié d'une mesure emploi-formation au moins. Le programme d'accompagnement de cette population ne s'avère donc efficace que s'il coordonne les différents acteurs.
Il nous paraît fondamental de prévoir en sus, dans le projet de loi, un dispositif renforcé d'accompagnement pour les réfugiés. Par conséquent, nous regrettons que notre amendement sur le sujet ait été rejeté par la commission des finances. Les initiatives locales qui réussissent doivent être reprises ! Mais nous ne désespérons pas de convaincre la commission des finances de revenir sur sa décision, car cette proposition nous semble essentielle.
Je n'évoquerai pas le recours aux tests ADN, sujet sur lequel notre collègue Pierre Fauchon reviendra plus tard, et je laisse à Adrien Giraud le soin d'intervenir sur la situation spécifique de Mayotte.
Nous souhaitons, monsieur le ministre, que soient prises en compte les suggestions que nous présentons dans nos différents amendements. (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF.)
M. le président. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat.
M. Pierre-Yves Collombat. « Les hommes normaux ne savent pas que tout est possible » ; ainsi s'exprimait David Rousset en des temps que l'on pensait révolus. Qui aurait pensé que, en France, la « question immigré » aurait un jour son ministère, qui plus est chargé, pour que nul n'en ignore la gravité, de veiller sur l'identité nationale ?
En version politiquement correcte, cela donne, selon les propos que vous avez tenus devant la commission des lois, monsieur le ministre : « Adopter une politique d'immigration volontariste pour renforcer la cohésion de notre société ». Vous avez également dit tout à l'heure ceci : « L'immigration d'aujourd'hui dessine le visage qu'aura notre pays dans quelques années. »
M. Pierre-Yves Collombat. C'est logique, car, pour vous, notre système d'intégration a fait faillite - c'est la saison ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.) - ou, plus exactement, suivant les termes que vous avez utilisés devant la commission des lois, il a « globalement échoué ».
Pourtant, à regarder les chiffres, d'ailleurs variables selon les années et les sources, on se demande ce qui justifie de modifier, en urgence et pour la soixante-douzième fois, l'ordonnance du 2 novembre 1945 relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France. Je rappelle que la soixante et onzième modification a moins de quinze mois !
Selon Eurostat, les non-nationaux représenteraient 5,6 % de la population française. C'est un peu plus qu'en Italie, en Grande-Bretagne ou en Suède, mais largement moins qu'en Allemagne, en Belgique ou en Espagne. Au total, la France se situe dans la moyenne.
Quant aux flux d'entrée, ramenés à la population, c'est en France qu'ils sont les plus faibles en comparaison avec les grands pays développés. Ainsi, en 2004, ils s'élevaient à 0,34 % dans notre pays, contre 1,62 % en Espagne, 0,94 % en Allemagne, 0,87 % en Grande-Bretagne. Le seul pays enregistrant un taux comparable au nôtre est le Japon, dont on connaît la position en matière d'immigration...
On cherche donc la vague migratoire risquant d'emporter, comme un château de sable, notre identité nationale.
Toujours selon Eurostat, entre 1990 et 2000, alors que le nombre de nationaux français a augmenté de 2,5 millions, celui des étrangers sur le territoire français a baissé de 330 000. Parmi les Vingt-Cinq, une telle évolution ne se retrouve qu'aux Pays-Bas.
Selon vous, la concentration des immigrés dans quelques régions et le niveau de chômage de ces derniers seraient la marque de l'échec de notre modèle d'intégration.
Ils sont plutôt le résultat de l'absence d'une politique d'aménagement du territoire et de la mise en oeuvre d'une politique économique ayant délibérément sacrifié l'emploi à la rente.
À regarder la situation de nos partenaires européens, le modèle français d'intégration ne souffre pas de la comparaison, bien au contraire.
Les immigrés ne sont pas plus concentrés que les cadres et les professions intellectuelles supérieures, dont 40 % résident en Île-de-France et 25 % dans trois départements : Paris, les Hauts-de-Seine et les Yvelines. Leur taux d'activité est d'ailleurs comparable à celui des nationaux. Le chômage, quant à lui, est un problème qui relève d'abord de la politique économique.
Un taux de croissance de 3 %, ce qui semble être l'objectif du Président de la République, ferait plus pour l'intégration que tous vos contrats, vos stages et votre Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité.
Quant au taux actuel de fécondité en France, même porté à deux enfants par femme, il ne permettra pas le renouvellement des générations.
Certes, il appartient à la France de définir sa politique d'immigration, mais encore faut-il que ses finalités ne soient pas idéologiques et qu'elle ait quelque chance de réussir.
Le distinguo entre migration économique et migration pour raisons familiales est moins clair que vous ne le pensez. D'ailleurs, si j'ai bien compris, M. le rapporteur n'a pas dit autre chose. En effet, 70 % des migrants familiaux travaillent, et 50 % ont un emploi dès six mois de présence sur le territoire.
Certains pays, comme le Canada, pourtant cité comme modèle, classent dans la même catégorie les migrants économiques et leur famille. À mode de calcul identique, ils représentent dans ce pays un peu plus de 21 % du total des migrants, avec un flux migratoire double du nôtre. On est donc loin de l'objectif de 50 % qui vous a été fixé par le Gosplan migratoire présidentiel, monsieur le ministre !
« L'immigration choisie », ce n'est pas celle que nous choisirons, mais celle des migrants qui nous choisiront.
Ceux que nous recherchons iront là où ils seront accueillis correctement avec leurs familles, là où ils pourront se loger, disposer des moyens d'effectuer leurs études ou leurs recherches, travailler dans de bonnes conditions et, d'une manière générale, là où on ne les prendra pas pour des délinquants potentiels.
Penser pouvoir recueillir la crème du flux migratoire en le faisant aigrir avec la levure des obstacles administratifs et des pratiques vexatoires est un non-sens.
En outre, c'est un non-sens inutile, puisque les flux de ceux qui sont indésirables à vos yeux se révèlent faibles. En effet, selon les chiffres que vous nous avez fournis, sur les quelque 94 000 autorisations de séjour délivrées en 2005, au titre du regroupement familial, la moitié concerne des conjoints de Français, qu'il faudra bien vous résoudre à accueillir, et seulement 8 600 enfants, ceux dont vous tenez tant à prouver la filiation biologique.
Dès lors, pourquoi tout ce bruit ? Pourquoi risquer de ternir, pour si peu, notre image à l'étranger de patrie des droits de l'homme ? Pour une question de stratégie électorale, tout le monde l'a compris !
Le présent projet de loi ne sera pas le dernier d'une longue série, car, entre un texte relatif à la délinquance et un autre sur les chiens dangereux (Sourires sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.), il est là pour rappeler aux Français qu'il y a une « question immigré » et, surtout, un gouvernement qui les protège.
Les dispositions que le bon sens considérera comme inutiles ou inapplicables par manque de moyens - s'agissant des consulats, par exemple -, celles que les juristes analyseront comme source de confusion et de contentieux, celles que les hommes normaux tiendront pour une provocation ou de la mesquinerie - notamment l'extension de l'usage des tests génétiques, la suppression de la possibilité pour les conjoints de Français d'obtenir en France un visa de long séjour sans avoir à retourner dans leur pays pour le demander - constituent, dans leur ensemble, non pas des imperfections, mais bien le coeur du texte.
Ce projet de loi n'est pas fait pour apporter durablement une réponse à une vraie question ; il ne fera qu'entretenir la confusion et l'inquiétude, qui appelleront d'autres lois et mobiliseront « du temps de cerveau rendu disponible ». (Mme Bariza Khiari et M. Jean-Luc Mélenchon applaudissent.)
D'où l'intérêt d'user de notions vagues, plutôt que de concepts juridiques précis.
La formulation de l'article 8-1 de la Convention européenne des droits de l'homme, aux termes duquel « toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance », est univoque.
En revanche, qu'est-ce qu'une « intégration républicaine dans la société française ? » Un artiste de variété se produisant en France, mais vivant de l'autre côté de la frontière pour échapper à son devoir, fixé par l'article XIII de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, de participation aux dépenses publiques en raison de ses facultés contributives, fait-il preuve d'une bonne intégration républicaine ? (Applaudissements sur certaines travées du groupe socialiste.)
Les valeurs de la république sont-elles univoques ? Par exemple, la laïcité, symbole souvent avancé, signifie-t-elle l'acceptation « du fait religieux dans l'espace public », comme l'a souhaité Jean-Paul II dans un célèbre discours au corps diplomatique, et telle qu'elle est pratiquée dans les départements concordataires français ? C'est une notion qui n'est pas univoque !
Sait-on précisément ce que sont aussi « les principes essentiels qui, conformément aux lois de la République, régissent la vie familiale en France », selon la formulation du Conseil constitutionnel ?
Toutes ces notions, sources d'interprétations et de contentieux futurs, sont pourtant au coeur du projet de loi.
Un seul point appelait une modification législative : l'institution d'un droit de recours suspensif contre les refus d'admission sur le territoire français. On aurait pu s'attendre à ce que le projet de loi tire toutes les conséquences de la condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l'homme, ce qui aurait impliqué deux dispositions.
Premièrement, il aurait fallu étendre le droit de recours suspensif, au-delà des demandeurs d'asile, à toutes les personnes retenues en zone d'attente, pouvant se prévaloir des articles 2, 3 et 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, à savoir des étrangers dont l'état de santé permet d'invoquer l'article 2 de ladite convention, les mineurs isolés ou les personnes dont la famille vit en France, relevant de l'article 8 de la convention.
Deuxièmement, il aurait été nécessaire d'éviter de se mettre en défaut au regard de l'article 13 - droit à un recours effectif - et de l'article 6 - droit à être entendu équitablement, publiquement, par un tribunal indépendant, droit à être informé dans une langue que l'on comprend et de se faire assister d'un interprète, droit de disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense.
La limitation du bénéfice du recours suspensif aux seuls demandeurs d'asile, la brièveté des délais de recours, le risque d'un jugement par ordonnance, malgré le progrès que constitue l'abandon de la procédure du référé-liberté, les conditions matérielles de l'exercice de la justice en zone de police et de la préparation de la défense permettent de penser que l'arrêt Gebremedhin ne constituera pas la dernière condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l'homme.
Aujourd'hui, ce n'est plus l'administration qui règle le gros des affaires, en s'appuyant sur des textes clairs et des règles incontestables, les organes juridictionnels s'occupant de l'exception. Désormais, c'est la situation inverse : le contentieux est devenu le mode normal de régulation des flux migratoires. Pas étonnant s'il est en train d'exploser !
M. Jean-Claude Peyronnet. Très bien !
M. Pierre-Yves Collombat. Ce serait pourtant peu de chose, si des hommes, des femmes, des enfants bien concrets n'étaient l'enjeu de ces stratégies tordues.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Oh !
M. Pierre-Yves Collombat. Les Français ayant un conjoint étranger viennent dans nos permanences nous dire, entre deux sanglots réprimés, leur angoisse d'être séparés de ce dernier, de le voir embarqué, menottes aux poignets, devant les enfants, leur attente infinie d'un visa qui permettra enfin de le retrouver. Je pense à tous ceux dont vous allez alourdir les peines, au nom d'un faux pragmatisme et d'une idéologie totalement étrangère au génie français.
Personne n'a le monopole du coeur. Montrez-le, monsieur le ministre ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
Mme Bariza Khiari. Bravo !
M. le président. La parole est à M. Jean-Patrick Courtois.
M. Jean-Patrick Courtois. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, permettez-moi de débuter mes propos en citant le Président de la République, alors ministre d'État, ministre de l'intérieur, lors de la présentation au sein même de cette assemblée, en 2006, du texte relatif à l'immigration et à l'intégration : « Mon intention est de bâtir une nouvelle politique par laquelle l'arrivée des migrants en France sera voulue, acceptée, préparée par les autorités de l'État , soit parce que le migrant aura fait valoir son droit à venir s'installer en France pour des raisons familiales, soit parce que le Gouvernement aura souhaité la venue d'un étranger, étudiant ou professionnel, en raison de sa compétence, de son talent et de sa motivation ».
Force est de constater aujourd'hui que les engagements pris sont tenus et que nous nous approchons concrètement de cette immigration choisie que les Français ont appelée de leurs voeux lors de l'élection présidentielle.
Les engagements sont tenus car, pour la première fois sous la Ve République, est créé un ministère de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du codéveloppement.
Monsieur le ministre, permettez-moi, au nom de l'ensemble de mes collègues de l'UMP, de me réjouir de cette réforme fondamentale et novatrice, souhaitée et rendue possible par le Président de la République.
Désormais, sont réunies au sein d'une même entité l'ensemble des administrations concernées par les flux migratoires.
Comme vous l'avez souligné, le parcours d'un étranger, candidat à l'immigration en France, est maintenant suivi en totalité par un seul ministère regroupant des administrations jusqu'alors dispersées.
Cette nouvelle organisation témoigne de votre volonté d'appréhender la question de l'immigration dans sa globalité, en lien direct avec celle de l'intégration et de la coopération, notions étroitement imbriquées.
Elle témoigne également de votre volonté de privilégier, conformément aux engagements du Président de la République, une immigration choisie et concertée, qui est le contraire de l'immigration zéro et de l'immigration subie.
Elle témoigne enfin de votre volonté de poursuivre et d'amplifier la politique volontariste de maîtrise des flux migratoires engagée lors de la précédente législature.
La politique que vous nous proposez, monsieur le ministre, est équilibrée, car elle est à la fois ferme et juste.
Elle est ferme à l'endroit de ceux qui ne respectent pas les règles de la République et juste à l'égard de ceux qui font des efforts pour s'intégrer et réussir leur installation durable en France, en se conformant aux règles d'admission que nous fixons.
Les règles sont parfaitement claires, et nous les partageons avec force : le candidat à l'immigration en France doit être autorisé à venir s'y installer avant son entrée sur le territoire national. Si l'on désire devenir résident en France, il faut s'engager à connaître et à respecter les lois et les valeurs de la République.
La politique que vous nous proposez, monsieur le ministre, est également responsable et courageuse. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
Elle est responsable et courageuse lorsqu'elle se fixe pour objectif de parvenir à une maîtrise globale de l'immigration et d'atteindre un équilibre entre les composantes économiques et familiales ainsi qu'entre les grandes régions du monde.
En effet, l'immigration choisie, c'est d'abord la possibilité pour un État de se fixer des objectifs quantifiés d'immigration pour déterminer la composition des flux migratoires.
Que de chemin parcouru en moins de cinq ans ! Une véritable remise en ordre a été engagée ; une réelle rupture a été amorcée.
Depuis 2002, l'action pragmatique, cohérente et déterminée de Nicolas Sarkozy a démontré qu'il était possible d'avoir un vrai débat de fond, rationnel et dépassionné, sur l'immigration,...
M. Jean-Luc Mélenchon. Ah bon ? Quand ?
M. Jean-Patrick Courtois. ... sujet particulièrement complexe et sensible.
Elle a démontré qu'il était possible de mener une politique volontariste et décomplexée, une immigration choisie par un contrôle rigoureux des entrées étant le pendant légitime des mesures tendant à une intégration réussie.
Sous l'impulsion de Nicolas Sarkozy, le Parlement a adopté de grandes réformes qui ont posé les premiers jalons d'une véritable immigration choisie.
Mme Éliane Assassi. Tout est à la gloire de Nicolas Sarkozy !
M. Jean-Patrick Courtois. La loi du 26 novembre 2003 relative à la maîtrise de l'immigration, au séjour des étrangers en France et à la nationalité, tout d'abord, a forgé de nouveaux outils de lutte contre l'immigration clandestine. Ce texte a permis de mettre un premier frein à la dérive des flux d'immigration et d'augmenter significativement le taux des reconduites à la frontière.
La loi du 10 décembre 2003 modifiant la loi n° 52-893 du 25 juillet 1952 relative au droit d'asile a réformé la procédure de ce dernier et a permis d'améliorer les conditions de gestion de la demande d'asile.
Rompant avec les erreurs du passé, la loi du 24 juillet 2006 relative à l'immigration et à l'intégration a engagé une reforme fondamentale du droit d'entrée et de séjour des étrangers en France. Le regroupement familial a été mieux encadré, et la signature d'un contrat d'accueil et d'intégration permettant de recevoir une formation civique et linguistique a été rendue obligatoire pour tout étranger qui souhaite s'installer durablement en France.
Ainsi, les premiers instruments d'une immigration choisie ont été définis, et une transformation en profondeur de la politique d'immigration a été amorcée.
Ces dispositifs ont produit leurs effets. De fait, depuis 2002, la France a retrouvé la maîtrise de ses flux légaux d'immigration. Les chiffres parlent d'eux-mêmes : plusieurs dizaines de milliers d'étrangers en situation irrégulière ont été raccompagnés dans leur pays d'origine.
Mme Éliane Assassi. Ou se sont défenestrés !
M. Jean-Patrick Courtois. En 2006, le renforcement des contrôles aux frontières dans les aéroports et les ports a permis de refouler 35 000 migrants illégaux avant leur entrée sur le territoire national. En 2006, 24 000 étrangers en situation irrégulière ont quitté la France, ce qui représente une augmentation de 140 % par rapport à 2002 et de 20 % par rapport à 2005.
Évidemment, personne ne croit que tout est réglé et que les problèmes sont derrière nous. En revanche, nos concitoyens ont acquis la certitude suivante : lorsque les politiques se donnent les moyens de prendre à bras-le-corps les problèmes qui se posent, sans idées préconçues et avec une volonté indéfectible, les solutions ne sont jamais bien loin.
Si nos concitoyens retrouvent la confiance dans l'action publique, c'est parce que les engagements pris sont tenus, c'est parce que les bases solides qui ont été jetées produisent leurs effets.
Après ce rappel historique, venons-en au présent projet de loi. En effet, nous ne sommes pas réunis aujourd'hui pour nous adresser des félicitations. Si les choses vont mieux, nous avons encore du chemin à parcourir.
M. Jean-Patrick Courtois. Notre profil en matière d'immigration est en effet déséquilibré. L'immigration pour motif familial occupe une place très importante dans les flux migratoires, alors que l'immigration pour motif de travail reste à un niveau marginal. Seulement 7 % des titres de séjour sont accordés pour des raisons professionnelles, loin derrière l'immigration familiale, qui demeure prépondérante.
Il nous faut inverser cette tendance. Il faut favoriser la venue sur notre territoire de ceux qui peuvent et qui veulent travailler. Inversement, il faut s'opposer à la venue de ceux qui n'ont aucune perspective d'intégration.
L'objectif du Président de la République est clair : à terme, l'immigration économique devra représenter 50 % du flux total des entrées à des fins d'installation durable en France. Il convient donc de se donner les moyens d'atteindre cet objectif.
Le projet de loi qui nous est soumis nous permet de franchir une nouvelle étape. Il confirme, en l'amplifiant, la réforme engagée en 2006. Il confirme le choix d'une immigration choisie. Il confirme l'affirmation d'un lien étroit entre intégration et immigration, tant il est vrai que l'immigration n'a de sens que si elle débouche sur une vraie intégration. Enfin, il confirme la nécessité d'inscrire notre politique d'immigration dans une véritable stratégie de codéveloppement.
Ce projet de loi, monsieur le ministre, a deux objectifs.
Premièrement, il vise à mieux contrôler les conditions du regroupement familial pour favoriser la réussite de l'intégration.
C'est un bon projet, car il accentue le processus d'intégration des immigrés réguliers.
Trois mesures permettront d'atteindre cet objectif.
En premier lieu, les personnes souhaitant rejoindre la France dans le cadre du regroupement familial seront désormais soumises, dans les pays de résidence, à une évaluation de leur connaissance de la langue française et des valeurs de la République. Il s'agit d'une mesure de bon sens, car comment espérer s'intégrer en France, trouver un travail et organiser une vie sociale sans parler un mot de français ?
Un débat a eu lieu en commission des lois pour savoir si les conjoints étrangers de Français résidant à l'étranger et souhaitant rejoindre leur conjoint français devaient passer ou non un test de langue et suivre dans leur pays d'origine une formation linguistique et civique.
Le mariage d'un étranger avec un Français peut parfois représenter un signe d'intégration. Mais tel n'est pas toujours le cas. Les conjoints étrangers de Français résidant à l'étranger ne sauraient bénéficier d'une présomption d'intégration.
Un amendement déposé par notre collègue Robert Del Picchia me paraît intéressant. Il prévoit explicitement que des conventions internationales pourront dispenser les conjoints de Français du test et de la formation dans le pays où ils sollicitent le visa. Cette évaluation et cette formation pourront se faire à l'arrivée en France.
Cet amendement me paraît raisonnable, car il permet de prendre en compte la situation particulière des couples binationaux qui, vivant à l'étranger, décident de rejoindre la France pour des raisons professionnelles.
En deuxième lieu, ce projet de loi vise à créer un « contrat d'accueil et d'intégration pour la famille », qui s'ajoute au contrat d'accueil et d'intégration.
Signé entre les parents d'enfants ayant bénéficié du regroupement familial et l'État, ce nouveau contrat obligera les premiers à veiller à la bonne intégration de leurs enfants arrivant en France.
La création de ce nouvel outil au service de l'intégration ne constitue pas un signe de défiance à l'égard des parents étrangers arrivant en France, pas plus qu'il ne s'agit d'entraver le droit d'un enfant à vivre une vie familiale normale avec ses parents. Il s'agit, là aussi, d'une mesure de bon sens destinée à favoriser l'intégration des enfants dont les parents s'installent sur notre sol et à accroître leurs chances de réussir leur vie en France.
En troisième lieu, l'étranger souhaitant faire venir son conjoint et ses enfants en France devra prouver qu'il dispose de revenus adaptés à la taille de sa famille.
Conformément à l'engagement pris par le Président de la République, les étrangers qui font une demande de regroupement familial doivent pouvoir disposer de revenus suffisants pour subvenir aux besoins de leur famille sans recourir aux prestations sociales.
Le projet de loi initial du Gouvernement prévoyait que les ressources exigées puissent varier, selon la taille de la famille, entre le SMIC et 1,2 fois le montant de ce dernier.
L'Assemblée nationale a décidé de durcir les conditions de ressources en proposant que, pour une famille de plus de six personnes, il soit possible d'exiger jusqu'à 1,33 fois le SMIC.
Le seuil retenu nous semble ignorer les dispositions constitutionnelles qui protègent le regroupement familial. C'est pourquoi la commission des lois du Sénat, sur l'initiative de notre excellent rapporteur, proposera une voie médiane. Le SMIC demeurerait la référence et le plafond serait fixé à 1,2 SMIC pour les seules familles de six enfants ou plus.
L'équilibre trouvé me semble satisfaisant, car il concilie la position de principe du Sénat, arrêtée par deux fois en 2003 et en 2006, et celle du Gouvernement.
Cette mesure me paraît être de bon sens, car les dépenses nécessaires à l'intégration d'une famille de plus de six enfants sont nécessairement plus importantes que pour une famille de trois enfants.
Elle me paraît également être utile, car elle vise à mettre fin au système intolérable des marchands de sommeil qui logent des familles entières dans des hôtels insalubres.
Enfin, c'est une mesure opportune, car l'étranger qui fait une demande de regroupement familial doit pouvoir vivre sur notre territoire du revenu de son travail et non des revenus de l'assistance. Nous aurons l'occasion d'y revenir au cours de nos débats.
Ce texte est bon, car il est à la fois juste et humain.
M. David Assouline. Il fallait oser !
M. Jean-Patrick Courtois. Il est juste et humain, car il conforte l'intégration des immigrés en situation légale sur notre territoire en instaurant une carte de résident à durée indéterminée.
M. David Assouline. Nous n'avons pas la même conception de l'humanité !
M. Jean-Patrick Courtois. De quoi s'agit-il ? Il s'agit de donner à l'étranger qui a le statut de résident depuis plus de dix ans une carte de résident à durée illimitée et non plus décennale, comme c'est actuellement le cas.
Ce texte est juste et humain, car il facilite la vie des étrangers qui séjournent depuis longtemps en France et qui ont accompli un parcours d'intégration exemplaire.
Il est juste et humain, car il encourage les bonnes pratiques en favorisant le maintien sur notre territoire de ceux qui jouent le jeu de l'intégration.
Mme Éliane Assassi. C'est surtout cela qui vous intéresse !
M. Jean-Patrick Courtois. Je souhaiterais vous faire part de mes observations sur les intenses et, parfois, vifs débats que le recours aux tests ADN a pu susciter.
Nous ne devons plus avoir, lors d'un débat sur un thème aussi majeur que l'immigration, de sujets et de questions tabous. La discussion doit être ouverte et toujours rester constructive.
Les inquiétudes légitimes des sénateurs ont conduit la commission des lois à supprimer la possibilité introduite par l'Assemblée nationale de recourir aux tests ADN pour prouver la filiation d'un candidat au regroupement familial.
Un amendement présenté par M. Jean-Jacques Hyest vise à introduire un nouveau dispositif assorti de garanties s'ajoutant à celles qui ont déjà été apportées par le Gouvernement à l'amendement de Thierry Mariani. Bien qu'il n'ait pas été adopté ce matin par la commission des lois, cet amendement me paraît bon dans la mesure où le dispositif qu'il vise à mettre en place est particulièrement protecteur.
Mme Éliane Assassi. Quel bel alibi !
M. Jean-Patrick Courtois. Il place en effet le juge au coeur du dispositif afin de garantir le respect et la sauvegarde des droits individuels.
Mme Catherine Tasca. Les juges ont autre chose à faire !
M. Jean-Patrick Courtois. Saisis, par le demandeur d'un visa ou par son représentant légal, d'une demande d'identification par empreintes génétiques, les agents diplomatiques ou consulaires devront en effet avertir sans délai le président du tribunal de grande instance de Nantes afin qu'il statue sur la nécessité de faire procéder à une telle identification. C'est une avancée notable et majeure.
Le dispositif proposé est également protecteur, car la faculté de recourir au test ADN sera strictement limitée à la recherche d'une filiation déclarée avec la mère du demandeur de visa. Ainsi, seule la filiation avec la mère pourra être prouvée par le test et produite en soutien d'une demande de visa.
Le dispositif proposé est également protecteur, car - j'insiste sur ce point -.le consentement des personnes dont l'identification est recherchée doit être préalablement et expressément recueilli.
Sa mise en oeuvre sera, en outre, progressive et transparente. L'usage du test génétique sera en effet expérimenté dans quelques pays pour une durée qui ne pourra pas excéder dix-huit mois suivant la publication du décret d'application. Ainsi, le débat parlementaire sur l'évaluation du dispositif coïncidera avec celui qui sera consacré à la révision des lois relatives à la bioéthique.
Ce dispositif est également protecteur, car il sera évalué par un organe indépendant. Ainsi, des garde-fous sont posés (M. David Assouline s'exclame.) et les conditions sont réunies pour garantir une utilisation strictement encadrée des tests ADN.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. N'en jetez plus !
M. Jean-Patrick Courtois. Enfin, ce dispositif est protecteur car, grâce au sous-amendement du Gouvernement, les analyses d'identification seront, dans tous les cas, réalisées aux frais de l'État, et pas seulement lorsque le visa est accordé.
M. David Assouline. Ils veulent se faire pardonner !
M. Jean-Patrick Courtois. Il s'agit d'une réelle avancée qui devrait permettre de répondre aux inquiétudes exprimées par certains de nos collègues. C'est pourquoi je soutiendrai ce dispositif et appellerai l'ensemble de mes collègues du groupe de l'UMP à l'adopter.
Mme Éliane Assassi. C'est un scoop !
M. Jean-Patrick Courtois. J'en viens au second objectif du texte : ce projet de loi vise à conforter le droit d'asile en France par un respect plus grand des droits fondamentaux et de la dignité des étrangers.
Le droit d'asile est l'un des plus beaux principes de notre République, l'un de ceux qui honorent le plus notre nation et qui participent à son aura sur la scène internationale. Le droit d'asile demeure pour notre pays une exigence morale.
La France, fidèle à sa tradition humaniste, doit continuer à être une terre d'accueil pour tous les persécutés du monde. On ne saurait toutefois tolérer que cette procédure généreuse soit détournée de son objet par ceux qui ne subissent aucune menace, mais qui se tournent vers l'asile politique parce qu'ils se sont vu refuser toutes les autres formes d'immigration.
M. David Assouline. Toutes les générosités sont toujours détournées !
M. Jean-Patrick Courtois. Le texte que vous nous proposez, monsieur le ministre, est juste et humain, car, loin de restreindre le droit d'asile, il offre de nouvelles garanties juridictionnelles aux demandeurs d'asile.
Les étrangers qui demandent l'asile à leur descente d'avion pourront désormais, lorsqu'ils estiment que la France leur refuse à tort le statut de réfugié, rester dans la zone d'attente jusqu'à ce qu'un juge ait statué en urgence.
Selon le dispositif remanié par l'Assemblée nationale, l'intéressé pourra contester le refus d'entrée sur le territoire français au titre de l'asile en exerçant un recours en annulation de plein droit suspensif, recours qui se substitue au référé-liberté, non suspensif.
Ainsi, les droits des demandeurs d'asile à la frontière sont non seulement confortés, mais également renforcés, conformément à une jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme du 26 avril 2007.
Enfin, ce projet est bon, car il s'inscrit dans une véritable stratégie de codéveloppement pragmatique et ambitieuse. Pour la première fois dans l'histoire de la Ve République, le codéveloppement fait l'objet d'un ministère.
Ce texte est généreux, car il vise à encourager la participation des migrants au développement de leur pays d'origine.
Mme Éliane Assassi. On aura tout entendu !
M. Jean-Patrick Courtois. Ce texte est généreux, car il entend favoriser une meilleure mobilisation de l'épargne des migrants vivant en France pour leur permettre d'investir dans leur pays d'origine.
Ce texte est généreux, car, grâce à l'amendement de notre collègue député Frédéric Lefebvre, adopté à l'unanimité, un livret d'épargne pour le codéveloppement est créé. (Ah ! sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.) Un message fort est ainsi adressé aux étrangers qui souhaiteraient éventuellement retourner dans leur pays d'origine ou aider leurs proches.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Vous y croyez ?
M. David Assouline. La face de l'Afrique s'en trouvera changée !
M. Jean-Patrick Courtois. Monsieur le ministre, parce que ce texte répond avec pragmatisme à la problématique de l'immigration et de l'intégration, parce qu'il poursuit et conforte la politique d'immigration choisie grâce à laquelle chacun sera gagnant, parce qu'il renforce les instruments juridiques d'une politique volontariste de l'immigration, notre groupe le votera tel qu'il sera enrichi par nos travaux, plus particulièrement par les pertinentes propositions de notre excellent rapporteur, François-Noël Buffet, et du président de la commission des lois. (Applaudissements sur les travées de l'UMP. - MM. Adrien Giraud et Georges Othily applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet.
Mme Nathalie Goulet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, Mme Assassi a parlé tout à l'heure de la lettre de Guy Môquet. Je voudrais, pour ma part, évoquer une autre lettre, celle de Missak Manouchian, assassiné avec ses amis de « l'Affiche rouge ». Il écrivait à sa femme : « Tu pourras faire valoir ton droit de pension de guerre en tant que ma femme, car je meurs en soldat régulier de l'armée française de la libération ».
Mme Éliane Assassi. Très bien !
Mme Nathalie Goulet. Missak Manouchian et ses amis de « l'Affiche rouge » - Italiens, Roumains, Espagnols, Hongrois, Polonais et Arméniens - sont venus se battre et mourir pour la libération de notre pays.
Et que dire de ces soldats de l'ombre remis à l'honneur par le film Indigènes ? Faut-il aujourd'hui que leurs descendants soient stigmatisés au nom de quelques sophismes grossiers, parce qu'« à prononcer leur nom est difficile » ?
Nous sommes attachés à des valeurs. Ne disait-on pas jadis : « Heureux comme Dieu en France » ? Je doute, monsieur le ministre, que Dieu soit aujourd'hui très heureux avec votre texte... (Mme Éliane Assassi s'esclaffe.)
Vous l'aurez compris, monsieur le ministre, je n'aime pas beaucoup le libellé de votre ministère et sa référence à l'identité nationale.
Il n'est pas question ici de nier l'existence d'un vrai problème à résoudre concernant l'immigration irrégulière. Comme le disait Etienne Pinte, qui n'est pas précisément un parlementaire de l'opposition, dans son intervention à l'Assemblée nationale, « ce texte ne s'attaque pas au vrai problème ».
Comme beaucoup l'ont rappelé, de très nombreux textes relatifs à l'entrée et au séjour des étrangers, au droit d'asile, au code de la nationalité, à la validation des mariages, à la circulation et à l'emploi de certaines catégories d'étrangers ont été étudiés ces dernières années. Pour quelle efficacité ? Pour quel bilan ? Aujourd'hui, vous n'en avez présenté aucun à la représentation nationale.
Il faut, à cet égard, faire preuve de pragmatisme et de réalisme. L'immigration irrégulière constitue une réelle question qu'il faut résoudre avec volonté mais dans le respect de l'éthique et du droit. Nous ne réglerons pas les problèmes seuls. D'ailleurs, aucun pays n'a encore trouvé de solution miracle à cette question.
Le Conseil de l'Europe, qui travaille dans l'indifférence générale, a néanmoins beaucoup réfléchi sur ces questions et a qualifié votre politique - je devrais dire « la politique de la France » - de particulièrement agressive.
J'ai assisté hier, à Strasbourg, aux débats sur ce thème de l'immigration : le Conseil, comme l'Organisation internationale pour les migrations, estime à plus de 5,5 millions le nombre de migrants en situation irrégulière vivant sur le territoire de l'Union européenne et à 8 millions le nombre de ceux qui vivent en Russie. Il est donc absolument impératif de prendre en compte ces considérations.
Dans son projet de résolution, l'Assemblée parlementaire se dit vivement préoccupée par cette situation. La question est non plus de savoir si l'on est favorable aux migrations, mais de parvenir à en réduire les effets négatifs, et notamment de régler le sort des migrants en situation irrégulière.
Il ne serait peut-être pas inutile de s'intéresser aux travaux des quarante-six pays, de l'Atlantique à l'Oural, membres du Conseil de l'Europe, lequel agit, je le répète, dans l'indifférence générale.
Notre collègue Jean-Guy Branger est vice-président de la commission des migrations, des réfugiés et de la population. Il serait sûrement souhaitable de s'attacher à son expertise.
De toute évidence, notre politique migratoire s'alignera de plus en plus sur l'exemple américain. Je souhaiterais donc qu'il en soit également ainsi pour l'accueil des étudiants.
Monsieur le ministre, vous avez mentionné à l'Assemblée nationale, et tout à l'heure dans cet hémicycle, une politique volontariste d'accueil d'étudiants étrangers. Et j'ai beaucoup apprécié l'intervention d'Adrien Gouteyron sur ce thème.
Je voudrais simplement citer le cas, que je connais bien, des étudiants venant des pays du Golfe. Je choisis à dessein l'exemple de ces étudiants, car ces derniers ne sont pas boursiers et ne coûtent rien à notre pays.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Ils sont en général assez fortunés !
Mme Nathalie Goulet. Ce n'est pas une raison pour les traiter mal !
Nous accueillons, en tout et pour tout, 1 000 étudiants de la péninsule arabique, alors que les États-Unis en reçoivent 10 000. L'accueil dans nos consulats, monsieur le ministre, est totalement inadapté, l'offre universitaire illisible, la paperasserie administrative, notamment pour l'obtention des visas, extrêmement compliquée, et l'accompagnement sur le terrain à l'arrivée en France totalement inexistant.
Les tentatives de formation médicale ont pratiquement toutes échoué, tandis que les liens avec nos entreprises, à l'exception des plus importantes comme Total, n'ont pas fonctionné. Nous sommes totalement absents du circuit universitaire de ces pays, exclusivement ou essentiellement anglophones. Et ce n'est pas l'arrivée récente de quelques entités françaises qui nous feront rattraper notre retard.
Nous devons absolument accueillir des étudiants dans nos entreprises, et nous devons le faire correctement, de façon à former les futurs décideurs. Nous avons manqué la formation des élites d'aujourd'hui. Il ne faudrait pas, monsieur le ministre, rater celle des élites de demain. C'est le souhait que je forme.
Je reviendrai ultérieurement, au cours de la discussion des articles, sur les tests ADN, dont on a beaucoup parlé. Pour ma part, je souhaiterais que cette disposition soit purement et simplement exclue des débats. Je trouve un peu dommageable que la commission d'éthique soit saisie d'un problème aussi important après son examen par le Parlement. Si elle s'était prononcée plus tôt, nous aurions pu avoir un débat plus éclairé. (Applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Adrien Giraud.
M. Adrien Giraud. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, peut-être mon intervention vous paraîtra-t-elle hors sujet, et je vous demande par avance de bien vouloir m'en excuser. Toujours est-il que l'immigration constitue un problème crucial pour Mayotte.
Ce projet de loi relatif à la maîtrise de l'immigration, à l'intégration et à l'asile, adopté par l'Assemblée nationale en première lecture, présente à mes yeux un double mérite.
D'abord, les problèmes de l'outre-mer ne sont pas oubliés. Ils sont traités dans plusieurs articles et selon l'esprit qui convient, c'est-à-dire dans le souci de favoriser les progrès et le développement des pays d'origine de ces immigrants, notamment par l'institution d'un livret d'épargne qui contribuera, par des ressources additionnelles, à l'investissement dans ces pays.
Le second mérite, selon moi essentiel, du projet de loi soumis à l'examen de notre assemblée réside dans le souci d'étendre et surtout d'adapter aux conditions particulières des diverses collectivités de l'outre-mer français les dispositions de la future loi.
L'article 17 du projet de loi prévoit en effet qu'une ordonnance viendra en préciser les conditions et modalités d'application à l'outre-mer. Nous retrouvons ainsi une procédure législative que nous connaissons bien et qui a permis l'extension et l'adaptation à Mayotte des dispositions de la loi précédente du 24 juillet 2006. Tel est l'objet de l'ordonnance du 25 janvier 2007, qui se trouvera ratifiée par l'article 18 du présent projet de loi.
Permettez-moi, monsieur le ministre, de souhaiter la même célérité, et même un peu plus, pour l'entrée en vigueur à Mayotte des dispositions nouvelles que vous nous présentez aujourd'hui.
En effet, la situation de l'immigration pose à notre île, « collectivité départementale », de difficiles problèmes qui appellent le renforcement urgent des mesures de protection et de survie, réclamées par la population mahoraise.
Je n'ai nul besoin d'insister sur les données et les conséquences de l'immigration étrangère, et singulièrement de l'immigration clandestine à Mayotte. Elles sont en effet bien connues du Gouvernement, qui a été régulièrement informé par nos élus...
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Hors sujet !
M. Adrien Giraud. ...et par diverses missions interministérielles dans notre île autant que par les rapports des services officiels qui évaluent sur place toutes les conséquences des flux migratoires clandestins, encore trop mal contrôlés, il faut bien le dire.
Les données de cette situation sont évidentes : elles procèdent de l'étroitesse de notre territoire, avec ses 375 kilomètres carrés et de son insularité. Cette île est peuplée officiellement de 160 265 habitants dans une zone à fort potentiel démographique.
Il ne fait aucun doute qu'il s'agit le plus souvent d'une émigration de la misère, exploitée de surcroît par divers réseaux d'intermédiaires qui, ne se contentant plus d'organiser leur sinistre trafic, encouragent les départs des îles comoriennes vers Mayotte, dans un odieux souci de rendement.
Pour nous, les conséquences de cette immigration massive sont mesurables dans les domaines les plus divers : les statistiques sanitaires et hospitalières, la fréquentation des maternités, les effectifs des écoles et, malheureusement aussi, les taux d'occupation des établissements pénitentiaires, en termes de « surcharges » lourdement subies par ces services publics.
Mais c'est également en raison des tensions sociales liées à de multiples déséquilibres sur le marché de l'emploi que Mayotte prend conscience des atteintes portées à l'ordre public, à la paix civile comme à la tranquillité des Mahorais.
Il serait totalement injuste, monsieur le ministre, de méconnaître les efforts consentis, sur notre demande, par les gouvernements successifs afin de mieux contrôler les conditions d'entrée et de séjour à Mayotte, et surtout de combattre plus efficacement l'immigration clandestine.
Je ne manque jamais de saluer le travail souvent difficile et le dévouement de la gendarmerie nationale, des unités ou brigades de police - leur vigilance sur le terrain parvient à limiter la présence et les effets de l'immigration clandestine à Mayotte -, des brigades des douanes, ainsi que l'efficacité remarquable de la justice. Le nombre de reconduites à la frontière atteint à présent 14 000 immigrés clandestins, mais certains parviennent à revenir, en dépit des contrôles.
En fait, les moyens en hommes et en matériel demeurent encore insuffisants, notamment en ce qui concerne les effectifs de la gendarmerie maritime, ou encore le nombre de vedettes et de radars de surveillance, dont il faut renforcer la logistique. Mais, monsieur le ministre, nous ne savons que trop que les moyens de contrainte et de répression ne suffiront pas à résoudre toutes nos difficultés.
Il est désormais urgent de définir et de mettre en oeuvre une politique plus globale s'inscrivant dans un cadre contractuel ou conventionnel d'État à État, avec les pays concernés. L'on parle, à cet égard, de codéveloppement, pour caractériser cette politique de coopération qui doit être rénovée dans son esprit et ses méthodes.
En contrepartie, le gouvernement signataire doit s'engager à mieux surveiller ses propres frontières. Le laxisme actuel apparaît souvent comme un encouragement au départ des émigrants clandestins. Plusieurs signes indiquant un changement d'attitude de certaines autorités comoriennes nous sont récemment parvenus et nous conduisent à souhaiter que cet esprit de coopération volontaire se confirme et se généralise.
Ouverts à cette volonté lucide et active de coopération régionale, les Mahorais continueront à lutter, sans relâche et avec des moyens accrus, contre l'immigration clandestine. Mayotte entend ainsi passer, suivant l'expression du Président de la République, M. Nicolas Sarkozy, de l'immigration subie à « une politique d'immigration choisie ». Nous participerons, le moment venu, à l'élaboration de l'ordonnance prévue à l'article 17, qui adaptera ces mesures générales au contexte si particulier de Mayotte.
Encore faut-il que nos options politiques et notre détermination historique en faveur de la France soient respectées par tous. À cet égard, je voudrais faire une mise au point.
Mes chers collègues, comme vous le savez, Mayotte fait partie de l'outre-mer français par son libre choix, lequel a été entériné par l'article 72-3 de la Constitution.
Je demande que cesse enfin ce double langage au sujet du choix volontaire et réitéré de la France par les Mahorais, qui, si l'on n'y prend garde, aboutit à fournir de faciles alibis aux responsables comoriens. À leurs propos hasardeux, il est facile d'opposer les démentis les plus catégoriques, ceux qui viennent simplement de l'histoire.
Mayotte est française depuis 1841, bien avant les autres îles de l'archipel, Nice ou la Savoie ! (Sourires.) Les Mahorais n'ont jamais, depuis lors, changé d'opinion ni de discours. Mayotte a choisi de demeurer française quand d'autres choisissaient l'indépendance, qui, pour beaucoup, hélas ! n'a eu pour seuls résultats que la corruption, dix-huit tentatives de coup d'État et des faillites en tous genres.
Que chacun assume sa responsabilité devant sa propre histoire. J'aurai l'occasion de le dire encore à cette tribune afin d'éviter que certains esprits, même de bonne foi, ne se laissent abuser par des plaidoyers dénués de tout rapport avec la vérité historique.
Telle est la mise au point, considérée comme essentielle par les Mahorais, que je tenais à faire. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Chacun connaît l'attachement de Mayotte à la France !
M. Jean-Luc Mélenchon. Et vice-versa !
M. le président. La parole est à Mme Catherine Tasca.
Mme Catherine Tasca. Monsieur le ministre, il ne faut pas que le débat sur les tests ADN, qui ont été légitimement rejetés par la commission des lois, soit l'arbre qui cache la forêt. Le projet de loi que vous nous présentez aujourd'hui constitue, dans son ensemble, non seulement une menace permanente pour les étrangers vivant sur notre territoire et une restriction de liberté pour nos compatriotes voulant vivre avec eux, mais il porte aussi gravement atteinte au crédit de la France dans le monde. Les réelles difficultés de certains territoires d'outre-mer méritent un traitement particulier, mais elles ne sauraient justifier ce texte général.
Nous sommes à l'heure de la mondialisation. Personne ne conteste la nécessité de s'y adapter, à commencer par le Président de la République, qui a récemment confié à Hubert Védrine la mission de rédiger un rapport sur ce sujet.
Alors, monsieur le ministre, je vous pose la question : que signifie pour vous la mondialisation ? À nos yeux, c'est une réalité que nous devons regarder en face !
En ce début de XXIe siècle, les distances se sont réduites, les communications sont instantanées. Dans ces conditions, comment imaginer un monde dans lequel les capitaux et les informations circuleraient librement tandis que les êtres humains seraient pour le plus grand nombre voués à rester sur leur territoire d'origine ? Se mettre à l'heure de la mondialisation nous oblige à admettre que les mouvements de population dans le monde vont s'amplifier et non se restreindre.
L'obsession de « maîtriser les flux migratoires », qui semble être la vôtre à travers ce énième projet de loi, est donc assez largement irréaliste. Elle est également contraire aux principes républicains qui ont fait de la France un pays respecté et influent dans le monde.
Jeter la suspicion en permanence sur l'étranger, c'est se fermer au monde. La France court un grand danger en se prêtant à cette escalade. S'en prendre à l'étranger ne réglera aucun de nos problèmes. Au contraire, cela nous isolera du reste du monde, nous laissant seuls face à nos difficultés.
La France est un pays d'immigration depuis le XIXe siècle. Elle a massivement fait appel à la main-d'oeuvre étrangère pour reconstruire le pays après 1945. En 1974, elle a commencé à fermer ses frontières quand elle a pris peur face à la crise économique mondiale. Depuis cette date, le chômage a-t-il été enrayé ? Non, il a augmenté !
L'argument tronqué et inlassablement rabâché selon lequel « La France ne peut pas accueillir toute la misère du monde » est à côté de la plaque. Les difficultés économiques et sociales que vivent les Français ne tiennent pas à la présence d'étrangers, qu'ils soient en situation régulière ou non, sur notre sol ; elles sont dues aux problèmes structurels de notre société : manque de compétitivité de nos entreprises, investissement public insuffisant en matière de recherche et d'innovation, déficit de logements, difficultés d'adaptation de notre appareil éducatif.
Comme l'a rappelé M. Collombat, la proportion d'étrangers sur notre territoire est stable depuis vingt-cinq ans, représentant de 5 % à 6 % de la population, soit un peu plus de trois millions de personnes pour un pays de soixante millions d'habitants. Quant aux étrangers en situation irrégulière, leur nombre est estimé à 400 000, soit 0,6 % de la population. Il n'y a donc aucune vraie raison de vouloir durcir les conditions de l'immigration légale, si ce n'est une volonté d'affichage politique en réponse au trouble de l'opinion.
Monsieur le ministre, vous affirmez vouloir lutter contre l'immigration clandestine. Pourtant, aucune disposition majeure du projet de loi n'y est consacrée. Pis, en durcissant les conditions de l'immigration légale, vous prenez le risque de faire flamber les prix des passeurs et des réseaux clandestins, qui prospèrent précisément sur les refus de visas et de titres de séjour.
En réalité, l'essentiel de votre texte vise à dresser des obstacles à l'immigration légale.
Si votre projet de loi était voté en l'état, l'administration française serait conduite à exiger des candidats au regroupement familial une formation à la langue française et des documents alors que ces candidats peuvent être issus de pays où, vous le savez bien, le droit à l'éducation n'est pas encore assuré et où l'administration ne dispose pas des moyens de la France, particulièrement en matière d'état civil. C'est pourquoi nous demanderons la suppression des articles 1er et 2.
Le problème des visas est devenu chez nos partenaires étrangers le symbole d'une France suspicieuse, frileuse et un tantinet xénophobe. Ce n'est pas la France que nous aimons !
Pour justifier les expulsions du territoire, vous répétez que « la loi doit être respectée ». Mais le Gouvernement, lui, respecte-t-il les engagements internationaux de la France, c'est-à-dire la loi internationale, notamment l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, qui assure à chacun le droit au respect de sa vie privée et familiale ?
Vous avez défini un objectif, « l'immigration choisie », qui fait craindre à de nombreux pays, notamment en Afrique, une « fuite des cerveaux » qui compliquerait encore leurs conditions de développement. À l'inverse, les difficultés cumulées pour venir faire des études en France font qu'un grand nombre d'étudiants étrangers renoncent à s'inscrire chez nous et préfèrent d'autres destinations.
Mme Nathalie Goulet. C'est vrai !
Mme Catherine Tasca. Ces étudiants constituent pourtant une ressource humaine précieuse dont on risque de priver nos entreprises. Ils pourraient surtout représenter un réseau d'influence très utile pour l'avenir.
Tout cela est absurde ! Lisez plutôt le rapport d'information n° 347 rédigé par M. Christian Gaudin, au nom de la mission commune d'information sur la notion de centre de décision économique et les conséquences qui s'attachent en ce domaine à l'attractivité du territoire national, mission présidée par M. Philippe Marini. Il y est proposé d'assouplir la délivrance des visas pour renforcer l'attractivité de notre territoire.
Et que dire de la francophonie ? C'est pourtant grâce à cette dernière que nous avons pu parfois avoir gain de cause dans certaines négociations internationales serrées, comme celle qui concernait, par exemple, la convention de l'UNESCO sur la diversité culturelle.
En tenant des propos comme ceux qu'a prononcés en juillet dernier à Dakar le Président de la République et en affichant de manière ostentatoire une politique intensive d'expulsion d'étrangers, vous êtes en train de réussir le tour de force de brouiller la France avec la communauté francophone. En ce sens, le blocage du projet de Maison de la francophonie à Paris est un très mauvais signal que nous lui envoyons. D'ailleurs, nous commençons à le payer. Cela se traduit pour de nombreux pays africains par un partenariat privilégié avec la Chine au détriment de la France, par exemple dans un secteur crucial comme celui de l'uranium.
Cette image de fermeture ne contribue en rien à régler nos problèmes intérieurs. Votre politique conduit la France dans une impasse sur le plan international.
Monsieur le ministre, nous sommes convaincus qu'il faut changer notre politique de l'immigration et modifier radicalement le rapport à l'étranger, rapport de défiance et d'exclusion que vous instillez jour après jour, loi après loi, dans la société française.
Il n'est pas forcément nécessaire de consentir aux étrangers vivant sur notre territoire tous les droits dont jouissent les nationaux. D'ailleurs, beaucoup de migrants souhaitent conserver le lien avec leur pays d'origine. Ils ne sont pas tous demandeurs de la nationalité française, mais c'est souvent le seul moyen pour eux de vivre en paix chez nous. Ils n'en auraient pas besoin si, tout étranger qu'ils sont, leur étaient reconnus les droits fondamentaux, notamment celui de travailler et de vivre normalement.
Il est indigne de la France que les unions entre Français et étrangers soient désormais systématiquement suspectes aux yeux de l'administration. C'est la raison pour laquelle l'article 4 du projet de loi doit être complètement réécrit. La commission des lois du Sénat a déjà travaillé en ce sens.
Il faudra aussi modifier les articles 6 à 10 relatifs au droit d'asile, qui vous ont été en partie imposés par la condamnation de la France, le 26 avril 2007, par la Cour européenne des droits de l'homme. Malheureusement, vous avez assorti les nouvelles dispositions, assurant enfin le caractère suspensif du recours, de conditions encore restrictives de délai et d'appel, alors même que se multiplient dans le monde les situations de conflit et les régimes antidémocratiques.
Monsieur le ministre, c'est aussi notre rôle de parlementaire de dire que l'état de peur dans lequel vivent désormais de nombreux étrangers sur notre territoire n'est pas acceptable. Cela me conduit à parler des aspects de votre politique qui sont extérieurs au projet de loi, mais qui participent de la même philosophie, sans doute de la même stratégie.
Les objectifs chiffrés d'expulsion qui sont les vôtres ne sont ni réalistes ni justes et ont pour seul résultat de conduire à des situations inhumaines, dramatiques. Cette politique place les pays de départ dans une situation impossible. Ils n'osent pas le dire tout haut tant ils dépendent des aides au développement. Certains font donc de la résistance passive en refusant d'accueillir leurs nationaux reconduits.
Il est grand temps de reprendre une politique de régularisation réfléchie avec des critères justes et sans objectifs chiffrés absurdes. L'expulsion devrait être l'exception. Notre premier souci devrait être de faire entrer le plus grand nombre possible de ces étrangers dans la légalité, situation bénéfique pour eux et pour toute la collectivité, puisque nous en ferions d'utiles contributeurs à la croissance de notre pays. (Mme Bariza Khiari applaudit.)
Enfin, l'aide au développement doit devenir un axe majeur de la politique étrangère de la France, en coordination avec toute l'Union européenne. C'est la seule voie durable pour réduire les inégalités à l'échelle internationale, et c'est donc la seule voie pour conduire une politique globale des migrations responsable, juste, digne et efficace. C'est dans ce sens que les sénateurs socialistes porteront la discussion de ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Soibahaddine Ibrahim.
M. Soibahaddine Ibrahim. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le rapport de la commission d'enquête du Sénat sur l'immigration clandestine a fait état en outre-mer de l'existence d'un phénomène massif, qui dépasse largement le strict cadre du regroupement familial, principal objet du présent projet de loi, notamment en Guyane, en Guadeloupe et à Mayotte. Dans ces collectivités, hormis en Guadeloupe, la population étrangère en situation régulière ne constitue qu'une infime partie des immigrés présents sur le territoire.
Comme vous le savez, mes chers collègues, ces trois collectivités sont les plus exposées aux flux migratoires illégaux en raison de leur proximité géographique avec les pays sources, qu'il s'agisse d'Haïti, du Surinam, du Brésil, des Comores ou de Madagascar.
Parmi ces collectivités, Mayotte, territoire de très faible dimension, doit faire face à une pression constante. De ce fait, l'île connaît une situation tendue en matière de structures d'accueil, que ce soit à l'école maternelle et élémentaire, au centre hospitalier de Mamoudzou, dans les dispensaires et les maternités ruraux ainsi que dans les domaines du logement et de l'emploi.
Dans ce contexte, la loi du 24 juillet 2006 relative à l'immigration et à l'intégration prévoit pour Mayotte un ensemble de mesures qui commencent à donner des résultats : visite sommaire de véhicules circulant sur la voie publique en vue de rechercher et de constater les infractions relatives à l'entrée et au séjour des étrangers, destruction sur décision du procureur de la République des embarcations ayant servi à commettre des infractions d'aide à l'entrée et au séjour irréguliers dans l'île, accompagnée de condamnations des passeurs, contrôle de l'identité des personnes le long du littoral, contrôle plus efficace des reconnaissances de paternité afin de lutter contre les reconnaissances frauduleuses, mise à la charge personnelle du père d'un enfant naturel des frais de maternité de la mère étrangère en situation irrégulière, suppression des dispositions qui s'opposaient jusqu'ici au contrôle de la régularité des employés de maison au regard du code du travail et des lois sociales.
À ces mesures, inspirées en partie par les conclusions de la commission d'enquête sénatoriale sur l'immigration clandestine, devraient s'ajouter l'implantation d'un troisième radar, la construction d'un nouveau centre de rétention administrative et l'envoi de deux vedettes rapides.
Toutefois, il convient d'observer que, si le nombre d'éloignements et d'embarcations interceptées est en constante augmentation, les drames en mer se multiplient et la liste des victimes, femmes et enfants, s'allonge aussi. Jamais ce bras de mer de 70 kilomètres qui sépare Mayotte d'Anjouan n'a aussi bien mérité son nom de « plus grand cimetière de l'océan Indien ».
Monsieur le ministre, l'expérience montre qu'il est très difficile d'empêcher les candidats à l'immigration de tenter d'entrer illégalement à Mayotte ou d'y revenir après un éloignement, malgré le renforcement considérable des moyens de contrôle et de surveillance aux frontières.
C'est pourquoi je propose que, dans le cadre de l'ordonnance prévue à l'article 17 de ce projet de loi, un équilibre soit établi entre, d'une part, la répression à Mayotte et, d'autre part, le codéveloppement et l'aide au développement aux Comores.
Je suggère que les actions prioritaires arrêtées en commun dans le cadre de la première réunion de la commission mixte franco-comorienne de 2005 fassent l'objet d'un document contractuel qui pourrait prendre la forme d'un pacte pluriannuel de développement, pacte visant à réduire la pauvreté aux Comores de 50 % en une décennie.
Ce programme de base évalué à 316 millions d'euros pourrait être financé conjointement par les fonds de la coopération française, les crédits de l'Union européenne et le concours des bailleurs de fonds internationaux.
Au préalable, il faudra résoudre la crise anjouanaise par le dialogue, sous l'égide de l'union africaine.
Monsieur le ministre, sous le bénéfice de ces observations, je soutiendrai votre projet de loi tout en restant extrêmement attentif aux termes de l'ordonnance prévue à l'article 17 visant son extension à Mayotte. (Applaudissements sur les travées de l'UMP. - MM. Adrien Giraud et Georges Othily applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.
Mme Alima Boumediene-Thiery. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le droit de vivre en famille est aujourd'hui un élément fondamental de la politique française en matière d'immigration. Ce droit, reconnu par le droit international, s'impose à notre droit national.
Permettez-moi un bref mais nécessaire rappel : depuis le début du siècle dernier, la France a voulu attirer non seulement des travailleurs, mais également des familles pour diverses raisons.
Les étrangers ont pendant longtemps été considérés comme une source précieuse d'enrichissement, notamment du point de vue économique et démographique.
Durant la Seconde Guerre mondiale, de nombreux hommes sont venus d'ailleurs pour libérer notre pays du nazisme. Certains d'entre eux sont restés sur notre sol pour aider à la reconstruction de la France, et ils ont alors été rejoints par leur famille.
En fait, dès le début du siècle, la France a cherché à attirer vers elle non seulement des travailleurs immigrés, mais également des familles.
Cependant, dès 1975, avec la crise, une nouvelle vision de l'immigration a fait place à une conception plus restrictive : seuls les hommes, les travailleurs, ont été les bienvenus. Tout a été mis en oeuvre à cette époque pour dissuader les travailleurs de faire venir leur famille.
Pour mémoire, il existait même un fonds, le Fonds d'action sociale, le FAS, qui versait des allocations aux familles restées au pays et qui finançait les foyers SONACOTRA, pour travailleurs étrangers.
Ce fonds a d'ailleurs permis, après 1978, de financer certaines associations afin qu'elles mènent des actions d'insertion et d'intégration auprès des familles de migrants.
Pourquoi 1978 ? Parce que c'est à cette date que le Conseil d'État a admis que le droit à une vie familiale était un principe reconnu par les lois de la République.
Dès ce moment, on pensait que la bataille pour le regroupement familial était définitivement gagnée. Aujourd'hui, votre projet de loi l'a remise au goût du jour.
Si, en juillet 1984, les conditions du regroupement familial ont été durcies par Mme Dufoix, votre projet de loi va encore plus loin. C'est une véritable déclaration de guerre aux familles que vous nous soumettez. C'est un bond en arrière de trente ans que vous nous proposez de faire, un bond dans une période où le droit de vivre en famille n'était reconnu ni dans le droit national ni dans le droit international, un bond dans une période ou le respect des droits humains ne signifiait pas la même chose qu'aujourd'hui.
Savez-vous que, durant des années, la France était un exemple en matière d'immigration et de protection de ce droit ? L'Europe entière s'est inspirée de notre modèle.
Aujourd'hui, vous nous proposez de revenir sur ce qui a fait la fierté de la France aux yeux de nombreux États : notre capacité à accueillir les familles, familles que la France elle-même, à une certaine période, a démembrées.
Votre projet de loi s'inscrit parfaitement dans cette idée de démembrement des familles. « Enrobé » de certaines propositions sur l'aide à l'intégration des familles, il est en réalité une abdication de la nécessité devant l'utilité.
Vous voulez nous faire croire, au travers de ce projet de loi, que l'immigration familiale est inutile et coûteuse. L'objectif qui vous a été assigné par le Président de la République est d'atteindre 50% d'immigration économique.
Là se trouve le noeud de discorde. Cette immigration économique, c'est au détriment de l'immigration familiale que vous souhaitez la développer. Peu importe le bonheur de vivre avec ses enfants, peu importe le droit de vivre en famille : ce qu'il faut, c'est du chiffre !
Ce projet de loi a donc un double objet : d'une part, limiter le regroupement familial, cette immigration que vous considérez inutile, d'autre part, malgré votre discours sur l'aide au développement et la coopération, piller les cerveaux des États étrangers et vider ces derniers de leurs matières grises pour mieux inscrire la France dans la concurrence internationale. Vous pratiquez un vandalisme intellectuel indigne de notre pays !
Développer l'immigration économique aurait pu être une démarche louable si cela ne s'était pas fait au détriment de l'immigration familiale.
Comment est-il possible, en effet, de transformer une question aussi importante que l'immigration en un jeu arithmétique ?
Comment peut-on transformer la famille en une variable d'ajustement de votre politique d'immigration ?
Comment pouvez-vous ne pas avoir un instant à l'esprit ce que le droit de vivre ensemble signifie pour toutes ces familles et leurs enfants ?
Permettez-moi, monsieur le ministre, de vous dire qu'une vie familiale normale n'est ni un gadget juridique ni une vue de l'esprit. Il s'agit d'un droit, d'un droit à respecter, car on m'a appris qu'un droit se respecte !
Or, c'est un droit que vous malmenez, que vous déformez dans le seul but de l'anéantir. C'est un droit que vous osez manipuler à des fins statistiques, sans en mesurer toutes les conséquences humaines.
Votre projet de loi masque une conception de l'étranger vexatoire, déstabilisante et qui stigmatise toute une partie de la population.
Vous érigez l'étranger en manipulateur, en fraudeur, en profiteur, en délinquant, en menteur. Il est présumé, avant même avoir mis un pied dans notre pays, être un agent contaminant pour la société française.
L'an dernier, vous nous avez fait légiférer sur la validité des mariages. Cela ne visait en réalité qu'à empêcher les mariages binationaux, que vous considérez comme suspects.
Aujourd'hui, votre projet de loi va même jusqu'à condamner des citoyens français d'avoir fait, malgré tout, ce choix d'épouser un étranger, en compliquant leur droit à vivre en famille !
Ce projet de loi fait plus qu'alimenter la « lepénisation » des esprits : il en est l'expression la plus aboutie !
Ces mesures restrictives apparaissent, pour citer la déclaration d'hier de la Conférence des évêques de France, « comme des concessions à une opinion dominée par la peur ». Les évêques ajoutent d'ailleurs que l'utilisation des tests génétiques pour vérifier les liens de parenté fait courir le risque d'une grave dérive sur le sens de l'homme et la dignité de la famille. Cela constitue une intrusion dans la vie privée et l'intimité des familles prohibée à l'égard des familles françaises.
Ainsi, vous légalisez l'inégalité entre les Français et les étrangers quant à la preuve possible de la filiation, et vous entrez en contradiction avec notre tradition juridique et notre droit de la famille.
Ce n'est pas en rejetant l'autre que vous construirez une France meilleure. Notre France est d'ailleurs le fruit d'un métissage, d'une acceptation de l'autre que votre majorité n'a cessé de tenter de détruire depuis 1997.
En effet, ce projet de loi, comme les précédents textes défendus par votre majorité, jette une suspicion sur l'étranger que nous récusons sous toutes ses formes. Il fait de l'étranger la source de tous les maux de la société française.
Vous avez pris l'exemple du chômage des jeunes étrangers. Il serait plus important que celui des jeunes Français, notamment parmi les diplômés.
Je tiens à vous rappeler, monsieur le ministre, que, si les étrangers connaissent des difficultés pour accéder à une activité professionnelle rémunérée à sa juste valeur, cela n'a rien à voir avec leur degré d'intégration ou leur connaissance du français. En effet, les discriminations qu'ils subissent sont souvent liées à leurs origines et à la couleur de leur peau. C'est la raison pour laquelle la France a été obligée par l'Union européenne de créer la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité, la HALDE.
Mais qu'apporte de plus votre projet de loi pour lutter contre ces discriminations ? Le terme « discriminations » a même disparu, par enchantement, de l'article L. 111-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
Cette suppression est révélatrice de votre démarche. Vous fichez, comptabilisez, sanctionnez les étrangers, mais rien n'est prévu pour lutter effectivement contre les discriminations subies par eux, y compris lorsqu'ils sont en situation régulière.
Une vision aussi simpliste est - dois-je vous le rappeler ? - le point de départ des plus grandes tragédies humaines de notre histoire.
C'est en cela que votre projet est scandaleux ! Il crée la peur et institutionnalise la xénophobie ; il engendre une défiance à l'égard de l'étranger, traite ce dernier en paria, l'humilie avant même de lui donner sa chance.
Après le mythe du bon sauvage, nous avons eu le sauvageon. Voilà maintenant le mythe du sauvage tout court !
Monsieur le ministre, si cette loi avait existé voilà cinquante ans, elle aurait privé la France de nombre de citoyens, de sportifs, de ministres au sein de l'actuel gouvernement, sans parler de tous ceux qui, dans l'ombre, contribuent à la richesse de la France.
Plusieurs sénateurs, dont moi-même, ne seraient pas là aujourd'hui. Plusieurs collègues parlementaires, qui ont choisi de se marier à des étrangers, n'auraient pas pu avoir une vie familiale normale.
Imaginez donc maintenant toutes les pertes et le gâchis que provoquera ce projet de loi dans cinquante ans. Imaginez les désillusions et la détestation que nourrira cette loi, tant à l'étranger qu'en France.
Je souhaite revenir sur quelques exemples édifiants.
Concernant d'abord la formation mise en place par ce projet de loi, pensez-vous réellement qu'un stage de 108 heures pourra permettre à un individu de mieux s'intégrer et de mieux connaître le français ?
Le meilleur moyen de connaître une langue n'est-il pas l'immersion dans celle-ci ? Je me souviens de nos professeurs d'anglais au collège, qui nous recommandaient de partir en stage en Grande-Bretagne pour bien apprendre l'anglais.
Mme Alima Boumediene-Thiery. C'est la confrontation quotidienne à la langue française qui permet aux individus de la maîtriser, et non pas un stage de deux mois en territoire étranger !
Sur ce point, ce projet de loi instituera un système de délivrance d'autorisations de regroupement familial discriminant. En effet, seuls les ressortissants étrangers ayant un certain niveau de vie ou ayant suivi des études dans des écoles dispensant des cours de français ou ayant des parents parlant le français seront éligibles au regroupement familial.
Vous éliminez les ruraux, qui n'ont pas la chance d'accéder à ces écoles situées souvent dans les grandes villes.
Plus grave encore, certaines personnes ne pourront pas suivre la formation qui leur sera imposée : ceux dont le domicile est éloigné du lieu de formation ou ceux qui n'ont pas les moyens de se rendre dans une autre ville pour suivre cette formation.
Elles ne pourront pas obtenir l'attestation de suivi de la formation et seront donc exclues du dispositif en raison de leurs ressources financières.
Ce dispositif est non seulement irréaliste, mais également discriminant. Il risque d'exclure du bénéfice du regroupement familial un grand nombre d'individus, notamment les familles les plus pauvres.
De fait, le regroupement familial leur sera refusé en raison non plus des capacités financières de l'accueillant, mais de leurs ressources financières propres, ressources insuffisantes pour leur permettre de suivre cette formation.
Par ailleurs, il est étonnant que le Gouvernement veuille renforcer un dispositif déjà existant.
En effet, depuis la loi du 18 janvier 2005 et sa généralisation par la loi du 24 juillet 2006, les bénéficiaires du regroupement familial doivent conclure un contrat d'accueil et d'intégration.
Par ce contrat, les personnes âgées de plus de seize ans s'engagent à suivre une formation civique et linguistique. Pourquoi dans ce cas instituer un nouveau dispositif ?
Le Gouvernement, en créant ce doublon, alourdit encore plus la procédure de regroupement familial. Cette fois, il met en place des obstacles extraterritoriaux avant même l'entrée en France des ressortissants étrangers.
Un autre exemple édifiant de votre volonté de détruire le droit de mener une vie familiale normale, monsieur le ministre, est l'exigence d'un seuil de ressources supérieur au SMIC pour les familles étrangères.
Depuis la loi de 2003 sur l'immigration, toute personne souhaitant faire venir sa famille en France par le biais du regroupement familial doit justifier d'un revenu égal au SMIC.
Or l'article 2 du projet de loi vise à augmenter le seuil des ressources en exigeant du demandeur 1,33 fois le SMIC selon la taille de la famille.
Cette disposition crée une discrimination entre les familles étrangères et les familles françaises dans la mesure où le revenu minimum en France s'établit au SMIC. Pourquoi exiger d'une famille étrangère un super-SMIC ? Si un SMIC permet à une famille française de vivre convenablement, pourquoi n'en serait-il pas de même pour une famille étrangère ? Pourquoi voulez-vous précariser encore davantage cette dernière ? Là encore, il s'agit d'exclure les plus précaires et les plus pauvres !
Je me permets de citer les propos du président de la commission des lois, M. Hyest, dans ce même hémicycle, en 2006 : « il n'y a pas lieu d'établir de distinction, s'agissant des ressources, entre la situation des familles étrangères et celles des familles françaises. Par conséquent, s'il est considéré qu'un revenu égal au SMIC permet à une famille française de vivre dans des conditions acceptables, il en va de même pour une famille étrangère ».
À deux reprises, le Sénat a rejeté une telle disposition dans le cadre de la réforme du regroupement familial.
De nouveau, nous ferons en sorte que ce projet de loi prenne un visage humain.
Monsieur le ministre, vous avez déclaré à la presse, et je le regrette : « Je fais confiance au Sénat pour qu'il adopte le projet in fine. ». Mais vous avez précisé que « c'est l'Assemblée nationale qui a le dernier mot ».
M. Jean-Patrick Courtois. C'est la Constitution !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Vos amis veulent supprimer le Sénat !
Mme Alima Boumediene-Thiery. Ces propos frisent le non-respect de la souveraineté parlementaire ! J'espère que, dans cet hémicycle, vous n'aurez pas le dernier mot !
Monsieur le ministre, vous pouvez compter sur notre sagesse pour exclure de ce projet de loi toutes les dispositions liberticides et discriminatoires qu'il contient.
Je suis convaincue que mes collègues sénatrices et sénateurs n'accepteront pas de voir l'image du Sénat associée à des propositions aussi scandaleuses que ce test ADN ...
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Ah non, arrêtez !
Mme Alima Boumediene-Thiery. ... ou ce visa pour les conjoints de Français qui serait notre honte nationale ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Hugues Portelli.
M. Hugues Portelli. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, depuis quatre ans, les lois se succèdent pour modifier en profondeur le droit de l'immigration : quatre ont été adoptées en quatre ans avant celle qui nous est proposée aujourd'hui.
Ces lois sont autant de remises en cause de la politique d'immigration conduite depuis plusieurs décennies, à laquelle il est reproché de ne pas avoir réussi l'intégration économique, sociale, culturelle, d'une bonne partie des populations qui ont rallié la France par vagues successives.
Si, pour la plupart, l'intégration a été réussie, elle n'a cependant pas été complète Si l'immigration doit être régulée, il ne faut pas en faire la source de tous les maux - délinquance, chômage, perte d'identité - qui mineraient le pays, alors que la France a été de tout temps un pays d'accueil.
M. Gérard Delfau. Très bien !
M. Hugues Portelli. Le projet de loi qui nous est proposé évite ces écueils. Il tente de consolider le tournant pris par la France, celui d'une immigration contrôlée, qui intègre au lieu de marginaliser, qui profite à l'économie plutôt qu'à l'assistanat, qui facilite le codéveloppement plutôt que la fuite du travail qualifié.
Sur tous ces objectifs, comment ne pas être d'accord ? Toutes les dispositions que contient ce texte en vue d'atteindre ces objectifs ne peuvent que rencontrer notre assentiment.
Pour autant, et la commission des lois l'a relevé à juste titre, la médaille a son revers.
Tout d'abord, on constate que l'immigration est diverse. On ne peut pas comparer l'immigration en provenance des pays du Sud - Afrique, Maghreb - et celle qui est issue d'Europe de l'Est ou d'Asie, régions dont le niveau de vie, l'organisation sociale et familiale et le système de croyances sont profondément différents. Vouloir imposer un parcours unique à des réalités humaines si différentes peut conduire à des erreurs et à des injustices.
Les migrants sont d'abord des êtres humains ; ils ont donc droit au respect de leur identité et de leur culture autant qu'ils doivent respecter l'identité et la culture du pays qu'ils veulent rejoindre. À l'époque de la mondialisation, où tout homme, toute femme est citoyen du monde, cette égalité de droits et de devoirs, fondée sur l'universelle dignité de la personne humaine, est l'aune à laquelle nous devons mesurer le bien-fondé de toute disposition réglementant l'accueil, le séjour, l'établissement des migrants.
Autrement dit, le droit de l'immigration, notamment le droit d'asile, n'est pas simplement économique, administratif ou pénal. C'est aussi un droit qui s'enracine dans une éthique universelle dont nous sommes les tenants depuis des siècles, qui intègre les droits fondamentaux de la personne, de la famille, de la solidarité. C'est un droit international et d'abord européen, car, face à ces mouvements migratoires à caractère planétaire, il est illusoire de penser régler le problème seul et unilatéralement.
Avant d'aborder le fond du sujet, je voudrais d'abord soulever deux questions de méthode.
Le fait que le droit de l'immigration soit élaboré par une succession de lois partielles crée une surenchère particulièrement dangereuse sur un sujet difficile, qui favorise l'apparition de dispositions comme celles qui ont été adoptées à l'Assemblée nationale. Pourquoi ne pas s'en être tenu à l'esprit du texte du Gouvernement ? Le moins que l'on puisse dire est que le travail de l'Assemblée nationale ne l'a pas enrichi.
M. Gérard Delfau. C'est sûr !
M. Hugues Portelli. Nous devons avoir le courage de résister à cette tendance et de légiférer d'autant plus sereinement que l'urgence empêchera le dialogue normal entre les chambres dans un système bicaméral.
Par ailleurs, le souci permanent du législateur devrait être d'élaborer des lois qui soient applicables. À quoi sert-il de voter des dispositions dont on sait à l'avance qu'elles se heurteront à des obstacles juridiques, administratifs ou culturels ? Nous devons nous mettre à la place du pays d'origine, tenir compte de ses moeurs, des pratiques familiales et culturelles de ses ressortissants avant de concevoir des procédures complexes qui ne pourront être mises en oeuvre faute de moyens ou de traditions culturelles adaptées.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Tout à fait !
M. Hugues Portelli. Sur le fond, je partage le jugement positif de la commission des lois sur l'ensemble du dispositif et sur son esprit. Quant à certaines dispositions de ce texte qui soulèvent des problèmes sérieux, j'approuve les corrections proposées par notre commission.
Le premier problème concerne les ressources exigées pour le regroupement familial. La commission prévoit de revenir au projet de loi initial en fixant un plafond de 1,2 fois le SMIC. Aller au-delà créerait une discrimination entre Français et étrangers, notamment dans le calcul de ce que nous appelons le « reste à vivre ».
Le deuxième problème concerne les conditions de formation linguistique exigées du conjoint étranger en cas de mariage mixte, prévues par l'article 4 du projet de loi. La commission des lois a rejeté à l'unanimité cette disposition discriminatoire qui se heurterait à des problèmes pratiques considérables.
Le troisième problème concerne les délais de recours ouverts aux étrangers. La commission a simplement demandé le maintien du droit en vigueur : un mois et non quinze jours devant la commission de recours des réfugiés et quarante-huit heures au lieu de vingt-quatre heures pour la contestation du refus d'entrée sur le territoire français au titre de l'asile. Réduire de moitié ces délais aboutirait en fait à rendre le recours pratiquement impossible, et contreviendrait - cela nous vaudrait d'ailleurs d'être sanctionnés - à la Convention européenne des droits de l'homme, qui impose un droit au recours effectif dans son article 13.
Le quatrième problème concerne la possibilité de procéder à la vérification de l'identité du demandeur de visa par le moyen de tests génétiques.
L'introduction de la possibilité de recourir aux tests ADN va tout d'abord à l'encontre des dispositions de la loi sur la bioéthique du 29 juillet 1994, codifiée notamment aux articles 16-10 et 16-11 du code civil.
En effet, l'article 16-10 cantonne l'examen des caractéristiques génétiques aux seules fins médicales ou de recherche scientifique. L'article 16-11, quant à lui, dispose que cet examen est également possible dans le cadre de mesures d'enquête ou d'instruction diligentée lors d'une procédure judiciaire, auquel cas « l'identification par empreintes génétiques ne peut être recherchée qu'en exécution d'une mesure d'instruction ordonnée par le juge saisi d'une action tendant soit à l'établissement ou la contestation d'un lieu de filiation... »
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Voilà !
M. Hugues Portelli. Par ailleurs, le caractère probant de ce type de moyen peut poser problème, le prélèvement ADN étant considéré plus souvent comme un élément de preuve qu'une preuve à part entière.
De surcroît, prouver son lien de filiation par ce type de test revient à cantonner la famille à sa définition biologique. Or la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, en application de l'article 8, alinéa 1, de la Convention, offre une définition élargie de la famille : la vie familiale doit être « préexistante et effective », caractérisée par des « relations réelles et suffisamment étroites parmi ses membres », ces relations pouvant prendre la forme « d'une vie en commun, d'une dépendance financière, d'un droit de visite exercé régulièrement » ou encore « de relations continuelles entre un père et ses enfants », même illégitimes.
Cette jurisprudence converge avec le droit français de la filiation, qu'il soit celui de la loi ou du juge administratif ou constitutionnel.
Enfin, et plus fondamentalement, le dispositif de recours aux tests ADN paraît discriminatoire dans la mesure où il s'applique uniquement à l'égard des étrangers qui souhaitent prouver leur lien de filiation dans le cadre du regroupement familial.
Est également discriminatoire la limitation du dispositif à « certains États » sources d'immigration.
Surtout, le droit français de la filiation reconnaît, faute d'état civil probant, la possession d'état comme mode d'établissement de la filiation.
Rappelons que, pour être constituée, la possession d'état doit comporter le traitement de l'enfant comme tel par ses parents présumés, l'apparence de la filiation dans la famille et dans la société et le fait de porter le nom de ses parents. La possession d'état se prouve par tout moyen ; elle doit être « continue », c'est-à-dire avoir une certaine permanence ; elle doit être « paisible, publique et non équivoque », selon les termes de l'article 311-1 du code civil, dans sa dernière rédaction de 2005.
Il paraît difficile d'introduire de manière discriminatoire le recours éventuel à des tests génétiques pour des ressortissants étrangers alors que ce moyen de preuve n'est autorisé que dans le cadre de procédures judiciaires ou de recherches médicales sur le territoire de la République française.
Dans le nouveau dispositif proposé, ce recours se fait sur la base du volontariat. Mais ce critère est-il effectif, sachant que, devant le refus de recourir au test ADN, l'administration pourrait être amenée à supposer que l'étranger ne présente pas une situation régulière et, par conséquent, décider de refuser le visa ?
De même, si l'État rembourse les frais avancés par la personne demanderesse, cela ne résout pas le problème de l'avancement du prix du test ADN, qui s'élève à 300 euros par personne en moyenne, car certaines familles ne peuvent débourser une telle somme. Les dépenses engendrées par ce type de procédure risquent de coûter cher à l'État, pour un effet plus que relatif, tout autant que les frais d'avocat qui seraient engendrés par la saisine du président du tribunal de grande instance de Nantes.
M. Gérard Delfau. Eh oui !
M. Hugues Portelli. Enfin, prévoir l'avis du Comité national d'éthique sur le décret d'application est d'autant plus surprenant que c'est sur le projet de loi lui-même que cette instance aurait dû être consultée.
MM. Thierry Repentin et Gérard Delfau. Eh oui !
M. Hugues Portelli. Il me paraît donc plus sage, ainsi que la commission des lois le suggère, de renoncer à cette procédure et d'appliquer aux demandeurs de visa les dispositions du droit commun de la filiation en France. (Mme Gisèle Printz et M. Gérard Delfau applaudissent.)
En conclusion, l'adoption d'une telle loi aura des effets évidents sur les États européens, où la politique de l'immigration et de l'asile fait également débat.
Il serait souhaitable que les États de l'Union européenne définissent ensemble une politique et un droit en la matière.
M. Gérard Delfau. Tout à fait !
M. Hugues Portelli. D'ici là, chaque mesure unilatérale d'un État, et notamment d'un grand État, sera prise en considération par les autres.
Il est tout à fait inexact de dire que plusieurs États ont déjà légiféré en la matière. En fait, seul le Royaume-Uni, dont on sait qu'il fait bande à part sur presque tous les sujets, s'est doté d'une réglementation incluant un recours aux tests ADN d'autant plus prévisible qu'il n'a pas de pratique enracinée des documents d'identité. Quant aux autres, leur recours à ces tests est soit très marginal, comme en Allemagne, soit inexistant, comme en Italie.
La France n'a donc pas à donner le mauvais exemple ; elle doit montrer au contraire que la politique d'immigration choisie est parfaitement compatible avec les principes d'un État de droit républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE et de l'UC-UDF.)
M. le président. La parole est à M. Christian Demuynck.
M. Christian Demuynck. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi qui occupe nos débats constitue une réponse équilibrée au glissement continu qu'a subi la politique de l'immigration en France au cours des trente dernières années.
Passant d'une immigration de travail à une immigration familiale, notre pays s'est détourné de sa vocation historique d'accueil.
S'il était besoin de s'en convaincre, les chiffres parlent d'eux-mêmes : en 2005, 94 500 premiers titres de séjour ont été délivrés sur le compte de l'immigration familiale tandis que l'immigration économique n'en représentait que 13 650, soit 7 % des entrées légales sur le territoire national.
Inexorablement, ce délitement engendre des conditions d'hébergement et de vie qui sont indignes de la France et parfois désastreuses. Le drame de l'incendie d'un hôtel insalubre dans le IXe arrondissement de Paris, en avril 2005, reste gravé dans nos mémoires et nous rappelle constamment nos obligations.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. L'insalubrité a bon dos !
M. Christian Demuynck. Par ailleurs, 60 % de la population immigrée se concentrent sur trois régions - Île-de-France, Rhône-Alpes, Provence-Alpes-Côte d'Azur -, ce qui décuple les difficultés et cristallise les tensions sur des territoires toujours plus enclavés. Cette réalité est l'aveu d'un échec de notre politique d'intégration.
Comment peut-on concevoir une telle concentration ? Comment, dans ces circonstances, éviter la ghettoïsation d'une grande partie de la population émigrée ? Cet aveu d'impuissance se double d'un taux de chômage exponentiel qui frappe 20 % des étrangers, soit le double de la moyenne nationale. Dans mon département, la Seine-Saint-Denis, certains secteurs enregistrent un taux de chômage avoisinant 40 %.
Mme Éliane Assassi. Et c'est la faute de l'immigration !
M. Christian Demuynck. Notre modèle d'intégration est à bout de souffle.
Les 96 500 logements sociaux construits chaque année sur l'initiative de Jean-Louis Borloo font certes figure de référence au regard des 52 000 constructions de la période Jospin mais ne parviennent pas à contenir l'ampleur de la demande.
Rien qu'à Paris, 45 millions d'euros sont dépensés tous les ans dans l'hébergement d'urgence des populations étrangères, sans pour autant affecter les recettes crapuleuses des marchands de sommeil. La situation est devenue totalement intenable !
Par votre projet, monsieur le ministre, vous entendez reprendre les choses en main.
En effet, votre texte marque un renversement salutaire dans les conditions de la venue d'étrangers sur le sol national. La situation actuelle revient trop souvent à mettre devant le fait accompli les autorités françaises, démunies face aux difficultés d'intégration.
Ce projet anticipe, dès le pays d'immigration, les démarches d'intégration par une meilleure répartition des responsabilités entre les autorités consulaires ou diplomatiques et les structures d'accueil en France.
Par ailleurs, l'esprit général du dispositif s'inscrit dans la nécessité fondamentale de maîtriser les flux migratoires tant pour notre pays que pour les pays d'émigration qui craignent de voir partir leurs élites.
Nos concitoyens l'ont bien compris, et l'élection de Nicolas Sarkozy en est la plus claire affirmation. Gardons à l'esprit le fait que la moitié de la population africaine est âgée de moins de dix-sept ans. Le moindre signal d'ouverture aurait des conséquences désastreuses.
Partant de ce constat, la France doit renoncer à une réputation qu'elle n'est plus capable de défendre et mieux contrôler les entrées sur le territoire national. En ce sens, j'approuve pleinement la possibilité introduite par le projet de loi de créer un traitement informatisé de données personnelles incluant l'origine des personnes, afin de garantir une meilleure prise en charge des populations concernées et un meilleur contrôle des mouvements migratoires.
Cette disposition marque une nette rupture dans notre politique de l'immigration et souligne le souci du Gouvernement de travailler avec les pays d'émigration à l'avènement d'une politique de codéveloppement. En effet, un tel processus permettra de mieux connaître les populations étrangères présentes sur le sol national et de tirer les conclusions qui s'imposent, en liaison avec les pays de départ concernés.
Et puisque ce débat est incontournable, je souhaiterais aborder brièvement le sujet des comparaisons d'empreintes génétiques destinées à établir la validité d'une filiation.
Le récent rapport du vice-président du Sénat Adrien Gouteyron dresse un tableau sidérant de la fraude aux actes d'état civil qui prévaut dans de nombreux pays africains. La proportion de documents frauduleux s'élèverait à 80 % dans certaines zones. Nous ne pouvons rien à cet état de fait.
Alors, pourquoi ne pas y remédier par la mise en place d'une procédure qui, sur la base du volontariat, aurait en outre le mérite de faciliter les démarches administratives ? Ferions-nous preuve de plus d'humanisme en laissant des familles entières attendre les conclusions d'une enquête administrative extrêmement complexe et à l'issue incertaine ? Je n'en suis pas persuadé.
Mme Paulette Brisepierre. Très bien !
M. Christian Demuynck. Nous devons nous aligner sur une pratique aujourd'hui courante qui manifeste la reconnaissance du droit intangible au regroupement familial.
Par ailleurs, je salue la refonte du « compte épargne codéveloppement », voulu par Nicolas Sarkozy l'an passé, en « livret épargne codéveloppement », qui renforce les liens économiques des migrants avec leur pays d'origine. Ce dispositif permet à ceux qui investissent dans leur pays de bénéficier d'avantages fiscaux.
L'ensemble de ces flux financiers représente officiellement 2,5 milliards d'euros par an et doit être encouragé. Aussi convient-il de mieux identifier et de quantifier ces volumes, tout en améliorant la sécurité des transferts et la possibilité de développer leur utilisation à des fins productives. Pouvons-nous décemment laisser l'Afrique se dépeupler de ses forces vives ? Assurément, non ! (Exclamations sur les travées du groupe CRC.)
Mme Éliane Assassi. Il y a vraiment de quoi rire !
M. Christian Demuynck. Le codéveloppement doit être une priorité dans la lutte contre l'immigration clandestine, mais il ne faudrait pas encourager la mise sous perfusion de régions entières du globe pour se donner bonne conscience à peu de frais.
Pour être parfaitement clair, je dirai que la politique de codéveloppement ne remplit pas toujours son rôle, notamment dans l'encouragement au maintien des populations sur place. Des enquêtes internes du ministère des affaires étrangères confirment que des subventions mal attribuées encouragent l'émigration au lieu de la réduire. Les systèmes d'aide détournés de leur vocation deviennent de véritables passeports pour le départ.
Nicolas Sarkozy l'a parfaitement intégré et a obtenu, dès 2006, la conclusion d'un accord de coopération avec le Sénégal qui prévoit une collaboration des autorités françaises et sénégalaises dans la gestion des flux migratoires, en échange de contreparties en termes de délivrance de visas, notamment en faveur des étudiants. Ces protocoles internationaux doivent être amplifiés et trouver rapidement une expression au niveau européen.
Monsieur le ministre, je soutiens pleinement votre action dans le cadre des discussions entamées avec le Gabon, le Bénin et le Congo. Quoi qu'en dise la gauche, votre titre de ministre du codéveloppement n'est pas usurpé, je dirais même qu'il est amplement mérité. Pour la première fois dans l'histoire de notre République, le codéveloppement fait l'objet d'un ministère et garantit la participation des migrants au développement de leur pays d'origine.
À plus grande échelle, il faut développer une nouvelle génération de projets à destination des pays en développement, en s'appuyant sur les initiatives des migrants ou de leurs associations. Cette démarche pragmatique concourrait à amplifier la coopération, à mieux associer les populations locales et à améliorer le rendement des fonds investis.
En somme, monsieur le ministre, soyons les défenseurs résolus de la francophonie et ouvrons nos formations aux étudiants étrangers ! Je tiens à saluer la délivrance, sur votre initiative, de la carte de séjour « compétences et talents », qui permettra à un personnel qualifié de venir perfectionner ses techniques sur le sol français. Encourageons l'immigration temporaire et renforçons le codéveloppement avec les pays de départ !
Enfin, garante d'une immigration choisie, la majorité doit résolument engager le débat et rompre avec la terrible hypocrisie qui règne depuis plus de trente ans. Monsieur le ministre, il faut permettre à la France de s'aligner sur la politique de ses voisins. Ainsi, notre pays adaptera la demande de visas aux impératifs de son économie et aux contraintes des pays de départ.
Un plafond global annuel d'accueil pourrait être fixé par profession et par catégorie. Il donnerait à la représentation nationale les outils d'une politique de codéveloppement efficace et de contrôle des flux migratoires. Nicolas Sarkozy a reçu ce mandat des Français : il incombe à la majorité de l'accomplir !
Monsieur le ministre, c'est avec conviction que j'exprime mon soutien au projet de loi que vous défendez. Vous avez su retranscrire les engagements de campagne de Nicolas Sarkozy et assumer le dépôt d'un projet de loi ambitieux et attendu par les Français. Je salue votre capacité d'écoute et de dialogue ainsi que votre souci de faire progresser ce texte grâce au débat parlementaire. (Applaudissements sur les travées de l'UMP. - MM. Georges Othily et Adrien Giraud applaudissent également.)
M. le président. Monsieur le ministre, mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt-deux heures quinze.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à vingt heures cinq, est reprise à vingt-deux heures quinze.)
M. le président. La séance est reprise.
Nous poursuivons la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, relatif à la maîtrise de l'immigration, à l'intégration et à l'asile.
Tous les orateurs inscrits dans la discussion générale se sont exprimés.
La parole est à M. le ministre. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. Brice Hortefeux, ministre de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du codéveloppement. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais tout d'abord remercier tous les orateurs inscrits dans la discussion générale, dont les interventions ont contribué à enrichir le débat.
Mes remerciements s'adressent tout particulièrement au rapporteur, François-Noël Buffet, dont j'ai pu apprécier tout à la fois la volonté de précision juridique et le souci de respecter l'équilibre du texte du Gouvernement tout en l'améliorant.
Je lui en suis très reconnaissant, comme je suis reconnaissant au président de la commission des lois, dont le rôle a été décisif dans la mise au point de plusieurs des amendements que nous examinerons dans la suite du débat.
Mes remerciements s'adressent aussi aux orateurs de la majorité, notamment à Georges Othily, à Adrien Gouteyron, à Jean-Patrick Courtois et à Christian Demuynck, qui ont replacé la présentation de ce projet de loi dans le contexte plus général de la réponse que notre pays se doit d'apporter au défi migratoire auquel il est confronté. Comme ils l'ont souligné à juste titre, ce projet de loi correspond à un engagement du Président de la République pris devant les Français et approuvé par eux lors de la campagne présidentielle.
Cet engagement, vous le connaissez : il consiste à transformer en profondeur la politique d'immigration, en partant du constat de l'échec global - même s'il existe, je ne le conteste pas, des aspects positifs - de notre système d'intégration, échec qui a d'ailleurs été reconnu, en commission des lois, par des élus de l'opposition.
Oui, Christian Demuynck, vous avez tenu un langage de vérité. Lorsque dans certains départements, comme celui de Seine-Saint-Denis dont vous êtes l'élu, le taux de chômage des étrangers dépasse 40 %, voire atteint 50 % dans certains quartiers, il faudrait être singulièrement aveugle ou dogmatique pour refuser le constat de l'échec de l'intégration.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C'est scandaleux ce que vous dites ! Ce sont des Français !
M. Brice Hortefeux, ministre. Il faudrait également être aveugle pour ne pas faire le lien entre cet échec et l'incapacité de notre pays, ces trente dernières années, à maîtriser de manière effective les flux migratoires. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
Je voudrais en outre remercier M. Gouteyron de ses propos et lui dire mon plein accord avec l'analyse qu'il a développée.
Un sénateur de l'UMP. Très bien !
M. Brice Hortefeux, ministre. Je veux, comme il m'y a invité, créer une véritable administration de l'immigration, et la constitution, à compter du 1er janvier prochain, d'une administration centrale regroupant des services actuellement dispersés entre trois ministères constitue à cet égard une première étape. C'est d'ailleurs à compter de cette date que mon ministère disposera pour la première fois d'un budget qui lui sera propre. Sans doute faudra-t-il aller plus loin, en 2009, en intégrant davantage au périmètre budgétaire de mon ministère les services des visas des consulats et ceux des étrangers des préfectures. C'est une piste que vous avez évoquée, monsieur le sénateur, et que je reprends totalement à mon compte. Cela étant, j'ai d'ores et déjà autorité sur ces services, et leur éventuel rattachement budgétaire se fera d'autant mieux l'an prochain que mon administration centrale aura fait ses preuves au cours de l'année 2008.
Je veux enfin dire à M. Gouteyron que j'ai été particulièrement sensible à son plaidoyer en faveur de la simplification des procédures. Sa suggestion de dispenser les titulaires d'un visa de long séjour de l'obligation de solliciter un titre de séjour pendant la première année de leur présence en France me paraît particulièrement féconde. J'ai d'ores et déjà décidé de la mettre à l'étude, sans délai, dans le cadre de l'exercice de la « révision générale des politiques publiques » qu'a engagée, dès son élection, le Président de la République. J'y vois, très concrètement, la perspective d'un meilleur service public.
À ceux des orateurs de l'opposition qui, comme Mme André ou M. Delfau, ont reproché au Gouvernement de présenter un nouveau projet de loi sans même avoir fait paraître les décrets d'application des lois précédentes...
M. Charles Gautier. C'est habituel !
M. Robert Bret. Sans évaluation !
M. Brice Hortefeux, ministre.... et sans avoir dressé le bilan de leur mise en oeuvre, je répondrai, sans aucune agressivité ni aucune arrogance, bien entendu : double erreur et même, sur certains points, double contre-vérité ! Il suffit de se réfugier... (Rires et exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
Ce lapsus vous a donné un moment de détente ! J'en suis très heureux !
Il suffit de se référer, veux-je dire, au Journal officiel pour constater que tous les décrets d'application de la loi du 24 juillet 2006 ont été publiés,...
Mme Éliane Assassi. Elle n'est pas encore appliquée !
M. Brice Hortefeux, ministre.... à l'exception d'un seul, il est vrai, en cours d'examen au Conseil d'État.
Quant au bilan des lois votées en 2003 et en 2006, il est retracé avec beaucoup de fidélité et de précision dans le rapport annuel du Gouvernement au Parlement. Je ferai approuver avant la fin du mois d'octobre en comité interministériel de contrôle de l'immigration la prochaine édition de ce rapport. Chacun d'entre vous, madame André, en sera personnellement destinataire.
J'ajoute que, en fait, vous connaissez déjà largement ce bilan : grâce aux lois de 2003, le nombre des demandes d'asile a été divisé par deux dans notre pays, cependant que le nombre de clandestins éloignés chaque année passait de 10 000 à près de 24 000 ; dans le même temps, le nombre des titres de séjour délivrés chaque année a d'abord été stabilisé avant de connaître, en 2005, une première diminution, dont je peux annoncer qu'elle s'est confirmée en 2006.
Je voudrais faire remarquer à M. Collombat que, au jeu des comparaisons entre les flux migratoires affectant la France et ceux qui concernent nos voisins, il faut accepter de dire toute la vérité. Ce que vous avez dit était juste, monsieur le sénateur, mais doit être complété.
La vérité, c'est que la France a, et c'est tant mieux, la démographie la plus dynamique d'Europe, ce qui fait déjà une première différence de taille avec l'Espagne, l'Italie ou l'Allemagne. La vérité, c'est aussi que l'Espagne et l'Italie ont été, jusqu'à une date très récente, des pays d'émigration, alors que la France est, elle, une terre d'immigration depuis plus de soixante ans, et qu'elle accueillait plus de 400 000 immigrants par an à la fin des années soixante et au début des années soixante-dix. Cette particularité, qu'il ne faut pas masquer, est en grande partie à l'origine des difficultés rencontrées en matière d'intégration.
Je voudrais indiquer en outre à M. Collombat, mais aussi à Mme Dini, que l'obligation, pour les conjoints de Français, d'être en possession d'un visa de long séjour doit être replacée, à mon avis, dans une perspective plus globale.
Si le Gouvernement suit les recommandations de M. Gouteyron et met en oeuvre le texte, ces conjoints munis d'un visa de long séjour n'auront plus besoin, madame Dini, de se présenter en préfecture pour y obtenir un titre de séjour au cours de leur première année de présence en France.
Je voudrais dire également à Mme Tasca, mais aussi à M. Gouteyron et à Mme Goulet, que j'ai, comme eux, le souci que la France soit plus attractive encore à l'égard des meilleurs étudiants étrangers. Je tiens à les rassurer : la création, au cours des dernières années, des centres pour les études en France et l'attribution, prévue par la loi du 24 juillet 2006, d'un titre de séjour de plein droit aux étudiants passés par ces centres commencent à produire leurs effets. En 2006, le nombre des visas de long séjour attribués par les centres pour les études en France est en nette progression, ce qui montre que l'attractivité de notre pays passe d'abord par une meilleure information et une meilleure orientation des étudiants étrangers.
C'est avec surprise et avec regret que j'ai ensuite entendu Mme Tasca en revenir au leitmotiv de la régularisation. Cela prouve qu'elle n'est guère à l'écoute de l'opinion publique, puisqu'une enquête toute récente, publiée voilà une dizaine de jours, montre que très exactement 87 % des Français sont hostiles aux régularisations générales. Cela signifie donc, pour parler clair, que cette position est partagée au-delà du seul cadre des sympathisants des formations politiques composant la majorité. (Murmures sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
Il est exact que j'ai indiqué qu'il n'y aurait pas de régularisation générale. Je l'affirme très nettement, il n'y a aucune ambiguïté possible à cet égard. Tel n'est pas le choix du peuple français, tel n'est pas le choix de la France, tel n'est pas non plus le choix des gouvernements italien, espagnol ou britannique, dont j'ai rencontré des membres depuis ma prise de fonctions. Il est dommage que Mme Tasca ne soit pas présente en ce moment pour m'entendre rétablir une vérité. (« On le lui dira ! » sur les travées socialistes.)
Je vous fais confiance !
Je suis par ailleurs assez étonné d'avoir reçu une leçon en matière d'aide au développement alors que - je n'avais pas l'intention de le souligner, et vous aurez peut-être remarqué que je n'ai pas évoqué ce point lors de mon intervention dans la discussion générale - les crédits de l'aide au développement ont baissé au cours de la période 1997-2002. (Protestations sur les travées du groupe socialiste.) Il est donc assez piquant que l'on vienne nous donner des leçons sur ce sujet ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP.) C'est exactement l'inverse qui s'est produit sous le gouvernement qui nous a précédés, et cette tendance va se confirmer cette année. Encore une fois, je ne cherche absolument pas à polémiquer, je ne fais que rappeler une vérité chiffrée, difficilement contestable.
Mme Monique Cerisier-ben Guiga. Les chiffres, on leur fait dire ce que l'on veut !
M. Brice Hortefeux, ministre. À celles et à ceux des orateurs de l'opposition qui ont cru, dirai-je en pesant mes mots, pouvoir verser dans l'excès - je pense notamment à Mme Assassi et à Mme Boumediene-Thiery, que j'ai écoutées avec toute l'attention et tout le respect que je dois à chacun des membres de la Haute Assemblée -, je voudrais simplement rappeler que nous sommes dans un État de droit, que les projets de loi sont soumis à l'avis du Conseil d'État et que cette assemblée, en exprimant un avis favorable sur le texte présenté par le Gouvernement, a reconnu qu'il était conforme à la Constitution et au droit à une vie familiale normale, dont je souligne qu'il est d'abord un principe constitutionnel, avant d'être un droit reconnu par les conventions internationales.
Mme Éliane Assassi. Ce n'est pas ce que disent certains de vos élus !
M. Brice Hortefeux, ministre. Je tiens maintenant à répondre à ceux des orateurs qui, tels MM. Othily, Giraud et Ibrahim, ont à juste titre appelé mon attention sur la situation particulière de l'outre-mer.
Sachez, messieurs les sénateurs, que le Gouvernement est à vos côtés, aux côtés des élus de l'outre-mer et aux côtés des populations de ces départements et collectivités d'outre-mer qui subissent au quotidien la pression d'une immigration clandestine de proximité. Je me suis rendu en Guyane le mois dernier, je me rendrai dans les mois prochains à Mayotte, et je remercie M. Ibrahim d'avoir souligné les premiers effets positifs de la mise en oeuvre de la loi du 24 juillet 2006 en ce qui concerne la maîtrise des flux migratoires outre-mer.
Je voudrais également dire que le Gouvernement sera ouvert au dialogue sur les amendements adoptés par la commission des lois et auxquels plusieurs intervenants ont fait allusion, en exprimant l'espoir qu'ils puissent être adoptés. Qu'il s'agisse de la formation au français, de l'intégration des réfugiés, de la simplification du régime juridique de l'immigration économique ou encore des délais de recours, pour ne prendre que ces quelques exemples, nous pouvons, grâce à l'excellent travail fourni par la commission des lois, améliorer le texte adopté par l'Assemblée nationale.
Je ne reprendrai pas, à ce stade de nos échanges, un débat approfondi sur la question des tests ADN : nous en parlerons lors de l'examen de l'article 5 bis. Qu'il me soit toutefois permis de relever l'intervention de M. Fauchon, qui avait exprimé des réserves sur l'amendement présenté par M. Mariani, mais qui a tenu compte, avec rigueur, des garanties nouvelles qui ont été apportées. Je remercie M. Fauchon de sa grande honnêteté intellectuelle et je lui confirme que je me montrerai très ouvert à la proposition technique qu'il a formulée.
D'autres orateurs, sur le même sujet, semblent être moins bien informés. Je suis pour le moins surpris lorsque j'entends dire que le Gouvernement italien n'aurait pas mis en oeuvre de tests ADN : pour ceux qui, bien que de bonne foi, ne le sauraient pas, je signale que, depuis 2001, l'Italie a procédé à 1 692 tests ADN à l'égard de Chinois, 1 098 tests à l'égard de Nigérians, 585 tests concernant des Ghanéens, 540 tests relatifs à des Éthiopiens, 461 tests relatifs à des Bengalis ! (« Assez » sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
Les Britanniques, eux, ont effectué l'année dernière près de 10 000 tests. En voici le détail : 2 935 au Pakistan, 1 558 en Éthiopie, 845 au Ghana, 662 en Ouganda. (Nouvelles exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. Jean-Marc Todeschini. À titre expérimental !
M. Brice Hortefeux, ministre. Puisque vous semblez vouloir être davantage informés - et c'est tout à votre honneur ! -, je citerai la Belgique qui, elle, en a effectué 2 674 depuis 2003.
Je pourrais multiplier les exemples, mais je m'attacherai surtout à démontrer que le dispositif proposé par le président de la commission des lois présente toutes les garanties nécessaires à une mise en oeuvre des tests ADN raisonnable et pleinement respectueuse des principes de notre droit.
Je veux également insister sur la priorité que j'attache au codéveloppement.
Mme Éliane Assassi. À partir du moment où ce sont les autres qui payent...
M. Brice Hortefeux, ministre. L'ensemble des membres de la Haute Assemblée et le Gouvernement peuvent se retrouver sur cette priorité, à condition de ne pas caricaturer l'action de ce dernier.
Mme Éliane Assassi. Il n'y a pas d'action du Gouvernement !
M. Brice Hortefeux, ministre. Pour la première fois dans l'histoire de la Ve République, comme Georges Othily l'a souligné, un ministre dispose d'un vrai programme budgétaire pour le codéveloppement. Je ne vais pas revenir sur ce point que j'ai déjà évoqué, je rappellerai simplement que la dotation de ce programme représente près de six fois le montant des crédits effectivement consommés à ce titre en 2006.
Je suis déterminé à multiplier le nombre des accords de gestion concertée des flux migratoires et de codéveloppement entre la France et les pays d'origine de l'immigration, tant il est vrai - comme l'ont souligné tous les orateurs - que la concertation avec ces pays est la clé de la solution d'une partie de nos difficultés. L'immigration choisie peut être une immigration concertée, comme le montre l'accord signé en 2006 avec le Sénégal.
Monsieur Ibrahim, vous avez raison d'appeler de vos voeux la signature d'un accord analogue avec les Comores ; cela vaut également pour Haïti comme pour nombre de pays d'Afrique.
Je conclurai mon propos en relevant l'unité de vues qui existe dans l'hémicycle pour souhaiter une véritable politique européenne de l'immigration. Je partage cette conviction et je travaille en ce sens depuis quatre mois avec nos principaux partenaires.
Je voudrais souligner en particulier l'excellente coopération qui préside à nos relations avec le vice-président de la Commission européenne chargé de ces questions, Franco Frattini. Ensemble, nous préparons, comme c'est notre devoir, la présidence française de l'Union européenne, qui doit intervenir au deuxième semestre 2008. Nous voulons tout à la fois renforcer le contrôle des frontières extérieures de l'Union, harmoniser nos pratiques en matière d'asile et d'immigration de travail et approfondir le dialogue avec les pays d'origine en mettant l'accent sur le codéveloppement et l'aide au développement.
Dans tous ces domaines, notre priorité ira à des actions concrètes et opérationnelles, comme l'organisation de vols groupés pour la reconduite des clandestins dans leur pays d'origine. L'Europe ne doit pas nous compliquer la tâche, mais au contraire, par une mutualisation des moyens, nous permettre d'être plus efficaces.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, cette discussion générale a été à l'évidence de qualité. Elle aura permis de préparer la discussion des amendements qui conduiront, j'en suis convaincu, de nombreux orateurs à prendre en compte les améliorations, les garanties nouvelles, les protections plus précises apportées par le président de la commission des lois et plusieurs sénateurs de la majorité.
Une fois de plus, l'intérêt général a guidé ces premiers débats de la Haute Assemblée. Je n'en suis pas surpris, mais je m'en réjouis, et je suis certain que cela retentira sur la suite de notre discussion. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et sur certaines travées de l'UC-UDF.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Exception d'irrecevabilité
M. le président. Je suis saisi, par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon - Poinat et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen, d'une motion n° 35, tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l'article 44, alinéa 2, du règlement, le Sénat déclare irrecevable le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, relatif à la maîtrise de l'immigration, à l'intégration et à l'asile (n° 461).
Je rappelle que, en application de l'article 44, alinéa 8 du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l'auteur de l'initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d'opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n'excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, auteur de la motion.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je ne manque jamais de faire remarquer cette bizarrerie de notre règlement qui veut que les motions soient discutées après la clôture de la discussion générale après la réponse du ministre, contrairement à ce qui a cours à l'Assemblée nationale. Sur ce point, il faudrait songer à revoir le règlement.
Aujourd'hui, profitant de cette bizarrerie, je me permettrai de vous dire, monsieur le ministre, que, lorsque vous évoquez l'échec de l'intégration,...
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.... vous niez les conclusions d'un certain nombre de rapports très sérieux que je pourrais vous faire parvenir. Ils relèvent que l'intégration des immigrés récents n'est justement pas si médiocre si l'on prend en compte des critères comme le taux de scolarisation ou le nombre de mariages mixtes.
En revanche, quel échec des politiques économiques, des politiques publiques, de la politique du logement - pénurie, ghettoïsation !.... (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste. - M. Gérard Delfau applaudit également.)
Monsieur le ministre, il faut prêter une grande attention aux propos qui sont tenus en matière d'intégration. Toutes les vagues d'immigration, depuis le XIXe siècle, ont toujours provoqué des réactions dans la population. Mais, selon l'attitude qu'adopte la République envers les immigrés et selon les politiques publiques conduites, l'intégration se fait plus ou moins bien. Dans notre pays, les immigrés s'intègrent : ils ne restent pas isolés, ghettoïsés ou communautarisés. Au demeurant, l'intégration est un phénomène qui doit s'étudier sur plusieurs générations.
En 2006, vous avez fait adopter une loi sur l'immigration ; un an après, en voici une autre. Je voudrais d'ailleurs faire observer à mes collègues que leurs demandes répétées d'études d'impact des projets proposés et d'évaluation des textes votés ne sont manifestement pas entendues.
En 2006 et en 2007, pendant la campagne électorale, l'ex-candidat ministre de l'intérieur, aujourd'hui Président de la République, a répété à l'envi qu'il était pour une restriction du regroupement familial « afin que vivre en France soit un projet fondé sur le travail, pas sur le bénéfice des prestations sociales ».
M. Paul Girod. Très bien !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Vous avez oublié, monsieur le ministre, de nous donner publiquement ce que je vous avais demandé en commission, c'est-à-dire des chiffres. Heureusement, nous pouvons les trouver dans le rapport de la commission, mais il aurait été plus honnête de les tenir à la disposition de tous.
Ainsi, on sait que le regroupement familial stricto sensu concerne, depuis 2000, environ 20 000 à 25 000 personnes, 18 000 en 2006, dont 6 000 à 8 000 enfants. Ce chiffre est donc relativement modeste si on le rapporte à une population de près de 65 millions d'habitants.
Les réformes présentées depuis 2003 en matière d'immigration et d'asile sont de plus en plus restrictives au regard de l'immigration légale et du droit d'asile. D'ailleurs, contrairement aux affirmations de M. le ministre, ces deux problématiques ont toujours été liées dans les projets votés par la majorité.
Sous couvert de mettre fin à l'immigration clandestine, ces lois n'ont bien sûr que contribué à la favoriser. Nous sommes donc en plein délire : nous évoquons l'immigration clandestine dans le but de réduire le chiffre de l'immigration légale !
Le reste de l'immigration familiale, qui a effectivement augmenté - le chiffre maximum était de 59 000 personnes en 2003 -, concerne les mariages mixtes. Votre inflation législative repose sur l'idée, distillée à l'envi, que des hordes étrangères sont aux portes de notre pays. Vous manipulez ainsi l'opinion ! Mais, à l'heure de la mondialisation, des échanges, des voyages, pensez-vous vraiment réussir à empêcher les mariages mixtes ? Franchement, cela me paraît douteux !
Vu les chiffres que je viens de citer, vous ne faites aujourd'hui qu'en rajouter sans autre raison qu'un simple effet d'affichage. Mais, ce faisant, vous portez de plus en plus atteinte aux droits fondamentaux de la personne reconnus - ne vous en déplaise ! - par la Constitution, par nos principes à valeur constitutionnelle, par le droit international - Déclaration universelle des droits de l'homme, Convention des droits de l'enfant et Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Vous étiez parvenus jusqu'ici à écarter la question dans les précédentes lois, mais la condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l'homme le 26 avril dernier, dans l'arrêt Gebremedhin, vous a obligés à changer quelque peu votre point de vue sur le droit au recours suspensif. Vous le voyez, il faut toujours se méfier ! En affirmant être dans son bon droit, on ne l'est quelquefois plus !
Avant d'aborder le problème soulevé par les dispositions du texte en matière d'asile, je voudrais tout d'abord évoquer celles qui sont relatives à l'immigration.
Plusieurs articles du chapitre 1er, relatif à l'immigration pour des motifs de vie privée et familiale, portent malheureusement atteinte à la vie privée et au droit de mener une vie familiale normale, reconnu tant par les principes à valeur constitutionnelle qui nous régissent que par la Convention européenne des droits de l'homme et les conventions internationales.
Le regroupement familial, pourtant déjà fortement encadré par la loi du 24 juillet 2006, fait l'objet, un an plus tard, de nouvelles restrictions.
L'article 1er prévoit que l'étranger voulant rejoindre son conjoint en France ainsi que les enfants de seize à dix-huit ans devront connaître la langue française et les valeurs de la République. Une évaluation devra donc être organisée dans leur pays d'origine ; elle conditionnera leur possibilité de rejoindre leur famille.
Ce dispositif est contestable : il paraît exorbitant des conditions normalement requises pour se marier ou pour mener une vie de famille. Je suis certaine que vous connaissez tous des couples dont l'un des conjoints ne maîtrise pas parfaitement la langue française. Je doute d'ailleurs qu'une telle obligation soit exigée dans d'autres pays. Toute autre est l'obligation d'apprendre la langue une fois dans le pays d'accueil !
Tout cela est en pleine contradiction avec le contrat d'accueil et d'intégration que l'étranger devra obligatoirement signé et qui a précisément pour objectif de lui assurer une formation linguistique et civique. Alors, décidez-vous ! S'il faut connaître la langue et les valeurs de notre pays avant d'y être admis, qu'en est-il du contrat d'intégration que vous avez voté, mes chers collègues ?
De toute façon, cette exigence implique que les étrangers auront la possibilité de suivre une telle formation dans tous les pays et qu'ils auront les moyens de le faire. Tout cela a déjà été amplement souligné, je m'en tiendrai donc au droit.
En fait, les délais de formation prévus - deux mois, auxquels s'ajoutent les mois d'attente de la réponse - rallongeront encore un peu plus la procédure de regroupement familial. Je rappelle que le délai d'attente nécessaire pour demander à bénéficier du regroupement familial a été porté d'un an à dix-huit mois. Combien d'années les étrangers devront-ils attendre avant de pouvoir rejoindre leur conjoint en France ?
Ces contraintes semblent totalement disproportionnées, d'autant qu'une lourde sanction est prévue : le fait de ne pas suivre la formation, que ce soit pour des raisons de coût ou d'éloignement, pourra motiver un refus de visa.
Par ailleurs, dans le but de renforcer un peu plus les restrictions au regroupement familial, l'article 2 augmente le plancher de ressources exigé. Cet article durcit une condition déjà existante puisqu'il module ce plafond en fonction de la taille de la famille. Non seulement l'article 2 instaure une mesure discriminatoire, mais, de surcroît, il ajoute un obstacle supplémentaire dans la procédure de regroupement familial.
Enfin, l'article 4, relatif aux conjoints de Français, durcit, lui aussi, les conditions d'obtention d'un visa de long séjour. Un conjoint de Français sera désormais soumis à une évaluation de ses connaissances de la langue française et des valeurs de la République. Il sera lui aussi soumis à la condition de formation si des insuffisances linguistiques et civiques sont constatées à cette occasion. Gare aux étudiants français qui, en balade à l'étranger - votre gouvernement aimerait pourtant les y voir plus nombreux -, s'aviseraient d'aimer quelqu'un et de vouloir l'épouser ! (Marques d'approbation sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
Le conjoint de Français est ici doublement pénalisé : d'une part, il doit retourner dans son pays d'origine pour obtenir un visa - nous dénoncions déjà cette situation l'année dernière - d'autre part, sa séparation sera allongée du fait de cette formation.
Nous prenons acte de la volonté exprimée par la commission des lois de supprimer l'exigence d'évaluation et de formation linguistique et civique imposée aux conjoints de Français. Nous espérons, bien entendu, que cette suppression sera entérinée par la Haute Assemblée.
Par leur accumulation, les conditions à remplir, tant pour bénéficier d'un regroupement familial que pour vivre en France avec son conjoint français, sont totalement disproportionnées. Elles portent une atteinte manifeste au droit de chacun de mener une vie familiale normale et de se marier avec qui bon lui semble !
Dès 1978, le Conseil d'État reconnaissait, dans son arrêt GISTI du 8 décembre, le droit, pour les étrangers comme pour les nationaux, de mener une vie familiale normale comme un principe général du droit. Il précisait que « ce droit comporte, en particulier, la faculté, pour ces étrangers, de faire venir auprès d'eux leur conjoint et leurs enfants mineurs ».
Le Conseil constitutionnel ensuite, dans sa décision du 13 août 1993, a considéré que, si le législateur pouvait prendre à l'égard des étrangers des dispositions spécifiques, il lui appartenait de respecter les libertés et les droits fondamentaux de valeur constitutionnelle reconnus à tous ceux qui résident sur le territoire de la République.
Dans sa décision du 22 avril 1997, il a rappelé que « les étrangers dont la résidence en France est stable et régulière ont, comme les nationaux, le droit de mener une vie familiale normale ».
Les seules restrictions que peut apporter le législateur à ce droit doivent concerner la protection de l'ordre public et de la santé publique, conformément à la décision de 1993. Encore faut-il que ces restrictions soient proportionnées à l'atteinte au droit de vivre en famille !
En outre, comme le rappelle M. Buffet dans son rapport, le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 15 décembre 2005 relative à la loi de financement de la sécurité sociale pour 2006, considère que la procédure de regroupement familial a notamment pour but de vérifier la capacité du demandeur à « offrir des conditions de vie et de logement décentes, qui sont celles qui prévalent en France, pays d'accueil ».
M. le rapporteur en conclut, et je partage son avis, que, « si l'on peut donc imposer des conditions, le législateur ne peut toutefois exiger des étrangers des conditions de vie et de logement qui excéderaient celles admises comme décentes pour des Français ».
Le SMIC est une obligation légale, mais rien, hélas ! n'oblige l'État à garantir un revenu égal au SMIC ni d'ailleurs à satisfaire le droit au logement, alors que ce principe est pourtant désormais inscrit dans la loi, au grand regret, apparemment, de votre majorité !
Aucune condition de ressources et de logement n'est requise pour se marier et avoir des enfants lorsqu'on est français. La loi actuelle introduit donc une discrimination entre étrangers et Français sur le territoire de notre pays, ce qui est contraire à nos principes fondamentaux à valeur constitutionnelle.
Bref, les articles 1er, 2 et 4 du projet de loi, parce qu'ils portent une atteinte disproportionnée aux droits des bénéficiaires du regroupement familial et des conjoints de Français, ne peuvent qu'être déclarés non conformes à la Constitution.
Ce même raisonnement vaut pour l'indigne article 5 bis relatif aux tests ADN, sur lequel se sont cristallisés les débats. Apparemment, ce n'est pas fini !
En introduisant dans notre législation la possibilité de prouver une filiation par un test ADN, cet article ouvre la voie à une utilisation abusive de la génétique, ce que le Parlement a toujours refusé, notamment lors de l'élaboration des lois de 1994. Les tests génétiques à des fins autres que scientifiques et médicales sont interdits par l'article 16 du code civil, sauf dans les cas graves et sous contrôle judiciaire.
Tout a été dit sur la preuve de la filiation masculine, à laquelle s'opposent les autorités philosophiques, religieuses, morales et scientifiques, ainsi que l'Union africaine aujourd'hui. La commission des lois du Sénat y est également opposée.
Monsieur le ministre, vous vous obstinez...
M. le président. Veuillez conclure, madame Borvo Cohen-Seat.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Je vais conclure bientôt.
M. le président. Non, maintenant, madame Borvo Cohen-Seat. Vous avez largement dépassé le temps qui vous était imparti !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Je termine sur ce point.
Les sénateurs sont en train de chercher des subterfuges pour vous satisfaire, monsieur le ministre, mais je crains que l'amendement tendant à réserver le test ADN aux femmes n'introduise un autre motif d'inconstitutionnalité. Un tel dispositif serait en effet discriminatoire à l'égard des femmes. Autrement dit, il introduirait une inégalité entre les hommes et les femmes, ce dont la délégation du Sénat aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes devrait se préoccuper. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
Monsieur le ministre, vous arguez du fait que des pays européens pratiquent des tests ADN. Or peu de pays l'ont inscrit dans la loi et les pratiquent, si ce n'est, il est vrai, la Grande-Bretagne.
M. le président. Vous avez déjà évoqué le texte de façon générale, madame Borvo Cohen-Seat, vous n'allez pas maintenant le reprendre point par point ! Veuillez conclure !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Mais vous avez oublié, monsieur le ministre, que, conformément à nos principes fondamentaux, notre pays n'autorise ni l'euthanasie, ni les mères porteuses, ni les dons d'ovocytes, contrairement à d'autres pays européens, qui permettent l'une ou l'autre de ces pratiques, parfois les trois. L'éthique dont nous nous prévalons serait-elle donc à géométrie variable ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste. - Protestations sur les travées de l'UMP.)
Pour ces raisons, mes chers collègues, je vous demande de voter cette motion tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste. - M. Gérard Delfau applaudit également.)
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. Ce projet de loi prévoit, pour les bénéficiaires du regroupement familial, une obligation de formation préalable afin qu'ils soient mieux intégrés. Il prévoit un contrat d'accueil et d'intégration pour la famille. Il met en place un recours suspensif à la frontière pour les demandeurs d'asile. Il prévoit un livret d'épargne codéveloppement. Ces dispositions, me semble-t-il, ne posent pas de difficultés constitutionnelles. Elles me semblent même plutôt favorables à ceux qui vont en bénéficier, à savoir les étrangers.
Quant à la modulation des ressources, elle est encadrée, en particulier par l'amendement qu'a déposé la commission.
Je ne reviendrai pas sur les tests ADN, car nous en avons déjà longuement et suffisamment débattu tout à l'heure.
Dans ces conditions, la commission a émis un avis défavorable sur cette motion.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Brice Hortefeux, ministre. Madame la sénatrice, je ne reviendrai pas sur le fait que nombre des questions que vous avez évoquées ont été tranchées par le peuple français lui-même. (Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.) Cet élément doit, à mon avis, être pris en compte.
Par ailleurs, je n'accepte pas, je vous le dis très directement, que vous laissiez penser que nous faisons une confusion entre asile et immigration. Je l'ai dit une fois, deux fois, je le répéterai dix fois s'il le faut : la politique d'asile ne sera pas un levier de la politique d'immigration. Il s'agit de deux politiques totalement distinctes.
M. Robert Bret. Pourquoi les traiter en même temps alors ?
M. Brice Hortefeux, ministre. Je n'oublie pas que la France reste le premier pays européen en matière d'accueil des demandeurs d'asile. Il ne faut donc pas crier au loup inutilement, car la réalité vient infirmer votre présentation.
J'ajoute que, naturellement, l'objectif du Gouvernement n'est pas d'empêcher nos compatriotes de se marier avec des étrangers, mais il faut prendre en compte l'évolution sociologique. Si elle est lourde d'évidences, elle ne doit pas nous condamner à la naïveté. Parmi les mariages mixtes, il y a aussi, vous le savez bien, des mariages de complaisance. (Exclamations sur les travées du groupe CRC.) Que cela vous plaise ou non, c'est une réalité !
Par ailleurs, l'organisation d'un test de connaissance du français est nécessaire. Une formation dans le pays d'origine n'a pas d'autre but que de préparer en amont le parcours d'intégration de l'étranger sincèrement désireux de s'installer sur notre territoire. D'autres pays européens l'ont fait avant nous, d'autres le feront après nous. Mesdames, messieurs les sénateurs, on ne peut pas sans arrêt réclamer une harmonisation des politiques européennes et s'en tenir aux mots : il faut des actes !
M. Jean-Marc Todeschini. Vous êtes à court d'arguments !
M. Brice Hortefeux, ministre. Si l'on souhaite véritablement une construction européenne, des évolutions devront avoir lieu sur ce sujet.
Enfin, il faut cesser de brandir à tout moment la menace de la censure constitutionnelle. Je crois me souvenir que vous l'aviez déjà fait en 2006, avec un succès des plus limité, puisque, je le rappelle, le texte en question n'a fait l'objet d'aucune censure, contrairement à ce que vous aviez annoncé.
Notre dispositif de test est constitutionnel puisque nous n'exigeons qu'une attestation du suivi de la formation et non pas un certificat de réussite. L'exigence d'un tel certificat nous aurait effectivement exposés à un risque constitutionnel.
Tels sont les éléments qu'il me semblait utile de rappeler.
M. le président. La parole est à M. Charles Josselin, pour explication de vote.
M. Charles Gautier. La vérité va enfin sortir !
M. Charles Josselin. Les arguments avancés par mes collègues Michèle André, Catherine Tasca, Pierre-Yves Collombat et Alima Boumediene-Thiery au cours de la discussion générale sont autant de bonnes raisons pour le groupe socialiste de voter en faveur de la motion tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité qui vient de nous être présentée.
J'insisterai, à l'occasion de cette explication de vote, sur le couplage artificiel, à mes yeux, entre politique migratoire et aide au développement. Ce couplage est artificiel, car les deux ne répondent pas à la même horloge. La pression migratoire est immédiate. L'émigration est pour beaucoup une question de survie. L'aide au développement ne produit ses effets, parfois, qu'au terme d'une période nécessairement longue.
Nous avons eu évidemment l'occasion de critiquer le discours de M. de Villiers prônant un taux zéro d'immigration en contrepartie d'une aide au développement du Bénin. Je ne sache pas que les Béninois aient cessé de demander à venir chez nous !
Par ailleurs, monsieur le ministre, j'ai cru comprendre, dans votre démonstration, que vous tentiez de faire croire que l'aide au développement avait baissé exclusivement pendant la période où la gauche était aux affaires.
M. Guy Fischer. Il l'a dit !
M. Charles Josselin. Le Président Jacques Chirac avait déjà essayé de nous faire le coup à la veille de la conférence internationale sur le financement du développement de Monterrey. Il avait alors prétendu que les crédits d'aide au développement avaient commencé de baisser, comme par hasard, en 1997. Je lui ai alors fait reconnaître, au cours de la conférence de presse qui a suivi, que ces crédits avaient en effet baissé, mais à partir de 1995, qu'ils avaient continué de baisser jusqu'en 1999, que nous les avions stabilisés en 2000 et qu'ils avaient commencé de remonter en 2001 et 2002. (M. le ministre fait un signe de dénégation.)
Mais si ! Regardez les chiffres ! Je les connais bien : j'ai été pendant cinq ans ministre de la coopération.
En fait, ces chiffres doivent pour une part à la montée en puissance des annulations de dette. Attention à ce qui se produira lorsque les annulations de dette diminueront ! Sans un apport d'argent frais compris entre 1,5 milliard d'euros et 2 milliards d'euros dans le prochain projet de loi de finances, c'est de cette somme que diminuera l'aide publique française au développement. D'ailleurs, nous connaissons l'utilisation géopolitique des annulations de dette. L'augmentation importante de l'aide publique au développement mondiale tient, pour l'essentiel, à l'annulation de la dette en Irak et en Afghanistan.
Comme vous le savez, monsieur le ministre, les collectivités locales sont de plus en plus impliquées dans le développement, via la coopération décentralisée. L'État considère désormais cette forme d'aide comme une authentique coopération française, ce en quoi il a raison. Simplement, il sera peut-être plus problématique d'associer les collectivités locales à l'aide au développement si la politique française en la matière apparaît dominée par la seule préoccupation migratoire. Certes, nous aurons très prochainement l'occasion d'évoquer à nouveau ce point, mais je tenais d'ores et déjà à le mentionner.
Finalement, comme je l'expliquais à un journaliste qui m'interrogeait à l'instant, je n'ai rien compris : je pensais que le Front national avait perdu les dernières élections. (Protestations sur les travées de l'UMP. - Applaudissements prolongés sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Je mets aux voix la motion n° 35, tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité.
Je rappelle que l'adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi.
Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe CRC.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?...
Le scrutin est clos.
(Il est procédé au comptage des votes.)
M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 5 :
Nombre de votants | 327 |
Nombre de suffrages exprimés | 325 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 163 |
Pour l'adoption | 125 |
Contre | 200 |
Le Sénat n'a pas adopté.
Question préalable
M. le président. Je suis saisi, par M. Mermaz, Mme M. André, MM. Collombat, Dreyfus - Schmidt, Frimat, Peyronnet, Sueur et Yung, Mme Boumediene - Thiery, M. Assouline, Mmes Cerisier - ben Guiga et Khiari, M. S. Larcher, Mme Tasca et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, d'une motion n° 31, tendant à opposer la question préalable.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l'article 44, alinéa 3, du Règlement, le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, après déclaration d'urgence, relatif à la maîtrise de l'immigration, à l'intégration et à l'asile (n° 461, 2006-2007).
Je rappelle que, en application de l'article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l'auteur de l'initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d'opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n'excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à M. Louis Mermaz, auteur de la motion.
M. Louis Mermaz. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, avant que ne s'engage l'examen des articles du projet de loi dans la rédaction issue des travaux de l'Assemblée nationale, les signataires de la présente motion estiment que ce texte recèle trop de dispositions contestables pour que nous puissions poursuivre nos débats.
Monsieur le ministre, à vous entendre, on croit rêver...
M. Robert Bret. C'est plutôt un cauchemar !
M. Louis Mermaz. Ce projet de loi aurait été conçu pour le bonheur des immigrés et des demandeurs d'asile !
Certes, la commission des lois du Sénat a voté l'annulation de certains articles ou dispositions qui nous inquiétaient gravement. Je pense à l'obligation pour l'étranger - ou l'étrangère - qui est marié et qui séjourne en France de retourner dans son pays d'origine pour suivre une formation linguistique et pour obtenir un visa de long séjour ; je pense à l'utilisation de tests génétiques, à laquelle le Gouvernement se cramponne, d'où les contorsions auxquelles il s'est vainement livré ce matin, devant la commission des lois, en vue d'entraîner sa majorité ; il n'a pas renoncé : le voici qui cible à présent les mères de famille ! La commission des lois a également adopté l'annulation du délai insuffisant consenti pour déposer un recours suspensif contre une décision de refus d'entrée sur le territoire au titre de l'asile, mais aussi l'annulation de la réduction d'un mois à quinze jours pour déposer un recours devant la Commission des recours des réfugiés.
Si le débat devait se poursuivre, souhaitons que notre assemblée confirme les votes intervenus en commission des lois et que la commission mixte paritaire appelée à se réunir en tienne compte. Rien n'est acquis pour l'instant.
Au demeurant, même dépouillé de ses articles les plus dangereux - les réponses de M. le ministre à l'issue de la discussion générale nous confortent dans cette idée - le projet de loi comprend encore trop d'éléments nuisibles pour que nous puissions ainsi délibérer dans l'urgence.
Comme cela a été souligné, c'est le quatrième du genre et l'on nous en annonce un cinquième, qui serait destiné à instituer des quotas d'immigrés. Pourtant, il est grand temps de se calmer et de réfléchir à ce que devrait être une politique de l'immigration digne de ce nom !
Or, en dépit de quelques avancées de la commission des lois, avancées qui restent d'ailleurs à confirmer, le projet de loi adopté par l'Assemblée nationale nous amène à nous poser de nombreuses questions.
D'abord, qu'en est-il du respect des droits de l'homme ?
Pouvoir vivre en famille est un droit élémentaire. Or le projet de loi accumule les obstacles, en droit comme en fait, au regroupement familial ; c'est d'ailleurs sa raison d'être. Dès l'âge de seize ans, le ressortissant étranger, qu'il soit adolescent, mère ou, parfois, père de famille, « bénéficie » - quel euphémisme ! - d'un parcours kafkaïen pour tenter de rejoindre les siens en France. De la convocation par le consulat du pays de résidence jusqu'à l'attestation du suivi de la formation, quel parcours !
Mais comment cela se passera-t-il dans les faits ? Ce sont des décrets en Conseil d'État qui nous l'apprendront. Autant dire que vous nous demandez un blanc-seing, alors que nous connaissons l'embouteillage dont souffrent nos consulats, l'état d'esprit qui est parfois celui de certains agents, les distances que le candidat au regroupement familial devra souvent parcourir et les frais de séjour qu'il aura à acquitter pendant la durée du stage.
Le montant des ressources exigées, sans tenir compte d'ailleurs des allocations familiales, est parfaitement discriminatoire, donc contraire au droit des gens. Il constituera un empêchement supplémentaire au regroupement, au cas où la première série d'obstacles aurait, par miracle, été franchie.
Quant au conjoint de Français, il devra se soumettre, pardon, il « bénéficiera » dans son pays d'origine du même parcours semé d'embûches. Le Gouvernement a même songé à l'obliger à quitter la France s'il y habite déjà. Ainsi, si le vote de la commission des lois du Sénat contre une telle disposition n'était pas confirmé, serait créé un nouveau type de couple, le couple à distance.
Et ce n'est pas tout ! Ceux qui auront réussi à faire venir leurs enfants en France devront suivre une formation sur les droits et les devoirs des parents avec au-dessus d'eux la menace d'une suspension des allocations familiales, ce qui n'est pas la meilleure façon de contribuer à leur intégration. Est-ce vraiment là respecter les droits de l'homme ?
Le projet de loi est-il conforme aux engagements internationaux de la France ?
Pour commencer, rappelons que le droit de vivre en famille est garanti par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales de 1950, à laquelle notre pays adhère.
En outre, la vérification des liens de filiation par ADN viole la Convention internationale des droits de l'enfant, que la France a ratifiée en 1990. Le Sénat s'honorerait en confirmant la position de sa commission des lois, et ce nonobstant les manoeuvres de dernière heure auxquelles nous sommes en train d'assister.
De plus, au mois d'avril dernier, la Cour européenne des droits de l'homme a sanctionné le refus d'un recours juridictionnel suspensif qui avait été opposé à la frontière à un demandeur d'asile. Elle a jugé qu'il y avait eu violation de la Convention européenne des droits de l'homme. En effet, faute de pouvoir se dérober à ce jugement, le Gouvernement a proposé que le recours intervienne dans un délai de vingt-quatre heures suivant la notification du refus d'asile, ce qui rendrait le dispositif matériellement inopérant dans la plupart des cas.
D'ailleurs, en ne vous rangeant pas à la décision de la commission des lois du Sénat, qui a porté le délai de vingt-quatre heures à quarante-huit heures - pour ma part, j'estime qu'un délai de deux jours ouvrés serait préférable -, vous prendriez le risque d'une nouvelle saisine de la Cour européenne des droits de l'homme.
D'une manière plus générale, qu'attend le Gouvernement pour engager la procédure d'adhésion de la France à la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille, qui a été adoptée voilà longtemps par l'ONU et qui est entrée en vigueur le 1er juillet 2003 ? Cette convention est aujourd'hui ratifiée par trente-sept États, dont l'Algérie, le Maroc ou le Sénégal.
Le projet prend-il en compte l'état du monde ?
Les conflits au Proche-Orient, au Moyen-Orient, en Afrique et dans certaines zones d'Asie ou d'Amérique latine, ainsi que les persécutions qui s'ensuivent, devraient vous obliger à tenir le plus grand compte de la spécificité des demandes d'asile.
Pourtant, c'est le contraire qui se produit, puisque le ministère de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du codéveloppement verrait ses attributions s'étendre à l'asile. L'Office français de protection des réfugiés et apatrides, l'OFPRA, passerait ainsi sous sa tutelle, et ce au détriment du ministère des affaires étrangères, qui en avait pourtant la charge. Il en résulterait une grande confusion entre asile et immigration, ainsi que l'aggravation du traitement du droit d'asile, au respect duquel la France est pourtant tenue depuis 1951, date de son adhésion à la Convention de Genève.
Quant à l'immigration proprement dite, comment ne pas voir qu'elle a pour cause la situation faite aux pays du Sud par l'ordre mondial ?
Le présent projet de loi sert-il les intérêts de la société française ? En fait, il cherche à atteindre plusieurs objectifs.
D'abord, le projet de loi vise à entretenir les fantasmes d'une partie de l'opinion, en lui faisant croire à une prétendue invasion des immigrés, d'où la dénomination plus ou moins étrange du ministère concerné.
Ensuite, il tend à achever le recyclage des voix du Front national, largement engagé lors de la dernière campagne présidentielle, en stigmatisant les immigrés.
Il a également pour objet de détourner l'attention de l'opinion des difficultés économiques et sociales qui s'amoncellent à l'horizon et que la politique du Gouvernement aggrave.
Mais à quel prix ? En acceptant le risque de provoquer une nouvelle montée de la xénophobie et du racisme, en créant les conditions d'un développement de l'immigration clandestine, puisque l'immigration légale devient de plus en plus difficile, et en réduisant à la précarité des hommes et des femmes exclus des droits sociaux, notamment du droit à la santé, et auxquels la majorité présidentielle de l'Assemblée nationale voudrait à présent - honte suprême ! - refuser le droit d'accès à un hébergement d'urgence !
Saluons le travail des associations et des organisations non gouvernementales, les ONG, qui sont l'honneur de notre pays et qui apportent, jusque dans les zones d'attente et les centres de rétention administrative, aide et soutien à des femmes et des hommes en détresse !
Depuis que ce gouvernement est en place, la traque des clandestins tend à devenir la règle. Plusieurs préfets ne sont pas fiers du travail que vous leur demandez : « faire du chiffre », en prenant de moins en moins en compte les drames humains qui en résultent.
De nombreux magistrats font part de leur émotion. Un malaise commence aussi à poindre chez les policiers, qui pensent qu'il serait urgent de se consacrer aux vraies tâches.
Ainsi le recours à une répression dure et cruelle comme seule réponse aux problèmes de l'immigration est-il en train d'accroître les tensions dans notre société, même si, hélas ! vous avez l'assentiment d'une partie de l'opinion.
Plutôt que de se plier à de telles pulsions, le rôle d'un gouvernement devrait être d'abord d'expliquer, de faire comprendre, d'oser s'opposer et de proposer une politique.
Enfin, ce projet est-il bon pour notre réputation à travers le monde ?
L'amendement voté par les députés de la majorité présidentielle sur les tests génétiques, contraire à l'éthique et au droit - amendement dont nous sommes encore loin d'être débarrassés à ce stade de nos travaux - a produit un sale effet dans les pays du Sud. Une délégation du Sénat reçue récemment par les autorités algériennes a pu mesurer les dégâts causés par cette proposition extrémiste.
D'autre part, les difficultés de toutes sortes rencontrées par les étudiants et les chercheurs, quoi qu'on nous dise, pour venir en France les détournent de plus en plus de notre pays et ils vont maintenant aux États-Unis, au Canada, où le Québec défend, lui, vaillamment la francophonie.
Avant de passer à la discussion des articles d'un texte bâclé et soumis à la procédure d'urgence, ne faudrait-il pas au préalable, mes chers collègues, s'interroger sur ce que devrait être notre politique d'immigration compte tenu de notre histoire et de ce qui a souvent - pas toujours, hélas ! - constitué notre tradition ?
Le ministère dit de l'immigration, etc. a compétence en matière de codéveloppement. Il serait utile de prendre la mesure des projets réellement engagés et de ceux pour lesquels des moyens seront inscrits au prochain budget, en vue de leur réalisation au cours de l'exercice 2008. Vous nous avez parlé de 60 millions d'euros d'autorisations de programme et de 29 millions d'euros de crédits de paiement ; c'est vraiment peu par rapport aux ressources que les salariés immigrés envoient dans leur pays et qui permettent à ces pays de survivre à des situations particulièrement difficiles. (Mme Monique Cerisier-ben Guiga applaudit.)
Il serait d'ores et déjà nécessaire de connaître aussi le montant et la nature de l'aide réellement fournie par la France au développement, car la plus grande opacité règne en ce domaine.
En conclusion, La France, comme les autres pays d'Europe, n'a pas intérêt à se replier, à s'enfermer. Une autre politique des visas permettrait, par exemple, d'agir avec plus de souplesse et d'humanité en assurant des allers-retours aux ressortissants des pays du Sud, mais il faudrait pour cela que nos consulats reçoivent les instructions et les moyens en personnel nécessaires.
Comment ne pas évoquer le fait que la France a besoin des travailleurs immigrés et qu'elle ne saurait s'en priver ? Comment ne pas tenir compte de la contribution qu'ils apportent à notre vie économique, culturelle, aux échanges de tous ordres auxquels ils participent, du surcroît de ressources qu'ils nous procurent, tout en prenant leur part du combat contre la pauvreté dans leur propre pays ? Alors, pourquoi leur refuser le droit de vivre en famille?
Enfin, il serait indigne de faire comme si nous n'avions pas eu avec d'autres parties du monde une histoire commune, comme si des liens ne s'étaient pas tissés, dont nous sommes les héritiers. À un siècle de distance, les problèmes de l'ancien empire sont aujourd'hui présents dans l'Hexagone. Les mêmes comportements qui ont fait échouer la décolonisation et ruiné alors les chances de l'Union française se retrouvent dans les pratiques du gouvernement actuel. C'est pourquoi nous nous y opposons fermement. (Mmes Bariza Khiari et Monique Cerisier-ben Guiga ainsi que M. Gérard Delfau applaudissent.)
Autant de raisons qui, par-delà la diversité de nos opinions politiques, devraient, mes chers collègues, imposer un temps d'arrêt à l'avalanche de textes de circonstance et nous amener à réfléchir, nous aussi, à nos droits et à nos devoirs. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées de l'UC-UDF et du RDSE.)
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. Si je m'en tiens à la motivation de cette motion, selon laquelle le texte est contraire à la convention européenne des droits de l'homme, je peux vous dire que les débats que nous avons eus tant en commission que dans cet hémicycle n'ont pas permis de le démontrer. La commission émet donc un avis défavorable.
Mmes Éliane Assassi et Annie David. C'est un peu court !
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Brice Hortefeux, ministre. Je voudrais revenir sur les propos de M. Charles Josselin, que j'écoute toujours avec beaucoup d'intérêt lorsqu'il intervient ; déjà, dans mes précédentes fonctions, nous avions engagé un dialogue.
Il y a un point sur lequel, malheureusement, monsieur le sénateur, je ne peux pas vous suivre : c'est la réalité des chiffres. Encore une fois, je ne veux absolument pas polémiquer. (Mme Bariza Khiari rit. - M. Robert Bret s'exclame.) Je veux simplement rappeler les chiffres que chacun d'entre vous pourra commenter : l'aide au développement est passée de 4,7 milliards d'euros en 2001 à 9,2 milliards d'euros en 2007 - la progression est assez claire -, elle avait en revanche fortement diminué entre 1997 et 2002.
M. Charles Josselin. Le pic, c'est la dévaluation du franc CFA. Après, elle diminue.
M. Brice Hortefeux, ministre. En tout cas, monsieur Josselin, je vous cite les chiffres ; ensuite, chacun en fait ce qu'il veut ! L'aide publique au développement est passée de 0,47 % à 0,31 % du revenu national brut entre 1996 et 2001.
M. Bernard Frimat. C'est simpliste !
M. Brice Hortefeux, ministre. Je souhaitais simplement vous apporter ces précisions qui me semblent éclairantes.
Monsieur Mermaz, vous avez évoqué de nombreux sujets ; je n'y reviendrai pas. Vous avez d'ailleurs assez habilement fait semblant d'approuver les initiatives du président et du rapporteur de la commission des lois, tout en défendant la question préalable. C'est quelque peu contradictoire, vous en conviendrez ! (Mme Raymonde Le Texier s'exclame.)
Vous avez cité la convention relative aux droits des migrants, mais vous avez oublié de préciser qu'elle n'a été signée par aucun pays européen. Et vous voudriez que la France soit seule à la ratifier ? Encore faudrait-il, monsieur Mermaz, que cette convention s'intéresse non seulement aux droits mais aussi aux devoirs des migrants.
La vérité, c'est que la politique d'immigration que vous avez menée quand vous étiez au pouvoir a complètement échoué. Elle a d'ailleurs été très clairement sanctionnée par les Français ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. Bernard Frimat. Et ça, ce n'était pas polémiquer...
M. le président. Je mets aux voix la motion n° 31, tendant à opposer la question préalable.
Je rappelle que l'adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi.
Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe socialiste.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?...
Le scrutin est clos.
(Il est procédé au comptage des votes.)
M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 6 :
Nombre de votants | 327 |
Nombre de suffrages exprimés | 325 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 163 |
Pour l'adoption | 125 |
Contre | 200 |
Le Sénat n'a pas adopté.
Demande de renvoi à la commission
M. le président. Je suis saisi, par Mmes Khiari et M. André, MM. Collombat, Mermaz, Dreyfus-Schmidt, Frimat, Peyronnet, Sueur et Yung, Mme Boumediene-Thiery, M. Assouline, Mme Cerisier-ben Guiga, M. S. Larcher, Mme Tasca et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, d'une motion n° 32, tendant au renvoi à la commission.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l'article 44, alinéa 5, du règlement, le Sénat décide qu'il y a lieu de renvoyer à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, le projet de loi, adopté par l'assemblée nationale après déclaration d'urgence, relatif à la maîtrise de l'immigration, à l'intégration et à l'asile (n° 461, 2006-2007).
Je rappelle que, en application de l'article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l'auteur de l'initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d'opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
Aucune explication de vote n'est admise.
La parole est à Mme Bariza Khiari, auteur de la motion.
Mme Bariza Khiari. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, cela a été dit et redit, pour la quatrième fois en cinq ans, le Gouvernement demande au Parlement de légiférer sur l'immigration et l'asile.
L'examen de ce texte vous semblait suffisamment urgent pour justifier la convocation d'une session extraordinaire et déclarer l'urgence.
En réalité, ce gouvernement entend une nouvelle fois, dans la précipitation, limiter l'exercice des libertés fondamentales que sont le regroupement familial et l'asile, sans laisser au Parlement et à ses commissions permanentes le temps nécessaire à une information exhaustive et éclairée.
Entre le projet initial présenté par le Gouvernement et le texte adopté par l'Assemblée nationale, ce ne sont plus dix-huit mais quarante-sept articles que nous avons à examiner. Le temps laissé au Sénat a été beaucoup trop court, d'autant que certaines dispositions introduites par l'Assemblée nationale méritaient de toute évidence une ample réflexion.
En brusquant l'ordre du jour, vous avez privé notre assemblée du temps et de la sérénité nécessaires à l'examen de dispositions qui modifient profondément notre droit, comme celles des articles 5 bis sur l'utilisation de tests ADN pour prouver la filiation et 14 quater créant un livret d'épargne pour le codéveloppement, ou de l'article 20 modifiant la loi relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés pour faciliter le recueil de données sensibles.
Cette précipitation reflète, quoi que vous en disiez, une certaine condescendance à l'égard du travail parlementaire.
De même, la commission des affaires étrangères aurait dû en toute logique être saisie pour avis, comme elle l'a été à l'Assemblée nationale.
De plus, de trop nombreuses dispositions renvoient, de façon floue, à d'hypothétiques décrets d'application. En l'état actuel du texte, il est impossible de dire que le Parlement sait précisément ce qu'il vote.
Pour le Gouvernement, l'immigration n'est pas une question, c'est un filon. Depuis cinq ans, vous ne cessez de cristalliser les peurs de nos concitoyens. Vous avez alimenté les amalgames les plus intolérables, pour des motifs électoraux - cela a été fort bien dit par Charles Josselin - ou, plus prosaïquement, pour tenter de dissimuler l'échec de votre « choc de confiance ».
Alors, pourquoi délibérer une nouvelle fois aujourd'hui ? Pourquoi une telle urgence ? Évidemment, les élections municipales sont proches...Vous nous demandez d'examiner ce texte alors même que la loi du 24 juillet 2006, que vous aviez elle aussi fait voter dans l'urgence, n'est pas encore appliquée dans son intégralité.
Le Président de la République a prétendu faire de l'évaluation des politiques publiques une de ses priorités. Il a même nommé un secrétaire d'État pour cela ! Étrangement, il n'existe à l'heure actuelle aucune évaluation réelle de vos réformes passées. Il n'existe pas plus d'étude d'impact des dispositions que vous nous proposez aujourd'hui. Dans ces conditions, la commission saisie au fond n'est pas suffisamment éclairée pour délibérer une nouvelle fois.
Ces évaluations et études d'impact auraient pourtant été intéressantes à bien des égards. Elles auraient montré que les lois passées n'ont répondu à aucun des enjeux qui se posent en matière d'immigration et que, sur ce sujet, vous avez sans cesse mené la même politique, en rendant ineffectives des libertés fondamentales et en criminalisant les étrangers, faisant peser sur eux toujours plus de suspicion...
Après ces remarques de forme, il convient d'examiner ce texte au fond. Là encore, il nous semble impossible de délibérer en l'état. Votre projet va en effet à l'encontre de plusieurs des principes fondamentaux qui régissent les libertés publiques.
Certes, l'expression de « regroupement familial » existe toujours. Mais, dans les faits, vous en avez progressivement rendu l'exercice impossible.
Non contents de restreindre les libertés fondamentales des étrangers, vous portez atteinte aux principes les plus fondamentaux d'organisation de la justice. En prévoyant, à l'article 12 quater, que l'obligation de quitter le territoire français n'est qu'une modalité d'exécution de la décision de refus de délivrance du titre de séjour et qu'elle ne fait pas l'objet d'une motivation particulière, vous interdisez de fait aux juges de se prononcer sur la régularité de la mesure d'éloignement.
D'une façon plus générale, toute la philosophie de ce texte repose une opposition dangereuse entre immigration subie et immigration choisie.
Vous avez rappelé, monsieur le ministre, que ce texte était directement issu d'une lettre de mission de M. le Président de la République qui fixe les nouveaux caps de la politique d'immigration. La France devrait ainsi réduire l'immigration familiale et favoriser le développement de l'immigration de travail.
Cette opposition est simpliste, « stigmatisante » et vexatoire pour tous les bénéficiaires du regroupement familial qui, eux aussi, au même titre que les autres travailleurs de ce pays, font partie de cette « France qui se lève tôt ».
Cette opposition ne peut que nuire à la sérénité des débats. Le groupe socialiste estime qu'il s'agit d'un argument supplémentaire pour justifier sa demande de renvoi à la commission.
En effet, cette formulation, puissamment relayée dans les médias, sous-entend que l'immigration familiale est une immigration subie, inactive, et pesant de manière négative dans nos comptes sociaux.
Elle assimile l'étranger arrivé en France au titre du regroupement familial à un parasite, un indésirable, un chômeur.
Elle passe sous silence le fait que le demandeur d'un regroupement a un travail stable, rémunéré au SMIC, et que, en moyenne, un an après l'arrivée sur le territoire français, 70 % des conjoints travaillent.
Il faut savoir qu'une grande partie des services à la personne, secteur économique tant vanté par ce gouvernement, est assurée par des étrangers ou des immigrés arrivés en France au titre du regroupement familial.
Selon vous, cette immigration de droit, protégée par la Constitution et par la convention européenne des droits de l'homme, serait une immigration subie. Il faudrait alors lui préférer une immigration choisie en fonction des besoins de main-d'oeuvre de la France. Ainsi, chaque année, le Parlement serait amené à fixer un quota d'étrangers par profession et par zone géographique.
Or les secteurs sous tension ne sont pas réputés à forte valeur ajoutée. Il s'agit, entre autres, du bâtiment et de l'hôtellerie-restauration.
Un amendement déposé à l'Assemblée nationale concernant l'assouplissement des conditions de séjour des travailleurs saisonniers agricoles illustre parfaitement les contours de votre fameuse « immigration choisie ».
Certains de nos concitoyens imaginent que l'immigration choisie consiste à accueillir à bras ouverts certaines catégories, les médecins étrangers par exemple. Rien n'est plus faux. Près de 5 000 praticiens de santé titulaires d'un diplôme étranger travaillent aujourd'hui dans nos hôpitaux dans des conditions très précaires, marquées par l'instabilité de leur poste, la sous- rémunération et l'absence de perspectives. Si votre gouvernement était cohérent avec les objectifs qu'il s'est assignés, notamment en termes d'intégration, il déciderait qu'il est temps de clarifier la situation des praticiens de santé en allant dans le sens d'une égalité de traitement.
L'opposition entre immigration de travail et immigration familiale est fallacieuse et populiste. Les personnes qui viennent en France au titre de l'immigration familiale ont vocation à travailler et l'immigration de travail est à l'origine de l'immigration familiale de demain.
Vous avez eu recours à un autre amalgame. En insistant sur le fait que le taux de chômage des étrangers est jusqu'à quatre fois supérieur à celui des Français, vous omettez de dire qu'en France près d'un emploi sur trois est interdit aux étrangers. Aucun poste de la fonction publique n'est accessible à un non-Européen. Il en va de même pour un nombre impressionnant d'emplois du secteur privé, dits « emplois fermés ».
S'il est légitime de réserver les emplois régaliens aux Français, aucun motif ne s'oppose aujourd'hui à ce que les étrangers aient le droit de se présenter à certains concours. La méritocratie doit valoir pour tous.
Les fondements de ces restrictions législatives et réglementaires sont historiquement datés et connotés, économiquement obsolètes et moralement condamnables. Personne en France ne pourra sérieusement prétendre lutter contre les discriminations et en faveur de l'intégration tant que subsisteront ces discriminations légales qui, par effet de système, légitiment les discriminations illégales.
S'agissant de la promotion de la diversité et de la lutte contre les discriminations, je ne vois rien, absolument rien de concret dans ce texte. C'est sans doute par ironie, monsieur le ministre, que vous avez cru bon d'ajouter le terme « intégration » à l'intitulé du présent projet de loi. En fait d'intégration, les mesures que vous proposez sont autant de nouvelles contraintes imposées aux étrangers. Vous ne faites que stigmatiser les populations qui sont déjà les plus touchées par des discriminations de toutes sortes : dans la formation, dans l'accès à l'emploi, au logement, aux loisirs.
À plusieurs reprises, monsieur le ministre, vous avez évoqué le taux de chômage des enfants d'immigrés diplômés de l'enseignement supérieur. Selon vous, il s'agirait d'une conséquence de l'immigration, alors que c'est le fruit de votre indifférence aux discriminations.
La lutte contre les discriminations dans l'emploi passe par la mise en oeuvre d'outils innovants tels que le CV anonyme, qui permet, au moins à l'étape du recrutement, de gommer les différences tant raciales que sociales, ne laissant la place qu'à des données objectives d'expérience et de formation.
Cette mesure, adoptée à une large majorité par cette assemblée, reste aujourd'hui lettre morte faute de décrets d'application.
Dans un autre domaine, comme l'a rappelé Mme Dini, le Sénat a montré la voie de la lutte contre les discriminations en adoptant, le 1er février 2007, l'article 7 du projet de loi instituant le droit au logement opposable et portant diverses mesures en faveur de la cohésion sociale. Cet article visait à mettre fin à l'assignation à résidence des chibani, ces vieux travailleurs migrants qui ne peuvent rentrer dans leur pays d'origine sans perdre le bénéfice de leurs droits sociaux. Or cette situation indigne de notre République perdure elle aussi faute de décrets d'application.
L'état d'une démocratie se mesure certes à la mise en place de contre-pouvoirs, mais également au sort qu'elle réserve à sa jeunesse et à ses vieux travailleurs.
Comment ne pas constater que, lorsque ces jeunes et ces vieux travailleurs sont étrangers, issus de l'immigration ou de couleur, leur sort ne vous préoccupe guère ?
Face aux enjeux réels de l'intégration, de la diversité et de la lutte contre les discriminations, vous présentez une seule proposition : faciliter et généraliser les statistiques ethniques. L'article 20 vise en effet à faciliter le recueil de données sensibles, portant notamment sur les origines ethniques, raciales ou sur la religion.
Vous prétendez que cette disposition n'est que la traduction d'une recommandation de la CNIL. Certes ! Mais alors, pourquoi ne mettez-vous pas en oeuvre, par voie réglementaire, les autres recommandations de la CNIL qui sont bien plus importantes ?
Non, vous n'avez pas la volonté réelle de résoudre cette supposée cécité statistique. Selon vos aveux, monsieur le ministre, cette disposition ne sera qu'un avant-goût de la réforme constitutionnelle que vous envisagez pour instaurer une politique de quotas. En fait, vous voulez « ethniciser » la question sociale ! (Murmures sur les travées de l'UMP.)
Vous vous référez sans cesse aux valeurs républicaines et à notre identité nationale. Alors que vous voulez enfermer la France dans une conception fermée de son identité, nous croyons plus que jamais à une identité toujours en construction. Alors que vous stigmatisez les populations étrangères, nous avons plus que jamais conscience de la richesse que la France a tirée et tirera de l'immigration.
Comme l'a rappelé Mme Tasca, au moment où la mondialisation fait que les marchandises, les capitaux, les technologies circulent sans entraves, vous voulez nous rendre complices du mauvais sort qui sera fait à l'homme, au migrant, ce grand souffrant. Admettez, monsieur le ministre, que nous résistions. L'histoire de notre République nous y oblige.
Votre texte n'est qu'une énième vexation pour les étrangers, une énième violation de nos principes les plus fondamentaux. Vous essayez une fois encore, dans l'urgence, d'imposer cette logique intolérable à la représentation nationale.
Pour toutes ces raisons, le groupe socialiste demande le renvoi de ce projet de loi devant la commission des lois et la saisine pour avis de la commission des affaires étrangères. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. Le présent projet de loi a été présenté en conseil des ministres au mois de juillet. Son contenu était donc connu.
En ma qualité de rapporteur, dès le mois de septembre, j'ai entamé des auditions, que j'ai voulues ouvertes à tous les collègues qui souhaitaient y assister. Un grand nombre d'entre eux y ont d'ailleurs participé et ont ainsi pu s'exprimer, poser toutes les questions qui leur paraissaient nécessaires à la bonne compréhension de ce texte.
Aussi, bien que nous ayons travaillé dans des délais contraints, nous avons néanmoins pu examine de manière satisfaisante l'ensemble des dispositions qui nous étaient soumises.
J'émets donc un avis défavorable à la motion tendant au renvoi de ce projet de loi à la commission.
M. Jean-Patrick Courtois. Très bien !
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Brice Hortefeux, ministre. Madame Khiari, les motions de renvoi à la commission m'apparaissent toujours assez désobligeantes à l'égard de ladite commission. C'est particulièrement vrai aujourd'hui tant M. Hyest et M. le rapporteur ont accompli un travail méticuleux et précis.
Vous avez évoqué l'immigration professionnelle. Sans rouvrir la discussion générale, permettez-moi de revenir quelques instants sur ce point.
C'est Nicolas Sarkozy qui, dans la loi de 2006, a déverrouillé l'immigration professionnelle, laquelle était bloquée depuis 1974.
Pendant les années où vos amis ont exercé le pouvoir, il n'y a pas vraiment eu d'avancées ou d'initiatives dans ce domaine. Ce n'est pas être malveillant que de le rappeler.
Vous feignez de n'apercevoir aucune disposition en faveur de l'intégration dans ce texte. Il est vrai que ce n'est pas vous qui avez créé le contrat d'accueil et d'intégration en 2005 et qui l'avez rendu obligatoire en 2006. Ce n'est pas vous non plus qui le faites progresser cette année. Vous ne voyez pas l'intégration tout simplement parce que c'est nous qui la faisons ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. Je mets aux voix la motion n° 32, tendant au renvoi à la commission.
Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe socialiste.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?...
Le scrutin est clos.
(Il est procédé au comptage des votes.)
M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 7 :
Nombre de votants | 327 |
Nombre de suffrages exprimés | 325 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 163 |
Pour l'adoption | 125 |
Contre | 200 |
Le Sénat n'a pas adopté.
En conséquence, nous passons à la discussion des articles.
Article additionnel avant l'article 1er
M. le président. L'amendement n° 77, présenté par Mmes Assassi, Borvo Cohen-Seat, Mathon-Poinat et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Avant l'article 1er, ajouter un article additionnel ainsi rédigé :
Le Gouvernement présentera, avant le 31 décembre 2007, un plan de régularisation des sans-papiers présents sur le territoire français qui justifient d'attaches familiales en France ou détenir une promesse d'embauche ou être inscrits dans un établissement scolaire ou universitaire.
Les conditions d'application de cet article sont définies par un décret en Conseil d'État.
La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Il me semble que le Gouvernement devrait expliquer franchement à la société française que, comme l'asile, l'immigration familiale est une immigration qu'il juge inutile parce qu'elle est « non choisie ».
En effet, n'est désormais acceptable en France que l'étranger perçu comme rentable pour l'économie. Ni sa personne ni sa situation personnelle ne lui confèrent de droits. Jamais la politique de l'immigration n'aura été aussi unilatérale : tirer tous les bénéfices d'une main-d'oeuvre précaire et fragile sans lui conférer aucun droit.
Tout est fait pour justifier cette politique, je l'ai évoqué dans mon intervention générale. Or, plusieurs voix l'ont souligné cet après-midi, la France n'est en aucun cas un pays d'immigration massive. Malheureusement, les conséquences du discours du Gouvernement sont dramatiques, à tel point que la crainte des expulsions pousse certaines personnes sans papiers à commettre des actes désespérés.
Le durcissement des conditions de séjour des étrangers en France ne ralentit pas l'immigration ; pis, elle ne fait que pousser plus de monde dans l'irrégularité et fabrique des sans-papiers par milliers. Cette clandestinité imposée, on le sait bien, profite en premier lieu aux employeurs, qui n'hésitent pas à exploiter des sans-papiers dans des conditions évidemment déplorables et bien connues, je le répète, des services de l'État.
Toute tentative de régularisation des immigrés sans papiers au cas par cas, sur la base de critères la plupart du temps cumulatifs, ne peut qu'être injuste et arbitraire. Elle laisse hors du champ des droits fondamentaux les éléments les plus fragiles et les plus précarisés de la population et, pour le coup, crée un véritable appel d'air pour le travail illégal.
Il est plus que temps de revenir sur ces réformes. C'est pourquoi nous pensons que doivent être régularisés non seulement les enfants étrangers scolarisés et leurs parents, mais également les étrangers qui détiennent une promesse d'embauche ou disposent d'attaches familiales dans notre pays.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. Cet amendement tend à la régularisation générale des étrangers qui justifient soit d'attaches familiales, soit d'une promesse d'embauche.
Cette position est contraire à tous les principes que nous évoquons depuis de nombreux mois déjà : nous sommes hostiles à la régularisation générale, car nous sommes favorables à la régularisation au cas par cas, prévue dans le cadre de l'admission exceptionnelle au séjour et des pouvoirs qui sont donnés au préfet.
C'est la raison pour laquelle nous émettons un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Brice Hortefeux, ministre. Le Gouvernement est naturellement du même avis que le rapporteur.
J'ai indiqué tout à l'heure un chiffre, tiré d'une enquête d'opinion, qui est tout de même assez intéressant : globalement, 87 % des Français sont hostiles aux régularisations générales.
Mme Éliane Assassi. Je pourrais vous rétorquer autre chose !
M. Brice Hortefeux, ministre. Je précise que ce sont 70 % des électeurs de Mme Royal et 66 % des électeurs de la gauche non socialiste qui se déclarent défavorables à de telles régularisations. (Vives protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
Ces chiffres ont été publiés ! Vous ne lisez donc pas les enquêtes d'opinion ? Elles constituent pourtant un très important élément d'appréciation !
Mme Éliane Assassi. Tout le monde était contre l'IVG ; pourtant, Mme Veil a été courageuse !
M. Brice Hortefeux, ministre. Sur le fond, ma réponse est donc claire : il n'est pas question de s'engager dans la voie des régularisations générales. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.- Protestations et sifflets sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, pour explication de vote.
M. Pierre-Yves Collombat. Je trouve un peu curieux l'argument de M. le ministre. Puisque 70 % des Français sont contre les franchises sur les médicaments, sur les transports sanitaires, etc., je suppose qu'il fera passer le message à son collègue... (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Mme Raymonde Le Texier. Très bien !
Mme Éliane Assassi. Soyez aussi courageux que Mme Veil à son époque !
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 77.
(L'amendement n'est pas adopté.)
Article additionnel avant l'article 1er ou après l'article 19
M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 78, présenté par Mmes Assassi, Borvo Cohen-Seat, Mathon-Poinat et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Avant l'article 1er, ajouter un article additionnel ainsi rédigé :
Les étrangers résidant en France depuis au moins cinq ans ont le droit de vote et d'éligibilité aux élections municipales.
La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Cet amendement a pour objet de reprendre la proposition de loi que nous avons présentée devant le Sénat en janvier 2006 et qui n'a malheureusement pas recueilli l'approbation de la majorité.
Plusieurs sénateurs de l'UMP. Heureusement !
Mme Éliane Assassi. Pourquoi « heureusement » ? J'espère que les bouches vont s'ouvrir pour nous l'expliquer !
M. Robert Bret. Ce sont des godillots !
Mme Éliane Assassi. Je regrette beaucoup de ne pas entendre plus souvent mes collègues de la majorité UMP ! J'aimerais qu'un débat d'idées s'instaure, au lieu que soient lancés dans l'hémicycle des anathèmes qui n'aboutissent à rien ! (Protestations sur les travées de l'UMP.)
Vous pouvez protester, ce n'est pas ce qui me fera taire !
Cet amendement vise donc à accorder aux étrangers le droit de vote et d'éligibilité aux élections municipales. Je rappelle, chers collègues de la majorité, que votre candidat à l'élection présidentielle se disait favorable à cette mesure !
Je vous épargnerai la liste des pays européens qui ont déjà franchi ce pas vers l'égalité des droits,...
Mme Éliane Assassi. ... condition indispensable à l'exercice serein de la démocratie, de même que je passerai sous silence le fait que le Parlement européen a voté, le 14 février 1989, une résolution demandant aux pays membres d'accorder à l'ensemble des étrangers vivant et travaillant sur leur territoire le droit de vote aux élections locales.
Pourquoi, dans ces conditions, notre proposition n'a-t-elle pas été acceptée ? Pourquoi la France tarde-t-elle tant à donner ce droit aux résidents étrangers, alors que, vous le savez très bien, ils participent au même titre que les citoyens français à la vie économique et sociale du pays ?
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Ce n'est pas cela, la citoyenneté !
Mme Éliane Assassi. C'est d'autant plus anachronique que les résidents étrangers se sont vu reconnaître certains droits : ils participent aux élections des comités d'entreprise et des conseils d'administration des caisses de sécurité sociale et des offices d'HLM, ainsi qu'aux élections prud'homales. Ils ont également le droit d'association.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. C'est normal !
Mme Éliane Assassi. Ils sont assujettis à l'impôt, contribuant ainsi au financement des dépenses publiques, mais ne peuvent pas, en contradiction avec l'article XIV de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, constater la nécessité de cette contribution publique puisqu'ils ne peuvent pas participer à l'élection de représentants.
Je le répète, nous comprenons d'autant moins le rejet de notre proposition que le Président de la République, alors candidat, s'était prononcé en faveur du droit de vote des étrangers. Comment expliquer ce revirement d'attitude ?
M. Guy Fischer. Ce sont les sondages !
M. Robert Bret. Sans doute les enquêtes d'opinion !
Mme Éliane Assassi. J'espère entendre des arguments !
Il est aujourd'hui question d'intégration des étrangers : mais quelle meilleure façon de s'intégrer que de pouvoir voter et s'investir dans la vie citoyenne du pays ?
Accorder le droit de vote et d'éligibilité pour les élections municipales serait d'ailleurs une bien meilleure preuve de la volonté du Gouvernement d'intégrer les étrangers installés durablement sur notre territoire que de leur faire signer un contrat d'accueil et d'intégration qui n'apporte aucun résultat tangible si ce n'est la stigmatisation toujours croissante des immigrés.
M. le président. L'amendement n° 175, présenté par Mme Khiari, est ainsi libellé :
Après l'article 19, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le droit de vote aux élections locales est accordé aux étrangers non-ressortissants de l'Union européenne selon des modalités fixées par une loi ultérieure.
La parole est à Mme Bariza Khiari.
Mme Bariza Khiari. L'exercice de la citoyenneté est un facteur essentiel de l'intégration à la société française. Dans notre histoire, des millions d'étrangers ont construit notre pays, et ils sont nombreux à l'avoir défendu au nom de ses valeurs de liberté de l'homme.
Nombre de pays européens accordent déjà ce droit de vote aux élections locales. De plus, les ressortissants de l'Union européenne ont, depuis 1992, la possibilité de participer aux élections municipales. Actuellement, le droit de vote et d'éligibilité aux élections municipales pour les ressortissants de l'Union européenne est prévu à l'article 88-3 de la Constitution.
Cette évolution ne rend que plus indigne la discrimination à l'égard des non-ressortissants de l'Union européenne, souvent installés dans notre pays depuis de longues années. Il est contraire au principe d'égalité que tous les étrangers n'aient pas les mêmes droits, alors que les élections locales les concernent au même titre et de la même manière.
L'exercice du droit de vote et d'éligibilité aux élections locales est étroitement lié à notre conception du processus d'intégration, car il est un élément moteur de cette dynamique. Aujourd'hui, les droits que nous reconnaissons aux étrangers résidents s'arrêtent à la porte des bureaux de vote.
Continuer de priver du droit de vote et d'éligibilité aux élections locales les populations étrangères vivant dans notre société est aujourd'hui un déni d'intégration. Une telle discrimination est indéfendable : il est en effet injuste que les étrangers soient « sans voix » aux élections qui concernent leur propre collectivité. Elle est aussi humainement inacceptable en ce qu'elle est un frein à une politique d'intégration réussie.
L'Assemblée nationale avait adopté le 3 mai 2000 une proposition de loi constitutionnelle, soutenue par les groupes de la majorité de gauche, accordant le droit de vote et d'éligibilité aux élections municipales aux étrangers non-ressortissants européens vivant en France. Les députés de droite avaient alors voté contre ce texte.
Aujourd'hui, les choses ont évolué, et des voix s'élèvent dans les rangs de l'actuelle majorité en faveur de la reconnaissance d'une expression politique de la population étrangère. Cela a été rappelé par Éliane Assassi : le Président de la République lui-même a évolué sur la question. Nous ne pouvons que nous en réjouir et penser que le temps des avancées concrètes est venu. J'espère pouvoir en constater, monsieur le ministre !
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. Ces amendements ont pour objet d'inscrire dans le projet de loi le droit de vote des étrangers aux élections municipales.
On nous a reproché tout à l'heure le caractère inconstitutionnel d'une partie de ce texte. L'ajout demandé le rendrait complètement inconstitutionnel ! C'est la raison pour laquelle j'émets un avis défavorable sur les deux amendements. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Brice Hortefeux, ministre. Je suis du même avis que le rapporteur, monsieur le président, mais je souhaiterais prolonger quelques instants la réflexion sur ce droit de vote.
Que signifie « droit de vote » ? Est-ce le droit d'être élu ? Est-ce le droit de voter aux élections indirectes que sont les sénatoriales ? Pour quelles élections doit-il valoir : pour les élections municipales ? cantonales ? régionales ? législatives ? présidentielle ? pour les référendums ? Est-ce tout cela ?
Mme Bariza Khiari. Ouvrez le débat !
M. Brice Hortefeux, ministre. Quoi qu'il en soit, une certitude demeure : ce n'est pas à l'occasion d'un amendement, voire d'un sous-amendement, que nous discuterons de cela ce soir. Le Président de la République a lancé un débat institutionnel, des cénacles ont été créés à cet effet : je propose que nous nous y donnions rendez-vous.
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 175.
(L'amendement n'est pas adopté.)
Article additionnel avant l'article 1er
M. le président. L'amendement n° 126, présenté par Mme M. André, MM. Mermaz, Collombat, Badinter, Dreyfus-Schmidt, Frimat, Peyronnet, Sueur et Yung, Mme Boumediene-Thiery, M. Assouline, Mmes Cerisier-ben Guiga et Khiari, M. S. Larcher, Mme Tasca et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Avant l'article 1er, ajouter un article additionnel ainsi rédigé :
L'article L. 411-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile est ainsi modifié :
1° À la fin du 2°, les mots : « vivant dans la même région géographique » sont remplacés par les mots : « vivant en France » ;
2° Le 3° est abrogé.
La parole est à Mme Michèle André.
Mme Michèle André. La loi du 24 juillet 2006 relative à l'immigration et à l'intégration a considérablement durci les conditions du regroupement familial.
Ainsi, elle a allongé le délai au terme duquel un étranger peut solliciter, pour les membres de sa famille, le bénéfice du regroupement familial, délai qui passe de un an à dix-huit mois. Il faut rappeler que celui-ci a varié plusieurs fois puisque la loi Pasqua du 24 août 1993 l'avait fixé à deux ans tandis que la loi Chevènement du 11 mai 1998 l'avait ramené à douze mois, l'autorité administrative devant alors statuer dans un délai de six mois à compter du dépôt complet du dossier.
Elle a par ailleurs rendu impossible le regroupement familial du conjoint mineur, afin qu'il soit tenu compte du relèvement de quinze à dix-huit ans de l'âge nubile de l'épouse.
Elle a aussi modifié les conditions de ressources, excluant explicitement du calcul les prestations familiales, le RMI, l'allocation de solidarité aux personnes âgées, l'allocation temporaire d'attente et l'allocation de solidarité spécifique, ainsi que l'allocation équivalent retraite.
Elle a également modifié les conditions de logement : jusqu'à son entrée en vigueur, le regroupement pouvait être refusé s'il apparaissait que le demandeur ne disposait pas ou ne disposerait pas à la date d'arrivée de sa famille en France d'un logement considéré comme normal pour une famille comparable vivant en France. La loi de 2006 a précisé la nécessité de « disposer d'un logement considéré comme normal pour une famille comparable vivant dans la même région géographique ».
Enfin, elle a ajouté une nouvelle condition : le demandeur doit se conformer aux principes qui régissent la République. Les débats parlementaires permettent de cerner les contours de cette obligation : il s'agirait du principe d'égalité entre hommes et femmes, de la laïcité, du refus de toute discrimination fondée sur l'origine, mais non d'une maîtrise de la langue française. Il s'agit donc d'une condition purement subjective laissant la place à l'arbitraire. De plus, la loi avait inscrit à l'article L. 421-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile le pouvoir donné au maire d'émettre un avis sur les conditions de logement et de ressources et sur le respect des principes qui régissent la République.
Or le droit de mener une vie familiale normale a été reconnu comme un droit fondamental dont l'étranger doit pouvoir jouir à pleine égalité avec le ressortissant national.
Ce droit a été consacré par le Conseil d'État dans son arrêt du 8 décembre 1978 en l'élevant au rang de pouvoir général du droit et par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 22 avril 1997. Ce dernier a rappelé que « les étrangers dont la résidence en France est stable et régulière ont, comme les nationaux, le droit de mener une vie familiale normale » et que « les méconnaissances graves du droit au respect de leur vie privée sont pour les étrangers comme pour les nationaux de nature à porter atteinte à leur liberté individuelle ».
Toutes les dispositions introduites par la loi de 2006 constituent des entraves à l'exercice de ce droit, nous proposons donc de revenir au droit antérieur à cette loi : les conditions exigées avant cette loi étaient largement suffisantes.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. Vous souhaitez revenir sur les dispositions de la loi de 2006, qui a clairement établi que figuraient parmi les conditions du regroupement familial les conditions de logement. Nous avions estimé, à l'époque, que le fait de pouvoir adapter les conditions de logement à la réalité du marché régional - le marché parisien n'est pas le même que le marché lyonnais, bordelais ou corrézien - nous paraissait plutôt favorable à la personne qui faisait la demande de regroupement.
Par ailleurs, la loi du 24 juillet 2006 a ajouté aux conditions du regroupement familial le respect des principes fondamentaux de la République. Le Conseil constitutionnel a parfaitement interprété cette notion en considérant qu'il s'agissait des principes essentiels régissant la vie familiale en France. Cette mesure, qui n'a pas de caractère subjectif, renvoie à des grands principes bien établis et bien connus.
Telles sont les deux raisons pour lesquelles la commission émet un avis défavorable.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Brice Hortefeux, ministre. Pour les mêmes raisons que la commission, le Gouvernement émet un avis défavorable.
En fait, madame André, vous proposez concrètement d'abroger la réforme de 2006, qui a ouvert l'espoir d'assurer des conditions décentes de logement aux familles étrangères.
Il est nécessaire, me semble-t-il, de tenir compte, comme vient de l'indiquer M. le rapporteur, des conditions de logement qui diffèrent d'une région à l'autre ; nous savons tous deux ce qu'il en est concernant notre région.
Les étrangers doivent vivre dans des logements comparables à ceux des Français qui vivent dans la même région. Je pense qu'il n'y a rien d'anormal à cela, au contraire.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Quels Français ?
M. le président. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, pour explication de vote.
M. Pierre-Yves Collombat. Avec cette question du logement, on a un bel exemple de la mécanique qui est montée de toutes pièces pour faire croire qu'il y a des problèmes.
J'ai eu la curiosité de regarder sur le site de l'INSEE les éléments de confort des logements des ménages immigrés et non immigrés.
On s'aperçoit que 90,8 % des ménages immigrés occupent des logements présentant le niveau de confort maximal, c'est-à-dire des logements avec WC intérieurs, baignoire et chauffage central. Quant aux ménages mixtes, 93 % d'entre eux occupent de tels logements. En revanche, les ménages non immigrés se situent un peu en dessous, avec une proportion de 90,5 %. Si l'on ajoute les logements qui ont des WC intérieurs et une baignoire, mais sont dépourvus de chauffage central, les proportions sont de 97,6 % pour les ménages non immigrés, de 99,1 % pour les ménages mixtes et de 96,4 % pour les ménages immigrés.
Ainsi, il apparaît que cette idée selon laquelle il faut prendre en compte les conditions de logement n'a rigoureusement aucun intérêt et ne correspond à aucune réalité, sauf à ériger des cas marginaux en norme.
C'est un très bel exemple de cette mécanique qui est mise au point pour faire croire qu'il y a des problèmes là où il n'y en a pas ou, en tout cas, pas le type de problèmes que l'on prétend viser.
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 126.
(L'amendement n'est pas adopté.)
CHAPITRE IER
Dispositions relatives à l'immigration pour des motifs de vie privée et familiale et à l'intégration
Article 1er
Après l'article L. 411-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, il est inséré un article L. 411-8 ainsi rédigé :
« Art. L. 411-8. - Pour lui permettre de préparer son intégration républicaine dans la société française, le ressortissant étranger âgé de plus de seize ans et de moins de soixante-cinq ans pour lequel le regroupement familial est sollicité bénéficie, dans son pays de résidence, d'une évaluation de son degré de connaissance de la langue et des valeurs de la République. Si cette évaluation en établit le besoin, l'autorité administrative organise à l'intention de l'étranger, dans son pays de résidence, une formation dont la durée ne peut excéder deux mois, au terme de laquelle il fait l'objet d'une nouvelle évaluation de sa connaissance de la langue et des valeurs de la République. Le bénéfice du regroupement familial est subordonné à la production d'une attestation de suivi de cette formation qui doit être délivrée dans le mois suivant la fin de ladite formation, dans des conditions fixées par décret en Conseil d'État. Ce décret précise notamment le délai maximum dans lequel les résultats de l'évaluation doivent être communiqués, le délai maximum dans lequel l'évaluation et la formation doivent être proposées, le nombre d'heures minimum que cette dernière doit compter, les motifs légitimes pour lesquels l'étranger peut en être dispensé ainsi que les modalités selon lesquelles une commission désignée par le ministre chargé de l'immigration conçoit le contenu de l'évaluation portant sur la connaissance des valeurs de la République. »
La parole est à M. Louis Mermaz, sur l'article.
M. Louis Mermaz. Il est bien loin le temps où Stendhal aurait voulu écrire comme le code civil parce que, aujourd'hui, les codes sont quelque peu tarabiscotés.
Cet article 1er a un côté maniaque et, quand on le lit en détail, on se dit que l'on ne verra jamais le bout du tunnel !
Prenez un garçon de dix-sept ans ou un homme de soixante ans. Il est convoqué par le consulat du pays dans lequel il habite. On évalue sa connaissance du français, on l'interroge sur les valeurs de la République. On va évidemment lui demander ce qu'il pense du droit de vivre en famille et on va aussi lui parler du devoir d'hospitalité, j'en suis sûr.
Ensuite, on va décider qu'il faut peut-être lui faire subir un stage de formation et l'on va évaluer les résultats de ce stage. Pour des raisons constitutionnelles, il échappera à la délivrance d'un certificat et il lui faudra une attestation de suivi de la formation.
Pour franchir tous ces obstacles, il faudra se lever tôt !
D'ailleurs, que ferez-vous pour un jeune homme ou même un adulte qui habitera très loin des services du consulat, par exemple, un habitant du Burkina Faso qui vivra au fond de la brousse ? C'est beaucoup plus difficile que d'aller de Vienne à Lyon. N'est-ce pas, monsieur Mercier ?
M. Michel Mercier. J'écoute ce que vous dites, mon cher collègue !
M. Louis Mermaz. Je n'en doute pas ! Nous nous connaissons si bien ! Il nous arrive même parfois de nous apprécier ! Nous ne sommes pas d'accord politiquement sur tout, mais quand il s'agit de faire un grand musée gallo-romain, nous nous entendons très bien ! (Sourires.)
Mais revenons au texte.
Monsieur le ministre, il serait intéressant que vous nous disiez ce qu'il y aura dans le décret en Conseil d'État. Vous m'objecterez qu'il faudra que le Conseil d'État se soit prononcé. Mais c'est essentiel, car toutes les modalités de ce parcours kafkaïen dépendront de ce qui sera décidé en Conseil d'État. Nous aimerions donc avoir déjà au moins une idée du contenu de ce décret, car je pense que vous êtes en relation avec le Conseil d'État.
M. le président. La parole est à Mme Bariza Khiari.
Mme Bariza Khiari. L'objectif que le Gouvernement et sa majorité assignent à l'article 1er est d'apparence aimable puisqu'il s'agit pour le candidat au regroupement familial d'acquérir les rudiments du français avant de pouvoir séjourner sur notre territoire, au côté de son conjoint ou de ses parents. Objectif louable, pensent les bonnes âmes !
Mais un examen attentif et impartial révèle que ces dispositions sont inefficaces, impraticables, discriminatoires, onéreuses et grotesques.
Inefficaces, car l'apprentissage du français serait bien plus probant s'il avait lieu en France. Or, dans le cadre du contrat d'accueil et d'intégration, il doit avoir lieu en France.
Impraticables, car, en l'état actuel de notre réseau consulaire, on n'imagine pas comment, à moyens constants, voire à moyens réduits - on constate une diminution de 4 % des moyens de certains consulats d'Afrique -, nous pouvons demander à nos consulats de pratiquer un test linguistique ou encore à nos centres culturels de dispenser des formations.
Discriminatoires, car les formations seront bien plus difficiles à suivre pour celles et ceux qui vivent éloignés des centres de formation ; discriminatoires aussi pour les femmes des pays en développement, qui souffrent massivement d'analphabétisme.
Onéreux, car le coût sera supporté par tous les candidats à l'immigration, via l'augmentation des taxes sur les attestations d'accueil et les frais de dossiers pour les visas de long séjour.
Grotesques, enfin, car vous envisagez sérieusement de créer une nouvelle commission, composée notamment de philosophes et de sociologues, chargés de définir un corpus des valeurs républicaines réductibles à un questionnaire à choix multiples. Cette idée est saugrenue quand on suppose qu'ici, à propos de ce projet de loi, vous allez nous affirmer que les statistiques ethno-raciales sont tout à fait conformes à nos valeurs. Pourtant, nous sommes nombreux à récuser l'établissement de telles statistiques. Et j'imagine sans peine les difficultés qu'aura cette commission pour parvenir à un accord !
Loin de favoriser l'accueil des candidats au regroupement familial, les dispositions de l'article 1er consistent à éliminer les plus pauvres, à dissuader les moins riches de venir rejoindre leur conjoint pour vivre une vie familiale normale.
Je ne voudrais pas terminer cet argumentaire sans évoquer des situations personnelles.
Mon père, comme le grand-père d'Arnaud Montebourg, député socialiste, ne parlait que l'arabe en arrivant en France. Si ces dispositions avaient été en vigueur à l'époque, ils n'auraient pu être accueillis en France. J'ai la modestie de penser qu'Arnaud Montebourg manquerait à l'Assemblée nationale et que je manquerais au Sénat.
Avec cette mesure, monsieur le ministre, pensez aux talents que nous allons ignorer ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.
Mme Alima Boumediene-Thiery. Mes chers collègues, comme l'ont déjà dit d'autres intervenants, cet article est l'expression même de la volonté du Gouvernement de ruiner le droit à une vie familiale normale.
Supposé permettre d'offrir aux étrangers une meilleure intégration, il est en réalité un frein procédural et formel volontairement rédhibitoire.
Imaginez que, pour obtenir un visa, un étranger devra désormais attendre deux mois de plus que le délai déjà anormalement long qui lui était imposé.
Il devra suivre une formation payante, peut-être dans une autre ville que la sienne. II devra débourser de l'argent pour la formation, pour l'hôtel, pour se nourrir, pendant ces deux mois. Il devra, en clair, disposer de ressources pour suivre ce stage.
Monsieur le ministre, qui peut se permettre de telles dépenses ? Les étrangers riches ou ceux qui parlent déjà le français, à savoir les nantis formés dans les écoles françaises, les enfants de diplomates ou d'industriels, qui seront dispensés de suivre cette formation.
Les autres, qui n'ont pas eu cette chance à la naissance, ne jouiront pas du droit de mener une vie familiale normale.
Pardonnez-moi de vous le dire, mais je trouve cette méthode tout à fait scandaleuse. En effet, le Gouvernement cherche à filtrer l'immigration familiale en choisissant les bénéficiaires sur des critères financiers et en excluant les plus pauvres.
Non, monsieur le ministre, le regroupement familial n'est pas un outil de développement économique de la France : c'est un outil de protection des droits des Français comme des étrangers à mener une vie familiale normale en France. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Avec cet article 1er, nous abordons le premier obstacle imaginé par le Gouvernement pour restreindre l'accès au regroupement familial.
Il est question, en l'espèce, d'imposer aux candidats au regroupement familial une évaluation de leur degré de connaissance de la langue et des valeurs de la République.
Quoique vous en disiez, monsieur le ministre, mesdames, messieurs les parlementaires de la majorité, il s'agit vraiment là d'un obstacle à la venue en France de la famille d'un étranger déjà présent sur notre sol et en situation régulière.
L'évaluation, la formation, puis la seconde évaluation ne vont qu'alourdir un peu plus encore la procédure, retarder l'arrivée en France de la famille concernée, voire l'hypothéquer.
Que va-t-il se passer en cas d'impossibilité de suivre une formation dans le pays d'origine du fait de son coût ou encore de la distance à parcourir pour se rendre à l'endroit où cette formation sera dispensée ? La délivrance du visa sera refusée. Et ensuite ? Croyez-vous que le mari, la femme, les enfants accepteront de rester séparés les uns des autres ? Ils tenteront malgré tout - et, de mon point de vue, c'est humain ! - de venir en France, mais sans passer par la procédure de regroupement familial.
Par conséquent, cette disposition ne fera que produire de nouveaux cas de sans-papiers, exclus des dispositifs d'insertion et à la merci d'employeurs peu scrupuleux, de marchands de sommeil et autres trafiquants vivant de la détresse humaine.
Car vous le savez bien, plus on durcit les lois, plus les personnes qui ont à en subir les effets ont tendance à les contourner et plus, finalement, les personnes mal intentionnées en tirent profit.
Je le répète encore une fois ici, les femmes seront les plus touchées puisque, dans la grande majorité des cas, c'est le mari qui se trouve en situation régulière sur notre territoire et c'est la femme qui vient le rejoindre.
En réalité, vous allez arriver à l'inverse de ce que vous êtes censés rechercher.
Loin de favoriser l'intégration des familles, l'apprentissage du français dans le pays d'origine aura pour effet d'exclure un nombre important de migrants, des femmes pour la plupart.
Les « femmes rejoignantes » risquent donc d'être exclues de tout dispositif d'insertion en raison du durcissement prévu par votre texte, alors même que ce sont elles qui en ont souvent le plus besoin. Car ces femmes, parce qu'elles n'ont pas accès à l'école dans leur pays d'origine, sont bien souvent analphabètes ou maîtrisent mal le français.
J'estime que l'alphabétisation et l'apprentissage du français pour ces femmes qui vont rejoindre leur conjoint en France peuvent être des vecteurs importants de socialisation, d'autonomisation et d'émancipation.
Il est donc primordial de ne pas les en priver. Mais encore faut-il instaurer un vrai droit à la formation à la langue du pays d'accueil dans le pays d'accueil. Il faut que ce soit un droit et non une contrainte, voire un obstacle supplémentaire. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à Mme Monique Cerisier-ben Guiga.
Mme Monique Cerisier-ben Guiga. L'article 1er ajoute une condition supplémentaire au regroupement familial : la connaissance de la langue française et des valeurs de la République, préalablement au départ de la famille du migrant.
Certes, les 1,4 million de Français établis à l'étranger reconnaissent qu'il est plus facile de s'installer dans un pays quand on en connaît la langue et les usages. C'est une question de bon sens ! Mais, en pratique, la plupart d'entre eux sont arrivés sans parler un mot de la langue du pays. Ils l'ont apprise sur place en prenant des cours ou en faisant des « petits boulots ». Je pense notamment aux communautés françaises d'Europe du Nord : le danois, le finnois, le néerlandais, le suédois ne sont guère parlés hors des pays qui sont le berceau de ces langues. Voilà des hommes et des femmes qui, pour la plupart d'entre eux, se trouvaient exactement dans la même situation que celle que connaît l'étranger qui arrive en France sans avoir appris auparavant le français.
Dès lors, pourquoi imposer, monsieur le ministre, cette condition supplémentaire, qui fait double emploi avec le contrat d'accueil et d'intégration, le CAI ? Après toute la guimauve qui enrobe le début de la page 33 du rapport de M. Mariani, on trouve la vraie raison, dont je vais vous donner lecture, mes chers collègues :
« Par ailleurs, dans le cadre de la formation linguistique préalable à l'étranger, l'autorité administrative disposera d'un outil très efficace pour s'assurer du suivi effectif des cours de français puisque, en l'absence de présentation du justificatif d'assiduité, le visa long séjour nécessaire à l'entrée en France ne sera pas délivré. Il n'existe pas de dispositif aussi efficace permettant de s'assurer du suivi des formations dispensées, en France, dans le cadre du contrat d'accueil et d'intégration. »
Il s'agit non pas de faire en sorte que les arrivants soient mieux préparés, mais bel et bien de prévoir une mesure de coercition pour leur faire apprendre le français de force.
Nous qui connaissons les lenteurs de l'ANAEM, l'Agence nationale de l'accueil des étrangers et des migrations, des consulats, de la sous-direction de la circulation des étrangers à Nantes, nous savons fort bien que l'objectif est de retarder encore un peu plus la venue des membres de la famille du migrant.
Au final, ces femmes et ces enfants arriveront sur notre sol trois au quatre ans plus tard. Ainsi, les enfants n'auront pu aller à l'école maternelle ou n'auront pu suivre les premières années de classe primaire ; ils rencontreront donc plus de problèmes d'adaptation.
Plus on s'établit jeune dans un pays, plus on a de chances, non pas de s'y intégrer - il ne faut pas raconter d'histoires ! -, mais de s'adapter à sa langue, à ses moeurs, à ses us et coutumes. C'est bien plus facile que lorsque la personne a déjà pu affirmer sa personnalité.
J'irai même plus loin. Que dirait le Gouvernement français si la Chine, le Japon, par exemple, imposaient aux épouses des cadres expatriés d'apprendre le mandarin ou le japonais pour rejoindre leurs époux ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
Mme Éliane Assassi. Exactement !
Mme Monique Cerisier-ben Guiga. On pousserait des hurlements ! On dirait que c'est scandaleux !
Mme Monique Cerisier-ben Guiga. Et pourquoi, monsieur le ministre ? Parce que nous sommes dans un rapport de forces entre le Nord et le Sud et que nous, pays dominant, pouvons imposer nos conditions aux pays dominés !
M. Guy Fischer. Voilà la vérité !
Mme Monique Cerisier-ben Guiga. Nous sommes en plein dans le schéma post-colonial, qui est à la base des migrations entre le Maghreb, l'Afrique subsaharienne et la France !
M. Guy Fischer. Très bien !
Mme Monique Cerisier-ben Guiga. Le pays dominé doit fournir sa seule force de travail, formée, de préférence, à ses frais, et les familles ne doivent pas venir encombrer le territoire du pays dominant. Finalement, l'idéal français reste celui qui a prévalu au cours des trois premiers quarts du XXe siècle, c'est l'immigration algérienne que décrit Abdelmalek Sayad : une immigration d'hommes jeunes, destinés à fournir leur force de travail et à vivre dans l'exil, la solitude, le manque, jusqu'à la grande vieillesse. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. Mes chers collègues, je suis saisi, sur l'article 1er, d'une série d'amendements en discussion commune. Il nous faudrait plus d'une heure pour les examiner et les mettre aux voix.
En accord avec le Gouvernement et avec la commission, nous avons estimé qu'il serait plus raisonnable de reporter l'examen de ces amendements à la prochaine séance.
Demande de priorité
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Monsieur le président, pour le bon déroulement de nos travaux et pour permettre à chacun de s'organiser, la commission indique d'ores et déjà qu'elle souhaite que nous abordions par priorité, après l'examen de l'article 1er, l'article 4, ainsi que l'amendement n° 94, tendant à insérer un article additionnel après l'article 4.
Ces deux textes concernent en effet la préparation à l'intégration, l'un dans le cadre du regroupement familial, l'autre, pour ce qui concerne les conjoints de Français.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement sur cette demande de priorité ?
M. le président. La priorité est de droit.
La suite de la discussion du projet de loi est renvoyée à la prochaine séance.
9
Dépôt d'un rapport d'information
M. le président. J'ai reçu de MM. François Marc et Michel Moreigne un rapport d'information fait au nom de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation sur des commissions placées auprès du Premier ministre (la Commission interministérielle pour l'étude des exportations de matériels de guerre (CIEEMG) et la Commission d'équivalence pour le classement des ressortissants européens dans la fonction publique).
Le rapport d'information sera imprimé sous le n° 2 et distribué.
10
ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l'ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à aujourd'hui, mercredi 3 octobre 2007 à quinze heures et le soir :
1. Nomination des membres de la commission spéciale chargée de vérifier et d'apurer les comptes du Sénat.
2. Nomination de deux membres de la Délégation aux droits des femmes, en remplacement de Jacques Pelletier et de Mme Hélène Luc.
3. Suite de la discussion du projet de loi (n° 461, 2006-2007).adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, relatif à la maîtrise de l'immigration, à l'intégration et à l'asile.
Rapport (n° 470 rectifié., 2006-2007) de M. François-Noël Buffet, fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
Personne ne demande la parole ?...
La séance est levée.
(La séance est levée le mercredi 3 octobre 2007, à zéro heure vingt.)
La Directrice
du service du compte rendu intégral,
MONIQUE MUYARD