Article 2
Le Contrôleur général des lieux de privation de liberté est nommé en raison de ses compétences et connaissances professionnelles par décret du Président de la République, après avis de la commission compétente de chaque assemblée, pour une durée de six ans. Son mandat n'est pas renouvelable.
Il ne peut être poursuivi, recherché, arrêté, détenu ou jugé à l'occasion des opinions qu'il émet ou des actes qu'il accomplit dans l'exercice de ses fonctions.
Il ne peut être mis fin à ses fonctions avant l'expiration de son mandat qu'en cas de démission ou d'empêchement.
Les fonctions de Contrôleur général des lieux de privation de liberté sont incompatibles avec tout autre emploi public, toute activité professionnelle et tout mandat électif.
M. le président. La parole est à M. Louis Mermaz, sur l'article.
M. Louis Mermaz. Sans anticiper sur les propos de M. Robert Badinter, qui défendra un amendement à cet article, je me dois de rappeler, en ce qui concerne la nomination du contrôleur général des lieux de privation de liberté, combien nous sommes soucieux du respect des droits du Parlement, comme de ceux de l'opposition actuelle - j'insiste sur ce dernier terme, car les situations politiques évoluent et changeront encore, j'en suis certain. (Sourires.)
Nous estimons donc, comme nous avons eu l'occasion de le manifester à plusieurs reprises, qu'un simple avis de la commission compétente de chaque assemblée, avant le décret du Président de la République, ne garantira pas le choix d'un contrôleur général véritablement indépendant, impartial et offrant toutes les qualités nécessaires.
Le Président de la République, à l'époque où il était candidat, s'était d'ailleurs exprimé en ce sens ; il serait bon que le Parlement le rappelle par son vote.
Nous souhaitons donc que les commissions compétentes des assemblées se prononcent à la majorité qualifiée, comme M. Robert Badinter l'expliquera dans un instant.
M. le président. L'amendement n° 8, présenté par MM. Badinter, Mermaz, C. Gautier, Sueur et Yung, Mme Boumediene-Thiery et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés est ainsi libellé :
Dans la première phrase du premier alinéa de cet article, remplacer les mots :
après avis de la commission compétente de chaque assemblée
par les mots :
après avis des commissions compétentes de l'Assemblée Nationale et du Sénat pris à la majorité des 3/5 de leurs membres
La parole est à M. Robert Badinter.
M. Robert Badinter. Il s'agit d'une plaidoirie à deux voix, comme on dirait en d'autres lieux, puisque M. Louis Mermaz a déjà présenté l'objet de cet amendement !
Je tiens tout de même à souligner l'importance de notre proposition. Celle-ci répond à une préoccupation déjà évoquée, je le sais, par notre excellent collègue M. Jean-René Lecerf, qui est si légitimement préoccupé de la condition carcérale.
Il faut que l'autorité du contrôleur général soit indiscutable.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Nous sommes d'accord !
M. Robert Badinter. Cela signifie non seulement qu'il doit disposer des moyens juridiques, matériels et financiers de son action, mais également que son autorité morale doit être reconnue par tous.
Or, plus l'assiette du choix est large, plus la confiance placée dans celle ou celui qui exercera ces difficiles fonctions est grande. À cet égard, l'avis rendu par les commissions compétentes de l'Assemblée nationale et du Sénat sur le projet de nomination du contrôleur général constitue déjà un progrès important par rapport au texte d'origine du projet de loi. Mais encore faut-il que cet avis soit rendu à une majorité qualifiée, pour laquelle nous proposons ici un seuil minimal, à savoir les trois cinquièmes.
En effet, dans le cas contraire - ne nous leurrons pas, mes chers collègues, c'est la pratique des institutions, telles que chacun les interprète aujourd'hui -, on considérera que c'est le choix du Président de la République et de sa majorité.
Je suis convaincu que l'on gagnerait beaucoup à affirmer qu'il s'agit d'un choix élargi. On parle beaucoup d'ouverture : celle-là prendrait tout son sens !
Nous verrons ce qu'il adviendra des projets de révision constitutionnelle, mais nous n'avons pas à les attendre : dans le cas de figure que nous examinons aujourd'hui, nous pouvons d'ores et déjà prévoir d'exiger pour cet avis les trois cinquièmes des membres des commissions. L'autorité du contrôleur général s'en trouvera certainement confortée.
Dans chacune des deux assemblées, j'ai pu noter à quel point les parlementaires de tous bords étaient soucieux de transformer et d'améliorer la condition carcérale. Mes chers collègues, ce mouvement est profond, et il doit aboutir.
La création du contrôleur général des lieux de détention n'a que trop tardé, puisque nous l'attendons depuis le début du siècle, soit, certes, depuis sept ans seulement, mais c'est tout de même un délai considérable ! Nous l'avons envisagée pendant toute la dernière législature et, in fine, nous agissons pour satisfaire à des exigences internationales et nous mettre en conformité avec le protocole que nous devons ratifier avant le mois de février 2008.
Toutefois, de grâce, madame le garde des sceaux, levez la réserve inspirée par votre volonté de garder le contrôle de toute nomination. Il est nécessaire, au contraire, d'associer à cette procédure toutes les composantes du Parlement.
J'indique clairement que le vote de cet amendement conditionnera la position du groupe socialiste sur l'ensemble du projet de loi : si cet amendement est adopté, nous voterons en faveur du projet de loi ; s'il est rejeté, nous ne pourrons le faire, hélas !
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Je rappelle que cet amendement avait déjà été déposé en première lecture. Ce qui me surprend aujourd'hui - non pas sur le fond, mais pour des raisons de forme -, c'est qu'il soit défendu par M. Badinter.
M. René Garrec. C'est surprenant !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. En effet, en prévoyant que les commissions parlementaires donneront un avis, nous allons aussi loin qu'il est permis par la Constitution ! Il existe déjà un précédent, et c'est pourquoi je m'étais permis de proposer un tel dispositif.
Je suis d'accord pour qu'à l'occasion d'une prochaine révision constitutionnelle les pouvoirs du Parlement soient accrus en ce qui concerne certaines nominations ; j'entends parfois des propositions assez étranges à ce sujet, mais il me semble que toutes les autorités administratives indépendantes et peut-être certaines entreprises publiques importantes pourraient être concernées, dans un cadre qui reste à définir et à débattre.
Pour ma part, je considère que l'avis qui sera donné par les commissions sera forcément consensuel. Je craindrais même que l'exigence d'une majorité des trois cinquièmes ne suscite des discussions interminables et des prises de position pour ou contre telle ou telle candidature et qu'elle ne nuise de ce fait à la mission et à celui qui en sera finalement chargé.
Honnêtement, je me méfie beaucoup des majorités qualifiées. Autant elles sont adaptées pour réviser la Constitution, autant, j'en suis sûr, elles ne conviennent pas ici, car l'avis des commissions sera connu. (M. Robert Badinter s'exclame.)
Monsieur Badinter, vous le savez très bien, les commissions des lois des assemblées, au moins celle du Sénat, ne donneraient jamais un avis favorable à la désignation d'une personnalité qui, manifestement, ne serait pas à la hauteur de l'importance que nous attachons à ce contrôle général. C'est du moins mon point de vue personnel.
J'ai estimé qu'il était nécessaire d'introduire un avis des commissions dans la procédure de nomination, car cette mesure allait dans le sens du rééquilibrage des pouvoirs au profit du Parlement, actuellement en débat. Aller au-delà aujourd'hui, ce serait outrepasser les limites que nous fixe la Constitution, me semble-t-il.
Par ailleurs, lorsque le comité Balladur aura formulé ses propositions et que le Parlement les examinera nous devrons être très attentifs à ne pas bloquer les institutions et à ne pas rendre les nominations impossibles ou perpétuellement contestées. Car quid de l'autorité de la personnalité qui aura rallié les trois cinquièmes des parlementaires consultés ? Elle sera sérieusement diminuée, car on pourra toujours dire que le candidat n'a pas convaincu les deux cinquièmes restants....
Je suis donc défavorable à cet amendement pour les raisons inverses de celles que vous avez exposées, monsieur Badinter. Si vous réfléchissez bien, j'en suis sûr, vous pourrez voter malgré tout ce projet de loi, qui est tellement important et que nous attendons depuis si longtemps ! Je sens d'ailleurs chez vous une certaine amertume que le contrôleur général soit créé aujourd'hui et qu'il ne l'ait pas été bien plus tôt.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Je souscris totalement aux observations de M. le rapporteur.
Monsieur Badinter, comme vous le savez, nous attendons les conclusions du comité présidé par Édouard Balladur et la révision constitutionnelle qui renforcera les pouvoirs du Parlement, et pas seulement ceux de l'Assemblée nationale.
S'agissant de la nomination du contrôleur général, une avancée importante a déjà été réalisée, puisque les avis des commissions des deux assemblées seront nécessaires. Cette procédure constitue selon nous le gage que le contrôleur nommé sera une personnalité reconnue, choisie pour ses compétences après qu'elle aura exposé l'idée qu'elle se fait de la mission du contrôleur indépendant de tous les lieux de privation de liberté.
Le Gouvernement émet donc un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour explication de vote.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Je reconnais une certaine pertinence aux arguments de M. le rapporteur et, franchement, je ne voterais pas cet amendement si j'étais convaincue de la ténacité de la commission des lois dans ses choix !
Toutefois, l'expérience récente a montré, hélas, que la commission des lois, ou du moins sa majorité, avait tendance à revenir sur ses choix.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Ce n'était pas des choix de personnes ! Ce n'est pas la même chose !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Nous voterons donc l'amendement de nos collègues du groupe socialiste.
M. le président. Je mets aux voix l'article 2.
(L'article 2 est adopté.)
Article 3
Le Contrôleur général des lieux de privation de liberté est assisté de contrôleurs qu'il recrute en raison de leur compétence dans les domaines se rapportant à sa mission.
Les fonctions de contrôleur sont incompatibles avec l'exercice d'activités en relation avec les lieux contrôlés.
Dans l'exercice de leurs missions, les contrôleurs sont placés sous la seule autorité du Contrôleur général des lieux de privation de liberté.
M. le président. L'amendement n° 9, présenté par MM. Badinter, Mermaz, C. Gautier, Sueur et Yung, Mme Boumediene-Thiery et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés est ainsi libellé :
Compléter le dernier alinéa de cet article par une phrase ainsi rédigée :
Le nombre, le statut et les conditions de nomination des contrôleurs sont définis par décret en Conseil d'État.
La parole est à M. Louis Mermaz.
M. Louis Mermaz. Le Gouvernement nous explique que le contrôleur général constituera une autorité administrative indépendante dont le champ de compétences s'étendra à l'ensemble des lieux de privations de liberté, qui sont, hélas, plus de 5 500 en France.
C'est pourquoi, chacun en convient, le contrôleur général doit être assisté de contrôleurs nombreux et spécialisés.
Si nous examinons la situation des lieux de privation de liberté, nous constatons que 188 établissements pénitentiaires, plus de 200 zones d'attente ou locaux de rétention administrative, 4 000 locaux de garde à vue, 1 000 secteurs psychiatriques hospitaliers et 138 locaux d'arrêts des armées relèvent de la compétence des ministres de la justice, de l'intérieur et de la santé.
À l'évidence, compte tenu de la multiplicité des lieux concernés et des problèmes qui se posent, le contrôleur doit disposer d'un grand nombre d'adjoints pour assurer pleinement sa mission.
Lors de l'examen du projet de loi en première lecture, nous avons déjà rappelé qu'en Angleterre, par exemple, l'inspecteur en chef, qui est chargé de contrôler les seuls établissements pénitentiaires, mes chers collègues, pouvait s'appuyer sur une équipe de 41 personnes. C'est dire si les besoins seront importants dans le cas d'un contrôle exercé sur l'ensemble des lieux de privation de liberté.
Nous considérons donc que les conditions d'évaluation des besoins en personnel, le statut de ces agents et leurs conditions de nomination doivent être définis par décret en Conseil d'État.
Mes chers collègues, les contrôleurs adjoints ne doivent pas simplement être nommés par le contrôleur général. Ils doivent disposer d'un statut suffisamment solide, et c'est pourquoi le recours à un décret en Conseil d'État nous semble bienvenu.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Monsieur Mermaz, tout d'abord, le nombre des agents d'une institution est rarement fixé par un décret en Conseil d'État ! Si votre amendement était adopté, il faudrait prendre un nouveau décret à chaque fois que l'on augmente le nombre des contrôleurs, comme ce sera le cas, progressivement, me semble-t-il.
Par ailleurs, votre préoccupation, au demeurant tout à fait légitime, est satisfaite : l'article 11 du projet de loi renvoie déjà à un décret en Conseil d'État les conditions d'application de la loi. Or il est évident que la référence au décret en Conseil d'État vaut pour l'ensemble du texte, même si nous avons estimé plus raisonnable de ne pas la faire figurer à chaque article.
La commission demande donc le retrait de cet amendement, faute de quoi elle émettrait un avis défavorable.
M. Robert Badinter. Nous le maintenons !
M. Louis Mermaz. Deux précautions valent mieux qu'une !
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix l'article 3.
(L'article 3 est adopté.)
Article 4
Le Contrôleur général des lieux de privation de liberté, ses collaborateurs et les contrôleurs qui l'assistent sont astreints au secret professionnel pour les faits, actes ou renseignements dont ils ont connaissance en raison de leurs fonctions, sous réserve des éléments nécessaires à l'établissement des rapports, recommandations et avis prévus aux articles 8 et 9.
Ils veillent à ce qu'aucune mention permettant l'identification des personnes concernées par le contrôle ne soit faite dans les documents publiés sous l'autorité du Contrôleur général des lieux de privation de liberté ou dans ses interventions orales. - (Adopté.)
Article 5
Toute personne physique, ainsi que toute personne morale s'étant donné pour objet le respect des droits fondamentaux, peuvent porter à la connaissance du Contrôleur général des lieux de privation de liberté des faits ou situations susceptibles de relever de sa compétence.
Le Contrôleur général des lieux de privation de liberté est saisi par le Premier ministre, les membres du Gouvernement, les membres du Parlement, le Médiateur de la République, le Défenseur des enfants, le président de la Commission nationale de déontologie de la sécurité et le président de la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité. Il peut aussi se saisir de sa propre initiative.
M. le président. L'amendement n° 2, présenté par Mmes Borvo Cohen - Seat, Assassi, Mathon - Poinat et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Dans le premier alinéa de cet article, remplacer les mots :
, ainsi que toute personne morale s'étant donnée pour objet le respect des droits fondamentaux,
par les mots :
ou morale
La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. La rédaction du premier alinéa de l'article 5 ne nous convient toujours pas. En effet, le contrôleur général pourra être informé de faits ou de situations relevant de sa compétence par toute personne physique, ainsi que toute personne morale « s'étant donné pour objet le respect des droits fondamentaux ».
Nous l'avons déjà fait remarquer en première lecture : les personnes morales « s'étant donné pour objet le respect des droits fondamentaux » ne sont pas les seules susceptibles d'avoir connaissance de faits ou de situations contraires au respect des droits des personnes privées de liberté. En ce sens, l'article 5 restreint le champ des personnes susceptibles d'informer le contrôleur général.
Dans son avis du 20 septembre dernier, la Commission nationale consultative des droits de l'homme dresse le même constat : « La formulation du 1er alinéa peut sembler maladroite en mentionnant toute "personne physique", sans aucune condition, mais en visant "toute personne morale s'étant donné pour objet le respect des droits fondamentaux", semblant ainsi exclure d'autres personnes morales, par exemple les syndicats, même si leurs responsables peuvent intervenir à titre individuel. » Or nous savons que certaines situations pourraient exiger qu'ils le fassent au nom de leur organisation.
Nous estimons par conséquent que la précision apportée à la qualité des personnes morales susceptibles d'informer le contrôleur général est en fait une restriction. C'est pourquoi nous proposons de la supprimer.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Je l'ai déjà indiqué en première lecture, la notion de « personne morale s'étant donné pour objet le respect des droits fondamentaux » paraît d'ores et déjà très souple et susceptible d'englober un grand nombre d'organisations : associations de défense des droits de l'homme, barreaux, syndicats... Et je vous confirme, madame Assassi, que les syndicats sont bien des personnes morales.
De plus, si une association ou un organisme n'est pas à proprement parler une « personne morale s'étant donné pour objet le respect des droits fondamentaux », son dirigeant peut tout à fait saisir le contrôleur général, au même titre que toute personne physique. Il y a dans la rédaction tout au plus une maladresse, et la commission nationale consultative elle-même ne relève pas autre chose.
Il s'agit ici d'éviter que n'importe qui ne saisisse le contrôleur général. Mais les syndicats, que vous avez mentionnés, madame Assassi, et qui sont des personnes morales s'étant aussi donné pour objet le respect des droits fondamentaux, pourront le faire.
Par conséquent, cet amendement ne paraît pas indispensable. Aussi la commission en demande-t-elle le retrait, sinon elle aura le regret d'émettre un avis défavorable.
Mme Éliane Assassi. Je le maintiens !
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Je me suis déjà prononcée à ce sujet en première lecture : les syndicats veillent au respect des droits fondamentaux des personnes qu'ils défendent.
Élargir la possibilité de saisine du contrôleur général à toutes les personnes morales risquerait d'entraîner des saisines abusives. Or le contrôleur général aura déjà bien assez à faire !
Par ailleurs, et M. le rapporteur vient de le rappeler, puisque le projet de loi autorise les personnes physiques à saisir le contrôleur général, toute personne travaillant pour une association dont l'objet n'est pas à proprement parler le respect des droits fondamentaux pourra en prendre l'initiative.
C'est la raison pour laquelle le Gouvernement émet un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Je mets aux voix l'article 5.
(L'article 5 est adopté.)
Article 5 bis
I. - Dans la première phrase du quatrième alinéa de l'article 4 de la loi n° 2000-494 du 6 juin 2000 portant création d'une Commission nationale de déontologie de la sécurité, après les mots : « président de la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité », sont insérés les mots : «, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté ».
II. - Après le deuxième alinéa de l'article 6 de la loi n° 73-6 du 3 janvier 1973 instituant un Médiateur de la République, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Le Médiateur de la République peut être saisi par le Contrôleur général des lieux de privation de liberté. » - (Adopté.)
Article 6
Le Contrôleur général des lieux de privation de liberté peut visiter à tout moment, sur le territoire de la République, tout lieu où des personnes sont privées de leur liberté par décision d'une autorité publique, ainsi que tout établissement de santé habilité à recevoir des patients hospitalisés sans leur consentement visé à l'article L. 3222-1 du code de la santé publique.
Les autorités responsables du lieu de privation de liberté ne peuvent s'opposer à la visite du Contrôleur général des lieux de privation de liberté que pour des motifs graves et impérieux liés à la défense nationale, à la sécurité publique, à des catastrophes naturelles ou à des troubles sérieux dans le lieu visité, sous réserve de fournir au Contrôleur général des lieux de privation de liberté les justifications de leur opposition. Elles proposent alors son report. Dès que les circonstances exceptionnelles ayant motivé le report ont cessé, elles en informent le Contrôleur général des lieux de privation de liberté.
Le Contrôleur général des lieux de privation de liberté obtient des autorités responsables du lieu de privation de liberté toute information ou pièce utile à l'exercice de sa mission. Lors des visites, il peut s'entretenir, dans des conditions assurant la confidentialité de leurs échanges, avec toute personne dont le concours lui paraît nécessaire.
Le caractère secret des informations et pièces dont le Contrôleur général des lieux de privation de liberté demande communication ne peut lui être opposé, sauf si leur divulgation est susceptible de porter atteinte au secret de la défense nationale, à la sûreté de l'État, au secret de l'enquête et de l'instruction, au secret médical ou au secret professionnel applicable aux relations entre un avocat et son client.
Le Contrôleur général des lieux de privation de liberté peut déléguer aux contrôleurs les pouvoirs visés au présent article.
M. le président. La parole est à M. Louis Mermaz, sur l'article.
M. Louis Mermaz. À l'occasion de l'examen de cet article, nous souhaitons poser la question de l'extension des compétences du contrôleur général. Je laisse à M. Robert Badinter le soin d'expliquer pourquoi nous souhaitons que le contrôleur général puisse intervenir en dehors du territoire national, dans des lieux qui sont entre les mains des forces armées ou de toute force relevant de la République française.
Cet article est central, notamment en son deuxième alinéa, qui précise les restrictions au droit de visite du contrôleur général : « Les autorités responsables du lieu de privation de liberté ne peuvent s'opposer à la visite du Contrôleur général des lieux de privation de liberté que pour des motifs graves et impérieux liés à la défense nationale, à la sécurité publique, à des catastrophes naturelles ou à des troubles sérieux dans le lieu visité, sous réserve de fournir au Contrôleur général des lieux de privation de liberté les justifications de leur opposition. » Nous avons une façon merveilleuse de rédiger nos textes ! Pourquoi ne pas dire de manière plus directe que les autorités responsables du lieu de privation de liberté « peuvent s'opposer à la visite du Contrôleur général des lieux de privation de liberté pour des motifs graves et impérieux... » ? Mais non, on recourt à un « ne...que » qui est une manière très pudique de dissimuler la réalité des choses. Il est vrai que les juristes ont l'habitude de manier la nuance à l'extrême !
La liste est bien longue des « motifs graves et impérieux » - l'Assemblée nationale a ajouté ce dernier adjectif par scrupule - qui peuvent être invoqués pour empêcher la visite du contrôleur général : défense nationale, sécurité publique, catastrophes naturelles, troubles sérieux dans le lieu visité. Que reste-t-il au contrôleur général s'il ne peut jamais choisir ni le moment ni les modalités de ses visites ? Car c'est bien à cela qu'une telle rédaction aboutira et je vois mal comment on pourra y échapper.
Voilà donc un premier risque, et d'importance. Mais il y a plus grave, et je reviens sur le protocole facultatif.
Le rapport présenté par la commission des lois en première lecture précisait que « les raisons ainsi énumérées par le projet de loi reproduisent pour l'essentiel les stipulations de l'article 14-2 du protocole facultatif des Nations unies. En outre, dans ces hypothèses, le principe de la visite ne serait pas remis en cause et il appartiendrait aux autorités responsables d'en proposer le report ». Or ces dispositions concernent le sous-comité de la prévention, qui n'a pas compétence pour agir à l'intérieur de la République française ou de tout autre État.
En effet, l'article 2 du protocole facultatif prévoit que ce sous-comité, qui ne peut comprendre plus d'un ressortissant d'un même État, coopère avec les États parties en vue de l'application du protocole. En revanche, l'article 3 précise que chaque État met en place, à l'échelon national, « un ou plusieurs organes de visite chargés de prévenir la torture et autres peines ou traitement cruels, inhumains ou dégradants ».
Or c'est cette dernière disposition que le projet de loi met en oeuvre, et les articles 19 et 20 du protocole facultatif ne font aucune réserve à la liberté d'action des mécanismes nationaux de prévention, monsieur le rapporteur, bien au contraire : le c) de l'article 20 pose même le principe d'un « accès à tous les lieux de détention et à leurs installations et équipements », sans restriction.
S'il est tout à fait envisageable de prévoir des restrictions pour un organe international comme le sous-comité où - je le rappelle - un seul Français siégera, ce n'est pas concevable pour un organe national comme celui dont il est question ici. Ce sont deux problématiques différentes avec, d'un côté, le respect dû à la souveraineté d'un État, de l'autre, la libre circulation du contrôleur général dans l'exercice de sa mission.
Les conclusions de la commission Canivet ne prévoyaient pas de réserve à ce libre accès, pas plus que la proposition de loi Hyest-Cabanel ou, à l'Assemblée nationale, celle de Mme Lebranchu. Ce changement de pied est donc étonnant, même si cela fait partie des aléas de la vie parlementaire...
M. Louis Mermaz. Nous demandons donc la suppression de ces réserves, pour nous conformer à nos engagements internationaux, puisque, nous l'espérons, la France ratifiera le protocole facultatif, et nous refusons que l'on mélange les mécanismes nationaux de protection avec d'autres, purement internationaux.
C'est justement quand la vie des personnes retenues ou celle des personnels peut être en danger - catastrophes naturelles, troubles sérieux, atteintes à la sécurité publique... - que le contrôleur général a plus que jamais sa place ! C'est à ce moment qu'il doit pouvoir se rendre sur les lieux de privation de liberté sans réserve.
Dans cette logique, nous pensons que le contrôleur général doit pouvoir avoir accès à toutes les informations nécessaires à l'accomplissement de sa mission, d'autant plus qu'il est tenu au secret professionnel. Ici encore, que reste-t-il au contrôleur général si, comme il est prévu dans le projet de loi, on peut lui opposer le secret de la défense nationale, la sûreté de l'État, la sécurité des lieux de privation de liberté, le secret de l'enquête et de l'instruction et même le secret professionnel applicable aux relations entre l'avocat et son client ?
On le voit, avec l'article 6, le champ d'intervention du contrôleur général se réduit comme peau de chagrin !
Le projet de loi ne respecte pas l'article 20 du protocole facultatif, qui prévoit dans son b) que, pour permettre aux mécanismes nationaux de prévention - « nationaux », mes chers collègues - de s'acquitter de leur mandat, les États parties s'engagent à accorder « l'accès à tous les renseignements relatifs au traitement de ces personnes et à leurs conditions de détention ». Le protocole ne formule aucune restriction.
Le rapport Canivet, que l'on a beaucoup célébré, et à juste titre, précise quant à lui que les contrôleurs peuvent « recueillir toute information », « procéder à tout constat », « entendre tout détenu ou tout membre du personnel en toute confidentialité » et « obtenir communication de tout document ou de tous renseignements utiles ».
« Mieux vaut se répéter que se contredire », disait Pierre Mendès France. Je rappelle donc que l'article 4 du projet de loi astreint le contrôleur général et ses collaborateurs « au secret professionnel pour les faits, actes ou renseignements dont ils ont connaissance en raison de leurs fonctions ». Il n'y a donc pas lieu de poser des restrictions au libre accès du contrôleur aux informations.
Mes chers collègues, si vous préférez un contrôleur général qui exerce pleinement sa mission à un contrôleur « supercontrôlé », je vous engage à voter les amendements que nous avons déposés sur cet article.
M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 10, présenté par MM. Badinter, Mermaz, C. Gautier, Sueur et Yung, Mme Boumediene - Thiery et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Dans le premier alinéa de cet article, remplacer les mots :
sur le territoire de la République, tout lieu où des personnes sont privées de leur liberté par décision d'une autorité publique
par les mots :
tout lieu placé sous la juridiction ou le contrôle des autorités de la République française où se trouvent ou peuvent se trouver des personnes privées de liberté
La parole est à M. Robert Badinter.
M. Robert Badinter. J'en reviens au problème de la limitation territoriale des pouvoirs du contrôleur général. Il faut bien mesurer qu'avec ce projet de loi nous mettons en oeuvre les exigences du protocole facultatif se rapportant à la convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, que nous avons signé et qui est entré en vigueur le 22 juin 2006.
M. Robert Badinter. Or, aux termes du protocole lui-même, le mécanisme national doit être habilité à inspecter « tout lieu de privation de liberté placé sous sa juridiction ou son contrôle ». Mais le projet de loi ne prévoit que les visites « sur le territoire de la République ».
Mme le garde des sceaux a fait remarquer que, s'agissant d'opérations très importantes qui se poursuivent parfois longtemps, les forces armées françaises agissent très généralement dans le cadre d'un mandat des Nations unies. Ce n'est cependant pas toujours le cas. Chacun s'en souvient, la France est intervenue en Côte d'Ivoire, pour des raisons humanitaires impérieuses, avant le vote du Conseil de sécurité.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C'est sûr !
M. Robert Badinter. Il se peut que, par obligation bilatérale, par exemple, elle soit amenée à le faire de nouveau.
Se calquer sur le texte même de la Convention donnera au contrôleur général la possibilité d'agir partout et à tout moment, comme il convient.
Bien entendu, la question de la sécurité personnelle est différente : il faut la laisser à l'appréciation du contrôleur général en fonction des circonstances.
Mes chers collègues, il est très important, au regard de nos obligations internationales, que nous ne donnions pas le sentiment de nous limiter à certaines interventions au cours desquelles, par la force des choses et sans que nous puissions remettre les prisonniers ou les personnes interpellées à l'autorité nationale, nous serions amenés à les garder.
La conjoncture internationale actuelle est telle qu'il nous faut mettre en place un dispositif qui nous mette à l'abri de toute critique et de tout soupçon.
M. le président. L'amendement n° 17, présenté par Mmes Borvo Cohen - Seat, Assassi, Mathon - Poinat et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Dans le premier alinéa de cet article, remplacer les mots :
, sur le territoire de la République, tout lieu
par les mots :
tout lieu relevant de la juridiction ou du contrôle de l'État
La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Mme Nicole Borvo Cohen-Seat a évoqué l'objet de cet amendement dans la discussion générale. La réponse que vous lui avez apportée ne nous satisfait pas, madame le garde des sceaux.
Même si je considère qu'il est défendu, je rappelle que cet amendement tend à mettre le projet de loi en conformité avec l'article 4 du protocole facultatif.
Je veux cependant insister : nous considérons toujours que le premier alinéa de l'article 6 du projet de loi est plus restrictif que le protocole facultatif. En effet, si le contrôleur général ne peut pas visiter tous les lieux de privation de liberté, quelle que soit leur situation géographique, cela revient à lui donner, en apparence, un contrôle dont il ne disposera pas dans les faits.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Il s'agit ici de l'extension du droit de visite du contrôleur général aux lieux de privation de liberté établis notamment dans le cadre des OPEX.
Compte tenu de leur contexte particulier, les lieux d'enfermement situés hors du territoire national relèvent d'un régime spécifique et, la plupart du temps, des États sur le territoire desquels ils sont implantés. Ils n'en sont pas moins actuellement soumis à des dispositifs de contrôle et Mme le garde des sceaux nous a apporté des précisions et des garanties sur ce point. La commission émet donc un avis défavorable.
Sans entrer dans un débat sur d'éventuels conflits de normes, notons cependant, en matière de mécanisme de protection, l'existence des conventions de Genève, et ce n'est certainement pas le protocole facultatif qui pourrait leur être supérieur.
La commission est également défavorable à l'amendement n° 17.