Mme la présidente. La parole est à Mme le rapporteur pour avis.

Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la commission des affaires culturelles s'est saisie pour avis du projet de loi ordinaire relatif aux archives. Elle avait examiné au fond la loi fondatrice du 3 janvier 1979, qui a fixé, pour la première fois depuis celle du 7 messidor an II, un cadre juridique cohérent sur les archives.

Les archives constituent, en effet, l'un des piliers de notre politique culturelle du patrimoine ; il est confié au ministère de la culture depuis la création de celui-ci, en 1959.

Toutefois, la politique des archives ne se réduit pas à cet aspect : elle contribue également au bon fonctionnement de notre État de droit ; elle est au service de la transparence de l'action publique. On ne peut gouverner sans archives.

Maurice Druon, alors député de Paris, s'exprimait ainsi lors de l'examen de la loi de 1979 à l'Assemblée nationale : « Tout acte de l'intellect suppose un appui sur le souvenir. Il n'y a pas de civilisation sans mémoire. En ce sens, les archives constituent la mémoire de la nation. »

Mais le rôle des archives a évolué et s'est diversifié : les auditions auxquelles notre commission a procédé m'ont, en tout cas, permis de mieux cerner leur importance et leur modernité. Contrairement à une idée largement répandue, les archives ne sont pas de vieux grimoires poussiéreux. Bien au contraire, les archives sont vivantes : ancrées dans notre quotidien, elles forgent notre identité individuelle et collective. Jules Michelet, qui fut chef de la section historique des Archives nationales de 1831 à 1852, relevait, dans l'un des volumes de sa célèbre Histoire de France : « Ces papiers ne sont pas des papiers, mais des vies d'hommes, de provinces, de peuples. »

Je pense ici à l'importance des archives municipales et départementales, à l'état civil notamment, dans la constitution de la mémoire et de l'identité de nos territoires.

Au-delà, les archives investissent des champs de plus en plus larges de la recherche, de la vie économique, civique ou sociale : ce sont de véritables réservoirs de connaissances, aujourd'hui indispensables pour appréhender les phénomènes contemporains, dans tous les domaines de la science.

Le projet de loi qui nous est soumis s'inscrit dans un contexte marqué par une exigence de modernisation de la politique des archives.

Le défi numérique, d'abord, a un double impact : la « dématérialisation » des supports, d'une part, appelle une adaptation des méthodes de collecte et de conservation ; la numérisation des fonds, d'autre part, permet de favoriser l'accès aux archives par leur diffusion en ligne, mais au prix d'un travail colossal et coûteux.

Un autre défi est la production de plus en plus massive d'archives publiques. Je citerai juste quelques chiffres pour donner une idée de l'ampleur de l'enjeu : les cinq centres nationaux et le réseau des archives territoriales conservent plus de 2 800 kilomètres linéaires d'archives, soit la distance entre Paris et Moscou, et reçoivent chaque année 70 kilomètres supplémentaires ; le volume des archives publiques a ainsi quasiment doublé en trente ans.

Nous avons salué, madame la ministre, lors de l'examen du budget de la mission « Culture » pour 2008, l'effort consacré au lancement du chantier de Pierrefitte-sur-Seine, qui sera le troisième centre francilien des Archives nationales. Annoncé en 2004, ce projet, plébiscité par les associations d'usagers, permettra de remédier à la saturation des locaux actuels, tout en étant porteur d'une ambition nouvelle à l'égard d'une institution parfois un peu trop négligée.

Dans ce contexte, le projet de loi ne remet pas en cause les grands principes posés par le législateur il y a près de trente ans, mais il les actualise sur plusieurs points. Je me réjouis que ce texte, déposé en août 2006, soit enfin examiné par le Sénat. Il est le fruit d'une réflexion approfondie et d'une longue maturation : voilà en effet plusieurs années qu'il est apparu nécessaire d'adapter le cadre juridique issu de la loi de 1979. Le conseiller d'État Guy Braibant avait formulé en 1996 des propositions pour des archives plus riches, plus ouvertes et mieux gérées : le projet de loi reprend un grand nombre d'entre elles.

Je ne reviendrai pas en détail sur l'ensemble des dispositions du projet de loi, qui ont déjà été exposées par notre collègue René Garrec, rapporteur au fond. Je limiterai mon propos à quelques observations et aux principales propositions formulées par notre commission.

Madame la ministre, vous l'avez dit vous-même, ce projet de loi est attendu par les usagers des archives : il répond aux attentes de la communauté scientifique en réduisant les délais de communication et en les alignant sur ceux qui sont en vigueur dans la plupart des autres pays. Tel est le principal axe de ce projet de loi, dont notre commission a partagé l'esprit.

Notre attention a, toutefois, été attirée sur deux points.

D'abord, les demandes de consultation de fonds avant l'expiration des délais de communication sont examinées de façon souple, car les réponses sont favorables dans 95 % des cas. Cependant, les délais dans lesquels ces autorisations sont délivrées dépassent parfois six mois, voire un an. Nous ne pouvons nous satisfaire de cette situation, préjudiciable aux étudiants ou chercheurs qui doivent rendre leurs travaux dans des temps limités.

Ensuite, les fonds qui pourront désormais être communiqués devront être prêts, c'est-à-dire classés et traités par des archivistes professionnels. Or cela prendra du temps et nécessitera des moyens. Je m'interroge donc, madame la ministre, sur les moyens qui seront donnés à l'administration des archives pour traduire dans les faits les avancées du projet de loi. Jusqu'à présent, le très faible nombre de postes ouverts à l'École des chartes et à l'Institut du patrimoine peut apparaître en décalage avec l'augmentation du volume d'archives produites. Dès lors, des évolutions plus favorables de recrutement de conservateurs sont-elles à prévoir ?

Ces observations valent également pour l'article 4 du projet de loi, qui prévoit que les directeurs des services départementaux d'archives seront choisis parmi les conservateurs du patrimoine de l'État. Il faudra veiller à développer les passerelles pour permettre à des conservateurs territoriaux d'accéder à ces postes.

De même, de plus en plus d'universités proposent des formations d'archivistes : ces diplômés pourront-ils également rejoindre le corps des conservateurs d'État ?

Le projet de loi témoigne ensuite de pragmatisme puisque plusieurs mesures visent à adapter le droit à la pratique.

Le texte fait d'abord preuve de réalisme en encadrant l'externalisation de la gestion des archives publiques. Cette tendance semble inéluctable, en effet, dans le contexte de production massive d'archives que j'ai déjà évoqué.

Le projet de loi donne, en outre, un fondement juridique aux protocoles de remise des archives des autorités de l'exécutif. Il s'agit là d'un progrès important, car, comme le président Valéry Giscard d'Estaing en avait bien conscience en inaugurant cette pratique, ces archives sont des matériaux d'une grande richesse pour l'écriture de notre histoire contemporaine.

Je me suis par ailleurs interrogée sur les archives des présidents d'exécutifs locaux : il serait intéressant de disposer d'un état des lieux des pratiques de versement de ces archives, car elles sont désormais une source importante de connaissance. Voilà quelques années, notre collègue Charles Revet, alors président du conseil général de Seine-Maritime, avait signé avec les archives départementales un protocole ô combien précurseur. Je pense que de tels exemples pourraient être suivis.

Je vous proposerai également de combler un vide juridique s'agissant des archives des EPCI : la loi de 1979 n'avait pu prévoir, en effet, le développement de ces structures et l'extension de leurs compétences.

Le troisième et dernier axe du projet de loi est de renforcer la protection du patrimoine d'archives. Le régime de sanctions pénales est complété et actualisé. Nous ne pouvons que partager ces orientations, qui vont dans le sens de la réflexion que vous avez engagée, madame la ministre, en lien avec Mme la garde des sceaux, afin de sanctionner plus lourdement les auteurs d'actes de vandalisme à l'encontre de biens culturels. Notre pays est, hélas, avec l'Italie, ce qui n'est pas surprenant, l'un des plus touchés par cette délinquance, et je crois qu'il est temps de réagir avec fermeté pour sauvegarder notre patrimoine. C'est pourquoi je soutiendrai l'amendement que vous nous présenterez sur ce sujet au nom du Gouvernement.

Les autres mesures du projet de loi, qui concernent les archives privées classées comme archives historiques, peuvent paraître contraignantes. Toutefois, elles répondent au besoin de protéger un patrimoine fragile et bien souvent menacé.

Je proposerai d'aller plus loin, sur le modèle de ce qui a été adopté voilà quelques semaines dans la loi de finances rectificative pour les objets mobiliers, afin d'inciter les propriétaires d'archives classées à restaurer et à valoriser leurs fonds, dont ils devront bien sûr, en contrepartie, faciliter la consultation ; il s'agit en effet d'un gisement précieux, mais encore trop peu exploité, pour les chercheurs et historiens.

Le projet de loi prévoit également des adaptations ponctuelles, notamment en vue d'étendre aux archives privées les dispositions relatives à la vente de gré à gré des objets mobiliers de la loi du 10 juillet 2000 portant réglementation des ventes volontaires de meubles aux enchères publiques.

Au-delà, je me suis interrogée sur la question des ventes en ligne d'archives, que ces archives soient d'ailleurs publiques ou privées. Le développement de ce phénomène appelle sans doute des mesures spécifiques. Certes, cela dépasse le cadre du présent projet de loi, car l'ensemble des biens culturels est concerné. Cependant, madame la ministre, avez-vous des éclairages à nous apporter sur ce sujet ?

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, si la commission des affaires culturelles a estimé que ce projet de loi allait globalement dans le bon sens, elle a toutefois souhaité y apporter plusieurs modifications, et j'aurai plus tard l'occasion d'aborder plus en détail les amendements qu'elle a adoptés.

Il s'agit d'abord de réaffirmer les prérogatives des assemblées parlementaires à l'égard de leurs archives. Nos deux commissions se sont prononcées de façon unanime sur ce point, qui est inhérent aux principes de séparation des pouvoirs et d'autonomie du Parlement. Cette gestion autonome, dont nous avons pu constater avec quel professionnalisme elle était exercée en visitant les archives du Sénat, ne signifie pas opacité : bien au contraire, elle doit contribuer, comme c'est, je crois, le cas aujourd'hui, à la transparence et à l'ouverture des travaux du Parlement, ce qui est une exigence de notre démocratie.

Par ailleurs, je tiens à souligner que cette gestion autonome ne fait en rien obstacle au principe d'une coopération fructueuse avec l'administration des archives.

J'ai souhaité insister en outre sur la nécessité de valoriser la politique des archives. Je proposerai ainsi de consolider le statut juridique du Conseil supérieur des archives, qui était présidé depuis sa création en 1988 par René Rémond. Cela devrait contribuer à donner une plus grande visibilité à la politique des archives et à lui conférer une dynamique nouvelle.

Cependant, au-delà des textes de loi, cette ambition passe également par une évolution des mentalités : il me semble ainsi indispensable de sensibiliser les futurs cadres ou dirigeants des secteurs public et privé, au cours de leur formation initiale, à l'importance de la conservation des archives.

Les archives sont souvent le dernier sujet de préoccupation dans les administrations et, surtout, dans les entreprises. Or les archives du monde du travail sont un formidable gisement pour la recherche. Il serait dommage que cette source d'histoire et de connaissances disparaisse. Sa conservation suppose une bonne information des responsables en amont, mais aussi des moyens adaptés pour les services d'archives afin qu'ils puissent prendre en charge ces documents avant qu'ils ne soient détruits. Or ce n'est pas encore le cas aujourd'hui : seul un centre des archives du monde de travail a vu le jour à Roubaix, alors que cinq pôles étaient initialement prévus.

Je souhaite, madame la ministre, que ces aspects ne soient pas négligés : ce seront des mesures nécessaires en accompagnement du projet de loi, afin de donner leur pleine portée aux avancées que celui-ci prévoit.

Sous réserve des amendements que je présenterai, la commission des affaires culturelles a émis un avis favorable quant à l'adoption du projet de loi relatif aux archives. (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP.)

Mme la présidente. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt-deux heures quinze.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à vingt heures quinze, est reprise à vingt-deux heures quinze, sous la présidence de Mme Michèle André.)

PRÉSIDENCE DE Mme Michèle André

vice-présidente

Mme la présidente. La séance est reprise.

Nous poursuivons la discussion du projet de loi organique modifiant l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel et relatif à ses archives et du projet de loi relatif aux archives.

Dans la suite de la discussion générale commune, la parole est à M. Yves Détraigne.

M. Yves Détraigne. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, les projets de loi ordinaire et organique que nous examinons tirent les leçons de près de trente ans d'application de la loi du 3 janvier 1979, ainsi que de l'évolution des technologies et des pratiques, et ils vont en particulier permettre d'ouvrir plus largement l'accès aux archives tout en leur assurant une meilleure protection.

Nous ne pouvons qu'approuver ces objectifs, notamment en ce qu'ils clarifient la notion d'archives publiques - elle a, de fait, beaucoup évolué ces dernières années, avec l'utilisation des nouvelles technologies d'information, de communication et de stockage des données -, en ce qu'ils mettent à jour les délais actuels d'accès aux documents protégés par la loi et en ce qu'ils donnent un statut juridique aux archives des responsables politiques qui font l'objet de « protocoles de remise » passés avec l'administration des archives.

Étant le représentant du Sénat au sein de la Commission d'accès aux documents administratifs, la CADA, et ayant, à ce titre, à examiner des demandes de consultation, par dérogation, d'archives dont l'accès est limité par la loi, je mesure parfois le côté excessif de certains délais d'interdiction de communication des archives publiques en même temps que l'insécurité juridique qui entoure l'accès à d'autres documents au regard, par exemple, de la nécessaire protection de la vie privée.

À ce titre, si j'approuve la réduction du nombre de délais de communicabilité des archives et la volonté de simplification qui préside à leur remise en ordre, je crois nécessaire d'éviter que, à vouloir trop simplifier, on ne crée de nouvelles difficultés.

Ainsi, l'idée de supprimer de manière systématique l'ancien délai de soixante-quinze ans pour le remplacer par un délai de cinquante ans est séduisante, mais je pense toutefois - comme, d'ailleurs, le rapporteur de la commission des lois - qu'il est indispensable de conserver un délai de soixante-quinze ans avant de pouvoir communiquer certains documents, notamment ceux qui peuvent porter atteinte à la vie privée.

Par exemple, si un délai de cinquante ans peut paraître suffisant avant de permettre l'ouverture des archives publiques sur les actions menées dans la clandestinité par des activistes de l'OAS qui avaient quarante ou cinquante ans à l'époque des faits, il n'en va pas du tout de même pour les anciens activistes qui n'avaient que vingt ou vingt-cinq ans, pour lesquels la divulgation de documents pourrait avoir lieu de leur vivant, leur créant d'évidentes difficultés, pour ne pas dire plus, à eux-mêmes comme à leur entourage. Je pense donc, madame la ministre, que la volonté de simplification ne doit pas nous faire perdre le sens des réalités.

Sous cette réserve, il faut se féliciter des avancées des deux textes que nous examinons, aussi bien en ce qu'ils facilitent la consultation des archives publiques en posant le principe de communicabilité de celles qui ne remettent pas en cause un secret protégé par la loi et en élargissant le champ d'application des dérogations, qu'en ce qui est fait pour renforcer leur protection avec le réajustement des sanctions pénales et la création d'une sanction administrative.

J'ai bien noté, monsieur le rapporteur, madame le rapporteur pour avis, que les deux commissions étaient unanimes pour réaffirmer l'autonomie des assemblées dans la gestion de leurs archives respectives. Si cette mesure s'explique par la nécessaire séparation des pouvoirs, je tiens toutefois à souligner qu'il serait plus raisonnable pour la lisibilité du dispositif et la compréhension des utilisateurs des archives publiques que les deux assemblées aient le même dispositif et que ce soit donc une proposition de loi commune - plutôt qu'une résolution propre à chaque chambre - qui fixe les conditions de collecte, de conservation, de classement et de communication des archives desdites assemblées.

Dans le même esprit que celui qui préside à ces textes - à savoir une clarification et une adaptation aux réalités d'aujourd'hui des dispositions en vigueur -, je présenterai quatre amendements.

Le premier vise à clarifier une rédaction pouvant prêter à confusion concernant les délais de protection de la vie privée prévus à l'article L. 213-2 du code du patrimoine. M. le rapporteur de la commission des lois a d'ailleurs déposé un amendement semblable, et je m'en réjouis.

Un deuxième amendement a pour objet de réduire le délai de communication de cinquante à vingt-cinq ans après la fin de l'affectation de bâtiments utilisés pour la détention des personnes pour les documents relatifs à leur construction, à leur équipement et à leur fonctionnement, dès lors que la consultation desdits documents ne porte pas atteinte à la sécurité publique ou à la sûreté de l'État.

On ne voit pas, en effet, ce qui justifierait un embargo de cinquante ans sur ces documents à partir du moment où les bâtiments qu'ils concernent ne font plus du tout l'objet de l'utilisation sensible à laquelle ils étaient initialement destinés et qui justifiait alors une protection particulière.

Deux autres amendements, enfin, permettraient la désignation par la partie versante d'un représentant pour répondre aux demandes de consultation d'archives déposées par des personnes dans le cadre de protocoles. En effet, si l'on veut favoriser les possibilités d'accès à certains fonds, et dès lors que la communication est subordonnée à l'accord de celui qui a versé les documents, il ne faut pas obligatoirement imposer à ladite personne d'aller personnellement vérifier dans le carton d'archives le contenu du ou des documents sollicités, ce qui peut être fréquent et fastidieux.

Je le dis en connaissance de cause : il n'est pas rare, en effet, que nous ayons à nous prononcer, au sein de la Commission d'accès aux documents administratifs, sur la communicabilité de documents dans le cadre de ces fameux protocoles. À chaque fois, le rapporteur étudie l'intégralité des documents afin de déterminer si des dispositions s'opposent à leur communication. Il paraît tout de même délicat d'imposer cela à un ancien Président de la République ou à un ancien Premier ministre. Il ne serait donc pas superflu qu'un représentant puisse donner l'accord à leur place.

En portant mes réflexions au-delà de l'objet même de ces textes, je voudrais inviter le Gouvernement à réfléchir plus avant à l'articulation entre la loi du 17 juillet 1978 relative à l'accès aux documents administratifs et la loi du 3 juillet 1979 sur les archives.

Les documents administratifs visés par la première loi ont en effet une définition très proche de celle des archives visées par la seconde, et certains documents administratifs constituent en même temps des archives publiques, des « archives vivantes », alors que les conditions d'accès ne sont pas les mêmes selon que l'on se place sous l'un ou l'autre des deux régimes juridiques. Il faut donc, au-delà des lois que nous allons très certainement approuver ce soir, aller vers plus d'harmonisation.

En conclusion, je me contenterai d'indiquer que le groupe de l'Union centriste-UDF et moi-même nous félicitons du travail réalisé par les rapporteurs des deux commissions, dont il convient de noter, d'une manière générale, la convergence de vues, et que nous apportons notre soutien à ces textes. (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Claude Peyronnet.

M. Jean-Claude Peyronnet. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, on ne peut mieux caractériser les archives que par la définition qu'en donne l'Association des archivistes français, qui les situe à la « rencontre du patrimoine et de l'information opérationnelle ». Autrement dit, elles sont à la fois mortes, plus ou moins, et vivantes, plus ou moins, en fonction de l'écoulement du temps.

Vivantes, elles sont à la base de la bonne gouvernance d'un pays administré, et c'est peu de dire que la France est un pays administré Notre pays bénéficie d'une très ancienne tradition de conservation - ce qui suppose des choix et donc de la subjectivité -, tradition repérable dès la fin du XIIe siècle pour ce qui concerne les archives d'État.

Je me garderai d'égrener les dates de constitution du système de conservation des archives françaises, sauf à noter sa naissance officielle avec la Révolution et à retenir, parmi les dates qui normalisent les pratiques, celle du décret du 21 juillet 1936 faisant obligation aux administrations de verser leurs archives et interdiction de les détruire sans visa.

On notera cependant, sur cet aspect historique, que les archives, même privées ou partiellement privées, ont pu jouer un rôle majeur dans l'histoire de France. Il en va ainsi des fameux « terriers » seigneuriaux, conservateurs des droits exigibles des paysans pour le paiement de services tombés en désuétude. La Grande Peur n'aurait pas eu la même ampleur, ni les mêmes conséquences, s'il s'était agi simplement d'une colossale panique collective. En fait, partis en apparence à l'aventure, fuyant je ne sais quels « brigands », les paysans se sont vite retrouvés au pied des châteaux pour se faire remettre et détruire les fameux terriers. Plus d'archives, donc plus de preuves et plus de droits à payer ! Ils avaient bien compris l'intérêt des archives. On sait ce qu'il en advint,...

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. De vrais révolutionnaires, ceux-là ! (Sourires.)

M. Jean-Claude Peyronnet. ... comment, les 5 et 11 août, les décrets de la Constituante déclarèrent ces droits « rachetables » et comment les troubles agraires se poursuivirent jusqu'à l'abolition totale sous la Convention. La « grande histoire » se bâtit ainsi par la conjonction d'intérêts particuliers et, en l'occurrence, les archives les plus humbles sont à la base d'un grand mouvement historique.

Je vous prie, madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, d'excuser cette petite incursion dans mon domaine de prédilection, même s'il y a prescription. (Sourires.)

C'est très tôt que les principes de conservation ont été définis. Ainsi, dès 1839, on trouve une instruction du Gouvernement aux préfets définissant les mesures à prendre pour que les archives « puissent être utiles à l'administration, aux familles et à la science ». C'est toujours autour de l'application de ces principes que nous débattons.

Et pourquoi discutons-nous ? Et pourquoi cette question a-t-elle été plusieurs fois évoquée dans les dernières années ? Et pourquoi devrons-nous encore l'évoquer assez vite puisque se profilent une nécessaire clarification sur les archives numériques aussi bien qu'une nécessaire harmonisation des lois que citait l'orateur précédent ? Parce que les choses bougent et, depuis quelques années, à une vitesse extrême. Ceci explique que notre rapporteur pour avis puisse évoquer la « crise » du système que le présent texte s'efforce d'atténuer, sans probablement la résoudre totalement.

C'est que l'affaire est compliquée ! Il convient de mieux conserver ce qui justifie l'homogénéisation du droit, sous le contrôle des archives de France, et de faciliter l'accessibilité aux archives publiques et politiques.

Deux obligations contradictoires doivent être ainsi conjuguées : celle d'une meilleure conservation et d'une meilleure protection d'une production d'archives de plus en plus abondante - les chiffres cités dans les deux rapports sont, de ce point de vue, impressionnants - et celle d'une demande de consultation quasi exponentielle, que nourrissent les besoins de racines de notre société urbaine aussi bien que le développement de l'esprit de procédure. Cela pose des problèmes de locaux, de personnels, de détérioration des documents, et sans doute bien d'autres.

Par conditionnement professionnel, peut-être, je suis très favorable à une accessibilité grande et précoce aux archives publiques. C'est notamment la condition de la confection d'une mémoire historique qui fonde une nation. Dans beaucoup de cas, il est même souhaitable que cette oeuvre puisse se faire alors même que des survivants sont en mesure d'apporter leur témoignage. Ainsi peut-on regretter l'ouverture trop tardive de certaines archives de la Seconde Guerre mondiale ou, plus encore, de la guerre d'Algérie.

Laisser les historiens faire leur métier le plus tôt possible est le meilleur moyen de permettre à une société d'être en accord avec elle-même.

Pour autant, d'autres enjeux que la bonne gouvernance ou la qualité de la recherche doivent être pris en compte : je pense à la préservation de la vie privée, à la paix des familles, à la paix civile.

Pour prendre un exemple extrême, je ne suis pas sûr que l'ouverture des archives des polices secrètes de certains pays de l'est de l'Europe ait été une bonne mesure, même si l'objectif était d'assurer la transparence : découvrir que son collègue de travail, sa voisine de pallier ou son conjoint ont été pourvoyeurs d'informations sur votre compte peut provoquer des dégâts incommensurables. Il convient donc de distinguer les chercheurs, tenus par déontologie à l'anonymat des acteurs, et le public, qui doit attendre un délai, dont la durée peut être débattue, nécessaire à la préservation de la vie privée.

J'ai parlé de l'accroissement considérable de la production d'archives. Dans le même temps, quelle déperdition depuis le développement de la communication, notamment virtuelle, et de la transcription numérique ! Ainsi, plus de trace des éventuels repentirs, pourtant si instructifs, de l'écrivain, et donc plus d'études possibles par les critiques littéraires, alors que des livres entiers leur sont consacrés pour Stendhal ou Flaubert. Plus de projets de lettres d'hommes politiques, plus de notes de collaborateur à collaborateur : ceux-ci communiquent désormais essentiellement par courriers électroniques. Mais c'est une réalité irréversible et rien ne servirait de pleurer sur cette évolution.

En revanche, il y a urgence à ce que la science se penche sur la conservation de tous les supports modernes, audiovisuels certes, mais aussi matériels : l'encre de nos photocopieuses ou de nos imprimantes n'a rien à voir avec la qualité de celle d'un incunable du XVe siècle ou de celle d'un manuscrit du XIIe siècle. Il y a là un paradoxe étonnant ! C'est un problème d'une extrême gravité que la simple répétition de la reproduction ne résoudra pas, elle-même étant source de perte de qualité.

Ces observations étant faites, nous voterons le projet de loi qui nous est soumis et qui présente des avancées certaines, surtout après le travail de la commission des lois et de la commission des affaires culturelles. Nous sommes d'accord avec les grands principes qui l'inspirent et nous ne nous opposerons pas au sort particulier réservé aux archives parlementaires.

Pour terminer, permettez-moi d'aborder un sujet qui touche au fonctionnement de notre assemblée. C'est un sujet qui fâche, mais comme nous sommes peu nombreux ce soir, ...

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. C'est dommage !

M. Jean-Claude Peyronnet. ... cela ne sortira certainement pas d'ici ! (Sourires.)

J'ai déposé au nom de mon groupe un amendement, ou plutôt deux qui vont dans le même sens. Ils sont plutôt anodins ...

MM. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois, et René Garrec, rapporteur. Non, non !

M. Jean-Claude Peyronnet. ... et ne mériteraient guère plus qu'une allusion au cours de la discussion générale si n'était encore une fois posée la question de l'application nouvelle de l'article 40.

De quoi s'agit-il ?

Il m'a été suggéré d'ajouter à la liste des prétendants possibles à la direction des archives départementales le cadre d'emploi des conservateurs territoriaux du patrimoine. On sait qu'actuellement ces fonctions sont exercées exclusivement ou presque, sauf quelques détachements, par des fonctionnaires d'État. J'ai accédé à cette demande, car l'ancien président de Centre national de la fonction publique territoriale que je suis peut difficilement accepter que la seule solution offerte aux fonctionnaires territoriaux soit celle du détachement. C'est une question de dignité de la fonction publique territoriale !

J'ai donc accepté pour cette raison, mais sans me masquer les problèmes qui peuvent être soulevés, notamment en matière de contrôle scientifique. Cependant, je crois que ces obstacles peuvent être levés.

Le problème est ailleurs. À la suggestion qui m'a été faite, j'ai ajouté la notion de compensation financière dans le cas du recrutement d'un fonctionnaire territorial au lieu, comme actuellement, d'un fonctionnaire d'État. II m'a été opposé l'article 40 au motif de la création d'une dépense nouvelle. Je crois être d'une intelligence moyenne, même si je n'ai pas fait d'étude comparative à ce sujet dans cet hémicycle (Sourires), mais, là, je ne comprends pas !

Que l'État paye un fonctionnaire d'État ou, pour le même montant, voire moins, un fonctionnaire territorial par l'entremise d'une compensation ne lui fait pas dépenser un demi-centime d'euro de plus ! D'ailleurs, notre rapporteur pour avis analyse le système actuel comme une subvention aux départements. Que cette subvention serve à payer un fonctionnaire d'État ou un fonctionnaire territorial est absolument neutre d'un point de vue financier : c'est vraiment une opération à somme nulle.

Nous sommes donc sur un autre terrain que le terrain financier ou budgétaire. On a l'impression d'une application de l'article 40 purement formelle, qui s'accroche aux mots sans se préoccuper du fond. Le terme banni est en l'occurrence celui de « compensation ». J'ai proposé au fonctionnaire de la commission des finances de le remplacer par « pomme de terre » ! Il n'a pas voulu me suivre... (Nouveaux sourires.)

Plus sérieusement, nous sommes face à un grave problème. Cette pratique, que j'ose qualifier de rigide et dépourvue de discernement, est plus qu'un frein à l'initiative parlementaire : elle est tout simplement paralysante. Elle doit nous conduire à nous interroger sur notre utilité même. Elle est, en tout cas, en complète contradiction avec les propositions qui fusent de toutes parts sur le renforcement du rôle du Parlement. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur le banc des commissions.)

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. M. Arthuis aura entendu !

Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Nachbar.

M. Philippe Nachbar. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, comme le souligne Mme Morin-Desailly dans son rapport, « les archives sont vivantes : elles sont ancrées dans notre quotidien, elles participent à l'écriture de notre histoire, elles forgent notre identité individuelle et collective ».

Il convient de souligner la place qu'occupent les archives dans la construction de l'histoire et de la mémoire ainsi que le rôle fondamental qu'elles jouent comme témoin de notre histoire, comme élément de notre patrimoine. Elles préservent la mémoire des nations et permettent, par conséquent, de comprendre le présent et de bâtir le futur.

Les archives sont un instrument essentiel au service du bon fonctionnement d'une démocratie. En effet, un pays n'accède à la démocratie, telle que l'on pouvait la définir au XIXe siècle, que lorsque chacun de ses habitants dispose de la possibilité de connaître de manière objective les éléments de son histoire, et non pas seulement en détruisant les « terriers » seigneuriaux qu'évoquait à l'instant notre collègue Peyronnet, qui est historien de formation.

Aussi, soucieux d'améliorer la transparence de l'action publique, le législateur est intervenu en 1979 pour élaborer un corpus législatif cohérent sur les archives et a donné, pour la première fois, une définition générale des archives, quel qu'en soit le support. Or les supports ont évolué - je pense bien entendu à l'avènement des nouvelles technologies -, mais il existe également d'immenses problèmes de conservation, notamment en raison de la médiocrité de certains produits. La commission des affaires culturelles a eu l'occasion de le constater en visitant la bibliothèque nationale de la rue de Richelieu il y a quelques années : il s'avère que l'on conserve mieux les incunables ou les antiphonaires du Moyen Âge que les ouvrages édités au XXe siècle.

C'est donc un immense défi qui se pose à ceux qui sont chargés de la conservation des archives et, par conséquent, de la perpétuation de la mémoire.

Pour revenir à des considérations plus juridiques, je veux souligner l'urgence qu'il y avait à faire en sorte que le droit existant soit adapté parce que le système des archives ne correspond plus à l'évolution de la société et à ses exigences nouvelles.

De plus, de nombreux rapports, notamment le rapport Braibant en 1996, avaient pointé du doigt la situation critique des archives françaises, le mauvais emploi des ressources financières - on sait qu'elles sont rares et précieuses - et les faiblesses administratives qui les caractérisaient.

Face à l'augmentation des publics et à la diversification de leurs exigences, une gestion rénovée et modernisée des archives est aujourd'hui nécessaire. Une plus grande ouverture est également indispensable, ne serait-ce que pour donner satisfaction à la communauté scientifique, aux historiens, aux généalogistes et à nos concitoyens, qui se passionnent, comme en témoigne le développement de la généalogie amateur, pour les sources de leur histoire.

Sans revenir sur les principes fondateurs posés par la loi de 1979, le projet de loi ordinaire - je n'évoquerai que très brièvement le projet de loi organique - dont nous sommes aujourd'hui saisis vise à modifier et à actualiser la législation relative aux archives, en particulier pour ce qui concerne les conditions de leur collecte, de leur conservation et de leur communication. Il s'articule autour de trois grands axes : adapter le droit à la pratique, réduire les délais de communication des archives publiques et renforcer le patrimoine privé et public.

Il s'agit de concilier les exigences de la recherche, la nécessité d'ouvrir les archives au bénéfice de la collectivité et l'impératif de protection des données individuelles et personnelles. Car, si notre société attache beaucoup de prix à la transparence, encore convient-il d'éviter qu'elle ne devienne totalitaire et que nous ne connaissions des dérives dignes de Big Brother, telles qu'aucune donnée personnelle n'échapperait à la connaissance collective.

Mesure phare du projet de loi, l'article 11 pose le principe de la libre communicabilité des archives publiques, c'est-à-dire d'un droit à communication immédiate. Il prévoit bien évidemment des garde-fous en maintenant la définition de délais spéciaux pour les documents dont la communication porterait atteinte à la défense nationale ou pour préserver la vie privée des citoyens avec des durées de vingt-cinq ans, de cinquante ans ou de cent ans, voire de cent vingt ans dans le cas bien précis du secret médical.

Le texte confirme également la possibilité de déroger à ces délais, mais dans des conditions particulières, à savoir sur autorisation individuelle - un chercheur pourra l'obtenir, mais il sera tenu de respecter une déontologie - ou par une ouverture anticipée des fonds.

Le groupe UMP se félicite de ces avancées, qui répondent aux attentes exprimées par les usagers des services des archives.

Par ailleurs, le texte précise le statut des archives des autorités publiques, notamment gouvernementales, et propose opportunément de conférer un fondement légal aux protocoles passés entre les autorités publiques et l'administration des archives.

Il prévoit enfin un renforcement des sanctions pénales en matière de protection des archives, mais aussi, et je sais l'importance que vous attachez à ce domaine, madame la ministre, en ce qui concerne l'ensemble des biens qualifiés de culturels. Des faits divers récents et déplorables, mais il y en a eu beaucoup durant les trente ou quarante dernières années, nous ont montré à quel point il fallait légiférer pour protéger le patrimoine. Ce texte répond donc à une vraie demande et assure un équilibre entre cette attente et l'exigence de protection des intérêts légitimes de l'État.

Les amendements adoptés par la commission des lois et la commission des affaires culturelles viennent utilement compléter les orientations du projet de loi sur plusieurs points.

Le groupe UMP se félicite notamment de l'amendement commun aux deux commissions qui tend à réaffirmer l'autonomie des assemblées dans la gestion de leurs archives respectives. Si les archives parlementaires sont par nature publiques et passionnent les historiens, leur gestion doit toutefois respecter le principe constitutionnel de séparation des pouvoirs et d'autonomie des assemblées parlementaires.

De la même manière, il fallait nous adapter à la nouvelle structure des collectivités locales.

La définition d'un statut pour les archives conservées par les intercommunalités me paraît également importante tout comme l'ouverture des archives du Conseil constitutionnel et le raccourcissement des délais de communication de ses travaux. Une telle évolution sera en effet de nature à favoriser les recherches juridiques compte tenu de l'importance qu'a désormais dans notre droit la jurisprudence du Conseil constitutionnel.

Pour conclure mes propos, j'aimerais souligner la nécessité d'aboutir à une harmonisation européenne dans le domaine des délais de communicabilité des archives.

La diversité culturelle pourrait certes rendre surprenante cette demande, mais il m'apparaît au contraire que, si l'on veut avoir un véritable projet collectif européen, une prise de conscience de ce patrimoine commun que constituent pour l'Europe les archives des différents pays qui la composent est nécessaire. C'est pourquoi il faut progressivement rapprocher les délais. La présidence française de l'Union européenne qui commencera dans six mois pourrait être l'occasion d'une action allant dans ce sens.

Madame la ministre, parce que ces deux projets de loi visent à améliorer la protection des archives et à faciliter leur accès tout en protégeant la vie privée des citoyens, le groupe UMP votera ces deux textes, enrichis par les travaux de la commission des lois et de la commission des affaires culturelles. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)