M. Gérard Le Cam. Très bien !
M. Pierre Laffitte. Sous cette réserve, le texte gouvernemental qui nous est soumis me paraît relativement équilibré.
Toutefois, je regrette la rédaction de certains amendements de la commission, qui me semblent quelque peu critiquables, ainsi que l'estime notre collègue Jean-François Le Grand.
En revanche, je me félicite de la création d'une Haute autorité sur les OGM et je suis convaincu de la qualité potentielle d'une telle instance, surtout si elle est dirigée, comme le propose M. le président de la commission, Jean-Paul Emorine, dans son amendement n° 179, par un scientifique de renom indépendant.
Pour être efficace, cette Haute autorité doit impérativement garder le contrôle de ses outils d'évaluation dont elle est seule juge. De ce fait, il est souhaitable que cette instance, qui évalue les risques, définit une stratégie et les précautions à prendre avant d'autoriser la mise en culture des OGM, ne soit pas directement chargée de la surveillance. Ce rôle doit être assuré par le comité de biovigilance, qui lui rend compte de ses actions. À cet égard, l'amendement de la commission est bienvenu.
Les conditions techniques de mise en culture des OGM doivent être définies conjointement par les ministres de l'agriculture et de l'environnement, et, le cas échéant, par le ministre de la santé. Elles ne sauraient se limiter à prévoir des distances de mise en culture. Il s'agit également de définir les précautions à prendre pour le stockage et le transport des OGM, y compris des OGM importés.
Pour la première fois, la responsabilité des exploitants cultivant des OGM est clairement établie. À mon sens, elle devrait être partagée avec le distributeur et le détenteur de l'autorisation de mise sur le marché des semences incriminées. Les agriculteurs ne doivent pas être les seuls responsables, tous les acteurs doivent être solidairement responsables. L'absence fréquente de traçabilité en cas de contamination d'un milieu par des OGM en est une autre justification.
Enfin, je félicite le Gouvernement de sa volonté de transparence sur la localisation des parcelles de cultures OGM. Cette transparence, qui est inscrite dans de nombreux articles, est la condition nécessaire à une meilleure acceptabilité des OGM.
N'oublions pas que la chute de la biodiversité sur les continents, la surexploitation des océans, l'utilisation de surfaces arables pour la construction d'équipements - ce sont 100 hectares de terres cultivables qui disparaissent en France et 160 en Allemagne -, les usages des biocarburants, tous ces facteurs s'opposent à l'impérieuse nécessité de nourrir les 9 milliards d'hommes supplémentaires, alors que le dérèglement climatique restreindra les possibilités de l'agriculture traditionnelle, comme cela a été évoqué aussi bien par M. le ministre d'État Borloo que par M. le ministre Barnier. L'ampleur du défi est gigantesque.
Seule l'innovation scientifique peut répondre à ce défi, d'où l'importance de forcer l'allure, et donc d'accroître les moyens de la recherche, du développement et de l'innovation.
Aussi, je conclurai en approuvant la création du dispositif d'incitation fiscale à l'investissement en génomique végétale. II importe que la recherche française dans ce secteur vital pour l'avenir de l'humanité soit renforcée. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP.)
Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Soulage. (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF.)
M. Daniel Soulage. Monsieur le ministre d'État, je tiens tout d'abord à souligner que je me réjouis de l'inscription de ce texte à l'ordre du jour des travaux de notre assemblée. Mais, avant toute chose, j'aimerais vous dire dans quel état d'esprit j'aborde cette discussion.
En réalité, je rejoins les conclusions du Grenelle de l'environnement : je suis pour la liberté de produire et de consommer, avec ou sans OGM. Je suis ainsi favorable à ces derniers, tout en souhaitant le maintien et le développement des agricultures biologique et conventionnelle.
J'estime qu'il est impératif d'avancer et de faire évoluer notre réglementation sur les OGM, ne serait-ce qu'à cause de la contrainte européenne. En effet, la non-transposition de la directive européenne sur les OGM depuis sept ans risque de nous coûter une amende de plusieurs dizaines de millions d'euros...
Au-delà de cet aspect financier, nous ne pouvons négliger l'enjeu scientifique et économique que représentent les OGM.
On fait peser une contrainte lourde sur notre recherche dans le secteur des biotechnologies. Ce secteur, stratégique dans les années à venir, accumule les retards, notamment à la suite des actions menées par des commandos « anti-OGM ». Deux chiffres me semblent, à ce titre, particulièrement révélateurs.
En France, en 2006, toutes espèces confondues, environ 35 essais en plein champ de plantes transgéniques ont été effectués, ne dépassant pas au total quelques hectares. Ce chiffre est en forte diminution depuis quelques années, en raison de la difficulté à expérimenter.
Dans le même temps, aux Etats-Unis, plus de mille dossiers de demande d'expérimentation ont été déposés, dont plus d'un quart émanant d'universités, à des fins de recherche fondamentale. De plus, 61 % des entreprises privées françaises de biotechnologie ont annulé des projets de recherche dans ce domaine depuis 1998. En effet, des laboratoires de recherche, soumis à la pression de l'opinion publique, aux risques de campagnes d'arrachage et à l'hostilité de nombreuses communes limitent d'eux-mêmes leurs programmes. Ainsi, Biogemma, société française de biotechnologies, a décidé, en 2006, de cesser les essais en France pour les concentrer à l'étranger.
Or la promotion des biotechnologies est un facteur crucial d'indépendance nationale. En termes de rendement, d'utilisation d'intrants, de gestion de l'eau ou d'économie d'azote par exemple, les OGM pourront certainement apporter à l'avenir des réponses, au même titre que les semences hybrides par le passé. Laissons aux chercheurs la possibilité de faire leur travail !
Mais c'est également l'avenir de notre agriculture qui est en cause. L'enjeu est de pouvoir maintenir la compétitivité de l'agriculture européenne face à la concurrence mondiale, alors que les besoins alimentaires vont croître dans de fortes proportions.
À l'heure où la « chimie verte » est en plein développement, il est indispensable de maintenir, voire de développer les rendements agricoles. De plus, alors que le Grenelle de l'environnement vient d'entériner l'objectif de diminution par deux de l'usage des pesticides d'ici à 2012, il faut être réaliste : on ne peut logiquement être opposés à la fois aux pesticides et aux OGM. D'ailleurs, le Comité de préfiguration d'une haute autorité sur les organismes génétiquement modifiés, dans son avis sur le maïs Bt MON 810, souligne lui-même que les cultures de maïs Bt ont un impact sur quelques familles d'invertébrés, « ses effets étant toutefois moindres que ceux liés aux traitements insecticides ».
II ne faut donc pas diaboliser les OGM. Est-il crédible de les refuser sur son territoire au vu de notre dépendance en matière d'approvisionnement en oléoprotéagineux ?
L'Union européenne consomme ainsi chaque année 30 millions de tonnes de tourteaux de soja pour alimenter son bétail. Son taux de dépendance s'est d'ailleurs encore accru, depuis l'interdiction des farines animales en 2001, passant de 70 % à 75 %. C'est donc une forme d'hypocrisie que de persévérer à refuser les OGM à l'intérieur de notre pays, alors que nous sommes aujourd'hui contraints d'en importer massivement, en provenance de pays tiers, à des fins d'alimentation animale !
M. Daniel Raoul. Très bien !
M. Daniel Soulage. Je comprends les inquiétudes légitimes de nos concitoyens ; il faut restaurer leur confiance. En l'état actuel de nos connaissances, l'absence de preuve du risque sanitaire s'accompagne de l'impossibilité de prouver son absence. Quant au risque environnemental, éventuellement associé aux OGM, il est encore plus difficile à appréhender. C'est pourquoi il est important de garantir la coexistence des filières.
Le Grenelle de l'environnement instaure un droit à cultiver avec ou sans OGM. Cela signifie bien que chaque type de culture est possible et que l'une ne doit pas se faire au détriment des autres. Cette conclusion rejoint la position de la Commission européenne, qui a édicté comme règle générale de la coexistence entre types d'agriculture : « permettre à chaque agriculteur de choisir le mode de production qu'il souhaite, qu'il soit biotechnologique, conventionnel ou biologique ». Vous avez insisté tout à l'heure sur ce point, monsieur le ministre.
En outre, au terme du Grenelle de l'environnement, la France s'est fixée l'objectif ambitieux de porter à 6 % la part de la surface agricole utile, SAU, engagée dans un mode de production biologique d'ici à cinq ans et vise les 20 % en 2020. Dès le 12 septembre dernier, Michel Barnier a lancé le plan d'action « agri-bio : horizon 2012 », établissant l'objectif de un million d'hectares cultivés en bio.
Le Grenelle a ajouté 500 000 hectares complémentaires. Or cet objectif n'est pas réaliste sans un encadrement strict des cultures OGM. C'est l'existence même de l'agriculture biologique qui sera remise en cause si nous n'instaurons pas un strict encadrement des cultures OGM.
La réglementation européenne stipule, en effet, que « les denrées alimentaires contenant des OGM ne pourront pas bénéficier de l'étiquetage réservé aux produits biologiques, hormis ceux qui contiennent jusqu'à 0,9 % d'OGM pour cause de contamination accidentelle ». Les risques de contamination involontaire existent : semences, pollinisation croisée. Le Grenelle a réaffirmé le droit à cultiver avec ou sans OGM. À nous de permettre l'effectivité de ce droit, en protégeant des agricultures qui n'auront plus les moyens d'exister si, d'aventure, les mesures destinées à éviter la dissémination d'OGM ne s'avéraient pas suffisantes.
L'exemple allemand me semble tout particulièrement éclairant et instructif à cet égard. En effet, notre voisin est très en avance sur nous dans la transposition des directives européennes puisque, dès 2004, une loi fixait un cadre juridique pour la coexistence des cultures tout en prévoyant un régime de responsabilité strict fondé sur le principe du pollueur-payeur.
Après deux ans d'application de cette loi, le gouvernement allemand a élaboré un nouveau texte, qui a déjà été adopté par le Bundestag et qui devrait l'être par le Bundesrat le 15 février prochain. Ce texte comprend un volet spécifique relatif à la coexistence des cultures grâce à la mise en oeuvre de distances minimales pour la culture de plantes génétiquement modifiées. Ainsi, si un agriculteur décide d'utiliser des semences génétiquement modifiées, il sera tenu d'en informer ses voisins au moins trois mois avant les semis, par écrit et en précisant leurs droits et recours.
Par ailleurs, la distance minimale requise pour la culture du maïs sera de 150 mètres face à des cultures conventionnelles et de 300 mètres face à des cultures biologiques. Certes, cet outil prend en compte les spécificités de l'agriculture dans les ex-länder de l'Est, où les exploitations sont de très grande taille. Toutefois, une telle disposition est de nature à rassurer une opinion publique très réservée sur les OGM.
Autre innovation de ce projet de loi, la meilleure prise en compte des intérêts de la recherche. Les chercheurs se verront accorder des assouplissements importants, notamment pour les travaux en laboratoire et les expérimentations contrôlées en plein champ. Les procédures seront simplifiées, le nombre de documents à produire pour obtenir l'autorisation de mener des recherches et les délais seront réduits.
Pour moi, cette loi a valeur de modèle, car elle fait la jonction entre le nécessaire soutien à la recherche - vous y avez beaucoup insisté tout à l'heure, messieurs les ministres -, la transparence indispensable sans laquelle aucune culture OGM ne doit être envisagée et la coexistence des cultures, notamment la protection des cultures bio.
Mais c'est surtout le volet relatif à la coexistence des cultures qui me semble primordial. Sans être un intégriste de l'agriculture biologique, j'estime qu'il est incontestable que ce mode de culture répond aux attentes d'un grand nombre de nos concitoyens. Il faut donc le préserver. À quoi bon prendre des engagements lors du Grenelle de l'environnement si nous remettons tout en cause quelques mois plus tard ? Comment être encore crédibles auprès de nos concitoyens ?
C'est bien sur ces sujets, qui concernent tout un chacun, que nous devons être le plus irréprochables. Il est nécessaire de rassurer les consommateurs qui ne comprennent pas, après les termes choisis par le Comité de préfiguration de la Haute autorité sur les organismes génétiquement modifiés dans son avis sur le maïs BT 810, que l'on puisse seulement débattre des OGM au Parlement.
Il est nécessaire de rassurer les agriculteurs bios, qui craignent pour leur survie. Et comment ne seraient-ils pas inquiets devant les tergiversations et les différences de vues évoquées au sein des milieux les mieux informés et, nous l'espérons, les plus objectifs ?
C'est pourquoi j'ai déposé un amendement, fondamental à mon sens, qui reprend, en tenant compte de la géographie et de la situation française, les distances de protection prévues dans le projet de loi allemand, à savoir, pour le maïs, 100 mètres pour les cultures conventionnelles et 300 mètres pour le bio.
Ces chiffres n'ont pas été choisis au hasard ; ils ont été fixés sur la base d'expertises scientifiques et devraient prévenir à peu près totalement la pollinisation et la contamination des cultures traditionnelles par les OGM.
Par ailleurs, ces espacements pourront être révisés et diminués, suivant les avancées scientifiques. Certes, le développement des OGM pourrait être légèrement ralenti dans les premières années d'application de cette loi, du fait de ces distances de sécurité. Mais, passez moi l'expression, le jeu n'en vaut-il pas la chandelle ?
S'agissant des semences de maïs, on ne peut pas dire - et je parle en connaissance de cause ! - que l'isolement a diminué les surfaces des cultures, y compris dans le Sud-Ouest. Les agriculteurs savent très bien s'arranger ! Mieux vaut aller plus lentement, mais avancer sur ce dossier en permettant de faire évoluer les mentalités grâce à une transparence maximale, à la poursuite d'expérimentations, à la publication des résultats scientifiques et à la réalisation d'actions d'information vigoureuses.
Enfin, j'ai déposé des amendements destinés à garantir une séparation des filières plus efficace à tous les stades de la chaîne de production - récolte, stockage, transport... -, et à faire des parcs naturels des zones sans OGM.
J'espère, messieurs les ministres, madame le secrétaire d'État, que ce débat nous permettra d'apporter des garanties satisfaisantes pour tous.
Enfin, pour conclure, je veux croire que l'État s'attachera à mettre en place un véritable soutien à la recherche publique - j'ai été rassuré tout à l'heure -, afin que nous puissions développer à terme nos propres semences OGM, dont nous aurons contrôlé le process ainsi que les effets.
De même, nous ne pouvons faire l'économie à très court terme d'une campagne de communication de grande ampleur, afin d'informer correctement les consommateurs sur les OGM.
Je ne terminerai pas sans remercier et même féliciter notre rapporteur, même si je n'approuve pas tous les points qu'il a évoqués ! (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE et sur certaines travées socialistes.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Marc Pastor.
M. Daniel Raoul. Ça va changer !
M. Jean-Marc Pastor. Madame la présidente, madame, messieurs les ministres, mes chers collègues, parler des OGM dans cet hémicycle, c'est un peu parler de l'Arlésienne ! Le débat ne revient-il pas régulièrement depuis 2003 au moins, monsieur le rapporteur ?
M. Jean Bizet, rapporteur. Mais si !
M. Jean-Marc Pastor. Nous avons eu des rapports et nous avons même examiné un projet de loi en 2006. Mais, je dois le reconnaître, la particularité de l'époque était que jamais nous n'avons entendu sur le sujet aucun des co-auteurs, les ministres de la recherche, de l'agriculture, de l'environnement, de la santé. Les choses ont changé depuis, monsieur le ministre, je vous rassure !
M. Aymeri de Montesquiou. Il y a eu les élections présidentielles ! (Sourires.)
M. Jean-Marc Pastor. Pourtant, le 19 juin 2003 déjà, Mme Claudie Haigneré, ministre déléguée à la recherche et aux nouvelles technologies, nous faisait part, dans cet hémicycle, de l'urgence qu'il y avait à transposer par voie législative la directive sur ce sujet. Quant au texte voté ici même en 2006, il ressemble très étroitement à celui que vous nous proposez : dix articles sur treize sont, en effet, comparables.
Là où j'ai parfois du mal à tout comprendre, c'est à propos du lien qui existe entre les conclusions du Grenelle de l'environnement et certains engagements que je retrouve dans le projet de loi que nous examinons. Mais, très honnêtement, le débat ne fait que commencer et je suis convaincu que nous aurons la réponse avant la fin, voire... après les municipales !
M. Daniel Raoul. Elle est bien bonne, celle-là !
M. Jean-Marc Pastor. Le parti socialiste que je représente tient à affirmer par ma voix tout son attachement à la modernité, à l'innovation, à la créativité et à la science, activité fondamentale pour permettre à l'homme, à l'humanité, de progresser, à une condition toutefois : qu'elle soit maîtrisée et contrôlée par l'homme et le secteur public.
Je reprends les propos que vous avez tenus dans votre intervention liminaire et que je partage, monsieur le ministre, à savoir que ce projet de loi est un acte de courage. La recherche scientifique doit être au service de l'homme, mais ce dernier ne doit pas se faire dominer par elle. Oui, j'adhère pleinement à cette image-là !
L'humanité exige en permanence des avancées scientifiques, mais, parfois, la réalité dépasse la fiction. Aujourd'hui, sur le sujet des OGM, « rien ne montre que c'est la raison qui gouverne le monde... en dehors de la raison du plus fort. » Jean Bizet se souvient certainement de cette phrase...
Le débat qui nous occupe laisse encore planer un espace de doute en la matière.
Qu'est-ce qui bloque le citoyen sur le sujet ?
Souvent, il ne connaît pas bien le dossier malgré la profusion d'informations, et, lorsqu'il le connaît, il a tendance à s'inscrire dans un clivage, dans la confrontation entre ceux qui sont pour et ceux qui sont contre.
Or que retrouve-t-on dans ce texte de loi pour rassurer, pour apporter plus de transparence et d'informations au citoyen ? Ce n'est pas le fichier national proposé qui sera suffisant pour le rassurer ! Il faudra aller plus loin, messieurs les ministres, madame le secrétaire d'État. Au cours du débat, nous serons conduits à vous proposer un certain nombre d'amendements en ce sens pour progresser, pour instaurer une véritable participation du citoyen.
J'ai pour habitude de reprendre une image, certes simpliste pour les scientifiques présents dans cet hémicycle, mais explicite. Nous l'évoquions déjà, mon collègue rapporteur Jean Bizet et moi-même, dans notre rapport d'information commun de 2003 pour exposer le sujet à des non-scientifiques, qui, globalement, représentent la société. Il s'agit d'un parallèle entre les individus et les livres.
Les chromosomes seraient les chapitres et les gènes les mots. Dans une phrase, on peut remplacer un mot par un autre et ainsi changer le sens de la phrase. On peut également changer un mot de place et le sens de la phrase en sera modifié également. La modification génétique consiste justement à modifier un ou plusieurs mots.
Mais le sens d'une phrase ne dépend pas uniquement du vocabulaire : il dépend aussi de la syntaxe, que nous maîtrisons beaucoup moins s'agissant des OGM ! D'ailleurs, aucun des scientifiques que nous avons interrogés sur cette question de fond n'a voulu s'engager lorsque nous leur avons demandé s'ils étaient sûrs qu'un gène, une fois déplacé, resterait à la même place. Dans certains cas, les gènes bougent un peu, ce qui a parfois des effets inattendus. C'est là que la prudence s'impose dans ce débat.
Ce constat me conduit à deux réflexions extrêmement basiques.
Premièrement, il faut prendre le temps d'expertiser encore, permettre à la recherche de travailler officiellement sur la question, la laisser oeuvrer en tout sérénité et lui donner les moyens de le faire. C'est grâce aux chercheurs et à leurs travaux que nous aurons le recul nécessaire sur la technique de la transgénèse, qui a énormément progressé, et que nous en maîtriserons mieux les tenants et les aboutissants.
Cela dit, l'objectif fixé par la stratégie de Lisbonne de porter à 3 % du PIB l'effort de recherche de notre pays ne sera vraisemblablement pas atteint. Il faut pourtant sauver la recherche publique dans sa mission fondamentale, car elle seule pourra faire la clarté sur le sujet en identifiant les risques et les avantages pour notre société, l'environnement et l'homme. Avec sept ou huit ans de recul, par exemple, nous savons déjà qu'il existe des cas d'accoutumance pour certaines plantes OGM, ce qui nécessite de recommencer les schémas de sélection.
Deuxièmement, ce projet de loi se préoccupe à 95 % des plantes génétiquement modifiées. Cela s'avère gênant dans un projet de loi relatif aux « organismes génétiquement modifiés ».
En effet, qu'il s'agisse de plantes ou d'animaux, c'est la fonction associée au génome qui détermine l'intérêt de l'OGM. Le triptyque organisme-gène-fonction est l'aspect fondamental qui devrait orienter nos débats et donner lieu à un encadrement législatif réel. Or rien n'apparaît à ce stade dans le texte.
Ne pas évoquer la liaison fonction-gène, c'est oublier l'essentiel dans ce débat. Nous l'avions évoquée dans le rapport de la mission d'information ; cela faisait d'ailleurs partie des demandes et je regrette que cette liaison n'apparaisse pas comme telle. Le gène est propriété de l'humanité et doit le rester, faute de quoi, nous ouvririons la boîte de Pandore de l'appropriation du vivant.
En revanche, la fonction - le triptyque que j'évoquais - est seule brevetable et mérite qu'on légifère.
Car, en définitive, ce texte concerne aussi le règne animal, dont l'homme fait partie.
Voilà quelques années, Jean Bizet et moi-même avons fait un déplacement aux États-Unis ; nous avons visité un centre de sélection porcin, où les chercheurs avaient introduit par transgénèse le gène laitier d'une vache laitière Holstein sur un chromosome de truie. Le résultat ? La production de lait de la truie était multipliée par deux et demi !
M. Daniel Raoul. Ah, la vache ! (Sourires.)
M. Jean-Marc Pastor. Que faut-il en penser ? Sans doute le plus grand bien, mais où sont les limites de la science ? Cet exemple illustre à la fois le bénéfice éventuel de telles pratiques pour la société et les dangers qu'elles recèlent.
Comment le texte que vous nous proposez aborde-t-il ces sujets ? Je ne l'ai pas vu. Pose-t-il des jalons, des barrières ? Donne-t-il une ligne de conduite au Haut conseil ?
Il nous appartient de prévoir et de prévenir les risques, avant que la question ne se pose un jour de manière irrémédiable.
Vous nous parlez d'OGM, oui ! Avec des déplacements de gènes sur le chromosome, d'accord ! Mais la fonction ? Elle est entre les mains de qui ? Pourquoi et comment ?
Il est urgent de préciser que l'appropriation de la fonction ne peut être que publique ou, du moins, sous contrôle public, de manière à bien maîtriser ce que pourrait être une commande de la société vis-à-vis des OGM, et non pas être à la remorque d'opérateurs qui n'auraient d'autre but que leur propre profit.
Quand un semencier de ma région modifie, grâce à un gène de luzerne, une fétuque connue non seulement pour sa résistance à la sécheresse, mais aussi pour sa végétation très ligneuse, créant ainsi une nouvelle sorte de fétuque résistante à la sécheresse, mais moins ligneuse et dotée des propriétés alimentaires propres à la luzerne, c'est-à-dire riche en azote, donc plus appétante, il s'agit peut-être d'un début de réponse face aux enjeux du développement durable, car la société peut trouver des bénéfices dans ce type de pratiques culturales. Mais comment, jusqu'où, dans quel milieu et dans quel type d'environnement, pourront-elles être accueillies, ou non ? Je veux poser la question en ces termes.
En tout cas, la fonction peut être différente avec le transfert d'un gène d'une plante à une autre ou le déplacement d'un gène sur un même chromosome ou encore le transfert d'un gène d'un animal sur un autre animal, voire d'un animal sur un végétal.
Dans tous les cas, mes chers collègues, ce sont des OGM. Mais y a-t-il une réponse unique pour chacun d'entre eux ? Ou bien ne faut-il pas légiférer dès maintenant pour préciser clairement ces fonctions, leurs limites, les blocages et les interdits à ne pas dépasser ? Sinon, ce sera sans limite et nous n'aurons fait qu'effleurer une véritable question de société.
Quels seront le rôle et le pouvoir du Haut conseil à cet égard ? C'est à la loi de le préciser, et ce n'est pas la seule application de la directive européenne qui nous permettra d'apporter une réponse à ces questions. Nous devons aller plus loin !
Nous vous proposerons, monsieur le ministre d'État, monsieur le ministre, madame la secrétaire d'État, quelques amendements d'« alerte ». Il vous appartiendra de profiter de ce temps fort du débat pour nous apporter toutes les précisions nécessaires.
D'autres questions se posent à nous.
Rien n'apparaît de façon explicite dans le texte sur la gestion des quantités colossales de céréales, d'oléagineux, de soja OGM importés pour fabriquer des tourteaux destinés à l'alimentation du bétail. Comment gère-t-on le stockage et le transport, ainsi que tous les risques de contamination diffuse ? La seule réponse de l'OMC ne suffit pas à éclairer notre société sur cette question.
Comment légiférer pour réglementer une culture d'OGM dans un département, alors que ce même département sera traversé par des camions transportant du soja OGM qui ne sera soumis, lui, à aucune législation, à aucune contrainte ? Comment allons-nous expliquer une telle situation à nos concitoyens ? Si nous voulons être crédibles, il nous faudra bien mettre tout cela sur la table : c'est ce que nous vous proposons.
Vous évoquez une garantie, mais il faut aller plus loin, avec la création d'un fonds financé par toute la filière.
Vous parlez de transparence et d'information, mais il faut, là encore, aller plus loin, en prévoyant une participation plus importante des citoyens, dans le cadre de commissions locales d'information et de suivi, ou CLIS.
La notion de responsabilité doit concerner non pas uniquement l'agriculteur, mais s'adresser à toute la filière.
Ce texte n'aborde, en fait, qu'une partie de la problématique des OGM.
Je me répète, car c'est important, la première étape reste toujours la recherche, qu'il faut soutenir sous toutes ses formes.
L'identification de fonctions destinées au domaine médical devrait pouvoir donner lieu, de la part des pouvoirs publics, à des réponses différentes de celles qui interviennent lors de la découverte de fonctions dont le but serait autre. C'est dans cette voie que nous souhaiterions accompagner le Gouvernement, celle du progrès maîtrisé, et nous proposerons d'amender le texte en ce sens. Nous suivrons souvent le rapporteur lorsqu'il présentera des amendements rédactionnels, mais, au final, si le texte devait rester en l'état, nous ne le voterions pas pour les raisons que j'ai évoquées.
Le Gouvernement me répondra sans doute que la directive n'aborde pas ces thèmes. Mais il nous appartient aussi de transmettre à l'Europe notre lecture de ce sujet, afin qu'elle prenne en compte nos problématiques.
Mes chers collègues, nous sommes prêts au débat. Selon nous, trop de questions sont à ce jour en suspens, trop de manques apparaissent sur un sujet aussi vaste.
Notre position reste cependant très claire.
Premièrement, on ne parle que des recherches en milieu confiné, voire exceptionnellement et dans des conditions précises, en plein champ.
Deuxièmement, la mise en place de commissions locales d'information et de suivi par projet est nécessaire.
Troisièmement, le maire doit disposer de toutes les informations concernant les OGM cultivés sur sa commune.
Quatrièmement, une définition du triptyque organisme-gène-fonction est nécessaire. Elle doit comporter des degrés différents, ce classement devant entraîner des mesures différentes en termes de besoins et d'encadrement.
Ces garde-fous, qui ont pour base le principe de précaution, la transparence et l'éthique, sont susceptibles d'ouvrir la voie au progrès scientifique, parce que ce dernier serait maîtrisé par l'homme et par la puissance publique. Si ces garde-fous que nous proposons d'introduire faisaient l'objet d'avancées de votre part, mes chers collègues, alors nous aurions fait ensemble un grand pas pour la science et pour l'humanité. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE et de l'UC-UDF.)
(M. Roland du Luart remplace Mme Michèle André au fauteuil de la présidence.)