M. le président. Monsieur Le Cam, l'amendement est-il maintenu ?
M. Gérard Le Cam. Je le maintiens, mais je suis très satisfait de la réponse apportée par M. le ministre d'État sur cet amendement. M. Borloo a ainsi montré qu'il sait faire preuve de bon sens et que certaines situations inadmissibles doivent évoluer. Il en est ainsi s'agissant de l'association Kokopelli, condamnée alors qu'elle est dans son droit. Va-t-on continuer à interdire aux gens d'échanger leurs propres semences ? Cette situation scandaleuse me révolte ; je suis très heureux d'avoir déposé cet amendement au nom de mon groupe, et je me félicite de votre réponse, monsieur le ministre d'État.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Christine Blandin, pour explication de vote.
Mme Marie-Christine Blandin. Nous soutiendrons cet amendement pour renforcer la volonté de promotion de ce type de licence et des semences paysannes.
Nous avons avec satisfaction entendu s'exprimer la compassion pour Kokopelli. Cette association, qui a été condamnée par le juge à verser au plaignant une importante somme d'argent, doit aussi verser à l'État français, sur la demande de ce dernier, une autre somme d'argent, ce qui fait froid dans le dos ! (M. le ministre d'État acquiesce.)
M. le président. La parole est à M. Pierre Laffitte, pour explication de vote.
M. Pierre Laffitte. Je partage la vision de Mme Marie-Christine Blandin. Compte tenu de la réalité des choses, il faudra certainement changer la loi sur ce point, et je crois d'ailleurs qu'il est dans les intentions de M. le ministre d'État de le faire prochainement. (M. le ministre d'État opine.)
En ce qui concerne Kokopelli, j'espère qu'une formule pourra être trouvée pour aider cette association.
M. le président. La parole est à M. Daniel Raoul, pour explication de vote.
M. Daniel Raoul. Je souscris à l'intention qui sous-tend cet amendement.
J'ai évoqué tout à l'heure dans la discussion générale un projet de loi relatif aux certificats d'obtention végétale, malheureusement tombé dans les oubliettes, projet dans lequel le problème des semences fermières avait été encadré juridiquement. Je regrette que ce texte soit resté dans le tunnel législatif, n'ait débouché sur rien et que les paysans ne puissent pas utiliser ces fameuses semences.
J'aimerais obtenir du Gouvernement un engagement sur les semences fermières : allons-nous, oui ou non, pouvoir obtenir cette avancée ?
M. le président. La parole est à M. Dominique Braye, pour explication de vote.
M. Dominique Braye. Je suis manifestement candide, et je voudrais poser une question au Gouvernement. Il me semble, d'après ce que je peux voir dans les pays émergents, que les petits paysans, qui sont souvent dans une agriculture vivrière et non pas dans une culture d'exportation, utilisent leurs propres semences. Sont-ils contraints d'utiliser les semences de ces grands groupes dont on nous parle, et, si oui, dans quel pourcentage ?
On ne cesse de nous aiguiller sur de mauvaises directions, ce qui nous vaut des réponses dont M. Gérard Le Cam est ravi mais qui n'ont manifestement aucun fondement réel sur le terrain. Cessons de toujours vouloir faire pleurer dans les chaumières ! Il s'agit là manifestement d'un débat important et sérieux.
Je voudrais donc savoir combien de petits paysans dans les pays en voie de développement utilisent les semences des grands groupes. Il me semble qu'ils utilisent au contraire leurs propres semences.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean Bizet, rapporteur. Sur cette question, je rejoins en partie les informations qui ont été données tout à l'heure par Daniel Raoul. Le Sénat a en effet légiféré sur les certificats d'obtention végétale en février 2006. Mais l'Assemblée nationale ne s'est pas encore saisie de ce texte, ce qui est dommage.
À l'époque, nous avions bien encadré ce sujet : les semences de fermes avaient leur lisibilité, les agriculteurs pouvaient les utiliser sans aucun problème sur leur propre exploitation. En revanche, en cas de commercialisation ou d'échange, il y avait aussitôt perception d'une taxe destinée à alimenter la recherche.
La Grande-Bretagne a voulu libéraliser totalement cette opération, ce qui a entraîné un effondrement total de la recherche génomique dans ce pays.
La « semence du grand-père », pour reprendre l'expression consacrée, peut-être utilisée pendant un cycle de trois ans au maximum. En effet, au bout de trois ans, elle a perdu son pouvoir germinatif. Par conséquent, dire que les agriculteurs peuvent toujours utiliser la semence ancestrale est une escroquerie intellectuelle, parce que, tous les trois ou quatre ans, ils sont obligés d'utiliser une nouvelle semence. Pendant ensuite trois ou quatre ans, bien évidemment, ils ont le droit, sans verser de taxe, d'utiliser la semence sur leur propre exploitation.
Le Sénat avait donc trouvé, à mon avis, un très bon équilibre, et il est dommage - je l'ai souvent dit - que l'Assemblée nationale ne se soit pas saisie de ce texte.
L'amendement suivant, n° 221, déposé par M. Jean-Marc Pastor, va nous permettre de revenir sur cette notion de brevetabilité. Soyons quand même attentifs à l'architecture qui est tout à fait stricte en la matière : pas de brevet, pas de recherche ; pas de recherche, pas d'innovation, et adieu l'avenir !
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, secrétaire d'État chargée de l'écologie. Nous sommes là sur deux sujets qui, s'ils sont complémentaires, ne sont pas exactement les mêmes.
Les agriculteurs du Sud utilisent les semences fermières essentiellement pour la culture vivrière. Dans certains pays, c'est l'essentiel de la culture. Mais ces agriculteurs, lorsqu'ils s'orientent vers des productions industrielles, des productions éventuellement destinées à l'exportation, à l'agroalimentaire, entrent en général dans des systèmes beaucoup plus organisés dans lesquels il ne s'agit plus de semences fermières. Ce passage d'une agriculture vivrière vers une agriculture industrielle est source de richesses dans certains cas, mais aussi source de problèmes dans d'autres. C'est l'une des questions qui est posée.
L'association Kokopelli produit des semences potagères, maraîchères mais, surtout, préserve des variétés anciennes et, à ce titre, contribue à la biodiversité. Pour la plupart, ces variétés-là n'ont pas vocation à être cultivées de manière commerciale. Il s'agit de conserver des variétés en état. Il est vrai que les graines perdent leur capacité germinative. Le stock a besoin d'être renouvelé. De ce point de vue, on peut considérer que l'association Kokopelli participe d'une certaine mission de service public, et il est certain que la condamnation prononcée - je ne porte bien sûr pas de jugement sur cette jurisprudence - pose problème.
M. le ministre d'État et moi-même travaillons, d'une part, sur la réaction de l'État à l'égard du problème que soulevait Marie-Christine Blandin et, d'autre part, sur d'éventuelles évolutions législatives qui permettraient de sortir de cette situation quelque peu absurde, qui n'est pas sans peiner le monde de l'environnement, de la biodiversité et de l'agriculture fermière.
M. le président. La parole est à M. Dominique Mortemousque, pour explication de vote.
M. Dominique Mortemousque. Ce débat m'inquiète quelque peu. En effet, comme M. le rapporteur l'a souligné tout à l'heure, la question des semences fermières se pose non seulement dans les pays émergents, mais également sur notre territoire. (MM. Jean-Marc Pastor et Daniel Raoul acquiescent.)
M. Gérard Le Cam. Exactement !
M. Dominique Mortemousque. Il existe une position extrêmement claire qui a été rappelée par Jean Bizet : les agriculteurs font ce qu'ils souhaitent en la matière. Si, ensuite, pendant des décennies, ils ne changent pas de variété, leurs rendements s'écroulent effectivement. Lorsqu'il y a transfert de semence fermière d'un agriculteur à l'autre, des taxes sont perçues parce que c'est tout un mécanisme qui se met en place pour alimenter la recherche.
Je ne pensais pas intervenir, mais j'ai l'impression qu'il est nécessaire de rappeler ces éléments de bon sens. Le but de ce débat est d'éclairer nos concitoyens. Si nous compliquons encore plus les choses, nous allons avoir du mal à nous en sortir. Le sujet est important, et j'étais moi-même intervenu voilà deux ans sur le sujet. Une réponse claire avait été apportée, que Jean Bizet vient de rappeler.
M. le président. L'amendement n° 221, présenté par MM. Pastor, Raoul, Dussaut et les membres du groupe Socialiste et apparentés, est ainsi libellé :
Avant l'article 1er, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I. - Dans l'article L. 611-17 du code de la propriété intellectuelle, après les mots : « bonnes moeurs » sont insérés les mots : « ou aurait pour objet l'appropriation du vivant ».
II. - Les 1° et 2° du I de l'article L. 611-19 du code de la propriété intellectuelle sont remplacés par un 1° ainsi rédigé :
« 1° Les races animales et variétés végétales telles que définies à l'article 5 du règlement CE n° 2100/94 du Conseil du 27 juin 1994, y compris les séquences totales ou partielles d'un gène prises en tant que telles. Seule une invention constituant l'application technique d'une fonction d'un élément de l'animal ou de la plante peut éventuellement être protégée. La demande de brevet donne lieu à un avis de la Haute autorité sur les organismes génétiquement modifiés et, s'il y a lieu, du Comité consultatif national d'éthique ; ».
La parole est à M. Daniel Raoul.
M. Daniel Raoul. Cet amendement s'inscrit dans le droit fil de mon intervention lors de la discussion générale. Il s'agit bien, en fait, de la brevetabilité du vivant en référence à la loi relative à la bioéthique de 2004.
Cet amendement vise, en premier lieu, à lutter contre l'appropriation du vivant et à interdire toute brevetabilité sur un gène, lequel, comme je vous l'ai indiqué tout à l'heure, fait partie du patrimoine commun de l'humanité. Cela relève aussi des principes incontournables qui ont été évoqués dans le Grenelle de l'environnement.
Seul le triptyque « organisme-gène-fonction » - ou plant-gêne-fonction, puisqu'il s'agit essentiellement des plantes - peut fonder une invention ou un brevet, encore qu'à ces termes je préférerais ceux de « certificat d'obtention végétale », comme je l'ai déjà dit dans la discussion générale.
Dans les biotechnologies, en effet, seule la technologie peut éventuellement être brevetable, et non pas simplement l'aspect de découverte des propriétés biologiques. Le seul fait de réussir à lire des séquences du génome ne suffit pas à considérer qu'il y a invention. Il peut certes y avoir une découverte, une avancée scientifique, mais elle fait partie du patrimoine commun scientifique.
En second lieu, l'amendement n° 221 tend à permettre que des organismes indépendants, comme le Comité consultatif national d'éthique créé dans la loi de 2004 ou la Haute autorité sur les OGM, puissent exprimer un avis éthique sur les inventions brevetables afin que l'intérêt sociétal de ces dernières soit pleinement évalué.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Jean Bizet, rapporteur. Ce débat ne nous est pas étranger puisque nous évoquons souvent cette question avec notre collègue Daniel Raoul.
La commission souscrit en partie aux arguments qu'il vient de développer, et elle serait disposée à discuter du seul I de cet amendement. En revanche, le II lui paraît beaucoup plus problématique.
Il me semble important de rappeler avec force à ce moment du débat que la brevetabilité du vivant n'existe pas. Les races animales et les variétés végétales ne sont absolument pas brevetables. N'est brevetable que le triptyque gène-fonction-application. Cela ne me choque pas du tout, car c'est précisément le résultat du travail et de l'investissement d'une entreprise.
Nous sommes très loin en la matière des premières approches qui ont eu lieu aux États-Unis, voilà une bonne dizaine d'années, avec le fameux arrêt Chakrabarti, où des brevets « chapeaux » coiffaient l'ensemble d'un génome.
Aujourd'hui, la situation est quand même bien circonscrite et, à mon avis, assez rationnalisée. Vous avez parlé du certificat d'obtention végétale : au même titre que le brevet, il participe d'une architecture de la propriété intellectuelle. À mon avis, il est tout à fait complémentaire du brevet et a une valeur aussi forte dans le cadre d'un éventuel contentieux.
Il existe une seule différence entre un brevet et un certificat d'obtention végétale : le second permet un échange d'informations scientifiques avant le stade de la commercialisation ; il favorise donc une plus grande transversalité. Mais, à partir du moment où l'on passe au stade de la commercialisation, il a la même valeur juridique que le brevet.
Le brevet date des années 1780, alors qu'une quarantaine ou une cinquantaine de pays seulement ont signé la convention de l'Union internationale pour la protection des obtentions végétales, l'UPOV, sur le certificat d'obtention végétale : j'imagine mal que l'on bouscule cette architecture. Sincèrement, je pense que nous sommes arrivés, au bout d'une dizaine d'années, à un équilibre assez rationnalisé sur cette notion de brevetabilité du vivant.
Je souhaite entendre l'avis du Gouvernement avant de me prononcer, même si je suis plutôt enclin à émettre un avis défavorable. Il faudra bien sûr continuer à réfléchir à la question, mais l'architecture d'ensemble du système est déjà bien campée.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Jean-Louis Borloo, ministre d'État. M. Daniel Raoul a évoqué la position assez constante adoptée par la France dans les instances internationales, s'agissant de ce qui est brevetable et de ce qui ne l'est pas.
Cela dit, la deuxième position française consiste à attirer l'attention sur le risque d'apparition d'un déséquilibre dans le domaine de la recherche et à défendre une position internationale sur cette question. Le Grenelle de l'environnement a demandé, à l'unanimité, l'organisation d'un sommet international - ou européen - du gène, au cours du second semestre 2008. Le Président de la République s'y est engagé ; nous avons évoqué cette question avec les Allemands hier après-midi, et il faut vraiment que nous avancions sur ce point.
L'adoption d'une position préalable par le législateur français serait de nature à compromettre la réussite de ce sommet. Je pense donc qu'il serait préférable de retirer cet amendement, de façon à permettre à cette opération d'aboutir.
M. le président. La parole est à M. Pierre Laffitte, pour explication de vote.
M. Pierre Laffitte. Sur le plan des principes, j'étais assez favorable à l'amendement n° 221. Mais, compte tenu de la préoccupation exprimée par M. le ministre d'État, préoccupation que je partage, et de l'engagement de ce dernier à organiser ce sommet international sur le gène, il me paraîtrait préférable que cet amendement soit retiré, tout en reconnaissant que, d'une certaine façon, il est accepté à terme !
M. le président. Monsieur Raoul, l'amendement n° 221 est-il maintenu ?
M. Daniel Raoul. Si j'ai bien compris les arguments de M. le rapporteur, c'est le II de l'amendement n° 221 qui pose problème. Compte tenu des explications de M. le ministre d'État, je rectifie donc mon amendement, sous la pression amicale de M. Bizet (Sourires.), afin de ne maintenir que le seul I.
Je ne pense pas que cet amendement ainsi rectifié puisse créer de difficultés au Gouvernement dans les discussions internationales.
M. le président. Je suis donc saisi d'un amendement n° 221 rectifié, présenté par MM. Pastor, Raoul, Dussaut et les membres du groupe Socialiste et apparentés, et ainsi libellé :
Avant l'article premier, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Dans l'article L. 611-17 du code de la propriété intellectuelle, après les mots : « bonnes moeurs » sont insérés les mots : « ou aurait pour objet l'appropriation du vivant ».
Quel est l'avis de la commission ?
M. Jean Bizet, rapporteur. Je dirai, avec tout le respect que je dois à mon collègue Daniel Raoul, que cet amendement, même rectifié, se résume à la formulation d'un voeu pieux.
Je veux bien rendre un avis de sagesse, mais cela ne débouchera sur rien !
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Jean-Louis Borloo, ministre d'État. Il me paraît essentiel que ce sommet international du gène puisse avoir lieu. Sur ce point, l'engagement du Gouvernement, dans le cadre du Grenelle de l'environnement, est parfaitement clair.
J'émets un avis de sagesse, mais je ne voudrais pas donner le sentiment, alors que la France va présider l'Union européenne et que le sommet est prévu au cours du second semestre de 2008, que nous anticipons sur notre position officielle.
M. Jean Desessard. Il n'y a plus de sagesse !
M. Gérard Le Cam. Ça en dit long...
M. Daniel Raoul. Oui, ça en dit long pour la suite !
Article 1er
Dans le chapitre Ier du titre III du livre V du code de l'environnement est inséré un article L. 531-1-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 531-1-1. - Les organismes génétiquement modifiés ne peuvent être cultivés, commercialisés ou utilisés que dans le respect de l'environnement et de la santé publique.
« Les décisions d'autorisation concernant les organismes génétiquement modifiés ne peuvent intervenir qu'après une évaluation préalable des risques pour l'environnement et la santé publique.
« La liberté de consommer et de produire avec ou sans organisme génétiquement modifié est garantie dans le respect des principes de précaution, de prévention, d'information et de responsabilité inscrits dans la charte de l'environnement. »
M. le président. La parole est à Mme Marie-Christine Blandin, sur l'article.
Mme Marie-Christine Blandin. Quand l'article 1er` sera modifié et voté, les Français sauront à quoi s'en tenir.
La phrase affirmant que « la liberté de consommer et de produire avec ou sans organisme génétiquement modifié est garantie » ne répond ni aux attentes de l'Europe, ni à celles des consommateurs, ni aux règles de prévention, ni au principe de précaution.
Cette phrase est une illusion sémantique, c'est un oxymore, figure de style associant l'inconciliable. Il est matériellement impossible de garantir la sauvegarde des cultures traditionnelles sans OGM si, en même temps, on garantit l'existence d'OGM en plein champ ! Contamination, ou présence fortuite, tout le monde est d'accord : le vivant génétiquement modifié se répand.
La liberté d'entreprendre repose sur l'article IV de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen : « La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui ».
La loi encadre la libre entreprise : on installe des antennes relais, sauf sur les écoles et les hôpitaux ; les laboratoires fabriquent des vaccins contre la grippe, mais en zone confinée. Donc, les OGM ne doivent pas se disséminer.
La loi doit protéger les victimes potentielles : l'agriculteur biologique, dont les cultures ne peuvent coexister avec des cultures modifiées ; les consommateurs, qui ne veulent pas d'aliments avec OGM dans leur assiette - selon un sondage IFOP sur la suspension du maïs Monsanto 810, 77 % des Français approuvent cette mesure ; selon un sondage CSA, 72 % des Français veulent pouvoir consommer des aliments sans OGM.
Enfin, la loi veille à la cohérence de l'action publique : après l'engagement en faveur de repas biologiques dans les cantines, on ne va quand même pas saboter les exploitations qui produisent ces aliments chez nous, pour les importer d'ailleurs ; après le soutien de la France à ses agriculteurs, on ne va pas leur compliquer la tâche !
Mais supposons que les OGM ne soient ni mauvais pour la santé ni perturbateurs des milieux : nous pourrions nous laisser aller à considérer que cette innovation sonne le glas des secteurs obsolètes, tout comme les ordinateurs ont relégué au musée les machines à écrire.
M. Dominique Braye. Absolument !
Mme Marie-Christine Blandin. La grande différence est que cette mutation est réversible : qu'un gigantesque orage magnétique ruine le numérique, nous retrouverons les anciens savoir-faire.
La dissémination des ADN modifiés est, quant à elle, non maîtrisable, irréversible et dupliquable. Elle percute la diversité biologique actuelle, notre bien commun, héritage naturel des aléas de l'évolution et de milliers de civilisations rurales. Cette diversité est adossée à un facteur irremplaçable : le temps, et des milliards d'essais et d'erreurs. Ce bien commun ne peut-être hypothéqué par quelques fabricants avides, aux dépens des générations futures.
Après avoir argumenté sur le fond, je souhaite vous alerter sur la forme.
Contre l'illusoire « avec et sans », nous avons un amendement « liberté sans » et l'amendement du rapporteur « liberté avec ». Un parlementaire distrait mais soucieux de construire une décision équilibrée pourrait se laisser abuser et croire que le bon équilibre est celui du texte « avec ou sans ». Heureusement, aucun sénateur ne suivrait aveuglément son rapporteur, fût-il aussi assidu et compétent que M. Bizet !
Je vous alerte sur les pages 18 et 19 du rapport. On y évoque une société française « tiraillée entre risque et progrès ». Non, monsieur Bizet, ces notions ne s'opposent pas, sauf à considérer que le progrès est nécessairement aveugle ou au service des seuls semenciers ! Le vrai progrès gère le risque, et il est au service de l'homme.
Plus loin, le rapport indique ceci : « Comment affirmer [...] la liberté de ne pas consommer d'OGM quand plus de 60% des nouveaux médicaments sont liés aux biotechnologies ? » Voilà un amalgame instructif, qui confond consommation d'aliments et consommation de médicaments - nous avons d'ailleurs deux agences distinctes, l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments, l'AFSSA, et l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé, l'AFFSSAPS. Mais surtout, une telle affirmation assimile subrepticement OGM et biotechnologies. Or, il existe heureusement des milliers d'innovations utiles en biotechnologie, à commencer par les yaourts, qui ne sont pas des OGM. Ces 60 % ne peuvent donc être mis au crédit des OGM !
Je terminerai avec l'argumentaire figurant à la page 19 du rapport et introduisant l'amendement n° 3, que nous allons examiner dans quelques instants, amendement « visant à tenir compte de l'usage très répandu des OGM dans l'industrie pharmaceutique, qui empêche de pouvoir garantir dès à présent la liberté de consommer des médicaments ou des vaccins sans OGM ».
Qui ne suivrait une telle défense de la science au service de la santé ? Le problème est que cet amendement, sous couvert de défense médicale, prive au passage le malade d'information et de choix.
Quant à la fin de sa proposition - le droit de ne pas produire d'OGM -, le rapporteur est vraiment trop bon ! Cette magnanimité pour ceux qui ne passeraient pas sous les fourches caudines des OGM va beaucoup faire rire à Bruxelles, mais ne répond en rien au problème de la non-contamination.
J'appelle donc chacun à reprendre la main et à construire sa propre opinion, car l'amendement n° 3 conduirait, si nous n'y prenions garde, à dérouler le tapis rouge aux multinationales semencières aux dépens de notre agriculture, de notre assiette et des générations futures. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. Jean Desessard. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Jacques Muller, sur l'article.
M. Jacques Muller. Si les impacts des OGM sur l'environnement, l'alimentation et la santé ne sont pas encore bien connus, les conséquences économiques d'un profond changement de cap de notre agriculture en direction des OGM sont, en revanche, bien appréhendées. Ces conséquences sont considérables, que ce soit en termes d'emplois, de commerce extérieur ou d'aménagement durable du territoire.
À cet égard, je relève dans le rapport de M. Bizet cette curieuse affirmation selon laquelle « ne pas introduire des cultures OGM en France serait se priver du moyen de réduire notre dépendance en protéines végétales ».
Si M. le rapporteur fait allusion au soja OGM importé, il est manifestement hors sujet, parce que c'est l'Union européenne, et non pas la France, qui délivre les autorisations. Jusqu'à nouvel ordre - et heureusement pour nos nappes phréatiques ! -, le soja OGM résistant au Roundup fabriqué par le semencier Monsanto n'a toujours pas droit de cité en Europe.
Si le rapport de M. Bizet fait référence au fameux MON 810 actuellement autorisé, et pour lequel la France vient de faire jouer, à juste titre, la clause de sauvegarde, l'agronome que je suis vous fera remarquer que c'est une erreur scientifique, parce que le maïs est riche en amidon mais très pauvre en protéines.
Favoriser le développement des cultures de maïs OGM à destination de l'alimentation animale, c'est non pas réduire mais, au contraire, creuser encore plus le déficit abyssal actuel en protéines, c'est accentuer mécaniquement ces importations de soja qui plombent déjà notre commerce extérieur agroalimentaire. Les agroéconomistes connaissent d'ailleurs ce phénomène depuis longtemps : ce dernier a commencé il y a une trentaine d'années, lorsque nos vaches laitières ont vu changer leur ration alimentaire, passant de l'herbe des prairies, bonnes pour l'environnement, au mélange du maïs produit sur l'exploitation et du soja OGM importé.
Alors, revenons à l'essentiel : sur le long terme, à l'expérience, les produits sans OGM sont mieux valorisés sur les marchés.
S'agissant du maïs, même s'il peut exister ponctuellement des phénomènes de marchés locaux - l'Association générale des producteurs de maïs, l'AGPM, s'est évertuée à les mettre en exergue lors des auditions du groupe de travail OGM au Sénat -, les résultats sont clairs et nets : les cours du maïs OGM sur le marché mondial décrochent structurellement par rapport au maïs sans OGM. En 2007, le maïs OGM perdait 50 euros par tonne, en tendance.
Aujourd'hui, ce phénomène profite d'abord aux producteurs de maïs européens, qui voient les prix tirés vers le haut, à concurrence de 20 % à 30 % au-dessus du cours moyen mondial...
Cependant, il faudrait tout de même prendre conscience du fait que, à moyen terme, la banalisation des cultures de maïs OGM en France et en Europe placerait nos producteurs en concurrence directe avec ceux de pays disposant d'immenses structures, qui font par conséquent des économies d'échelle et pratiquent une agriculture industrielle à base d'OGM. Sans conteste, nos céréaliers seraient à terme perdants.
Très clairement, la focalisation de certains sur les avantages et le confort technique apportés par le MON 810 relève d'une approche à court terme au regard du danger commercial d'un basculement dans une agriculture recourant aux OGM.
C'est pourquoi, dans certaines régions, notamment en Alsace, le choix économique et stratégique du « sans OGM » a fini par s'imposer de lui-même, à l'expérience, au sein de la profession.
Cela étant, on ne s'étonnera pas du lobbying en faveur des OGM exercé par l'Association nationale des industries alimentaires, l'ANIA, lors des auditions. Chacun aura compris que les acheteurs de céréales destinées à l'alimentation sont évidemment preneurs d'une baisse des prix du maïs et, plus largement, des autres céréales.
Par ailleurs, je soulignerai que nous ne légiférons pas uniquement pour le maïs. Nous sommes invités à élargir notre vision pour adopter des dispositions globales qui traceront le cadre de la diffusion des OGM dans l'agriculture française. Nous devons donc être conscients des enjeux : nous ne pouvons pas nous permettre de mettre en difficulté notre agriculture de terroir, productrice de biens transformés à haute valeur ajoutée, porteurs de signes de qualité et, par conséquent, identifiés « sans OGM » par les consommateurs. Le poids économique considérable de cette agriculture doit être rappelé.
Hors viticulture sous appellations d'origine contrôlée, secteur dont nous connaissons l'importance dans l'économie française et dans l'aménagement durable du territoire puisqu'il représente quelque 190 000 emplois et dégage le plus gros excédent commercial agroalimentaire, avec plus de 5 milliards d'euros, soit une fois et demie l'excédent céréalier, l'agriculture de qualité continue de se développer. Appellations d'origine contrôlée, labels rouges, certifications biologiques, certificats de conformité : ce sont quelque 630 signes de qualité qui distinguent des produits à haute valeur ajoutée « pesant » aujourd'hui environ 6 milliards d'euros.
Ces produits, outre le fait que leur exportation mériterait d'être développée, répondent à une demande intérieure croissante, celle de produits porteurs d'une image de qualité et d'authenticité.
Le dénominateur commun de toutes ces appellations, c'est le « sans OGM », c'est-à-dire la production sans manipulations technologiques perçues par les consommateurs comme incompatibles avec les valeurs de qualité, d'authenticité ou de nature. Que l'on soit intellectuellement d'accord ou non avec ces considérations, c'est tout simplement une réalité économique.
M. le président. Veuillez conclure, monsieur Muller.
M. Jacques Muller. Je conclus, monsieur le président.
L'agriculture biologique ne représente qu'une partie de cette agriculture sans OGM attendue par les consommateurs, mais elle dispose d'un potentiel de développement considérable, puisque le Grenelle de l'environnement a fixé un objectif de 20 % d'aliments bio dans l'approvisionnement des cantines. En France, cette agriculture biologique ne correspond qu'à 2 % de la surface agricole utile, c'est-à-dire six fois moins qu'en Autriche.
Mme Évelyne Didier. Et on importe !
M. Jacques Muller. En effet, on importe à tour de bras des produits bio.
M. le président. Vous aviez déjà dépassé votre temps de parole tout à l'heure ! Vous n'allez pas le faire à chaque fois ! Il faut respecter le règlement !
M. Dominique Braye. Absolument !
M. Jacques Muller. J'en termine, monsieur le président !
Bloquer le développement de l'agriculture biologique en laissant les OGM envahir nos campagnes reviendrait à aggraver d'année en année le déficit commercial en produits biologiques que nous connaissons déjà. Dans la compétition agroalimentaire mondiale, sachons donc jouer de nos atouts. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. Je rappelle au Sénat que les orateurs doivent respecter le règlement et s'en tenir au temps de parole qui leur est imparti. Tout à l'heure, lors de la discussion générale, vous aviez déjà dépassé de 50 % votre temps de parole, monsieur Muller. J'aurais dû vous interrompre. Or vous venez de recommencer ; mais je ne laisserai pas faire une troisième fois !
La parole est à M. Gérard Le Cam, sur l'article.
M. Gérard Le Cam. Ce projet de loi est à l'image des déclarations contradictoires et peu claires du Gouvernement et du Président de la République.
L'article 1er pose les vertueux principes qui devraient encadrer la production, la commercialisation et la culture d'organismes génétiquement modifiés. Les autres dispositions visent à entériner la possibilité de mettre en place des cultures en plein champ, au prix des dommages inévitables qui en résulteront.
Dans le cadre du Grenelle de l'environnement, M. Borloo a joué l'apaisement sur le sujet des plantes transgéniques, en annonçant un gel de la commercialisation des semences d'OGM, tout en autorisant la poursuite des recherches en laboratoire. Le Président de la République a justifié l'activation de la clause de sauvegarde contre le maïs MON 810 en soulignant que ne pas prendre cette décision controversée eût été « choquant » au regard des orientations du Grenelle de l'environnement.
Pourtant, le président de la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles, la FNSEA, tout en se déclarant extrêmement surpris et choqué par la décision du Gouvernement, s'est trouvé rassuré après son entretien avec Nicolas Sarkozy.
La cour intrigue ; on ne sait plus très bien où l'on va. Une dépêche de l'Agence France-presse diffusée cet après-midi a encore semé le trouble : elle indique en effet que « c'est le service gouvernemental des affaires européennes, qui dépend de Matignon, qui invoquera à Bruxelles des ?mesures d'urgence?, et non pas la ?clause de sauvegarde?, comme cela avait été évoqué par les responsables gouvernementaux jusqu'à présent, pour interdire provisoirement la culture ou la vente d'un OGM autorisé dans l'Union européenne, comme c'est le cas du MON 810, en invoquant un risque pour la santé publique ou l'environnement ».
Je voudrais que les choses soient clarifiées. La Commission européenne ne va pas répondre tout de suite à la demande de la France. Le ministère de l'agriculture et de la pêche devrait prendre un arrêté interdisant la culture d'organismes génétiquement modifiés, mais les producteurs de maïs ont déjà annoncé leur intention d'attaquer ce texte, avant même sa parution. Dans un article paru dans Les Échos du 1er février 2008, Monsanto, à propos de la suspension de l'autorisation du maïs MON 810, dénonçait une décision susceptible de causer un préjudice grave et immédiat à l'entreprise ainsi qu'à tous les acteurs de la filière.
Mes questions sont simples : comment les pouvoirs publics peuvent-ils assurer que les producteurs de maïs respecteront l'interdiction que devrait poser le décret ? Que se passerait-il si le Conseil d'État décidait de suspendre l'application du décret à la suite de référés ? Êtes-vous en mesure, monsieur le ministre, de vous engager à faire respecter, dans l'attente de la décision européenne, cette interdiction ?
À moins que le Gouvernement ne choisisse de retirer sa clause de sauvegarde avant le 15 avril - époque des semis -, car tout indique dans le pays que le maïs MON 810 va être semé ! En effet, tout est prêt : les semences, un cadre juridique incertain, et la loi en cours d'élaboration qui sera votée avant cette date. Tout cela alimente des inquiétudes à mon avis tout à fait justifiées.