M. Yannick Bodin. Il n'y a pas eu de cris !
Mme Colette Mélot. Il est tout de même cocasse de voir les socialistes s'arroger le monopole de la laïcité au vu de leur attitude passée.
M. Yannick Bodin. Tous les maires protestent !
Mme Colette Mélot. Je crois me souvenir qu'en 1989 le ministre de l'éducation nationale de l'époque avait courageusement laissé le soin au Conseil d'État de trancher, à la place du gouvernement, la première affaire du foulard islamique et ainsi laissé le champ libre aux vrais ennemis de la laïcité.
Je crois également me souvenir que c'est notre majorité qui, en votant la loi du 15 mars 2004 sur les signes religieux, a permis de remettre de l'ordre en garantissant la laïcité dans les écoles publiques.
Si la laïcité est un principe républicain que nous respectons tous ici, l'égalité inscrite au fronton de toutes nos mairies lui est supérieure, et c'est l'égalité de traitement entre les élèves du public et du privé que nous défendons avant tout.
Voilà pourquoi, mes chers collègues, le groupe UMP suivra la position de la commission des affaires culturelles et de son rapporteur. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Brigitte Gonthier-Maurin.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'article 89 de la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales, en étendant aux écoles privées sous contrat d'association l'obligation de participation des communes au financement de la scolarité d'un enfant dans une autre commune, introduit de fait une véritable différence de traitement entre écoles publiques et privées.
En effet, une commune peut refuser d'assumer les frais de fonctionnement liés à la scolarisation de l'un de ses enfants dans une école publique située hors de son territoire. Elle ne le peut pas si l'enfant est scolarisé dans une école privée, et ce même si les écoles, publiques ou privées, qui se trouvent sur son territoire peuvent l'accueillir.
Cette disposition risque donc de fragiliser l'école publique. Un tel argument avait déjà été défendu par mon groupe en 2004, par le biais d'un amendement de suppression de l'article 89. À l'époque, nous avions également souligné les risques d'accroissement difficilement maîtrisables des dépenses des communes, de déstabilisation de la carte scolaire et de perte de pouvoir du maire, qui a pris, devant ses électeurs, un certain nombre d'engagements.
Nous avions raison, car, en 2006, des associations ont déposé un recours devant le Conseil d'État, lequel a annulé la circulaire du ministre de l'éducation nationale. C'est dans ce cadre que le groupe CRC avait déposé une proposition de loi visant à abroger l'article 89. Vous l'avez souligné, ma collègue Annie David avait alors conduit un travail d'auditions très poussé.
M. Jacques Valade, président de la commission des affaires culturelles. Un très bon travail !
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Le dernier débat budgétaire a vu resurgir cette question, sous l'impulsion de mon groupe, qui a déposé des amendements en ce sens. À chaque fois, une fin de non-recevoir nous a été opposée, par le biais d'arguments techniques destinés, en fait, à esquiver la discussion. Je me réjouis donc aujourd'hui de la tenue de ce débat.
Car chacun sait bien ici que rien n'est réglé, la situation des communes étant en effet très complexe. M. Arthuis l'a d'ailleurs souligné, en considérant que ce dispositif « impose une double peine aux communes vertueuses ».
Comment, en effet, justifier auprès des communes cette dépense imposée ? Je pense notamment aux communes rurales ou à petit budget, qui font des efforts pour maintenir sur leur territoire une école publique, afin d'assurer la scolarisation de tous les enfants. Comment, dès lors, prévoir des investissements à plus long terme ?
L'argument financier n'est effectivement pas négligeable : des associations ont estimé que cette mesure pourrait coûter de 132 à 400 millions d'euros aux communes, en fonction du montant du forfait communal par élève et du nombre d'élèves concernés.
Ce surcoût est préjudiciable à l'école publique. L'article 89 constitue ainsi un verrou supplémentaire à la création d'écoles publiques et risque donc finalement de mettre en danger le maintien et le développement de l'enseignement public.
Il faut rappeler une réalité : en France, 12 000 communes ne disposent plus d'école communale et 28 % des écoles ont deux classes au plus. Nous savons par ailleurs que la situation ne va pas en s'arrangeant.
L'école privée sous contrat scolarise plus de 2 millions d'élèves, soit un élève sur six. Les établissements qu'elle regroupe sont confessionnels pour 90 % d'entre eux. Rappelons qu'elle dispose déjà de moyens importants, avec un personnel enseignant formé et payé par l'État. Elle n'est cependant pas soumise aux mêmes obligations que l'école publique, qui garantit seule la proximité avec la population, la non-sélection des élèves, le respect des principes de neutralité, de gratuité et de laïcité.
Au demeurant, l'article 89 - c'est une autre source d'inquiétude - n'est pas sans incidence sur les prérogatives du maire.
Si des parents veulent scolariser leur enfant dans une école publique située hors de leur commune, ils doivent obtenir l'accord préalable du maire, faute de quoi la commune de résidence n'aura pas à payer de contribution.
À l'inverse, aucune demande de dérogation auprès du maire n'est nécessaire si les parents veulent scolariser leur enfant dans une école privée située hors de leur commune. Dans ce cas, le maire est contraint de payer.
Or, je le rappelle, toute dépense doit résulter d'une délibération en conseil municipal. Avec le dispositif que je viens d'évoquer, la dépense est imposée au maire a posteriori. C'est, de fait, une perte de contrôle de la gestion de la dépense communale, ce qui est contraire au principe de libre administration des collectivités territoriales fixé par l'article 72-2 de la Constitution.
M. Gérard Le Cam. Très bien !
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Pourtant, je rappelle que, avant l'adoption de l'article 89, rien n'interdisait à un maire qui le souhaitait de prendre en charge ce type de coût, avec l'accord de son conseil municipal. L'article 89 - c'est la principale différence - rend ce financement obligatoire, sans aucune concertation entre le maire et les parents.
Que l'on ne m'oppose pas ici l'argument du libre choix ! En effet, le libre choix, c'est celui de donner le droit à chaque enfant de pouvoir accéder à une école laïque, gratuite, de proximité, sur tout le territoire. Autre chose est la décision souveraine de parents de faire le choix, parfaitement respectable, de l'école privée.
Parler de libre choix, ce serait aussi parler de règles partagées par tous les établissements. Or, je l'ai déjà dit, les établissements privés ne sont pas soumis aux mêmes contraintes que l'école publique. Quid, dès lors, de la laïcité fondatrice de l'école de la République ?
Et permettez-moi de dire, après d'autres, que, sur ce sujet, les récentes déclarations du chef de l'État à Rome et à Riyad avivent mes craintes.
Quelle est donc la meilleure solution ? Certainement pas le statu quo que vous proposez, monsieur le rapporteur, en prétextant que la nouvelle circulaire du 27 août 2007, signée conjointement par les ministères de l'éducation nationale et de l'intérieur, aurait tout réglé, apaisant la situation...
Ce n'est pas l'avis de très nombreux maires, de gauche comme de droite. C'est le cas, notamment, dans mon département, les Hauts-de-Seine. Je crois savoir que c'est également le cas en Dordogne, votre département, monsieur le ministre, où la position de l'Association des maires ruraux de France, l'AMRF, est partagée. L'AMRF, qui a déposé un recours devant le Conseil d'État après la publication de la deuxième circulaire, appelle toujours les maires ruraux à ne pas payer les factures qui leur seront présentées par les écoles privées.
Comme vous l'avez rappelé, monsieur le rapporteur, le nombre de contentieux est faible. Et pour cause : les factures ne sont pas encore arrivées ! En revanche, à ma connaissance, les délibérations de conseils municipaux qui refusent de payer se comptent par centaines.
Permettez-moi aussi de reprendre, monsieur le rapporteur, un argument que vous avez avancé en commission des affaires culturelles, et selon lequel un « compromis juridiquement fondé et politiquement équilibré » aurait été trouvé.
Faites-vous référence à la rencontre du 16 mai 2006 entre le secrétaire général de l'enseignement catholique et le président de l'Association des maires de France, menée sous le patronage de Nicolas Sarkozy, alors ministre de l'intérieur ? Le relevé de conclusions de cette rencontre précise que le financement prévu à l'article 89 est rendu obligatoire si la commune de résidence est, aux termes du paragraphe 3 de ce relevé, « dépourvue de capacité d'accueil dans ses établissements scolaires ».
Dans le cas inverse, c'est le flou, car les deux parties précitées n'ont tout simplement pas trouvé de compromis, des divergences d'interprétation étant apparues.
On est donc loin d'un compromis, d'un cadre juridiquement fondé, d'un équilibre politique, d'un climat apaisé et d'une situation dans laquelle il serait urgent d'attendre. La question est loin d'être réglée et notre travail d'aujourd'hui est, de mon point de vue, parfaitement fondé.
À mon sens, l'abrogation de l'article 89 est la seule voie de sagesse pour l'instant, a fortiori si nous nous dirigeons vers le modèle d'école décrit par la commission Attali dans son rapport : une école sans carte scolaire, transformée en « supermarché », pour laquelle les parents disposeront d'un chèque-école utilisable dans tous les établissements, publics comme privés sous contrat d'association.
La généralisation du principe d'autonomie des établissements fixé par le Président de la République dans sa lettre de mission, repris par la commission Attali et, ce matin même, par la commission Pochard, associée à la suppression de la carte scolaire prend alors tout son sens et explique votre dérobade sur l'article 89.
Cette mesure prend sa place, en réalité, dans un tout cohérent qui n'aura plus grand-chose à voir avec notre école publique gratuite, laïque, d'égal accès pour tous et toutes sur le territoire. Il s'agit d'installer l'école dans une autre société, celle du chacun pour soi.
J'achèverai mon propos en réaffirmant que les sénateurs du groupe CRC partagent la préoccupation des milliers d'élus locaux opposés à la mise en oeuvre de l'article 89. C'est la raison pour laquelle ils soutiendront son abrogation. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Yves Détraigne.
M. Yves Détraigne. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je suis conscient que la question du financement des écoles privées est un sujet sensible dans notre pays et qu'il faut peu de choses pour ranimer les passions.
Je comprends donc que la commission ait émis un avis défavorable sur la proposition de loi qui tend purement et simplement à revenir à la situation antérieure à celle qui a été créée - involontairement, du reste, en ce qui concerne son auteur - par l'article 89 de la loi du 13 août 2004.
Je pense d'ailleurs que ce serait une erreur de revenir à l'ancien système, car il était inéquitable. Pourquoi une commune, siège d'un établissement privé, devait-elle payer pour la scolarisation de ses enfants dans cet établissement, alors qu'une commune voisine pouvait tout tranquillement, et sans dépenser un centime, envoyer ses propres enfants dans cette même école ? C'est d'ailleurs pour cette raison que M. Charasse avait présenté un amendement qui est devenu l'article 89 de la loi du 13 août 2004.
Si l'article 89 a évidemment répondu aux souhaits des responsables des établissements privés au-delà de ce qu'ils espéraient et s'il y a peu de contentieux publics sur ce sujet, comme cela vient d'être rappelé par plusieurs orateurs, il n'en reste pas moins vrai que l'on est passé d'un excès à l'autre.
Autant il était contestable qu'une commune de résidence soit totalement - et quelles que soient les circonstances - dispensée de participer au financement de la scolarisation d'un de ses enfants dans une école privée d'une commune voisine, autant il est inéquitable - voire risqué pour le maintien de son école publique - qu'une commune de résidence soit obligée de participer au financement de la scolarité d'un de ses enfants dans l'école privée d'une commune voisine, quelles que soient, là encore, les circonstances. Or c'est la situation qui prévaut actuellement.
Il faut bien comprendre que cette situation d'obligation, sans nuance, peut conduire à vider l'école publique d'une petite commune au profit de l'école privée d'une commune voisine,...
M. Jacques Valade, président de la commission des affaires culturelles. Oui, c'est le problème !
M. Yves Détraigne. ...avec cependant le maintien de l'obligation pour le maire, qui aurait de ce fait une école publique menacée de fermeture, de financer en quelque sorte la fuite de ses élèves vers l'école privée voisine.
M. Jacques Valade, président de la commission des affaires culturelles. Exactement !
M. Yves Détraigne. C'est tout de même « abracadabrantesque », comme aurait dit quelqu'un !
En clair, le maire de la commune de résidence peut être aujourd'hui tenu de financer l'école privée qui menace le maintien de son école publique qu'il a, par ailleurs, obligation de maintenir. Bref, on marche sur la tête !
Le législateur, dans sa sagesse, ne s'y est d'ailleurs pas trompé en veillant, dans le texte même du code de l'éducation, à ce que le financement de la scolarisation d'un enfant dans l'école publique d'une commune autre que celle de sa résidence soit parfaitement encadré.
C'est ainsi que, dans le souci d'éviter l'effet paradoxal que j'évoquais précédemment, l'article L. 212-8 du code de l'éducation prévoit que la commune de résidence n'est tenue de participer au financement de la scolarisation d'un de ses enfants dans l'école publique d'une autre commune que dans le cas où cette scolarité est liée aux obligations professionnelles des parents et où leur commune de résidence n'assure pas directement ou indirectement la restauration et la garde des enfants, dans le cas où il y a déjà inscription d'un frère ou d'une soeur dans l'établissement scolaire extérieur, ou encore pour des raisons médicales, ce qui a été également rappelé par d'autres intervenants.
la solution équitable, la seule qui préserverait le libre choix des parents entre le public et le privé sans faire payer deux fois la commune de résidence, une fois pour l'école publique qu'elle est tenue de proposer et une seconde fois pour l'école privée qui viendrait concurrencer son école publique, c'est d'appliquer ces mêmes critères.
C'est d'ailleurs ce que prévoit l'accord conclu en mai 2006 entre l'Association des maires de France, le secrétariat général de l'enseignement catholique et les ministères de l'intérieur et de l'éducation nationale.
Selon cet accord - mais ce n'est qu'un accord, et non pas une loi -, les communes qui peuvent accueillir l'élève dans leur école publique n'ont pas l'obligation de participer au financement de la scolarisation d'un élève dans une école privée extérieure, sauf si l'inscription de cet élève dans une école extérieure a d'abord donné lieu à un accord du maire et est justifiée par l'un des trois cas dérogatoires que j'ai mentionnés - frère ou soeur déjà scolarisés dans cette commune extérieure, raisons de santé, ou activité professionnelle des parents lorsque la commune de résidence n'offre pas de service de garderie ou de cantine.
C'est clair, sauf que ce n'est pas ce que dit l'article 89 actuellement en vigueur et que si le refus d'un maire de financer la scolarisation d'un enfant de sa commune dans un établissement privé extérieur se réfère aux exceptions prévues par cet accord, ce refus ne résistera pas, en cas de contentieux, au verdict de la juridiction administrative, qui constatera inévitablement que ces exceptions ne sont pas prévues par la loi pour l'enseignement privé. Sur ce point, je ne partage donc pas l'optimisme tranquille et qui se veut rassurant de notre rapporteur Jean-Claude Carle.
Voilà pourquoi je pense que, pour régler définitivement et équitablement ce problème, il faut inscrire dans la loi le compromis raisonnable et de bon sens qu'ont su conclure, en mai 2006, les représentants des maires, de l'enseignement catholique et des ministères concernés.
La proposition de loi que j'ai déposée en mars 2006, avant la conclusion de cet accord, va dans ce sens. Elle n'est certainement pas parfaite, elle nécessite sans doute des aménagements, notamment pour tenir compte du fait que l'école privée participe à l'offre scolaire dans la commune où elle est implantée, au même titre que l'école publique de ladite commune, et que, en l'occurrence, le financement communal doit être bien évidemment le même quelle que soit l'école fréquentée.
En tout état de cause, c'est en rétablissant explicitement l'équité, comme ma proposition de loi le prévoit, que nous éviterons la situation contestable et contestée dans laquelle nous sommes.
J'espère donc bien que, dans les prochains mois, nous pourrons, sur cette base, régler définitivement la question du financement, par la commune de résidence, de la scolarisation d'un enfant dans une école privée extérieure à cette commune. À moins bien sûr que, comme notre rapporteur l'espère, le Conseil d'État ne confirme entre-temps l'interprétation qu'il a cru pouvoir donner au texte actuel de l'article 89.
M. le président. La parole est à M. Michel Teston.
M. Michel Teston. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ayant le redoutable honneur d'être le dernier intervenant dans la discussion générale, je m'efforcerai d'être bref.
L'article 89 de la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales dispose que « les trois premiers alinéas de l'article L. 212-8 du code de l'éducation sont applicables pour le calcul des contributions des communes aux dépenses obligatoires concernant les classes des écoles privées sous contrat d'association ».
Ainsi, les communes où il n'y a pas d'école privée sous contrat d'association doivent financer la scolarisation d'un enfant résidant sur leur territoire et fréquentant une école privée sous contrat dans une autre commune.
Cet article est issu d'un amendement sénatorial alors défendu par notre collègue Michel Charasse, amendement dont l'objectif était d'éviter que certaines municipalités ne disposant plus d'une école publique incitent les parents à scolariser leurs enfants dans les écoles privées des communes voisines. En effet, dans ce cas, la totalité des frais de scolarisation des enfants, y compris des non-résidents, était jusqu'alors à la charge de la commune d'accueil.
M. Michel Charasse. C'est exact !
M. Michel Teston. Or le texte de l'amendement présenté lors de la séance du 1er juillet 2004 n'a pas traduit correctement l'objectif visé par son auteur.
Cet amendement, adopté tel quel, est devenu un article de loi de portée générale, dont la principale conséquence est d'introduire des disparités de traitement entre les communes de résidence quand un enfant est scolarisé dans une commune voisine, ce qui est une situation fréquente : lorsque l'école est publique et hormis les cas prévus au dernier alinéa de l'article L. 212-8 du code de l'éducation, le maire de la commune de résidence peut refuser son accord et, dans cette hypothèse, sa commune ne participe pas financièrement. En revanche, s'il s'agit d'une école privée, le maire de la commune de résidence n'est même pas consulté et les frais de scolarisation sont imputés à sa commune, même si cette dernière peut accueillir l'élève dans le ou les établissements d'enseignement publics de son territoire.
Outre le fait qu'il remet en cause fondamentalement les équilibres de financement entre les écoles publiques et les établissements privés d'enseignement - aspect essentiel sur lequel Jean-Marc Todeschini et Yannick Bodin ont bien mis l'accent -, ce texte risque de ruiner les politiques volontaristes menées par de nombreux élus pour maintenir un service public de qualité sur le territoire de leur commune et de contribuer à la disparition de nombreuses écoles publiques, avec des conséquences particulièrement dommageables dans les zones rurales.
De surcroît, - cela a été dit - la commune de résidence se voit imposer de nouvelles charges qui s'ajoutent aux dépenses lui incombant pour le fonctionnement de sa ou de ses propres écoles publiques.
Monsieur le ministre, je vous avais interrogé à ce sujet lors d'une séance de questions orales en octobre 2007.
Constatant que le Gouvernement n'entendait pas déposer un projet de loi pour modifier ou abroger cet article, le groupe socialiste a décidé de déposer une proposition de loi.
Plusieurs voies s'offraient à nous pour trouver une solution.
Une première voie possible, que Michel Charasse avait d'ailleurs proposée lors de l'examen d'un autre texte, à ma connaissance, à l'automne 2005,...
M. Michel Charasse. Oui !
M. Michel Teston. ...consistait à compléter l'article 89 par un alinéa ainsi rédigé : « Les dispositions du présent article ne sont applicables qu'aux communes n'ayant pas, ou plus, d'école publique. ».
La deuxième voie possible visait à modifier l'article 89 en précisant que tous les alinéas de l'article L. 212-8 du code de l'éducation sont applicables, et non pas seulement les trois premiers comme le prévoit l'article 89.
La troisième voie possible était l'abrogation pure et simple de l'article 89.
Le groupe socialiste a retenu la solution de l'abrogation, qui n'empêche nullement, mes chers collègues, le financement des écoles privées sous contrat, en application de la loi Debré de 1959, en cas d'accord intervenu - et de tels accords sont nombreux - entre la commune de résidence et la commune d'accueil.
Dès lors, quelle appréciation pouvons-nous porter sur l'avis émis par la commission des affaires culturelles, selon lequel la mise en oeuvre des dispositions de l'article 89 se fait dans un climat de relative sérénité ? Nous le jugeons particulièrement inexact.
La commission considère qu'il n'est pas utile de modifier la législation et elle propose donc le rejet de notre proposition de loi.
M. Jacques Valade, président de la commission des affaires culturelles. Exactement !
M. Michel Teston. Vous vous doutez bien, monsieur le président de la commission des affaires culturelles, monsieur le rapporteur, que notre groupe ne partage pas du tout cette analyse et qu'il se prononcera contre les conclusions négatives que vous avez formulées.
M. Jacques Valade, président de la commission des affaires culturelles. Tant pis !
M. Michel Teston. Nous estimons, en effet, que le retour à la législation antérieure à la loi du 13 août 2004 est une nécessité, ce qui suppose l'adoption de notre proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Xavier Darcos, ministre de l'éducation nationale. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je viens de réentendre les arguments développés par les intervenants successifs. Je les en remercie et je ne doute pas de leur sincérité.
Je veux cependant rappeler ce qui est en jeu aujourd'hui. Vous le savez, depuis près de cinquante ans maintenant, notre dispositif législatif, et plus précisément le code de l'éducation dans son article L. 442-1, auquel plusieurs orateurs ont fait allusion, prévoit que l'enseignement dispensé dans les établissements privés sous contrat est soumis au contrôle de l'État. L'établissement doit donner cet enseignement dans le respect total de la liberté de conscience, comme l'ont rappelé, à de multiples occasions, le juge constitutionnel et le juge administratif. J'ajoute que les établissements d'enseignement privés se doivent d'accueillir tous les enfants sans distinction d'origine, d'opinion ou de croyance. Nous ne sommes pas dans un dispositif visant à favoriser un enseignement qui serait fermé à tel ou tel enfant, ou qui procéderait à tel ou tel recrutement uniquement en fonction des convictions de l'intéressé ou de son appartenance à telle ou telle religion.
C'est précisément pour cela que la loi Debré puis la loi Guermeur ont instauré, pour le financement des écoles privées, un principe de parité avec l'école publique. En vertu de ce principe, les écoles privées doivent bénéficier des mêmes moyens de fonctionnement que les écoles publiques.
Voilà donc, mesdames, messieurs les sénateurs, l'enjeu de l'article 89 de la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales. N'en faisons pas une question de laïcité. N'en appelons pas non plus au rapport Attali, rapport qui, à dire vrai, est bien étranger à toutes ces choses ! L'inspirateur de la loi du 15 mars 2004 sur la laïcité à l'école, c'est moi : j'en connais bien le sujet tout comme l'enjeu.
Quand on sait qu'une famille sur deux a envoyé son enfant à un moment donné de sa scolarité dans un établissement privé, on voit bien que le temps des grands débats idéologiques est révolu. Aujourd'hui, c'est le principe républicain de liberté des familles qui prime : personne ici ne songe à le remettre en cause, et l'article 89 n'a pas d'autre objet.
En tant que ministre de l'éducation nationale, je suis le ministre de toutes les écoles, de tous les enseignants et de tous les élèves.
M. Xavier Darcos, ministre. L'éducation nationale veille à ce que l'enseignement obligatoire soit fondé sur les mêmes principes, quel que soit le mode de scolarisation choisi librement par les familles.
Les programmes d'enseignement sont les mêmes dans l'enseignement public et dans l'enseignement privé sous contrat d'association ; les enseignants sont évalués partout selon les mêmes règles. En conséquence, je ne peux permettre qu'on mette en doute l'impartialité de l'État (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s'exclame) et qu'on joue impunément avec ce principe fondamental de la République qu'est la laïcité. Je ne laisserai quiconque ranimer le fantôme dépassé d'une guerre scolaire dont notre nation a tant souffert. Je reconnais d'ailleurs que les orateurs n'ont pas cherché à raviver ces querelles.
Si l'article 89 respecte le principe d'équité à l'égard des familles, dont la liberté de choix ne saurait être contestée, il respecte également le principe d'équité à l'égard des communes, qui ne sauraient payer plus pour le privé qu'elles ne payent pour le public.
Mais il faut comprendre que l'équité entre les communes ne peut dépendre des mécanismes du public. En effet, s'ils s'appliquaient ainsi au privé, ils seraient sans aucun doute contraires au principe de la liberté de l'enseignement, qui, je vous le rappelle, a valeur constitutionnelle.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous savez également que le mécanisme introduit par l'article est entouré de précautions reposant sur l'application du principe de parité qui permettent de limiter le coût pour les communes.
Tout d'abord, l'article L. 442-9 du code de l'éducation lui-même dispose que la contribution versée pour un élève scolarisé dans le privé ne peut excéder celle qui est versée pour un élève du public.
M. Gérard Le Cam. Heureusement !
M. Xavier Darcos, ministre. Ensuite, l'article 89 de la loi du 23 avril 2005 d'orientation et de programme pour l'avenir de l'école prévoit que le montant du forfait communal est déterminé par parité avec le coût consacré par la commune au fonctionnement de ses écoles publiques ou, en l'absence d'école dans la commune, au coût moyen constaté dans le département. C'est le cas, par exemple, en Bretagne.
Enfin, n'oublions pas que le préfet, en cas de désaccord entre les communes, peut, lorsqu'il intervient pour fixer la répartition des contributions entre celles-ci, apprécier la capacité contributive des communes de résidence.
Évitons donc les postures et les pétitions de principe et constatons les faits avec sérénité : la loi et la nouvelle circulaire du 6 septembre 2007, dont le texte, qui a fait l'objet d'une très large concertation, a même été coécrit avec l'AMF, ouvrent la voie à la négociation et à l'obtention d'accords entre les communes, alors même que le dispositif antérieur ne permettait en rien de résoudre les conflits - c'était pourtant ce que voulait Michel Charasse - qui pouvaient surgir entre les communes et les établissements privés, voire entre les communes de résidence et les communes d'accueil.
Aujourd'hui, c'est seulement en cas de désaccord entre communes - c'est possible, mais rarissime - que l'intervention du préfet peut être éventuellement sollicitée ou requise.
J'ajoute que, dans un esprit d'apaisement, la nouvelle circulaire a retiré de la liste des dépenses obligatoires annexée les dépenses de contrôle technique des bâtiments, la rémunération des agents territoriaux de service des écoles maternelles ainsi que les dépenses relatives aux activités extrascolaires.
Qu'en est-il aujourd'hui ? Depuis plus de trois ans, mesdames, messieurs les sénateurs, l'application de l'article 89 n'a donné lieu qu'à un nombre dérisoire de litiges. En effet, on ne compte guère que 19 contentieux pour 5 147 écoles privées sous contrat d'association.
À quoi bon ranimer une discorde, puisque la concorde l'emporte ? Tenons-nous-en donc à la rédaction actuelle de l'article 89, qui donne toute satisfaction, et pensons plutôt à la réussite de nos enfants, qu'ils soient scolarisés dans le public ou dans le privé. (Applaudissements sur les travées de l'UMP. - Mme Muguette Dini applaudit également.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Explications de vote
M. le président. Avant de mettre aux voix les conclusions négatives du rapport de la commission des affaires culturelles tendant au rejet de la proposition de loi, je donne la parole à M. Jean-Marc Todeschini, pour explication de vote.
M. Jean-Marc Todeschini. Le groupe socialiste votera bien entendu cette proposition de loi et rejettera les conclusions de la commission des affaires culturelles.
Je prends acte des déclarations de M. le ministre et de la plupart de nos collègues. En effet, personne ne veut ranimer la guerre scolaire. Comme je l'ai dit précédemment, la liberté des parents existe et nous ne sommes nullement comme ces anticléricaux du xixe siècle. Nous sommes au contraire favorables à l'apaisement et, surtout, au principe de parité.
Le groupe socialiste souscrit aux propos de notre collègue Yves Détraigne. Il est dommage que la commission et son rapporteur n'aient pas voulu modifier la législation actuelle et sacraliser le principe de parité dans la loi.
M. Jacques Valade, président de la commission des affaires culturelles. Nous le ferons !
M. Jean-Marc Todeschini. Oui, mais quand ? Ce n'est jamais le bon moment ! Cette proposition de loi a été déposée alors que plusieurs amendements ont été soutenus dans le passé. J'en avais moi-même déposé un. Néanmoins, nous prenons acte que, un jour, le moment sera opportun...
Nous regrettons les propos de notre collègue du groupe UMP : nous ne sommes aucunement opposés à l'école privée et favorables à la remise en cause du principe de parité et de la loi Debré, qui, suivie notamment de la loi Guermeur, a apaisé la situation.
Toujours est-il que, pour permettre à certains de nos collègues, parfois membres de la majorité sénatoriale, de mettre en conformité leur vote avec les déclarations qu'ils font en tant que président des associations départementales de maires et aux termes desquelles ils proclament leur opposition à l'article 89, nous demandons un scrutin public. Ainsi, tout sera clair !
M. le président. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat.
M. Pierre-Yves Collombat. M. le rapporteur nous a dit que cette question faisait l'objet d'un large accord ; nous ne devons pas fréquenter les mêmes maires ! Souffrez que le premier vice-président de l'Association des maires ruraux de France s'inscrive en faux contre cette remarque ! Je suis bien placé pour savoir que ce fameux amendement Charasse a suscité une inquiétude certaine et crée de nombreuses complications.
L'entretien de l'école, les services qui y sont attachés - la garderie, la cantine - coûtent très cher aux communes. Les charges de personnel pèsent lourdement sur le budget des plus petites d'entre elles. Or, en dépit de ces efforts, certaines familles, parce que cela les arrange, décident de scolariser leurs enfants ailleurs que dans leur commune de résidence.
M. Jacques Valade, président de la commission des affaires culturelles. Elles sont libres !
M. Pierre-Yves Collombat. Parfois, les motifs sont légitimes - travail, déplacements, etc. -, parfois, ils sont farfelus, se fondant sur l'absence de troisième langue dans l'école du village ou sur certains fantasmes pédagogiques. (Exclamations sur les travées de l'UMP.) À quoi servent alors les efforts considérables que nous faisons pour garder les enfants dans nos écoles ?
Ce problème ne se limite pas au débat dont il est question aujourd'hui. Jusqu'à présent, « l'évasion » vers les écoles publiques d'autres communes était strictement encadrée. Or l'on constate que tel n'est plus le cas de « l'évasion » vers les écoles privées.
Tout à l'heure, certains de nos collègues se sont employés à faire l'exégèse de l'article 89 en mettant en avant, notamment, le principe de parité. Mais force est de constater qu'il ne s'agit là que d'une interprétation de la loi, et tant que celle-ci ne sera pas clarifiée, il subsistera une inquiétude.
Mes chers collègues de la majorité, vous êtes assis entre deux chaises. Le sujet dont nous traitons est très sensible chez les maires, qui ne comprendraient pas qu'on ne lève pas leur inquiétude en fixant les choses une fois pour toutes. Ils veulent que leurs efforts en matière d'investissements soient respectés.