Sommaire
PRÉSIDENCE DE M. Adrien Gouteyron
2. Égal accès des femmes et des hommes au mandat de conseiller général. - Adoption définitive d'une proposition de loi (Ordre du jour réservé.)
Discussion générale : Mmes Michèle Alliot-Marie, ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales ; Catherine Troendle, rapporteur de la commission des lois ; Gisèle Gautier, présidente de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes ; Muguette Dini, MM. Bernard Frimat, Philippe Nachbar, Mme Josiane Mathon-Poinat.
Clôture de la discussion générale.
Amendement no 1 de M. Bernard Frimat. - M. Bernard Frimat, Mmes le rapporteur, la ministre, Josiane Mathon-Poinat, MM. Pierre-Yves Collombat, Patrice Gélard. - Rejet.
Adoption de l'article unique.
Article additionnel après l'article unique
Amendement no 2 de M. Yannick Bodin. - M. Yannick Bodin, Mmes le rapporteur, la ministre, Josiane Mathon-Poinat, Muguette Dini. - Rejet.
M. Bernard Frimat.
Adoption définitive, par scrutin public, de la proposition de loi.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois.
3. Libertés et responsabilités locales. - Adoption des conclusions du rapport d'une commission tendant à ne pas adopter une proposition de loi (Ordre du jour réservé.)
Discussion générale : MM. Jean-Marc Todeschini, auteur de la proposition de loi ; Jean-Claude Carle, rapporteur de la commission des affaires culturelles ; Yannick Bodin, Mmes Colette Mélot, Brigitte Gonthier-Maurin, MM. Yves Détraigne, Michel Teston.
M. Xavier Darcos, ministre de l'éducation nationale.
Clôture de la discussion générale.
MM. Jean-Marc Todeschini, Pierre-Yves Collombat, Yves Détraigne, le rapporteur, Michel Charasse, Alain Vasselle.
Adoption, par scrutin public, des conclusions de la commission tendant à ne pas adopter la proposition de loi.
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. Christian Poncelet
4. Dépôt du rapport annuel de la Cour des comptes
MM. le président, Philippe Séguin, Premier président de la Cour des comptes.
PRÉSIDENCE DE M. Adrien Gouteyron
MM. Jean Arthuis, président de la commission des finances ; Nicolas About, président de la commission des affaires sociales.
Suspension et reprise de la séance
5. Droits de l'homme. - Discussion d'une question orale avec débat (Ordre du jour réservé.)
MM. Georges Othily, président du groupe d'études des droits de l'Homme, auteur de la question ; Robert del Picchia, en remplacement de M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères ; Mme Josette Durrieu, M. Robert del Picchia, Mmes Nicole Borvo Cohen-Seat, Nathalie Goulet, Catherine Morin-Desailly.
Mme Rama Yade, secrétaire d'État chargée des affaires étrangères et des droits de l'homme.
Clôture du débat.
6. Transmission d'un projet de loi
7. Transmission d'une proposition de loi
8. Textes soumis au Sénat en application de l'article 88-4 de la Constitution
9. Dépôt d'un rapport d'information
10. Ordre du jour
compte rendu intégral
PRÉSIDENCE DE M. Adrien Gouteyron
vice-président
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n'y a pas d'observation ?...
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.
2
Égal accès des femmes et des hommes au mandat de conseiller général
Adoption définitive d'une proposition de loi
Ordre du jour réservé
M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, facilitant l'égal accès des femmes et des hommes au mandat de conseiller général (n° 194).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme le ministre.
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, la proposition de loi que votre assemblée examine aujourd'hui a été adoptée hier à l'Assemblée nationale, non sans qu'un certain nombre des questions qu'elle soulève aient été amplement évoquées.
Il est vrai que la modification du droit un an seulement après l'adoption de la loi qui l'avait précédemment établi contrevient au principe de stabilité et de sécurité juridique, auquel je fais souvent référence à la fois en tant que juriste et en tant que responsable politique.
Il est vrai aussi que l'usage républicain veut que les règles d'une élection ne soient pas modifiées lorsque la campagne a, en pratique, déjà commencé ; il convient toutefois de relever que, en l'occurrence, il ne s'agit pas de l'élection à proprement parler.
Il est vrai, enfin, qu'une modification tardive du code électoral peut toujours être mal comprise ou mal perçue par nos concitoyens.
Mais il est non moins vrai que la lisibilité des textes et des institutions nous oblige à légiférer.
La loi du 31 janvier 2007 institue, pour les élections cantonales, un « ticket paritaire » : le candidat doit avoir un remplaçant éventuel de sexe différent.
Les possibilités, pour le suppléant ou la suppléante, d'accéder au mandat de conseiller général sans recourir à une élection partielle y sont clairement limitées.
La présente proposition de loi vise à élargir ces possibilités au cas de la démission d'un parlementaire qui, nouvellement élu au conseil général, se trouve dans une situation de cumul de mandats prohibée par le code électoral.
Comme je l'ai indiqué devant les députés, si cette proposition de loi soulève des difficultés, elle ouvre néanmoins de nouvelles perspectives en matière d'égalité entre les hommes et les femmes et, sans doute aussi, prend en compte la désaffection de nos concitoyens à l'égard des élections partielles.
Quelles sont, brièvement rappelées, les difficultés que soulève cette proposition de loi ?
Lors de l'élaboration du projet de loi qui est devenu la loi du 31 janvier 2007 tendant à promouvoir l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives, l'intention initiale du Gouvernement était de ne prévoir le remplacement, par son suppléant, du conseiller général élu que dans une seule hypothèse : celle de son décès. Ce cas de vacance de siège est en effet, aujourd'hui, et de loin, le plus fréquent.
En revanche, le remplacement par le suppléant était exclu dans tous les cas de démission. Cette règle se calquait sur celle qui s'impose aux suppléants des députés et des sénateurs élus au scrutin majoritaire.
Le Gouvernement a toutefois accepté, lors du débat, une proposition d'origine parlementaire aux termes de laquelle cette possibilité serait élargie à deux cas de remplacement consécutif à la démission du conseiller général : d'une part, lorsque l'élu est détenteur de plus de deux mandats locaux ; d'autre part, lorsqu'il est détenteur de deux mandats locaux et d'un mandat de représentant au Parlement européen.
Il existait donc déjà une exception à la règle qui avait été primitivement fixée.
Aujourd'hui, il s'agit d'étendre cette exception aux parlementaires nationaux : un parallèle s'établirait ainsi entre, par exemple, un candidat élu conseiller général et conseiller municipal à l'occasion des élections de mars 2008, qui devrait automatiquement renoncer à l'un de ses deux mandats s'il venait à être élu député européen en juin 2009, et un parlementaire national élu conseiller général et conseiller municipal. Si cette proposition de loi est adoptée, cet élu pourra immédiatement démissionner de son nouveau mandat de conseiller général au profit de son suppléant ou de sa suppléante.
Je l'ai dit, cette proposition de loi, même si elle entraîne une sorte de parallélisme des formes entre députés européens et parlementaires nationaux ne va pas sans poser quelques difficultés. La question est maintenant de savoir si nous sommes prêts à les surmonter.
J'entends les arguments qui nous invitent à l'action et qui ont d'ailleurs été à l'origine de cette proposition de loi, arguments dont l'esprit, je m'empresse de le dire, était partagé sur quasiment tous les bancs de l'Assemblée nationale. (M. Bernard Frimat fait un signe de dénégation.)
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Tout à fait !
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre. Comme vous, mesdames, messieurs les sénateurs, je déplore la trop faible féminisation dans nos assemblées départementales.
M. Alain Gournac. Absolument !
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre. Pour avoir été premier vice-président d'un conseil général qui ne comptait que deux femmes et avoir étudié la situation actuelle, je puis affirmer que la progression de la féminisation est extrêmement lente.
M. Alain Gournac. En effet !
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre. L'exigence d'égalité entre les hommes et les femmes est, je vous le rappelle, un principe de valeur constitutionnelle. Elle a donc vocation à s'appliquer à l'ensemble des élections. J'estime - et je ne vois pas qui, dans cette enceinte, me contredirait - qu'il y va de la richesse du débat public comme de la santé de notre démocratie.
Il est un second argument auquel je suis également très sensible : nous devons reconnaître que les élections partielles, dans notre pays, ne confortent pas l'image de la démocratie. Nous l'avons vu encore récemment, la plupart d'entre elles se caractérisent par une abstention extrêmement forte.
L'abstention bat même des records à l'occasion des élections cantonales partielles, où le taux de participation est très souvent inférieur à 25 %. Certes, il en est toujours allé ainsi, mais on ne peut pas dire que ce soit glorieux pour notre démocratie ni que l'image des assemblées concernées, en l'espèce les conseils généraux, en sorte améliorée.
Au moment où certains voudraient supprimer les départements et les conseils généraux, ce à quoi je m'oppose vigoureusement, vous le savez,... (Mme Catherine Procaccia applaudit.)
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Très bien !
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre. ... j'estime qu'il faut éviter de favoriser quoi que ce soit qui puisse faire douter du rôle des conseils généraux et de leur caractère démocratique.
Mme Jacqueline Gourault. C'est tout à fait vrai !
M. Alain Gournac. Très bien !
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre. Voilà comment, mesdames, messieurs les sénateurs, je peux vous exposer le plus objectivement possible la question que vous devez trancher aujourd'hui.
Je comprends et je partage votre désir de replacer les élections cantonales au coeur de notre vie démocratique en en rationalisant le calendrier.
Je comprends et je partage votre souci d'approfondir notre action commune en faveur de l'égalité entre les hommes et les femmes.
Veillons à ne jamais opposer les exigences du suffrage universel, d'une part, et le juste souci d'égalité des hommes et des femmes, d'autre part !
Veillons aussi à garder à l'esprit la suprématie incontestable du suffrage universel. En définitive, c'est lui et lui seul qui légitime nos décisions. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme le rapporteur.
Mme Catherine Troendle, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, huit ans après la mise en oeuvre, pour la première fois, des principes posés par la révision constitutionnelle du 8 juillet 1999 sur la parité en politique, un an après la loi du 31 janvier 2007 tendant à promouvoir l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives, qui a institué des « suppléants » de sexe différent pour les conseillers généraux, cette réforme étant applicable aux élections cantonales du mois de mars 2008, la proposition de loi soumise à notre examen, présentée par M. Warsmann, président de la commission des lois de l'Assemblée nationale, et constituée d'un article unique, tend à compléter les dispositions de l'article L. 221 du code électoral relatives aux « suppléants » des conseillers généraux.
Mes chers collègues, la promotion de la parité en politique mériterait mieux qu'une juxtaposition de mesures législatives échelonnées ainsi dans le temps, qui plus est, présentées dans l'urgence. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
Mme Jacqueline Gourault. Bravo !
Mme Catherine Troendle, rapporteur. Cela étant dit, ce texte apporte un complément utile au dispositif de remplacement automatique, par le suppléant, d'un conseiller général dont le siège est vacant.
La volonté de féminiser progressivement les assemblées départementales est l'un des fondamentaux posés par la loi du 31 janvier 2007, qui a pourvu les conseillers généraux de suppléants de l'autre sexe, cette réforme étant applicable à compter du renouvellement cantonal de mars prochain.
Ce « ticket paritaire » au conseil général est issu d'un double constat, comme l'avait rappelé à l'époque le rapporteur du texte au Sénat, M. Patrice Gélard.
Premier constat : les assemblées départementales sont peu féminisées. Pour mémoire, 10,9 % des conseillers généraux élus en 2004 étaient des femmes, contre 9,8 % au renouvellement partiel de 2001 et 8,6 % en 1998. Dans dix-huit départements, aucune femme n'a été élue. En outre, seuls trois conseils généraux sont présidés par des femmes.
Second constat : les élections cantonales partielles, suscitées par des vacances de sièges, mobilisent très peu l'électorat.
Par ailleurs, l'instauration d'un remplaçant de sexe opposé pour les conseillers généraux présente deux autres avantages : elle permet le maintien du mode de scrutin actuel aux élections cantonales, qui garantit le lien personnel entre l'élu et l'électeur ; elle favorise la stabilité politique des conseils généraux, dont la majorité ne pourrait plus être mise en cause du fait d'une élection partielle.
En pratique, la loi du 31 janvier 2007 a d'abord prévu que la déclaration de candidature doit faire figurer l'identité et le sexe du suppléant - celui-ci devant évidemment remplir les conditions d'éligibilité exigées pour les candidats - et est accompagnée de son acceptation écrite.
Ensuite, le remplaçant ne peut figurer sur plusieurs déclarations de candidatures. Il ne peut pas non plus être candidat ni être remplaçant d'un autre candidat.
Enfin, il est prévu que, en cas de décès d'un candidat aux élections cantonales après l'expiration du délai prévu pour le dépôt des déclarations de candidatures, son remplaçant devient candidat et peut désigner à son tour un remplaçant.
Examinons à présent le cas de vacance de siège permettant, en l'état du droit, le remplacement d'un conseiller général par son « suppléant ».
Dans sa version initiale, le texte qui est devenu la loi du 31 janvier 2007 prévoyait de modifier l'article L. 221 du code électoral pour le seul cas de remplacement du conseiller général par son suppléant en cas de décès du titulaire du mandat.
Vous vous en souvenez, notre commission des lois avait élargi le dispositif aux trois autres possibilités de remplacement suivantes : la nomination du conseiller général en tant que membre du Conseil constitutionnel ; la présomption d'absence du conseiller général au sens de l'article 112 du code civil ; la démission du conseiller général pour cause de maladie rendant impossible l'exercice de son mandat, mais cette hypothèse, qui aurait pu être source d'interprétations difficiles, a finalement été supprimée au cours du débat en séance publique.
Toutefois, alors rapporteur du texte au nom de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes, j'avais estimé qu'il convenait d'aller plus loin.
Dans la recommandation n° 3 du rapport d'information de la délégation, nous avions ainsi préconisé le remplacement du titulaire par le suppléant « dans tous les cas de vacance du mandat, et non uniquement dans l'éventualité d'un décès ». La mise en oeuvre de ce dispositif élargi aurait eu le mérite d'éviter 90 % des élections partielles et de favoriser l'entrée d'un nombre important de femmes au sein des conseils généraux.
C'est pourquoi, avec ma collègue Gisèle Gautier, présidente de ladite délégation, nous avions proposé un sous-amendement prévoyant d'étendre le remplacement automatique des conseillers généraux par leurs suppléants au cas de démission pour cumul de mandats, et ce au titre non seulement des articles L. 46-1 et L. 46-2 du code électoral, mais également au titre de l'article L.O. 141 du même code.
Comme vous le savez, mes chers collègues, au terme d'un long débat, la commission des lois avait refusé l'extension du remplacement automatique à tous les cas de vacance, notamment pour éviter que des personnes démissionnant pour cause d'inéligibilité puissent être remplacées automatiquement. Mais elle avait accepté, tout comme le Sénat ensuite, d'étendre cette possibilité de remplacement aux cas d'application des règles relatives au cumul des mandats posées par les articles L. 46-1 et L. 46-2 du code électoral.
Je vous le rappelle, pour mettre fin aux incompatibilités visées par ces deux articles, la personne concernée doit faire cesser l'incompatibilité en démissionnant de l'un de ses anciens mandats dans un délai de trente jours. À défaut d'option dans ce délai, le mandat le plus ancien de l'intéressé prend fin de plein droit.
Venons-en maintenant à la proposition de loi de M. Warsmann.
Son article unique a le même objet que le sous-amendement que ma collègue Gisèle Gautier et moi-même avions déposé, à savoir l'extension du remplacement automatique par le suppléant au cas de démission du conseiller général, par ailleurs député ou sénateur, pour cause de cumul de mandats.
Toutefois, si notre sous-amendement visait l'article L.O. 141 du code électoral, le texte soumis à notre examen tendant à compléter l'article 221 du code électoral mentionne l'article L.O. 151-1 du même code. Ce dernier précise qu'un député ou un sénateur qui acquiert un mandat électoral propre à le placer dans un des cas d'incompatibilités visés à l'article L.O. 141, après son élection au Parlement, dispose d'un délai de trente jours à compter de la date définitive de son élection pour démissionner du mandat de son choix. À défaut d'option dans ce délai, le mandat acquis ou renouvelé à la date la plus récente prend fin de plein droit.
Permettez-moi d'émettre une réserve quant à ce nouveau dispositif, à mes yeux incomplet.
En effet, la proposition de loi ne vise pas le cas du conseiller général qui se trouve dans une situation d'incompatibilité du fait de son élection au Parlement, situation visée, elle, à l'article L.O. 151 du code électoral, aux termes duquel l'élu concerné doit alors se démettre des mandats incompatibles avec son mandat parlementaire dans un délai de trente jours.
Or les cas d'élus locaux qui exercent notamment un mandat de conseiller général et qui se présentent à des élections législatives ou sénatoriales ne sont pas rares et, la plupart du temps, en cas de réussite aux élections parlementaires, ils abandonnent leur mandat de conseiller général.
Dans un tel cas, malgré la proposition de loi que nous examinons, une élection cantonale partielle sera organisée pour remplacer le conseiller général démissionnaire.
Néanmoins, dans la mesure où il m'importe que le nouveau dispositif puisse être immédiatement mis en oeuvre afin de s'appliquer dès les prochaines élections cantonales de mars 2008, de manière à faire progresser la féminisation des conseils généraux, je salue la volonté manifestée aujourd'hui d'étendre encore les cas de remplacement des conseillers généraux dont le siège est vacant par leur remplaçant de l'autre sexe.
Mes chers collègues, au bénéfice de l'ensemble de ces observations, je vous demande de bien vouloir adopter sans modification la présente proposition de loi. (Applaudissements sur les travées de l'UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme la présidente de la délégation aux droits des femmes.
Mme Gisèle Gautier, présidente de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, au fil des années, des avancées significatives ont été enregistrées en ce qui concerne l'égal accès des femmes et des hommes aux différents mandats électoraux et fonctions électives.
Malheureusement, les statistiques dont nous disposons le démontrent, les femmes n'ont pas investi les assemblées départementales, lesquelles résistent à la parité, notamment en raison du mode de scrutin uninominal majoritaire qui s'applique à leur élection.
Ainsi, pendant qu'un nombre croissant de femmes accédait à la plupart des enceintes politiques, la sous-représentation des femmes dans les conseils généraux constituait elle-même un frein à leur accès aux assemblées parlementaires.
Ma collègue Catherine Troendle l'a dit, mais je crois utile d'y insister, lors du dernier renouvellement partiel des conseils généraux, en 2004, aucune femme n'a été élue dans dix-huit départements. Ce n'est pas acceptable !
Aujourd'hui, il nous est demandé de nous prononcer sur la proposition de loi présentée par le président de la commission des lois de l'Assemblée nationale, M. Jean-Luc Warsmann. Celle-ci, je le rappelle, a pour finalité de compléter la loi sur la parité du 31 janvier 2007 en étendant aux parlementaires la portée de la disposition prévoyant le remplacement du conseiller général par un suppléant de l'autre sexe en cas de démission liée au respect de la limitation du cumul des mandats.
Permettez-moi, à cet instant, de m'étonner que cette nouvelle mesure nous soit proposée un an tout juste après l'adoption du texte de loi sur l'obligation du « ticket mixte » ou « ticket paritaire ». Je m'interroge sur ce calendrier et j'aimerais en connaître les raisons exactes.
M. Charles Gautier. L'opportunité !
Mme Gisèle Gautier, présidente de la délégation aux droits des femmes. En effet, à l'époque, Catherine Troendle et moi-même avions déposé ensemble un sous-amendement - Mme Procaccia en avait déposé un similaire -, que l'on nous avait d'ailleurs demandé de rectifier.
Je rappelle que l'institution d'un suppléant de sexe différent pour les élections des conseillers généraux constitue l'une des principales avancées de la loi de janvier 2007 et que celle-ci a utilement complété la précédente loi sur la parité du 6 juin 2000, en prévoyant trois mesures importantes : une alternance stricte entre femmes et hommes sur les listes des candidats aux élections municipales dans les communes de plus de 3 500 habitants ; une obligation de parité dans les exécutifs, non seulement dans ces communes, mais également dans les régions, ce qui constituait l'un des combats menés par notre délégation ; un renforcement des « sanctions » financières à l'égard des partis politiques ne respectant pas la parité des candidatures aux élections législatives, disposition sur laquelle, je dois l'avouer, je suis plus dubitative.
Ainsi que l'avait souligné notre délégation dans le cadre du rapport d'information intitulé Une étape nouvelle pour la parité, présenté par Mme Troendle en novembre 2006, la mise en place de ce fameux « ticket paritaire » est non seulement destinée prioritairement à favoriser l'accession progressive d'un nombre croissant de femmes dans les assemblées départementales, au sein desquelles elles ne représentent qu'à peine plus de 10 % des élus - et les hommes, donc, près de 90 %, ce qui est peut-être de nature à marquer plus encore les esprits ! -, mais elle est aussi destinée, plus prosaïquement, comme vous l'avez souligné, madame le ministre, à éviter l'organisation d'élections partielles trop fréquentes, qui ne suscitent d'ailleurs généralement pas l'engouement des électeurs.
Cependant, pour permettre à cette mesure de produire pleinement ses effets, notre délégation avait recommandé que le remplacement du titulaire par le suppléant ne se limite pas à la seule éventualité du décès, ainsi que le prévoyait initialement le projet gouvernemental, mais s'étende effectivement aux autres cas de vacance du mandat, à l'exception, bien sûr, de celui qui résulte d'une annulation de l'élection.
En particulier, la délégation avait souhaité que le dispositif s'applique aux démissions des élus devant se mettre en conformité avec la législation relative au cumul des mandats, ce qui représente 36,9 % des élections cantonales partielles depuis 1999, les décès n'ayant, quant à eux, été la cause que de 35,8 % seulement d'entre elles.
Alors que la commission des lois avait prévu d'ajouter à l'éventualité du décès les seuls cas de disparition, c'est-à-dire la présomption d'absence telle que l'entend l'article 112 du code civil, ou encore de nomination au Conseil constitutionnel - ce qui, convenons-en, n'arrive pas tous les jours ! -, j'avais donc déposé avec Mme Troendle un sous-amendement ayant pour objet d'élargir l'application du remplacement par le suppléant aux démissions intervenues en application de l'un des articles suivants du code électoral : d'abord, l'article L. 46-1, visant le cumul de plus de deux mandats locaux ; ensuite, l'article L. 46-2, relatif au cumul de deux mandats locaux et d'un mandat de député européen ; enfin, l'article L.O. 141, concernant le cumul d'un mandat de parlementaire et de plus d'un mandat local.
Cependant, la commission des lois avait conditionné son avis favorable sur ce sous-amendement à une rectification consistant à retirer cette dernière référence, visant les incompatibilités applicables aux parlementaires. Le rapporteur, M. Patrice Gélard, avait en effet souligné le « risque qu'un parlementaire puisse être candidat aux cantonales pour assurer la désignation de son remplaçant après sa démission ». Au demeurant, j'ai lu par ailleurs qu'il était même possible d'imaginer une situation où un parlementaire ne serait élu que pour servir de « locomotive ». C'est l'une des raisons pour lesquelles on nous avait demandé de retirer ce sous-amendement.
M. Patrice Gélard avait fait observer que, si les élus locaux étaient obligés d'abandonner un ancien mandat et de conserver le dernier mandat acquis au moment où ils étaient atteints par le cumul, les parlementaires avaient, en revanche, la possibilité de démissionner du dernier mandat acquis.
Dans un souci de pragmatisme, afin de parvenir à un consensus permettant une adoption de notre sous-amendement, nous nous étions résignées à accepter cette rectification, et les incompatibilités applicables aux parlementaires n'ont, de ce fait, finalement pas été visées dans le texte de la loi du 31 janvier 2007, l'Assemblée nationale ayant adopté sans modification le texte du Sénat.
Dans le prolongement de ce que nous avions recommandé alors, au nom de notre délégation, je me félicite que, cette fois, la proposition de loi adoptée par l'Assemblée nationale tende à ajouter au texte issu de la loi de janvier 2007 une référence à l'article L.O. 151-1 du code électoral, relatif aux parlementaires qui acquièrent un mandat électoral propre à les placer dans une situation d'incompatibilité postérieurement à leur élection à l'Assemblée nationale ou au Sénat. Cette disposition répond à un souci de cohérence juridique puisqu'elle aura pour effet de contribuer à harmoniser les règles applicables en cas de renonciation à un mandat de conseiller général.
Toutefois, le texte de la proposition de loi ne fait pas référence à l'article L.O. 151 du code électoral relatif aux cas d'incompatibilité concernant les parlementaires nouvellement élus à l'Assemblée nationale ou au Sénat. Or, en ajoutant cette référence, on aurait pu éviter d'autres élections partielles et permettre à davantage de femmes de devenir conseillères générales.
Cependant, compte tenu de la nécessité d'une adoption rapide - c'est le moins que l'on puisse dire ! - de cette proposition de loi, de manière qu'elle s'applique dès les prochaines élections cantonales, il ne me paraît malheureusement ni possible ni raisonnable d'envisager d'y apporter des modifications, même si, pour ma part, je le regrette profondément.
Madame le ministre, mes chers collègues, ce n'est pas ainsi que l'on doit légiférer : nos travaux exigent sérénité et recul, et je sais que ce sentiment est ici partagé par tous.
M. Bernard Frimat. Pourquoi, alors, acceptez-vous ce texte ?
Mme Gisèle Gautier, présidente de la délégation aux droits des femmes. Même si, pour les raisons que je viens d'indiquer, il ne me semble pas possible de prévoir maintenant la mesure que je préconise, il va sans dire que je ne manquerai pas de la proposer à nouveau dans le cadre d'un prochain texte de loi sur la parité, pour l'établissement de laquelle il reste encore bien du chemin à parcourir !
En conclusion, malgré les réserves que je viens d'exprimer, je ne saurais me soustraire à l'adoption de ce texte, qui contribue à mettre en oeuvre l'une des recommandations de notre délégation aux droits des femmes et dont les femmes seront, somme toute, les bénéficiaires. (Applaudissements sur les travées de l'UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Muguette Dini.
Mme Muguette Dini. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, ce petit bout de loi que nous examinons aujourd'hui traduit fondamentalement deux sortes de mépris, l'un visant les femmes et l'autre la démocratie.
M. Bernard Frimat. Très bien !
M. Charles Gautier. Bravo !
Mme Muguette Dini. Ce texte vise à étendre les cas de remplacement du conseiller général titulaire par son suppléant de sexe différent à celui de démission pour cause de cumul de mandats locaux avec celui de député ou de sénateur.
L'objectif mis en avant par les auteurs de cette proposition de loi est l'amélioration de l'égal accès des femmes et des hommes aux assemblées départementales.
Nous sommes donc dans le prolongement de la loi du 31 janvier 2007 tendant à promouvoir l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives, qui a mis en place le mécanisme de suppléance pour faire, prétendument, progresser le nombre des femmes élues au sein des conseils généraux. L'article 4 de cette loi a créé des suppléants de conseillers généraux sous prétexte d'appliquer le principe de parité, en prévoyant que le candidat et son remplaçant soient de sexe différent.
Je ne reviendrai pas sur le fait qu'il faudrait faire mourir, si possible rapidement, 45 % des hommes titulaires pour que la parité soit effective ! (Sourires.)
Le même article a institué des modalités de remplacement des conseillers généraux dont le siège est vacant.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Vous l'aviez voté !
Mme Muguette Dini. Non, mon cher collègue, je ne l'ai pas voté ! Je suis sans doute l'une des rares à avoir voté contre cette loi !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Votre groupe l'avait voté !
Mme Muguette Dini. Eh bien, moi, c'est moi ! (Nouveaux sourires.)
Qu'il s'agisse d'un décès ou d'une démission dans des cas précis de cumul de mandats, il n'est plus procédé à une élection partielle : le suppléant remplace automatiquement le titulaire décédé ou démissionnaire.
Cette disposition a été saluée comme étant une avancée pour les femmes, mais, comme vous le savez, lors de l'examen de la loi du 31 janvier 2007, je me suis énergiquement élevée contre une telle interprétation. Aujourd'hui, je persiste à dire que ce dispositif de suppléance ne contribue en rien à la parité entre les hommes et les femmes. (M. Jean-Marc Todeschini. applaudit.)
M. Alain Gournac. M. Todeschini a beaucoup fait pour les femmes !
Mme Muguette Dini. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, cette proposition de loi ne reflète qu'un faux-semblant de parité et est totalement contraire à la démocratie.
M. Jean-Marc Todeschini. Elle a raison !
Mme Muguette Dini. Pour illustrer mon propos, je vais prendre le cas, simple, d'un député-maire.
La ville dont il est l'élu est une ville-canton, les limites de l'un se superposant aux limites de l'autre. Il pense bien à une femme qu'il connaît pour être candidate au conseil général, mais c'est une « nouvelle » et, malgré toutes les qualités et compétences de cette dernière, il doute de ses capacités à être élue. Qu'à cela ne tienne ! Lui, bien connu et apprécié, se présentera aux suffrages et cette femme sera sa suppléante. Une fois élu, il démissionnera immédiatement et sa suppléante deviendra conseillère générale, sans que les électeurs aient eu leur mot à dire. (Exclamations approbatrices sur les travées du groupe socialiste.)
D'une part, on aura méprisé cette jeune femme - jeune ou moins jeune, d'ailleurs - en considérant qu'elle ne pouvait pas gagner par elle-même et, d'autre part, on aura bafoué l'électorat, en lui laissant croire que le candidat pour qui il avait voté exercerait son mandat.
M. Yannick Bodin. Très bien !
Mme Muguette Dini. Et rien ne permet d'affirmer le contraire puisqu'il est libre de démissionner de n'importe quel mandat.
Ce député-maire ne peut pas plus manifester son intention avant l'élection. En effet, il aurait l'air malin s'il annonçait à ses électeurs : « Élisez-moi, mais, demain, je démissionne, et c'est Mme Untel qui prend ma place ! »
Ce procédé est méprisant pour les femmes.
M. Charles Gautier. Très bien !
Mme Muguette Dini. Le présenter comme un argument en faveur de la parité, c'est clairement considérer que les femmes ne sont pas capables de gagner les élections par elles-mêmes et qu'il faut leur « chauffer la place » !
M. Charles Gautier. Très bien !
Mme Muguette Dini. Il est vrai qu'actuellement les femmes ne représentent que 10,2 % des conseillers généraux. Mais ce n'est pas par ce procédé détourné et médiocre que la parité progressera réellement dans les départements.
En revanche, on le sait bien, lorsqu'on se donne la peine de mettre en place un vrai mode d'élection paritaire, les résultats sont très satisfaisants et la parité progresse significativement ou s'applique presque parfaitement.
C'est le cas au Sénat où, grâce au scrutin paritaire mis en place dans une partie des départements, le taux des femmes sénatrices a atteint 17,2 % et progressera de nouveau en 2008.
C'est également le cas dans les conseils régionaux, avec une représentation féminine de 47,6 % en 2004, et au sein des conseils municipaux des communes de plus de 3 500 habitants, où l'on comptait, à l'issue des dernières élections de 2001, 48 % de femmes.
Ces résultats sont positifs ! Alors pourquoi faudrait-il que les femmes entrent au sein des conseils généraux par la petite porte ?
Le principe de parité réside dans une égale candidature des femmes et des hommes aux scrutins à la proportionnelle, mais aussi aux scrutins majoritaires uninominaux. Les électeurs doivent donc pouvoir choisir librement entre un homme et une femme, sans préjuger la parité du résultat.
Le dispositif que j'ai présenté dans le cadre de ma proposition de loi du 6 janvier 2006 conjugue ces deux exigences de démocratie et de parité. Il s'agit de la constitution d'une liste majoritaire paritaire de deux noms. Dans ce tandem homme-femme ou femme-homme, le candidat dont le nom serait conservé par le plus grand nombre d'électeurs serait déclaré titulaire, le second devenant de facto suppléant. Une telle disposition promeut la parité de choix à l'occasion dudit scrutin et donne une chance véritablement égale à des candidats de chaque sexe.
L'un des principes de base de la démocratie, c'est la liberté de choix de l'électeur. Dans une démocratie, il appartient aux électeurs, et à eux seuls, d'apprécier si les candidats qui se présentent à leurs suffrages ont les compétences et la disponibilité nécessaires pour exercer les mandats qu'ils vont leur confier.
Mais ces principes fondamentaux ne se retrouvent pas dans la présente proposition de loi. C'est la raison pour laquelle, et vous l'avez compris, monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, je voterai, ainsi qu'une grande partie de mon groupe, contre cette proposition de loi. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UC-UDF et du groupe socialiste.)
M. Charles Gautier. Voilà une femme courageuse !
M. le président. La parole est à M. Bernard Frimat.
M. Bernard Frimat. Madame la ministre, monsieur le président, mes chers collègues, à moins de cinq semaines des élections cantonales, le Sénat est invité à délibérer d'une proposition de loi votée hier par l'Assemblée nationale et modifiant la loi du 31 janvier 2007.
M. Charles Gautier. Ça urge !
M. Bernard Frimat. Cette proposition « navigue sous pavillon de complaisance », si vous me permettez cette expression, et n'a que peu de rapport avec la volonté de faire progresser l'application de la parité.
M. Jean-Marc Todeschini. Exactement !
M. Charles Gautier. C'est un faux nez !
M. Bernard Frimat. Le principe de l'égal accès des hommes et des femmes aux mandats électoraux et fonctions électives a été consacré dans la loi constitutionnelle du 8 juillet 1999, voulue par le gouvernement de Lionel Jospin. Les lois des 6 juin et 4 juillet 2000 ont permis de mettre en oeuvre cette révision constitutionnelle en créant une obligation de parité au niveau des candidatures pour les scrutins de listes et en modulant l'aide publique versée aux partis politiques ne respectant pas la parité dans les candidatures qu'ils présentent. Ces lois ont représenté un immense progrès, que chacun a pu mesurer à l'époque et peut encore mesurer aujourd'hui.
En 2003, la majorité sénatoriale a rogné une partie des acquis de la loi de 2000 en rétablissant le scrutin majoritaire dans les départements élisant trois sénateurs, rendant ainsi plus difficile l'accès des femmes au Sénat. Ensuite, il a fallu attendre la fin de la législature précédente pour que soit proposée une déclinaison de l'égal accès des femmes et des hommes sur les listes, déclinaison se limitant à tirer les conséquences a minima de la mise en oeuvre des lois de 2000. Ont ainsi été instaurés l'alternance stricte entre les candidats de sexe différent pour les élections municipales dans les communes de plus de 3 500 habitants - même si cela ne correspondait pas à la position initiale du gouvernement de l'époque - et l'égal accès des femmes et des hommes dans les exécutifs des communes de plus de 3 500 habitants.
Dans le même temps, lors de ce débat, vous avez refusé de saisir l'occasion d'engager une nouvelle et véritable étape de la parité, rejetant toutes les avancées significatives qui vous étaient proposées, telles que l'abaissement du seuil de scrutin proportionnel pour les élections municipales à 2 500 habitants - moyen de faire entrer massivement les femmes dans les conseils municipaux des communes de 2 500 à 3 500 habitants - et le rétablissement de ce scrutin dans les départements élisant trois sénateurs. Vous avez également reporté à 2012 l'application des sanctions financières pour les partis politiques ne respectant pas la parité des candidatures aux élections législatives.
S'agissant des élections cantonales, vous vous êtes limités à introduire un faux-semblant de parité en instaurant un suppléant de sexe différent de celui du titulaire, faute de prendre en compte l'importance des pouvoirs accordés aux départements.
Vous avez inventé la parité en viager. Je vous avais dit, à l'époque, que votre loi ferait avancer la parité à la vitesse du corbillard. (Sourires sur les travées du groupe socialiste.) En effet, avec 130 décès de conseillers généraux entre 1999 et 2007 sur un effectif de plus de 4 500, soit 15 décès par an, ce texte ne concerne que les quatre millièmes de l'ensemble des conseils généraux !
On voit l'immense saut de puce que vous avez fait faire à la parité !
Cette proposition de loi ne vise ni à favoriser la féminisation des assemblées départementales ni à rendre la loi plus claire : il s'agit en fait de faciliter les modalités de remplacement, dans des conditions peu conformes à la transparence et à la lisibilité que sont en droit d'attendre les électeurs, et, en définitive, de favoriser le cumul des mandats.
On ne peut pas dire que ce texte s'inscrive dans la modernisation des institutions et encore moins dans la moralisation de la vie politique !
M. Charles Gautier. Parlons de magouille, c'est plus juste !
M. Bernard Frimat. La modernisation consisterait à limiter le cumul des mandats plutôt que de régler et de favoriser les remplacements en cas de cumul.
Le rapport Mariani explique - ce doit être de l'humour ! - qu'il s'agit de corriger « un régime de suppléance lacunaire », dû aux conditions d'examen qui ont précédé l'adoption de la loi de janvier 2007. Mme Zimmermann affirme qu'il s'agit d'une imperfection, que « la prolongation de la navette parlementaire aurait sans doute pu permettre de corriger ». Outre qu'elles ne sont pas convaincantes, ces explications sont carrément fausses !
La relecture des débats du Sénat, toujours intéressante, monsieur le président, montre qu'il ne s'agit pas d'un oubli dû aux conditions d'examen, contrairement à ce que suggèrent faussement nos collègues de l'Assemblée nationale. Le Sénat fait la loi, même si l'Assemblée nationale a le dernier mot. Le respect du débat parlementaire suppose que chacune des assemblées examine les arguments de l'autre. Or le rapport Mariani ne mentionne pas le débat qui a eu lieu au Sénat sur ce point, et l'on comprend facilement pourquoi !
Le projet de loi initial prévoyait un « ticket paritaire » et le remplacement par le suppléant en cas de décès.
Reprenons l'historique : la commission des lois a adopté l'amendement n° 21, présenté par le rapporteur, Patrice Gélard, que je salue. Je suis sensible, je tiens à le lui dire, à l'arrachement qui a dû être le sien de ne pas pouvoir continuer son travail de rapporteur.
M. Charles Gautier. C'est sûr !
M. Bernard Frimat. Patrice Gélard, disais-je, étendait, par un amendement, ce dispositif aux cas de présomption d'absence et dans l'hypothèse de nomination au Conseil constitutionnel.
La commission des lois avait accepté un sous-amendement tendant à prévoir, Mme Gautier l'a rappelé, le remplacement d'un conseiller général dont le siège est vacant pour cause de limitation du cumul des mandats par la personne élue en même temps que lui, sous réserve de la suppression de la référence à l'article L.O.141 relatif aux incompatibilités applicables aux parlementaires.
Patrice Gélard rappelait que, si les élus locaux sont obligés d'abandonner un ancien mandat et de conserver le dernier acquis en cas de cumul, les parlementaires ont la possibilité de démissionner du dernier mandat acquis. Il soulignait le risque qu'un parlementaire puisse être candidat aux cantonales pour assurer la désignation de son remplaçant après sa démission ; c'est l'exemple évoqué par Mme Dini.
En séance, le rapporteur, M. Gélard, a de nouveau développé cet argument. Je vous cite, mon cher collègue : « Tout simplement parce que les cas d'incompatibilité sont différents selon qu'ils concernent les parlementaires ou les autres élus, le parlementaire dispose d'une faculté supplémentaire : il peut choisir librement le mandat qu'il souhaite abandonner. Même si j'ai la plus grande confiance en mes collègues parlementaires qui se présenteraient aux élections cantonales, force est de constater... » - et votre propos n'était pas différent, madame la ministre - « ...que cette liberté pourrait, malheureusement, conduire à des manipulations et permettre au parlementaire d'utiliser son autorité pour choisir son successeur, ce qui serait un détournement du droit. »
Eh bien, nous y sommes !
« En revanche, poursuiviez-vous, monsieur Gélard, les autres cas d'incompatibilité sont recevables. Ainsi, un conseiller général qui devient maire de sa commune n'a pas le choix : il est obligé de choisir le dernier mandat pour lequel il a été élu et d'abandonner le précédent ; en définitive, il est lié ! ».
Aucun argument juridique nouveau n'est venu infirmer cette démonstration.
Ce texte de dernière minute est donc un texte de circonstance, rédigé à la hâte, destiné à faciliter la mise en conformité avec les règles sur le cumul des mandats lorsqu'un parlementaire est concerné. Ainsi, au vu des résultats obtenus, celui-ci pourra, s'il le décide, démissionner du mandat de conseiller général qu'il vient d'acquérir sans faire courir le moindre risque politique à son parti, grâce au remplacement automatique. De manière générale, le remplaçant sera une remplaçante. Celle-ci ne deviendra conseillère générale que par la volonté du titulaire, s'il choisit effectivement de démissionner de son mandat.
Trois hypothèses sont envisageables.
Première hypothèse : le parlementaire en situation de cumul démissionne du mandat de conseiller général, car il a fait ce qu'il est convenu d'appeler la « locomotive » et n'a jamais eu l'intention d'exercer ce mandat. Cette attitude, malhonnête vis-à-vis des électeurs, équivaut à une manipulation du scrutin. En outre, elle accrédite l'idée, singulièrement paradoxale, selon laquelle une femme ne serait pas capable de conquérir le mandat, mais pourrait l'exercer.
Deuxième hypothèse : le parlementaire démissionne de son mandat cantonal fraîchement acquis parce que, le conseil général n'ayant pas basculé du côté de son bord politique, il n'y a plus d'enjeu. Dans ce cas, la suppléante deviendra conseillère générale, mais dans les rangs de l'opposition.
Troisième hypothèse : le parti du parlementaire obtient une majorité au conseil général. Il pourra briguer la présidence et, dès lors, abandonner son mandat de conseiller municipal ou de parlementaire, permettant à la suppléante... de rester suppléante. Dans ce dernier cas, il y aura une élection législative partielle.
En résumé, c'est seulement si le résultat des élections cantonales n'est pas conforme à celui qui était espéré ou si l'enjeu politique a disparu que les femmes auront une chance de devenir conseillères générales !
Nous sommes bien loin, mes chers collègues, de la volonté de favoriser l'accès des femmes aux fonctions de conseiller général et d'un prétendu bug législatif à corriger !
La différence de traitement prévue par la loi de janvier 2007 en cas de démission d'un parlementaire du mandat de conseiller général est fondée sur une justification valable : seule une élection partielle permet le respect des électeurs, la lisibilité et la sincérité du scrutin électoral.
En revanche, si vous adoptez la proposition de loi, vous allez, pour le coup, créer un bug législatif ! En effet, une élection cantonale partielle n'interviendra pas quand un parlementaire en situation de cumul deviendra conseiller général et abandonnera le mandat qu'il vient d'acquérir alors que, si un élu local en situation de cumul devient parlementaire, l'élection cantonale partielle sera maintenue.
Au-delà de la totale incohérence de cette situation, cela constitue un véritable aveu : ce qui intéresse nos collègues députés, c'est moins le sort de celles et de ceux qui deviendront parlementaires que celui de celles et ceux qui le sont aujourd'hui et qui sont concernés par cette modification de circonstance.
Le fait que le président de la commission des lois de l'Assemblée nationale ne vise que l'article L.O. 151-1 du code électoral et ignore superbement l'article L.O. 151 montre la réalité de ces préoccupations.
Vous avez, madame la ministre, rappelé à juste titre que les modifications d'une loi un an seulement après son adoption créaient toujours une instabilité juridique. Vous avez rappelé, encore une fois à juste titre, l'usage républicain qui veut que les règles d'élection ne soient pas modifiées moins d'un an avant le scrutin, et encore moins une semaine avant le dépôt des candidatures. Et vous avez enfin rappelé que ce texte pouvait produire de fâcheux effets pervers.
Je prends acte des fortes réserves du Gouvernement sur cette initiative législative qui n'est pas sienne et à laquelle on ne peut pas dire qu'il ait apporté, par votre bouche, un soutien résolu. Il me plaît de croire que nous sommes dans cette assemblée encore quelques-unes et quelques-uns à essayer de maintenir le droit.
En conclusion, mes chers collègues, la question qui se pose est simple, archi-simple : la majorité sénatoriale va-t-elle, à un an d'écart, déjuger Patrice Gélard, se déjuger elle-même et accepter de cautionner - appelons les choses par leur nom - de petits arrangements entre députés amis ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et de l'UC-UDF. - Un sénateur de l'UMP applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Philippe Nachbar.
M. Philippe Nachbar. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le texte que nous examinons aujourd'hui se situe dans la droite ligne de la loi que nous avons adoptée le 31 janvier 2007, dont l'objet était de renforcer les dispositifs permettant un égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux.
Trois chiffres évoqués il y a un instant par Mme le rapporteur suffisent à démontrer la nécessité de renforcer la représentativité des conseils généraux.
Lors du renouvellement de 2004, aucune femme n'a été élue dans dix-huit départements, et l'on ne compte aujourd'hui que 10,9 % de conseillères générales. Dans les deux séries renouvelables, il y a 411 conseillères générales sur 3 966 élus. Enfin, trois femmes seulement président en France un conseil général.
C'est dire la nécessité d'améliorer pas à pas le dispositif qui permet un égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux. Tel était l'objet de la loi du 31 janvier 2007, dont je rappelle qu'elle concernait, outre l'institution des suppléants de conseils généraux, l'égal accès des hommes et des femmes aux exécutifs des communes de plus de 3 500 habitants et des conseils régionaux, l'alternance stricte dans les listes municipales des communes de plus de 3 500 habitants et, enfin, l'accroissement de la modulation financière infligée aux partis politiques qui ne respectent pas la parité dans les candidatures aux élections législatives.
Ce texte avait aussi prévu l'institution d'un « ticket » ou d'une équipe mixte formée par le candidat et son remplaçant, l'un et l'autre devant être de sexes différents.
Grâce à cette disposition, près de 4 000 femmes pourront participer, en qualité de titulaires ou de suppléantes, aux élections cantonales. Deuxième avantage peut-être un peu perdu de vue : les modalités de remplacement en cas de vacance de siège s'en trouveront facilitées et le nombre d'élections partielles réduit.
En effet, le système permet de remplacer le titulaire par son suppléant sans élection partielle dans un certain nombre de cas, d'ailleurs en augmentation grâce à l'initiative de la délégation aux droits des femmes du Sénat lors du débat sur ce texte en janvier 2007.
Le rapporteur a évoqué les cas dans lesquels le titulaire est remplacé par son suppléant : décès, présomption d'absence, cas sans doute peu fréquent dans l'histoire des conseils généraux, nomination au Conseil constitutionnel, hypothèse elle aussi improbable, et démission motivée par la loi sur le cumul des mandats. Ce dernier cas concerne le cumul de plus de deux mandats locaux et le cumul d'un mandat local avec un mandat de député européen. On comprend mal, en effet, que soient écartés du champ d'application de ce texte les parlementaires nationaux, députés et sénateurs.
Dès lors, si nous restons sous l'empire du texte actuel, une cantonale partielle aura lieu chaque fois qu'un député ou un sénateur, élu au conseil général, devra renoncer au mandat cantonal.
C'est donc un frein à la volonté du législateur, désireux d'améliorer l'accès des femmes aux assemblées départementales, que nous allons essayer aujourd'hui de lever. En effet, la proposition de loi que nous examinons institue un régime unifié de remplacement, sans que l'on distingue selon le mandat de l'élu concerné par le texte. Cette proposition de loi va, par conséquent, améliorer la parité dans les conseils généraux et apporter une pierre supplémentaire à cet édifice auquel nous tenons.
Je vois trois avantages à ces dispositions.
D'abord, une cohérence juridique accrue puisque les règles applicables seront les mêmes quel que soit le mandat concerné.
Ensuite, la limitation des élections partielles. Vous l'avez, madame la ministre, rappelé : les élections cantonales partielles ne font pas honneur à notre démocratie compte tenu du taux d'abstention spectaculaire que nous enregistrons alors, notamment en milieu urbain, où le deuxième tour devient très souvent obligatoire faute d'avoir atteint les 25 % de participation au premier tour.
Par conséquent, limiter, dans ce cas de figure, les élections partielles me paraît une nécessité.
Enfin, l'adoption de ce texte rendra aussi les conseils généraux plus représentatifs non seulement du territoire, mais de la société française dans son ensemble. Nous sommes, dans cette enceinte, fondamentalement attachés à l'institution départementale, qui répond aux besoins de proximité et d'efficacité éprouvés par nos concitoyens. Il faut donc que les assemblées départementales soient exemplaires, à l'instar des conseils régionaux et des conseils municipaux des communes de plus de 3 500 habitants, progressivement rejoints par l'Assemblée nationale et le Sénat.
C'est la raison pour laquelle le groupe UMP votera ce texte, considérant que, en modifiant les règles relatives au cumul des mandats et à l'organisation d'élections partielles, il complétera utilement le dispositif de la loi du 31 janvier 2007. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. Yannick Bodin. C'est ingrat, n'est-ce pas, de dire le contraire de ce qu'on a dit un an plus tôt !
M. le président. La parole est à Mme Josiane Mathon-Poinat.
Mme Josiane Mathon-Poinat. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, le dernier renouvellement des conseillers généraux a eu lieu en mars 2004 ; ce fut l'occasion de constater que les inégalités d'accès aux fonctions électives entre hommes et femmes étaient toujours aussi écrasantes dans notre pays.
Aucune femme n'a été élue dans dix-huit départements. Seulement six conseils généraux sont composés de plus de 20 % de femmes, qui ne représentent en moyenne que 9,3 % des effectifs des conseils généraux.
On peut également constater que, dans les exécutifs locaux, elles ne sont qu'un faible nombre à occuper les fonctions de maire ou de présidente de conseil général.
Les élections cantonales sont particulièrement en retard en termes d'égalité entre les hommes et les femmes.
Nous avions émis de nombreuses critiques et fait de nombreuses propositions à ce sujet l'année dernière au moment du débat sur le projet de loi tendant à promouvoir l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives, mais l'inscription tardive de ce texte à l'ordre du jour avait laissé peu de latitude aux parlementaires pour sortir des sentiers balisés par le Gouvernement et le modifier en profondeur.
C'est la même précipitation qui caractérise l'examen du texte qui nous est soumis aujourd'hui puisque la seule modification qu'il introduit ne résorbera en rien la ségrégation dont sont victimes les femmes.
L'instauration de suppléants n'a eu pour conséquence que de maintenir les hommes au rang de titulaires et de reléguer les femmes au rang de suppléantes.
En supprimant l'organisation d'élections partielles en cas de cumul de mandats au profit des suppléants, on va surtout permettre à des parlementaires de se présenter à des élections cantonales sans intention de siéger au conseil général, dans le seul but d'être un « capteur de voix » pour leur parti politique.
Prenons le cas d'un de nos collègues - mais il y en a sans doute bien d'autres -, M. Jean-Claude Mignon, député de la Seine-et-Marne, maire de Dammarie-les-Lys, ville de près de 21 000 habitants, président de la communauté d'agglomération Melun-Val-de-Seine et depuis peu candidat aux élections cantonales. Quel sera son choix : abandonnera-t-il un mandat ancien ou, de façon quelque peu tacticienne, va-t-il laisser le siège à sa suppléante ? On le devine...
La vraie modernisation des institutions consisterait plutôt à limiter le cumul des mandats. Au lieu de cela, vous instrumentalisez la thématique de la « parité » pour camoufler vos ambitions aux prochaines élections, qui se tiendront dans un mois.
Pourtant, la parité n'est pas la solution universelle et nous ne pouvons pas tout en attendre. L'accompagner de mesures concrètes et efficaces en direction des élus, hommes et femmes, s'avère par conséquent nécessaire.
J'ai posé ici même la question du statut des élus locaux le 22 janvier dernier. Assurer l'égal accès des femmes et des hommes aux positions électives signifie en effet qu'il faut leur assurer des conditions égales et donc revenir sur les nombreuses discriminations sociales, économiques et éthiques. Créer un réel statut des élus, prendre en compte les contraintes familiales, assurer le retour à l'emploi, offrir des garanties indemnitaires permettrait à de nombreuses femmes de franchir le cap et de mener jusqu'au bout leur engagement.
Par ailleurs, la question de l'accès des femmes à la vie politique n'est pas non plus à distinguer totalement de celle du mode de scrutin. Même M. Mariani, rapporteur de la présente proposition de loi à l'Assemblée nationale, reconnaît que le mode d'élection au scrutin majoritaire uninominal ne favorise pas l'accès à la parité. Afin de rendre effective la parité au sein des conseils généraux, la meilleure solution serait d'introduire la proportionnelle.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Tiens donc !
Mme Josiane Mathon-Poinat. L'égalité d'accès aux fonctions électives entre hommes et femmes appelle donc à une réflexion globale sur le statut de l'élu, la place des femmes dans la société, les modes de scrutin, le cumul des mandats.
En légiférant dans l'urgence avec une vision partielle du problème, guidés par des motifs plus tactiques qu'éthiques ou par la nécessité de réparer les omissions imputables au manque de réflexion qu'entraîne inévitablement l'inflation législative dénoncée par tous - n'est-ce pas, monsieur le président de la commission ? -,...
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Absolument !
Mme Josiane Mathon-Poinat. ... vous ne résoudrez en rien les inégalités de la représentation.
J'ajoute qu'il n'est pas dans la tradition républicaine de modifier les règles d'une élection à cinq semaines du scrutin. La manoeuvre sous-jacente est quelque peu grossière et je ne doute pas qu'elle transparaîtra, hélas, dans les résultats des prochaines élections... (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion de l'article unique.
Article unique
Dans le premier alinéa de l'article L. 221 du code électoral, le mot et la référence : « ou L. 46-2 » sont remplacés par les références : «, L. 46-2 ou L.O. 151-1 ».
M. le président. L'amendement n° 1, présenté par M. Frimat et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Bernard Frimat.
M. Bernard Frimat. Ayant déjà détaillé les raisons pour lesquelles nous voulons la suppression d'un texte dont la seule qualité est pourtant d'être court, je me bornerai à redire qu'étendre les cas de remplacement du conseiller général titulaire par le suppléant d'un autre sexe aux cas de démission pour cause de cumul lorsqu'il concerne un député ou un sénateur en place autorise ce député ou ce sénateur à user de leur notoriété en se présentant à une élection cantonale sans intention de siéger au conseil général, dans le seul but de faire élire la personne qu'ils ont choisie pour suppléante, que ce soit par affection politique, par affection personnelle, par affection familiale, par affection politico-familiale... À n'en pas douter, les prochaines élections nous donnerons la possibilité de juger jusqu'à quel degré le coeur rejoint la politique et la raison !
Inscrire à la veille des élections locales une telle pratique dans la loi est de nature à altérer la sincérité, la transparence, la lisibilité du scrutin, le respect dû aux électeurs.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Hélas !
M. Bernard Frimat. La progression de la féminisation des assemblées départementales est un sujet suffisamment important pour qu'il soit traité dans la clarté et sans manipulations. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
Mme Catherine Troendle, rapporteur. Mes chers collègues, la commission des lois ne s'étant pas réunie pour examiner cet amendement, c'est à titre personnel que je m'exprime, vous rappelant que cet amendement de suppression est contraire à la position de la commission et qu'il coupe court à toute amélioration, fût-elle mineure, de la promotion de la féminisation des conseils généraux. (Exclamations amusées sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. Charles Gautier. Nous n'en sommes plus là ! Pas de ça entre nous !
Mme Catherine Troendle, rapporteur. Par ailleurs, nous venons d'entendre les arguments de M. Frimat, et nous nous souvenons des arguments développés par M. Gélard lors de la discussion de la loi du 31 janvier 2007, mais je ne veux pas croire que, quelle que soit leur étiquette politique, des parlementaires puissent se présenter aux prochaines élections cantonales sans être motivés par la réelle intention de siéger au conseil général. (Nouvelles exclamations de même nature sur les mêmes travées.)
M. Jean-Claude Carle. Très bien !
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre. Je crois avoir eu l'occasion de très clairement m'exprimer sur un certain nombre de problèmes qui se posaient.
Dans le même temps, comme je l'ai dit, il s'agit d'une proposition d'origine parlementaire qui a des visées très concrètes et qui répond à un souci de simplification : faire en sorte que, à court terme, davantage de femmes entrent dans les assemblées des conseils généraux et éviter la multiplication d'élections partielles qui, dans la mesure où elles ne mobilisent que faiblement les électeurs, mettent en cause la crédibilité et la légitimité de nos institutions.
Je ne peux donc qu'être défavorable à cet amendement.
M. le président. La parole est à Mme Josiane Mathon-Poinat, pour explication de vote.
Mme Josiane Mathon-Poinat. Peut-être est-il plus difficile aux candidats de mobiliser les électeurs dans les élections partielles, mais je soutiens l'amendement de nos collègues socialistes, d'une part, parce que la règle républicaine voudrait que les modes de scrutin ne soient pas modifiés dans l'année qui précède une élection et, d'autre part, parce que je refuse que la parité soit fallacieusement utilisée comme un prétexte !
M. Yannick Bodin. Parité cache-sexe !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Et cache-misère !
M. le président. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat.
M. Pierre-Yves Collombat. Ce texte pose, avez-vous dit, madame le ministre, un certain nombre de problèmes. C'est le moins que l'on puisse dire et, à en juger par l'embarras de la commission, c'est un sentiment partagé !
La parité a jusqu'à présent été un moyen de corriger les effets négatifs, pour les femmes, de l'application du vieux principe républicain selon lequel les citoyens et leurs représentants n'ont pas de sexe. À cet égard, je ne résiste pas au plaisir de citer Sieyès, qui, dans son célèbre pamphlet Qu'est-ce que le Tiers État ?, écrivait : « Le droit de se faire représenter n'appartient aux citoyens qu'à cause des qualités qui leurs sont communes, et non pas celles qui les différencient. Les avantages par lesquels les citoyens diffèrent entre eux sont au-delà du caractère de citoyen. »
Le texte que nous examinons pervertit radicalement l'aspect correctif, positif sur le plan pratique, du principe de parité. En l'espèce, quel que soit l'emballage dans lequel le produit nous est présenté, qu'il s'agisse d'améliorer la parité ou de diminuer le nombre d'élections partielles - par parenthèse, si c'est bien là le but, le plus simple serait de supprimer toutes les élections partielles ! -, on va permettre à une personnalité de servir de locomotive pour l'élection de quelqu'un que l'on ne croit pas capable de se faire élire.
C'est ce que, précédemment, la commission des lois et le Sénat lui-même n'avaient pas accepté, vous le savez ; je n'y insiste donc pas.
À la limite, comme l'a relevé Bernard Frimat, on aurait pu accepter qu'en cas d'élection au Parlement d'un conseiller général sa suppléante devienne conseillère générale, mais la proposition de loi a précisément l'objet inverse puisqu'elle vise à permettre à un parlementaire élu conseiller général de démissionner le lendemain de son élection sans entraîner d'élections partielles.
Tout le monde en conviendra, c'est un peu « gros » et, après avoir cité Sieyès, je terminerai en parodiant Mme Roland : ô parité, parité chérie, que de tripatouillages on commet en ton nom !
M. le président. La parole est à M. Patrice Gélard.
M. Patrice Gélard. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, pour tous les scrutins qui auront lieu sur cette proposition de loi, je ne prendrai pas part au vote, ne voulant pas me déjuger par rapport à ce que j'avais déclaré l'année dernière. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. Bernard Frimat. Un vote acquis grâce aux renforts qui viennent d'arriver !
M. Yannick Bodin. Là, ce ne sont pas les suppléants, ce sont les supplétifs !
Article additionnel après l'article unique
M. le président. L'amendement n° 2, présenté par M. Bodin et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Après l'article unique, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
La disposition de la présente loi s'applique à partir du 1er janvier 2009.
La parole est à M. Yannick Bodin.
M. Yannick Bodin. L'objet de cet amendement est de lever les doutes qui pèsent, comme le débat qui vient de se dérouler l'a montré, sur les réelles motivations justifiant l'examen et l'adoption précipités de cette proposition de loi.
Si cet amendement était adopté, ce texte serait applicable, mais seulement à partir du 1er janvier 2009.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ce serait logique !
M. Charles Gautier. Ce serait déjà mieux, et plus honnête !
M. Yannick Bodin. Je le rappelle, le dépôt des candidatures sera possible en préfecture à compter du 13 février prochain, c'est-à-dire dans moins d'une semaine, heure pour heure. La campagne électorale officielle, quant à elle, commencera le 25 février prochain, c'est-à-dire dans trois semaines, et le scrutin aura lieu le 9 mars prochain, donc dans à peine plus d'un mois. Bref, le code électoral va être modifié alors que le processus électoral se trouve déjà engagé. Ce record mérite d'être inscrit au livre Guinness ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. Jean-Claude Carle. Pas de publicité, s'il vous plaît !
M. Yannick Bodin. Or, comme l'avait souligné le doyen Gélard, une règle constitutionnelle, certes non écrite, mais validée par le Conseil constitutionnel, prévoit que les modalités d'un scrutin ne peuvent être modifiées à moins d'un an d'une élection.
Toujours lors du débat qui s'est tenu au Sénat en décembre 2006, M. Hortefeux, alors ministre délégué aux collectivités territoriales, n'avait-il pas affirmé qu'il s'agissait « d'une question d'honnêteté » ? (M. le président de la commission des lois proteste.) Je dis bien : « d'une question d'honnêteté » !
M. Charles Gautier. Il avait raison !
M. Yannick Bodin. Il s'agit donc bien d'un texte d'opportunité politique, qui vise à favoriser les candidats de la majorité.
Derrière cette proposition de loi, il y a une intention malsaine. Mes chers collègues, en voulez-vous une preuve immédiate et flagrante ? Elle a été donnée tout à l'heure, et j'y reviens pour faire plaisir à M. le président de la commission !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Monsieur Bodin, je ne vous permets pas ! Je vous répondrai !
M. Yannick Bodin. Si vous voulez !
Au moment même où ce texte était voté à l'Assemblée nationale, nous apprenions, dans le journal Le Parisien, la déclaration de candidature aux cantonales de M. Jean-Claude Mignon, député de Seine-et-Marne, maire de Dammarie-les-Lys, président de la communauté d'agglomération Melun-Val-de-Seine.
Naturellement, celui-ci affirmait se présenter « afin de favoriser la promotion des femmes »... Mais s'agit-il de son véritable objectif ? Non ! Il est candidat afin de prendre la présidence du conseil général, et il ne s'est pas trompé !
M. Philippe Adnot. Vous tiendrez les mêmes propos à François Hollande, je suppose ! (Sourires sur les travées de l'UMP.)
M. Pierre-Yves Collombat. Si vous stigmatisez M. Hollande, soyez logiques : votez contre cette proposition de loi !
M. Yannick Bodin. Quand on se sera rappelé que, dans le département de Seine-et-Marne, la droite est minoritaire d'un siège seulement, on sera convaincu que la décision subite prise hier par M. Mignon n'est guidée que par le souci de faire avancer la cause des femmes en politique ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Les femmes n'acceptent pas d'être traitées ainsi !
M. Yannick Bodin. À l'évidence, M. Mignon a examiné cette proposition de loi facilitant l'accès des femmes et des hommes au mandat de conseiller général et il s'est dit, en se levant hier matin : « Mais c'est bien sûr ! Il faut que je fasse quelque chose pour la promotion des femmes dans mon département de Seine-et-Marne ! » (Rires sur les mêmes travées.)
Mes chers collègues, c'est cousu de fil blanc !
Mme la ministre de l'intérieur a déclaré hier à l'Assemblée nationale qu'il fallait « veiller à nous prémunir contre tout détournement ». Or la proposition de loi n'est pas encore votée au Sénat que le détournement est déjà accompli !
Je conclurai en citant Mme Monique Papon - puisse-t-elle me le pardonner - qui, elle aussi, est intervenue lors de notre débat du 14 décembre 2006. En évoquant un amendement qui avait été retiré, elle affirmait que, s'il avait été adopté, « cela aurait eu une conséquence catastrophique s'agissant des parlementaires ». Et de s'expliquer ainsi : « En effet, contrairement aux autres élus, ceux-ci ont la possibilité de ne pas conserver le dernier mandat acquis. Nous aurions alors pu assister, élections après élections, à une multitude de candidatures non sincères n'ayant d'autre objet que de ravir un canton en utilisant le prestige de parlementaire. Cela n'aurait pas été sain et je remercie la présidente et le rapporteur d'avoir rectifié leur amendement. »
Dans le droit-fil des propos tenus en décembre 2006 par les personnalités les plus éminentes - y compris celles qui représentaient le Gouvernement -, nous voterons donc contre cette proposition de loi, mais, puisque son article unique vient d'être adopté, nous souhaitons, pour revenir à un minimum de moralité, que cette disposition ne s'applique qu'à partir de 2009.
Mes chers collègues, afin que chacun d'entre nous puisse se regarder ce soir sereinement dans la glace, je vous demande de voter cet amendement.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. La délégation aux droits des femmes devrait s'opposer à une telle instrumentalisation !
M. Charles Gautier. Démissionnez, madame Gautier !
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
Mme Catherine Troendle, rapporteur. Cet amendement n'a pas été examiné par la commission des lois. C'est donc, une fois encore, à titre personnel que je m'exprime.
Pour ma part, j'ai toujours soutenu ce dispositif, en particulier lors de la discussion de ce qui est devenu la loi du 31 janvier 2007. En effet, il présente plusieurs avantages. Le premier, incontesté, est de contribuer à la féminisation des conseils généraux. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC. - Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s'esclaffe.)
M. Jean-Claude Carle. Très bien !
Mme Catherine Troendle, rapporteur. Ce dispositif contribuera certainement à faire avancer la féminisation des conseils généraux, même si ce processus est lent.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Comment une femme peut-elle tenir de tels propos ?
Mme Catherine Troendle, rapporteur. À cet égard, je souhaite revenir sur les arguments développés tout à l'heure par M. Frimat. Les femmes qui siégeront dans les conseils généraux à la suite d'une démission, même si celle-ci est inspirée par des motivations douteuses, seront, j'en suis convaincue, pleinement engagées et déterminées, et leur candidature future en qualité de titulaire sera incontournable. (Nouvelles exclamations sur les mêmes travées.)
M. Jean-Marc Todeschini. Mais elles n'ont qu'à être candidates ! Faites-leur confiance !
M. Charles Gautier. Respectez les femmes !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Demandez à votre parti de présenter des femmes !
M. le président. Mes chers collègues, laissez s'exprimer Mme le rapporteur.
Mme Catherine Troendle, rapporteur. Le second avantage de ce dispositif est d'éviter la multiplication des élections partielles qui, vous le savez, mes chers collègues, mobilisent très peu les électeurs. Ainsi, il contribuera au maintien de la stabilité politique au sein des conseils généraux, qui peuvent basculer à chaque élection partielle.
À titre personnel, j'émets donc un avis défavorable sur cet amendement.
M. Charles Gautier. C'est du Grand-Guignol !
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre. J'ai eu l'occasion d'exprimer mon inquiétude quant à certaines dispositions de cette proposition de loi. Toutefois, je n'apprécie pas non plus l'hypocrisie : pour avoir lu des textes émanant de membres du parti socialiste, dont je tairai les noms, qui approuvaient la présente proposition de loi, je trouve pour le moins excessif de montrer la majorité du doigt !
Par ailleurs, si je puis comprendre certaines inquiétudes, les propos de celui qui a soutenu cet amendement, son agressivité, ses sous-entendus ... (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. Yannick Bodin. Précisément pas !
M. Charles Gautier. C'est vous qui faites des sous-entendus !
M. Yannick Bodin. Lesquels ?
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre. ... font que je ne puis, en aucun cas, donner un avis favorable sur cet amendement. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Yannick Bodin, pour explication de vote.
M. Yannick Bodin. Madame le ministre, nous sommes prêts à entendre tous vos arguments, mais lorsqu'on insulte une partie de cette assemblée en traitant ses membres de menteurs...
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Comment ? Mais c'est un peu fort !
M. Yannick Bodin. Monsieur le président de la commission, j'ai entendu le mot « mensonges », ce qui signifie bien que certains d'entre nous seraient des menteurs !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. C'est un simple constat !
M. Yannick Bodin. Il n'est pas correct de traiter les gens de menteurs ! Et quand on mentionne des textes et des déclarations, il faut au moins avoir le courage de donner le nom de leurs auteurs.
M. Charles Gautier. Tous les noms !
M. Yannick Bodin. C'est ce que j'ai fait, pour ma part, en rapportant les propos de M. Gélard, de Mme Papon, de vous-même, madame le ministre, et de votre prédécesseur chargé des collectivités territoriales, M. Hortefeux.
Nous, nous avons eu le courage de citer précisément nos sources : il s'agit, ni plus ni moins, du compte rendu de nos débats, publié au Journal officiel !
Si je comprends que vous ne soyez pas d'accord avec nous, j'aurais aimé que vous adoptiez la même attitude dans votre réponse, en indiquant les noms de ceux auxquels vous faisiez allusion, et certainement pas en nous traitant de menteurs. Ce n'est pas correct !
M. le président. La parole est à Mme Josiane Mathon-Poinat.
Mme Josiane Mathon-Poinat. Madame le ministre, si vous n'avez aucune arrière-pensée, si aucune manoeuvre retorse ne se cache derrière votre texte, pourquoi cet amendement ne peut-il être adopté ?
Par ailleurs, madame le rapporteur, je suis scandalisée par vos propos. Comment pouvez prétendre défendre la cause des femmes et tenir des propos d'une telle indigence ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à Mme Muguette Dini.
Mme Muguette Dini. Je ne participerai pas au vote sur cet amendement. En effet, comme je suis résolument opposée à cette proposition de loi, le report de son application à 2009 ne me satisferait nullement : je souhaite qu'elle soit purement et simplement retirée ou rejetée.
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 2.
(L'amendement n'est pas adopté.)
Vote sur l'ensemble
M. le président. Avant de mettre aux voix l'ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à M. Bernard Frimat, pour explication de vote.
M. Bernard Frimat. Nous arrivons au terme de ce débat. C'est d'ailleurs devenu pour nous une habitude de traiter en urgence des questions qui mériteraient de plus amples discussions, ainsi qu'une hauteur de vue nous mettant à l'abri de tout risque de manipulation !
Le groupe socialiste du Sénat, comme le fit hier le groupe socialiste de l'Assemblée nationale, votera contre ce texte, ce qui me semble la meilleure façon d'indiquer de la manière la plus évidente notre position. Que les choses soient bien claires : au sein du parti socialiste, personne n'est favorable à ce texte, et nous ne nous laisserons pas objecter de supposés écrits.
M. Charles Gautier. Qui restent introuvables !
M. Bernard Frimat. Le débat au Parlement est public ; il nous semble donc important que le scrutin portant sur ce texte le soit également.
En décembre 2006, certains de nos collègues s'étaient manifestés très clairement contre ces dispositions ; c'était le point de vue de la majorité sénatoriale. Si celle-ci change aujourd'hui d'avis, je souhaite que ce revirement apparaisse dans toute sa splendeur et que chacun en soit individuellement comptable.
Le temps viendra où nous pourrons mesurer très exactement en quoi les solutions que vous proposez sont fausses et ne font pas avancer la parité.
Vous le savez, ce sont les lois de 1999 et de 2000 qui ont permis à la parité de progresser. Grâce à elles, les conseillers municipaux des communes de plus de 3500 habitants, les conseillers régionaux et les représentants de la France au Parlement européen sont à l'image de notre pays. C'est partiellement le cas aussi des sénateurs, grâce aux départements dans lesquels s'applique le scrutin proportionnel. À l'évidence, il convient d'adopter des mesures beaucoup plus fortes que celles qui figurent dans la loi du 31 janvier 2007.
Je rappelle qu'en 2006 - je parle sous le contrôle de M. le président de la commission, qui m'en donnera acte -, nous sommes tous tombés d'accord pour estimer qu'eu égard à la proximité des élections nous ne pouvions mettre en chantier une telle réforme. Nous avons alors respecté la règle qui veut qu'on ne réforme pas les conditions d'organisation d'un scrutin moins d'un an avant l'échéance électorale concernée. Le Sénat s'honorerait aujourd'hui, me semble-t-il, s'il maintenait sa position.
Nous le savons tous, notre mandat ne peut être impératif. Chacun est entièrement libre de son vote, mais il en sera comptable, et vous pouvez compter sur nous pour faire connaître votre choix, chers collègues de la majorité, ne serait-ce que par respect pour ce que doit être l'action publique.
Quant à ce texte, nous verrons ce qu'il deviendra...
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'ensemble de la proposition de loi.
Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe socialiste.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?...
Le scrutin est clos.
(Il est procédé au comptage des votes.)
M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 80 :
Nombre de votants | 317 |
Nombre de suffrages exprimés | 315 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 158 |
Pour l'adoption | 173 |
Contre | 142 |
Le Sénat a adopté définitivement.
La parole est à M. le président de la commission.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Je dirai d'abord que nous devons nous garder de nous laisser emporter par la passion alors que nous pouvons débattre sereinement.
Sur le fond, maintenant, Mme le rapporteur a raison de souhaiter que la réforme s'applique à tous les mandats. À ce jour, c'est vrai, nous n'avons parcouru que la moitié du chemin pour établir la parité dans les fonctions électives, un principe que nul ne saurait remettre en cause.
Dans ces conditions, pourquoi refuser à un parlementaire ce que nous avons permis à un conseiller régional ou à un maire devenu conseiller général ? Au nom de quoi édicterions-nous des règles différentes ?
De ce point de vue, l'argumentation qu'avait développée Patrice Gélard l'année dernière me paraît pertinente : les parlementaires pourraient se présenter alternativement et faire siéger leur suppléant, étant entendu que les parlementaires peuvent aussi bien être des femmes que des hommes.
D'ailleurs, il faudrait commencer par faire progresser la parité à l'Assemblée nationale, car le mandat de député est un mandat électoral majeur ! Le Sénat a, quant à lui, réalisé une avancée en ce domaine en instaurant la proportionnelle dans la moitié des départements.
Permettez-moi une dernière remarque, mes chers collègues. Il n'est pas bon de personnaliser un débat et de viser quelqu'un en particulier, surtout lorsqu'on a toujours, dans son département, été battu au scrutin majoritaire par celui-là même que l'on a mis en cause et que l'on n'a jamais été élu qu'à la proportionnelle !
M. Jean-Marc Todeschini. C'est méchant et inutile !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Ceux qui votent contre cette proposition de loi prétendent en tirer un bénéfice moral. Puissent-ils n'en tirer aucun bénéfice politique !
J'espère enfin qu'aucun parlementaire de gauche ne se présentera aux élections cantonales pour décider ensuite de ne pas siéger au conseil général ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. Bernard Frimat. Bien sûr !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C'est petit !
3
Libertés et responsabilités locales
Adoption des conclusions du rapport d'une commission tendant à ne pas adopter une proposition de loi
Ordre du jour réservé
M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi de M. Jean-Marc Todeschini et des membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés tendant à abroger l'article 89 de la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales (nos 106, 191).
Dans la discussion générale, la parole est à M. Jean-Marc Todeschini, auteur de la proposition de loi.
M. Jean-Marc Todeschini. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'article 89 de la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales, modifié par l'article 89 de la loi du 23 avril 2005 d'orientation et de programme pour l'avenir de l'école, rend obligatoire la participation d'une commune au financement des dépenses de fonctionnement d'une école privée d'une autre commune, sous contrat d'association avec l'État, dès lors que cette école privée accueille un enfant d'une famille résidant dans la première commune.
Ces articles ont modifié l'article L. 212-8 du code de l'éducation sur les conditions de participation des municipalités aux frais de financement des écoles privées. Ils ont ouvert la voie à une remise en cause fondamentale des équilibres de financement entre les écoles publiques et les établissements privés d'enseignement. Ils ont pénalisé les communes en leur imposant une charge nouvelle obligatoire à verser aux écoles privées des communes voisines. Ils constituent une remise en cause du principe de laïcité dans la mesure où le principe de parité n'est pas respecté.
Dès la rentrée scolaire 2004-2005, ces modifications ont, logiquement, suscité un mécontentement des maires.
L'interprétation de la nouvelle disposition législative s'est révélée particulièrement difficile, certains considérant que l'obligation de financement incombe à toute commune dont des élèves sont scolarisés dans une école primaire privée hors du territoire communal, d'autres, à l'inverse, faisant valoir le fait que cette obligation ne peut être supérieure à celle qui est imposée aux communes pour les élèves scolarisés dans une école publique.
En dépit de cette difficulté, aucune mesure réglementaire d'application n'est venue préciser le sens de la disposition. Une circulaire interministérielle du 2 décembre 2005 a confirmé l'existence d'une nouvelle obligation à la charge des communes, sans y apporter d'autre précision que la mention du principe de parité, en vertu duquel les avantages accordés aux écoles privées ne peuvent être supérieurs aux avantages dont bénéficient les écoles publiques. Malheureusement, sa formulation très générale laissait la place à des interprétations divergentes du texte de loi.
Pour l'Association des maires de France, l'AMF, la commune est tenue de verser une contribution financière uniquement dans les cas prévus par l'article L. 212-8 du code de l'éducation pour les écoles publiques. Dans la plupart des cas, cette interprétation conduit à n'accorder une compensation financière que lorsque la scolarisation dans une école privée hors du territoire communal intervient en raison de l'absence de capacité d'accueil dans la commune, avec l'accord préalable du maire de la commune de résidence, pour des raisons médicales, en raison des obligations professionnelles des parents ou en raison de l'inscription d'un frère ou d'une soeur dans un établissement de la même commune.
Pour le Secrétariat général de l'enseignement catholique, à l'inverse, le versement d'une participation financière est justifié dès lors qu'un élève est scolarisé dans une école privée hors de sa commune de résidence.
Face à de telles divergences, il aurait été nécessaire, conformément aux souhaits exprimés par l'AMF, d'adopter un texte réglementaire d'application. Dans son rapport d'information sur la mise en application de la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales, M. Alain Gest, député UMP, estimait également qu'il aurait « été préférable de détailler les cas dans lesquels la commune de résidence doit participer aux frais de fonctionnement d'une école privée située dans une autre commune, le cas échéant par décret, plutôt que de se limiter à énoncer les principes généraux de parité entre l'enseignement public et l'enseignement privé ».
Toutefois, les recours en annulation de la circulaire déposés au mois de février 2006 devant le Conseil d'État laissaient espérer que ce dernier se prononcerait sur l'interprétation de la disposition législative. Tel n'a pas été le cas : le Conseil d'État a annulé le 4 juin 2007 la circulaire du 2 décembre 2005 pour des motifs de forme tenant à ses signataires.
Considérant que cette décision d'annulation ne remettait « nullement en cause le fond de la circulaire attaquée », le ministère de l'éducation nationale et le ministère de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales ont repris les termes de la circulaire du 2 décembre 2005 dans une nouvelle circulaire du 27 août 2007, afin qu'elle soit « appliquée dans les meilleures conditions » dès la rentrée 2007-2008.
Seule une modification a été apportée à l'annexe de la circulaire, en ce qui concerne la liste des dépenses de fonctionnement à prendre en compte.
L'adoption de cette nouvelle circulaire est d'autant plus surprenante que M. Brice Hortefeux, alors ministre délégué aux collectivités territoriales, répondant à une question orale, avait reconnu qu'il convenait « de prendre acte de la divergence d'interprétation et de considérer qu'elle doit être tranchée, dans la mesure du possible, dans un cadre national, par le Conseil d'État ».
Cette nouvelle circulaire confirme l'obligation faite à une commune de participer aux dépenses de fonctionnement d'une école privée d'une commune voisine où sont inscrits un ou plusieurs enfants de familles résidant sur son propre territoire. La commune doit donc bien financer les écoles privées des autres communes, même si elle dispose d'une école publique.
À l'automne 2007, le Comité national d'action laïque et l'Association des maires ruraux de France ont réintroduit devant le Conseil d'État un recours en annulation contre la nouvelle circulaire, en souhaitant que la juridiction administrative se prononce sur le fond.
La première démarche n'ayant pas abouti, puisque le Conseil d'État ne s'est pas prononcé sur le fond, sans attendre une nouvelle décision, qui annulerait sans doute la circulaire, une intervention du législateur est justifiée. Elle est d'autant plus urgente que les associations de maires ne peuvent se satisfaire de la situation actuelle.
L'Association des maires ruraux de France a appelé les maires ruraux à « ne pas régler les factures qui leur seront adressées [au titre des dépenses des élèves scolarisés dans le privé hors de leur commune de résidence] sauf accords locaux préalables », et à maintenir leur position jusqu'au contentieux, si nécessaire.
En effet, l'application de l'article 89 est lourde de conséquences, notamment dans les petites communes rurales où les élus se voient contraints à financer l'école privée d'une autre commune alors qu'ils luttent pour maintenir l'existence de l'école publique sur leur territoire.
Défavorable à l'enseignement public, cette situation a rompu le caractère égalitaire et harmonieux du régime établi depuis la loi Debré, qui avait organisé le financement de l'enseignement privé et permis ainsi le maintien de ce dernier d'une manière relativement satisfaisante.
De façon globale, pour l'ensemble des communes concernées, le coût annuel engendré par la mise en oeuvre du dispositif de l'article 89 est évalué à 60 millions d'euros par l'AMF, et à beaucoup plus par d'autres.
Permettez-moi de développer ce point. L'article 89 de la loi du 13 août 2004 a contribué à augmenter le nombre d'enfants scolarisés dans les écoles primaires privées sous contrat d'association bénéficiaires d'un forfait communal. Le forfait communal appliqué aux élèves scolarisés dans l'enseignement primaire privé sous contrat d'association est très variable selon les communes et selon les départements. Il semble s'établir, en moyenne, autour de 400 à 500 euros par an et par élève. Les élèves scolarisés dans une classe élémentaire d'une école privée sous contrat d'association située hors de leur commune de résidence représenteraient, par ailleurs, environ 35 % de l'ensemble des élèves scolarisés dans ces classes, soit plus de 120 000 élèves. C'est ainsi que l'on peut estimer à plus de 60 millions d'euros le coût de l'article 89 de la loi du 13 août 2004 pour les communes.
Cette disposition, coûteuse pour les finances communales, intervient alors que la loi de finances de 2008 a remis en cause le contrat de croissance et de solidarité qui assurait une progression annuelle supérieure à l'inflation des dotations de l'État aux collectivités territoriales. Des efforts supplémentaires sont ainsi demandés aux communes, alors même que leurs marges financières se réduisent.
D'autre part, la comparaison des obligations nouvelles de financement pour les élèves scolarisés dans le privé hors du territoire communal et de celles qui incombent aux départements et aux régions, respectivement pour les élèves des collèges privés et les élèves des lycées privés scolarisés hors de leur circonscription de résidence, illustre le fait que les contraintes financières imposées aux communes en matière de financement de l'enseignement privé sont plus lourdes que celles qui sont imposées aux départements ou aux régions.
M. Jacques Valade, président de la commission des affaires culturelles. Eh oui !
M. Jean-Marc Todeschini. En effet, l'article 7-2 du décret du 22 avril 1960 précité prévoit qu'un département ne doit participer aux charges de fonctionnement des collèges privés sous contrat d'association situés dans un autre département que dans la mesure où 10 % au moins des élèves résident dans le département. À défaut d'un accord entre les deux départements, les modalités de la participation sont fixées par le représentant de l'État dans la région.
Les dispositions sont identiques en ce qui concerne la participation des régions de résidence aux dépenses de fonctionnement des lycées privés sous contrat d'association, le seuil ouvrant droit au versement d'une participation étant abaissé à 5 % des effectifs dans le cas d'un lycée d'enseignement professionnel.
De plus, l'article L. 442-8 du code de l'éducation prévoit que doivent participer aux réunions de l'organe de l'établissement primaire compétent pour délibérer sur le budget des classes sous contrat d'association non seulement un représentant de la commune siège de l'établissement mais également un représentant « de chacune des communes où résident au moins 10 % des élèves et qui contribue aux dépenses de fonctionnement des classes fréquentées ». Cette disposition, qui est issue de la loi Chevènement du 25 janvier 1985 et qui n'a, depuis lors, jamais été remise en cause, incite à penser qu'une participation financière aux dépenses de fonctionnement des classes primaires privées sous contrat d'association ne devrait pouvoir être demandée qu'au-delà d'un seuil significatif d'élèves scolarisés dans ces classes, à l'instar de ce qui est prévu pour l'enseignement secondaire.
Au-delà du coût financier que doivent subir les communes, la disposition dont nous parlons est préjudiciable au développement de l'enseignement public en général.
En effet, elle est doublement préjudiciable aux communes, car elle favorise, d'une part, l'enseignement privé au détriment de l'enseignement public et, d'autre part, l'enseignement hors du territoire communal au détriment de l'enseignement sur le territoire de la commune.
Elle peut encourager une fuite des élèves hors de la commune et ainsi rendre plus difficile, dans certains cas, le maintien d'une école publique sur le territoire communal.
Quoi qu'il en soit, force est de constater que le maintien des écoles publiques dans une zone enregistrant une baisse démographique s'avère complexe. Cette difficulté résulte d'abord de la concurrence des écoles privées, les parents étant, à juste titre, libres de choisir le type d'enseignement qu'ils souhaitent pour leurs enfants. De surcroît, pour maintenir les enfants sur place et éviter une fuite vers les écoles des communes-centres, fuite accentuée par la suppression progressive de la carte scolaire, les petites communes, notamment situées en zone suburbaine, font des efforts considérables en faveur du secteur périscolaire, afin d'aider les parents en dehors des heures de classes.
En l'état actuel, l'enseignement privé sous contrat d'association bénéficie déjà d'un traitement aussi favorable que l'enseignement public : alors qu'il n'accueille que 17,1 % des enfants scolarisés, il dispose globalement de 20 % des postes d'enseignant. Des dispositions telles que l'article 89 de la loi du 13 août 2004 ne peuvent que créer un déséquilibre en faveur de l'enseignement privé, d'autant que la loi de finances de 2008 prévoit la suppression d'un nombre de postes d'enseignants supérieur dans le public que dans le privé.
Or l'enseignement public demeure le seul enseignement qui assure pleinement le respect de l'intégralité des principes républicains. Le principe de laïcité est en particulier plus efficacement défendu par l'enseignement public. La proximité avec la population est également plus grande dans l'enseignement public, qui accueille tous les enfants dans l'école de la République.
Insensiblement, c'est le coeur du service public de l'enseignement qui aurait à pâtir d'une trop grande complaisance à l'égard de l'enseignement privé.
Par ailleurs, alors que nous nous sommes engagés dans la voie de la simplification du droit, il est souhaitable de mettre en cohérence les dispositions législatives. Si le premier alinéa de l'article 89 de la loi du 13 août 2004 dispose que « les trois premiers alinéas de l'article L. 212-8 du code de l'éducation sont applicables pour le calcul des contributions des communes aux dépenses obligatoires concernant les classes des écoles privées sous contrat d'association », le premier alinéa de l'article L. 442-9 du code de l'éducation prévoit, pour sa part, que « l'article L. 212-8 du présent code, à l'exception de son premier alinéa, et l'article L. 216-8 du présent code ne sont pas applicables aux classes sous contrat d'association des établissements d'enseignement privés ». L'une ou l'autre de ces dispositions doit être modifiée ou supprimée, afin d'éviter la persistance d'une contradiction entre plusieurs textes de loi.
Des motifs d'inconstitutionnalité peuvent également être soulevés quant aux limites du financement des écoles privées par les collectivités territoriales.
En effet, le Conseil constitutionnel, saisi par les sénateurs socialistes sur la loi relative aux conditions de l'aide aux investissements des établissements d'enseignement privés par les collectivités territoriales, avait , au mois de janvier 1994, censuré un article qui accordait aux collectivités territoriales une liberté totale pour octroyer aux établissements d'enseignement privés sous contrat une aide aux investissements, dans la seule limite du montant des investissements réalisés dans l'enseignement public. L'un des motifs de censure invoqués par le Conseil constitutionnel était l'absence « de garanties suffisantes pour éviter que des établissements d'enseignement privés puissent se trouver placés dans une situation plus favorable que celle des établissements d'enseignement public, compte tenu des charges et des obligations de ces derniers ».
Pour le même motif, la disposition introduite par l'article 89 de la loi du 13 août 2004 aurait pu encourir une censure justifiée. Elle permet à une commune d'accorder une aide financière à une école privée sous contrat d'association située hors du territoire communal dès lors qu'un élève de la commune est scolarisé par cette école, alors même que des capacités d'accueil des enfants dans une école publique située sur le territoire communal existent. Elle crée ainsi une rupture d'égalité au détriment des établissements publics d'enseignement primaire situés dans la commune de résidence, alors même que ces derniers ont pour objet de répondre aux besoins de scolarisation de la commune.
Par ailleurs, dans sa décision précitée sur la loi du 21 janvier 1994, le Conseil constitutionnel considérait également « que, si le principe de libre administration des collectivités locales a valeur constitutionnelle, les dispositions que le législateur édicte ne sauraient conduire à ce que les conditions essentielles d'application d'une loi relative à l'exercice de la liberté de l'enseignement dépendent de décisions des collectivités territoriales et, ainsi, puissent ne pas être les mêmes sur l'ensemble du territoire ; que les aides allouées doivent, pour être conformes aux principes d'égalité et de liberté, obéir à des critères objectifs ; qu'il incombe au législateur [...] de définir les conditions de mise en oeuvre de ces dispositions et principes à valeur constitutionnelle ; qu'il doit notamment prévoir les garanties nécessaires pour prémunir les établissements d'enseignement public contre des ruptures d'égalité à leur détriment ».
Or, en l'état actuel de la rédaction de l'article 89 de la loi du 13 août 2004 et à défaut de disposition réglementaire d'application, la manière dont le financement des écoles primaires privées sous contrat d'association situées hors du territoire communal est assuré dépend de l'interprétation de la législation par la commune : ou bien le conseil municipal fait preuve de bienveillance à l'égard de l'enseignement privé et considère qu'il faut accorder une aide financière pour tout élève scolarisé dans l'enseignement privé sous contrat d'association hors du territoire communal, ou bien il est attaché à un enseignement public, laïque et républicain et n'accorde une aide financière que dans la mesure où la scolarisation d'un élève dans un établissement d'enseignement privé sous contrat d'association intervient soit faute d'une école publique sur le territoire communal, soit en raison de l'accord donné par le maire de la commune de résidence, soit pour l'un des trois motifs spécifiques prévus par l'article L. 212-8 du code de l'éducation.
Cette variation dans l'espace de l'application d'une disposition législative, qui a vocation à être la même sur l'ensemble du territoire de la République, n'est pas acceptable.
Enfin, si la disposition, d'origine parlementaire, avait fait l'objet d'un contrôle de recevabilité financière, elle aurait probablement dû être déclarée contraire à l'article 40 de la Constitution, en raison des nouvelles dépenses qu'elle engendre pour les communes.
Pour conclure, je tiens à souligner également que la proposition de loi que je défends est éclairée d'un jour nouveau par les déclarations récentes du Président de la République. La conception de la laïcité défendue par ce dernier paraît, en effet, en rupture avec la tradition républicaine qui prévalait jusqu'à présent.
C'est en gardant ce contexte à l'esprit qu'il faut aborder l'examen d'une disposition qui conduit à traiter mieux une école privée qu'une école publique, à remettre en cause le principe de parité et à fragiliser l'école publique, alors même qu'elle est déjà particulièrement malmenée.
Par ailleurs, j'invite mes collègues de la majorité sénatoriale à ne pas se réfugier derrière l'identité de l'auteur de l'article pour masquer leur volonté de ne pas intervenir. En effet, notre collègue Michel Charasse, auteur de l'amendement à l'origine de l'article 89, a explicitement affirmé, et à plusieurs reprises, qu'il entendait en réserver l'effet aux seules communes ne disposant plus sur leur territoire d'une école publique.
M. Michel Charasse. Exact !
M. Jacques Valade, président de la commission des affaires culturelles. Absolument !
M. Jean-Marc Todeschini. Aussi, je rappelle que cet amendement à la loi sur la décentralisation de 2004 a été voté au Sénat dans la plus grande perplexité ; la commission des lois ayant préféré ne pas se prononcer sur le fond, le Gouvernement a donné son accord avec un empressement suspect. Nos collègues de l'Assemblée nationale n'avaient pu en débattre, le Gouvernement ayant fait usage de l'article 49-3 de la Constitution pour faire adopter le texte.
Ainsi, une disposition qui n'avait fait l'objet que d'une discussion rapide au Sénat, sans débat à l'Assemblée, s'est trouvée promulguée et pose aujourd'hui non seulement un problème juridique et constitutionnel, mais encore un problème financier incommensurable pour bon nombre de communes.
La représentation nationale ne peut se satisfaire de la situation actuelle, qui pose indirectement la question de la protection et de la promotion de l'école primaire publique, école de la République, ouverte à tous et dispensant un enseignement gratuit et laïque.
Le groupe socialiste veut rétablir un équilibre rompu par l'article 89, au détriment de l'enseignement public et en faveur de l'enseignement privé. Ledit article prévoit, en effet, le financement automatique, sans conditions, des écoles privées par les communes d'accueil, alors que celui des écoles publiques se fait sous conditions. Cette disposition crée un déséquilibre, que nous voulons corriger. Telle est la seule modification que nous demandons.
Dans cet hémicycle, tout le monde s'accorde à reconnaître que la réflexion et les aménagements de la disposition actuelle sont nécessaires. C'est pourquoi je regrette le caractère un peu idéologique du rapport de notre collègue Jean-Claude Carle.
Pour toutes les raisons que je vous ai exposées, c'est-à-dire pour être en conformité avec la Constitution, pour respecter l'équité, pour ne pas peser trop lourdement sur les budgets des petites communes rurales, pour simplifier notre droit et, enfin, pour éviter de rallumer la guerre scolaire, je vous propose de voter en faveur de la proposition de loi, dont l'article unique prévoit l'abrogation de l'article 89 de la loi du 13 août 2004. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Claude Carle, rapporteur de la commission des affaires culturelles. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'école est, à n'en pas douter, une passion républicaine. Mais cette passion, bien que vive et partagée par chacun d'entre nous, ne doit pas venir troubler notre jugement, au risque de réveiller ainsi des craintes anciennes, heureusement éteintes.
Lors de l'examen d'un tel sujet, notre premier souci doit être de retrouver la sérénité qui préside si souvent à nos échanges et qui a toujours fait la sagesse du Sénat.
C'est ce souci d'aborder avec sérénité cette question délicate qui avait amené la commission des affaires culturelles à se pencher sur ce texte avant même qu'elle soit saisie de la proposition de loi de notre collègue Jean-Marc Todeschini et de plusieurs autres sénateurs.
Ainsi, notre collègue Annie David, auteur et rapporteur d'une proposition de loi identique lorsqu'elle siégeait encore au sein de notre commission, avait commencé à étudier les questions soulevées par l'article 89 de la loi du 13 août 2004.
Je voudrais donc, tout d'abord, saluer la très grande qualité du travail qu'elle avait accompli, dont elle avait rendu compte à notre commission, avant de la quitter pour rejoindre celle des affaires sociales. Ces travaux ont en effet permis d'enrichir les réflexions de notre commission et d'aborder avec plus de recul le texte que nous examinons aujourd'hui.
À mes yeux, ce recul est le meilleur gage de la sagesse de nos travaux, une sagesse qui, mes chers collègues, exige avant tout que nous ne séparions pas l'article 89 de la loi du 13 août 2004 de tout l'édifice juridique et politique qu'il vient compléter et même parachever.
Cet édifice est empreint d'équilibre, car il est fondé sur deux principes constitutionnels, dont le respect s'impose au législateur.
Le premier d'entre eux concerne la liberté de l'enseignement, dont le Conseil constitutionnel a admis qu'elle constituait l'un des principes fondamentaux reconnus par la loi de la République, consacrés par le préambule de la Constitution de 1946.
Le second vise l'organisation d'un enseignement public, gratuit et laïque, dont le même préambule, qui a aujourd'hui encore valeur constitutionnelle, fait l'un des principes particulièrement nécessaires à notre temps, pour reprendre les termes même de notre charte fondamentale.
Chaque fois que nous abordons la question des rapports entre école publique et école privée, nous devons garder à l'esprit ces deux principes et veiller à les concilier, sans jamais sacrifier l'un à l'autre.
Cette exigence, le Conseil constitutionnel l'a rappelée par deux fois au législateur, lorsque celui-ci s'est avisé de l'oublier, en 1985 et en 1994.
Et par deux fois, ce fut aussi la France entière qui exigea des majorités d'alors qu'elles ne rallument pas une guerre scolaire que ce précieux équilibre avait permis d'éteindre.
Cette leçon, mes chers collègues, nous nous devons aussi de ne pas l'oublier, et il nous revient, à notre tour, de faire preuve de mesure, de cette juste mesure qui, aux yeux d'Aristote comme de Confucius, est la marque éternelle de la sagesse.
C'est ce souci d'équilibre qui a permis à la loi Debré, dont les dispositions essentielles sont toujours en vigueur, d'apaiser les tensions scolaires qui, des années durant, ont traversé notre pays. Cet équilibre s'est construit autour d'un principe simple, le principe de parité : lorsqu'une école privée accepte de se soumettre, par contrat d'association, aux mêmes obligations pédagogiques qu'une école publique, elle a droit au même soutien financier.
Ce principe trouve notamment sa traduction dans l'article L. 442-5 du code de l'éducation, aux termes duquel « les dépenses de fonctionnement des classes sous contrat sont prises en charge dans les mêmes conditions que celles des classes correspondantes de l'enseignement public ».
C'est en vertu de ce principe que les communes sont tenues de financer les dépenses de fonctionnement des écoles primaires publiques et privées sous contrat d'association situées sur leur territoire. Ce principe n'a jamais été remis en cause. Bien au contraire, le législateur s'est efforcé, au fil des ans, d'assurer le plein respect de cet équilibre.
C'est pourquoi la loi du 22 juillet 1983, adoptée à une époque où la majorité était peu suspecte d'accorder des avantages indus aux écoles privées, a prévu que, comme cela se faisait et se fait encore pour le public, les communes dont les enfants fréquentent une même école privée sous contrat d'association doivent s'entendre pour répartir entre elles les charges de fonctionnement de l'établissement.
Cette obligation, l'article 89 ne l'a donc en rien créée : en 2004, elle était déjà inscrite dans la loi depuis vingt et un ans. Le Sénat a simplement décidé de la rendre effective.
Car, si la loi du 22 juillet 1983 prévoyait l'obligation pour les communes de résidence des élèves de participer au financement des écoles privées sous contrat d'association extérieures, elle ne permettait pas de trancher les éventuels désaccords entre les communes sur le montant de leur contribution respective, et aucune sanction n'était prévue à l'endroit d'une éventuelle commune récalcitrante.
L'obligation, bien que prévue par la loi depuis vingt et un ans, resta donc lettre morte. Bien sûr, certaines communes d'accueil ou de résidence prirent en charge les frais de fonctionnement concernés. Mais il arrivait aussi que nul ne veuille les acquitter. Ainsi, la scolarité d'un certain nombre d'élèves inscrits dans une école privée sous contrat d'association aurait dû être prise en charge par une ou plusieurs collectivités, mais, de fait, ne l'était par personne.
C'était là, vous en conviendrez, mes chers collègues, une situation bien peu satisfaisante et parfaitement contraire aux principes mêmes de la loi Debré. Elle l'était d'autant plus que, pour les écoles publiques, la loi prévoit que, en cas de désaccord entre communes, le préfet tranche le différend et répartit les charges de fonctionnement entre elles.
Cet arbitrage préfectoral, prévu par l'article L. 212-8 du code de l'éducation, permet de garantir qu'il y aura toujours une ou plusieurs collectivités pour prendre en charge les dépenses de fonctionnement d'une école primaire publique.
De l'existence de cet arbitrage préfectoral pour les écoles publiques et de son absence pour les écoles privées découlait une inégalité que rien, ni des raisons de principe ni des circonstances particulières; ne pouvait justifier. Des élèves, des familles et des contribuables étaient ainsi inégalement traités, et cette inégalité ne venait pas seulement dessiner une ligne de fracture entre écoles publiques et privées, elle traversait aussi les écoles privées.
Si un enfant fréquentait une école privée sur le territoire de sa commune, les charges de fonctionnement qu'il occasionnait étaient obligatoirement prises en charge, mais s'il fréquentait une école privée en dehors de sa commune, elles ne l'étaient pas.
Par un paradoxe étonnant, ce déséquilibre, manifestement défavorable aux écoles privées, pouvait aussi peser sur les écoles publiques. Pour un maire, il était en effet tentant de conseiller aux familles d'inscrire leurs enfants dans une école privée voisine et non dans une école publique. La raison en était simple : dans le premier cas, sa commune n'avait rien à payer ; dans l'autre, elle y était contrainte.
C'est ce double déséquilibre qui a conduit notre collègue Michel Charasse à proposer cet amendement. Après que le gouvernement d'alors lui eut donné un avis favorable, le Sénat l'a adopté, et à l'unanimité, me semble-t-il. Cette disposition ne faisait qu'assurer le parallélisme des formes.
L'article 89 de la loi du 13 août 2004 permet en effet de rétablir l'équilibre là où il était compromis. Il étend au financement des écoles privées sous contrat d'association le principe d'un arbitrage par le préfet des éventuels désaccords entre les communes.
Ce faisant, il garantit qu'un forfait communal sera versé pour chaque enfant, où qu'il soit domicilié et quelle que soit l'école qu'il fréquente, qu'elle soit publique ou privée sous contrat d'association.
Cela est parfaitement conforme à l'esprit de la loi Debré, puisqu'il s'agit, ni plus ni moins, de faire effectivement respecter l'exigence de parité dans toutes ses dimensions.
De plus, l'article 89 précise que le préfet tient compte, dans son arbitrage, des ressources de la commune de résidence, ce qui lui permet de proportionner la participation de celle-ci à ses capacités financières et d'éviter ainsi qu'une petite commune rurale n'ait à acquitter des sommes manifestement excessives.
M. Jacques Valade, président de la commission des affaires culturelles. Oui !
M. Jean-Claude Carle, rapporteur. Dans son principe, l'article 89 me paraît donc indiscutable et ne peut être récusé qu'à la condition de balayer avec lui l'équilibre institué par la loi Debré. Ce peut être un choix, mais ce n'est ni le mien, ni celui de la commission, ni, j'en suis sûr, celui de la majorité de nos compatriotes.
D'où viennent alors les malentendus et les désaccords que l'adoption de cet article a pu susciter ? Car, il est inutile de le nier, les dispositions dont il est aujourd'hui question ont fait couler beaucoup d'encre et ont éveillé bien des inquiétudes.
Cette confusion trouve son origine dans une incertitude apparente : l'article 89 ne fait-il pas plus que rétablir l'équilibre entre public et privé ? N'est-il pas plus favorable au privé ?
Les raisons qui ont pu faire naître un tel doute tiennent au fait que, pour encadrer l'arbitrage préfectoral en cas de désaccord au sujet d'une école publique, le législateur a prévu des conditions explicites qui, si elles sont réunies, contraignent la commune de résidence à participer au financement de l'école publique ou, au contraire, l'exonèrent de toute participation.
Ainsi, si la commune de résidence dispose des capacités d'accueil suffisantes dans ses écoles publiques, elle ne peut être tenue d'y participer, sauf à ce que le maire, préalablement consulté par les parents, ait donné son accord à l'inscription d'un enfant dans une école publique extérieure.
De même, si la commune de résidence ne dispose pas d'un service de garde, alors que les parents en ont impérativement besoin, ou si l'enfant en question doit être scolarisé ailleurs pour des raisons médicales, ou bien encore si son frère ou sa soeur sont déjà scolarisés dans la commune extérieure où est située l'école, la commune de résidence est tenue de participer au financement.
Or l'article 89 ne reprend pas explicitement ces conditions pour les appliquer aux écoles privées. C'est un oubli, et notre collègue Michel Charasse a rappelé à de nombreuses reprises qu'il souhaitait à l'origine le rendre applicable aux seuls cas où la commune de résidence ne disposait pas, ou plus, d'une école.
Cette lacune apparente a pu laisser penser qu'une commune pourrait être tenue de payer pour un enfant scolarisé dans une école privée extérieure, alors qu'elle ne le serait pas pour un enfant inscrit dans une école publique.
L'article 89 conduirait ainsi à un nouveau déséquilibre, qui serait, cette fois-ci, défavorable à l'enseignement public.
Mais, mes chers collègues, cette interprétation ne peut pas être retenue, et d'abord parce qu'elle serait sans doute contraire à la Constitution en privilégiant la liberté de l'enseignement aux dépens de l'organisation d'un service public, gratuit et laïque. Or le Conseil constitutionnel a été saisi de la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales et n'a pas censuré l'article 89. Pourtant, si tel avait été réellement le sens de cet article, il n'aurait pas manqué de soulever d'office son inconstitutionnalité, comme il a l'habitude de le faire.
Ensuite, cette interprétation ne peut être retenue parce qu'il est constant qu'une disposition légale ne s'interprète jamais isolément, mais doit voir son sens accordé avec l'ensemble du droit en vigueur.
Or, aux termes de l'article L. 442-5 du code de l'éducation, « les dépenses de fonctionnement des classes sous contrat sont prises en charge dans les mêmes conditions que celles des classes correspondantes de l'enseignement public ». L'article 89 doit donc également être lu à la lumière de ces dispositions.
Ainsi, les conditions prévues pour le public doivent être reprises pour le privé dès lors qu'elles ne sont pas explicitement incompatibles avec le principe de la liberté de l'enseignement, qui interdit, par exemple, qu'une famille doive recueillir l'autorisation du maire pour inscrire son enfant dans une école privée.
C'est cette interprétation de l'article 89 qui s'est largement imposée, et qui a été reprise dans les deux circulaires publiées par les ministres concernés, lesquelles précisent explicitement que « conformément au principe de parité qui doit guider l'application de la loi, la commune de résidence doit participer au financement de l'établissement privé sous contrat dans tous les cas où elle devrait participer au financement d'une école publique qui accueillerait le même élève ».
Cette précision est à l'évidence de nature à lever toutes les inquiétudes sur l'effet éventuel que pourrait avoir l'article 89 sur le principe de parité.
De plus, et afin de rassurer définitivement tous ceux qui s'en inquiétaient, le Sénat a pris l'initiative, grâce à nos collègues Paul Girod et Yves Détraigne, d'encadrer le dispositif issu de l'article 89 à l'occasion de l'examen du projet de loi d'orientation pour l'avenir de l'école.
La loi garantit désormais que les communes ne pourront en aucun cas payer plus par élève pour les écoles privées que pour les écoles publiques.
Cette précision, parfaitement convergente avec l'interprétation développée par les deux circulaires, est aussi inspirée par le souci de rappeler que l'article 89 ne peut se lire indépendamment du principe de parité, également consacré par la loi.
Je viens d'évoquer le fait que deux circulaires ont été publiées. En effet, la première, annulée pour de pures raisons de forme, a dû être remplacée par une seconde, car elle avait été signée par les directeurs de cabinet des ministres, et non par les directeurs d'administration centrale concernés, comme cela aurait dû être le cas. Une seconde circulaire a donc été publiée le 27 août 2007, qui reprend l'essentiel du texte de la première. Celle-ci n'ayant pas été annulée pour des raisons de fond, il n'y avait aucune raison de ne pas publier de nouveau le même texte, mais, cette fois-ci, avec les bonnes signatures.
C'est donc bien cette lecture de l'article 89, éclairée par le principe de parité, qui a été retenue par les ministères et qui est à présent mise en oeuvre par les préfets.
Il reste, c'est vrai, que tous ne s'accordent pas sur cette interprétation. Certains, de part et d'autre, aimeraient voir retenue la lecture de l'article 89 qui prévaut lorsqu'il est sorti de son contexte. Pour les uns, la promotion de cette lecture que l'on pourrait dire « dure » va dans le sens des écoles privées ; pour les autres, elle permet de réclamer l'abrogation de dispositions apparemment déséquilibrées.
C'est pourquoi la seconde circulaire a été, comme la première, attaquée devant le Conseil d'État, donnant ainsi l'occasion à ce dernier de se prononcer dans les mois à venir sur le fond du différend.
Dans l'attente de cette décision, les différents partenaires sont convenus de continuer à faire ce qu'ils font déjà depuis 2006, depuis la signature d'un protocole d'accord provisoire élaboré sous l'égide du ministre de l'intérieur d'alors, Nicolas Sarkozy : ils appliquent l'article 89 tel qu'il est éclairé par les circulaires et font avant tout prévaloir l'esprit de concertation.
C'est cet esprit qui, pour l'heure, prévaut partout, ou presque, comme me l'ont d'ailleurs confirmé les partenaires concernés que j'ai auditionnés.
La rareté du nombre de contentieux en est d'ailleurs, mes chers collègues, la meilleure preuve : dix-neuf contentieux seulement dans toute la France, pour plus de 5 400 écoles privées, soit, en moyenne, quatre cas vraiment litigieux pour 1 000 écoles privées.
Je le sais, cette application pacifiée tient aussi à l'esprit de responsabilité des maires, toujours soucieux de respecter la loi. Elle trouve également son origine dans la modération dont font preuve la plupart des écoles privées.
Mes chers collègues, combien de lois avons-nous voté qui permettent de régler sereinement 99,6 % des situations ? Peu de textes peuvent se prévaloir d'un tel résultat !
Aussi, rien ne me semble exiger l'abrogation immédiate et inconditionnelle d'une disposition dont le principe est incontestable et dont la mise en oeuvre se fait à présent dans des conditions satisfaisantes.
Au demeurant, je me dois de le souligner, le développement de l'intercommunalité permettra aussi de régler une large part des rares difficultés existantes, en faisant disparaître dans la majorité des cas la pertinence de la distinction entre commune d'accueil et commune de résidence, du moins lorsque l'EPCI en question est compétent en matière d'écoles primaires. Cet état de fait explique également le faible nombre de contentieux.
Tant que le Conseil d'État n'aura pas statué, il me semble donc inutile de remettre en cause ou de modifier des dispositions qui, pour l'heure, font l'objet d'un compromis juridiquement fondé et politiquement équilibré.
M. Jacques Valade, président de la commission des affaires culturelles. C'est évident !
M. Jean-Claude Carle, rapporteur. Ce n'est qu'une fois que le juge administratif se sera prononcé que nous pourrons éventuellement, si cela s'avère nécessaire, clarifier définitivement la formulation de la loi. Mais, en tout état de cause, il n'est pas aujourd'hui nécessaire de rouvrir une question qui fait désormais l'objet d'un large accord.
Le temps a, en effet, fait son oeuvre ; les incompréhensions et les tensions se sont apaisées. Désormais, le dispositif fonctionne et le Conseil d'État aura, d'ici peu, l'occasion de se prononcer. Bref, rien n'a paru devoir exiger l'adoption de cette proposition de loi.
En conséquence, la commission a décidé d'en préconiser le rejet. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Yannick Bodin.
M. Yannick Bodin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je commencerai, pour ma part, par rappeler l'histoire récente de l'évolution des pratiques de financement de l'enseignement en France, afin de mieux mesurer ensuite l'impact politique de cet article 89 de la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales.
Une première période démarre dès après les grandes lois scolaires de 1881 et 1882. Pendant de nombreuses années, un slogan dominait le débat idéologique : « Argent public, école publique ; argent privé, école privée ».
Après plusieurs années de troubles, dues essentiellement à l'hostilité de Rome à l'égard de la République et son combat mené contre la loi de 1905, l'existence des nombreux établissements privés, confessionnels ou non, n'est plus remise en question, et la liberté de l'enseignement est garantie par les lois de la République. Le combat laïc porte alors sur la question du financement de ces établissements.
À partir de 1945, cette question fait l'objet de nombreux débats publics qui aboutiront à loi de Debré en 1959. L'article 1er de cette loi rappelle que la création d'un enseignement public est un devoir de l'État, puis il définit et organise les rapports entre l'État et les établissements privés. Pour les établissements sous contrat d'association, l'enseignement est alors aligné sur celui des écoles publiques et, en contrepartie, l'État assure les dépenses de fonctionnement sur les mêmes bases que les établissements publics.
Cette loi a connu à l'époque, et à juste titre, une forte opposition. Elle a d'ailleurs également soulevé l'opposition de la hiérarchie catholique, qui voyait remise en cause son indépendance en matière d'enseignement.
Une longue période de paix scolaire et d'apaisement politique va pourtant s'installer ensuite. Il y aura même, pendant les gouvernements de François Mitterrand, des accords d'apaisement supplémentaires, signés entre l'éducation nationale et la direction de l'enseignement catholique. Souvenons-nous des accords Lang-Coupé !
Mais l'équilibre est fragile.
Si, en 1984, le projet de loi Savary d'un « grand service unifié et laïque d'Éducation nationale » n'aboutit pas, en 1993 la proposition par un gouvernement de droite de réformer la loi Falloux a été combattue et enterrée.
Aujourd'hui, les convictions demeurent, mais un modus vivendi semble avoir été trouvé.
Pour preuve, les initiatives prises par les communes et ensuite les départements et les régions, de gauche comme de droite, grâce aux lois de décentralisation, sont bien souvent étendues à l'ensemble des collèges et des lycées publics et privés. Je prendrai pour exemple la gratuité des livres, l'équipement des élèves de l'enseignement professionnel, l'aide à la cantine, les projets éducatifs, les bourses aux élèves ou encore le partenariat dans l'élaboration des schémas de formation.
Pourquoi faut-il alors qu'un article de la loi du 13 août 2004 remette en cause ce fragile équilibre ? Bref, pourquoi ouvrir à nouveau la boîte de Pandore ?
L'auteur de l'article 89, que je salue, a sans doute cru bien faire. L'objet de l'article 89, en étendant le principe de la contribution aux cas de scolarisation dans le privé, était d'éviter que les maires de certaines communes n'encouragent les parents à envoyer leurs enfants vers des écoles privées de communes voisines, plutôt que vers leurs écoles publiques ou celles de communes voisines, afin d'éviter toute charge financière à leur municipalité.
M. Michel Charasse. Exact !
M. Yannick Bodin. À l'évidence, cela a entraîné des effets pervers qui, aujourd'hui, préoccupent une grande majorité des communes de France.
La question fondamentale est celle-ci : pourquoi accorder à l'enseignement privé des droits nouveaux, droits qui, par ailleurs, sont soumis à des conditions très strictes lorsqu'elles concernent des établissements publics ?
Vous le savez, les communes n'ont obligation de financer les écoles publiques d'une autre commune que lorsqu'elles ne peuvent scolariser leurs enfants sur leur territoire. M. Jean-Marc Todeschini l'a rappelé tout à l'heure, les conditions pour cela sont précises : que la commune ne possède pas d'école publique susceptible d'accueillir les enfants, que le maire de la commune de résidence ait donné son accord préalable à l'inscription de l'enfant et que des raisons médicales, professionnelles ou familiales justifient la scolarisation de l'enfant dans une autre commune. C'est l'article L. 212-8 du code de l'éducation.
Avec l'article 89, le principe de la contribution à l'enseignement privé ne reprend pas les conditions applicables à l'école publique. Il va sans dire que, sans ces mêmes conditions, l'égalité entre l'enseignement public et l'enseignement privé est largement rompue.
Pis, sur le terrain, il en résulte un profond déséquilibre dont beaucoup d'élus se sont émus, puisque c'est en effet une atteinte au principe de laïcité.
Il est d'ailleurs significatif de constater qu'un grand nombre de communes ou bien ne remplissent pas aujourd'hui cette obligation légale ou bien annoncent qu'elles ne le feront pas. Si le nombre de contentieux n'est pas énorme à ce jour, je le reconnais, monsieur le rapporteur, je crains qu'il ne cesse de grandir au fur et à mesure des exigences de l'enseignement privé et de l'exaspération des communes concernées.
Il ne s'agit pas, vous le comprenez bien, d'une question politicienne, puisque ce refus de se conformer à cet article de la loi d'août 2004 concerne aussi bien des communes de droite que des communes de gauche. J'en veux pour preuve l'attitude exprimée par l'Association des maires de France.
Dans mon propre département, la Seine-et-Marne, devant l'émoi fortement exprimé par les maires lors de leurs deux derniers congrès annuels, notre collègue Michel Houel, président de l'Union des maires de Seine-et-Marne, s'est exprimé fortement. Je le reconnais et je l'approuve !
Selon lui, « ce texte annonce une série de conflits entre les communes et les établissements privés ». Il estime de plus que « les communes ne doivent participer que lorsqu'elles n'ont pas les capacités d'accueil nécessaires ou que les élèves relèvent des cas dérogatoires qui s'appliquent au secteur public ». Reportez-vous au journal de l'Union des maires de Seine-et-Marne ou au compte rendu du congrès.
Michel Houel maintiendra donc sa position initiale au moment du congrès suivant en disant : « on ne peut pas imposer à une commune bien équipée en établissements scolaires de payer pour des familles qui ont choisi d'inscrire leurs enfants ailleurs ; une commune ne doit pas payer deux fois, pour sa propre école et pour une autre. C'est là un simple principe d'équité et de justice. Il faut également tenir compte du fait que certaines communes rurales ont du mal à maintenir ouverte leur école publique. La nouvelle circulaire ne règle donc rien et de nombreux maires refuseront de payer. »
Et pour ne pas le mettre dans l'embarras, je n'ajouterai pas ce qu'il a dit ensuite, à savoir : « En tout cas, moi, dans ma commune, je ne paierai pas ! »
En conclusion, monsieur le ministre, il est nécessaire que le Gouvernement prenne ses responsabilités et propose une solution qui puisse satisfaire l'ensemble des parties intéressées.
M. Jacques Valade, président de la commission des affaires culturelles. On est bien d'accord !
M. Yannick Bodin. Cela passe au minimum par une égalité de traitement entre les droits et les devoirs, entre les écoles privées et les écoles publiques, et cela passe donc d'abord par l'abrogation de l'article 89.
Le statu quo n'est pas viable. C'est une source de conflits permanents et une relance de débats inutiles. Il faut remettre de l'ordre dans cette législation. C'est le devoir du Gouvernement de faire en sorte que les communes soient rassurées et que la paix scolaire soit maintenue ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. Jacques Valade, président de la commission des affaires culturelles. On est bien d'accord !
M. le président. La parole est à Mme Colette Mélot.
Mme Colette Mélot. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nos collègues socialistes veulent abroger un texte issu de leurs rangs, texte qu'ils accusent de remettre en cause la laïcité. On connaît tous l'adage : « Qui veut noyer son chien l'accuse de la rage ».
C'est ainsi que le groupe socialiste a déposé sa proposition de loi tendant à abroger l'article 89 de la loi du 13 août 2004, au motif qu'il remettrait en cause la laïcité. Permettez-moi brièvement de rappeler le fondement de cet article.
L'article 89 pose le principe d'une participation de chaque commune aux frais d'accueil de ses enfants scolarisés dans les écoles privées sous contrat des communes voisines. Quelle est sa justification ? Lorsqu'il avait déposé son amendement à l'origine de cet article, notre collègue Michel Charasse l'avait clairement expliqué : il s'agissait d'empêcher que certains maires ne se défaussent sur les communes voisines de leurs obligations financières.
Pour que notre collègue Michel Charasse ait proposé que les communes subventionnent des établissements privés, c'est que la laïcité n'était vraiment pas menacée ! Elle semblait même tellement peu menacée que chacun a validé cet amendement, directement ou non : le gouvernement de l'époque en le soutenant, le Parlement en le votant, le Conseil constitutionnel en le validant, et même nos collègues socialistes en déposant devant le Conseil constitutionnel un recours contre la loi du 13 août 2004, mais pas contre son article 89 ! Et si le caractère attentatoire à la laïcité de cet article avait échappé à la scrupuleuse vigilance de nos collègues socialistes, le Conseil constitutionnel n'aurait pas manqué d'y suppléer. Comme vous le savez, il n'en a pas jugé ainsi.
Et voilà que, plus de trois ans après, les auteurs de la proposition de loi découvrent que l'article 89 constitue une remise en cause du principe de laïcité, sous le prétexte qu'il imposerait aux communes de participer aux dépenses de fonctionnement des écoles privées. Comme si cette disposition était illégitime ! Comme si elle remontait à la loi du 13 août 2004 ! Comme si elle n'avait pas été introduite par la loi Debré du 31 décembre 1959, qui - faut-il le rappeler ? - a posé le principe de parité entre l'enseignement public et l'enseignement privé !
Mes chers collègues, vous l'aviez tous compris dès 2004, il s'agissait d'assurer que les conditions de prise en charge des frais d'enseignement de nos enfants répondent à un principe de justice, sans discrimination entre les différents établissements dès lors qu'ils assurent tous la même mission publique d'enseignement.
De façon générale, nos collègues socialistes font semblant d'avoir oublié un certain nombre d'évidences que je dois faire semblant de leur rappeler.
Les écoles privées sont sous contrat d'association avec l'État pour l'immense majorité d'entre elles. Les instituteurs ou professeurs qui y enseignent sont des agents publics. Leur rémunération est prise en charge par l'État. Les établissements sous contrat sont tenus de fournir aux élèves un enseignement dont les programmes sont définis par l'État, ce qui justifie ce financement public.
J'observe que l'application de cette loi n'a donné lieu, à ce jour, qu'à un nombre très faible de cas litigieux : 19 sur 5 147 écoles privées sous contrat, soit 4 pour 1 000... Si vraiment cette loi était attentatoire à la laïcité, nous serions bien au-dessus ! Ces litiges doivent aboutir à une solution convenable pour l'ensemble des parties, mais ils ne peuvent justifier que le Parlement légifère de nouveau.
Je rappelle, comme l'a fait avant moi le rapporteur, que c'est pour des motifs de pure forme que la circulaire du 2 décembre 2005 avait été annulée, et c'est bien pourquoi celle du 27 août 2007 reprend le même contenu.
Je rappelle que ce texte privilégie la voie du dialogue entre les collectivités et qu'il revient au représentant de l'État de rechercher un accord entre les communes concernées.
Je rappelle que c'est la voie qu'avait suivie l'Association des maires de France, l'AMF, en engageant avec les ministères de l'éducation nationale et de l'intérieur, et avec l'enseignement catholique les négociations qui ont abouti au compromis de mai 2006.
Je rappelle que le président de l'AMF a confirmé cette démarche en novembre dernier à l'Assemblée nationale, en déclarant : « Le dispositif mis en place est clair et équitable, c'est pourquoi ma démarche est celle de l'apaisement. Ne ranimons donc pas, chers collègues, une polémique dépassée ! » C'est évidemment la voix de la sagesse. Je regrette que, pour des motifs bassement politiciens, elle n'ait pas résonné jusqu'aux travées socialistes.
M. Jean-Claude Frécon. Le compromis de 2006, ce n'est pas ça !
Mme Colette Mélot. C'est sans doute la conséquence de l'incapacité, pour nos collègues, à trouver des terrains d'entente sur des enjeux réels comme le traité européen de Lisbonne.
Vous me permettrez donc, mes chers collègues, de ne pas prendre au sérieux tous les cris d'orfraie poussés au nom de la laïcité contre cet article 89.
M. Yannick Bodin. Il n'y a pas eu de cris !
Mme Colette Mélot. Il est tout de même cocasse de voir les socialistes s'arroger le monopole de la laïcité au vu de leur attitude passée.
M. Yannick Bodin. Tous les maires protestent !
Mme Colette Mélot. Je crois me souvenir qu'en 1989 le ministre de l'éducation nationale de l'époque avait courageusement laissé le soin au Conseil d'État de trancher, à la place du gouvernement, la première affaire du foulard islamique et ainsi laissé le champ libre aux vrais ennemis de la laïcité.
Je crois également me souvenir que c'est notre majorité qui, en votant la loi du 15 mars 2004 sur les signes religieux, a permis de remettre de l'ordre en garantissant la laïcité dans les écoles publiques.
Si la laïcité est un principe républicain que nous respectons tous ici, l'égalité inscrite au fronton de toutes nos mairies lui est supérieure, et c'est l'égalité de traitement entre les élèves du public et du privé que nous défendons avant tout.
Voilà pourquoi, mes chers collègues, le groupe UMP suivra la position de la commission des affaires culturelles et de son rapporteur. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Brigitte Gonthier-Maurin.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'article 89 de la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales, en étendant aux écoles privées sous contrat d'association l'obligation de participation des communes au financement de la scolarité d'un enfant dans une autre commune, introduit de fait une véritable différence de traitement entre écoles publiques et privées.
En effet, une commune peut refuser d'assumer les frais de fonctionnement liés à la scolarisation de l'un de ses enfants dans une école publique située hors de son territoire. Elle ne le peut pas si l'enfant est scolarisé dans une école privée, et ce même si les écoles, publiques ou privées, qui se trouvent sur son territoire peuvent l'accueillir.
Cette disposition risque donc de fragiliser l'école publique. Un tel argument avait déjà été défendu par mon groupe en 2004, par le biais d'un amendement de suppression de l'article 89. À l'époque, nous avions également souligné les risques d'accroissement difficilement maîtrisables des dépenses des communes, de déstabilisation de la carte scolaire et de perte de pouvoir du maire, qui a pris, devant ses électeurs, un certain nombre d'engagements.
Nous avions raison, car, en 2006, des associations ont déposé un recours devant le Conseil d'État, lequel a annulé la circulaire du ministre de l'éducation nationale. C'est dans ce cadre que le groupe CRC avait déposé une proposition de loi visant à abroger l'article 89. Vous l'avez souligné, ma collègue Annie David avait alors conduit un travail d'auditions très poussé.
M. Jacques Valade, président de la commission des affaires culturelles. Un très bon travail !
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Le dernier débat budgétaire a vu resurgir cette question, sous l'impulsion de mon groupe, qui a déposé des amendements en ce sens. À chaque fois, une fin de non-recevoir nous a été opposée, par le biais d'arguments techniques destinés, en fait, à esquiver la discussion. Je me réjouis donc aujourd'hui de la tenue de ce débat.
Car chacun sait bien ici que rien n'est réglé, la situation des communes étant en effet très complexe. M. Arthuis l'a d'ailleurs souligné, en considérant que ce dispositif « impose une double peine aux communes vertueuses ».
Comment, en effet, justifier auprès des communes cette dépense imposée ? Je pense notamment aux communes rurales ou à petit budget, qui font des efforts pour maintenir sur leur territoire une école publique, afin d'assurer la scolarisation de tous les enfants. Comment, dès lors, prévoir des investissements à plus long terme ?
L'argument financier n'est effectivement pas négligeable : des associations ont estimé que cette mesure pourrait coûter de 132 à 400 millions d'euros aux communes, en fonction du montant du forfait communal par élève et du nombre d'élèves concernés.
Ce surcoût est préjudiciable à l'école publique. L'article 89 constitue ainsi un verrou supplémentaire à la création d'écoles publiques et risque donc finalement de mettre en danger le maintien et le développement de l'enseignement public.
Il faut rappeler une réalité : en France, 12 000 communes ne disposent plus d'école communale et 28 % des écoles ont deux classes au plus. Nous savons par ailleurs que la situation ne va pas en s'arrangeant.
L'école privée sous contrat scolarise plus de 2 millions d'élèves, soit un élève sur six. Les établissements qu'elle regroupe sont confessionnels pour 90 % d'entre eux. Rappelons qu'elle dispose déjà de moyens importants, avec un personnel enseignant formé et payé par l'État. Elle n'est cependant pas soumise aux mêmes obligations que l'école publique, qui garantit seule la proximité avec la population, la non-sélection des élèves, le respect des principes de neutralité, de gratuité et de laïcité.
Au demeurant, l'article 89 - c'est une autre source d'inquiétude - n'est pas sans incidence sur les prérogatives du maire.
Si des parents veulent scolariser leur enfant dans une école publique située hors de leur commune, ils doivent obtenir l'accord préalable du maire, faute de quoi la commune de résidence n'aura pas à payer de contribution.
À l'inverse, aucune demande de dérogation auprès du maire n'est nécessaire si les parents veulent scolariser leur enfant dans une école privée située hors de leur commune. Dans ce cas, le maire est contraint de payer.
Or, je le rappelle, toute dépense doit résulter d'une délibération en conseil municipal. Avec le dispositif que je viens d'évoquer, la dépense est imposée au maire a posteriori. C'est, de fait, une perte de contrôle de la gestion de la dépense communale, ce qui est contraire au principe de libre administration des collectivités territoriales fixé par l'article 72-2 de la Constitution.
M. Gérard Le Cam. Très bien !
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Pourtant, je rappelle que, avant l'adoption de l'article 89, rien n'interdisait à un maire qui le souhaitait de prendre en charge ce type de coût, avec l'accord de son conseil municipal. L'article 89 - c'est la principale différence - rend ce financement obligatoire, sans aucune concertation entre le maire et les parents.
Que l'on ne m'oppose pas ici l'argument du libre choix ! En effet, le libre choix, c'est celui de donner le droit à chaque enfant de pouvoir accéder à une école laïque, gratuite, de proximité, sur tout le territoire. Autre chose est la décision souveraine de parents de faire le choix, parfaitement respectable, de l'école privée.
Parler de libre choix, ce serait aussi parler de règles partagées par tous les établissements. Or, je l'ai déjà dit, les établissements privés ne sont pas soumis aux mêmes contraintes que l'école publique. Quid, dès lors, de la laïcité fondatrice de l'école de la République ?
Et permettez-moi de dire, après d'autres, que, sur ce sujet, les récentes déclarations du chef de l'État à Rome et à Riyad avivent mes craintes.
Quelle est donc la meilleure solution ? Certainement pas le statu quo que vous proposez, monsieur le rapporteur, en prétextant que la nouvelle circulaire du 27 août 2007, signée conjointement par les ministères de l'éducation nationale et de l'intérieur, aurait tout réglé, apaisant la situation...
Ce n'est pas l'avis de très nombreux maires, de gauche comme de droite. C'est le cas, notamment, dans mon département, les Hauts-de-Seine. Je crois savoir que c'est également le cas en Dordogne, votre département, monsieur le ministre, où la position de l'Association des maires ruraux de France, l'AMRF, est partagée. L'AMRF, qui a déposé un recours devant le Conseil d'État après la publication de la deuxième circulaire, appelle toujours les maires ruraux à ne pas payer les factures qui leur seront présentées par les écoles privées.
Comme vous l'avez rappelé, monsieur le rapporteur, le nombre de contentieux est faible. Et pour cause : les factures ne sont pas encore arrivées ! En revanche, à ma connaissance, les délibérations de conseils municipaux qui refusent de payer se comptent par centaines.
Permettez-moi aussi de reprendre, monsieur le rapporteur, un argument que vous avez avancé en commission des affaires culturelles, et selon lequel un « compromis juridiquement fondé et politiquement équilibré » aurait été trouvé.
Faites-vous référence à la rencontre du 16 mai 2006 entre le secrétaire général de l'enseignement catholique et le président de l'Association des maires de France, menée sous le patronage de Nicolas Sarkozy, alors ministre de l'intérieur ? Le relevé de conclusions de cette rencontre précise que le financement prévu à l'article 89 est rendu obligatoire si la commune de résidence est, aux termes du paragraphe 3 de ce relevé, « dépourvue de capacité d'accueil dans ses établissements scolaires ».
Dans le cas inverse, c'est le flou, car les deux parties précitées n'ont tout simplement pas trouvé de compromis, des divergences d'interprétation étant apparues.
On est donc loin d'un compromis, d'un cadre juridiquement fondé, d'un équilibre politique, d'un climat apaisé et d'une situation dans laquelle il serait urgent d'attendre. La question est loin d'être réglée et notre travail d'aujourd'hui est, de mon point de vue, parfaitement fondé.
À mon sens, l'abrogation de l'article 89 est la seule voie de sagesse pour l'instant, a fortiori si nous nous dirigeons vers le modèle d'école décrit par la commission Attali dans son rapport : une école sans carte scolaire, transformée en « supermarché », pour laquelle les parents disposeront d'un chèque-école utilisable dans tous les établissements, publics comme privés sous contrat d'association.
La généralisation du principe d'autonomie des établissements fixé par le Président de la République dans sa lettre de mission, repris par la commission Attali et, ce matin même, par la commission Pochard, associée à la suppression de la carte scolaire prend alors tout son sens et explique votre dérobade sur l'article 89.
Cette mesure prend sa place, en réalité, dans un tout cohérent qui n'aura plus grand-chose à voir avec notre école publique gratuite, laïque, d'égal accès pour tous et toutes sur le territoire. Il s'agit d'installer l'école dans une autre société, celle du chacun pour soi.
J'achèverai mon propos en réaffirmant que les sénateurs du groupe CRC partagent la préoccupation des milliers d'élus locaux opposés à la mise en oeuvre de l'article 89. C'est la raison pour laquelle ils soutiendront son abrogation. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Yves Détraigne.
M. Yves Détraigne. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je suis conscient que la question du financement des écoles privées est un sujet sensible dans notre pays et qu'il faut peu de choses pour ranimer les passions.
Je comprends donc que la commission ait émis un avis défavorable sur la proposition de loi qui tend purement et simplement à revenir à la situation antérieure à celle qui a été créée - involontairement, du reste, en ce qui concerne son auteur - par l'article 89 de la loi du 13 août 2004.
Je pense d'ailleurs que ce serait une erreur de revenir à l'ancien système, car il était inéquitable. Pourquoi une commune, siège d'un établissement privé, devait-elle payer pour la scolarisation de ses enfants dans cet établissement, alors qu'une commune voisine pouvait tout tranquillement, et sans dépenser un centime, envoyer ses propres enfants dans cette même école ? C'est d'ailleurs pour cette raison que M. Charasse avait présenté un amendement qui est devenu l'article 89 de la loi du 13 août 2004.
Si l'article 89 a évidemment répondu aux souhaits des responsables des établissements privés au-delà de ce qu'ils espéraient et s'il y a peu de contentieux publics sur ce sujet, comme cela vient d'être rappelé par plusieurs orateurs, il n'en reste pas moins vrai que l'on est passé d'un excès à l'autre.
Autant il était contestable qu'une commune de résidence soit totalement - et quelles que soient les circonstances - dispensée de participer au financement de la scolarisation d'un de ses enfants dans une école privée d'une commune voisine, autant il est inéquitable - voire risqué pour le maintien de son école publique - qu'une commune de résidence soit obligée de participer au financement de la scolarité d'un de ses enfants dans l'école privée d'une commune voisine, quelles que soient, là encore, les circonstances. Or c'est la situation qui prévaut actuellement.
Il faut bien comprendre que cette situation d'obligation, sans nuance, peut conduire à vider l'école publique d'une petite commune au profit de l'école privée d'une commune voisine,...
M. Jacques Valade, président de la commission des affaires culturelles. Oui, c'est le problème !
M. Yves Détraigne. ...avec cependant le maintien de l'obligation pour le maire, qui aurait de ce fait une école publique menacée de fermeture, de financer en quelque sorte la fuite de ses élèves vers l'école privée voisine.
M. Jacques Valade, président de la commission des affaires culturelles. Exactement !
M. Yves Détraigne. C'est tout de même « abracadabrantesque », comme aurait dit quelqu'un !
En clair, le maire de la commune de résidence peut être aujourd'hui tenu de financer l'école privée qui menace le maintien de son école publique qu'il a, par ailleurs, obligation de maintenir. Bref, on marche sur la tête !
Le législateur, dans sa sagesse, ne s'y est d'ailleurs pas trompé en veillant, dans le texte même du code de l'éducation, à ce que le financement de la scolarisation d'un enfant dans l'école publique d'une commune autre que celle de sa résidence soit parfaitement encadré.
C'est ainsi que, dans le souci d'éviter l'effet paradoxal que j'évoquais précédemment, l'article L. 212-8 du code de l'éducation prévoit que la commune de résidence n'est tenue de participer au financement de la scolarisation d'un de ses enfants dans l'école publique d'une autre commune que dans le cas où cette scolarité est liée aux obligations professionnelles des parents et où leur commune de résidence n'assure pas directement ou indirectement la restauration et la garde des enfants, dans le cas où il y a déjà inscription d'un frère ou d'une soeur dans l'établissement scolaire extérieur, ou encore pour des raisons médicales, ce qui a été également rappelé par d'autres intervenants.
la solution équitable, la seule qui préserverait le libre choix des parents entre le public et le privé sans faire payer deux fois la commune de résidence, une fois pour l'école publique qu'elle est tenue de proposer et une seconde fois pour l'école privée qui viendrait concurrencer son école publique, c'est d'appliquer ces mêmes critères.
C'est d'ailleurs ce que prévoit l'accord conclu en mai 2006 entre l'Association des maires de France, le secrétariat général de l'enseignement catholique et les ministères de l'intérieur et de l'éducation nationale.
Selon cet accord - mais ce n'est qu'un accord, et non pas une loi -, les communes qui peuvent accueillir l'élève dans leur école publique n'ont pas l'obligation de participer au financement de la scolarisation d'un élève dans une école privée extérieure, sauf si l'inscription de cet élève dans une école extérieure a d'abord donné lieu à un accord du maire et est justifiée par l'un des trois cas dérogatoires que j'ai mentionnés - frère ou soeur déjà scolarisés dans cette commune extérieure, raisons de santé, ou activité professionnelle des parents lorsque la commune de résidence n'offre pas de service de garderie ou de cantine.
C'est clair, sauf que ce n'est pas ce que dit l'article 89 actuellement en vigueur et que si le refus d'un maire de financer la scolarisation d'un enfant de sa commune dans un établissement privé extérieur se réfère aux exceptions prévues par cet accord, ce refus ne résistera pas, en cas de contentieux, au verdict de la juridiction administrative, qui constatera inévitablement que ces exceptions ne sont pas prévues par la loi pour l'enseignement privé. Sur ce point, je ne partage donc pas l'optimisme tranquille et qui se veut rassurant de notre rapporteur Jean-Claude Carle.
Voilà pourquoi je pense que, pour régler définitivement et équitablement ce problème, il faut inscrire dans la loi le compromis raisonnable et de bon sens qu'ont su conclure, en mai 2006, les représentants des maires, de l'enseignement catholique et des ministères concernés.
La proposition de loi que j'ai déposée en mars 2006, avant la conclusion de cet accord, va dans ce sens. Elle n'est certainement pas parfaite, elle nécessite sans doute des aménagements, notamment pour tenir compte du fait que l'école privée participe à l'offre scolaire dans la commune où elle est implantée, au même titre que l'école publique de ladite commune, et que, en l'occurrence, le financement communal doit être bien évidemment le même quelle que soit l'école fréquentée.
En tout état de cause, c'est en rétablissant explicitement l'équité, comme ma proposition de loi le prévoit, que nous éviterons la situation contestable et contestée dans laquelle nous sommes.
J'espère donc bien que, dans les prochains mois, nous pourrons, sur cette base, régler définitivement la question du financement, par la commune de résidence, de la scolarisation d'un enfant dans une école privée extérieure à cette commune. À moins bien sûr que, comme notre rapporteur l'espère, le Conseil d'État ne confirme entre-temps l'interprétation qu'il a cru pouvoir donner au texte actuel de l'article 89.
M. le président. La parole est à M. Michel Teston.
M. Michel Teston. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ayant le redoutable honneur d'être le dernier intervenant dans la discussion générale, je m'efforcerai d'être bref.
L'article 89 de la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales dispose que « les trois premiers alinéas de l'article L. 212-8 du code de l'éducation sont applicables pour le calcul des contributions des communes aux dépenses obligatoires concernant les classes des écoles privées sous contrat d'association ».
Ainsi, les communes où il n'y a pas d'école privée sous contrat d'association doivent financer la scolarisation d'un enfant résidant sur leur territoire et fréquentant une école privée sous contrat dans une autre commune.
Cet article est issu d'un amendement sénatorial alors défendu par notre collègue Michel Charasse, amendement dont l'objectif était d'éviter que certaines municipalités ne disposant plus d'une école publique incitent les parents à scolariser leurs enfants dans les écoles privées des communes voisines. En effet, dans ce cas, la totalité des frais de scolarisation des enfants, y compris des non-résidents, était jusqu'alors à la charge de la commune d'accueil.
M. Michel Charasse. C'est exact !
M. Michel Teston. Or le texte de l'amendement présenté lors de la séance du 1er juillet 2004 n'a pas traduit correctement l'objectif visé par son auteur.
Cet amendement, adopté tel quel, est devenu un article de loi de portée générale, dont la principale conséquence est d'introduire des disparités de traitement entre les communes de résidence quand un enfant est scolarisé dans une commune voisine, ce qui est une situation fréquente : lorsque l'école est publique et hormis les cas prévus au dernier alinéa de l'article L. 212-8 du code de l'éducation, le maire de la commune de résidence peut refuser son accord et, dans cette hypothèse, sa commune ne participe pas financièrement. En revanche, s'il s'agit d'une école privée, le maire de la commune de résidence n'est même pas consulté et les frais de scolarisation sont imputés à sa commune, même si cette dernière peut accueillir l'élève dans le ou les établissements d'enseignement publics de son territoire.
Outre le fait qu'il remet en cause fondamentalement les équilibres de financement entre les écoles publiques et les établissements privés d'enseignement - aspect essentiel sur lequel Jean-Marc Todeschini et Yannick Bodin ont bien mis l'accent -, ce texte risque de ruiner les politiques volontaristes menées par de nombreux élus pour maintenir un service public de qualité sur le territoire de leur commune et de contribuer à la disparition de nombreuses écoles publiques, avec des conséquences particulièrement dommageables dans les zones rurales.
De surcroît, - cela a été dit - la commune de résidence se voit imposer de nouvelles charges qui s'ajoutent aux dépenses lui incombant pour le fonctionnement de sa ou de ses propres écoles publiques.
Monsieur le ministre, je vous avais interrogé à ce sujet lors d'une séance de questions orales en octobre 2007.
Constatant que le Gouvernement n'entendait pas déposer un projet de loi pour modifier ou abroger cet article, le groupe socialiste a décidé de déposer une proposition de loi.
Plusieurs voies s'offraient à nous pour trouver une solution.
Une première voie possible, que Michel Charasse avait d'ailleurs proposée lors de l'examen d'un autre texte, à ma connaissance, à l'automne 2005,...
M. Michel Charasse. Oui !
M. Michel Teston. ...consistait à compléter l'article 89 par un alinéa ainsi rédigé : « Les dispositions du présent article ne sont applicables qu'aux communes n'ayant pas, ou plus, d'école publique. ».
La deuxième voie possible visait à modifier l'article 89 en précisant que tous les alinéas de l'article L. 212-8 du code de l'éducation sont applicables, et non pas seulement les trois premiers comme le prévoit l'article 89.
La troisième voie possible était l'abrogation pure et simple de l'article 89.
Le groupe socialiste a retenu la solution de l'abrogation, qui n'empêche nullement, mes chers collègues, le financement des écoles privées sous contrat, en application de la loi Debré de 1959, en cas d'accord intervenu - et de tels accords sont nombreux - entre la commune de résidence et la commune d'accueil.
Dès lors, quelle appréciation pouvons-nous porter sur l'avis émis par la commission des affaires culturelles, selon lequel la mise en oeuvre des dispositions de l'article 89 se fait dans un climat de relative sérénité ? Nous le jugeons particulièrement inexact.
La commission considère qu'il n'est pas utile de modifier la législation et elle propose donc le rejet de notre proposition de loi.
M. Jacques Valade, président de la commission des affaires culturelles. Exactement !
M. Michel Teston. Vous vous doutez bien, monsieur le président de la commission des affaires culturelles, monsieur le rapporteur, que notre groupe ne partage pas du tout cette analyse et qu'il se prononcera contre les conclusions négatives que vous avez formulées.
M. Jacques Valade, président de la commission des affaires culturelles. Tant pis !
M. Michel Teston. Nous estimons, en effet, que le retour à la législation antérieure à la loi du 13 août 2004 est une nécessité, ce qui suppose l'adoption de notre proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Xavier Darcos, ministre de l'éducation nationale. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je viens de réentendre les arguments développés par les intervenants successifs. Je les en remercie et je ne doute pas de leur sincérité.
Je veux cependant rappeler ce qui est en jeu aujourd'hui. Vous le savez, depuis près de cinquante ans maintenant, notre dispositif législatif, et plus précisément le code de l'éducation dans son article L. 442-1, auquel plusieurs orateurs ont fait allusion, prévoit que l'enseignement dispensé dans les établissements privés sous contrat est soumis au contrôle de l'État. L'établissement doit donner cet enseignement dans le respect total de la liberté de conscience, comme l'ont rappelé, à de multiples occasions, le juge constitutionnel et le juge administratif. J'ajoute que les établissements d'enseignement privés se doivent d'accueillir tous les enfants sans distinction d'origine, d'opinion ou de croyance. Nous ne sommes pas dans un dispositif visant à favoriser un enseignement qui serait fermé à tel ou tel enfant, ou qui procéderait à tel ou tel recrutement uniquement en fonction des convictions de l'intéressé ou de son appartenance à telle ou telle religion.
C'est précisément pour cela que la loi Debré puis la loi Guermeur ont instauré, pour le financement des écoles privées, un principe de parité avec l'école publique. En vertu de ce principe, les écoles privées doivent bénéficier des mêmes moyens de fonctionnement que les écoles publiques.
Voilà donc, mesdames, messieurs les sénateurs, l'enjeu de l'article 89 de la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales. N'en faisons pas une question de laïcité. N'en appelons pas non plus au rapport Attali, rapport qui, à dire vrai, est bien étranger à toutes ces choses ! L'inspirateur de la loi du 15 mars 2004 sur la laïcité à l'école, c'est moi : j'en connais bien le sujet tout comme l'enjeu.
Quand on sait qu'une famille sur deux a envoyé son enfant à un moment donné de sa scolarité dans un établissement privé, on voit bien que le temps des grands débats idéologiques est révolu. Aujourd'hui, c'est le principe républicain de liberté des familles qui prime : personne ici ne songe à le remettre en cause, et l'article 89 n'a pas d'autre objet.
En tant que ministre de l'éducation nationale, je suis le ministre de toutes les écoles, de tous les enseignants et de tous les élèves.
M. Xavier Darcos, ministre. L'éducation nationale veille à ce que l'enseignement obligatoire soit fondé sur les mêmes principes, quel que soit le mode de scolarisation choisi librement par les familles.
Les programmes d'enseignement sont les mêmes dans l'enseignement public et dans l'enseignement privé sous contrat d'association ; les enseignants sont évalués partout selon les mêmes règles. En conséquence, je ne peux permettre qu'on mette en doute l'impartialité de l'État (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s'exclame) et qu'on joue impunément avec ce principe fondamental de la République qu'est la laïcité. Je ne laisserai quiconque ranimer le fantôme dépassé d'une guerre scolaire dont notre nation a tant souffert. Je reconnais d'ailleurs que les orateurs n'ont pas cherché à raviver ces querelles.
Si l'article 89 respecte le principe d'équité à l'égard des familles, dont la liberté de choix ne saurait être contestée, il respecte également le principe d'équité à l'égard des communes, qui ne sauraient payer plus pour le privé qu'elles ne payent pour le public.
Mais il faut comprendre que l'équité entre les communes ne peut dépendre des mécanismes du public. En effet, s'ils s'appliquaient ainsi au privé, ils seraient sans aucun doute contraires au principe de la liberté de l'enseignement, qui, je vous le rappelle, a valeur constitutionnelle.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous savez également que le mécanisme introduit par l'article est entouré de précautions reposant sur l'application du principe de parité qui permettent de limiter le coût pour les communes.
Tout d'abord, l'article L. 442-9 du code de l'éducation lui-même dispose que la contribution versée pour un élève scolarisé dans le privé ne peut excéder celle qui est versée pour un élève du public.
M. Gérard Le Cam. Heureusement !
M. Xavier Darcos, ministre. Ensuite, l'article 89 de la loi du 23 avril 2005 d'orientation et de programme pour l'avenir de l'école prévoit que le montant du forfait communal est déterminé par parité avec le coût consacré par la commune au fonctionnement de ses écoles publiques ou, en l'absence d'école dans la commune, au coût moyen constaté dans le département. C'est le cas, par exemple, en Bretagne.
Enfin, n'oublions pas que le préfet, en cas de désaccord entre les communes, peut, lorsqu'il intervient pour fixer la répartition des contributions entre celles-ci, apprécier la capacité contributive des communes de résidence.
Évitons donc les postures et les pétitions de principe et constatons les faits avec sérénité : la loi et la nouvelle circulaire du 6 septembre 2007, dont le texte, qui a fait l'objet d'une très large concertation, a même été coécrit avec l'AMF, ouvrent la voie à la négociation et à l'obtention d'accords entre les communes, alors même que le dispositif antérieur ne permettait en rien de résoudre les conflits - c'était pourtant ce que voulait Michel Charasse - qui pouvaient surgir entre les communes et les établissements privés, voire entre les communes de résidence et les communes d'accueil.
Aujourd'hui, c'est seulement en cas de désaccord entre communes - c'est possible, mais rarissime - que l'intervention du préfet peut être éventuellement sollicitée ou requise.
J'ajoute que, dans un esprit d'apaisement, la nouvelle circulaire a retiré de la liste des dépenses obligatoires annexée les dépenses de contrôle technique des bâtiments, la rémunération des agents territoriaux de service des écoles maternelles ainsi que les dépenses relatives aux activités extrascolaires.
Qu'en est-il aujourd'hui ? Depuis plus de trois ans, mesdames, messieurs les sénateurs, l'application de l'article 89 n'a donné lieu qu'à un nombre dérisoire de litiges. En effet, on ne compte guère que 19 contentieux pour 5 147 écoles privées sous contrat d'association.
À quoi bon ranimer une discorde, puisque la concorde l'emporte ? Tenons-nous-en donc à la rédaction actuelle de l'article 89, qui donne toute satisfaction, et pensons plutôt à la réussite de nos enfants, qu'ils soient scolarisés dans le public ou dans le privé. (Applaudissements sur les travées de l'UMP. - Mme Muguette Dini applaudit également.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Explications de vote
M. le président. Avant de mettre aux voix les conclusions négatives du rapport de la commission des affaires culturelles tendant au rejet de la proposition de loi, je donne la parole à M. Jean-Marc Todeschini, pour explication de vote.
M. Jean-Marc Todeschini. Le groupe socialiste votera bien entendu cette proposition de loi et rejettera les conclusions de la commission des affaires culturelles.
Je prends acte des déclarations de M. le ministre et de la plupart de nos collègues. En effet, personne ne veut ranimer la guerre scolaire. Comme je l'ai dit précédemment, la liberté des parents existe et nous ne sommes nullement comme ces anticléricaux du xixe siècle. Nous sommes au contraire favorables à l'apaisement et, surtout, au principe de parité.
Le groupe socialiste souscrit aux propos de notre collègue Yves Détraigne. Il est dommage que la commission et son rapporteur n'aient pas voulu modifier la législation actuelle et sacraliser le principe de parité dans la loi.
M. Jacques Valade, président de la commission des affaires culturelles. Nous le ferons !
M. Jean-Marc Todeschini. Oui, mais quand ? Ce n'est jamais le bon moment ! Cette proposition de loi a été déposée alors que plusieurs amendements ont été soutenus dans le passé. J'en avais moi-même déposé un. Néanmoins, nous prenons acte que, un jour, le moment sera opportun...
Nous regrettons les propos de notre collègue du groupe UMP : nous ne sommes aucunement opposés à l'école privée et favorables à la remise en cause du principe de parité et de la loi Debré, qui, suivie notamment de la loi Guermeur, a apaisé la situation.
Toujours est-il que, pour permettre à certains de nos collègues, parfois membres de la majorité sénatoriale, de mettre en conformité leur vote avec les déclarations qu'ils font en tant que président des associations départementales de maires et aux termes desquelles ils proclament leur opposition à l'article 89, nous demandons un scrutin public. Ainsi, tout sera clair !
M. le président. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat.
M. Pierre-Yves Collombat. M. le rapporteur nous a dit que cette question faisait l'objet d'un large accord ; nous ne devons pas fréquenter les mêmes maires ! Souffrez que le premier vice-président de l'Association des maires ruraux de France s'inscrive en faux contre cette remarque ! Je suis bien placé pour savoir que ce fameux amendement Charasse a suscité une inquiétude certaine et crée de nombreuses complications.
L'entretien de l'école, les services qui y sont attachés - la garderie, la cantine - coûtent très cher aux communes. Les charges de personnel pèsent lourdement sur le budget des plus petites d'entre elles. Or, en dépit de ces efforts, certaines familles, parce que cela les arrange, décident de scolariser leurs enfants ailleurs que dans leur commune de résidence.
M. Jacques Valade, président de la commission des affaires culturelles. Elles sont libres !
M. Pierre-Yves Collombat. Parfois, les motifs sont légitimes - travail, déplacements, etc. -, parfois, ils sont farfelus, se fondant sur l'absence de troisième langue dans l'école du village ou sur certains fantasmes pédagogiques. (Exclamations sur les travées de l'UMP.) À quoi servent alors les efforts considérables que nous faisons pour garder les enfants dans nos écoles ?
Ce problème ne se limite pas au débat dont il est question aujourd'hui. Jusqu'à présent, « l'évasion » vers les écoles publiques d'autres communes était strictement encadrée. Or l'on constate que tel n'est plus le cas de « l'évasion » vers les écoles privées.
Tout à l'heure, certains de nos collègues se sont employés à faire l'exégèse de l'article 89 en mettant en avant, notamment, le principe de parité. Mais force est de constater qu'il ne s'agit là que d'une interprétation de la loi, et tant que celle-ci ne sera pas clarifiée, il subsistera une inquiétude.
Mes chers collègues de la majorité, vous êtes assis entre deux chaises. Le sujet dont nous traitons est très sensible chez les maires, qui ne comprendraient pas qu'on ne lève pas leur inquiétude en fixant les choses une fois pour toutes. Ils veulent que leurs efforts en matière d'investissements soient respectés.
M. le président. La parole est à M. Yves Détraigne.
M. Yves Détraigne. Alors que nous sommes parvenus aux explications de vote, un certain nombre de collègues se demandent comment votera le groupe auquel j'appartiens.
L'exégèse que j'ai faite de l'article 89 diverge quelque peu de l'analyse qu'en a faite M. le rapporteur.
Il est clairement établi que c'est le compromis de mai 2006 qui s'applique aujourd'hui. À ma connaissance, dans la Marne, où les maires et moi-même dénonçons, comme ailleurs, l'article 89, aucun contentieux n'est survenu à la suite de l'absence d'accord entre l'établissement privé et la commune sur la base du compromis. Toutefois, je ne partage pas l'optimisme de M. le rapporteur quand il affirme que le Conseil d'État confirmera que le compromis a force de loi. Mais dans l'attente que celui-ci rende sa décision, nous suivrons les conclusions de la commission des lois.
M. Jacques Valade, président de la commission des affaires culturelles. De la commission des affaires culturelles !
M. Yves Détraigne. Monsieur le président de la commission, pardonnez ce lapsus d'un membre de la commission des lois ! Mais il est vrai que la commission des lois n'aurait peut-être pas adopté la même position que la commission des affaires culturelles ! (Sourires.)
M. Jacques Valade, président de la commission des affaires culturelles. Vous m'auriez convaincu ! (Nouveaux sourires.)
M. Yves Détraigne. Tant que ce compromis, à défaut d'avoir force de loi, est la règle sur laquelle sont conclus les accords, tout va bien. Mais que se passera-t-il quand le Conseil d'État estimera que les termes de la loi diffèrent de ceux du compromis ? Évidemment, la loi l'emportera. À tout le moins, c'est ce que j'ai appris au cours de mes années d'apprentissage de droit et c'est ce qu'ont appris tous ceux qui ont fait du droit.
J'ai bien noté que tant M. le président de la commission que M. le rapporteur s'accordent à penser que si le Conseil d'État considère que seul doit s'appliquer l'article 89, les trois exceptions prévues par l'accord de mai 2006 seront caduques et il faudra bien alors les inscrire explicitement dans la loi.
En conclusion, le groupe de l'Union centriste-UDF suivra les conclusions de la commission.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Claude Carle, rapporteur. Notre collègue du groupe socialiste prétendait voilà quelques instants que nous ne fréquentions pas les mêmes représentants de maires. Pour ma part, je suis très soucieux du respect de la démocratie. À cet égard, l'AMF est, me semble-t-il, l'association la plus représentative, si l'on considère le nombre de ses adhérents et leur diversité politique et philosophique. Or ses représentants, que nous avons rencontrés, nous ont dit très clairement qu'il fallait s'en tenir au compromis qu'ils ont signé avec les ministères de l'éducation nationale et de l'intérieur et avec l'enseignement privé.
Attendons que le Conseil d'État se prononce. Selon la décision qu'il rendra, peut-être faudra-t-il inscrire plus tard dans la loi les propositions de notre collègue Yves Détraigne.
M. le président. La parole est à M. Michel Charasse.
M. Michel Charasse. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, vous permettrez à l'auteur du délit de dire un mot avant la fin de cette discussion ! (Sourires.)
Je remercie les collègues, le rapporteur et le ministre, qui ont bien voulu rappeler tout à l'heure, en termes délicats, courtois et amicaux, les circonstances dans lesquelles j'avais été conduit à prendre cette initiative.
De ce point de vue, je n'ai rien à rajouter, car finalement l'article 89 n'est qu'une simple mesure d'application de deux dispositions de la loi Debré et de la loi Chevènement de 1985, qui ne pouvaient pas être mises en oeuvre, faute pour le législateur d'avoir prévu, comme il l'a fait pour l'école publique, que lorsqu'il n'y avait pas d'accord entre les communes pour la répartition des dépenses, c'était le préfet qui devait trancher.
Donc, c'est une simple mesure technique, sans plus. Vous imaginez bien que, en ce qui me concerne et connaissant mes convictions personnelles, je n'avais aucune arrière-pensée. Restons-en là sur ce point !
Mes chers collègues, au-dessus de tout cela avec le processus de la loi Debré, confirmé, comme l'a rappelé le ministre, par la loi Guermeur, existe avant toute autre considération ou disposition un principe fondamental, reconnu à plusieurs reprises par le Conseil constitutionnel : c'est le principe de parité entre enseignement public et privé : il serait inconstitutionnel de donner plus à l'enseignement privé qu'à l'enseignement public, toutes choses égales par ailleurs.
M. Dominique Mortemousque. Tout à fait !
M. Michel Charasse. Et c'est essentiellement l'objet, d'ailleurs, d'un des paragraphes de la circulaire de 2007, qui le confirme très clairement, et de l'accord conclu entre l'Association des maires de France, les ministres concernés et l'enseignement privé - l'enseignement catholique, je crois - en 2006, c'est la question qui se trouve maintenant posée au Conseil d'État s'il décide de s'en saisir, ce qu'il n'est pas obligé de faire puisque le recours ne porte que sur la conformité de la circulaire à l'article 89.
Bref, ce principe de parité s'impose et je ne fais pas partie de ceux qui craignent que le Conseil d'État ne revienne dessus dans son arrêt. Car, dans ce cas, il s'arrogerait peut-être le droit de considérer que le principe de parité est subordonné à d'autres considérations, ce qui n'est pas possible au regard de la République et de ses principes, posés sur ce sujet-là par la loi Debré, confirmés par plusieurs lois ultérieures, validés par le Conseil constitutionnel et qui n'ont jamais été remis en cause depuis 1959.
Ce que je regrette, mes chers collègues, c'est que la commission ne nous ait pas proposé de faire oeuvre utile, en sacralisant l'accord du printemps 2006 dans la loi, ce qui revient à rectifier et à compléter l'article 89. Mon intention d'origine - mais je n'ai pas déposé le texte rectifié de mon d'amendement - visait, comme l'a rappelé l'un de nos collègues, uniquement les communes qui n'ont pas ou plus d'école publique.
J'aurais donc souhaité que la commission nous propose de compléter l'article 89 en disant : « C'est le principe de parité qui s'applique ». De ce point de vue, la proposition de la commission - même si, comme M. Jourdain qui faisait de la prose sans le savoir, elle ne s'en est peut-être pas aperçue - revient à dire : « Laissons le Conseil d'État faire la loi à notre place ». Eh bien, pour moi, cette démarche n'est pas acceptable !
Et si nous avions sacralisé aujourd'hui, dans la loi, l'accord auquel nous sommes parvenus en 2006, qui fait largement consensus et n'est plus de nature à soulever des contentieux - bien sûr, il peut toujours y avoir des chicaneries, car le simple accord n'a pas d'autre valeur que morale, si je puis dire -, nous ne serions pas, les uns et les autres, inquiets de ce qui peut se produire jusqu'au prononcé de l'arrêt du Conseil d'État.
Voilà quelques-unes des raisons pour lesquelles je suivrai naturellement mon groupe dans son vote tout à l'heure.
M. le président. Avant de donner la parole à M. Alain Vasselle, je vous rappelle, mes chers collègues, que, si j'ai accepté de prolonger le débat, c'est parce que l'on m'avait donné quelques assurances.
Vous avez la parole, monsieur Vasselle.
M. Alain Vasselle. Monsieur le président, je suis désolé de vous contrarier, mais il faudrait que le Sénat organise son travail de telle sorte que les sénateurs puissent participer aux débats en séance publique sur les sujets qui concernent leur département. En ma qualité de président de l'association départementale des maires, j'ai un avis à donner sur cette proposition de loi. Quand on me demande de présider la mission d'évaluation et de contrôle des dépenses de la sécurité sociale, d'être le rapporteur des travaux de la mission commune d'information du Sénat sur la prise en charge de la dépendance et que, dans le même temps, on délibère en séance publique, vous comprendrez, monsieur le président, que de telles conditions de travail ne permettent pas à l'ensemble des parlementaires de s'investir sur tous les dossiers sur lesquels ils ont un droit de regard et doivent pouvoir s'exprimer.
M. Jean-Claude Frécon. Bravo !
M. Alain Vasselle. Je regrette de prolonger le débat en intervenant sur ce sujet, mais je voudrais simplement formuler deux observations.
En premier lieu, je partage l'idée de ceux qui considèrent qu'une parité stricte doit être respectée entre l'enseignement public et l'enseignement privé.
En second lieu, si l'on ne règle pas le problème immédiatement, il faudrait que le ministre de l'éducation nationale ou le Premier ministre puissent au moins envoyer une circulaire aux préfets pour leur dire que, tant que le Conseil d'État ne s'est pas prononcé, toutes les dispositions tendant au financement des écoles privées par les communes dont les enfants sont scolarisés dans ces établissements seront gelées. Cela nous permettrait d'attendre et, le moment venu, de délibérer de nouveau sur cette question. (Applaudissements sur plusieurs travées de l'UMP.)
M. Paul Girod. Très bien !
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Mes chers collègues, avant que vous ne votiez, je voudrais appeler votre attention sur le fait qu'il s'agit de conclusions tendant à ne pas adopter la proposition de loi.
Autrement dit : ceux qui ne sont pas favorables à la proposition de loi doivent voter « pour » les conclusions de la commission ; ceux qui sont favorables à la proposition de loi et souhaitent passer à la discussion des articles doivent voter « contre » les conclusions de la commission.
Je mets aux voix les conclusions de la commission des affaires culturelles sur la proposition de loi n° 106.
Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe socialiste.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?...
Le scrutin est clos.
(Il est procédé au comptage des votes.)
M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 81 :
Nombre de votants | 328 |
Nombre de suffrages exprimés | 327 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 164 |
Pour l'adoption | 201 |
Contre | 126 |
Le Sénat a adopté.
En conséquence, la proposition de loi est rejetée.
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants. Je vous rappelle que nous allons recevoir M. le Premier président de la Cour des comptes.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-huit heures vingt, est reprise à dix-huit heures vingt-cinq, sous la présidence de M. Christian Poncelet.)
PRÉSIDENCE DE M. Christian Poncelet
M. le président. La séance est reprise.
4
DÉpÔt du rapport annuel de la Cour des comptes
M. le président. L'ordre du jour appelle le dépôt du rapport annuel de la Cour des comptes. (Mmes et MM. les sénateurs se lèvent.)
Huissiers, veuillez faire entrer M. le Premier président de la Cour des comptes.
(M. le Premier président de la Cour des comptes est introduit dans l'hémicycle selon le cérémonial d'usage.)
M. le président. Monsieur le Premier président, au nom de mes collègues et en mon nom propre, je vous souhaite une très cordiale bienvenue au Sénat où vous venez pour la quatrième fois pour la remise du rapport annuel de la Cour des comptes, un rapport toujours très attendu.
Laissez-moi saisir l'occasion de votre venue dans cet hémicycle pour rappeler l'importance que notre assemblée accorde au développement de relations toujours plus étroites avec la Cour des comptes, afin de contribuer avec la plus grande efficacité à la mission de contrôle et d'évaluation des politiques publiques, qui constitue - dois-je encore le rappeler ? - la « seconde nature » du Sénat.
À la fin de l'année dernière, la Cour des comptes a célébré son bicentenaire - et j'ai d'ailleurs moi-même assisté, sur votre invitation, monsieur le Premier président, à la séance solennelle du 5 novembre. Je sais que, sans tourner le dos à la tradition, l'institution que vous représentez est pleinement engagée dans la modernité.
Celle-ci passe naturellement par le renforcement des liens de la Cour avec le Parlement, en particulier avec les commissions des finances et des affaires sociales dans le cadre de la mission d'assistance que l'article 58 de la nouvelle loi organique relative aux lois de finances a bien voulu lui confirmer.
C'est donc avec un intérêt, une curiosité et une attention chaque année renouvelés que nous allons prendre connaissance de votre rapport.
Monsieur le Premier président, vous avez maintenant la parole.
M. Philippe Séguin, Premier président de la Cour des comptes. Monsieur le président, en application de l'article L. 136-1 du code des juridictions financières, j'ai l'honneur de vous remettre le rapport public annuel de la Cour des comptes. (M. le Premier président de la Cour des comptes remet à M. le président du Sénat le rapport annuel de la Cour des comptes. - Applaudissements.)
M. le président. Merci, monsieur le Premier président. Ce rapport est lourd ! (Sourires.)
M. Philippe Séguin, Premier président de la Cour des comptes. Monsieur le président, messieurs les présidents des commissions des finances et des affaires sociales, mesdames, messieurs les sénateurs, voici donc venu le moment rituel de la remise du rapport annuel, rapport au demeurant mal dénommé puisqu'il n'est plus, et de loin, la seule publication de la Cour.
De même, s'il a longtemps constitué avec la « déclaration de conformité » l'essentiel de notre assistance au Parlement, il n'est plus aujourd'hui qu'un élément parmi beaucoup d'autres dans l'ensemble des travaux qui vous sont destinés.
Nous vous livrons ainsi, depuis plus de dix ans maintenant, les trois rapports que nous élaborons dans le cadre du contrôle de l'exécution des lois de finances et des lois de financement de la sécurité sociale : le rapport sur les résultats et la gestion budgétaire de l'État, le rapport nouvellement dénommé « rapport sur l'état des finances publiques » et le rapport sur la sécurité sociale. Et pour la première fois cette année, j'ai eu l'honneur de vous remettre deux autres rapports rassemblant les résultats de nos travaux de certification sur les comptes de l'État et sur ceux de la sécurité sociale.
Nous vous transmettons également chaque année l'ensemble de nos rapports thématiques. En 2007, nous en avons publié cinq, qui portent sur les grands chantiers culturels, les aides des collectivités territoriales aux entreprises, la recherche publique dans le domaine des sciences du vivant, la prise en charge des personnes sans domicile et les institutions sociales des industries électriques et gazières.
Vous avez été également destinataires de quatre rapports présentant les résultats de nos contrôles relatifs aux organismes faisant appel à la générosité publique.
Mais je veux surtout insister sur les rapports que nous réalisons à la demande de vos commissions des finances et des affaires sociales. Nous avons ainsi adressé à la commission des finances du Sénat cinq rapports dits « 58-2 » portant respectivement sur les retraites militaires, la gestion des crédits d'intervention de la politique de la ville, l'Établissement public de maîtrise d'ouvrage des travaux culturels, l'EMOC, et les conditions d'exercice de sa maîtrise d'ouvrage, le service des pensions de l'État et la gestion et l'efficacité des remboursements et des dégrèvements d'impôts d'État et d'impôts locaux.
Nous avons également remis à la mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale, la MECSS, de la commission des affaires sociales un rapport sur la protection sociale agricole.
Je voudrais vous dire combien nous sommes satisfaits de voir l'attention que vous portez à l'ensemble de ces travaux. Je pense aux nombreuses auditions que vous organisez et auxquelles les magistrats de la Cour participent toujours avec beaucoup d'empressement. Je pense également aux rapports d'information que les rapporteurs des commissions réalisent sur cette base ainsi qu'aux rapports de suivi.
Votre intervention est bien évidemment essentielle à nos yeux. Elle permet aux recommandations de la Cour d'être mieux entendues, d'être relayées et d'être portées par la voix efficace de vos présidents et de vos rapporteurs.
Ce point est décisif à nos yeux et c'est une raison supplémentaire, s'il en était besoin, de compter sur notre entière coopération.
Il faudrait que je mentionne également les rapports sur les entreprises publiques. Nous vous en avons remis dix-huit cette année.
Je n'oublie pas non plus les référés, qui vous sont désormais communiqués trois mois après leur transmission aux ministres. Nous vous en avons adressé trente-trois en 2007.
À cet égard, vous avez bien voulu me faire part voilà quelques jours, monsieur le président de la commission des finances, des analyses effectuées par les rapporteurs spéciaux sur ces référés et ces rapports particuliers. Je m'en réjouis, comme je me réjouis de l'organisation de trois auditions de suivi sur les systèmes d'information du ministère des affaires étrangères, sur la réforme des ports autonomes et sur la mise en oeuvre des engagements pris par l'Établissement public pour l'aménagement de la Défense afin de clarifier ses comptes.
Comme vous le rappelez, c'est là une nouvelle forme de valorisation des travaux de la Cour dont je me félicite grandement. Soyez assurés que la Cour continuera à vous apporter tout le soutien nécessaire dans cette démarche.
Encouragée sans aucun doute par l'intérêt et la portée que vous donnez à nos travaux, la Cour a voulu, cette année encore, par le biais de son rapport annuel, vous faire part d'un certain nombre d'observations dans des domaines très divers.
Le rapport public annuel n'est certes plus qu'une publication parmi d'autres, mais il reste important. Il garde en effet une aura particulière pour l'opinion et pour les médias. Il constitue aussi pour nous l'occasion de faire valoir le travail de l'ensemble des chambres de la Cour et des chambres régionales des comptes. C'est l'occasion aussi de faire un bilan de notre activité.
Vous aurez pu constater que, pour la troisième année consécutive, le rapport comporte un deuxième volume consacré aux suites données à nos travaux.
Il faut en effet mettre un terme à une idée fausse qui voudrait que la Cour parle le plus souvent dans le vide. D'autant que cette année, avec trente-huit insertions de suivi, nous battons en quelque sorte un record.
Vous n'y êtes pas étrangers, je le répète. Bien des avancées sont à mettre à l'actif du travail de vos commissions et de leurs rapporteurs.
Permettez-moi de revenir sur les progrès les plus significatifs enregistrés cette année. Il s'agit notamment de la taxation des stock-options consacrée par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2008, de l'intégration progressive dans le budget de l'Élysée de l'ensemble des dépenses qui lui sont rattachables, de la plus grande autonomie conférée aux universités grâce à la loi du 10 août dernier, de la consécration législative d'un principe de continuité de la prise en charge pour les personnes sans domicile ou encore du redéploiement de certaines places d'hébergement d'urgence en un hébergement plus durable.
Il faut citer aussi le meilleur encadrement des remboursements par l'assurance maladie des frais de transport, la réforme de la protection juridique des majeurs par la loi de mars 2007, la simplification et la consolidation juridique du dispositif de crédit impôt recherche, la fusion du dispositif de soutien à l'emploi des jeunes en entreprise avec le contrat initiative emploi, acquise grâce à votre intervention, ce qui devrait, selon le rapporteur de votre commission des finances, entraîner une économie budgétaire substantielle.
Je pourrais mentionner également les progrès réalisés par nombre d'organismes, notamment la création par l'UNEDIC d'un fonds de réserve pour lisser les conséquences financières des aléas conjoncturels, l'amélioration de la gestion de l'action sociale à la Caisse des dépôts et consignations ou la poursuite de la réforme de la Banque de France, sujet bien connu de vous et sur lequel vous nous aviez demandé, en 2003, un rapport 58-2.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Absolument !
M. Philippe Séguin, Premier président de la Cour des comptes. Dans certains domaines, les résultats sont même quantifiés. C'est le cas pour nos observations concernant les comptes de l'État dans le cadre de la certification. Nous avons calculé que plus de 90 % de nos recommandations avaient été mises en oeuvre.
Certes, le bilan n'est pas toujours positif. Mais force est de constater que les choses bougent.
Vous trouverez également dans ce deuxième tome de nombreux sujets déjà traités par la commission des finances concernant par exemple l'Établissement public pour l'aménagement de la Défense - qui avait fait l'objet d'un référé de la Cour puis d'une audition -, le Fonds d'intervention pour les services, l'artisanat et le commerce, le FISAC, que nous avions contrôlé à votre demande en 2005, le service de l'équarrissage ou la gestion immobilière du ministère de l'équipement, qui fut également l'objet d'un « 58-2 ».
Monsieur le président de la commission des affaires sociales, si je parle moins de votre commission, c'est parce qu'elle dispose en quelque sorte de son rapport public annuel, avec le rapport sur la sécurité sociale que nous lui remettons en septembre. (M. le président de la commission des affaires sociales opine.)
Dans tous ces domaines, nous avons pu constater certains progrès mais nous encourageons les administrations à poursuivre leurs efforts.
Voilà pour ce qui est du travail de suivi.
J'en viens au premier tome du rapport. Il reprend plusieurs sujets dont certains ont, à très juste titre, intéressé votre commission des finances cette année.
Un de nos sujets communs de préoccupation concerne le service des pensions des fonctionnaires.
Vous avez rendu public, le 31 janvier dernier, votre rapport d'information sur la question, à la suite du rapport 58-2 que nous vous avions remis. Nous revenons également dans notre rapport public annuel sur ce sujet que nous avions déjà traité en 2003. Vous connaissez le diagnostic. La situation n'est plus acceptable et nous nous félicitons que vous proposiez des mesures pour relancer cette nécessaire réforme.
Le deuxième sujet, qui recoupe également vos préoccupations, est celui de la gestion immobilière de l'État.
L'enjeu n'est pas mince puisque le patrimoine de l'État est estimé à environ 50 milliards d'euros. La Cour dénonce depuis très longtemps les gaspillages, la faiblesse de la maîtrise d'ouvrage et la priorité trop souvent accordée, par facilité, aux opérations nouvelles sur les opérations d'entretien.
L'annonce, par le ministère des finances en février 2006, d'une réforme de la politique immobilière de l'État, incluant la création de l'agence « France-Domaine » héritière du service des domaines de ce même ministère, devrait conduire, nous l'espérons tous, à des changements significatifs.
Mais nous n'en sommes pas encore là.
Les cinq exemples cités par la Cour dans ce rapport annuel illustrent chacun un aspect différent des problèmes. L'un est malheureusement « classique » : il s'agit de la rénovation du grand ensemble de bureaux des ministères sociaux, place de Fontenoy. Faute d'engagement politique et financier clair, l'opération décidée en 1992 ne sera bouclée au mieux qu'en 2011 et les dépenses auront plus que doublé par rapport aux estimations initiales.
Deux autres cas illustrent certains risques du recours à des montages dits « innovants », sortes de partenariats public-privé, pour financer des localisations nouvelles. Pour le ministère de l'intérieur, c'est la relocalisation des directions de renseignement à Levallois-Perret et pour le ministère des affaires étrangères, la construction d'un immeuble pour les archives diplomatiques. Résultats de ces « innovations » qui ne visent en fait, le plus souvent, qu'à faire face à l'insuffisance de crédits immédiatement disponibles : des surcoûts très importants pour l'État, estimés à près 40 millions d'euros en valeur actuelle pour le seul ministère de l'intérieur, surcoûts liés au fait que l'on semble avoir oublié que l'État emprunte à un taux plus faible que les sociétés privées auxquelles il fait appel pour ce type de montage.
Vous retrouverez également dans le rapport des cas déjà bien connus de vous : la restructuration de l'immeuble des Bons-Enfants, resté sans occupant pendant plus de quinze ans pour cause de querelle entre le ministère des finances et celui de la culture, ou les conditions du relogement des affaires étrangères sur l'ancien site de l'Imprimerie nationale. Je sais que vous avez organisé une audition sur ce thème en octobre dernier.
De façon générale, l'État aura fait preuve dans toutes ces opérations d'une myopie coûteuse...
Le rapport contient de nombreux autres exemples illustrant la difficulté qu'éprouve l'État pour réformer sa gestion interne.
Il y a la question de la redevance audiovisuelle. La Cour s'est attachée à dresser le bilan de la réforme du service de la redevance. Nous montrons ainsi qu'il en est bien résulté une simplification pour l'usager et une diminution de la fraude ainsi que des économies assez significatives, mais qu'un plein parti n'a pas été tiré des gains de productivité réalisés.
Par ailleurs, la réforme n'a pas apporté de réponse à la question du financement de l'audiovisuel public. Le niveau de la redevance augmente en effet moins vite que les dépenses des sociétés audiovisuelles. Son montant est resté fixé à son niveau de 2002, soit 116 euros. C'est deux fois moins que chez nos voisins allemands ou britanniques. Il y a donc d'ores et déjà un problème financier qui fait peser un risque de report de charge sur le budget de l'État.
Le débat a resurgi voilà quelques semaines avec des hypothèses tout à fait nouvelles. Vous ne trouverez bien évidemment pas dans ce rapport l'avis de la Cour sur les propositions de M. le Président de la République ; nous sortirions de notre rôle. En revanche, vous y trouverez les termes financiers du débat.
Nous revenons également sur la situation de l'Imprimerie nationale et évaluons son plan de redressement.
Ce plan, au prix d'une réduction draconienne des effectifs, a permis d'écarter le risque de dépôt de bilan. Mais il a coûté cher à l'État et l'entreprise reste très dépendante de ses dernières activités de monopole. Elle doit encore faire un effort pour aligner sa productivité sur ses concurrentes.
La Cour aborde aussi dans ce rapport ce qu'elle qualifie, avec ce sens de la litote que nul ne songe à lui contester, de « curiosité administrative » : les conservations des hypothèques. Les conservateurs des hypothèques bénéficient d'un statut datant d'un édit de Louis xv, pris en 1771. Leurs rémunérations font partie des plus élevées du ministère des finances, sans lien avec leurs responsabilités véritables. Voilà de beaux postes de débouché, ce qui peut expliquer que le nombre de conservations et donc de conservateurs n'ait pas bougé alors que le nombre d'agents a beaucoup diminué.
À côté de cela, les usagers continuent à payer des tarifs élevés et le service rendu n'a pas bénéficié de tous les progrès rendus possibles grâce à l'informatisation.
J'ai évoqué des questions de gestion interne à l'État. La Cour s'est également intéressée à la manière dont l'État assume sa fonction d'actionnaire.
À cet égard, il convient tout d'abord de souligner les progrès engendrés par la création de l'Agence des participations de l'État. Elle a permis un plus grand professionnalisme des opérations en capital ainsi qu'une meilleure gouvernance des entreprises publiques.
Il reste que l'État actionnaire a des intérêts contradictoires, patrimoniaux et financiers d'un côté, stratégiques de l'autre.
Mme Nicole Bricq. Eh oui !
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Absolument !
M. Philippe Séguin, Premier président de la Cour des comptes. Il est de ce fait quelque peu schizophrène : doit-il privilégier l'un ou l'autre ? La situation financière, le déficit pour parler clair, le pousse parfois à vendre au détriment d'une vision de long terme de ses intérêts.
Pour schématiser, il est des cas où l'État vend mal et vend des participations pourtant stratégiques.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Eh oui !
M. Philippe Séguin, Premier président de la Cour des comptes. Du coup, il se retrouve de plus en plus souvent dans une position d'actionnaire minoritaire, qui affaiblit ses positions et sa maîtrise des décisions. La mauvaise gestion de l'affaire EADS est symptomatique de ces difficultés. (Mme Nicole Bricq s'exclame.)
Nous citons aussi à l'appui de notre analyse l'exemple de la privatisation des sociétés concessionnaires d'autoroutes qui n'a pas rapporté autant qu'elle aurait pu et qui a été conduite sans que les précautions nécessaires à la protection des usagers en matière de tarifs aient été prises.
La question des tarifs autoroutiers fait, du coup, l'objet d'un chapitre entier du rapport public. La Cour en a analysé précisément les mécanismes. Elle constate qu'aujourd'hui les prix pratiqués ne correspondent plus aux coûts des investissements et de l'exploitation des autoroutes et que bien souvent, trop souvent, l'usager paye plus qu'il ne devrait. Aucune remise en ordre n'a été effectuée ni lors de l'ouverture du capital ni lors de la privatisation des concessionnaires en 2006. Il faut revoir ce système et la Cour demande à l'administration qui homologue chaque année les tarifs de faire preuve de plus de rigueur.
Le rapport présente également un bilan des défaisances ayant concerné le Crédit lyonnais, bien entendu, mais aussi le Crédit foncier de France, le Comptoir des entrepreneurs ou le Groupe des assurances nationales, le GAN.
Ce sujet, la Cour l'avait déjà examiné en 2000 dans un rapport sur l'intervention de l'État dans la crise du secteur financier. Aujourd'hui, elle est en mesure de dresser un bilan que l'on peut considérer quasi définitif.
Financièrement, on s'y attendait, la facture pour l'État est lourde, très lourde : 20,7 milliards d'euros.
Surtout, le choix de « cantonner » les actifs compromis dans des structures spécifiques vouées à la disparition n'a pas permis d'en tirer le meilleur parti. Les montages complexes ont conduit à de fréquentes confusions de responsabilités, aggravées par le fait que l'État ne pouvait guère se désintéresser de ces sujets.
On peut légitimement se demander s'il ne conviendrait pas plutôt, en de semblables circonstances, de responsabiliser les sociétés concernées en leur laissant la gestion directe des actifs compromis et des contentieux.
Nous avons examiné les performances de l'État gestionnaire et celles de l'État actionnaire. Nous évaluons également dans ce rapport ses performances dans un certain nombre des politiques publiques qu'il mène.
Notre travail aborde cette année encore les questions d'enseignement supérieur et de recherche, thèmes sur lesquels la Cour a réalisé ces dernières années de nombreux contrôles.
Je vous renvoie notamment au chapitre consacré au Centre national de la recherche scientifique, le CNRS. L'établissement, en dépit d'une meilleure gestion, a souffert de l'instabilité de ses équipes dirigeantes et des hésitations portant sur son rôle. Il y a aujourd'hui trois solutions pour le CNRS : être un fédérateur de compétences, être un opérateur direct de recherche, ou être une agence de moyens au service d'une recherche conduite par les universités. Il faudra bien choisir et, en tout cas, trouver des équilibres durables avec l'université.
La Cour s'est également intéressée aux quatre universités des villes nouvelles de la région d'Île-de-France, créées au tout début des années quatre-vingt-dix. Elles apparaissent comme un succès, ne serait-ce que parce que leurs effectifs augmentent alors qu'ailleurs le nombre des étudiants a plutôt tendance à baisser. Ce succès semble avoir pris l'État au dépourvu, et les établissements concernés sont aujourd'hui victimes de leur croissance.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Tout à fait !
M. Philippe Séguin, Premier président de la Cour des comptes. La Cour a donc consigné un certain nombre de recommandations dans le rapport.
Nous abordons ensuite le domaine de l'emploi, avec deux sujets, et d'abord le fonds pour l'insertion des personnes handicapées dans la fonction publique, créé en 2005 sur le modèle du fonds géré pour le secteur privé par l'AGEFIPH, l'Association pour la gestion du fonds pour l'insertion professionnelle des handicapés.
Le parti pris d'aligner le dispositif des fonctions publiques sur celui du privé était difficile à tenir, je crois pouvoir en parler en connaissance de cause : si les objectifs peuvent légitimement être transposés, les moyens pour y parvenir doivent nécessairement différer, au moins partiellement.
Du coup, la greffe n'a pas pris : le fonds dispose de ressources financières élevées qu'il ne parvient pas à utiliser, cependant que le taux d'emploi des personnes handicapées dans la fonction publique reste très en deçà de l'objectif. (M. le président de la commission des finances opine.)
La raison principale du retard constaté et de la difficulté à dépenser les ressources disponibles réside dans les modes de recrutement dans la fonction publique, qui, par définition, divergent de ceux du secteur privé et privilégient les concours, et, surtout, exigent hors concours l'équivalence des diplômes pour tout candidat à un emploi donné. C'est donc en amont du processus de recrutement qu'il faudrait agir, notamment en améliorant la formation des personnes handicapées, quitte à élargir le champ d'intervention du fonds. En bref, il faudrait imaginer pour la fonction publique un dispositif qui lui soit plus spécifique.
Le second sujet concernant l'emploi est la fusion de l'ANPE et de l'UNEDIC. Nous en préconisons le rapprochement depuis plusieurs années. Nous dénoncions, notamment en 2006, un système qui impose au demandeur d'emploi des allers-retours entre l'ASSEDIC, qui l'inscrit sur les listes et l'indemnise, et l'ANPE, qui l'aide dans sa recherche d'emploi. Dans la perspective de la fusion annoncée, nous sommes revenus examiner cette question en 2007. Nous avons constaté certains progrès, notamment la création de quelques guichets uniques. Cependant, il faut bien le reconnaître, l'amélioration reste très limitée.
Nous avons également examiné les conditions du recours à des opérateurs privés de placement pour les demandeurs les plus éloignés de l'emploi. Cette sous-traitance a coûté cher sans que son efficacité soit prouvée. Une méthode d'évaluation plus rigoureuse a été mise en place ; il faudra être vigilant sur ses résultats.
On trouvera également, plus loin dans le rapport, les résultats d'un contrôle que la Cour a effectué sur la gestion des ressources humaines à l'ANPE. L'enjeu est de taille : l'ANPE est le plus gros opérateur de l'État, et 30 000 agents sont concernés. Il faut savoir que les dépenses de personnel de l'ANPE, qui dépassent désormais 1 milliard d'euros, ont crû de plus des deux tiers entre 1999 et 2006, plus vite que les effectifs, notamment grâce à une politique de primes et d'indemnités très favorable. La fusion avec l'UNEDIC devrait être l'occasion d'une remise en ordre.
La Cour aborde également deux sujets de moindre importance financière, mais illustrant, chacun à sa manière, des aspects particuliers de politiques publiques importantes.
Les relations entre la métropole et les départements et territoires d'outre-mer, d'abord, au titre de la continuité territoriale. L'État a mis en place un dispositif financier d'aide aux déplacements entre ces territoires et la métropole. Mais, contrairement à ce qui était prévu, l'État finance seul ce dispositif, alors que les collectivités concernées en déterminent les critères d'attribution. Ainsi, outre des abus ou des effets d'aubaine, on constate que les objectifs n'ont pas été atteints. La Cour pense qu'il faut revoir ce dispositif.
S'agissant maintenant de la politique d'aide au développement agricole - le sujet est d'actualité ! -, les conclusions de la Cour sont sévères. Il convient selon nous de redéfinir et de recentrer rapidement les dispositifs concernés.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, j'en arrive au terme de cette présentation. Je n'aurai évidemment pas passé en revue toutes les insertions, il s'en faut de beaucoup. Nous avons préparé à votre intention des synthèses sur chacune d'entre elles.
Je ne saurais oublier, avant d'en terminer, de mentionner que, comme chaque année, le rapport annuel de la Cour est accompagné du rapport annuel de la Cour de discipline budgétaire et financière, la CDBF, sous forme d'un fascicule distinct.
À ce sujet, je dois signaler, puisque j'évoquais tout à l'heure les défaisances, que le Conseil d'État vient de confirmer l'arrêt rendu par la CDBF dans le dossier d'Altus Finance, filiale du Crédit lyonnais, condamnant deux dirigeants à des amendes très significatives. Cette décision conforte la jurisprudence de la CDBF sur la faute grave de gestion, confirmation qui sera utile demain pour offrir un fondement au régime rénové de responsabilité des gestionnaires que le Président de la République a appelé de ses voeux.
Tels sont, monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, les éléments que je souhaitais mettre en exergue. J'espère qu'ils vous apporteront des éléments d'information et des analyses utiles à vos débats et à votre travail de contrôle et d'évaluation. C'est en tout cas dans cet esprit que nous avons travaillé et que nous continuerons de travailler pour vous. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE - M. Jean-Claude Frécon applaudit également.)
(M. Adrien Gouteyron remplace M. Christian Poncelet au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. Adrien Gouteyron
vice-président
M. le président. Monsieur le Premier président, le Sénat vous donne acte du dépôt du rapport de la Cour des comptes et vous remercie de la présentation très claire que vous venez d'en faire.
La parole est à M. le président de la commission des finances.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Monsieur le président, monsieur le Premier président, mes chers collègues, la remise du rapport public annuel de la Cour des comptes est un rendez-vous important et toujours attendu, le président du Sénat le rappelait il y a un instant.
Nous puisons en effet dans sa lecture et dans l'analyse de vos observations des éléments de réflexion sur l'appréciation des politiques publiques et de la qualité de la gestion des deniers publics.
Nous avons bien entendu, monsieur le Premier président, vos réserves sur les financements innovants, « potion magique » utilisée pour régler des arbitrages budgétaires un peu difficiles, et vos propos sur la redevance audiovisuelle.
Vous avez également évoqué la pratique de l'État actionnaire. Celui-ci s'est doté d'une Agence des participations de l'État qui, si elle se caractérise en effet par une réelle professionnalisation, dispose encore de marges de progression. Peut-être faudrait-il que le Gouvernement indique plus clairement quelle est sa stratégie, quels sont ses objectifs, et qu'il interfère moins dans la conduite des affaires de ces entreprises placées sous la responsabilité de l'Agence des participations de l'État ! Peut-être faudrait-il aussi que l'État actionnaire ne soit pas un État figurant, non plus qu'un actionnaire figurant, comme il a eu tendance à l'être dans l'affaire EADS.
Il y a certainement des enseignements à tirer, également, de vos observations sur la liquidation des structures de défaisance dans la malheureuse affaire du Crédit lyonnais.
Le rapport public annuel est pour chacun d'entre nous une mine d'éléments de réflexion, monsieur le Premier président. Toutefois, particulièrement depuis l'entrée en vigueur de la loi organique relative aux lois de finances, la LOLF, il ne constitue que l'un des instruments privilégiés des relations entre le Sénat et la Cour des comptes.
Le développement de l'activité de contrôle et les nouvelles règles budgétaires et comptables issues de la LOLF ont en effet considérablement amplifié et diversifié nos échanges.
Ceux-ci s'appuient notamment, désormais - vous l'avez rappelé, monsieur le Premier président -, sur la procédure maintenant bien rodée des enquêtes prévues au 2° de l'article 58 de la LOLF. En 2007, cinq enquêtes - vous les avez rappelées - vous ont été demandées dans ce cadre.
L'une d'entre elles, portant sur l'évolution des retraites militaires depuis la professionnalisation, fera prochainement l'objet d'une audition ouverte à nos collègues et à la presse.
Toutes les autres enquêtes que vous avez citées ont déjà donné lieu à des auditions pour suite à donner qui se sont tenues en présence des membres des commissions concernées et ont débouché sur des rapports d'information.
Nous veillons aussi à ce que ces enquêtes, comme tous nos autres contrôles budgétaires, aient des suites et ne se résument pas à des coups de projecteur sans lendemain, à une sorte de bonne conscience que se donneraient le Parlement et, quelquefois, les pouvoirs publics.
C'est pourquoi, comme l'année passée, nous avons prolongé les enquêtes de 2006 en mettant en oeuvre une procédure de « suivi des contrôles ». Deux enquêtes demandées à la Cour des comptes en 2006 en ont fait l'objet : celle qui portait sur « CulturesFrance » - vous vous en souvenez certainement, monsieur le président ! -, et celle qui concernait les « commissions et instances consultatives placées directement auprès du Premier ministre ».
Pour l'année 2008, notre commission vous a saisi de cinq enquêtes issues des demandes des rapporteurs spéciaux compétents et portant sur les sujets suivants : les engagements du Centre national d'études spatiales dans les programmes de l'Agence spatiale européenne ; la gestion et la comptabilisation des créances d'aide publique au développement par la Compagnie française d'assurance pour le commerce extérieur, la COFACE ; les refus d'apurement communautaire dans le domaine agricole ; les questions budgétaires liées à l'école maternelle ; les caisses autonomes de règlement pécuniaire des avocats, les CARPA.
Le second « pilier » de notre collaboration repose sur la faculté, ouverte par le 1° de l'article 58 de la LOLF, de demander l'assistance, en l'occurrence, sous la forme du concours, pour une durée limitée, d'un magistrat de la Cour. Je sais, monsieur le Premier président, que c'est pour vous un véritable déchirement tant les moyens humains dont vous disposez vous sont comptés !
Nous avons pris l'initiative de recourir à cette formule sur deux sujets, pour lesquels les conclusions des rapporteurs spéciaux sont attendues pour cette année : les ressources financières des chambres des métiers et de l'artisanat, d'une part, et le « fonctionnement des administrations chargées de la gestion de l'immigration économique », d'autre part.
L'année dernière, à l'occasion de la remise du rapport public annuel, je signalais, parmi les pistes les plus prometteuses d'approfondissement des relations entre la Cour des comptes et le Parlement, l'exploitation plus systématique des référés et des rapports particuliers transmis par la Cour au Sénat. Cette nouvelle procédure de contrôle a effectivement satisfait nos attentes respectives, je le crois.
Dans ce cadre, deux contrôles de suivi ont été réalisés au cours de l'année 2007 et un troisième hier, portant respectivement sur la gestion de l'Établissement public pour l'aménagement de la Défense l'EPAD, sorte de zone de non-droit ; sur l'interopérabilité des systèmes d'information dans le domaine de la santé ; et sur les systèmes d'information au Quai d'Orsay.
Pour chacun d'entre eux, une audition s'est déroulée, mettant en présence les sénateurs intéressés - qu'ils soient membres de la commission des finances ou de l'une des cinq autres commissions permanentes -, les magistrats de la Cour et les administrations concernées, et a été suivie de la publication d'un rapport d'information.
Vous avez d'ailleurs, monsieur le Premier président, salué cette nouvelle forme de collaboration devant le comité de réforme des institutions qu'a présidé M. Édouard Balladur.
Le suivi des référés et des rapports particuliers que nous avons mis en place a rencontré un franc succès et un large écho dans les médias. Il aura aussi, je l'espère, un effet bénéfique sur le rythme de la mise en oeuvre, par l'administration, des recommandations que vous formulez.
À cet égard, nous devons - vous et nous - nous attacher à faciliter la publication de ces rapports et à susciter l'intérêt de nos concitoyens.
Il y a encore dans notre pays, dans notre culture, une distance par rapport aux travaux de contrôle. Nous devons veiller à tout mettre en oeuvre pour populariser ces derniers et pour permettre à tous ceux qui s'y livrent, les magistrats de la Cour, mais aussi les parlementaires qui mettent en application la seconde nature du Parlement et tout spécialement du Sénat, d'avoir la reconnaissance qu'ils méritent. Ce serait, me semble-t-il, une gratification pour celles et ceux qui s'y investissent.
Donc ayons le souci, vous et nous, monsieur le Premier président, de populariser nos travaux de contrôle et c'est alors que la pression s'exercera sur l'exécutif comme sur les administrations pour corriger les dysfonctionnements et les manquements à la règle que nous pouvons relever.
Nous veillerons à appliquer les mêmes méthodes de suivi aux engagements pris dans ce cadre. Ainsi, dès la fin du premier trimestre en cours, nous procéderons à une nouvelle audition des responsables de l'Établissement public pour l'aménagement de la Défense et de ses tutelles. Nous verrons quels sont les progrès accomplis et peut-être apprendrons-nous que les comptes sont certifiables.
Enfin, je ne peux négliger l'autre volet de nos relations institutionnelles qui prend des formes sans doute moins officielles, c'est-à-dire le travail sur le contrôle de la gestion budgétaire de l'exercice. La préparation, par les rapporteurs spéciaux, de l'examen du projet de loi de règlement du budget de 2007, qui doit devenir le moment de vérité budgétaire sera, je n'en doute pas, une nouvelle occasion d'approfondir les échanges qui sont étroits et réguliers avec les différentes chambres de la Cour des comptes. (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE. - M. Jean-Claude Frécon applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires sociales.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, monsieur le Premier président, mes chers collègues, je voudrais à mon tour profiter de l'occasion du dépôt du rapport annuel de la Cour des comptes pour saluer l'importance, la qualité et l'utilité des travaux réalisés par cette institution, désormais bicentenaire, et, bien sûr, pour remercier son Premier président.
La synthèse des travaux que vous venez de nous présenter, monsieur le Premier président, est, je l'avoue, impressionnante. Elle confirme le rôle éminent de la Cour déployé dans tous les domaines de l'action publique, au service d'une meilleure gestion des deniers publics.
Nous examinerons le contenu de ce nouveau rapport avec attention. Je perçois déjà que nos observations vont sans doute se rejoindre sur un sujet qui nous tient à coeur, à la commission des affaires sociales, celui des conditions parfaitement insatisfaisantes de la mise en place - vous l'avez dit tout à l'heure - du fonds pour l'insertion des personnes handicapées dans la fonction publique.
L'objectif que vous poursuivez est également le nôtre et je me félicite de la très grande qualité des liens que la commission des affaires sociales a pu nouer avec vous-même, monsieur le Premier président, mais également avec les magistrats et les chambres de la Cour qui suivent les sujets relevant de notre compétence. Je voudrais donc vous remercier personnellement, monsieur le Premier président, de votre disponibilité et de votre écoute, ainsi que l'ensemble des personnels de la Cour. Les relations étroites et très fructueuses que nous avons établies avec vous sont la preuve que la Cour remplit pleinement son rôle d'assistance pour nos travaux de contrôle parlementaire.
Des rendez-vous réguliers, que vous évoquiez, permettent d'entretenir ces relations, en particulier la publication, au mois de septembre, du rapport de la Cour sur l'application de la loi de financement de la sécurité sociale.
Cette année encore, il proposait un éclairage fouillé sur nombre de sujets d'importance. Je n'en citerai qu'un, celui des niches sociales, sur lequel notre commission, qui avait déjà réfléchi à ce sujet, s'est largement appuyée non seulement pour entériner la taxation des stock-options, mais également pour engager un débat plus large sur l'ensemble des exemptions d'assiette en matière de contributions sociales.
Cela nous a d'ailleurs conduit, Alain Vasselle et moi-même, à déposer une proposition de loi organique, que le Sénat a bien voulu adopter il y a deux semaines, rendant obligatoire la confirmation en loi de financement de la sécurité sociale de toute exonération de charge sociale qui pourrait être adoptée en cours d'exercice.
Un deuxième rendez-vous régulier est désormais institué, celui du mois de juin, avec la publication du rapport sur la certification des comptes de la sécurité sociale.
Le premier rapport de certification est intervenu, en application de la loi organique. Il s'est avéré d'emblée extrêmement constructif et porteur de réelles possibilités de progrès pour la gestion des organismes concernés.
Notre commission s'est d'ailleurs emparée de cette question en exerçant un contrôle attentif et régulier sur les moyens mis en oeuvre par les caisses pour répondre aux observations de la Cour, je pense en particulier à la Caisse nationale des allocations familiales, la CNAF.
D'autres occasions de rencontres sont créées par la remise des travaux que nous vous commandons. Cette année, l'enquête de la Cour sur la protection sociale agricole, que vous citiez tout à l'heure, a grandement contribué à étayer notre propre réflexion sur le sujet. Nous espérons que nos efforts respectifs contribueront à ce qu'une solution soit enfin trouvée pour le Fonds de financement des prestations sociales des non-salariés agricoles, le FFIPSA.
Nous sommes certains que la prochaine demande d'enquête adressée à la Cour sur le partage entre les assurances obligatoires et les assurances complémentaires sera, elle aussi, très riche d'enseignements.
Enfin, monsieur le Premier président, comme vous nous l'aviez d'ailleurs suggéré à l'occasion d'une discussion récente, je voudrais vous faire part du vote, sur l'initiative de notre commission, de la modification de l'article L. 135-5 du code des juridictions financières. Désormais, les référés de la Cour des comptes entrant dans le champ de compétence des commissions des affaires sociales leur seront obligatoirement transmis. Nous pourrons donc exercer un contrôle étroit sur des sujets sur lesquels nous travaillons de façon régulière et sur lesquels, grâce à vous, nous pourrons réagir, nous l'espérons, avec profit.
Je formule le voeu que 2008 soit tout aussi fructueuse pour la Cour des comptes que cette année passée et que nous puissions continuer à développer nos travaux communs pour le meilleur profit de nos concitoyens. (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Huissiers, veuillez reconduire M. le Premier président de la Cour des comptes.
(M. le Premier président de la Cour des comptes est reconduit selon le même cérémonial qu'à son entrée dans l'hémicycle. - Applaudissements.)
M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures cinq, est reprise à vingt et une heures trente.)
M. le président. La séance est reprise.
5
Droits de l'homme
Discussion d'une question orale avec débat
M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion de la question orale avec débat n° 13 rectifiée de M. Georges Othily, président du groupe d'études des droits de l'homme, à Mme la secrétaire d'État chargée des affaires étrangères et des droits de l'homme sur la politique de la France pour promouvoir le respect des traités internationaux concernant les droits de l'homme.
Cette question est ainsi libellée :
« M. Georges Othily attire l'attention de Mme la secrétaire d'État chargée des affaires étrangères et des droits de l'homme sur la situation préoccupante des droits de l'homme dans certains pays. Malgré leur engagement répété mais formel en faveur de la Déclaration universelle des droits de l'homme, de nombreux pays continuent de bafouer, de façon ouverte ou camouflée, ces droits fondamentaux.
De trop nombreux êtres humains sont toujours persécutés ou victimes de discrimination pour des raisons ethniques, religieuses ou politiques.
Il lui demande comment le gouvernement français compte agir pour promouvoir le respect effectif de ces droits fondamentaux. »
La parole est à M. Georges Othily, président du groupe d'études des droits de l'homme et auteur de la question.
M. Georges Othily, président du groupe d'études des droits de l'homme et auteur de la question. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, permettez-moi tout d'abord de rendre un nouvel hommage à notre très regretté collègue Jacques Pelletier, qui, tout au long de sa vie politique, a mené un combat constant pour la promotion des droits de l'homme en France et dans le monde.
C'est d'ailleurs lui qui, en sa qualité de président de l'intergroupe de défense des droits de l'homme du Sénat, avait souhaité, il y a quelques mois, que notre assemblée débatte de la situation des droits de l'homme dans le monde d'aujourd'hui.
Si j'ai très volontiers repris cette idée, c'est que je suis persuadé que le débat, la communication et la publicité sont les meilleurs vecteurs pour faire progresser nos idéaux. Le silence est le meilleur allié de l'oppresseur ou du tyran.
Si l'on tente de dresser un panorama, on peut, dans un premier temps, constater avec satisfaction, comme l'a affirmé notre collègue Robert Badinter, que « les droits de l'homme, c'est une création continue ».
En effet, après les droits civils et politiques proclamés en 1789, les droits économiques et sociaux ont été aussi reconnus après la Seconde Guerre mondiale et, depuis le 10 décembre 1948, date de la Déclaration universelle des droits de l'homme, des avancées importantes ont été réalisées.
Laissez-moi en citer quelques-unes : le développement des garanties juridiques, la codification des droits de la personne, la déclaration sur les droits des femmes et des enfants, l'abolition du régime de l'apartheid, la chute du mur de Berlin, la fin de la guerre froide, la restauration de la démocratie en Europe de l'Est, l'effondrement des régimes totalitaires en Amérique du Sud, la création de la Cour pénale internationale et la multiplication des institutions nationales des droits de l'homme dans de nombreux pays, sont des événements tout à fait positifs.
L'espoir et les idéaux des rédacteurs de la Déclaration universelle des droits de l'homme sont devenus des réalités juridiques. Le moment est venu de traduire ces réalités juridiques en réalité quotidienne pour tous les individus à travers le monde.
Comme le disait Stéphane Hessel lors du cinquantième anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l'homme, « il reste aux siècles prochains à transformer le langage visionnaire en réalité dont tous les peuples auront le bénéfice collectif. Magnifique programme ! »
Bien entendu, on ne peut pas se contenter de cette description optimiste. On doit aussi, malheureusement, faire une longue liste des atteintes récurrentes et actuelles aux droits de l'homme. Je n'en citerai que quelques-unes : la traite des êtres humains, des enfants soldats, la pauvreté qui frappe deux milliards d'hommes, les populations déplacées. Le Darfour, la Tchétchénie, le Tchad, l'Ouzbékistan, la Birmanie, le Kenya, Haïti...
Mme Nathalie Goulet. La Palestine !
M. Georges Othily, président du groupe d'études des droits de l'homme et auteur de la question. ... sont aussi des pays très durement touchés à l'heure actuelle.
Même si cela serait nécessaire, il n'est pas possible de dénoncer ici toutes les violations des droits de l'homme que nous connaissons grâce à l'action de toutes les associations qui se battent pour faire respecter ces droits fondamentaux et dénoncer les abus.
Je tiens, du haut de cette tribune, à rendre un hommage solennel à ces militants qui, grâce à leur courage exemplaire et souvent au péril de leur vie, réussissent à maintenir une flamme d'espoir dans des circonstances dramatiques. Nous devons écouter leurs témoignages et soutenir leurs actions.
En tant que responsables politiques et défenseurs des droits de l'homme, nous devons aussi réfléchir à de nouvelles problématiques. Après l'émergence des droits « contre l'État », les droits civils et politiques, puis des droits « grâce à l'État », les droits économiques et sociaux, apparaissent maintenant des droits mal définis, comme le droit au développement durable ou le droit à un environnement sain.
Si ces vues et ces revendications sont parfaitement légitimes, les présenter comme des droits soulève toute une série de questions liées tant à l'imprécision de leur objet qu'à l'indétermination de leurs titulaires, ainsi que de ceux sur qui pèse l'obligation de les protéger.
Comment, madame la secrétaire d'État, comptez-vous résoudre ces contradictions et mettre en oeuvre ces nouveaux droits ?
Nous devons aussi réfléchir à la protection des droits de l'homme, qui sont affaiblis par des impératifs sécuritaires et par le développement de nouvelles technologies.
Les nouvelles technologies de la communication et les progrès en matière biologique ou génétique permettent un contrôle social qui peut aller à l'encontre des libertés individuelles. La vidéosurveillance, le traitement informatique, les tests ADN peuvent être une menace importante pour nos libertés.
Nous savons que les droits de l'homme sont individuels et universels, mais, aujourd'hui, cette universalité est remise en cause par l'apparition de l'intégrisme religieux. Le fondamentalisme, qu'il soit chrétien, juif, musulman ou hindouiste, est aujourd'hui un adversaire redoutable des droits de l'homme.
La liberté individuelle peut-elle se concilier avec des religions comme l'hindouisme, qui définit l'individu par son appartenance à une caste ? De même, une certaine conception fondamentaliste de la charia est souvent en contradiction totale avec les droits de l'homme. On peut prendre comme exemple la place faite aux femmes dans l'ordre juridique et politique.
Nous avons encore de longs combats à mener pour que, comme l'a indiqué M. Boutros Boutros-Ghali, « les droits de l'homme soient le langage commun de l'humanité ».
Pouvez-vous nous indiquer, madame la secrétaire d'État, les moyens que le gouvernement français compte mettre en oeuvre pour que, progressivement, l'universalité, l'indivisibilité et l'effectivité des droits de l'homme soient reconnues dans tous les pays ?
De la même façon, selon quels critères le Gouvernement compte-t-il trouver un équilibre entre une vision à long terme des rapports internationaux privilégiant le respect des principes et valeurs universelles comme les droits de l'homme, et une vision à court terme fondée sur les nécessités économiques et le principe discutable de la non-ingérence dans les affaires intérieures d'un pays ?
Pour terminer, et avant de laisser la parole à mes collègues du groupe d'études des droits de l'homme, que j'ai l'honneur de présider, et qui rassemble des sénateurs appartenant à tous les groupes politiques, j'aimerais, madame la secrétaire d'État, vous poser trois questions précises.
J'ai été récemment saisi du drame que vivent les réfugiés tchétchènes, qui fuient leur pays dévasté et dont un grand nombre trouvent refuge en Europe, plus particulièrement en Pologne. Il semblerait urgent que l'Union européenne, notamment la France, aide ce pays, qui est débordé par l'accueil de ces populations ayant tout perdu et dont l'état sanitaire est très mauvais.
Par ailleurs, je suis très préoccupé par le sort des Haïtiens, qui travaillent dans des conditions très dures en République Dominicaine, en particulier dans les champs de canne à sucre.
Cette situation, déjà dramatique, risque de s'aggraver encore avec la mécanisation de l'économie sucrière. Que vont devenir ces Haïtiens émigrés s'ils sont totalement privés de travail ? Le risque de déstabilisation de la République de Saint-Domingue et de la République d'Haïti est très important et la communauté internationale doit se mobiliser.
Madame la secrétaire d'État, que compte faire le gouvernement français pour éviter des troubles graves dans la région Caraïbe, et singulièrement en Guadeloupe, en Martinique, et en Guyane ?
Enfin, pouvez-vous nous indiquer comment la France, qui présidera l'Union européenne, compte célébrer le soixantième anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l'homme ? Selon moi, cela devrait être non pas simplement une manifestation commémorative, mais une occasion pour la France et, plus largement, l'Europe, de prendre des engagements nouveaux.
Madame la secrétaire d'État, soyez assurée que le Sénat sera toujours à vos côtés pour aider le Gouvernement à faire triompher les droits de l'homme, que ce soit dans le monde ou en France.
La lutte sera difficile et longue, mais n'oublions pas ce que disait Théodore Monod : « L'utopie n'est pas ce qui est irréalisable, mais ce qui n'est pas encore réalisé ». (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'UC-UDF, ainsi que sur celles du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Robert del Picchia
M. Robert del Picchia, en remplacement de M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, le 16 mai dernier, lors de son discours d'investiture, le Président de la République avait indiqué qu'il ferait de la défense des droits de l'homme l'une des deux priorités de l'action diplomatique de la France dans le monde.
Dix ans auparavant, le Premier ministre britannique, M. Tony Blair, avait, lui aussi, opté pour une politique étrangère conforme à l'éthique, axée sur les grands principes du respect du droit international, des droits de l'homme, de la démocratie et sur la promotion des valeurs universelles.
Les valeurs, la morale et les droits de l'homme n'ont jamais été absents de la légitimation des politiques étrangères ; elles ont même fait souvent l'objet d'une instrumentalisation qui relève de ce que Stanley Hoffman appelait une « morale pour les monstres froids ».
Les politiques coloniales n'étaient-elles pas justifiées par le rôle colonisateur de l'homme blanc, qui devait amener les populations autochtones à la civilisation et au progrès ?
Après la Grande Guerre, ce fut le wilsonisme et le rêve fracassé de la Société des nations.
Après 1945, on a vu, en réaction au mal absolu que fut le nazisme et sa négation de l'homme, l'instauration progressive d'une justice internationale et la condamnation des crimes de génocide, des crimes contre l'humanité et des crimes de guerre.
Avec le mur de Berlin, les analyses de la realpolitik ont connu une brève éclipse pendant laquelle un nouvel ordre mondial s'instaurait et où libéralisme politique et libéralisme économique allaient de pair, développant automatiquement les droits de l'homme et la démocratie. Parallèlement, le droit d'ingérence se transformait à l'ONU en obligation de protéger.
Mes chers collègues, les attentats du 11 septembre 2001 ont constitué une rupture dans ce nouvel idéalisme international. On a pu constater un double mouvement : le premier, justifié par la lutte contre l'hyper-terrorisme, a développé une morale sécuritaire visant à protéger le droit de vie des citoyens et prévalant sur d'autres morales, ce qui a malheureusement abouti aux dérives inacceptables de Guantanamo et d'Abou Ghraïb ; le second a, au contraire, conforté les analyses selon lesquelles la lutte contre la pauvreté, l'instauration de l'état de droit et le développement contribuaient directement à la sécurité globale du monde, justifiant ainsi un altruisme rationnel. Ce n'est jamais qu'une redécouverte des principes énoncés dès 1795 par Kant, selon lesquels les démocraties ne se font pas la guerre entre elles.
Cette courte analyse montre à quel point la dialectique entre les valeurs et les intérêts a toujours été présente en politique étrangère. L'utilisation d'arguments moraux ne constituant qu'une ruse pour la puissance, ou même, selon certains, pour l'impuissance est une grande constante
Il s'agit pourtant non pas de revenir à une vision cynique de la politique internationale, mais d'admettre ce que souligne Hubert Védrine dans son rapport au Président de la République sur la France et la mondialisation : « Ce n'est pas manquer d'humanité que d'estimer qu'une politique étrangère réaliste doit d'abord se préoccuper d'assurer à moyen et long terme notre sécurité géopolitique, stratégique, économique, écologique. »
Le fait d'inscrire comme l'une des priorités de la diplomatie française la défense des droits de l'homme s'inscrit-il en faux dans l'évolution récente ? Faut-il reprendre les termes du secrétaire général de Reporters sans frontières, lequel affirme « qu'imaginer que les droits de l'homme puissent constituer une politique est tout simplement absurde » ? Personnellement, je ne le crois pas. La défense des droits de l'homme doit être une préoccupation constante, même s'il paraît évident qu'elle ne peut pas être le seul axe de notre diplomatie ni le critère absolu de nos relations internationales.
La première obligation est bien évidemment de s'assurer pour soi-même et de promouvoir auprès des autres pays l'adhésion et la mise en oeuvre de l'ensemble de l'appareil juridique en matière de droits de l'homme et de droit humanitaire développé notamment à l'ONU et au Conseil de l'Europe. Vous nous direz, madame la secrétaire d'État, comment la France s'y emploie.
C'est finalement une réflexion sur la démocratie vue comme un processus modulé qui peut donner les clés d'une application diplomatique de la défense des droits de l'homme. Comme le montre le premier des critères de Copenhague, qui exige des candidats à l'Union la mise en place d'« institutions stables garantissant l'État de droit, la démocratie, les droits de l'homme, le respect des minorités et leur protection », le respect des droits de l'homme est un absolu en Europe. Il constitue du reste un déterminant fondamental de la PESC, la politique étrangère et de sécurité commune, non seulement dans sa dimension « élargissement », mais également dans les relations de l'Union européenne avec le reste du monde.
L'une des illustrations les plus récentes n'est-elle pas la négociation de l'accord d'association avec la Serbie ? Une telle exigence s'applique également à ce même niveau avec nos principaux partenaires de la famille des démocraties, en particulier les États-Unis.
Au-delà de ce premier cercle, nous devons manifester une fermeté « amicale » à l'égard de l'ensemble de nos partenaires extérieurs, que ce soit au niveau bilatéral ou multilatéral, au sein de la PESC ou à l'ONU. Mais faisons-le, mes chers collègues, sans arrogance. Hubert Védrine le soulignait dans son rapport : « Aussi sincères que nous le soyons en le disant, faut-il sans arrêt rappeler que la France est la "patrie des droits de l'homme" ? D'abord, historiquement, la Grande-Bretagne - l'Angleterre, plutôt - et les États-Unis pourraient le revendiquer tout autant. Ensuite à quoi sert de répéter cette formule - même si ponctuellement elle peut être vraie, ou émouvoir - et créer des attentes puisque nous ne disposons pas d'une formule magique qui nous permettrait d'obtenir que les droits de l'homme soient respectés en Chine, en Russie, dans le monde arabe, en Afrique, etc., et que nous ne cesserons pas d'acheter du gaz aux Russes, du pétrole aux Saoudiens et de vendre nos technologies aux Chinois ? Davantage de modestie serait plus conforme à la réalité et n'affaiblirait en rien, par ailleurs, nos efforts concrets pour les droits de l'homme. »
Madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, je vois néanmoins deux obstacles à la mise en oeuvre de ces principes.
Le premier tient aux critiques selon lesquelles la France, comme d'autres pays démocratiques, d'ailleurs, aurait une politique de « deux poids, deux mesures », selon qu'il s'agit de petits pays, d'alliés politiques ou militaires, ou encore de grands pays qui sont des partenaires commerciaux majeurs comme la Russie ou la Chine.
Le second obstacle vient de ces mêmes puissances émergentes ou de certains pays islamiques qui contestent l'application des principes de la démocratie et de la défense des droits de l'homme et qui prétendent que ces principes sont adaptés à la civilisation occidentale, mais non transposables dans d'autres civilisations. Ces principes et les conditionnalités qui accompagnent un certain nombre de politiques, notamment économiques, sont également dénoncés comme un instrument de domination des puissances occidentales. On observe les effets d'une offre sans conditions que propose la Chine au continent africain.
L'orientation prioritaire définie par le Président de la République pose des questions de méthode, d'organisation, notamment au niveau de l'administration du ministère des affaires étrangères et des directives données à nos postes diplomatiques, lesquels doivent disposer d'instructions claires.
Je souhaiterais, madame la secrétaire d'État, que vous puissiez nous éclairer sur l'état de vos réflexions en la matière.
À ma connaissance, la seule formalisation en ce domaine concerne la stratégie sur la gouvernance, qui promeut l'intégration des droits de l'homme dans tous les programmes de la politique de coopération française. Cette circulaire du ministère donne effectivement un certain nombre d'indications aux postes diplomatiques, mais celles-ci sont limitées au secteur et à la politique de coopération. C'est un point particulièrement important puisque nos diplomates sont non pas des exégètes, mais les « appliquants » d'une politique définie par le pouvoir exécutif.
Par ailleurs, que signifie concrètement le souhait qui a été exprimé de voir nos ambassades devenir des « maisons des droits de l'homme » et d'être un point de référence pour ceux qui les défendent ?
Sans plus entrer dans le détail, mes chers collègues, on voit bien qu'une politique étrangère faisant des droits de l'homme une priorité ne peut tolérer l'improvisation et qu'elle doit au contraire être rigoureuse et parfaitement pensée.
Madame la secrétaire d'État, Serge Vinçon, le prédécesseur de Josselin de Rohan à la présidence de la commission des affaires étrangères, avait souhaité avec ce dernier que la commission des affaires étrangères suive étroitement, en son sein, ces questions et cette problématique. C'est la raison pour laquelle nous vous avions auditionnée dès le 15 octobre dernier.
L'un des rôles importants de la commission des affaires étrangères est de veiller à ce que les projets de loi autorisant la ratification des traités et conventions portant sur ces matières soient examinés dans les délais les plus brefs, afin que les instruments prévus puissent être mis en oeuvre.
Nous avons également profité de l'adoption de deux projets de loi portant ratification de conventions sur les droits de l'homme pour organiser un débat sur cette question au Sénat. En outre, nous ne manquons pas de l'évoquer systématiquement lors de déplacements à l'étranger ou à l'occasion des contacts que nous pouvons avoir en France avec nos homologues d'autres parlements.
Enfin, l'un des groupes de travail de notre commission se penche plus particulièrement sur cette question. Nous avons d'ailleurs prévu de nous rendre très bientôt à Genève, les 25 et 26 février prochains, pour rencontrer les principaux acteurs onusiens des droits de l'homme et, en particulier, les membres du Conseil des droits de l'homme.
Pour conclure, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, je crois que nous devons également prendre en compte les préoccupations légitimes de nos sociétés. La transparence qu'impliquent la mondialisation, d'une part, et l'immédiateté des images et des communications, d'autre part, rendent obligatoire et inévitable un rapprochement de l'éthique de responsabilité et de l'éthique de conviction. (Applaudissements sur les travées de l'UMP, de l'UC-UDF et du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Josette Durrieu.
Mme Josette Durrieu. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, permettez-moi d'avoir moi aussi une pensée pour notre ancien collègue Jacques Pelletier, dans la mesure où ce débat, à une certaine époque, a été initié avec le concours du Conseil de l'Europe ; M. del Picchia l'a évoqué il y a quelques instants. L'occasion m'est donnée ce soir d'en dire quelques mots et, notamment, de remercier cette assemblée de donner à douze sénateurs et sénatrices la possibilité d'y siéger avec vingt-quatre députés et députées
Je le rappelle, le Conseil de l'Europe a été créé en 1949, sur l'initiative de Churchill. Après la Seconde Guerre mondiale, l'objectif était en effet de promouvoir la démocratie, l'état de droit et les droits de l'homme. Aujourd'hui, il compte quarante-sept États et englobe tout le continent : c'est la « grande Europe », à laquelle ne manque que la Biélorussie.
En 1950, aussitôt après sa création, cette assemblée a adopté un texte fondamental : la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Il se suffisait à lui-même et ne justifiait pas que l'on y ajoute une charte des droits fondamentaux. Cette convention, tous les États membres du Conseil de l'Europe l'ont adoptée - ils ont été obligés de l'adopter -, le Royaume-Uni et la Pologne n'en ont pas été dispensés, et ce texte fondamental est aujourd'hui ratifié par tous. Depuis, deux cents autres conventions et textes ont été élaborés.
Le Conseil de l'Europe a également créé une instance de contrôle indépendante : la Cour européenne des droits de l'homme, garante exceptionnelle de la protection judiciaire internationale des droits de l'homme ; ses membres, dont je fais partie, élisent les quarante-sept juges qui la composent.
Le Conseil de l'Europe a réalisé l'abolition de la peine de mort sur tout le continent en temps de paix. C'est le seul continent où il n'y a plus d'exécution capitale. En Russie, il n'y a pour le moment qu'un moratoire, mais la peine de mort n'y est pas appliquée. Dans le monde, soixante-huit pays appliquent encore la peine de mort et, malheureusement, parmi eux, se trouvent les États-Unis.
Cependant, on déplore toujours des violations des droits de l'homme partout dans le monde, y compris en Europe, et même en France, avec le drame des femmes battues. Bien sûr, les violations touchent également les zones des « conflits gelés » au sein de cette Europe des Quarante-Sept, en Tchétchénie, en Abkhazie, en Ossétie du Sud, en Transnistrie, au Haut-Karabagh.
Cela étant, je tiens à le souligner, le Conseil de l'Europe s'est honoré d'avoir publié un rapport difficile, porté par Dick Marty, mon collègue suisse, sur les fameux centres de détention secrets de la CIA en Europe, chez nous, très près de la France, mais, je l'espère en tout cas, pas sur notre territoire. Il a dénoncé ces « sites noirs », délocalisés en Europe, dans lesquels des prisonniers clandestins ont été transférés par avions spéciaux, en dehors de toute règle de droit national et international. La Cour suprême américaine s'est honorée en les dénonçant à son tour. Le fait que le président Bush ait reconnu leur existence prouve une chose : la violation des droits de l'homme, c'est partout et c'est toujours ; par conséquent, le combat est extrêmement difficile.
Par ailleurs, si je suis ravie ce soir de pouvoir parler ne serait-ce qu'un tout petit peu du Conseil de l'Europe, ce qui ne m'arrive pas assez souvent, c'est qu'il représente à la fois une conscience morale et le creuset où se forge véritablement la conscience européenne.
En ce qui concerne la Charte des droits fondamentaux, elle existe. Elle figurait dans le traité constitutionnel européen, mais elle ne semble plus intégrée au mini-traité, ce qui est regrettable. Elle n'a pas été imposée au Royaume-Uni et à la Pologne, ce qui est étonnant et également regrettable.
Elle définit six domaines de droits ainsi que les valeurs communes de l'Union : la dignité humaine, les libertés, l'égalité, mais pas la parité - il eût été normal et facile d'inclure dans la Charte ce principe, nouveau en France, mais pas dans la réalité de nombreux pays européens, notamment les pays nordiques, mais elle n'en parle pas ! - ; la solidarité, la citoyenneté et la justice.
Je note, comme vous, que ne figure pas dans la Charte cette valeur fondamentale pour les Français qu'est la laïcité. Je souhaite insister sur ce dernier principe et rappeler que la laïcité, c'est l'humanisme tolérant et résistant.
Le terme « résistance » est essentiel. Il est temps de prendre conscience que nous devons nous en emparer à nouveau. Je rappelle que ce mot figure à l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, qui mentionne le « droit de résister à l'oppression ». Or, aujourd'hui, une confusion regrettable est faite entre le terrorisme, qui est une réalité, et la résistance, qui en est une autre.
La laïcité, c'est aussi un humanisme basé sur le respect et, tout d'abord, sur le respect de l'homme universel. Mieux vaut, en effet, affirmer les dimensions communes et universelles, que de souligner les différences et d'affirmer les minorités, visibles ou non.
Les rapports entre les majorités et les minorités changent parfois, comme le prouvent les cas de la Belgique et du Kosovo ; ils peuvent même s'inverser. Mais si l'on défend les droits de l'homme universel, que l'homme fasse partie d'une majorité ou d'une minorité, alors ses droits sont préservés.
La laïcité, c'est également un humanisme basé sur le respect de l'autre, de sa vie, de ses idées, de ses idéologies, du sens qu'il veut donner à son existence et au mystère de son origine.
Je me pose à cet égard une question : les droits de l'homme et les dogmes religieux sont-ils compatibles ?
Je réponds non si je me réfère à l'histoire, matière que j'ai enseignée longtemps, et notamment aux guerres de religion, ou à l'actualité, aux discours de haine et aux guerres de toutes sortes.
Je réponds oui si nous bâtissons un monde et des États tolérants et laïcs, tels que la France et la plupart des pays d'Europe.
Je réponds non si les textes fondateurs des religions, ainsi que les écrits des théologiens et des juristes, prescrivent une morale et des règles de vie et de comportement contraires à ces droits. J'ai une pensée pour les femmes excisées, voilées, lapidées.
Je réponds oui ou non, selon la façon dont les droits de l'homme sont transposés ou interprétés dans le droit canon, la charia ou le Talmud.
Je réponds oui ou non selon que les valeurs inscrites dans la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales se retrouvent ou non intégrées au corpus législatif de ces différentes religions.
Une société laïque a ses valeurs. Elle a aussi ses relais : la famille, l'école, l'État, s'il est démocratique et laïc, les associations et, bien sûr, les communautés religieuses.
Une société laïque a des objectifs et un idéal : former des individus libres et responsables, bâtir la citoyenneté, qui est la forme achevée de la laïcité. Au niveau de l'Europe, il faut encore définir et, surtout, conquérir cette citoyenneté.
Un idéal, pour certains, c'est faire le choix difficile du sol, qui est l'expression d'une « volonté de vivre ensemble » dans un lieu géographique et dans une communauté.
À ce sujet, j'ai une pensée pour le Kosovo, où l'on a fait la guerre pour que l'État ne soit pas monoethnique, et pour les peuples qui s'y sont succédé : les Serbes, hier, et les Albanais, aujourd'hui. L'indépendance est peut-être pour demain, mais dans quelles conditions ?
À la lueur de toutes ces réflexions, je souhaite vous faire part de mes inquiétudes après avoir entendu les discours du Président de la République de Saint-Jean de Latran, du 20 décembre 2007, et de Ryad, du 14 janvier 2008, prononcé devant le Roi d'Arabie Saoudite. Et c'était à l'étranger... Il s'agit de la parole officielle du Président de la République française, du chef de l'État laïc qu'est la France. Un seuil a été franchi ...
La parole du Président de la République est devenue prédication : « Ce sont les religions [...] qui nous ont les premières appris les principes de la morale universelle, l'idée universelle de la dignité humaine ». De la morale, peut-être, mais de la morale universelle, sûrement pas ! Pour ce qui est de la dignité humaine, je ne sais pas...
Je cite toujours le Président de la République : « L'Arabie Saoudite et la France n'ont pas seulement des intérêts communs. Elles ont aussi un idéal commun ». Lequel ?
Je me pose des questions et je vous les pose également, madame la secrétaire d'État.
Va-t-on réformer la loi de 1905 ? Les Français ne le souhaitent pas et les religions ne le demandent pas.
Va-t-on reconfessionnaliser l'espace public ?
À Saint-Jean de Latran, le Président de la République a dit que les religions étaient un plus pour la République : « La désaffection progressive des paroisses rurales, le désert spirituel des banlieues, la disparition des patronages, la pénurie des prêtres, n'ont pas rendu les Français plus heureux. [...] l'instituteur ne pourra jamais remplacer le curé ou le pasteur [...] parce qu'il lui manquera toujours le sacrifice de sa vie et l'engagement porté par l'espérance ». Autant dire : la Révélation !
La laïcité est le fondement de la République et de la paix religieuse et sociale. On n'y touche pas ! Sauf à vouloir enflammer le débat républicain, sauf à penser que la laïcité est un concept dépassé.
Il y a d'autres combats à mener et d'autres défis à relever, contre l'intégrisme et le fanatisme, ou contre le terrorisme, qui n'exclut pas le droit légitime à la résistance à l'oppression.
J'y insiste : le terrorisme est redoutable, on le combat, mais on ne l'a toujours pas défini, ce qui entraîne une certaine confusion. Selon le côté où l'on se place, le Tchétchène, le Palestinien, le Kurde, sont des terroristes. Et si l'on n'y prend garde, on considérera bientôt que le républicain espagnol résistant au franquisme était aussi un terroriste. Moi-même, fille de résistant français, je pourrais être considérée comme fille de terroriste.
Nous devons revendiquer le droit à la résistance à l'oppression. Je vous assure que ce mot est aujourd'hui tabou. Il faut que nous nous en emparions à nouveau afin de le redéfinir.
D'autres combats sont à mener, contre l'ignorance, l'obscurantisme, le racisme et l'antisémitisme.
Sartre disait que le Juif n'existait pas et que c'était l'antisémitisme qui le créait. Soit ! Mais qui crée l'antisémitisme ? Et qui est l'antisémite ? Celui qui profane ? Celui qui injurie ?
Nous devons faire attention à l'instrumentalisation et à l'amplification, car tout cela est en marche.
Israël a le droit d'exister, nous devons le proclamer. Israël a droit à la sécurité, nous devons le répéter. Il n'en reste pas moins que le conflit israélo-palestinien est le noeud de tous les problèmes.
Les Palestiniens existent, eux aussi. Mais la Cisjordanie est occupée injustement et illégalement. Il y a 12 000 prisonniers palestiniens dans les prisons israéliennes et 1 200 000 prisonniers à Gaza. Prisonniers de qui ? Du Hamas, sûrement, mais aussi d'Israël !
Nous devons combattre ces injustices, le « deux poids, deux mesures » de la politique que nous pratiquons dans de trop nombreux endroits du monde. Cette politique, qui représente souvent une humiliation quotidienne, ne peut générer que revanche et vengeance.
Le dernier enjeu, c'est l'Europe. Il faut faire l'Europe ? Non, il faut finir l'Europe, c'est-à-dire faire ce que l'on ne veut pas faire : l'Europe de la défense et l'Europe politique.
Le veut-on ? Y est-on prêt ? Je crains que non, ni ici ni ailleurs. Le simple fait que l'on ait renoncé aux symboles, y compris au drapeau, en dit long sur un certain nombre d'intentions, qui ne sont pas encore des affirmations.
Quelle laïcité pour l'Europe du XXIe siècle ?
Il faut aller vite pour pouvoir vivre dans cette Europe ! L'Europe implose dans le bouillonnement de ses minorités exigeantes. Bâtissons une Europe qui représente l'Union des peuples, une communauté de valeurs et un destin commun. Faisons rêver la jeunesse d'Europe ! (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Robert del Picchia.
M. Robert del Picchia. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, « Pourquoi l'homme, justement l'homme, prétend-il avoir des droits ? Selon certains, il n'y a à cela aucune autre raison que le fait qu'étant nous-mêmes des hommes, nous revendiquons pour nous-mêmes, sans justification spéciale, un statut privilégié » : telle est la question que se posait la célèbre philosophe Jeanne Hersch, grande spécialiste des droits de l'homme.
Et elle répondait : « L'homme représente, dans le monde où il vit, une formidable exception. Il est, à ce qu'il semble, le seul à avoir ?une conscience de lui-même?, le seul à dire ?je? et à décider de ses actes, donc à les assumer et à s'en reconnaître responsable.
« Et c'est cette possibilité, unique en ce monde, dont chaque homme, chaque femme, chaque enfant, se doit d'approfondir en lui le sens et la portée. Car sur elle reposent les lois, les droits et la paix, en même temps que la distinction entre le bien et le mal. Et qu'étant responsable, l'homme peut aussi être et se juger coupable. »
Ces propos de Jeanne Hersch expliquent assez bien pourquoi la Déclaration des droits de l'homme doit être universelle, en se fondant non sur des règles particulières, mais sur la condition de sens de toute règle : la liberté responsable de chaque être humain.
Ce règne et cette exigence des droits de l'homme impliquent que, dans les sociétés humaines, le règne du droit remplace le règne de la force. Mais ce règne du droit lui-même, qui permet aux hommes de vivre leur vie quotidienne sans porter d'arme, ne peut renoncer à l'appui d'une police, donc à un recours possible à la force.
Nous le savons, mes chers collègues, la Déclaration universelle des droits de l'homme est l'une des premières grandes réalisations de l'Organisation des Nations unies. Mais il a fallu attendre trente ans après sa ratification par les États et l'entrée en vigueur des pactes internationaux et d'un protocole pour qu'elle soit appliquée.
La mise en vigueur des droits de l'homme suscite également des réflexions.
Si nous nous devons d'être pour le refus de la force et pour la défense des droits de l'homme, ces deux engagements ne peuvent cependant pas toujours être absolus, en tout cas pas les deux à la fois. Car les droits de l'homme ont besoin de la force pour s'imposer et être défendus, comme nous le constatons, malheureusement, dans le monde d'aujourd'hui. Nous sommes donc contraints d'assigner à ces droits certaines limites.
Il en est ainsi, par exemple, du droit à la vie : comme s'il y avait un droit à n'être menacé par rien et à ne jamais mourir ! Le droit à la santé n'a de sens que si on se limite à proclamer le droit à des conditions de vie saines et, en cas de maladie, le droit aux soins médicaux.
La proclamation des droits de l'homme et les tribunaux internationaux sont des instruments de plus en plus respectés et craints, au bénéfice de la défense des citoyens. Et pourtant, dans notre monde, en ce début 2008, les droits de l'homme, loin d'être respectés, sont violés pratiquement sur toute la planète.
Sans être exhaustive, la liste énumérée par notre collègue M. Othily est déjà très significative.
Alors, devons-nous désespérer ? Eh bien, non ! Car il est vrai que, lentement, trop lentement certes, malgré les effroyables rechutes encore constatées un peu partout, malgré la violence qui se développe, la cause des droits de l'homme s'est tout de même renforcée, parce qu'elle est mue par un espoir indestructible.
Voilà pourquoi, aujourd'hui, nous en débattons dans cet hémicycle, comme nous suivons l'application des traités internationaux.
J'ai fait un inventaire des instruments internationaux ; c'est assez surprenant : on compte 106 textes, sauf erreur ou omission, bien sûr. C'est dire la complexité du suivi ! Il est tout aussi difficile d'apprécier le rôle, également compliqué, du secrétariat d'État aux droits de l'homme, auquel incombent de véritables travaux d'Hercule.
Devraient alors être déterminées les actions prioritaires. Mais, comme dans le domaine des droits de l'homme, elles sont toutes prioritaires, et c'est un problème de plus pour votre secrétariat d'État.
Huit ans après les huit objectifs du Millénaire, adoptés en l'an 2000, près d'un milliard de personnes vivent encore avec moins de 1 dollar par jour. Chaque année, 6 millions d'enfants meurent de malnutrition avant l'âge de cinq ans. Dans les pays très pauvres, moins de la moitié des enfants vont à l'école primaire, et moins de 20 % à l'école secondaire. On est loin de la réalisation universelle des droits de l'homme ! Non seulement les traités ne sont pas respectés, mais les objectifs internationaux ne sont pas atteints.
Alors, que faire, sinon suivre, observer, surveiller, réagir ? La France, patrie des droits de l'homme, le fait au travers de votre secrétariat d'État. Mais il est vrai qu'il s'agit de suivre, voire de précéder toute l'actualité, toutes les tensions et crises pour éviter de nouvelles violations des droits de l'homme. C'est une mission de tous les instants, et une mission universelle.
Mais pour défendre son engagement à faire respecter les droits de l'homme, la France a aussi des atouts et des réseaux en dehors des Nations unies et du Conseil de l'Europe. C'est le cas, par exemple, de la francophonie.
À l'occasion du lancement, le 10 décembre dernier, de l'année de la célébration du soixantième anniversaire de la Déclaration des droits de l'homme, Abdou Diouf, secrétaire général de la francophonie, et Louise Arbour, Haut commissaire des Nations unies aux droits de l'homme, ont appelé conjointement les États membres de l'OIF - qui regroupe cinquante-cinq États et dix observateurs - à la ratification généralisée des instruments internationaux relatifs aux droits de l'homme et à leur pleine mise en oeuvre.
À ce sujet, le centre de recherche sur les droits de l'homme et le droit humanitaire de l'université Panthéon-Assas de Paris II publie de nombreuses informations et tient à jour une véritable fiche technique sur tous les pays de la francophonie. Pour la France, on peut y voir, par exemple, que l'on attend certains rapports sur le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, ou des conventions, comme celle sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes, ou les protocoles sur les conflits armés ou la vente des enfants.
Peut-être, madame la secrétaire d'État, pourrez-vous nous en dire plus sur les raisons de ce retard. Pourquoi, par exemple, la France n'a-t-elle pas encore ratifié la convention-cadre pour la protection des minorités nationales ?
Mes chers collègues, notre Parlement, Assemblée nationale et Sénat, participe activement aux travaux de l'OIF, mais il participe aussi à l'Union interparlementaire. Les Parlements peuvent et doivent jouer leur rôle dans ce domaine. La défense et la promotion des droits de l'homme sont parmi les buts principaux de l'Union interparlementaire, créée, je vous le rappelle, par la France et la Grande-Bretagne en 1889.
L'article 1er des statuts de l'UIP définit le respect des droits de la personne comme un facteur essentiel de la démocratie et du développement.
Le Parlement, rappelle l'UIP, est l'institution de l'État qui représente le peuple et par laquelle celui-ci participe à la direction des affaires publiques. Comme tel, il lui incombe donc spécialement de promouvoir et de faire respecter les droits de l'homme. C'est aussi l'un des objectifs du Parlement.
D'ailleurs, le comité des droits de l'homme des parlementaires de l'UIP, créé en 1976, a établi sa réputation dans le monde entier et fait aujourd'hui autorité comme mécanisme spécialement conçu pour défendre les parlementaires victimes de violation de leurs droits fondamentaux. Il est très actif, car on en déplore encore beaucoup.
L'UIP s'est aussi penchée, dans ses nombreux rapports, sur la problématique de la protection des droits de l'homme lors de réconciliations au lendemain de conflits. C'est un domaine où la protection des droits de l'homme est, bien sûr, primordiale.
Comme l'écrivait Joseph Maïla : « Se réconcilier n'est pas seulement surmonter les raisons de se faire la guerre, c'est surtout inventer les conditions pour se parler. C'est aussi, face à une histoire de tumulte et de haine, trouver le bon équilibre de la mémoire : suffisamment oublier pour ne plus se combattre, suffisamment se souvenir pour ne pas recommencer ».
Je citerai deux exemples de ce processus de réconciliation : la réconciliation réussie de l'Allemagne avec la France et ses voisins après 1945, et la réconciliation, toujours en attente, celle-là, entre Israël et la Palestine.
Le processus de réconciliation suppose aussi le pardon réciproque et donc, de chaque côté, l'oubli des fautes et des crimes. Malheureusement, on en est encore loin !
La réconciliation passe-t-elle par la sanction ou l'absence de sanction ?
Mes chers collègues, les termes « amnistie » et « amnésie » dérivent tous deux du grec : amnêstia, de amnêstos, qui signifie oublié ; et amnêsia veut dire oubli.
La communauté internationale, notamment l'ONU, a choisi clairement de ne pas sacrifier la justice à la réconciliation et de faire de la justice un outil de réconciliation.
Sur le thème de la réconciliation après les conflits bafouant les droits de l'homme, le théorème de Joseph Maïla « s'en souvenir assez pour ne pas recommencer, mais oublier assez pour ne pas se venger doit être applicable et appliqué ; ce n'est pas toujours le cas !
Le soutien à la réconciliation a aussi ses limites sur le terrain, celles des droits de l'homme. La réconciliation, oui, mais à condition de ne pas oublier les droits de l'homme.
C'est pourquoi notre paix actuelle n'est pas la paix véritable, loin de là, si l'on considère la réalité, celle de l'actualité. La paix ne peut être visée aujourd'hui qu'à l'abri de la force, avec ténacité et patience, au travers d'une extension et d'une progression des droits de l'homme partout où cela est possible.
Bernanos a écrit, dans Les grands cimetières sous la lune, que « les hommes de ce temps ont la tripe sensible et le coeur dur ». Cette phrase fait mal, parce qu'elle est malheureusement vraie.
Considérant les droits de l'homme aujourd'hui, on devrait donc exclure « optimisme » et « triomphalisme ». Mais y renoncer, mes chers collègues, ce serait tout simplement renoncer à l'humanité. C'est exactement le contraire que nous voulons toutes et tous ici, ce soir, de toutes nos forces. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je m'associe évidemment à l'hommage qui a été rendu à notre regretté collègue Jacques Pelletier.
Dans le monde, des personnes sont empêchées de s'exprimer, empêchées d'agir, d'être libres, de faire valoir leurs droits. Elles subissent la répression, jusqu'à la mort. Des mineurs sont exécutés, des femmes lapidées, des homosexuels pendus.
En 2007, la France et l'ONU ont su donner un signe positif en interdisant la peine de mort « en toutes circonstances » pour l'une, en appelant à un moratoire mondial sur les exécutions pour l'autre. J'ai alors émis le voeu qu'à l'occasion des jeux Olympiques de 2008 la Chine et les Etats-Unis s'engagent sur un moratoire.
Mais, aujourd'hui, je suis indignée par la souffrance terrible du peuple de Gaza, assiégé, prisonnier sur son propre territoire, manquant de tout, images tragiques du peuple palestinien humilié.
Je suis indignée par la tragédie du peuple du Kenya, où les mutilations et les tueries ont déjà fait plus de 1000 morts, où plus de 255 000 personnes ont dû fuir. Je suis indignée par le drame vécu par le peuple du Tchad où, encore une fois, des innocents sont victimes des exactions des uns et des autres pour le pouvoir.
Ce n'est pas pour rien si, sur le plan international, des peuples nous demandent aujourd'hui des comptes en matière de génocides, de colonialisme.
Au Rwanda, où l'indicible s'est produit, on exige la fin de l'impunité, la reconnaissance des responsabilités, de toutes les responsabilités. Nous voudrions voir notre pays plus actif pour faire prévaloir la paix, le respect des peuples, le respect de chaque personne.
Promouvoir le respect des traités internationaux concernant les droits de l'homme, ce serait, pour le Gouvernement français, accepter enfin d'inscrire dans son projet de loi portant adaptation du droit pénal à l'institution de la Cour pénale internationale la compétence universelle et l'imprescriptibilité des crimes de guerre, qui sont précisément des instruments de lutte contre l'impunité et donc de respect des droits des individus et des peuples ; ce serait lever sans attendre la réserve de l'article 124.
Plus généralement, le fond du problème, c'est que près de la moitié de la population mondiale est humiliée, car elle subit la pauvreté, les inégalités, l'exode et le refus des pays riches - dont la France et l'Union européenne - de mener de véritables politiques de coopération et de développement permettant aux peuples de sortir de la misère et des dominations.
Pourtant, en 2002, Mme Mary Robinson, alors Haut-commissaire de l'ONU aux droits de l'homme, disait : « Je suis toujours plus en colère quand je vois l'état du monde : le fossé inacceptable entre riches et pauvres, les inégalités de toutes sortes, en matière d'éducation, de santé, qui constituent autant de germes de conflit ».
Mme Louise .Arbour, qui lui a succédé, ne dit pas autre chose quand elle met en cause « la détermination des gouvernements à s'acquitter de leurs obligations ».
Fin 2008, nous célébrerons le soixantième anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l'homme. Ses initiateurs ont eu le courage, au sortir de l'une des plus terribles catastrophes que le monde ait connues, l'holocauste, d'affirmer des droits fondamentaux pour les individus, pour les peuples, et d'en consacrer l'universalité. Il est de notre responsabilité de poursuivre ce chemin ; cela se prouve par des actes quotidiens.
L'année 2008, c'est aussi celle où la France accédera à la présidence de l'Union européenne. Le ministre de la défense tenait, le 31 janvier, des propos inquiétants dans Paris-Match concernant les « capitales européennes » : « tous sont conscients que 450 millions d'habitants représentant 25 % de la production mondiale doivent pouvoir défendre leurs intérêts et assurer leur sécurité ». Qu'est-ce à dire ?
C'est précisément au nom de leur sécurité que les Etats-Unis ont mis à mal des droits et des libertés. Mme la garde des sceaux soulignait ici même, il y a une semaine, que c'était l'émotion suscitée par la tragédie du 11 septembre qui avait permis le mandat d'arrêt européen.
Mais elle « oubliait », ce faisant, les « sites noirs de la CIA » externalisés par les Etats-Unis, y compris en Europe, pour se soustraire à l'interdiction de la détention arbitraire et de la torture qu'ils sont censés respecter. Elle « oubliait » la guerre en Irak et Guantanamo, que de plus en plus d'Américains eux-mêmes condamnent.
Il faut dire que, sur toutes ces graves atteintes aux droits de l'homme, nous n'avons pas beaucoup entendu la France et l'Union européenne.
Voilà où mènent la priorité donnée à la « logique des victimes » et l'instrumentalisation de leur souffrance !
C'est aussi au nom de la lutte contre le terrorisme que la France a intégré dans le droit commun des mesures dites exceptionnelles : réduction des droits de la défense, extension des écoutes téléphoniques, fichage généralisé, développement de la vidéosurveillance.
Avec les Vingt-Sept, elle a approuvé le transfert aux autorités américaines des fichiers des données passagers par les compagnies aériennes, au mépris des critiques émises par le Parlement européen.
Les pays occidentaux se sont érigés en seuls garants des droits des personnes ; ils en ont même fait une base idéologique pour leurs interventions, y compris par la guerre.
Or, on ne peut pas imposer la démocratie et les droits humains avec des bombes, pas plus qu'avec des contrats industriels ou commerciaux. Comme l'exprime le président de la Commission nationale consultative des droits de l'homme, la CNCDH, M. Joël Thoraval, « le respect des droits essentiels, la démocratie, n'ont pas de meilleur émissaire qu'eux-mêmes ».
Quand la France et l'Europe fondent leur politique à l'égard des étrangers sur une logique sécuritaire, on ne peut pas dire qu'elles y contribuent.
Ainsi, promouvoir le respect des traités internationaux concernant les droits de l'homme, ce serait, pour notre pays, ratifier enfin la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille.
Évidemment, il y a un grand décalage entre le contenu de cette convention et le sort que la France fait subir aux travailleurs migrants : chasse aux sans-papiers, recul du droit d'asile, lois discriminantes avec l'immigration « choisie », les contrôles ADN ou les quotas envisagés par le Président de la République...
Quand au traité de Lisbonne, il confirme l'Europe comme un espace policier et judiciaire, une forteresse fermée aux étrangers.
D'ores et déjà, la « politique du chiffre » menée en France a, on le sait, des conséquences de plus en plus inhumaines.
Peu d'entre nous, hélas ! se donnent la peine de visiter des centres de rétention avant de voter des lois aggravant les reconduites aux frontières.
Quant au contrôleur général des lieux privatifs de liberté, nous ne savons toujours rien sur sa nomination.
Nous étions quelques parlementaires, le 19 janvier dernier, lors de la journée européenne contre l'enfermement des sans-papiers, au centre de rétention du Mesnil-Amelot.
Parmi leurs revendications, les détenus - car ce sont des détenus - inscrivent des demandes évidentes, comme une visite médicale préalable à l'admission en centre de rétention, des informations sur leur situation, des aliments qui ne soient pas en instance de péremption...
Mais c'est bien la question de fond qu'il faut se poser.
Les centres de rétention sont des prisons contrôlées par la police ; certains sont entourés de barbelés. Des femmes et des hommes y sont détenus, de plus en plus nombreux, avec 1 500 places aujourd'hui contre 786 en 2002, et de plus en plus longtemps : la durée de la rétention est passée de sept jours en 1981 à trente-deux jours en 2003, durée qui, si nous laissons passer une prochaine directive européenne, pourrait passer à dix-huit mois !
En 2006, 201 enfants ont été enfermés en centre de rétention, au mépris de la Convention internationale des droits de l'enfant.
Des hommes détenus au centre de rétention de Vincennes ont été jusqu'à la grève de la faim ; certains se mutilent ou tentent de se suicider pour échapper à un traitement humiliant pour tout être humain : chambres non chauffées, eau froide, nourriture immangeable, brimades
À propos de ce centre, où 250 détenus sont en attente d'une possible expulsion, le comité européen pour la prévention de la torture écrit dans son dernier rapport: que « la délégation a pu constater de visu le niveau d'infestation -tiques, puces, moustiques... - de certaines chambres » !
Dans ces prisons, on enferme des personnes considérées comme sans papiers, sous entendu sans papiers « valables » pour rester sur le territoire.
Est-il bien conforme aux droits universels de l'homme, au droit inaliénable de circuler à l'heure où l'on se plaît à nous dire que le monde est un village, d'être emprisonné sans avoir commis ni crime ni délit grave ?
La France ne livre pas au monde une bien belle image en ne résistant pas à cette effrayante conception de la sécurité.
Ainsi, promouvoir le respect des traités internationaux concernant les droits de l'homme, ce serait pour la France ratifier les textes internationaux positifs en matière de droits ; ce serait les appliquer elle-même et ne plus être montrée du doigt par des instances internationales, ne plus nourrir de rancoeurs.
Madame la secrétaire d'État, vous m'avez déjà répondu, quand je vous ai sollicitée, que votre fonction était de vous occuper des droits de l'homme dans le monde et non pas en France où ils étaient, selon vous - je vous cite approximativement -, acquis.
Permettez-moi de vous dire que, non seulement la France, si elle veut jouer un rôle, doit être en tête pour se plier aux règles internationales qui existent déjà, mais elle doit, sur son propre territoire, montrer l'exemple, montrer que l'on ne peut pas transiger, au nom, certes, de réalités qui souvent sont le fait des États, sur le rapport entre sécurité, prévention du terrorisme et violation des droits élémentaires des êtres humains. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet.
Mme Nathalie Goulet. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, je veux d'abord associer notre collègue Alima Boumediene-Thiery, qui n'a pu être présente ce soir, mais dont l'engagement pour la défense de la cause palestinienne et des droits de l'homme est connu de tous ici.
Vous l'aurez compris, et ce ne sera pas une surprise eu égard à une lourde hérédité familiale, je vais vous parler de la Palestine.
Le droit à la dignité est le premier droit de l'homme.
La liste est bien longue des errances françaises et des lâchetés internationales sur cette terre sainte.
Nous étions quelques-uns à penser que l'affaire du tramway de Jérusalem, dont je parlerai dans quelques minutes, avait marqué un point d'orgue, mais non ! Vous avez aimé le mur, vous avez aimé le tramway, vous allez adorer la suite, dans le silence - un silence assourdissant - et dans le recueillement...
La situation humanitaire à Gaza est désastreuse et l'image sans cesse transmise de ces Palestiniens, hommes, femmes et enfants, allant rechercher des denrées en Égypte est ou, plutôt, devrait être révoltante et insupportable au pays des droits de l'homme.
On sait tous le rôle que joue l'humiliation dans l'histoire, et quelques-uns l'ont rappelé ce soir. Que dire de ce peuple humilié et que penser de la reprise des attentats-suicides ? Quelle autre alternative donnons-nous à ce peuple qui n'a rien à perdre ? Et ce n'est pas M. Gouteyron, qui préside le groupe d'amitié France-Liban et connaît aussi les problèmes de la population palestinienne au Liban, qui me contredira !
Que dire de la construction du mur ? Humiliation et silence...
Cette construction, déclarée illégale par la Cour internationale de justice le 9 juillet 2004 et par la Cour suprême de justice israélienne le 14 décembre 2006, est une atteinte déplorable au droit des Palestiniens à circuler librement. Sa construction, violant les droits de propriétés des Palestiniens, est doublée d'une intensification du nombre de check points.
Que dire du tramway de Jérusalem, dont on a déjà un peu parlé ici, si ce n'est qu'il s'agit du triomphe du fait accompli ?
Rappelons que deux entreprises françaises, Alstom et Connex, ont remporté un appel d'offres pour un projet de tramway à Jérusalem ; seul petit bémol, l'itinéraire du tramway passe - léger détail ! - par des territoires occupés ! Il relie Jérusalem-Ouest à deux colonies juives de Jérusalem-Est, que Paris estime, jusqu'à preuve du contraire, « illégales ». Voila comment la France participe à une opération de plus de confiscation de Jérusalem-Est !
L'association France Palestine Solidarité, à laquelle s'est associée l'OLP, a engagé une procédure judiciaire contre les deux sociétés. Interrogé le 22 octobre dernier, le porte-parole du quai d'Orsay - votre ministère, madame la secrétaire d'État - a déclaré : « La question que vous évoquez relève des autorités judiciaires. Je rappelle cependant, comme nous l'avons déjà fait à plusieurs reprises, que la participation française à la construction du tramway de Jérusalem est le fait d'entreprises privées qui n'agissent en aucun cas pour le compte de l'État. Comme vous le savez, nous avons fait part de nos préoccupations aux dirigeants des entreprises concernées [...]. Cette situation qui est de nature commerciale ne reflète en aucun cas une évolution de la position française sur Jérusalem. »
Quelle magnifique réponse, mais, madame la secrétaire d'État, c'est mensonge et langue de bois !
En effet, le contrat pour le tramway a été signé, le 17 juillet 2005, en présence de l'ambassadeur de France, M. Gérard Araud, et dans les bureaux du premier ministre Ariel Sharon. Le bulletin de l'ambassade de France saluait « la "cérémonie officielle" de signature ». Ce n'est donc pas une affaire d'entreprises privées : c'est bien un contrat dans lequel la politique française est intervenue. Sinon, pourquoi l'ambassadeur aurait-il été présent à sa signature ? Je crois qu'il n'y a pas là de quoi être très fier !
Viennent ensuite les violations des règles fondamentales établies par des conventions internationales, des droits de la défense à la présomption d'innocence, en passant par les conditions de détentions : inventaire à la Prévert impossible à ignorer, sauf par qui ne veut ni voir ni entendre !
On citera, pêle-mêle, un rapport, intitulé Poursuites d'arrière-cour, de l'organisation israélienne Yesh Din - dont le nom hébreu fait référence à un droit en même temps qu'à un jugement - ou le très récent rapport du Haut Commissariat des Nations unies aux droits de l'homme du 29 janvier 2007 sur la situation des droits de l'homme dans les territoires palestiniens occupés, condamnant, pour la deuxième ou la troisième fois, la « punition collective » infligée aux Palestiniens par la fermeture de la bande de Gaza.
Nous connaissons tous ici les outils dont on peut disposer pour tenter d'infléchir la politique d'un État : sanctions unilatérales ou pas, mesures de rétorsion, représailles sur les plans politique, diplomatique, commercial, économique ou financier.
Nous connaissons tous les difficultés politiques de la mise en oeuvre de telles procédures : les obstacles, on le sait, sont non pas juridiques, mais politiques.
Et qu'en est-il du fameux devoir d'ingérence ?
Pourquoi ne pas appliquer des sanctions ? Parce qu'il n'y a aucune volonté politique. Parce que chacun est las de ce conflit qui dure depuis si longtemps. Parce que de grandes embrassades sur le perron de l'Élysée ne font pas une politique. Parce que ce que n'a pas pu faire le « docteur Chirac », comme l'appelait Yasser Arafat, ce n'est pas Nicolas Sarkozy qui le fera, eu égard à notre alignement, désormais évident, sur la politique américaine.
Chaque occasion manquée, chaque humiliation de plus poussent, madame la secrétaire d'État, une nouvelle génération dans la voie du terrorisme.
Je vous le dis avec beaucoup d'inquiétude, moi qui ai partagé la vie et le combat d'un militant pour cette cause, le sénateur Daniel Goulet, fondateur de l'association parlementaire pour la coopération euro-arabe et des groupes d'amitié France-Palestine, ici et à l'Assemblée nationale : sans une paix juste et durable, la situation devient non seulement dramatique, mais totalement incontrôlable
À l'heure où le quai d'Orsay s'apprête à célébrer en grande pompe le soixantième anniversaire non pas seulement de la Déclaration universelle des droits de l'homme, mais aussi de la création de l'État d'Israël en prévoyant une grande exposition dans ses locaux, j'ai le regret de vous dire que le président Ahmadinedjan a raison lorsqu'il prétend que notre pays soutient la politique de l'État sioniste : c'est vrai, c'est lamentablement vrai, c'est lâchement vrai.
Madame la secrétaire d'État, vous avez dit non au Président Khadafi ; les membres du groupe d'information internationale France-Territoires palestiniens au Sénat, notamment sa présidente Monique Cerisier-ben Guiga, et Alima Boumediene-Thiery, vous demandent de dire non à tant d'injustices, qui sont autant de ferments et de justifications pour les terroristes de demain et d'éléments de fragilisation de notre sécurité intérieure. (M. Georges Othily applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly.
Mme Catherine Morin-Desailly. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, il y a presqu'un an nous révisions notre Constitution pour ajouter une phrase qui pouvait paraître à certains symbolique : « Nul ne peut être condamné à la peine de mort ».
Pourtant, en inscrivant dans notre loi fondamentale l'interdiction de la peine de mort, nous mettions notre pays en accord avec les conventions internationales et au diapason des autres pays européens qui, pour certains, avaient depuis longtemps inscrit dans leur Constitution l'interdiction de la peine capitale.
La France, patrie des droits de l'homme, ne pouvait rester en retrait de ses partenaires européens sur ce sujet. Par cet acte, nous avons témoigné fortement de notre attachement aux valeurs de la dignité humaine en donnant un caractère quasi irréversible à la peine de mort.
Par cette inscription solennelle, nous achevions également un processus vers « l'abolition pure, simple et définitive » engagé depuis plus de vingt-cinq ans ; nous rejoignions enfin le propos de Victor Hugo selon lequel « une Constitution qui [...] contient une quantité quelconque de peine de mort n'est pas digne d'une République ».
Le combat, long et difficile, de l'abolition, gagné en France, doit désormais se poursuivre hors de nos frontières. Le droit de toute personne à la vie est en effet un droit universel.
Ce mouvement s'inscrit d'ailleurs pleinement dans un mouvement international puisque l'application de la peine de mort recule chaque année et que le nombre d'États abolitionnistes est devenu majoritaire dans le monde.
La France a été ainsi le dix-septième pays de l'Union européenne à conférer à la prohibition de la peine de mort valeur constitutionnelle.
Cependant, de nombreux pays, et non des moindres, pratiquent encore la peine de mort. Quelles actions notre pays peut-il mener pour convaincre ces pays d'abandonner ce châtiment contraire aux droits de l'homme ?
Ce sont ainsi soixante-neuf pays qui continuent d'appliquer cette peine.
En Afrique, vingt-deux États connaissent encore la peine de mort, le Libéria et le Sénégal ayant rejoint le camp abolitionniste récemment.
En Asie, ce sont encore trente États qui exécutent, dont le Japon, la Chine, l'Inde, l'Indonésie, les deux Corée, mais aussi la plupart des pays du Moyen-Orient.
Selon le rapport d'Amnesty International, en 2006, ce sont encore 3 861 personnes qui ont été condamnées à mort dans cinquante-cinq pays et au moins 1 591 personnes qui ont été exécutées dans vingt-cinq pays. Ces chiffres sont certainement en deçà de la réalité puisqu'il ne s'agit que des cas dont Amnesty International a eu connaissance.
L'immense majorité de ces exécutions sont le fait d'une minorité de pays : 91 % des exécutions recensées en 2006 ont en effet eu lieu dans six pays ! Il s'agit de la Chine, de l'Iran, du Pakistan, de l'Irak, du Soudan et des États-Unis. Toujours selon l'organisation internationale, entre 19 185 et 24 646 condamnés à mort seraient aujourd'hui dans l'attente de leur exécution.
S'agissant de la Chine, qui pratique massivement la peine capitale et où il est très difficile de connaître la réalité des exécutions puisqu'aucune donnée officielle n'est disponible, Amnesty International évoque 1010 personnes exécutées en 2006, mais certaines sources laissent penser qu'entre 7500 et 8000 exécutions auraient eu lieu cette année-là, ce qui place bien sûr la Chine en tête des pays pratiquant la peine de mort.
La communauté internationale doit profiter de l'organisation des jeux Olympiques, cet été à Pékin, pour faire pression sur les dirigeants chinois à propos de ce dossier. Les progrès économiques doivent s'accompagner d'avancées démocratiques sur la question des droits de l'homme, que ce soit sur la peine de mort ou encore sur la situation du Tibet, cher à notre collègue Louis de Broissia.
Aux États-Unis, ce sont cinquante-trois condamnés à mort qui ont été exécutés dans douze États. Je m'arrêterai sur ce pays pour une raison évidente : le maintien de la peine capitale dans la plus ancienne et la plus puissante des démocraties constitue un obstacle majeur à la cause abolitionniste.
Il s'agit d'un enjeu essentiel parce que les États-Unis restent, avec le Japon, le plus important régime démocratique à recourir à la peine capitale et qu'ils ont, malheureusement, valeur d'exemple pour de nombreux pays.
Alors qu'au début des années 1970, la pratique de la peine capitale était quasiment tombée en désuétude - la Cour suprême déclara en 1972 qu'elle constituait un châtiment inutile et dégradant -, les condamnations et exécutions ont repris depuis 1977, à la suite du revirement de jurisprudence de la Cour suprême de 1976. Depuis cette date, ce sont 1060 personnes, dont 379 au Texas, qui ont été exécutées ; la peine de mort figure dans la législation de 38 des 50 États de l'Union et elle a été instaurée de nouveau au niveau fédéral en 1988.
De plus en plus de voix s'élèvent pour demander l'abolition d'une peine qui met en lumière les faiblesses d'une société et ses inégalités sociales et raciales. L'erreur judiciaire mine le système : le nombre de condamnés à mort reconnus innocents après des décennies de procédures, parfois in extremis, est impressionnant, puisque 122 personnes seraient dans ce cas depuis 1973, sans compter celles qui ont été exécutées alors que leur innocence aurait pu être établie en recourant à des tests ADN. La peine de mort aux États-Unis peut s'apparenter à une loterie sanglante.
Toutefois, il convient de relever que, face à ces risques d'erreur flagrante, la Cour suprême des États-Unis s'attache à réduire le domaine de la peine de mort, notamment en interdisant l'application de ce châtiment aux déments et aux déficients mentaux et en refusant l'exécution des condamnés mineurs lors de l'accomplissement du crime.
Notons également que la peine de mort est devenue le talon d'Achille de l'Amérique dans presque toutes les instances multilatérales qui traitent des droits de l'homme ; espérons que cette situation aura un effet sur l'évolution de ce pays sur cette question.
Nous ne pouvons que constater et déplorer la persistance d'un nombre non négligeable d'États non abolitionnistes. Cependant, l'abolition de la peine de mort constitue à l'échelle du droit international un but ultime dans le domaine des droits de l'homme : depuis plus de vingt-cinq ans, traités, protocoles et déclarations se multiplient pour engager les États sur le chemin de l'abolition universelle de la peine de mort.
Ainsi, le Conseil de l'Europe joue un rôle majeur dans ce mouvement, tout comme, à l'échelle internationale, les Nations unies. Nous disposons d'outils juridiques internationaux pour promouvoir l'abolition.
À l'échelon du continent européen, c'est le protocole n° 6 additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, entré en vigueur au 1er mars 1985, qui a constitué le premier instrument juridiquement contraignant prévoyant l'abolition de la peine de mort en temps de paix. Avec le protocole additionnel n° 13 à la Convention, relatif à l'abolition de la peine de mort en toutes circonstances, qui a été adopté par le Conseil de l'Europe à Vilnius le 3 mai 2002, un pas ultime a été franchi en direction de l'abolition de la peine de mort.
Ces protocoles ont marqué la reconnaissance du droit à la vie comme attribut inaliénable de la personne humaine et comme valeur suprême dans l'échelle des droits de l'homme au niveau international.
L'Europe est ainsi devenue une zone libérée de la peine de mort et l'abolition fait partie intégrante du socle des valeurs européennes puisque, je le rappelle, 43 des 44 États parties à la Convention européenne des droits de l'homme sont abolitionnistes. A ainsi été consacré en Europe le principe selon lequel la démocratie, fondée sur les droits de l'homme, est incompatible avec la peine de mort.
Toutefois, les tentatives de rétablissement de la peine de mort existent. Ainsi, en 2006, le président conservateur polonais Lech Kaczynski a réclamé, en évoquant la tenue d'un référendum sur ce sujet dans son pays, le rétablissement de la peine capitale en Pologne, mais aussi dans l'ensemble de l'Europe.
Sur le plan mondial, c'est le deuxième protocole facultatif au Pacte international relatif aux droits civils et politiques visant à abolir la peine de mort, adopté à New York le 15 décembre 1989, qui engage les pays signataires à abolir la peine capitale. Il est venu compléter le Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966, qui limitait la peine de mort aux crimes les plus graves. Il s'agit du premier traité abolitionniste universel.
Par ailleurs, la communauté internationale a limité plus fortement le nombre des cas où la peine de mort pouvait être prononcée ou exécutée, en réaffirmant l'interdiction concernant les mineurs, les femmes enceintes, les jeunes mères et les personnes âgées.
Progressivement, nous le voyons, la prohibition de la peine de mort devient un principe du système juridique international, comme le prouve le rejet de cette peine par les juridictions internationales pourtant appelées à juger des crimes les plus graves, comme la Cour pénale internationale.
Au-delà des instruments juridiques, les institutions internationales incitent les États à adopter un moratoire. Ainsi, la commission des droits de l'homme des Nations unies, devenue Conseil des droits de l'homme, appelle depuis plusieurs années à l'abolition universelle de la peine de mort, dont la première étape serait un moratoire général.
L'Union européenne s'est elle aussi engagée sur cette voie. Estimant que ce châtiment n'a pas sa place dans le système pénal des sociétés démocratiques et que l'abolition de la peine de mort contribue au renforcement de la dignité humaine et au développement progressif des droits de l'homme, elle a, dans « l'appel de Strasbourg » de juin 2001, demandé aux États qui pratiquent la peine capitale ou la prévoient dans leur législation d'instaurer un moratoire des exécutions et d'abolir définitivement cette peine.
Madame la secrétaire d'État, il nous faut poursuivre ce combat. Il est nécessaire de convaincre les dirigeants des États non abolitionnistes de l'inutilité, qui est aujourd'hui largement admise, de la peine de mort ; convaincre que celle-ci n'est pas dissuasive et qu'aucune étude de criminologie n'a pu démontrer un lien entre la peine de mort et la courbe de la criminalité ; convaincre, enfin, que sa pratique est soumise à des erreurs judiciaires patentes.
Espérons que l'action de la communauté internationale fera comprendre aux opinions publiques que la peine de mort est toujours synonyme de « défaite de l'humanité », pour reprendre les mots de notre éminent collègue Robert Badinter.
Au terme de cette intervention, je souhaite, madame la secrétaire d'État, vous poser cette question très simple : comment le Gouvernement entend-il agir à l'échelle internationale pour convaincre des pays non abolitionnistes d'abandonner cette peine, qui constitue, pour suivre notre illustre collègue Victor Hugo, le « signe spécial et éternel de la barbarie » ? (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Rama Yade, secrétaire d'État chargée des affaires étrangères et des droits de l'homme. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je souhaite tout d'abord m'associer à l'hommage que vous avez rendu à Serge Vinçon, le regretté président de la commission des affaires étrangères du Sénat, qui aura laissé la marque d'un président rigoureux et juste au sein de cette institution.
J'ai également une pensée forte pour Jacques Pelletier, qui, lui aussi, nous a quittés. C'était un homme et un élu au dévouement sans faille pour la cause des droits de l'homme, en France et dans le monde.
Je souhaite ensuite vous remercier, monsieur Othily, d'avoir eu l'initiative du débat qui nous réunit ce soir. Je ne puis que me satisfaire de l'intérêt que vous portez à la question des droits de l'homme et, à travers vous, de l'importance qu'accorde le Sénat à cette question. Cet intérêt est pour moi un encouragement dans l'accomplissement de ma mission, en même temps qu'une obligation - « ardente », selon la formule consacrée - de résultats.
Avant de répondre avec autant de précision qu'il me sera possible aux questions que vous m'avez posées, mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi de définir le cadre général dans lequel j'ai inscrit mon action de secrétaire d'Etat chargée des affaires étrangères et des droits de l'homme.
J'ajouterai que j'exerce bien évidemment la mission qui m'a été confiée sous l'autorité du Président de la République, M. Nicolas Sarkozy, et du ministre des affaires étrangères, M. Bernard Kouchner, qui ont chacun à coeur de faire vivre cette dimension des droits de l'homme dans notre politique extérieure.
Afin d'être bien claire, je rappellerai tout d'abord que je ne suis pas en charge des droits de l'homme en France, ce qui ne veut pas dire que je ne suis pas sensible à cette question. Lorsque la France se trouve condamnée par la Cour européenne des droits de l'homme, cela ne me fait jamais plaisir, car lorsqu'il me faut intervenir à l'étranger, je préfère parler au nom d'un pays exemplaire.
Nous pouvons tous ici être d'accord pour affirmer que notre pays attache au respect des droits humains une place essentielle : les droits de l'homme font aussi partie de notre identité nationale.
Certes, nous ne devons jamais nous endormir sur nos lauriers ; il nous faut toujours être vigilants. Mais, de grâce, ne cédons pas au relativisme culturel qui conduit à penser que tout se vaut et que, puisqu'il arrive à la France d'être imparfaite, elle est très mal placée pour critiquer les imperfections des autres. Il y a, chez nous, en France, et dans les démocraties en général, des valeurs fondamentales qui ne sont pas négociables.
M. de Rohan citait dans son intervention des propos de M. Védrine nous invitant à la modestie. M. Védrine a raison, s'il entend par modestie le refus de l'arrogance. Mais sachons également rester ambitieux.
Qu'on le veuille ou non, la « patrie des droits de l'homme » est une marque de notre histoire, que nous ne pouvons ni ne devons renier. Elle nous est d'ailleurs régulièrement rappelée par les peuples étrangers, par les opposants, dissidents et défenseurs des droits de l'homme pourchassés dans le monde. Elle constitue une incitation permanente à assumer notre devoir. Car c'est bien de cela qu'il s'agit : un devoir, une responsabilité.
Pour le reste, que nous ne soyons pas les seuls à pouvoir revendiquer cette mission ne peut être que positif, tant la tâche est immense. Bien sûr, nous ne disposons pas d'une formule magique pour faire en sorte que les droits de l'homme soient respectés en Russie, en Chine, dans le monde arabe, en Afrique, mais est-ce une raison pour arrêter de nous battre ?
Quand vous vous déplacez à l'étranger et que vous rencontrez des défenseurs des droits de l'homme, vous lisez dans leurs yeux cette attente vis-à-vis de la France, parce que, pour eux, la France c'est avant tout la « patrie des droits de l'homme » et être Français c'est être libre. Devrions-nous par avance refuser ce défi ? Je suis bien convaincue que non.
Comme l'a souligné M. de Rohan, le Président de la République a fait de la promotion des droits de l'homme l'une des toutes premières priorités de l'action diplomatique de la France.
Affaires étrangères et droits de l'homme, cette association est, a priori, paradoxale. En effet, si le rôle de notre diplomatie est de défendre les intérêts de notre pays, le combat pour les droits de l'homme dans notre politique étrangère peut se heurter, bien évidemment, à la poursuite de ces intérêts.
Néanmoins, cette vision du caractère inconciliable de la promotion de nos intérêts et de la lutte pour les droits de l'homme, qui a été, du moins théoriquement, une constante de la politique extérieure française, a bien changé, et d'abord parce que le Président de la République s'est inscrit en faux avec cette vision.
Alors qu'il était candidat, il déclarait, le 28 février dernier : « notre identité démocratique nous destine à promouvoir la liberté et le respect des droits de l'individu dans le monde [...] Valeurs et intérêts, en réalité, se rejoignent. Il faut refuser l'opposition stérile entre réalisme et idéalisme ». Et le 6 mai dernier, au soir de sa victoire, il ajoutait : « Je veux lancer un appel à tous ceux qui, dans le monde, croient aux valeurs de tolérance, de démocratie et d'humanisme, à tous ceux qui sont persécutés par les tyrannies et par les dictatures, à tous les enfants et à toutes les femmes martyrisés dans le monde, pour leur dire que la France sera à leurs côtés, qu'ils peuvent compter sur elle ».
À titre d'exemple, lorsqu'il s'est rendu en Inde voilà quelques jours, le Président de la République a eu à coeur de plaider auprès des autorités indiennes la cause de Taslima Nasreen qui, comme vous le savez, est cette écrivaine du Bengladesh qui a été menacée de mort par une fatwa et qui erre de ville en ville en Inde. De même a-t-il contribué fortement à la libération des infirmières bulgares.
Je crois que son message est passé et s'est concrétisé.
Ainsi, dès son entrée en fonction, Nicolas Sarkozy a mis en adéquation ses actes avec ses déclarations. Espérons que les objectifs pourront être atteints en ce qui concerne la libération d'Ingrid Betancourt et des autres otages des FARC, les forces armées révolutionnaires de Colombie. Nous y travaillons en tout cas au quotidien !
Permettez-moi aussi de vous exprimer une conviction personnelle : dans un monde de plus en plus dangereux, où les risques de prolifération nucléaire s'accroissent, où les groupes terroristes multiplient les tentatives pour acquérir, avec la complicité de certains États, des armes chimiques, biologiques et nucléaires, notre intérêt est, plus que jamais, de promouvoir la démocratie et les droits de l'homme.
Si, dans le passé, on pouvait s'accommoder de l'existence de dictatures lointaines, aujourd'hui, il n'y a plus de lointain. Tout est devenu proche : une Corée du Nord dotée de missiles à longue portée est devenue notre voisine.
Je suis donc convaincue, comme vous, j'en suis sûre, que les États de droit qui respectent les libertés fondamentales de l'être humain sont moins dangereux pour la paix du monde que les autres. Le propos de Kant sur les démocraties qui ne se font pas la guerre entre elles est toujours, et peut-être plus que jamais, d'actualité.
J'en viens maintenant à ma mission elle-même, ce qui me permettra de répondre à certaines des interrogations qui ont été exprimées.
Le sénateur Georges Othily évoque des droits de l'homme qui se multiplient, au point que l'on a du mal à distinguer l'essentiel de l'accessoire ; je sais que les puristes des droits de l'homme, les tenants de leur caractère indivisible, c'est-à-dire du « tout ou rien », pourraient être choqués par de tels propos.
Le principal écueil que je souhaite éviter est celui du « droit de l'hommisme ». Invoquer les droits de l'homme à tout propos ne peut que se retourner contre nous : nous pourrions entendre des chefs d'État, qui n'ont qu'un souverain mépris pour ces droits, nous accuser de ne pas les respecter nous-mêmes. On a ainsi pu entendre, à la tribune de l'ONU, le président iranien invoquer plusieurs fois les droits de l'homme, pour mieux accuser l'Occident de ne pas les respecter. Entendre cela du président d'un pays où une femme vaut la moitié d'un homme ne peut pas manquer de nous faire réagir !
La promotion des droits de l'homme ne vise pas les droits à tout et à n'importe quoi. Pour moi, c'est avant tout le droit à vivre dans la paix et la sécurité, un droit indissociable de celui de vivre libre.
C'est pour en rester à l'essentiel que j'ai décidé, dès le début de ma mission, de me fixer des priorités. L'action politique consiste en effet à faire des choix, car le champ est vaste. De nouveaux droits économiques et sociaux ont fait leur apparition et méritent également qu'on leur accorde une attention particulière. Toutefois, si l'on veut être efficace, il est plus aisé de se concentrer sur quelques axes fondamentaux ; j'en ai choisi trois.
Ma première priorité concerne les femmes et les enfants, qui sont les premières victimes des sociétés archaïques ou des conflits ; les enfants-soldats ou les femmes victimes de violence sont au coeur de mon action.
Ma deuxième priorité est la liberté d'expression, en particulier la liberté de la presse.
Ma troisième priorité porte sur la justice pénale internationale, qui permet de montrer que les droits de l'homme ne sont pas que des mots et qu'il n'est plus possible de tuer impunément, à l'abri de ses frontières, sans avoir un jour à rendre des comptes.
Bien sûr, ces trois priorités ne m'interdisent pas d'intervenir dans d'autres domaines, comme la lutte pour l'abolition universelle de la peine de mort, la violation massive des droits de l'homme dans certains conflits, comme celui du Darfour, ou la répression brutale des manifestations pacifiques des Birmans. Nous nous devons d'être à la hauteur de notre réputation, quitte parfois à être transgressifs. Il est vrai que cela peut nous coûter cher, notamment en termes d'intérêts. Il faut donc trouver un équilibre.
C'est cet argument qui est avancé, notamment à propos de la Chine. Mais cette position ne me convainc pas : après tout, les États-Unis n'hésitent pas, pour leur part, à évoquer la question des droits de l'homme avec les Chinois, tout en concluant avec eux des contrats commerciaux. Comme vous, madame Morin-Desailly, je pense que l'on ne peut pas ignorer cette question, à six mois de la tenue des jeux Olympiques à Pékin, même s'il ne faut pas se focaliser exagérément sur cet événement. Sans vexer, sans blesser, sans humilier, j'estime possible de rappeler la Chine à ses devoirs. Elle sera bientôt la vitrine du monde, le temps des jeux Olympiques. De ce fait, elle ne peut se permettre d'offrir une image régressive de l'olympisme.
C'est dans cet esprit que le Président de la République a parlé de la peine de mort et de la liberté d'expression avec les dirigeants chinois. C'est également dans cet esprit que je suis intervenue, voilà deux jours, auprès des autorités chinoises pour défendre le cas de M. Hu Jia, un blogger dont la liberté d'expression lui a valu des ennuis judiciaires.
Les Français ne comprendraient pas nos silences face à certaines violations des droits de l'homme qui les choquent. Notre activisme en la matière doit toutefois se fonder sur une méthode.
Ainsi, face à une certaine impatience médiatique et à une volonté d'indignation systématique, il faut parfois savoir rester discret pour être efficace ; je pense, par exemple, à la Tunisie. Si l'on veut obtenir la libération d'un prisonnier politique comme maître Abbou, la discrétion doit, dans un premier temps, être de mise ; c'est l'attitude que le Président de la République et moi-même avons adoptée lorsque nous nous sommes rendus dans ce pays au mois de juillet dernier. Plutôt que de faire du tapage médiatique et risquer ainsi d'aggraver la situation de ce prisonnier, j'ai considéré que mon devoir était d'abord d'expliquer aux autorités tunisiennes pourquoi l'emprisonnement de cet homme était choquant et nuisait à l'image de la Tunisie. Si cette approche se révèle inefficace, alors nous prendrons l'opinion publique à témoin.
En procédant ainsi, j'essaie d'éviter de montrer du doigt les autorités tunisiennes, de blesser ou d'insulter, ce qui n'aurait pour résultat que de braquer les autorités en question et de prolonger le calvaire du prisonnier.
Cette méthode n'interdit pas la fermeté. Il n'est pas acceptable, par exemple, que les droits de l'homme soient remis en cause par certains pays, qui considèrent que le développement économique doit primer sur le respect des droits humains ou qui préfèrent le particularisme de leur culture à l'universalité de ces droits.
En ce qui me concerne, je ne crois pas du tout à l'approche culturaliste, selon laquelle certaines traditions interdiraient à des catégories de la population d'avoir accès à ce type de droits. En effet, si je respecte les traditions de certains pays, je considère qu'on ne peut résolument pas, au nom de ces traditions, accepter que des femmes soient lapidées ou des adolescents pendus en place publique. On ne peut pas non plus, au nom de ces traditions, accepter que des femmes s'immolent par le feu après un viol, pour échapper à un mariage forcé, ou après une telle union.
Enfin, nous nous devons d'être en contact permanent avec les défenseurs des droits de l'homme partout où ils sont. Il est important que nos ambassades soient les avant-postes de la défense des droits de l'homme. Lorsqu'un opprimé ou un militant des droits de l'homme frappe à la porte de l'une de nos ambassades, l'ambassadeur a le devoir de lui ouvrir sa porte, ne serait-ce que pour lui prêter une oreille attentive.
C'est pourquoi, lors de la Conférence des ambassadeurs, au mois d'août dernier, j'ai fait part de ma volonté de voir nos postes devenir des maisons des droits de l'homme. En France, nous ne devons pas hésiter à élargir nos partenariats à des acteurs très engagés en matière de politique étrangère - je pense aux parlementaires ou aux collectivités territoriales -, notamment dans leur dialogue avec les sociétés civiles.
La méthode dépend donc du contexte. Le pragmatisme et la recherche de l'efficacité doivent prévaloir.
Au-delà de mes déplacements, je souhaite ne jamais oublier les priorités que je me suis fixées : la liberté d'expression et l'égalité des droits entre les femmes et les hommes. Ce sont sans doute les deux meilleurs critères à l'aune desquels on peut juger de la vie démocratique d'un pays.
En ce qui concerne les violations massives et systématiques des droits de l'homme, monsieur Othily, vous avez cité le Darfour, la Tchétchénie, l'Ouzbékistan, le Kenya et le Tchad, pays pour lesquels notre mobilisation est permanente. Hélas ! la liste des pays dans lesquels les hommes et les femmes ne sont pas assurés de leurs droits fondamentaux pourrait s'allonger de dizaines d'autres noms !
Le combat pour les droits de l'homme dans notre politique étrangère ressemble souvent à l'oeuvre de Pénélope ou aux travaux d'Hercule, comme l'a relevé M. del Picchia : on a l'impression qu'une victoire un jour est suivie d'un échec le lendemain. Certes, des institutions existent - Conseil des droits de l'homme des Nations unies, Conseil de l'Europe, Cour européenne des droits de l'homme... -, mais nous devons sans cesse, dans notre action diplomatique, ranimer et faire vivre nos principes.
Pour redonner une nouvelle force à notre message, je souhaite provoquer une réunion de tous nos partenaires européens, afin de rassembler nos forces autour d'un message simple et clair, qui soit conforme à l'idéal européen. Je compte aussi me rendre au Conseil des droits de l'homme, au début du mois de mars, pour rappeler notre message et évoquer la question du suivi de la conférence de Durban, qui aura lieu en 2009.
Enfin, cette année, la France a deux rendez-vous qu'elle ne peut ni ne doit manquer : la présidence de l'Union européenne et le soixantième anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l'Homme. La coïncidence entre ces deux événements majeurs est l'occasion pour notre pays d'être à la hauteur de l'héritage de ses ancêtres, qui lui ont légué le beau titre de gloire de « patrie des droits de l'homme ». Il s'agit pour la France non pas de faire une commémoration de plus, mais de revivifier, avec le soutien de tous ses partenaires européens, les principes et les valeurs pour lesquels des hommes et des femmes ont lutté, souvent au péril de leur vie. Il est plus que temps de réaffirmer haut et fort ce en quoi nous croyons et pour quoi nous sommes prêts à lutter, même s'il y a un prix à payer.
Telle est la présentation générale que je tenais à faire devant votre Haute Assemblée, mesdames, messieurs les sénateurs. Je tenterai à présent de répondre brièvement à vos questions, sans prétendre à l'exhaustivité. En effet, la variété des problèmes liés à la protection des droits de l'homme justifierait presque un débat spécifique pour chaque sujet.
Monsieur Othily, vous avez exprimé votre préoccupation sur le cas très particulier des coupeurs haïtiens de canne à sucre en République dominicaine. Vous savez l'attachement que je porte à Haïti, où je suis allée au mois de septembre dernier. Jean-Marie Bockel s'y est également rendu pour le deux cent troisième anniversaire de l'indépendance, le 1er janvier dernier. Le Président de la République lui-même s'est engagé à faire ce déplacement, ce qui serait historique, car aucun chef d'État français n'a encore été reçu en Haïti depuis l'indépendance de ce pays.
Le nombre d'émigrés haïtiens en République dominicaine atteindrait environ 1 million de personnes, des clandestins, pour la plupart. Il s'agit d'une émigration Sud-Sud qui part d'un pays déshérité, Haïti, vers un pays à l'économie certes dynamique, mais qui doit lui aussi faire face au problème de la pauvreté. Le nombre des coupeurs de canne haïtiens en République dominicaine n'est pas facile à déterminer, mais concernerait plusieurs dizaines de milliers de personnes. L'exposition « Esclaves au paradis » organisée l'an dernier par Amnesty international a jeté une lumière crue sur cette situation.
Si les conditions de vie des coupeurs de canne haïtiens demeurent indécentes, certains propriétaires fonciers ont pris cependant conscience du problème et construisent des logements, des cantines, installent l'électricité, l'eau courante. Avec la baisse de l'exploitation de la canne à sucre, le nombre des coupeurs de canne est amené à se réduire mécaniquement. Nous y comptons bien !
Si nous voulons vraiment aider les coupeurs de canne à sucre haïtiens, nous devons contribuer à maintenir un dialogue amical entre Haïti et la République dominicaine, malgré le passé. Ancienne colonie française et pays francophone, Haïti figure dans la zone de solidarité prioritaire de notre coopération. Mais nous y avons aussi inclus la République dominicaine, parce que la situation de ces deux pays ne peut être traitée séparément. C'est sur ce point que nos projets de coopération se concentreront ; l'Union européenne travaille elle aussi sur ce sujet. Ainsi a-t-elle construit dans la localité de Dajabón un marché binational, haïtien et dominicain.
MM. Othily, de Rohan et del Picchia, se sont interrogés sur la mise en oeuvre, au sein du ministère des affaires étrangères et européennes, de la nouvelle impulsion donnée à la dimension des droits de l'homme dans la politique extérieure de la France.
Je tiens à souligner que la priorité que nous accordons à la défense des droits de l'homme dans notre politique étrangère n'est pas seulement formalisée dans la stratégie de gouvernance développée au travers de nos programmes de coopération, comme le soulignait M. de Rohan. C'est ainsi que les « accords de sécurité intérieure » que nous sommes amenés à négocier avec de nombreux partenaires excluent tout échange de données personnelles avec ceux d'entre eux qui ne donnent pas les garanties requises de respect de l'état de droit.
En outre, une série d'instruments très divers existe. L'attention des ambassades a été appelée sur la situation des défenseurs des droits de l'homme par voie de circulaire. J'ai rappelé l'importance que nos postes devaient accorder à cette question. L'impulsion passe aussi par les déclarations, les discours, les communiqués de presse officiels et leur diffusion dans nos ambassades. Je n'oublie pas non plus les instruments européens que sont les lignes directrices servant de cadre pour les actions en matière de droits de l'homme ; on en dispose sur cinq thèmes très importants : peine de mort, enfants-soldats, torture, défenseurs des droits de l'homme, droits de l'enfant.
Il faut également laisser un peu de souplesse aux ambassades, qui doivent adapter nos directives aux contraintes du terrain. J'observe à cet égard que de plus en plus de chefs de postes choisissent de confier à un diplomate de leur chancellerie politique un suivi spécifique de la question des droits de l'homme dans leur pays de résidence.
En ce qui concerne le suivi des conventions internationales, celles-ci sont très nombreuses et nous avons effectivement du retard en la matière ; c'est un peu la rançon du succès, car nous comptons au nombre des bons élèves qui sont parties à la quasi-totalité des textes internationaux.
Nous faisons tout pour rattraper ce retard. Ainsi, en 2008 et 2009, nous prévoyons de présenter cinq rapports. Le rapport sur la discrimination à l'égard des femmes a été présenté au mois de janvier dernier. Le rapport sur la Convention des droits de l'enfant et le rapport sur le Pacte international sur les droits économiques, sociaux et culturels ont été transmis. Le rapport sur le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et le rapport sur la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants sont en cours de préparation. Comme vous pouvez le constater, nous mettons les bouchées doubles pour être exemplaires !
Monsieur del Picchia, vous avez évoqué la non-ratification de « certains protocoles et conventions ». Je suppose que vous pensiez au protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture et à la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées. Les deux textes sont en cours d'examen au Conseil d'État : celui-ci vient d'émettre un avis favorable sur le premier, tandis que le second, dont la France est à l'origine et figure parmi les premiers signataires, vient de lui être transmis.
Madame Durrieu, vous avez évoqué la laïcité. Il s'agit de la forme typiquement française de protection de l'un des droits de l'homme les plus fondamentaux, la liberté de croyance, qui doit s'entendre comme la liberté de croire ou de ne pas croire. Vous avez raison, madame le sénateur, de souligner qu'elle constitue un fondement, inscrit dans notre Constitution.
Le Président de la République n'a rien dit d'autre dans ses discours prononcés au Vatican et en Arabie saoudite. À Saint-Jean de Latran, il a fait l'éloge d'une laïcité positive, qui est « tout autant que le baptême de Clovis [...] un fait incontournable dans notre pays » ; à Riyad, il a souligné l'importance de « faire en sorte que chacun, qu'il soit juif, catholique, protestant, musulman, athée, franc-maçon ou rationaliste, se sente heureux de vivre en France ».
Ce ne sont pas là des propos complaisants pour ses hôtes. Ils dessinent une ligne d'action politique qu'il avait déjà annoncée dans un livre d'entretiens paru en 2004 et intitulé La République, les religions, l'espérance : elle consiste non pas à prononcer le décès de la laïcité, mais bien au contraire à la vivifier en l'adaptant à des réalités qui ne sont plus les mêmes qu'il y a un siècle.
On peut se demander s'il est normal que l'entretien des édifices des cultes catholique, protestant et juif soit assuré par les communes dans la mesure où ils existaient déjà avant 1905, alors que tel n'est pas le cas des édifices de la religion islamique, religion dont le nombre de pratiquants sur notre sol s'est accru depuis.
Ne pas trouver de solution à ce problème reviendrait à ouvrir la voie à toutes les dérives fondamentalistes et radicales, à un islam des garages. Tel est le sens de la fondation pour l'islam de France, habilitée à recueillir les financements étrangers destinés à créer de nouveaux lieux de culte islamique, dont le Gouvernement vient de favoriser la création.
Je ne veux pas aller plus avant dans la description de cette politique, qui dépend d'abord de ma collègue Michèle Alliot-Marie, chargée des cultes.
Le Président de la République m'a fait l'honneur de me nommer secrétaire d'État au sein du ministère des affaires étrangères. Vous connaissez sans doute ce mot célèbre de Léon Gambetta, pour lequel la laïcité n'est pas un « article d'exportation ». Je ne vois rien d'autre dans le propos présidentiel que la volonté de mieux prendre en considération l'explosion du fait religieux dans les relations internationales, constat qui ne menace en rien la laïcité française. C'est d'ailleurs pour cela que Bernard Kouchner a lancé, au sein de notre ministère, une réflexion sur le sujet visant à renforcer les instruments d'analyse du phénomène religieux.
Vous avez également évoqué le Conseil de l'Europe. Vous avez raison, son rôle est important en matière de défense des droits de l'homme sur un espace européen plus large que l'Union européenne. Vous lui rendez justice parce qu'on en parle trop peu, tout comme la Cour européenne des droits de l'homme ; j'ai reçu les principaux responsables et je suis allée rendre visite aux autres.
Vous avez parlé, madame Durrieu, de la Transnistrie. Nous nous sommes rendues toutes les deux en Moldavie, au mois de juillet. Ce fut d'ailleurs mon premier déplacement à la suite de ma prise de fonction. Croyez bien que le Conseil de l'Europe n'est pas négligé au sein de l'Union européenne, dont les décisions sont complémentaires. Ainsi, le traité de Lisbonne, signé le 13 décembre dernier, ne s'oppose pas au Conseil de l'Europe. Ce traité a pour objet essentiel d'améliorer les traités existants d'Amsterdam et de Nice. Il ne présente pas de caractère constitutionnel et sa ratification ne nécessite pas de référendum. C'est pourquoi, mesdames, messieurs les sénateurs, vous avez avalisé la révision de la Constitution, avant-hier, en vue de cette ratification.
Monsieur del Picchia, je veux, en cet instant, revenir sur vos propos et aborder la notion de réconciliation. Comme vous le savez, le Président de la République a évoqué dans son récent discours au corps diplomatique du 8 janvier une « diplomatie de la réconciliation », qui correspond au fait que « la France doit parler avec tout le monde », attitude qui n'est pas contradictoire avec la promotion et la défense des droits de l'homme, puisqu'elle laisse la porte ouverte aux dirigeants qui voudraient corriger les erreurs du passé. À défaut de gages suffisants, il est mis fin à la politique de réconciliation, comme ce fut le cas avec la Syrie, notamment.
Au terme « rédemption », parfois employé dans la presse, je préfère l'expression « réinsertion dans la communauté internationale », car il est très difficile aujourd'hui pour un pays, quel qu'il soit, de rester durablement isolé dans un contexte de globalisation croissante. Cela ne veut pas dire oubli, amnésie ou, pis, amnistie. Mais il est de l'intérêt des peuples que nous obtenions des résultats immédiatement tangibles pour eux.
Monsieur le sénateur, vous avez évoqué, dans une acception plus restrictive, les « processus de réconciliation ». À mes yeux, ils ne sont pas contradictoires avec les procédures de pénalisation des crimes les plus graves ; ils leur sont complémentaires, comme nous le montrent les modèles argentin et chilien.
Madame Borvo Cohen-Seat, nous aussi, nous pensons à Gaza, au Kenya, aux autres zones de crise. La France mène une diplomatie proactive. De ce fait, elle ne s'interdit rien et elle est présente partout, même en Birmanie, pays très éloigné du nôtre, géographiquement comme culturellement.
Un projet de loi portant adaptation du droit pénal à l'institution de la Cour pénale internationale doit être présenté très prochainement au Parlement ; les arbitrages sont en cours.
Par ailleurs, la France n'a pas à avoir honte de ses trois grandes lois sur le terrorisme de 1986, 1995 et 2006. Ces textes sont appliqués sous le contrôle du juge et ne comportent aucune mesure d'exception, contrairement à ce qui existe dans d'autres pays, comme les États-Unis ; à titre d'exemple, je citerai la prison de Guantanamo. C'est la raison pour laquelle les autres démocraties envient notre dispositif sécuritaire, qui est de surcroît efficace.
J'en viens à votre réquisitoire sans nuance - permettez-moi cette appréciation - relatif aux droits de l'homme, qui seraient, selon vous, bafoués en France. (M. Robert Bret s'exclame.) Heureusement que la liberté d'expression demeure dans notre pays, car elle vous permet de tenir de tels propos !
Vous m'avez d'ailleurs déjà interpellée sur la question, notamment à propos des sans-papiers, par le biais d'un communiqué de presse. Je vous ai reçue le lendemain, pendant une heure, et nous avons pu échanger sur ce sujet ; je ne crois pas vous être apparue comme une dangereuse fasciste.
Madame Goulet, nous connaissons tous le problème posé par la mise en cause systématique d'Israël, au sein du Conseil des droits de l'homme, par les États de l'Organisation de la conférence islamique. Nous savons également qu'Israël est une démocratie, qui présente toutes les caractéristiques d'un État de droit et possède, notamment, une Cour suprême indépendante de l'exécutif. Mais, quelquefois, la situation sur le plan de la sécurité exige des mesures d'exception.
La position de la France vis-à-vis de ce dossier particulièrement complexe est claire : comme l'Union européenne, elle reconnaît l'état préoccupant de la situation des droits de l'homme au Proche-Orient.
Dans ce cadre général, la quatrième convention de Genève relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre impose à l'État d'Israël des obligations en tant que puissance occupante des territoires palestiniens. Israël a le droit de prendre les mesures nécessaires à la protection de sa population contre la violence et le terrorisme, que la France condamne sans réserve. Mais soyez assurée que notre pays rappelle régulièrement à Israël, notamment lors de rencontres bilatérales, mais aussi dans les enceintes multilatérales pertinentes, ses obligations en matière de respect du droit international humanitaire dans les territoires palestiniens.
Cette thématique spécifique s'inscrit dans le cadre plus général des efforts français et européens accomplis en vue de la recherche d'une paix globale, juste et durable au Proche-Orient.
La France et l'Union européenne ont une position claire et constante sur le caractère illégal des activités de colonisation, contraires au droit international et aux engagements pris par Israël au titre de la feuille de route, et facteurs de blocage du processus de paix. Nous considérons qu'une paix juste et durable ne sera possible qu'en reconnaissant aux Palestiniens leur droit à édifier un état viable, tout en garantissant à Israël sa pleine sécurité.
La France a salué la réunion d'Annapolis, le 27 novembre dernier, et la reprise des négociations israélo-palestiniennes en vue d'un règlement final. La conférence internationale des donateurs pour l'État palestinien, que la France a organisée le 17 décembre, a été un succès ; elle a constitué un signal fort du soutien politique et financier apporté à l'Autorité palestinienne. Soyez assurée, madame le sénateur, que nous sommes préoccupés par la situation des populations civiles dans cette région du monde et que nous ne manquerons pas de poursuivre nos efforts en faveur du respect des droits de l'homme dans la région.
Madame Morin-Desailly, je vais terminer par votre intervention, parce que la question de la peine de mort est l'une de celles qui, bien évidemment, me tiennent le plus à coeur.
Vingt-sept ans après l'abolition de la peine de mort en France, qui peut aujourd'hui mettre en doute l'engagement de notre pays en la matière ? Nous sommes les acteurs les plus engagés en faveur de cette cause.
Sur le plan interne, l'inscription de la peine de mort dans la Constitution nous a permis de ratifier les deux instruments internationaux qui proscrivent la peine de mort en toutes circonstances. La France a apporté son haut-patronage, en 2007, au troisième congrès mondial contre la peine de mort, qui s'est tenu à Paris.
Sur le plan international, l'abolition universelle de la peine de mort est une priorité de la politique de l'Union européenne et de la France en matière de droits de l'homme. Des lignes directrices ont été adoptées par l'Union européenne en 1988. Nous effectuons régulièrement des démarches en faveur de cas individuels de condamnés à mort.
Ainsi, après ma prise de fonction, j'ai été amenée à intervenir auprès du gouverneur du Texas en faveur d'un jeune homme âgé de trente ans condamné à mort, dont la peine a été finalement commuée. Ma conviction selon laquelle il est absolument nécessaire d'être vigilant sur la question de la peine de mort s'en est trouvée renforcée.
Aux Nations unies, au mois de décembre dernier, un pas historique a été franchi avec l'adoption, par plus de cent pays, d'une résolution présentée sur l'initiative de l'Union européenne et associant d'autres pays, appelant à un moratoire universel et à l'abolition de la peine de mort. Cela marque un tournant sur le chemin de l'abolition universelle.
Cela démontre aussi que la peine de mort ne se limite absolument pas à notre continent. L'Europe, libérée de la peine capitale, n'en est pas le sanctuaire. Et l'on s'en félicite ! Les abolitionnistes sont en train de gagner la bataille ; c'est un mouvement irréversible, en tout cas j'y crois profondément.
Mais avant de goûter cette victoire de l'humanité sur la barbarie, le chemin à parcourir reste long. Il faut donc, plus que jamais, rester mobilisé. En effet, même affaiblie, la peine de mort reste présente aux États-Unis, en Chine, en Iran, en Arabie Saoudite. C'est une lutte de longue haleine qui sera achevée lorsque sera réalisé le voeu de Victor Hugo, c'est-à-dire son « abolition, pure, simple et définitive ». (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)
M. le président. En application de l'article 83 du règlement, je constate que le débat est clos.
6
Transmission d'un projet de loi
M. le président. J'ai reçu, transmis par M. le Premier ministre, un projet de loi, modifié par l'Assemblée nationale, ratifiant l'ordonnance n° 2007-613 du 26 avril 2007 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine du médicament.
Le projet de loi sera imprimé sous le n° 198, distribué et renvoyé à la commission des affaires sociales.
7
Transmission d'une proposition de loi
M. le président. J'ai reçu de M. le président de l'Assemblée nationale une proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, relative aux conditions de commercialisation et d'utilisation de certains engins motorisés.
La proposition de loi sera imprimée sous le n° 197, distribuée et renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.
8
Textes soumis au Sénat en application de l'article 88-4 de la Constitution
M. le président. J'ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :
- Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative au stockage géologique du dioxyde de carbone et modifiant les directives 85/337/CEE et 96/61/CE du Conseil, ainsi que les directives 2000/60/CE, 2001/80/CE, 2004/35/CE, 2006/12/CE et le règlement (CE) n° 1013/2006.
Ce texte sera imprimé sous le n° E-3774 et distribué.
J'ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :
- Projet de décision-cadre 200./.../JAI du Conseil du ... relative à l'exécution des jugements par défaut et portant modification de :
- la décision-cadre 2002/584/JAI du Conseil du 13 juin 2002 relative au mandat d'arrêt européen et aux procédures de remise entre États membres
- la décision-cadre 2005/214/JAI du Conseil du 24 février 2005 concernant l'application du principe de reconnaissance mutuelle aux sanctions pécuniaires
- la décision-cadre 2006/783/JAI du Conseil du 6 octobre 2006 relative à l'application du principe de reconnaissance mutuelle aux décisions de confiscation
- (la décision-cadre .../.../JAI du Conseil du ... concernant l'application du principe de reconnaissance mutuelle aux jugements en matière pénale prononçant des peines ou des mesures privatives de liberté aux fins de leur exécution dans l'Union européenne).
Ce texte sera imprimé sous le n° E-3775 et distribué.
J'ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :
- Proposition de décision du Conseil concernant la conclusion, au nom de la Communauté européenne, de l'accord relatif aux pêches du sud de l'océan Indien.
Ce texte sera imprimé sous le n° E-3776 et distribué.
J'ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :
- Projet de décision du Conseil sur le renforcement d'Eurojust portant modification de la décision 2002/187/JAI du Conseil du 28 février 2002 instituant Eurojust afin de renforcer la lutte contre les formes graves de criminalité, telle que modifiée par la décision 2003/659/JAI du Conseil.
Ce texte sera imprimé sous le n° E-3777 et distribué.
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Dépôt d'un rapport d'information
M. le président. J'ai reçu de MM. Michel Billout, Claude Biwer et Daniel Reiner un rapport d'information fait au nom de la commission des affaires économiques par la mission d'information portant sur le fonctionnement et le financement des infrastructures de transports terrestres.
Le rapport d'information sera imprimé sous le n° 196 et distribué.
10
ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l'ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au jeudi 7 février 2008 :
À neuf heures trente :
1. Examen des conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi relatif à la rétention de sûreté et à la déclaration d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental.
Rapport (n° 192, 2007-2008) de M. Jean-René Lecerf, rapporteur pour le Sénat.
2. Suite de la discussion du projet de loi (n° 149, 2007-2008) relatif aux organismes génétiquement modifiés (urgence déclarée).
Rapport (n° 181, 2007-2008) de M. Jean Bizet, fait au nom de la commission des affaires économiques.
À quinze heures :
3. Questions d'actualité au Gouvernement.
Délai limite d'inscription des auteurs de questions : jeudi 7 février 2008, à onze heures.
4. Suite de la discussion du projet de loi (n° 149, 2007-2008) relatif aux organismes génétiquement modifiés (urgence déclarée).
Le soir :
5. Sous réserve de sa transmission, discussion du projet de loi autorisant la ratification du traité de Lisbonne modifiant le traité sur l'Union européenne et le traité instituant la Communauté européenne.
Personne ne demande la parole ?...
La séance est levée.
(La séance est levée à vingt-trois heures vingt-cinq.)
La Directrice
du service du compte rendu intégral,
MONIQUE MUYARD