M. Louis Le Pensec. Évidemment !
M. Pierre Mauroy. Par conséquent, l'Europe sociale...
M. Guy Fischer. Elle est inexistante !
M. Pierre Mauroy.... que les citoyens attendent et sur laquelle nous avons tant insisté, est une fois encore la grande oubliée de ce traité, malgré quelques mesures de principe.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Il y a des raisons à cela !
M. Pierre Mauroy. Il faudra donc nous atteler à cette tâche.
D'ailleurs, de façon générale, on pourrait reprocher au traité de Lisbonne que l'application de nombre de ses dispositions, définies comme autant d'intentions, notamment dans les domaines de l'environnement, de l'énergie, de l'harmonisation des normes sociales et budgétaires, des services publics, dépende de la volonté politique des États membres. Par conséquent, la qualité des hommes et des femmes qui seront appelés à exercer de hautes responsabilités au niveau européen aura une importance capitale, cela a été démontré tout à l'heure.
Sur le plan économique, peu abordé dans le traité, on ne voit toujours pas se concrétiser l'émergence, aux côtés de la Banque centrale européenne, d'un gouvernement économique de l'Europe, permettant de remettre la croissance et l'emploi au coeur de la politique économique, en accompagnement de la monnaie unique. Il s'agit là d'un problème essentiel, mais on sait l'opposition irréductible en la matière de quelques États. C'est toujours la même question !
Face à ses faiblesses et à ses insuffisances graves, faut-il pour autant refuser de ratifier le traité de Lisbonne ?
M. Robert Bret. Il le faut !
M. Pierre Mauroy. Il serait illusoire de présenter le traité de Lisbonne comme une sorte de panacée. Il comporte des dispositions positives, mais nombre d'autres qui sont insuffisantes ; par conséquent, il faut faire un choix.
Les sénateurs socialistes, fidèles à une longue histoire européenne constitutive de leur identité, ont estimé que ce nouveau traité contenait des avancées significatives qui justifient un vote positif de leur part, du moins de la grande majorité d'entre eux, comme viennent de le faire les députés socialistes.
Comme en 2005, les socialistes se sont à nouveau divisés sur la question européenne. Pourtant, le traité qui nous est proposé n'est plus une « constitution ». Il se borne à modifier les traités existants, en permettant un fonctionnement de l'Union à vingt-sept dans des conditions meilleures qu'auparavant. Ces dispositions, reprises pour l'essentiel du défunt traité constitutionnel, n'avaient pas soulevé alors d'oppositions majeures.
S'agissant du mode de ratification de ce traité, le parti socialiste et sa candidate à l'élection présidentielle de 2007 avaient souhaité un référendum ; le candidat qui est devenu Président de la République souhaitait le contraire, on s'en souvient. Les parlementaires socialistes ont soutenu, la semaine dernière au Sénat et hier à l'Assemblée nationale, une motion référendaire qui a été rejetée par les deux assemblées. Cette question est donc derrière nous.
Aujourd'hui, l'important est de savoir si les avancées contenues dans le traité modificatif répondent aux besoins immédiats de l'Union européenne. En tant que socialiste, j'ai toujours inscrit mon action politique dans la perspective européenne. Ainsi, en 1983, alors que j'étais Premier ministre, il était tentant de quitter l'Europe en sortant du système monétaire européen, le SME. J'ai convaincu François Mitterrand de renoncer au repli sur soi. Il s'est rallié à la position que je défendais et on connaît la suite.
Aujourd'hui, j'ai la conviction que, malgré ses manques, le traité de Lisbonne renforce la démocratie au sein de l'Union européenne et peut remettre sur les rails le projet européen. Telle est ma conviction, partagée par la majorité du groupe socialiste du Sénat.
Les Européens ont donc un nouveau rendez-vous avec leur avenir. À chaque étape de la construction européenne, les socialistes, parfois majoritaires, parfois minoritaires, ont toujours eu l'intelligence, avec d'autres, d'en être partie prenante. Car l'Europe est partie intégrante de l'identité des socialistes : Jean Jaurès, Léon Blum, François Mitterrand ont toujours porté un message européen, et nous ne l'avons pas oublié.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je pense souvent à la belle phrase de Léon Blum : « Faire l'Europe en pensant au monde ». Plus que jamais, dans le monde globalisé que nous connaissons depuis la chute du mur de Berlin en 1989, quel destin une puissance moyenne comme la France peut-elle espérer se forger seule ?
M. Robert Bret. Personne ne le propose !
M. Pierre Mauroy. Il faut répondre à cette question !
M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. Tout à fait !
M. Jean-Luc Mélenchon. Il faut aussi savoir aimer la France !
M. Pierre Mauroy. Face à la montée des dangers et à l'émergence rapide de puissances nouvelles, comme la Chine ou l'Inde - que nous saluons, d'ailleurs -, comment ne pas voir que seule la poursuite de la construction européenne - la France devrait y jouer un rôle moteur - est la seule voie pour affronter des défis comme la croissance économique, la compétition mondiale, la régulation des marchés financiers, la lutte contre le réchauffement climatique, la protection sociale des citoyens européens contre les excès du marché, la paix dans le monde ?
M. Dominique Braye. Très bien !
M. Robert Bret. C'est mal barré !
M. Pierre Mauroy. Plutôt que de nous livrer à des débats juridiques où nous trouvons quelque plaisir, nous devrions répondre à ces questions !
M. Louis Le Pensec. Très bien !
M. Pierre Mauroy. Je pense que, dans le monde d'aujourd'hui, c'est l'Europe qui peut nous y aider et qu'il n'existe pas d'autre solution !
M. Dominique Braye. Très bien !
M. Pierre Mauroy. Certes, ce traité ne répond pas à tous ces défis, mais ses dispositions vont dans le bon sens.
Il lève une hypothèque sur l'exigence, désormais, de bâtir un projet porteur de sens pour le XXIe siècle. Cette exigence devrait être au coeur de la prochaine bataille des élections européennes de 2009, dont l'enjeu sera plus important que jamais.
Je ne résiste pas à la tentation de vous rappeler quelques paroles prononcées par François Mitterrand en 1995, devant le Parlement européen :
« Ce dont il s'agit, c'est bien d'assurer à l'Europe la place et le rôle qui lui reviennent dans un monde à construire, une Europe puissante économiquement et commercialement, unie monétairement, active sur le plan international, capable d'assurer sa défense, féconde et diverse dans sa culture. Cette Europe-là sera d'autant plus attentive aux autres peuples qu'elle sera plus sûre d'elle-même. »
Cela dépend de nous !
M. Dominique Braye. Très bien !
M. Pierre Mauroy. Nous n'y sommes pas encore, mais ces propos demeurent d'une actualité brûlante. Ils résument la conception que se font les socialistes de l'Europe, une Europe qui s'affirme comme une puissance politique dotée d'institutions renforcées, plus efficaces et plus démocratiques, une Europe qui protège et favorise le progrès social et stimule la croissance.
La réalisation de ce projet exigera de nous et de la France encore beaucoup d'efforts, que notre pays devra prendre en compte, monsieur le secrétaire d'État, au cours de sa présidence de l'Union européenne, qui débutera en juillet prochain.
La réalisation de ce projet passe aujourd'hui par la porte étroite de la ratification du traité de Lisbonne, que le groupe socialiste du Sénat, à une forte majorité, va approuver.
Nous le faisons avec les réticences que j'ai exprimées, mais aussi avec la conviction, que je crois largement partagée, d'accompagner ainsi le lent et décisif accomplissement de l'histoire. L'Europe est un chemin difficile, mais elle est notre plus grande chance au début de ce siècle. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE et du groupe socialiste.)
M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Jean Bizet.
M. Jean Bizet. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, il y a quelques jours, le Congrès, réuni à Versailles, a modifié notre Constitution, afin de rendre possible la ratification par le Parlement du traité de Lisbonne. Il s'agissait d'une révision a minima, strictement limitée aux points de contradiction relevés par le Conseil constitutionnel et adoptée à une très large majorité. En quinze ans, la Constitution a été modifiée à six reprises pour permettre l'approfondissement du projet européen.
La voie est donc ouverte aujourd'hui à la ratification de cet important traité, et par conséquent à son entrée en vigueur lorsque nos partenaires européens auront accompli le même processus que nous. Cela doit permettre à l'Union européenne de sortir par le haut de la crise de confiance dans laquelle elle était plongée depuis les référendums français et néerlandais.
Il s'agit d'un accord politique de premier plan, qui marque non seulement la fin d'une période d'incertitude institutionnelle, mais également des avancées démocratiques importantes et nouvelles au bénéfice des citoyens et des parlements nationaux.
Le nouveau traité, « modificatif » pour les uns, « simplifié » pour les autres, apporte des amendements aux traités antérieurs que la France a ratifiés depuis 1957 : je pense bien sûr au traité de Rome, à l'Acte unique européen, aux traités de Maastricht, d'Amsterdam ou de Nice. En procédant ainsi, le Conseil européen a choisi de recourir de nouveau à la méthode traditionnelle des avancées européennes.
Il ne s'agit donc pas d'un texte nouveau qui définit tous les équilibres institutionnels et toutes les politiques de l'Union européenne en les gravant dans le marbre constitutionnel ; il s'agit d'apporter les modifications indispensables pour que l'Union européenne puisse mieux décider et agir.
Le traité de Lisbonne est d'abord un outil avant d'être un projet européen à long terme. Il n'est pas de même nature que le « traité constitutionnel », qui tendait à changer la nature même de la construction européenne, faisait table rase des anciens traités et présentait une constitution pour l'Europe. Ce n'est pas le cas ici, et cela justifie en grande partie le choix de le ratifier par la voie parlementaire. Ce choix correspond aussi à une promesse du Président de la République faite aux Français lors de la campagne présidentielle, promesse que nous tenons aujourd'hui.
Pour entrer en vigueur le 1er janvier 2009, et s'appliquer ainsi aux élections européennes de juin 2009 et à l'investiture de la future Commission européenne, le traité devra être ratifié d'ici là par les vingt-sept États membres. Il faut donc faire vite ; c'est pourquoi le Président de la République a engagé la procédure de ratification le jour même de la signature du traité, en saisissant immédiatement le Conseil constitutionnel.
Il nous faut donc aujourd'hui franchir une nouvelle étape, après avoir inscrit dans notre Constitution les avancées du traité de Lisbonne. Je ne reviendrai pas sur les principaux éléments de ce traité, largement commentés par notre excellent rapporteur, M. Jean François-Poncet, et par le président de la délégation pour l'Union européenne, M. Hubert Haenel.
Cependant, je crois qu'il faut insister sur les mesures qui donnent de nouveaux droits au Parlement européen comme aux parlements nationaux. Les prérogatives du Parlement européen seront accrues, dans la procédure législative européenne, par le renforcement de la codécision et l'extension du champ du vote à la majorité qualifiée.
Je rappelle que le Parlement européen est l'organe d'expression démocratique et de contrôle politique de l'Union européenne. Le renforcement de ses pouvoirs en fait l'institution la plus sensible aux intérêts des collectivités locales.
Depuis l'Acte unique européen de 1987, les compétences de cette assemblée n'ont cessé de s'étendre. Avec le traité de Maastricht, la procédure de codécision l'élève réellement au rang de colégislateur, à égalité avec le Conseil des ministres de l'Union européenne, et nous savons que les domaines régis par la procédure de codécision touchent souvent de près les collectivités territoriales.
Après l'entrée en vigueur du traité de Maastricht, cette procédure concernait, entre autres domaines, l'établissement et la prestation des services, les réseaux transeuropéens, l'environnement, la culture, ou encore la santé.
Le traité d'Amsterdam a, quant à lui, élargi l'application de cette procédure au Fonds européen de développement régional, le FEDER, à l'emploi, à la politique sociale...
Le traité de Lisbonne, pour sa part, étend encore le champ de la procédure de codécision. Celle-ci devient la procédure ordinaire. Elle élargit ainsi les compétences du Parlement européen et favorise donc indirectement la prise en compte des intérêts des collectivités locales dans le processus décisionnel communautaire.
Il ne serait peut-être pas inutile qu'à l'avenir le Sénat, représentant constitutionnel des collectivités territoriales, entretienne de façon plus institutionnelle des relations avec le Parlement européen ; M. Haenel a très clairement souligné ce point tout à l'heure.
M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. Merci !
M. Jean Bizet. Autre point à noter, le passage à la majorité qualifiée, immédiat ou différé, dans des domaines jusqu'alors régis par la règle de l'unanimité. Les nouveaux transferts portent, par exemple, sur la coopération judiciaire en matière pénale, mais aussi sur la création d'un parquet européen compétent pour poursuivre les auteurs d'infractions portant atteinte aux intérêts financiers de l'Union européenne.
Je tiens à dire, à ce sujet, que l'apport majeur du traité de Lisbonne en matière de justice est la construction de l'espace judiciaire européen. Depuis 1977, date de la première évocation de cette notion, très peu d'outils communs ont été mis en place. Je tenais à saluer ce progrès, qui aura sûrement un effet d'entraînement pour d'autres dossiers qui mériteraient de connaître de semblables avancées, notamment en matière de justice et d'affaires intérieures.
Les nouvelles prérogatives que le traité reconnaît aux parlements nationaux forment une autre série de dispositions remarquables. C'est un point très important et qui doit être apprécié à sa juste valeur, s'agissant d'un sujet cher à M. Haenel.
Les parlements nationaux disposeront désormais de prérogatives renforcées dans la construction européenne. C'est la première fois qu'un article spécifique est consacré aux parlements nationaux dans un traité. Je vous en donne lecture : « Les Parlements nationaux contribuent activement au bon fonctionnement de l'Union. »
M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. Et c'est vrai !
M. Jean Bizet. Tout parlement national pourra s'opposer à la procédure de révision simplifiée des traités. En outre, l'Assemblée nationale ou le Sénat pourront s'adresser directement aux institutions européennes lorsque des projets d'acte leur paraîtront en contradiction avec le principe de subsidiarité. Cette prérogative permettra à une majorité de parlements nationaux de s'opposer à une proposition de la Commission européenne qui empiéterait sur les compétences des États membres.
Par ailleurs, une possibilité de recours devant la Cour de justice des Communautés européennes sera ouverte, qu'il conviendra d'utiliser avec discernement, le principe de subsidiarité ne devant pas servir de prétexte pour mettre en échec la construction européenne.
Avec ce traité, la légitimité de la construction européenne sera élargie et renforcée, et nous devons nous en féliciter. Ces progrès contribuent à démocratiser l'Europe et à développer une véritable vie politique européenne, à laquelle nous avons le devoir de participer et que nous devons animer.
Je crois utile de rappeler que, pour la première fois, l'Union européenne se fixe pour objectif de protéger ses citoyens dans le cadre de la mondialisation. Ce point a été évoqué par un certain nombre d'entre nous, notamment par M. Jean François-Poncet. Les préoccupations exprimées par les Français ont été entendues.
La concurrence ne sera plus un objectif en soi pouvant fonder les politiques de l'Union européenne, mais elle sera utilisée comme un outil au service des consommateurs. Nous verrons bien quelle sera l'évolution de la jurisprudence des juridictions européennes à cet égard.
Une autre mesure prévoit que les services publics seront protégés par un protocole ayant même valeur que les traités, et une clause sociale générale impose de prendre en compte des critères sociaux dans la mise en oeuvre de l'ensemble des politiques de l'Union européenne.
Enfin, s'agissant des avancées nouvelles, je veux insister sur les progrès que comporte le traité en matière de politique étrangère et de sécurité commune, au service d'un accroissement du rôle de l'Europe dans le monde. Cela a été nettement mis en lumière par M. de Rohan.
Le traité de Lisbonne ne représente pas le traité idéal dont beaucoup d'Européens rêvent, et il est, sous quelques aspects, en retrait par rapport au projet constitutionnel issu des travaux de la Convention européenne, mais il a le mérite d'exister. Il résulte d'une négociation difficile et représente le maximum atteignable dans les circonstances actuelles. C'est dans les situations de ce genre que l'on peut distinguer ceux qui souhaitent faire progresser l'unité européenne et ceux qui préfèrent le succès de leurs thèses et de leurs intérêts.
Soutenir ce traité est d'autant plus nécessaire que le chemin menant à son entrée en vigueur n'est pas simple. La ratification n'est pas encore acquise partout, et la mise en oeuvre des réformes institutionnelles comporte pas mal de pièges, comme l'a rappelé dans son rapport notre collègue Jean François-Poncet.
À côté des incertitudes - très relatives - sur la ratification du traité de Lisbonne, le vrai problème concerne à mon sens la mise en oeuvre des réformes institutionnelles introduites. Leur application soulève un certain nombre de difficultés, que nous allons devoir analyser rapidement. Ce travail incombera en grande partie à la présidence française de l'Union européenne.
Ce n'est pas un hasard si le Conseil européen a décidé que les « travaux techniques » sur la mise en oeuvre des dispositions institutionnelles du traité de Lisbonne « commenceront à Bruxelles en janvier sur la base d'un programme de travail qui sera présenté sous l'autorité du futur président du Conseil européen », c'est-à-dire le Premier ministre slovène. Les chefs d'État ou de gouvernement avaient ainsi reconnu que les innovations institutionnelles, ou du moins certaines parmi elles, impliquent des difficultés ou suscitent des problèmes qui méritent réflexion.
L'un des aspects essentiels des innovations institutionnelles tient à la création d'une présidence durable du Conseil européen. Elle a été accueillie en général de façon positive, y compris par le Parlement européen, mais des craintes existent toujours que le président de longue durée ne se dote, pour préparer les sommets, d'une structure nouvelle à caractère intergouvernemental, en dehors des institutions communautaires.
Nous verrons à l'expérience, mais il est d'une importance majeure de consacrer l'année 2008 à la mise en oeuvre de ces changements avant d'envisager d'autres chantiers, qui ne font pas l'unanimité dans l'Union européenne et dont l'ouverture pourrait se révéler une erreur en raison d'un pilotage déficient. Je pense bien sûr ici, vous l'avez compris, au projet d'Union méditerranéenne. L'initiative française a eu le mérite de relancer le débat et de placer les relations euro-méditerranéennes au centre de l'actualité. C'est loin d'être négligeable, mais, de toute évidence, la politique méditerranéenne est une question européenne, qui doit être traitée dans l'intérêt de tous.
Tout devra donc être préparé en temps utile afin que les innovations décidées se concrétisent dans de bonnes conditions. Nous devons regarder en avant. Il y va de la réussite de la future présidence française de l'Union européenne. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Nicolas Alfonsi.
M. Nicolas Alfonsi. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le traité dont on nous demande d'autoriser la ratification aujourd'hui est d'une nature particulière puisqu'il emporte des transferts de compétence. Nous avons réglé ce problème ces derniers jours en adoptant le projet de loi constitutionnelle modifiant le titre XV de la Constitution, dans les deux assemblées, puis au Congrès.
Beaucoup d'arguments de fond ayant été invoqués lors de la discussion de ce texte - j'avais évoqué, quant à moi, des questions juridiques - pour justifier la position de la majorité d'entre nous, je ne fatiguerai pas notre assemblée en les reprenant à cette heure tardive et me contenterai de formuler deux observations qui me paraissent essentielles.
La première concerne la procédure de ratification. Fallait-il un référendum ? Nombre d'entre nous ont été, à juste raison, troublés dans la mesure où, comme l'a indiqué le président Valéry Giscard d'Estaing, les outils du traité de Lisbonne sont pratiquement les mêmes que ceux de la Constitution européenne. Nous sommes en quelque sorte dans une opération à la découpe. La Constitution amoindrie et réduite a donné naissance à ce traité.
Les scrupules que certains peuvent avoir à passer par la voie parlementaire, en évitant le spectre du référendum, alors que le peuple s'est prononcé une première fois, doivent être dissipés parce qu'ils pèsent sur le débat.
Tout d'abord, il s'agit d'un traité. Ensuite, le principe de réalité doit reprendre tous ses droits si nous voulons, comme l'a dit Pierre Mauroy, relancer l'Europe. Enfin, il faut prendre en considération les pouvoirs dont dispose le Président de la République. Ses décisions ou ses choix ne peuvent en aucun cas être subordonnés à l'hypothèque d'une décision antérieure, prise par quelqu'un d'autre.
L'approbation parlementaire est donc une bonne chose.
Deuxième observation, les avancées du traité sont tout de même considérables.
On peut se réjouir de disposer dorénavant d'un président élu pour deux ans, voire pour cinq ans. C'est en quelque sorte une réponse aux sarcasmes d'Henry Kissinger qui demandait : « L'Europe, quel numéro de téléphone ? ». Dorénavant, l'Union européenne aura un représentant bien identifié sur la scène internationale.
On peut aussi se réjouir de l'octroi à l'Union de la personnalité juridique, de la création d'un Haut représentant pour les affaires étrangères, du développement de la codécision législative et de l'intégration de la charte des droits fondamentaux, même si la Grande-Bretagne émet des réserves sur ce sujet.
Il faut insister sur les points de nature à rassurer ceux, qui, dans leur diversité, ont voté « non » en 2005. Ainsi, je rappelle que, comme la France l'avait demandé, la concurrence libre et renforcée n'est plus un objectif de l'Union, et le protocole sur les services d'intérêt général préserve la compétence des États membres, ce qui est un progrès considérable.
Certes, certains éléments ont été retirés du traité : c'est notamment le cas des symboles, le drapeau et l'hymne, auxquels Pierre Mauroy a fait allusion. Mais croyez-vous que la bannière bleue étoilée sera réellement ôtée des bâtiments ? Je ne le pense pas, car les symboles ont la vie dure. N'oublions pas comment Bismarck a fait disparaître le privilège qu'avait le représentant de l'Autriche de fumer le cigare à la Diète de Francfort...
M. le rapporteur et M. le secrétaire d'État ont exprimé leurs réserves sur ce traité, s'agissant notamment du fonctionnement des institutions. Le traité est effectivement extrêmement complexe, et l'articulation entre les quatre piliers ne sera pas chose simple. Par ailleurs, nous avons bien conscience qu'en matière de gouvernance économique, par exemple, face à des pays tels que l'Inde ou la Chine, la maîtrise de certains éléments nous échappe. Et avons-nous les moyens pour lutter contre les mafias ?
En quelque sorte, avec le traité de Lisbonne, l'approfondissement rattrape quelque peu l'élargissement, mais on peut redouter que celui-ci ne reprenne sa course en tête. Nous serions alors obligés de tenter de rattraper un élargissement sans fin, que certains des intervenants ont pu évoquer. Sur cette question, j'ai déjà eu l'occasion d'exprimer mes réserves sur l'adhésion de la Turquie, et je n'avais pas voté l'adhésion de la Roumanie et de la Bulgarie à l'Union.
Monsieur le secrétaire d'État, vous avez plaidé pour la suppression de l'exigence du référendum avant tout élargissement. Je suis opposé à l'adhésion de la Turquie, mais je me demande quel pourrait être, demain, le crédit de la France si, après avoir « promené » la Turquie pendant dix ans, elle lui refusait in extremis, par référendum, l'entrée dans l'Union ? Il y va de l'honneur de notre pays, de son crédit, de sa réputation.
« Je forme une entreprise qui n'eut jamais d'exemple », a écrit Jean-Jacques Rousseau dans Les Confessions. C'est le cas de l'entreprise qu'engagèrent les pères fondateurs de l'Europe, qui ont aujourd'hui disparu, sauf Maurice Faure, à qui nous devons rendre hommage. Il nous faut poursuivre cette entreprise. « Ami, il n'y a pas de chemins ; c'est en marchant qu'on les trace », dit un proverbe espagnol. Le RDSE, dans sa quasi-unanimité, empruntera ce chemin. (Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP. - M. Pierre Mauroy applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Marie-Christine Blandin.
Mme Marie-Christine Blandin. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, à l'échelle de la planète, nos destins sont liés et nous voulons en garder la maîtrise collective.
L'Europe des peuples, les Verts la veulent ardemment. En tant qu'Européens et démocrates convaincus, nous avions souhaité en 2005 que se tienne une consultation transnationale des populations à l'initiative des institutions communautaires, car il fallait donner d'emblée le signe que nous devions construire un projet commun. Cela n'a pas été possible et nous avons tiré, pour notre part, les leçons du mécontentement majoritaire des Français.
Tandis que certains voyaient dans le traité un outil d'un changement, l'aspiration des uns à un monde meilleur et le recul nationaliste des autres se sont cristallisés dans le refus de la Constitution européenne en 2005.
L'Europe s'est réveillée grippée.
L'impasse institutionnelle nous oblige à revenir à un scénario de compromis qui se doit de satisfaire les dix-huit pays qui ont approuvé le texte tout en prenant en compte les réticences des pays les plus eurosceptiques et les exigences des citoyens. Mais la diplomatie secrète des conseils a pris le dessus sur le débat public.
La moindre des choses était donc de soumettre le nouveau traité à un référendum. La démarche qui sous-tend le raisonnement du Gouvernement : « s'il existe une éventualité que le peuple dise non, alors on ne lui pose pas la question », est inadmissible !
Le traité quelque peu modifié, mais non simplifié, ne dessine certes pas l'Europe de nos rêves - il reste quelques hypothèques à lever -, mais il traduit une persévérance dans la vision d'un espace élargi, en paix, un espace qu'il faut maintenant « labourer » pour faire émerger un mieux-disant social et environnemental.
Il y a des innovations institutionnelles. Elles ont été largement évoquées : règles de vote à la majorité, rôle renforcé du Parlement européen par le vote du budget de la défense et codécision, ce qui aurait pu nous épargner, en 2005, les OGM en plein champ ! Hélas, la future politique agricole commune sera élaborée selon les anciennes règles.
Le droit d'initiative législative populaire est maintenu.
Nous accueillons favorablement une véritable présidence, la création d'un Haut représentant pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, le resserrement du nombre de commissaires. À la place d'un camaïeu de désignations opportunistes, nous souhaitons que les quinze prochains commissaires travaillent en meilleure intelligence avec le Parlement européen.
Après la médiatisation de la conférence de Bali, nous voulons une Europe qui donne le « la » au plan international sur l'urgence d'une prise en compte sérieuse des changements climatiques et sur la nécessité d'une solidarité en matière énergétique.
Nous sommes attachés à nos services publics. Les dispositions des traités ne portent pas atteinte à la compétence des États membres. Les services d'intérêt général dépendent des États. La Confédération européenne des syndicats s'est battue pour imposer que les États aient la responsabilité de les fournir et de les financer.
L'Europe des peuples, certes nous la voulons, mais pas à n'importe quel prix. Nous la voulons sociale, démocratique, et écologique, qui parle fort au coeur des citoyens. Edgar Morin parlerait avec sens d'un projet de « civilisation ».
Alors que la Turquie, pays où les femmes votent depuis 1934, est sommée de se montrer plus laïque, notre Président de la république s'interroge sur les bienfaits de la religion sur la stabilité des sociétés. Au lieu de nous égarer sur des racines religieuses hier nouées dans le sang (Mme Dominique Voynet applaudit.), laissons ces convictions relever du domaine de l'intime et développons au niveau européen l'ambition d'une compétence culturelle nourrie de diversité, d'échanges, de parcours individuels et de mémoire collective. Fouillons ce qui fait richesse et lien, et non ce qui exacerbe les défiances. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Il y a honte, à la veille de la présidence française, de forger le tout-répressif, fichage ADN en prime - j'espère qu'on ne l'exportera pas à Bruxelles ! - mettant côte à côte des populations exsangues fuyant les conflits armés et les désordres climatiques, et les citoyens convaincus des bienfaits de la solidarité, criminalisés, fichés, dans le cauchemar d'une Europe barbelée.
L'article 11 dispose : « Les droits de l'homme et la démocratie sont un fondement de la politique extérieure de l'Union européenne. »
Il y a honte aussi pour la France à intervenir auprès de Bruxelles pour minorer l'ambition européenne du règlement sur l'enregistrement, l'évaluation, l'autorisation, et les restrictions des substances chimiques, appelé REACH, qui est le registre des caractéristiques toxiques de certaines de ces substances ! (Mme Dominique Voynet et M. Jacques Muller applaudissent.)
Avec la mondialisation, les guerres et les perturbations climatiques, des milliers de réfugiés affluent. Nous sous-traitons la répression ; hors de notre vue, des camps sont érigés, grâce à des financements européens, pour maintenir en périphérie les familles en quête de survie. Si ces réfugiés sont à nos portes, c'est que rien dans notre prétendue oeuvre civilisatrice et dans nos échanges commerciaux inéquitables ne leur a permis de rester sereinement chez eux. Ainsi, l'exode des sans-papiers du Congo est le résultat des forêts ravagées pour nos salons en teck !
Les Verts travaillent à une politique de prévention des conflits qui articule clairement le défi humaniste, la justice sociale et la solidarité avec le Sud. Mais cette politique est incompatible avec la prolifération nucléaire, l'impunité pour les pilleurs, le manque d'énergie face aux corruptions et la course aux armements.
Le Grenelle de l'environnement a débouché, grâce au dialogue, sur des propositions ambitieuses. La cérémonie déclarative, placée sous les auspices de MM. José Manuel Barroso et Al Gore, ouvre une responsabilité nouvelle : pour commencer, nous nous devons de respecter intra muros les leçons que nous nous sommes permis de donner aux autres ! Pour l'instant, en matière d'OGM, le Grenelle se fracasse sur la majorité sénatoriale. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
L'esprit de bonne gouvernance a permis de mettre en valeur l'apport des usagers, des citoyens et de leur relais associatifs.
À quand un statut européen pour les associations ? À quand également le respect des directives sur la préservation de la nature, l'accès à l'information, la protection de l'eau et la gestion des déchets ?
La présidence française sera l'heure de vérité. Le renforcement du rôle du parlement européen va de pair avec celui des parlements nationaux. Ceux qui, hier encore, se défaussaient en usant de la rhétorique classique : « C'est la faute de l'Europe » devront se responsabiliser.
C'est une chose de plaider à Bruxelles pour la préservation des réserves halieutiques, c'en est une autre d'annoncer des levées de quotas de pêche à Boulogne !
C'est une chose de se proclamer le champion des énergies renouvelables, c'en est une autre de relancer le nucléaire.
C'est une chose d'envisager une politique agricole commune durable, sans pesticides, respectueuse de la biodiversité,...
M. Dominique Braye. Grâce aux OGM !
Mme Marie-Christine Blandin.... de l'emploi et de la santé, c'en est une autre d'engager des négociations au cas par cas sans éco-conditionnalité.
Ce sont les mêmes qui, le coeur sur la main, promeuvent les OGM au nom de la sécurité alimentaire...
M. Dominique Braye. Pour lutter contre les pesticides !
Mme Marie-Christine Blandin.... et font du lobbying pour les agrocarburants ! (Mme Dominique Voynet applaudit.) Le rapport de Jean Ziegler, expert des Nations unies, a pourtant montré que la production de ce type d'énergie pour les plus riches entraînait la confiscation des terres au détriment des cultures alimentaires des plus pauvres. (Mme Dominique Voynet applaudit.)
M. Sarkozy soutient l'idée d'un « new deal écologique » à l'échelon européen et de taxes sur les produits importés des pays qui ne respectent pas le protocole de Kyoto. Nous verrons ce qu'il fera des propositions européennes vertes d'éco-conditionnalité. Taxons également les produits fabriqués dans des conditions non conformes aux règles du Bureau international du travail !
Ces mesures obligent l'Europe à refondre les règles de l'OMC ? Allons-y !
La France qui, isolée, plaide pour la levée de l'embargo sur les ventes d'armes à la Chine aura bientôt, nous l'espérons, l'occasion de renoncer à cette proposition déshonorante et dangereuse.
L'Europe est fragile parce que ses relations sont placées sous le prisme exclusif de l'économique, ce qui s'est révélé être une impasse.
Nous réaffirmons notre soutien à une Europe culturelle, vertueuse, solidaire et audible dans le monde.
Je souligne que 80 % des sénateurs Verts sont présents sur nos travées ce soir. (Rires sur les travées de l'UMP.)