M. Dominique Braye. Quel humour !
Mme Marie-Christine Blandin. La codécision, l'initiative citoyenne, le renforcement du Parlement nous donnent des outils. À nous ensuite d'assortir d'exigences élevées notre vote - qu'il soit de refus parce qu'il n'y a pas eu référendum ou parce que le compte n'y est pas, ou qu'il soit de soutien parce que nous avons bien l'intention d'en faire quelque chose - pour rendre espoir et avenir aux 492 646 492 habitants que compte l'Europe. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
M. Dominique Braye. Je vous applaudis parce que vous nous avez fait bien rire !
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'État. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens à remercier M. le président de la commission des affaires étrangères, M. le président de la délégation pour l'Union européenne, ainsi que M. le rapporteur, pour son rapport exhaustif et extrêmement précis, ainsi que l'ensemble des orateurs de leurs interventions de grande qualité.
Je répondrai d'abord sur la nature du débat et sur sa portée, évoquées notamment par M. Bret.
La démocratie parlementaire est un élément fondamental du pacte républicain. La démocratie et la souveraineté nationale s'expriment parfaitement dans cet hémicycle. La légitimité du Parlement ne varie pas en fonction des sujets ou des sondages. Il convient de le rappeler ici solennellement. C'est d'ailleurs ce que pensent tous nos partenaires européens, qu'ils aient voté « oui » ou qu'ils aient voté « non », comme les Pays-Bas, et quelle que soit la sensibilité de leurs gouvernants.
Par ailleurs, tous considèrent que ce traité, quelles que soient ses différences avec le traité constitutionnel n'est plus de nature constitutionnelle. (M. Michel Charasse s'exclame.) Tous les organes des différents pays qui ont eu à se prononcer sur ce point l'ont très clairement indiqué.
Enfin, il faut le répéter, le Président de la République a pris ses risques, il a fait montre de courage et n'a fait preuve d'aucune ambigüité à l'égard de nos concitoyens, à un moment où cela n'était pas évident.
Nous avons eu, monsieur Bret, tout le temps de discuter de ce traité depuis le mois de juin dernier.
M. Robert Bret. Je parlais du peuple français !
M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'État. Vous le savez, je me suis tenu à la disposition de la délégation pour l'Union européenne de la Haute Assemblée. Le débat a lieu depuis 2005 au moins. Les travaux de la commission intergouvernementale ont été présentés ici-même le 4 juillet dernier. J'ai eu l'occasion, à de nombreuses reprises, d'en parler avec vous. J'ai également été présent tout au long des débats sur le projet de loi constitutionnelle modifiant le titre XV de la Constitution, qui a permis à chacun de s'exprimer longuement sur le traité de Lisbonne, comme l'a rappelé Nicolas Alfonsi.
La ratification du traité de Lisbonne permettra de rendre l'Europe plus politique. C'est l'Europe qui protège le mieux contre les spéculations financières internationales - M. Mauroy l'a rappelé - et qui protège le mieux les citoyens dans la mondialisation.
Cela figure d'ailleurs explicitement dans le traité lui-même. La protection des citoyens, voilà un nouvel objectif pour l'Union !
J'observe, et je m'en réjouis, que la très grande majorité des intervenants, quelle que soit leur sensibilité - M. le rapporteur, M. le président de la commission des affaires étrangères, M. le président de la délégation pour l'Union européenne, M. Blanc, M. Mercier, M. Mauroy, en des termes choisis et émouvants, M. Bizet, M. Alfonsi et même Mme Blandin - se sont félicités de la fin de la panne institutionnelle et du renforcement des institutions. (M. Dominique Braye applaudit.)
M. Josselin de Rohan a parfaitement souligné les avantages que présente ce traité en matière de politique extérieure et de défense en structurant mieux les coopérations. Monsieur Retailleau, il ne s'agit donc pas d'un traité d'esprit fédéraliste.
Améliorer le fonctionnement des institutions et renforcer leur caractère démocratique constituent véritablement la marque de fabrique, l'essence du traité.
M. Jean François-Poncet, et je l'en remercie, a détaillé les modalités de fonctionnement de ces nouvelles institutions. Le nouveau traité fixe en effet un nouvel équilibre, qui nécessitera des travaux avec nos partenaires, en vue de préparer son entrée en vigueur, comme vous l'avez souligné, monsieur le rapporteur. Je sais que nous n'aurons pas le temps de tout faire durant la présidence française, mais nous prendrons avec nos partenaires toutes les décisions nécessaires à l'entrée en vigueur du traité le 1er janvier 2009. Les présidences tchèque et suédoise, qui nous succéderont, auront également un rôle à jouer dans sa mise en oeuvre. Nous travaillerons pour répondre aux questions que vous avez tout à fait légitimement posées ce soir.
Comme M. Haenel, comme vous-même, monsieur le rapporteur, comme M. Mauroy, je crois au génie des institutions, ainsi qu'à celui des hommes et des femmes qui les incarnent ou les incarneront dans le futur.
D'autres questions ont été abordées ce soir.
Le rôle des parlements nationaux est renforcé, notamment en ce qui concerne les politiques de la justice et de la coopération policière. Les parlements nationaux auront la possibilité de faire valoir leurs vues en ces domaines.
L'Europe de la défense, lorsqu'elle sera mise en oeuvre, reposera nécessairement sur les États. Elle sera essentiellement de nature intergouvernementale et sera naturellement soumise au contrôle des parlements nationaux.
J'en viens au contrôle des compétences de l'Union, monsieur Retailleau. Le contrôle de la subsidiarité est à l'évidence renforcé par les dispositions que je viens d'indiquer. J'ajoute - et c'est un élément de clarification et de simplification qu'apporte le traité - que les compétences respectives de l'Union et des États membres sont désormais clairement identifiées, comme l'ont souligné MM. de Rohan et Mauroy.
Le traité permet également d'autres avancées.
Je tiens à souligner, ainsi que M. Blanc l'a fait, la reconnaissance du rôle consultatif du Comité des régions, ainsi que l'intégration des éléments relatifs à la cohésion économique, sociale et territoriale. C'est très important pour certaines zones, en particulier pour les collectivités territoriales d'outre-mer.
M. Mauroy, notamment, s'est interrogé sur le Royaume-Uni et la Pologne. Il est vrai qu'on peut regretter les clauses dites « opt-out » et « opt-in », mais qui dit possibilité de sortir dit aussi possibilité d'entrer. Jusqu'à présent, les États qui ne souhaitaient pas participer à une coopération pouvaient la bloquer. Aujourd'hui, le traité empêche ces pays de bloquer les coopérations dans un certain nombre de domaines. C'est là une avancée qui me paraît tout à fait fondamentale.
Je dirai maintenant un mot sur les relations avec les pays dits « du voisinage » : le traité comporte un nouvel article, l'article 8, qui nous permettra de développer une politique en direction de ces pays. Cette politique a déjà été relancée par la présidence allemande.
Comme l'a souligné M. Retailleau, la question des frontières doit être clarifiée. C'est pourquoi nous avons demandé et obtenu, lors du dernier Conseil européen, qu'un groupe, présidé par Felipe Gonzáles, soit chargé de réfléchir à cette question.
Monsieur Retailleau, les arguments que vous avez invoqués font partie des motifs extrêmement importants qui ont conduit le Président de la République à indiquer très clairement que la Turquie n'avait pas vocation à adhérer à l'Union européenne.
M. Bruno Retailleau. Très bien !
M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'État. En ce qui concerne le recours systématique au référendum dans le cadre de l'article 88-5 de la Constitution, je me suis exprimé à titre personnel, d'une manière générale et sans viser tel ou tel pays.
En conclusion, je dirai que le traité de Lisbonne n'est pas la panacée, comme vous l'avez souligné, monsieur Mauroy, mais qu'il constitue une avancée majeure, qui permettra de prolonger l'oeuvre des grands européens qu'ont été tous les dirigeants français depuis la signature du traité de Rome, de tous les Européens qu'ont été Valéry Giscard d'Estaing, Jacques Delors et vous-même, monsieur le Premier ministre, qui avez fait des choix courageux en 1983. Tous s'accordent à dire, et nous avec eux, qu'il faut faire l'Europe en pensant au monde. En effet, ce n'est pas l'Europe qui est boulimique, comme cela a été dit, c'est le monde.
Comment se protéger face aux immenses défis qu'a soulignés Mme Blandin, par exemple, dans un monde qui est aujourd'hui plus dur, plus complexe et sans doute plus dangereux ? L'Europe est bien la seule voie qui permettra de relever ces défis, même si nous savons que cela nécessitera exigence, patience et ténacité. C'est pour cela qu'il est urgent d'avancer ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)
M. Jean-Luc Mélenchon. Blablabla...
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Avant de passer à la discussion de la motion tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à zéro heure trente, est reprise à zéro heure trente-cinq.)
M. le président. La séance est reprise.
Je rappelle que la discussion générale a été close.
Exception d'irrecevabilité
M. le président. Je suis saisi, par Mme Borvo Cohen-Seat, M. Bret et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen, d'une motion n° 2, tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l'article 44, alinéa 2, du Règlement, le Sénat déclare irrecevable le projet de loi adopté par l'Assemblée nationale autorisant la ratification du traité de Lisbonne modifiant le traité sur l'Union européenne, le traité instituant la Communauté européenne et certains actes connexes (n° 200, 2007-2008).
Je rappelle que, en application de l'article 44, alinéa 8 du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l'auteur de l'initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d'opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n'excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, auteur de la motion.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je ne manque jamais de rappeler que, au Sénat, par une sorte de bizarrerie du Sénat, les motions sont présentées après la réponse du représentant du Gouvernement aux orateurs qui se sont exprimés dans la discussion générale. Il conviendrait, me semble-t-il, de modifier notre règlement sur ce point, car il y a là quelque chose d'absolument anormal.
Cette observation liminaire étant faite, j'observe que, à minuit et demi passé, le Sénat est sommé de conclure à marche forcée l'examen du projet de loi autorisant la ratification du traité de Lisbonne. On pourrait même éteindre les lumières pour que cela passe encore plus inaperçu !
Moins de deux mois se sont écoulés depuis la signature du traité par les gouvernements de l'Union européenne, le 13 décembre 2007. Le processus a donc été vraiment très rapide.
Le Président de la République avait donné sa parole, surtout à ses partenaires : la France devait en quelque sorte se « racheter » et figurer parmi les premiers pays à ratifier le traité. Le Président de la République aurait même aimé qu'elle soit la première, mais ce ne sera pas le cas. Ainsi, la France évite avant tout de consulter le peuple et incite les autres pays à en faire autant.
Certains évoquent aujourd'hui la clôture d'un « chapitre difficile ». Certes, pour des responsables politiques, il est toujours « difficile » d'admettre que le peuple les a désavoués. Pourtant, c'est bien ce qui s'est passé le 29 mai 2005. Le peuple a désavoué les principaux états-majors et 93 % des parlementaires.
D'ailleurs, l'enthousiasme qui animait tout à l'heure l'orateur du groupe de l'UMP...
M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. Il y en avait deux !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. ... ne correspondait pas tout à fait à la réalité.
En effet, à l'Assemblée nationale, seuls 336 députés sur 557 ont approuvé le traité.
M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. C'est déjà bien !
M. Dominique Braye. C'est sûr que vous, les communistes, avec 1,93 % des voix, vous ne risquez pas d'y arriver !
M. Guy Fischer. Taisez-vous, monsieur Braye !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Certes, c'est une majorité, je vous l'accorde. Mais cela ne correspond pas à l'enthousiasme dont certains ont témoigné dans cet hémicycle.
M. le président. Ma chère collègue, si vous le souhaitez, je peux vous apporter quelques précisions sur l'adoption du présent projet de loi à l'Assemblée nationale.
La majorité absolue était de 196 voix et 336 députés ont approuvé le texte législatif.
Certes, tous les députés n'ont pas assisté au vote, car certains d'entre eux n'étaient pas en séance, comme cela arrive parfois à l'Assemblée nationale, et même au Sénat. (Sourires.)
Veuillez poursuivre, ma chère collègue.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. À mon sens, pour revenir sur un vote populaire, il eût été préférable que tous les députés soient présents.
En tout cas, j'estime qu'un chapitre douloureux s'ouvre aujourd'hui, celui d'une Europe qui se construit ouvertement dans le dos des peuples, contre les peuples. (Marques d'ironie sur les travées de l'UMP.) Vous pouvez continuer à rire, mesdames, messieurs de l'UMP, cela ne me dérange pas !
M. Dominique Braye. Moi, je ris, mais vous, tout à l'heure, vous gloussiez ! (M. Michel Dreyfus-Schmidt s'exclame.)
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Je sais, je « glousse » comme les poules. Je vois qu'en plus du reste, vous êtes extrêmement galant ! (Protestations sur les travées de l'UMP.)
Tout au long des discussions, nous avons avancé des arguments dénonçant le recours à la voie parlementaire pour ratifier ce traité.
Tout d'abord, nous avons souligné que le traité de Lisbonne reprenait pour l'essentiel le traité constitutionnel rejeté par nos concitoyens le 29 mai 2005.
Jamais la majorité parlementaire n'a reconnu ce fait, pourtant évident, alors que tous les observateurs, eux, l'admettent. C'est le cas du « pilote » du traité constitutionnel européen, M. Valéry Giscard d'Estaing, et de la plupart des autres dirigeants des pays européens, qui s'en prévalent d'ailleurs. Je l'ai déjà dit, mais j'aime à le répéter : dans les pays où le peuple a voté « oui » par référendum au traité constitutionnel européen, on précise qu'il est inutile d'organiser un nouveau référendum sur le traité de Lisbonne puisque celui-ci est identique au traité déjà approuvé. En France, on nous tient le discours exactement inverse : le référendum ne s'impose pas puisqu'il ne s'agit pas du même traité. C'est d'une logique imparable ! (Rires sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
M. Dominique Braye. Imparable pour des communistes !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. J'ai d'ailleurs noté que l'éditorialiste du journal Le Monde, qui n'avait rien dit pendant les semaines précédant le débat, a reconnu la légitimité démocratique de la demande de référendum sur le traité, en raison précisément de la similitude entre les deux textes.
M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères. Si Le Monde le reconnaît...
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Il est évident qu'il faut aller au-delà des différences terminologiques. Certes, le traité n'est plus « constitutionnel » et les symboles ont disparu, mais subsistent les transferts de compétences, la durée illimitée d'application du traité et, surtout, l'intégralité des contenus que le peuple a foncièrement rejetés. Ce que le peuple a rejeté, c'est l'Europe de l'ultralibéralisme, d'une Banque centrale européenne toute-puissante, de l'absence d'harmonisation sociale ou fiscale et de la résignation devant les grands problèmes des sociétés européennes et les désordres mondiaux ! Ce n'est pas l'hymne et le drapeau !
M. Jean-Luc Mélenchon. Exactement !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Le porte-parole de l'Élysée, M. Martinon, qui gagne à être connu, s'est bruyamment félicité de la ratification. Selon lui, le Président de la République et les parlementaires qui le suivent auraient « débloqué » l'Europe, que le peuple avait « bloquée ».
Outre le fait que rien n'était bloqué - c'est M. Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne, qui le dit -M. Martinon ignore-t-il que, dans une démocratie, la parole du peuple est souveraine et que nul, et surtout pas ses représentants, ne peut la contredire ?
Au fond, le peuple a voulu remettre l'Europe sur les rails de la justice sociale et de la démocratie, et vous n'avez pas voulu l'entendre. Mais n'ayez crainte ! Le peuple français et les autres peuples européens sauront rapidement se rappeler à votre bon souvenir.
Ainsi, vous n'avez pas répondu à la question fondamentale de la similitude entre les deux traités. Vous ne le pouviez pas, car avouer cela dans cet hémicycle, c'était avouer la trahison de la parole du peuple.
Vous avez également fait la sourde oreille à d'autres arguments incontestables.
Le Conseil constitutionnel était-il compétent pour examiner la constitutionnalité des dispositions du traité de Lisbonne ?
M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères. Oui ! Par définition !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Nous avons démontré qu'il ne l'était pas. En effet, en vertu d'une jurisprudence constante, exposée notamment dans une décision du 23 septembre 1992, le Conseil constitutionnel ne peut pas se prononcer sur les choix directement exprimés par le peuple.
Le Conseil constitutionnel aurait dû estimer qu'il ne pouvait être saisi de telles dispositions, le traité de Lisbonne reprenant point par point le traité constitutionnel refusé par le peuple.
Vous n'avez pas répondu sur cet aspect important, car la référence à la décision du Conseil constitutionnel du 20 décembre 2007 fonde la procédure accélérée à laquelle nous assistons aujourd'hui.
Certains nous demandent comment nous pouvons affirmer l'irrecevabilité constitutionnelle du présent projet de loi, alors qu'une révision de la Constitution est intervenue précisément pour rendre le traité de Lisbonne compatible avec notre loi fondamentale.
Pour mémoire, je rappellerai que soixante-dix sénateurs avaient saisi le Conseil constitutionnel le 14 août 1992 en vue de contester la constitutionnalité du traité de Maastricht, et ce après la révision constitutionnelle préalable à sa ratification.
Depuis sa décision du 2 septembre 1992, le Conseil constitutionnel admet la recevabilité d'une telle saisine et considère que la procédure de contrôle de constitutionnalité peut de nouveau être mise en oeuvre « s'il apparaît que la Constitution, une fois révisée, demeure contraire à une ou plusieurs stipulations du traité ».
Comme je l'ai souligné en présentant la motion tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité au projet de loi constitutionnelle préalable à la ratification, plusieurs points du traité demeurent contraires à la Constitution. Ainsi, la soumission à l'OTAN, le pouvoir absolu de la BCE, l'ouverture à la concurrence des services publics et la remise en cause du principe de laïcité n'ont pas été abordés par la révision constitutionnelle.
Certains observateurs notent d'ailleurs que nous assistons à l'instauration de deux normes constitutionnelles de référence dans notre pays : d'un côté, la Constitution française, qui renvoie explicitement aux principes définis par la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 et le Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 ; de l'autre, les normes européennes, qui les contredisent en plusieurs points.
Notre exception d'irrecevabilité est donc parfaitement fondée. Du reste, en 1992, on avait tout à fait admis que des sénateurs, parmi lesquels d'éminents présidents d'aujourd'hui - je veux parler de MM. de Raincourt, Poncelet, Valade -, ainsi que M. Pasqua, puissent contester la constitutionnalité d'un projet de loi autorisant une ratification, et ce même après la révision constitutionnelle s'y rapportant.
Mes chers collègues, vous vous apprêtez à autoriser la ratification d'un traité identique à celui qui a été repoussé par le peuple. C'est la première fois dans notre histoire constitutionnelle qu'un référendum est ainsi contourné par un gouvernement et une majorité parlementaire.
Cet acte grave aurait pu être empêché par le refus de la révision constitutionnelle. En effet, au Congrès, le Président de la République avait besoin des trois cinquièmes des suffrages exprimés. Pour ma part, je regrette profondément que la gauche ne se soit pas rassemblée (Murmures ironiques sur les travées de l'UMP) pour faire obstacle à une manoeuvre dont la seule finalité est la poursuite de la construction d'une Europe libérale, plus tournée vers la finance que vers l'épanouissement des peuples,...
M. Jacques Blanc. Je préfère cela à l'Europe de l'Est !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. ... ou encore d'une l'Europe forteresse, obligée de sanctionner et entourée de camps de rétention pour étrangers.
C'était lundi, à Versailles, que le référendum pouvait être obtenu. Le peuple saura reconnaître avec discernement ceux qui ont prôné jusqu'au bout le respect de sa parole.
En fait, outre les aspects constitutionnels que j'ai précédemment rappelés, l'irrecevabilité est une irrecevabilité politique fondamentale.
Très franchement, si le traité était enthousiasmant pour notre peuple comme pour les autres peuples européens, le référendum serait naturel puisqu'il consacrerait les pas franchis dans le sens des aspirations de nos concitoyens. A contrario, le refus du référendum montre à quel point ce n'est pas le cas.
Comme je l'ai indiqué à Versailles, le peuple a le droit de changer d'avis, mais ce n'est certainement pas au Parlement de le faire à sa place.
M. Jean-Luc Mélenchon. Très bien !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Je vous appelle donc une dernière fois, mes chers collègues, à la raison démocratique : votez cette irrecevabilité, car le déni de la parole du peuple est irrecevable en démocratie ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et sur certaines travées du groupe socialiste.)
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Jean François-Poncet, rapporteur. Je vous ai écoutée avec beaucoup d'attention, ma chère collègue, mais je me bornerai à vous faire deux ou trois très brèves remarques, ne souhaitant pas ouvrir un long débat sur le sujet.
Je note, tout d'abord, que vous cherchez à démontrer l'indémontrable : vous cherchez à démontrer que le traité de Lisbonne reprend le traité constitutionnel rejeté par référendum. (Protestations sur les travées du groupe CRC.)
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. M. Giscard d'Estaing l'a dit !
M. Jean François-Poncet, rapporteur. Je vous ai écoutée sans vous interrompre, madame Borvo. Vous et vos amis pourriez donc avoir la courtoisie de m'écouter !
M. Dominique Braye. Courtoisie !
M. Jean François-Poncet, rapporteur. En quoi les traités sont-ils si différents ?
Ils le sont, bien entendu, dans la forme : l'un était un traité constitutionnel, un traité nouveau, refondant tous les traités précédents ; l'autre ne fait que modifier les traités existants. (M. Michel Charasse proteste.)
La différence est tout de même de taille !
Il y a également entre eux une différence d'ambition : le traité constitutionnel répondait, comme son nom l'indique, à une ambition constitutionnelle. Telle n'est pas, à l'évidence, l'ambition des rédacteurs du traité de Lisbonne.
J'ajoute que le traité constitutionnel comprenait trois parties : la première concernait les institutions, la deuxième, la charte des droits fondamentaux, et la troisième rassemblait toutes les dispositions économiques et sociales des traités précédents. Il était, en quelque sorte, l'aboutissement d'un travail de codification.
Le traité de Lisbonne ne compte ni la deuxième partie, ni la troisième partie du traité constitutionnel.
M. Jean-Luc Mélenchon. Allons, ne plaisantez pas !
M. Jean François-Poncet, rapporteur. Comment, ma chère collègue, pouvez-vous, dans ces conditions, prétendre que les traités sont les mêmes ? Il est vrai qu'une majorité des dispositions de la première partie du traité constitutionnel y sont en bonne partie reprises.
M. Jean-Luc Mélenchon. Alors !
M. Jean François-Poncet, rapporteur. Permettez, monsieur Mélenchon ! Nous vous écouterons dans un instant. J'ai une impatience folle de vous entendre.
M. Jean-Luc Mélenchon. « Folle » est de trop !
M. Jean François-Poncet, rapporteur. Non ! La teneur de vos propos m'incite en effet à utiliser cet adjectif.
J'affirme que les deux traités sont complètement différents. La première partie du traité constitutionnel n'a jamais fait l'objet de critiques pendant le débat ayant précédé à la consultation.
M. Jean François-Poncet, rapporteur. Non, à peu près jamais !
M. Dominique Braye. Vous n'allez pas les convaincre !
M. Jean François-Poncet, rapporteur. Vous cherchez, madame Borvo, à démontrer que les deux traités sont similaires, mais ils sont bel et bien différents. Vous pouvez toujours continuer d'égrener vos arguments, mais ils resteront totalement dépourvus de fondement.
Je suis, par ailleurs, stupéfié par le formidable mépris du Parlement que vous avez affiché. (M. Yves Pozzo di Borgo applaudit.)
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Pas aussi grand que le mépris du peuple que vous affichez !
M. Jean François-Poncet, rapporteur. J'aimerais savoir ce que vos grands ancêtres en penseraient.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Je vous en prie !
M. Jean François-Poncet, rapporteur. Je songe, en particulier, aux révolutionnaires.
Le référendum tourne au plébiscite, car, comme vous le savez parfaitement, à l'occasion d'un référendum, les citoyens répondent non pas à la question, mais à celui qui leur pose la question. (Protestations sur les travées du groupe socialiste.)
Le plébiscite est-il une arme de la démocratie ?
M. Dominique Braye. Eux-mêmes ont dit que les Français ne répondaient pas à la question posée !
M. Jean François-Poncet, rapporteur. Vous avez cité le Président de la République. Comment s'exprimer plus clairement qu'il ne l'a fait ? Candidat, M. Sarkozy avait annoncé que les traités seraient soumis au Parlement, notamment lors de son débat télévisé avec Mme Ségolène Royal, qui avait opté, elle, pour une position contraire. C'est lui qui, à une large majorité, a été élu.
M. Georges Gruillot. C'est le vrai référendum !
M. Jean François-Poncet, rapporteur. Il fait désormais ce qu'il avait promis de faire.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C'est ça, le drame !
M. Jean François-Poncet, rapporteur. Il est parfaitement dans le droit-fil de la démocratie. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
J'appelle donc le Sénat à rejeter cette motion d'irrecevabilité.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'État. Madame Borvo, je ne pourrais que reprendre, mais avec moins de brio, les arguments qu'a développés M. le rapporteur et auxquels je souscris totalement.
L'autre pays du « non » y souscrit également puisque, après l'analyse qui a été faite par son Conseil d'État - l'équivalent de notre Conseil constitutionnel -, il est revenu sur les mêmes positions et les mêmes arguments que ceux qui viennent d'être excellemment exposés par M. le rapporteur.
Pour les mêmes raisons que la commission, le Gouvernement demande le rejet de cette motion.
M. le président. Je mets aux voix la motion n° 2, tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité.
Je rappelle que l'adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi.
Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant de la commission.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?...
Le scrutin est clos.
(Il est procédé au comptage des votes.)
M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 82 :
Nombre de votants | 237 |
Nombre de suffrages exprimés | 233 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 117 |
Pour l'adoption | 30 |
Contre | 203 |
Le Sénat n'a pas adopté.
Question préalable
M. le président. Je suis saisi, par M. Mélenchon, d'une motion n° 3, tendant à opposer la question préalable.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l'article 44, alinéa 3 du règlement, le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi adopté par l'Assemblée nationale autorisant la ratification du traité de Lisbonne modifiant le traité sur l'Union européenne, le traité instituant la Communauté européenne et certains actes connexes (n° 200, 2007-2008).
Je rappelle que, en application de l'article 44, alinéa 8 du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l'auteur de l'initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d'opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n'excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à M. Jean-Luc Mélenchon, auteur de la motion.
M. Jean-Luc Mélenchon. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, il est tard dans la nuit, et l'on pourrait en tirer argument pour considérer que tout est dit.
Il est tard aussi dans le processus et, dans la mesure où c'est la voie parlementaire qui a été choisie, le résultat peut être préfiguré par la composition de nos assemblées. On pourrait, là encore, considérer qu'il ne sert à rien d'argumenter.
M. Dominique Braye. C'est vrai !
M. Jean-Luc Mélenchon. Cependant, la liberté, comme bien d'autres choses, ne s'use que si l'on ne s'en sert pas.
C'est une question grave, importante, pour l'avenir de notre patrie républicaine et de notre continent qui nous est posée. Chacun est sous l'empire de sa conscience : il doit dire ce qu'il croit indispensable pour tâcher de convaincre, dire ce qui lui paraît juste et digne pour l'intérêt général.
Vous connaissez la prémisse de mon raisonnement : le peuple ayant, en 2005, par voie de référendum, refusé un texte qui se retrouve pour l'essentiel dans le présent traité, le Parlement n'a pas à démentir ce que le peuple avait alors tranché directement.
Que M. le rapporteur le comprenne bien : nul d'entre nous n'estime que le Parlement ne serait pas légitime à délibérer de quoi que ce soit.
Je crois pouvoir dire que je m'exprime également au nom de mes camarades communistes : nous n'avons jamais dit que le Parlement n'était pas légitime. Nous estimons que, la décision initiale sur ce sujet ayant été prise par référendum, si elle doit être reconsidérée, elle doit l'être par référendum. Nous jugeons en effet que la méthode participe du processus de construction européenne, qui souffre d'un grave déficit démocratique, et que la méthode par laquelle se construit l'Europe compte donc autant que le fond. D'une certaine façon, la forme, c'est déjà du fond.
Je vais à présent développer mes arguments sur le fond, c'est-à-dire sur le contenu du traité.
M. le secrétaire d'État nous a dit que nous devions approuver ce traité parce qu'il favorisera l'émergence d'une Europe plus démocratique. Nous sommes profondément sceptiques ; à dire vrai, nous ne le croyons pas.
La méthode, elle-même, est très inquiétante : le traité constitutionnel avait au moins l'avantage d'avoir été préparé par une convention et d'avoir donné lieu à des débats fort longs - ils ont duré près de deux ans -, avec des étapes intermédiaires et la création d'un site Internet qui en rendait compte.
Or, s'agissant du présent traité, n'était le plaisir d'avoir rencontré, lors des réunions des commissions ad hoc, tel ou tel responsable gouvernemental, nous n'en avons pas eu entre les mains une version consolidée avant le mois de novembre. Je rappelle que ce texte avait connu auparavant trois états de rédaction différents. Je le sais d'autant mieux que j'ai essayé de les suivre.
Ce n'est pas ce que l'on peut appeler une bonne préparation informée pour une discussion sérieuse.
De votre côté, monsieur le rapporteur, vous nous assurez que le présent traité ne reprend que la première partie du texte initial. Je comprends pourquoi vous le dites : le Président de la République avait affirmé qu'il ne procéderait à une ratification par voie parlementaire que si le texte était simplifié et concernait les seules parties institutionnelles.
Il s'était d'ailleurs arrogé au passage le privilège d'interpréter le vote négatif des Français. C'était tout de même assez étrange, mais admettons !
Quoi qu'il en soit, il ne s'agit pas d'un texte simplifié et il ne concerne pas que la partie institutionnelle, bien que vous ayez affirmé à deux reprises qu'il n'avait trait qu'à l'organisation des institutions.
Je relève là deux contradictions.
La première tient aux faits : 198 des 356 amendements modifient les textes antérieurs. Les textes antérieurs ne sont pas maintenus dans leur rédaction d'origine ; ils sont repris tels qu'ils ont été modifiés. Ils constituaient déjà l'ex-troisième partie du traité constitutionnel. Voilà pourquoi cette dernière figure toujours dans le traité de Lisbonne.