Nationalité des équipages de navires
Adoption définitive d'un projet de loi en deuxième lecture
M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion en deuxième lecture du projet de loi, modifié par l'Assemblée nationale, relatif à la nationalité des équipages de navires (nos 190, 232).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Dominique Bussereau, secrétaire d'État chargé des transports. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, nous allons donc examiner, en seconde lecture, le projet de loi relatif à la nationalité des équipages de navires.
Ce projet a été adopté en première lecture le 18 septembre 2007 par votre assemblée, puis, le 30 janvier dernier, par l'Assemblée nationale.
Vous vous en souvenez, ce projet de loi ouvre à tout ressortissant communautaire les fonctions de capitaine et de suppléant des navires immatriculés au premier registre ou au registre international français, le RIF. Il s'inscrit, comme j'ai déjà eu l'occasion de l'indiquer à la Haute Assemblée, dans une démarche de modernisation du secteur de la marine marchande et d'adaptation aux enjeux de la mondialisation, dont il a été amplement question ces jours-ci dans le cadre de la réforme des ports que mène actuellement le Gouvernement et qui fera l'objet d'un projet de loi avant la fin de la présente session.
Il s'agit en premier lieu d'adapter notre droit aux évolutions du droit communautaire.
La Cour de justice des Communautés européennes, vous le savez, a condamné la France la semaine dernière - et le fait que le présent projet de loi soit en cours d'examen par le Parlement n'a pu l'empêcher - pour manquement aux obligations définies à l'article 39 du traité de la Communauté européenne : la législation française ne peut plus désormais exiger que le capitaine et l'officier suppléant soient de nationalité française.
De surcroît, notre pays assurera à partir du 1er juillet prochain la présidence de l'Union européenne. Parmi les objectifs qu'il s'est fixés pour cette occasion, nombreux sont ceux qui concernent la politique des transports, la politique de la mer et la politique de sécurité maritime.
Il était donc impératif, avant cette échéance et compte tenu de la condamnation par la Cour de justice, de mettre notre législation en conformité avec le droit communautaire.
Au-delà de ces aspects juridiques, la modernisation concerne aussi nos ports et notre pavillon ainsi que notre système de formation, sujet que j'avais longuement évoqué en septembre dernier.
Dans un environnement complètement mondialisé et concurrentiel, l'emploi, la formation et la qualification des marins français constituent des enjeux majeurs pour nos armements, dont le développement est freiné par une pénurie de main-d'oeuvre.
Comme je vous l'avais indiqué à l'automne, j'ai souhaité qu'une réflexion de fond soit conduite sur notre système d'enseignement supérieur maritime.
J'ai présidé, le 31 janvier dernier, une table ronde sur l'avenir de l'enseignement maritime qui réunissait l'ensemble des acteurs intéressés : armateurs, élèves, enseignants, administrations. Sur la base des conclusions qui ont été tirées, je fixerai prochainement une feuille de route - je vais dans l'immédiat vous en donner quelques éléments - puisqu'il est très important pour notre pavillon de former des marins.
Une première décision concrète a déjà été prise : il s'agit de l'ouverture, au mois de septembre prochain, de deux classes supplémentaires d'élèves-officiers. Une classe expérimentale d'officiers chefs de quart passerelle sera créée à l'école de la marine marchande de Marseille, en partenariat avec Armateurs de France ; une seconde classe, en filière académique, sera ouverte à l'école du Havre. Cette première mesure permettra d'ores et déjà de prévoir un accroissement de près de 30 % du nombre des officiers.
Au-delà de cette décision, nous travaillons sur cinq points.
En premier lieu, les opérateurs du transport maritime, les armateurs doivent participer activement à la définition des politiques publiques touchant à l'enseignement maritime supérieur. Nous prévoyons donc la création d'un observatoire de l'emploi maritime et la mise en place d'une commission consultative participative.
Je souhaite aussi prendre l'attache du président d'Armateurs de France pour que soit conclu un contrat d'études prospectives pour la navigation au commerce. Il s'agira de faire un état des lieux précis des besoins des armateurs en termes quantitatifs - combien de marins à former - et qualitatifs - quelles qualifications sont nécessaires pour armer les navires sous pavillon français - et de définir les échéances.
En deuxième lieu, nous devons agir, parallèlement, pour rendre ces métiers plus attractifs - nombre d'entre vous s'étaient exprimés sur ce problème. Je pense en particulier que la délivrance du titre d'ingénieur pourrait être un facteur d'attractivité déterminant pour le recrutement d'élèves-officiers. Aussi, une équipe-projet sera constituée par le directeur des affaires maritimes afin d'étudier cette réforme du diplôme.
La cinquième année de la formation académique doit également être réformée dans cette perspective afin qu'elle prenne mieux en compte les fonctions « manageriales » que les futurs officiers exerceront à bord des navires. Là encore, nous formulerons des propositions.
En troisième lieu, les intervenants de la table ronde se sont longuement exprimés sur le nombre et le statut des écoles de la marine marchande. Ils ont marqué leur préférence pour un établissement à direction unique, implanté sur plusieurs sites et doté d'un statut d'établissement public national.
Nous étudions ces propositions. Quel que soit le statut que nous retiendrons, il devra permettre une certaine souplesse d'organisation, une plus grande autonomie financière et une ouverture accrue des établissements d'enseignement supérieur et des collectivités territoriales à l'égard des armements.
Cette école, destinée à former des officiers de la marine marchande, devra également s'ouvrir aux autres domaines maritimes et paramaritimes : la visibilité et la notoriété de notre formation en sortiront renforcées.
En quatrième lieu, un effort financier sera évidemment nécessaire pour permettre la modernisation des locaux et des outils de formation. Dès cette année, les subventions aux écoles seront augmentées de plus de 10 %. Par ailleurs, des moyens financiers supplémentaires seront mis en oeuvre dans le cadre de la préparation budgétaire pluriannuelle.
En cinquième et dernier lieu, les participants à la table ronde ont souhaité une simplification de l'organisation des filières de formation : nous la mettrons en oeuvre.
Je connais, mesdames, messieurs les sénateurs, votre attachement à la formation maritime et aux écoles de la marine marchande. Les aspects que je viens d'évoquer - et qui, je pense, étaient de nature à retenir votre attention - constituent, me semble-t-il, un ensemble cohérent.
M. Charles Revet, rapporteur de la commission des affaires économiques. Tout à fait !
M. Dominique Bussereau, secrétaire d'État. J'aurai prochainement l'occasion de vous le présenter dans sa totalité afin que vous en ayez une vue globale.
J'en reviens maintenant au projet de loi qui est aujourd'hui soumis à votre examen. L'Assemblée nationale en a peu modifié le contenu, rien ne remettant en cause son équilibre général.
Il est notamment prévu d'organiser une vérification approfondie des compétences juridiques et linguistiques des candidats. Il s'agit là d'un élément essentiel du dispositif auquel vous avez été attentifs.
M. Charles Revet, rapporteur. Tout à fait !
M. Dominique Bussereau, secrétaire d'État. J'aurai l'occasion, si M. le rapporteur le souhaite, de détailler le dispositif réglementaire qui doit nous permettre d'assurer un contrôle efficace et rigoureux des connaissances des capitaines communautaires appelés à embarquer sur les navires français.
M. Charles Revet, rapporteur. C'est essentiel !
M. Dominique Bussereau, secrétaire d'État. Je remercie la Haute Assemblée de l'intérêt qu'elle a témoignée pour le projet de loi - qui n'est pas seulement un texte technique mais qui, au contraire, aura d'importantes conséquences en matière politique, en matière d'échanges extérieurs - et de l'éclairage qu'elle a apporté au Gouvernement. Je remercie particulièrement le rapporteur, M. Charles Revet, de la grande qualité de ses travaux.
Le texte du projet de loi me semble désormais être équilibré et correspondre à toutes les attentes qui s'étaient exprimées lors de l'examen en première lecture par le Sénat. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Charles Revet, rapporteur de la commission des affaires économiques. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, nous examinons aujourd'hui en deuxième lecture le projet de loi relatif à la nationalité des équipages de navires, adopté par l'Assemblée nationale le 30 janvier dernier.
Je ne reviendrai pas sur le contexte ni sur le contenu de ce projet de loi, que M. le ministre a déjà présentés.
Il est clair que le contexte a évolué depuis l'examen de ce texte au Sénat en première lecture, en septembre dernier, puisque, M. le secrétaire d'État vient de le rappeler, la France a été condamnée le 11 mars dernier par la Cour de justice des Communautés européennes. Celle-ci a en effet jugé que le fait de réserver aux Français les postes de capitaine et de son suppléant à bord des navires battant pavillon français était contraire à l'article 39 du traité d'Amsterdam, qui fixe le principe de libre circulation des personnes au sein de la Communauté européenne. Dans ces conditions, il apparaît désormais urgent d'adopter ce projet de loi, ne serait-ce que pour éviter à la France d'être condamnée à payer une astreinte.
S'agissant du contenu, l'Assemblée nationale a validé pour une grande partie le texte tel qu'il avait été modifié par le Sénat.
Ainsi, afin d'assurer le respect des conditions de sécurité, nous avions estimé indispensable d'exiger des futurs capitaines, outre une maîtrise minimale de la langue française, des connaissances juridiques solides, puisque les capitaines disposent de pouvoirs importants en matière civile et pénale. Ce point a été conservé par les députés, et je m'en félicite.
Nous avions également souhaité pérenniser les obligations des armateurs en matière d'embarquement d'élèves-officiers afin de soutenir une filière nationale de formation maritime. Cette disposition a, elle aussi, été maintenue.
La principale modification, adoptée sur l'initiative du Gouvernement, concerne les modalités de vérification du niveau de maîtrise de la langue et du droit français par les candidats au poste de capitaine.
Estimant qu'il existait un risque de censure au niveau communautaire, le Gouvernement a remplacé la notion de « diplôme », adoptée au Sénat, par celle de « vérification ». D'après le projet de décret qui m'a été communiqué, cette vérification devrait être confiée à une commission composée de professionnels chargée d'évaluer le niveau des candidats.
Je regrette que, pour des raisons de droit communautaire, la notion de diplôme n'ait pu être conservée, et je souhaiterais, monsieur le secrétaire d'État, comme vous venez de l'évoquer, que vous puissiez vous engager sur deux points du décret qui me paraissent très importants.
D'une part, je souhaite que la commission qui jugera du niveau des capitaines européens leur délivre une attestation de capacité. D'autre part, cette commission doit impérativement être composée de capitaines en exercice, qui connaissent les réalités du métier, et de représentants des professeurs ou des directeurs d'écoles de la marine marchande. Pouvez-vous, monsieur le secrétaire d'État, nous donner confirmation sur ces deux points ?
La commission des affaires économiques avait insisté en première lecture sur la nécessité d'accompagner l'adoption de ce projet de loi de mesures fortes pour relancer la filière maritime française. Force est en effet de constater que la France, grande puissance maritime historique, n'occupe pas aujourd'hui le rang qui devrait être le sien. Placé dans les années soixante au quatrième rang mondial, le pavillon français n'occupe plus que la vingt-neuvième place.
L'emploi maritime est marqué par une crise de vocations et la France connaît une grave pénurie de capitaines, puisqu'on l'évalue à environ 600 officiers. Or, l'existence d'un nombre suffisant d'officiers navigants est une condition impérative du maintien de la sécurité maritime à bord de nos côtes et au-delà. En effet, après une carrière maritime, les personnels navigants deviennent fréquemment experts maritimes, pilotes maritimes et hauturiers et inspecteurs des affaires maritimes. C'est pourquoi le maintien de cette filière est indissociable de l'existence d'un savoir-faire français, gage d'une exigence particulière en matière de sécurité maritime.
Monsieur le secrétaire d'État, vous vous étiez engagé en première lecture à organiser rapidement sur cette question une rencontre de tous les acteurs concernés. Celle-ci a eu lieu le 31 janvier dernier et a réuni environ 250 représentants et personnalités du monde maritime. Les discussions se sont déroulées autour des thèmes suivants : le contenu de la formation maritime et l'organisation des études, l'amélioration de l'attractivité des métiers maritimes et le statut des écoles de la marine marchande.
À l'issue de cette table ronde, il apparaît impératif de prendre rapidement des mesures fortes pour améliorer l'attractivité du métier et des formations. Vous nous avez d'ailleurs donné à l'instant des informations sur les premières mesures que vous avez décidées, ce dont je vous remercie.
Il faut en effet augmenter substantiellement les moyens des écoles de la marine marchande et les réorganiser. L'État doit conserver, selon moi, la maîtrise de l'enseignement maritime supérieur et il faut réfléchir à une simplification des implantations des écoles, qui sont actuellement au nombre de quatre. Il faut également renforcer les partenariats avec les armements et envisager que les élèves puissent passer un contrat avec l'école, par lequel ils s'engagent à rester dans la marine pendant un certain nombre d'années.
Enfin, il faut améliorer les débouchés offerts aux élèves à la sortie des écoles, en leur permettant, par exemple, d'avoir une équivalence de diplôme d'ingénieur. Vous venez également de l'évoquer voilà quelques instants.
Sur tous ces points, monsieur le secrétaire d'État, j'espère que nous pourrons avancer rapidement dans les semaines à venir.
Enfin, vous aviez annoncé, lors du débat en première lecture, le lancement d'une mission de médiation sur la question du registre international français, dont l'intersyndicale nationale des marins et officiers de la marine marchande a obtenu le classement en pavillon de complaisance. Pouvez-vous nous indiquer où en est cette mission, qui a été confiée au président du Conseil supérieur de la marine marchande ? Il est, effet, particulièrement important que nous progressions sur ce point si nous voulons relancer la flotte de commerce française.
Sous réserve de ces observations, la commission vous propose, mes chers collègues, d'adopter le présent projet de loi. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Robert Bret.
M. Robert Bret. « Le travail des hommes en mer, bien que la technologie puisse beaucoup en atténuer la pénibilité et la dangerosité garde une spécificité liée au milieu. Il demeure chargé de nombreuses et fortes contraintes très souvent mal acceptées par l'individu moderne et considérées comme pénalisantes au regard d'une vie sociale normale et intégrée [...] Il semblerait donc que le manque de vocations en France, mais aussi dans d'autres nations développées traditionnellement maritimes, puisse s'étendre peu à peu aux pays émergents où les contraintes du métier deviennent insupportables pour les nouvelles générations à bon niveau de formation par rapport aux offres faites dans d'autres domaines de l'économie ».
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, ce constat du groupe d'études du Conseil supérieur de la marine marchande a été fait il y a maintenant un an dans le rapport intitulé : Développement de l'emploi dans les activités maritimes, de la filière portuaire et dans les secteurs connexes.
Il pose clairement, monsieur le secrétaire d'État, la question du manque d'attractivité des professions de la mer. Or le Gouvernement, en refusant de s'atteler à ce problème, renonce de facto à la mise en oeuvre de solutions efficaces et pérennes.
En effet, depuis cette date, que propose le Gouvernement ? L'adoption d'un texte de loi qui, d'une part, revient sur la réserve de nationalité du capitaine et de son second, entrant ainsi en contradiction avec le principe de l'exercice de prérogatives de puissance publique par les nationaux, et, d'autre part, pose le problème élémentaire d'une garantie minimale des règles de sécurité sur les navires.
Monsieur le secrétaire d'État, le Gouvernement se trompe de combat. Les artifices juridiques ne masqueront pas longtemps l'incapacité de la majorité gouvernementale à répondre à la crise du secteur maritime.
Vous ne résoudrez pas les déficits de personnels qualifiés tant que les conditions de travail et les rémunérations ne seront pas revalorisées. Les revendications lors de la grève, il y a quelques semaines, des officiers de la Seafrance ont été très claires à cet égard.
Face au mécontentement grandissant, le 31 janvier dernier, la tenue de tables rondes sur le contenu de la formation maritime, le devenir des écoles de la marine marchande ou l'attractivité des métiers maritimes, ont débouché sur des pistes intéressantes.
Vous nous avez annoncé, il y a un instant, l'ouverture de nouvelles classes susceptibles d'augmenter de 39 % la capacité de formation : c'est positif. Mais d'autres mesures - si toutefois elles sont prises - n'auront d'effet que sur le long terme, monsieur le secrétaire d'État. La découverte par le ministère des transports de la nécessité de renforcer les moyens des écoles et de la formation me semble hélas ! bien tardive.
Bref, ces mesures nécessaires dans un climat dégradé ne seront pas suffisantes pour donner envie aux jeunes, à court terme, d'engager des carrières dans le secteur maritime.
En ce qui concerne le projet de loi, je dispose de très peu de temps pour envisager en détail les difficultés et les dangers auxquels il nous expose.
Au demeurant, la concision de mon intervention ne sera guère regrettable dans la mesure où nos collègues de la majorité ont défendu il y a quelque temps, dans cet hémicycle, un certain nombre d'arguments en faveur du maintien de l'exigence de nationalité française pour le capitaine et son second sur les navires battant pavillon français. Je citerai parmi d'autres notre collègue Henri de Richemont, rapporteur de la proposition de loi relative à la création du registre international français.
Sur la question de l'exercice des prérogatives de puissance publique, il justifiait la réserve de nationalité de la manière suivante : « Le capitaine et son substitué sont en effet investis de prérogatives de puissance publique : le code civil et le code disciplinaire et pénal de la marine marchande leur confèrent tantôt l'exercice de fonctions d'officier d'état civil tantôt de véritables pouvoirs de police qui les font directement participer au service public de la justice. »
Aujourd'hui, le fait de vider artificiellement les compétences susvisées du capitaine suffirait à écarter l'obstacle légal tiré de l'existence de l'exercice de prérogatives de puissance publique ? Non, car si sur le papier les incompatibilités semblent levées, dans la pratique les problèmes demeurent.
Même si la probabilité que le capitaine soit amené à faire usage de ses pouvoirs en matière civile est faible, elle n'est pas nulle. C'est pourquoi, contrairement à la position adoptée par la Cour de cassation et conformément à la position retenue par les juridictions du fond, nous restons persuadés que le droit communautaire tolère cette réserve de nationalité et qu'il appartient au législateur d'en tirer les conséquences
Monsieur le rapporteur, vous citez dans votre rapport un extrait de l'arrêt de la Cour de justice des Communautés européennes du 11 mars dernier. Vous soulignez, pour nous convaincre - ou peut-être vous convaincre vous-même (M. le secrétaire d'État et M. le rapporteur sourient) -, le passage qui vise à affirmer que l'exercice de prérogative de puissance publique ne constitue qu'une part réduite des activités des officiers.
Je voudrais, pour ma part, souligner un autre passage.
La Cour de justice des Communautés européennes pour condamner la France déclare qu'« en maintenant dans sa législation l'exigence de la nationalité française pour l'accès aux emplois de capitaine et d'officier (second de navire) à bord de tous les bateaux battant pavillon français » - j'insiste sur ce « tous » - « la République française a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 39 CE ».
Il ressort de ce dernier considérant que la législation française aurait pu prévoir des solutions différentes en fonction de la durée et des distances du déplacement en mer.
Or le projet de loi ne s'embarrasse pas du détail.
En effet, des navires armés au long cours et au cabotage international, pour lesquels M. le rapporteur avait noté que le capitaine est amené, ne serait-ce qu'en matière disciplinaire, à exercer réellement ses prérogatives de puissance publique, ne font pas l'objet d'une exception.
Imaginez la situation d'un capitaine de nationalité étrangère au large de Singapour qui devra entrer en contact avec les autorités françaises pour pouvoir exercer ses prérogatives d'officier de police judiciaire. En admettant que cet officier parle français, sera-t-il en mesure de comprendre les instructions juridiques transmises par l'autorité compétente et sera-t-il en mesure de joindre rapidement cette autorité ? Je ne le pense pas.
Pour avoir les informations, il appellera probablement sa compagnie, qui les trouvera et les lui communiquera dans un délai plus ou moins long. Ainsi, par la multiplication des interlocuteurs, votre texte rendra impossibles les réactions d'urgence.
Les débats qui ont eu lieu à l'Assemblée nationale ont été l'occasion de révéler, me semble-t-il, l'artifice du système proposé. Le débat est clair de ce point de vue.
Face aux difficultés pratiques, avec le renvoi aux autorités publiques à terre, certaines compétences qui relèvent de la procédure pénale ont été rendues au capitaine ; je pense aux cas de crime ou de délit flagrant.
Enfin, nous estimons que la multiplication des langues parlées sur un navire présente l'inconvénient de ralentir la réaction de l'équipage face aux dangers potentiels, avec tous les risques que cela peut engendrer.
Bref, sans remettre en cause les qualifications des officiers étrangers, nous voterons contre ce texte, qui n'apporte pas de remède à la pénurie d'officiers, qui pose des problèmes pratiques en ce qui concerne l'exercice des prérogatives de puissance publique, enfin qui risque d'engendrer des dangers en ce qui concerne la sécurité des bâtiments.
M. le président. La parole est à M. Charles Josselin.
M. Charles Josselin. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, j'ai été tenté, à l'occasion de cette deuxième lecture du projet de loi relatif à la nationalité des équipages de navires, de vous proposer - pas de vous infliger - une seconde écoute de mon intervention prononcée le 18 septembre 2007, lors de la première lecture.
M. Charles Josselin. J'avais de bonnes raisons pour cela : la qualité de mon intervention,...
M. Charles Revet, rapporteur. Comme toujours ! (Nouveaux sourires.)
M. Charles Josselin.... la rémanence de la situation de la marine marchande française, qui demeure très préoccupante, enfin, le caractère marginal des modifications apportées par l'Assemblée nationale le 30 janvier 2008 aux trois articles qui sont de nouveau soumis à notre examen.
Marginales, ces modifications n'en sont pas pour autant insignifiantes, comme celle qui revient, aux articles 1er et 2, sur l'obligation de présenter un diplôme attestant d'une maîtrise de la langue française et de la possession de connaissances juridiques, permettant notamment d'exercer les prérogatives de puissance publique dont le capitaine est investi. Comme M. le rapporteur, je regrette cette modification.
Si le Sénat avait introduit l'obligation d'un diplôme, c'était précisément pour se prémunir contre un laxisme que la vérification du niveau des connaissances proposée par l'Assemblée nationale est loin d'écarter.
Il appartiendra au décret d'application d'y remédier, en donnant à la commission nationale chargée de la vérification des connaissances la composition - le rapporteur a eu raison d'insister sur ce point -, les moyens et les instructions garantissant le respect des intentions du législateur et, singulièrement, des sénateurs.
Comme le rapporteur, nous pensons que les modifications apportées à l'article 4 du projet de loi consolident le dispositif initial : nous les approuvons. Cependant, ne sous-estimons pas les difficultés d'application de la procédure prévue ! Notre collègue Robert Bret vient, à juste titre, d'y insister.
Écoutons le président de l'Association française des capitaines de navires, l'AFCAN : « Certes, le capitaine européen, confronté à un grave problème de personnes, fera pour le mieux, comme d'habitude. Les risques ne sont ni réduits, ni exceptionnels et exigent le plus souvent une réaction rapide. » Il évoque quelques situations, dressant une liste non exhaustive : émeute à bord d'un car-ferry, cas de folie avec agression, décès, recueil de boat people, attaque de pirates. Ce sont, hélas, des réalités qu'il faut aujourd'hui prendre en compte sur un nombre important de côtes, notamment lointaines.
« Mais le capitaine européen, continue-t-il, qui n'aura aucune obligation de parler le français, ni de connaître un minimum de droit français, devra en ce cas commencer par joindre un juge d'instruction, même au milieu de la nuit, pour demander en termes français clairs et juridiquement précis l'autorisation de lever le petit doigt. Le capitaine européen pourra seulement prendre ensuite les décisions urgentes nécessaires pour préserver au mieux le navire, avec son équipage, et surtout les passagers lorsqu'il en a. »
« Même en respectant le code international ISPS, des erreurs graves de procédure au regard du droit français sont assurément à redouter et la justice aura bien du mal à les gérer. Si les prérogatives du capitaine étaient jusqu'à présent aussi étendues, ce n'était certainement pas pour satisfaire son ego, mais bien pour servir les intérêts de la République. » Le président de cette association annonce donc des problèmes pour les juges et l'État. Voilà pour le texte qui nous est soumis.
Sur le fond, les mêmes problèmes demeurent, monsieur le secrétaire d'État, et nous posons toujours les mêmes questions pour faire face à la pénurie de capitaines et défendre la filière française.
Nous avons pris connaissance avec intérêt du long développement consacré par notre rapporteur aux tables rondes du 31 janvier 2008 qui ont réuni, autour de la question de la formation, les personnalités du monde maritime. Elles ont permis d'identifier quelques solutions pour accroître le recrutement, solutions auxquelles vous-même, monsieur le secrétaire d'État, avez fait allusion à l'instant : l'expérimentation de la filière monovalente, l'augmentation dès cette année des places offertes au concours de recrutement de la filière polyvalente, la nécessité d'améliorer, au besoin, le statut des écoles ainsi que, probablement, l'ensemble de leur organisation, enfin, le renforcement des partenariats avec les armateurs, mais aussi avec les collectivités territoriales.
Monsieur le secrétaire d'État, vous avez affirmé votre volonté de vous appuyer sur les conclusions de ces tables rondes : nous vous en donnons acte. Alors, n'oubliez pas le coup de projecteur qu'elles ont porté sur la lancinante question des moyens ! Les subventions aux écoles, nous dit Charles Revet, seraient portées en 2008 à 2 millions d'euros, représentant 10 % d'augmentation. C'est bien, mais le rapport rappelle que le coût d'un seul simulateur - équipement désormais indispensable - dépasse 1 million d'euros et que la remise aux normes des écoles - je pense, en particulier, à l'immobilier - nécessiterait, à elle seule, 5 millions d'euros par an sur trois ans. C'est dire que nous sommes loin du compte ! Je connais les contraintes budgétaires de l'État, il n'empêche qu'entre l'intention affichée et les réalités budgétaires, même améliorées, subsiste un écart considérable.
Nous sommes aussi loin du compte pour ce qui est du statut social des capitaines et, plus généralement, des marins. Un statut social négocié entre armateurs et syndicats constituerait, dans un cadre européen, la seule véritable défense, mieux, la contre-attaque pour sauver notre marine marchande.
Le 18 septembre 2007, lors de notre première lecture, je dénonçais l'autisme des autorités françaises par rapport à la réalité européenne qui nous valait de traiter de la question de la nationalité des équipages sur injonction de la Commission européenne et, aujourd'hui, après condamnation de la France par la justice européenne, alors que cette question aurait pu être traitée bien avant et dans un autre cadre, par exemple, lors de la discussion de la loi de 2005. Nous étions en effet déjà très informés de l'obligation dans laquelle nous nous trouvions.
Je vous disais alors ma conviction que « la condition première pour garantir la pérennité de la filière française [était] de rendre espoir et confiance en l'avenir à la flotte marchande, en garantissant et en protégeant par un authentique registre européen, entre autres, ses conditions d'emploi, de sécurité, de rémunération, de formation, y compris la responsabilité des capitaines ». Je redis la même chose aujourd'hui.
Je poursuivais ainsi : « Je ne mésestime pas la difficulté de convaincre de cette nécessité certains de nos partenaires, qui croient avoir déjà résolu leurs propres problèmes. » Certains y ont consacré peut-être plus d'efforts, de soins et de moyens que nous. « Toutefois, puisque, après tout, c'est la direction que nous devons prendre, la France ne pourrait-elle pas, lorsqu'elle exercera la présidence de l'Union européenne, profiter de l'occasion pour réinscrire cette question à l'ordre du jour de l'agenda européen ? » Telle était la question que je vous avais posée en septembre, vous aviez alors « acquiescé », selon le compte rendu des débats, monsieur le secrétaire d'État.
L'agenda de la présidence française n'a pas manqué depuis d'être précisé. Cette question figure-t-elle à l'ordre du jour ? Pourquoi ne pas faire ainsi la preuve que l'Europe serait sortie de l'ornière, comme l'adoption du traité de Lisbonne le laisserait entendre - en tout cas, c'est ainsi qu'on l'a présenté...
Enfin, monsieur le secrétaire d'État, je veux reprendre à mon compte la proposition que vous adressait à l'Assemblée nationale, le 30 janvier 2008, M. Jean Gaubert, qui fut longtemps mon suppléant et qui, aujourd'hui, représente la deuxième circonscription des Côtes-d'Armor. Ayant rappelé que vous aviez porté une loi d'orientation agricole, il vous demandait : à quand une loi d'orientation sur la mer ?
À quand de vraies orientations, un vrai cap, de vrais moyens, pour éviter de continuer à désespérer nos marins et nos territoires maritimes, y compris le département dont vous venez d'être élu président du conseil général ? Sinon, tous nos navires pourront reprendre le triste refrain de Michel Sardou : « Ne m'appelez plus jamais France. La France, elle m'a laissé tomber ! » (Sourires.)
Monsieur le secrétaire d'État, chers collègues, le groupe socialiste s'était abstenu en première lecture. L'économie du texte n'a pas profondément changé, le contexte maritime non plus, même si l'actualité récente a été marquée par quelques naufrages qui sont venus endeuiller le secteur de la pêche. Les violentes tempêtes des dernières semaines ont à nouveau mis en évidence l'extraordinaire actualité de la question de la sécurité, celle des marins comme celle des riverains. Le groupe socialiste s'abstiendra de nouveau.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Charles Revet, rapporteur. Monsieur le secrétaire d'État, en attendant les précisions que vous allez nous apporter dans quelques instants, je voudrais d'ores et déjà répondre à mes collègues Robert Bret et Charles Josselin sur un point précis qu'ils ont évoqué tous les deux, à savoir les conditions de recrutement des officiers européens.
Comme eux, comme nombre de nos collègues et comme M. le secrétaire d'État, je souhaite développer le pavillon français et maintenir un maximum d'officiers français. Mais nous nous heurtons à deux obstacles : le premier, c'est la condamnation de la France, qui s'impose à nous et nous fait courir des risques financiers ; le second, c'est le manque d'effectifs.
Dès lors, soit nous gardons les mêmes exigences et le pavillon français risque de perdre encore en importance et de descendre plus bas que la 29e place, soit nous prenons les mesures nécessaires au maintien du pavillon français et accentuons l'effort d'information et de recrutement pour que, dans les années à venir, plus d'officiers français sortent de nos écoles.
Comme vient de l'indiquer Charles Josselin, j'avais proposé que le niveau des connaissances linguistiques et juridiques soit sanctionné par un diplôme. J'ai compris que cette solution risquait de poser un problème juridique et de faire l'objet d'un recours. C'est pourquoi, dans l'esprit de ce que souhaitait M. le secrétaire d'État, j'ai proposé que soit délivrée une « attestation de capacité », chaque mot, chaque terme ayant sa valeur.
J'ai compris vos craintes, monsieur Bret, quand vous avez évoqué les difficultés que pourrait rencontrer un capitaine étranger commandant un navire situé à Singapour pour converser en cas de difficultés. Mais, mon cher collègue, l'attestation de capacité doit garantir de très bonnes connaissances linguistiques chez l'intéressé, c'est-à-dire la faculté de s'exprimer et de dialoguer en français, comme de très bonnes connaissances juridiques, puisque le capitaine exerce des prérogatives au nom de l'État !
C'est pourquoi j'ai demandé que la commission qui délivrera l'attestation comprenne deux officiers français en exercice et, au titre de l'administration, deux directeurs ou enseignants d'école de la marine marchande qui ont tous une connaissance parfaite de la situation. Nous avons donc pris un maximum de précautions pour que les risques évoqués ne se réalisent pas.
Cela étant, nous sommes engagés dans une démarche progressive. Il nous faut donc mettre en place un système de formation qui soit suffisamment attractif, il nous faut accorder à nos écoles les moyens de se développer - nous y travaillerons avec vous, monsieur le secrétaire d'État - afin que de nombreux jeunes s'engagent dans cette voie et que de nouveaux officiers assurent la pérennité du pavillon français.