Sommaire

Présidence de M. Jean-Claude Gaudin

1. Procès-verbal

2. Chèque emploi associatif. - Adoption définitive d'une proposition de loi. (Ordre du jour réservé.)

Discussion générale : Mmes Nadine Morano, secrétaire d'État chargée de la famille ; Sylvie Desmarescaux, rapporteur de la commission des affaires sociales ; Janine Rozier, M. Jean-François Voguet, Mme Annie Jarraud-Vergnolle.

Mmes le secrétaire d'État, le rapporteur.

Clôture de la discussion générale.

Adoption de l'article unique du projet de loi.

Suspension et reprise de la séance

PRÉSIDENCE DE M. Christian Poncelet

3. Rappel au règlement

MM. Gérard Le Cam, le président.

4. Aide aux malades en fin de vie. - Discussion d'une question orale avec débat. (Ordre du jour réservé.)

MM. Jean-Pierre Godefroy, auteur de la question ; Nicolas About, président de la commission des affaires sociales ; François Autain, Mme Sylvie Desmarescaux, M. Michel Dreyfus-Schmidt.

PRÉSIDENCE DE Mme Michèle André

M. Gérard Dériot, Mme Patricia Schillinger, MM. Alain Milon, Roger Madec, Mme Marie-Thérèse Hermange, MM. Jean-Pierre Michel, André Lardeux.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de la santé, de la jeunesse, des sports et de la vie associative.

Clôture du débat.

5. Dépôt d'une proposition de loi

6. Transmission d'une proposition de loi

7. Textes soumis au Sénat en application de l'article 88-4 de la Constitution

8. Dépôt d'un rapport d'information

9. Ordre du jour

compte rendu intégral

Présidence de M. Jean-Claude Gaudin

vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à dix heures cinq.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n'y a pas d'observation ?...

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.

2

 
Dossier législatif : proposition de loi relative à l'extension du chèque emploi associatif
Discussion générale (suite)

Chèque emploi associatif

(Ordre du jour réservé)

Adoption définitive d'une proposition de loi

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi relative à l'extension du chèque emploi associatif
Article unique (début)

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, relative à l'extension du chèque emploi associatif (nos 195 et 254).

Dans la discussion générale, la parole est à Mme la secrétaire d'État. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

Mme Nadine Morano, secrétaire d'État chargée de la famille. Monsieur le président, madame le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, en tant que nouvelle secrétaire d'État chargée de la famille, c'est pour moi un honneur de représenter le Gouvernement et plus particulièrement le ministre du travail, des relations sociales, de la famille et de la solidarité, M. Xavier Bertrand, qui n'a pu être présent du fait d'autres engagements, pour l'examen en seconde lecture de la proposition de loi portée par les députés Jean-Pierre Decool et Jean-François Lamour visant à étendre le chèque emploi associatif.

Nous nous réjouissons de défendre un texte qui répond à la fois aux attentes des associations et à une véritable nécessité, compte tenu de la complexité des procédures administratives auxquelles ces organismes sont souvent soumis.

Il s'agit d'un texte simple, comme on souhaiterait en débattre plus souvent, qui prend parfaitement en compte la réalité du terrain, ainsi que vous l'avez souligné, madame Desmarescaux, dans l'avant-propos de votre rapport, et dont l'objectif essentiel dans le contexte économique actuel est de favoriser les embauches et l'emploi.

Le secteur associatif, vous le savez, est un secteur dynamique qui se caractérise par le bénévolat de ses responsables. Pour soutenir l'activité de leurs membres bénévoles, les associations ont cependant souvent besoin d'embaucher des salariés. C'est ainsi que, sur les 1 100 000 associations recensées en France, 160 000 d'entre elles emploient au total 1,6 million de salariés, ce qui est très significatif.

De ce fait, la réduction des formalités administratives liées à l'embauche est susceptible de leur apporter toute la souplesse dont peuvent avoir besoin leurs administrateurs pour se concentrer sur leurs missions premières. Plus de simplicité pour embaucher, c'est plus d'embauches.

Tel a été l'objectif, vous l'avez rappelé, madame le rapporteur, du chèque emploi associatif, créé par la loi du 19 mai 2003. Ce dispositif accessible aux associations à but non lucratif facilite le paiement des salaires et des charges sociales de leurs employés. Il simplifie également les procédures liées à l'embauche.

D'abord, l'association remet au salarié un chèque en paiement du salaire, dont le montant brut est majoré de 10 % au titre de l'indemnité représentative des congés payés.

Parallèlement, l'association adresse au Centre national du chèque emploi associatif, rattaché à l'URSSAF d'Arras, un volet social qui permet l'envoi, dans les cinq jours, d'une attestation d'emploi valant bulletin de paye. Le Centre national calcule ensuite le montant des charges sociales qui seront prélevées automatiquement sur le compte bancaire de l'association.

Pour ce qui est de la simplification des procédures, l'association qui utilise le chèque emploi associatif se voit dispensée de certaines formalités administratives. Je pense notamment à la déclaration unique d'embauche ou aux déclarations annuelles des salaires.

Le chèque emploi associatif, c'est aussi un dispositif géré avec une plus grande souplesse, puisque 49 % des associations utilisatrices recourent à la déclaration du salarié par Internet.

Le chèque emploi associatif était initialement réservé aux associations employant au plus un équivalent temps plein. Très vite, par une ordonnance du 18 décembre 2003, le plafond d'emploi a été porté à trois équivalents temps plein, ce qui permet à l'association de rémunérer jusqu'à 4 821 heures de travail par an.

La proposition de loi relative à l'extension du chèque emploi associatif, adoptée en première lecture à l'Assemblée nationale, vise à porter ce plafond d'emploi à neuf équivalents temps plein.

C'est une extension qui me paraît raisonnable, parce qu'il faut continuer à réserver le chèque emploi associatif aux associations de moins de dix salariés. En effet, pour l'employeur, c'est le seuil déclencheur d'une série d'obligations sociales peu compatibles avec ce titre de paiement. Je pense notamment au versement transport, dont le taux varie selon le lieu d'implantation de l'association.

Avec le relèvement du plafond de trois à neuf salariés, nous apportons donc potentiellement aux associations une plus grande facilité de gestion de leur personnel, avec des effets sur l'emploi qui pourront se faire sentir dès l'embauche d'un quatrième salarié.

Si j'utilise le terme « potentiellement », c'est parce que cette mesure de simplification n'a pas pour autant vocation à se substituer systématiquement à l'établissement d'un contrat de travail.

D'une part, le chèque emploi associatif ne peut être utilisé qu'avec l'accord du salarié.

D'autre part, le titre d'emploi simplifié peut paraître dans certains cas difficilement compatible avec l'application de conventions collectives auxquelles seraient soumises les associations. Dans ce cas, le contrat de travail « classique » s'impose.

Enfin, il ne faut pas non plus oublier que les associations de moins de dix salariés peuvent toujours bénéficier d'une assistance à la gestion de leur personnel grâce au dispositif « impact emploi association » mis en place par l'URSSAF et qui leur permet de faire appel à un tiers de confiance pour gérer les salaires et les cotisations sociales, moyennant un logiciel mis à disposition gratuitement par l'URSSAF.

Finalement, avec le relèvement du plafond d'emploi pour l'accès au chèque emploi associatif, les associations de moins de dix salariés disposeront d'une gamme d'outils plus étendue, qui leur permettra d'embaucher plus facilement.

Pour toutes ces raisons, le Gouvernement est favorable à l'adoption de cette proposition de loi dans les termes votés par l'Assemblée nationale en première lecture et validés par la commission des affaires sociales du Sénat.

Nous nous félicitons que des initiatives parlementaires qui s'inspirent, en termes simples, de ce que l'on fait de mieux sur le terrain permettent de rendre un maximum de services à nos concitoyens. Je remercie à ce titre M. Decool, présent à la tribune, M. Lamour, mais aussi M. Michel Dollet, directeur du centre national du chèque emploi associatif, qui a travaillé sur la partie technique du dispositif.

Nous ne pouvons que souhaiter que de telles initiatives se renouvellent. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. le président. La parole est à Mme le rapporteur.

Mme Sylvie Desmarescaux, rapporteur de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons ce matin a un objectif simple : faciliter la vie des associations, notamment des plus petites d'entre elles. Elle répond à une réelle attente du monde associatif. Son intérêt est donc évident et je souhaite rendre hommage à nos deux collègues députés qui en ont pris l'initiative, Jean-Pierre Decool, qui assiste ce matin dans les tribunes à nos débats, et Jean-François Lamour.

Avant de vous faire part des conclusions de la commission des affaires sociales sur l'article unique de cette proposition de loi, je voudrais d'abord rappeler l'importance du secteur associatif dans notre pays, ce qui vous permettra, mes chers collègues, d'apprécier à sa juste valeur la portée réelle du texte.

Le secteur associatif français se caractérise en effet par le grand nombre et la variété de ses acteurs, ainsi que par son dynamisme.

Voici simplement quelques chiffres : notre pays compte plus d'un million d'associations, avec près de 60 000 créations par an. Ces associations relèvent de secteurs d'activité très divers, avec cependant une concentration autour de trois domaines : le sport, la culture et les loisirs, la défense des droits et des causes, l'action sociale et la santé.

Plus de vingt millions de personnes en sont membres, soit un Français sur trois. Quatorze millions de bénévoles permettent de les faire fonctionner, ce travail bénévole étant en forte croissance et représentant l'équivalent de plus de 900 000 emplois à temps plein.

Très significatif, le budget cumulé des associations est de l'ordre de 59 milliards d'euros et croît plus rapidement que la richesse nationale.

L'emploi associatif est important, puisqu'il représente plus de 5 % de l'emploi salarié total et correspond à 1,9 million de salariés, soit à un peu plus d'un million d'équivalents temps plein, le temps partiel étant très répandu, comme chacun sait.

On compte au total 172 000 associations employeur, la moitié d'entre elles employant un ou deux salariés et 75 % moins de dix salariés.

Enfin, je veux souligner que les communes sont le premier partenaire public des associations. En effet, les communes entretiennent des relations financières avec les deux tiers des associations, alors que l'État n'accorde un financement qu'à 10 % d'entre elles.

Ces chiffres, en progression continue au cours des dernières années, témoignent à la fois de la vitalité du secteur associatif et de sa capacité à créer des emplois. Si l'on rapporte simplement le nombre des associations employeur au nombre total d'associations, on mesure le « potentiel d'embauches » existant encore dans un secteur qui constitue, pour bien des observateurs, un réel gisement d'emplois.

C'est dans ce contexte et pour faciliter les formalités d'embauche particulièrement dissuasives pour les petites associations que la loi du 19 mai 2003 a créé le chèque emploi associatif. Cette loi, qui était déjà le fruit d'une initiative de Jean-Pierre Decool, et que j'avais également eu alors l'honneur de rapporter devant le Sénat, visait à permettre aux associations à but non lucratif employant, au plus, un équivalent temps plein, de simplifier les formalités liées à la rémunération et aux déclarations sociales de leurs salariés.

Concrètement, le chèque emploi associatif est un titre simplifié de paiement émis par les banques, qui permet, à la fois, le paiement des salaires par la remise d'un chèque aux salariés de l'association et le calcul des charges sociales par le centre national du chèque emploi associatif, le CNCEA, centre géré par l'URSSAF d'Arras. Je profite d'ailleurs de cette occasion pour saluer son directeur et le remercier pour tout le travail qui a été accompli.

Le calcul des charges sociales se fait par l'envoi d'un volet social, qui permet ensuite le prélèvement automatique des charges.

En outre, le chèque emploi service permet la dispense de diverses obligations administratives - dix-sept au total ! -, notamment la déclaration unique d'embauche, les déclarations annuelles des salaires à la sécurité sociale et à l'administration fiscale, les déclarations aux organismes de retraite complémentaire et d'assurance chômage, ainsi qu'aux services de santé au travail, ou encore la tenue du registre du personnel.

Il dispense également de l'obligation d'établir un contrat de travail écrit et des bulletins de paie, ceux-ci étant envoyés aux salariés par le CNCEA.

Le succès de ce dispositif, comme d'ailleurs de l'ensemble des mesures de simplification du paiement et de déclaration des salaires mises en place au bénéfice des « petits employeurs », a conduit le Gouvernement à élargir rapidement son champ.

Comme Mme la secrétaire d'État l'a précisé, l'ordonnance du 18 décembre 2003 a porté à trois équivalents temps plein le nombre de salariés permettant à une association de recourir au chèque emploi associatif. Dans les faits, cela signifie qu'une association peut utiliser le dispositif dès lors que la durée annuelle du travail effectué par ses salariés ne dépasse pas 4 821 heures dans l'année.

Selon les données que nous avons recueillies, à la fin de l'année 2007, ce sont un peu plus de 44 000 associations qui recouraient au chèque emploi associatif pour rémunérer environ 113 000 salariés, soit 6 200 équivalents temps plein. Vous le voyez, ces chiffres sont loin d'être négligeables.

Afin de poursuivre le développement de ce moyen de paiement simplifié et, surtout, de favoriser la création d'emplois, la présente proposition de loi a pour objet d'étendre le dispositif, en vigueur depuis 2003, en assouplissant la règle d'effectif, c'est-à-dire en portant de trois à neuf équivalents temps plein l'effectif maximal de salariés permettant aux associations d'utiliser le chèque emploi associatif.

Cela signifie que, selon les chiffres un peu approximatifs dont nous disposons, plus des trois quarts des associations employeur, c'est-à-dire environ 130 000 associations représentant plus de 300 000 salariés, seront susceptibles de bénéficier du dispositif, au lieu seulement de 80 000 à 90 000 associations actuellement.

Le choix de limiter le nouveau seuil d'effectif à neuf salariés est justifié par deux types de considérations.

D'une part, les divers systèmes de « chèques emploi » créés, y compris le chèque emploi associatif, ont tous pour objet de simplifier le fonctionnement des petites structures ; il ne s'agit donc pas de les généraliser à tous les employeurs.

D'autre part, à partir de dix salariés, la structure des cotisations assises sur les salaires se complexifie et la centralisation du calcul des charges par le CNCEA serait plus difficile à gérer. Rentrent dans cette catégorie, par exemple, le calcul du versement-transport, avec des taux variables selon la localisation géographique ou le nombre de salariés, ou encore celui des contributions à la formation professionnelle.

Cette proposition de loi nous a semblé particulièrement bienvenue. Comme vous l'avez souligné, madame la secrétaire d'État, pour une fois, nous sommes face à un texte simple, qui prend parfaitement en compte la réalité du terrain. Mais étant donné le père de cette initiative, je ne pouvais en douter ! (Mme la secrétaire d'État sourit.)

Le texte vise, en outre, un objectif qui est essentiel dans le contexte économique actuel et auquel chacun d'entre nous ne peut que souscrire, celui de favoriser les embauches et l'emploi. Il s'agit donc, de façon pragmatique, d'étendre un dispositif qui fonctionne et remplit ses objectifs.

En adoptant cette proposition de loi, mes chers collègues, non seulement nous étendons une mesure de simplification administrative, mais nous facilitons aussi l'application des règles sociales.

En effet, le chèque emploi associatif offre une grande souplesse pour l'association employeur, tout comme pour le salarié ne désirant travailler que quelques heures, ce qui contribue à favoriser le travail associatif dans la légalité, voire, parfois, à ouvrir des droits sociaux pour un certain nombre d'intervenants. Il permet aussi de justifier plus facilement de l'usage des subventions reçues des municipalités.

La commission vous propose donc d'adopter cette proposition de loi dans les termes votés par l'Assemblée nationale.

En le votant, soyez assurés, mes chers collègues, que nous ferons oeuvre utile pour le développement du secteur associatif, secteur vivant et dynamique, auquel les élus, tout comme les citoyens, sont, à juste titre, très attachés. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)

M. le président. La parole est à Mme Janine Rozier.

Mme Janine Rozier. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, sans doute répéterai-je des points déjà développés par notre rapporteur, mais il n'est jamais inutile de rappeler des arguments forts !

Avec plus d'un million d'associations, la France est l'un des pays où le mouvement associatif est le plus développé et touche des domaines aussi variés que le sport, la culture, l'éducation, l'aide aux personnes.

Ces dernières années, la participation de bénévoles ou de volontaires au service de la communauté n'a cessé de se développer. Les notions d'altruisme, d'engagement, de solidarité sont sans doute plus présentes lorsque le monde environnant se durcit. On observe d'ailleurs la même évolution dans les pays voisins.

Le fonctionnement des associations repose surtout sur le bénévolat. Mais les bénévoles ne peuvent, à eux seuls, faire fonctionner les associations ; ils doivent s'adjoindre l'aide de salariés, généralement quelques heures par semaine ou par mois, pour accomplir diverses tâches.

Ainsi, outre son rôle social important, le secteur associatif joue également un rôle économique majeur, sachant qu'il est l'un des premiers employeurs de France, avec 1,5 à 2 millions de salariés et qu'une association sur six emploie au moins un salarié.

On comprend à quel point il a pu être dissuasif par le passé pour une association de petite taille de s'exposer aux lourdeurs et à la complexité de notre réglementation sociale en embauchant des salariés.

Les bénévoles sont généralement peu préparés et peinent à établir un contrat de travail, des fiches de paie, des déclarations trimestrielles ou des correspondances avec les organismes sociaux. S'ils ont recours à un prestataire externe pour les aider, l'embauche de salariés devient particulièrement coûteuse. La confection d'une fiche de paie par un prestataire externe revient à 25 euros en moyenne, quand bien même il ne s'agirait que de rémunérer trois ou quatre heures de travail !

En créant le chèque emploi associatif, la loi du 19 mai 2003 est donc venue répondre à une forte demande des associations. Suivant l'exemple du chèque emploi service, les employeurs disposent d'un chèque valant titre de paiement, comme Mme le rapporteur l'a précisé, et le calcul des charges sociales est transféré à un centre national de gestion assurant le respect des droits sociaux des salariés. Je ne reviendrai pas sur le dispositif qui vient d'être décrit, puisque chacun d'entre nous le connaît depuis longtemps.

Un premier bilan montre que le dispositif a favorisé les embauches et certainement contribué à lutter contre le travail au noir. Le taux d'utilisation du chèque associatif par les associations concernées est proche de 50 %, pourcentage dont il faut se féliciter, puisque le dispositif est relativement récent.

Mais le succès de ce dernier se heurte aujourd'hui à la limite fixant le nombre de salariés concernés. La loi prévoyait initialement que le chèque emploi serait limité à l'emploi d'un équivalent temps plein. Quelques mois plus tard, le dispositif était ouvert à trois équivalents temps plein.

Suivant une estimation du ministère de la santé, de la jeunesse et des sports, à l'heure actuelle, 30 % des employeurs associatifs ont un effectif allant de trois à neuf salariés. Selon le Centre national du chèque emploi associatif, le chèque emploi concerne 113 000 postes. Les experts estiment que ce chiffre pourrait être porté à plus de 137 000 adhésions s'il était étendu à neuf équivalents temps plein, comme le prévoit le présent texte.

La mesure suggérée par les auteurs de cette proposition de loi est donc loin d'avoir des conséquences négligeables. Elle va tout à fait dans le sens de l'écoute que l'on doit aux familles, grandes utilisatrices des services des associations. Je me réjouis que ce soit notre nouveau secrétaire d'État à la famille qui représente le Gouvernement ce matin. (Mme la secrétaire d'État sourit.)

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Très bien !

Mme Janine Rozier. La question s'est posée de savoir s'il convenait d'aller au-delà de ce seuil de neuf équivalents temps plein. Mais, comme l'a souligné notre rapporteur, aller au-delà de ce chiffre causerait des complications administratives, juridiques et sociales.

En outre, ce sont les petites structures que la solidarité nationale nous impose d'aider. Les milliers de petites associations existant en France ont des activités différentes et leurs problèmes de financement et d'emploi ne sont pas les mêmes que dans les plus grandes associations. C'est pourquoi notre groupe estime qu'il est satisfaisant de cibler les petites associations qui n'emploient pas plus de neuf équivalents temps plein.

Bien évidemment, le groupe UMP votera cette proposition de loi, qui assure une meilleure prise en compte des besoins et des attentes des associations.

Elle nous fournit l'occasion de rendre hommage au monde associatif, au sein duquel s'expriment les passions et le dévouement de nos concitoyens. Mme Sylvie Desmarescaux, rapporteur de la commission des affaires sociales, nous en a fait la brillante démonstration. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)

Mme Sylvie Desmarescaux, rapporteur. Merci !

M. le président. La parole est à M. Jean-François Voguet.

M. Jean-François Voguet. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, permettez, tout d'abord, au membre de la commission des affaires culturelles que je représente de regretter que la présente proposition de loi n'ait pas été soumise pour avis à cette commission.

En effet, la vie associative relevant de sa compétence, son avis pouvait être pertinent sur les modifications apportées au fonctionnement des associations par la mesure d'extension du chèque emploi associatif qui nous est proposée aujourd'hui.

D'ailleurs, elle n'a pas été davantage soumise au Conseil national de la vie associative, aux représentants traditionnels de la vie associative, en particulier à la Conférence permanente des coordinations associatives, à l'Union de syndicats et groupements d'employeurs représentatifs dans l'économie sociale et, bien entendu, aux syndicats de salariés.

Mme Sylvie Desmarescaux, rapporteur. C'est une proposition de loi !

M. Jean-François Voguet. Ainsi, une nouvelle fois, rapidement, sans concertation, on s'apprête à modifier le code du travail. Cette nécessaire concertation, cette négociation, oserais-je dire, s'avérait pourtant particulièrement nécessaire.

La première raison tient à la genèse de cet article du code du travail. En effet, c'est déjà avec une certaine précipitation que le chèque emploi associatif fut créé en 2003. À l'époque, l'objectif affiché était de permettre aux associations dépourvues de salariés de bénéficier de conditions administratives allégées pour employer du personnel. Mais, un mois avant l'entrée en vigueur de cette disposition, prévue le 1er janvier 2004, le Premier ministre de l'époque décidait par ordonnance que les associations potentiellement éligibles n'étaient plus seulement celles qui employaient au plus un équivalent temps plein, mais trois. Ce faisant, cette ordonnance modifiait déjà les objectifs du législateur.

Le chèque emploi associatif, créé pour faciliter l'emploi dans les petites associations, devenait un outil de gestion de l'emploi. Pourtant, madame Desmarescaux, en tant que rapporteur, à l'époque, vous notiez que la commission rejoignait l'auteur de la proposition de loi, car il prévoyait de limiter l'utilisation de ce chèque emploi. Vous déclariez alors : « En effet, les associations les plus importantes (...) disposent des ressources humaines et matérielles nécessaires pour faire face à leurs démarches administratives. »

Mme Sylvie Desmarescaux, rapporteur. Oui, les associations les plus importantes !

M. Jean-François Voguet. Le rapport de l'Assemblée nationale était, lui aussi, clair. Je le cite : « Il faut permettre aux associations qui n'ont pas encore franchi le cap du passage au statut d'employeur de surmonter les réticences psychologiques qui l'accompagnent. »

En d'autres termes, le dispositif était destiné à de petites structures, qui n'exigent que quelques heures de travail rémunéré par semaine, mais pour lesquelles ce travail est indispensable pour qu'elles puissent fonctionner. Nous en connaissons tous de nombreuses.

Ainsi, l'ordonnance de décembre 2003, en faisant passer de un à trois les équivalents temps plein, commençait à dénaturer la lettre et l'esprit de la loi. De ce fait, il eût été pertinent, avant toute modification de ce dispositif, d'en faire une évaluation avec l'ensemble des partenaires représentatifs des associations, d'autant que la modification qui nous est proposée aujourd'hui dénature encore plus ce dispositif en élargissant le nombre des associations susceptibles d'être concernées aux trois quarts des associations d'employeurs.

C'est la deuxième raison qui, à notre sens, aurait dû nous conduire à une véritable consultation, avant toute décision hâtive. En fait, ce dispositif devient un nouvel outil entre les mains des employeurs associatifs pour gérer leur personnel. Ce faisant, on augmente la précarisation des emplois associatifs, alors que, depuis des années, les pouvoirs publics avaient tendance à soutenir et à renforcer la professionnalisation de ces emplois en élargissant les compétences des salariés, pour transformer, développer et stabiliser leur emploi.

Cette proposition prend place après le blocage des budgets pour la formation des bénévoles, après la baisse considérable des subventions aux associations nationales agréées, après la réduction des partenariats locaux en faveur de l'éducation populaire. À cela s'ajoutent les interrogations sur l'avenir des contrats pluriannuels.

Ainsi, la politique gouvernementale en direction des associations prend forme par petites touches successives, qui vont toutes dans le même sens. Leurs ressources diminuant et devenant plus précaires, les associations doivent disposer d'outils de gestion de leur personnel qui leur permettent de les précariser eux aussi.

C'est en fait tout le sens de cette proposition de loi d'extension du chèque emploi associatif. Il sera dorénavant possible de rémunérer, sans contrat de travail, des personnels permanents et semi-permanents, dont on pourra plus facilement se libérer en cas de restriction des crédits ou de diminution d'activité.

Mme Sylvie Desmarescaux, rapporteur. Ce n'est pas vrai !

M. Jean-François Voguet. D'ores et déjà, 113 000 personnes travaillent sous ce régime précaire, ne percevant même ni prime de précarité, comme c'est le cas pour les salariés en contrat à durée déterminée, ni indemnité de licenciement quand il est mis fin à leur travail. L'objectif de cette proposition de loi est de faire passer cet effectif à plus de 200 000 personnes.

Jean-François Lamour, l'un de ses auteurs, qui était ministre chargé de la vie associative en 2003, nous explique que 31 % des salariés touchant des chèques emploi associatif sont des jeunes de 20 à 29 ans, comme s'il était normal, naturel même, de faire rimer jeunesse et précarité. Mais il nous dit aussi, a contrario, que près de 70 % sont des hommes et des femmes, souvent avec charge de famille, qui subissent eux aussi cette précarité extrême. Et vous voudriez aller encore plus loin !

Nous ne pouvons l'admettre, d'autant qu'en acceptant le développement de ce type de relation de travail au sein des associations, vous ouvrez grand la porte à l'expérimentation de ce type de rémunération, que certains membres de la majorité souhaiteraient voir s'étendre à l'ensemble des petites entreprises. Pour cette raison aussi, nous ne pouvons accepter votre proposition de loi.

Tout en refusant l'extension des chèques emploi associatif, telle qu'elle nous est présentée aujourd'hui, nous ne rejetons pas pour autant ce dispositif, qui peut s'avérer utile pour de nombreuses associations. Puisque seulement 21 % des associations pouvant y prétendre utilisent ce type de paiement de leurs intervenants, il serait nécessaire de mieux faire connaître, de populariser ce dispositif. Nous pourrions même, peut-être, l'étendre à de nouvelles associations, si l'utilisation de ce chèque était limitée, et même restreinte, à un nombre d'heures ou à un type d'emploi, par exemple. Ce dispositif faciliterait donc la rémunération de certaines activités, sans mettre en danger pour autant les emplois permanents en contrat à durée indéterminée, qu'il nous faut soutenir pour pérenniser l'existence et l'activité même des associations dont notre société a tant besoin.

En outre, comme mon groupe l'avait déjà demandé en 2003, il serait nécessaire de soulever aussi, d'une part, la question du cadre minimal de la convention collective de référence, d'autre part, la question des organismes de retraites complémentaires et de prévoyance compétents. Ces questions n'ont toujours pas trouvé de réponse, pas plus que n'en ont trouvé celles qui concernent le droit des personnels ainsi rémunérés aux vacances, à la formation professionnelle et à bien d'autres choses encore.

Nous sommes prêts, dans le cadre d'un vrai travail législatif, à participer à une revalorisation de ce dispositif. Mais, dans ces conditions de précipitation et en l'absence de réelle consultation et de réelle concertation, nous ne pouvons que voter contre cette proposition de loi.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. C'est dommage !

Mme Sylvie Desmarescaux, rapporteur. Pour les associations !

M. le président. La parole est à Mme Annie Jarraud-Vergnolle.

Mme Annie Jarraud-Vergnolle. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, l'activité du secteur associatif en France, l'attachement des Français pour celui-ci et, surtout, l'importance incontestable de son action sur le tissu social et culturel, la santé de l'économie sociale dans laquelle il s'inscrit en font un sujet de premier ordre.

La question de l'extension du chèque emploi associatif nous oblige à envisager cette proposition de loi dans un contexte couvrant un large spectre, qui va de la gestion des associations elles-mêmes à la vie des quartiers, en passant par l'insertion, la culture de proximité, le sport, la santé et, bien sûr, l'emploi. En somme, il s'agit du quotidien de nombreux Français.

Sur le sujet, nous disposons d'une littérature abondante et fournie, qui ne date pas d'hier. Depuis la loi de 1901, les structures associatives ont connu bien des aménagements. Mais ce qui fonde le principe unificateur de ces associations c'est, sans aucun doute, la liberté qui les régit et l'espace spécifique dans lesquelles elles se situent : entre l'État et le marché, celui de la société civile et de ses organisations spécifiques, celui de l'économie sociale, un caractère non lucratif, la réalisation d'objectifs sociaux et éventuellement d'activités économiques qui y sont rattachées.

Il est peu d'acquis sociaux, qui nous sont familiers aujourd'hui, à l'origine desquels il n'y ait eu des regroupements d'hommes et de femmes qui se sont associés soit pour faire reconnaître des droits et des besoins, soit pour créer des nouveaux services qui faisaient défaut. Dans l'histoire du progrès social, les associations, depuis qu'elles existent, ont toujours été porteuses d'innovation.

Cependant, aujourd'hui, en effectuant une recherche rapide sur l'historique des aménagements structurels associatifs récents, force est de constater que l'extension du chèque emploi associatif n'est pas exactement une innovation dont il y aurait lieu de se féliciter. Il s'agit plutôt d'une réparation, d'une amélioration nécessaire, bien que très insuffisante, que les associations elles-mêmes appellent de leurs voeux. Et pour cause !

À ceux qui ont la mémoire courte, laissez-moi vous rappeler quelques faits édifiants. Dès après, vous apprécierez sans doute, avec toute la tempérance qui s'impose, la trouvaille de la majorité pour avoir l'air d'améliorer les conditions d'exercice des associations, que le gouvernement de M. Raffarin avait lui-même gravement mises à mal en arrivant aux affaires en 2002.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Oh !

Mme Annie Jarraud-Vergnolle. À cette époque, le Premier ministre ne se doutait pas que sa formule fleurie « la pente est rude, mais la route est droite » était particulièrement appropriée à la question qui nous intéresse. Il lui avait sans doute échappé que, en bon français, la pente nous dirige vers le bas. (M. Jean-Pierre Michel rit.) Si la pente est rude, l'emprunter en ligne droite y mène d'autant plus vite !

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Tout schuss ! (Sourires.)

Mme Annie Jarraud-Vergnolle. En balayant d'un revers de manche, et sans trop d'égards, les emplois jeunes, les contrats emploi-solidarité et les contrats emplois consolidés, dont nul aujourd'hui n'oserait nier les bienfaits, le Premier ministre d'alors s'illustrait avec panache dans tout le génie de sa formule. C'est lui-même qui mettait l'ensemble du milieu associatif sur la voie désignée : la pente douce des difficultés.

Afin de corriger les méfaits d'une décision incongrue, inadaptée à un secteur dont la vitalité se mesure notamment à sa capacité de créer de l'emploi, la loi du 19 mai 2003 mettait en place le chèque emploi associatif.

Dès le 18 décembre de la même année, une ordonnance portait à trois équivalents temps plein le nombre de salariés pouvant être rémunérés par chèque emploi associatif, comme un aveu du succès de ce dispositif, à moins qu'il ne se soit agi de la très grande nécessité pour les associations d'y recourir.

Il faudra attendre 2008 pour que, enfin, les chèques emploi associatif ne soient plus limités à trois postes par association à but non lucratif, mais permettent de rémunérer neuf équivalents temps plein, cette disposition étant limitée aux associations de moins de 10 salariés. À défaut, le progrès nous entraînerait trop loin !...

La route est longue, comme nous le rappelions !

À son tour, Xavier Bertrand, alors ministre de la santé et des solidarités, coeur d'expertise de nombreuses associations qui assument leur rôle avec peu de moyens, devait répondre aux revendications des partenaires sociaux.

On a pu lire un peu partout que les associations, notamment celles que regroupe le collectif « Ni pauvre, ni soumis », restaient cruellement sur leur faim après leur décevante rencontre avec le ministre. Ainsi, l'action annoncée semble assez peu probante.

C'est que, pour marcher sur la pente rude et droite, il y a deux écoles : celle qui évalue et qui s'engage, et celle qui adopte une attitude de façade, aussi flatteuse qu'inefficace, à long terme du moins, et qui parade au lieu d'avancer.

Après nous avoir servi le très insuffisant revenu d'existence, qui n'est pour le moment qu'expérimental - je vous épargne même la revalorisation de l'allocation aux adultes handicapés, une arlésienne du Président Sarkozy -,...

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Il s'y est engagé ! À hauteur de 5 % !

Mme Annie Jarraud-Vergnolle. ...après avoir procédé aux coupes franches, promises mais non encore échues, il n'y a pas si longtemps, lors de l'examen de la loi de finances pour 2008, et sur lesquelles j'étais déjà intervenue pour m'en indigner, cela va de soi, vous faites partie - nous sommes nombreux à le penser - de la seconde catégorie : celle qui promet, mais ne fait rien.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Oh !

Mme Annie Jarraud-Vergnolle. Je vous rappelle que, à l'arrivée de la gauche, en 1981, le mouvement associatif, multisectoriel et global, fut reconnu comme une composante spécifique d'expression et d'action de la société civile, comme un partenaire des pouvoirs publics. On découvrait alors son importance dans l'économie du pays avec plus de 700 000 salariés à cette époque ; on en compte près de 2 millions aujourd'hui.

Cette évolution reflète bien le dynamisme, la vitalité, mais aussi la professionnalisation de ce secteur, qui est dorénavant incontournable. Malheureusement, on ne peut que constater que les crédits d'intervention en direction de ce secteur, notamment ceux qui figurent au programme « Jeunesse et vie associative », sont, encore une fois, en baisse en 2008 - moins 4,2 % en euros constants. Pour 67 % d'entre elles, les associations estiment que leurs missions sont de plus en plus difficiles à remplir en raison de moyens budgétaires insuffisants. Et je ne parle pas de leurs problèmes de trésorerie dus aux retards de paiement !

Pourtant, l'État s'épargne bien des dépenses grâce au travail réalisé par ces 14 millions de bénévoles ! Ce secteur ne mérite-t-il pas dès lors d'être reconnu et encouragé ?

Vous pourriez reprocher au gouvernement Jospin de n'en avoir pas fait assez, en son temps.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. On ne vous le fait pas dire !

Mme Annie Jarraud-Vergnolle. Avec cette proposition de loi, vous faites vraiment moins. Vous vous contentez du minimum minimorum, qui ne suffira pas à subvenir aux besoins importants de ces acteurs de la vie sociale, de l'équilibre des quartiers, aux besoins de la vie culturelle que porte à peu de frais, et avec peu de moyens, le corps associatif.

Avec cette proposition de loi, vous ne corrigerez pas les méfaits d'une politique qui remonte à la fin de 2002, les conséquences de décisions peu éclairées, d'une gestion financière qui va aujourd'hui largement à l'encontre de l'intérêt des Français.

Quand on prive les personnes des moyens de se réunir, d'échanger, de s'aider, de vivre décemment ou de se cultiver, il faut bien soutenir ceux qui oeuvrent à les encadrer. C'est le moins que l'on puisse faire. Mais c'est ce que vous faites le moins ! (M. le président de la commission des affaires sociales sourit.)

Voilà pourquoi la parade dont vous usez n'impressionne personne et ne satisfait que vous !

Voilà pourquoi mes collègues et moi-même pensons que cette attribution des chèques emploi associatif cache encore un désengagement de l'État pour ce secteur, particulièrement sensible dans le domaine de l'insertion, devenu indispensable pour la politique de l'emploi en faveur des plus démunis.

À ce titre, et au-delà de nos divergences de vues, j'avoue ne pas comprendre votre logique, s'il en est une !

Cette vie associative, qui concerne un Français sur deux, qui assume les missions de service public, dont l'État que vous dirigez se dédouane - missions d'insertion sociale auprès des jeunes, des personnes handicapées, des personnes âgées ou des enfants en bas âge -, qui s'avère nécessaire et efficace là où l'État semble être à la peine - je pense à la vie des quartiers, aux violences scolaires, au soutien extrascolaire, aux activités culturelles et sportives locales -, qui permet si souvent d'éviter le délitement du lien social, où les moyens font tant défaut et où l'autorégulation n'existe pas, cette vie associative, disais-je, est donc, de près ou de loin, un pilier de l'économie sociale.

L'économie sociale !

Pour vous qui n'avez que ces mots à la bouche - économie, valeur travail, activités, rentabilité, entreprendre -, comment peut-il se faire que vous soyez si frileux dans le soutien à une pépinière si prometteuse ?

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Au contraire, c'est audacieux !

Mme Annie Jarraud-Vergnolle. Le ratio moyens-résultats devrait vous mobiliser davantage.

C'est ici qu'il est payant d'investir ! C'est ici qu'il faut favoriser l'emploi, pour encore plus d'emplois. C'est ici qu'il faudrait exercer une volonté politique de soutien fort et durable.

La pente est rude, la route est droite ! Depuis le temps qu'elles oeuvrent avec peu de moyens, les associations ont de l'endurance. C'est là qu'il faut miser sur l'avenir !

Nous avons l'impression que vous concevez un État qui peut intervenir largement dans l'économie, pour peu qu'elle ne soit pas sociale.

J'aimerais demander quel est le sens de la gouvernance d'un pays qui procède ainsi, mais je gage que vous vous en défendrez, faisant valoir le coup d'esbroufe auquel vous nous préparez et que vous ne vous lasserez pas de nous resservir opportunément.

Neuf emplois équivalent temps plein, c'est toujours mieux que trois. C'est incontestable ! Les petites associations le réclament. Elles savent de quoi il retourne.

Au fond, l'extension du chèque emploi associatif, qui pourrait être contre ? Surtout pas nous !

Pour nous, il est toujours question d'efficacité, de solidarité et de démocratie. Mais ce chèque associatif ne saurait remplacer une politique active en faveur des associations et de l'emploi associatif, fondée sur des relations partenariales équilibrées avec les pouvoirs publics.

Il est maintenant primordial que ce secteur créatif puisse être conforté et reconnu dans ses missions indispensables au maintien des grands équilibres sociétaux.

Le groupe socialiste ne votera pas contre ; il n'est pas contre ce chèque.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Ah !

Mme Annie Jarraud-Vergnolle. Il s'abstiendra seulement, pour formuler son refus de cautionner le moins-disant des politiques publiques actuelles, qui s'emploient à mettre un plâtre sur une jambe de bois. L'arbre cache à peine la forêt. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Nadine Morano, secrétaire d'État. Monsieur le président, je souhaiterais tout d'abord m'associer à l'hommage rendu aux associations par Mme  Desmarescaux dans son excellent rapport. Elle a notamment rappelé qu'un Français sur trois est membre d'une association et que le partenariat des communes est très important pour le financement des associations.

Mme Rozier, dont je partage l'analyse, a souligné le rôle important des associations et mentionné que le dispositif du chèque emploi associatif avait certainement contribué à lutter contre le travail au noir.

À M. Voguet, qui a parlé de précarité, je dirai que le chèque emploi associatif, en facilitant les démarches sociales des associations, favorise au contraire la déclaration des salariés, donc l'acquisition des droits et l'accès à l'emploi durable.

À Mme Jarraud-Vergnolle, je rappellerai que le chèque emploi associatif est un outil supplémentaire, demandé par les associations. Le Gouvernement comme la majorité souhaitent préserver un réseau dense et diversifié.

À propos des emplois-jeunes qu'elle a évoqués, je répondrai que, pour nous, ils étaient une voie sans issue et qu'on allait se cogner la tête contre les murs à la fin des cinq ans. Nous avons tous constaté les effets dévastateurs de ce dispositif sur le terrain.

Xavier Bertrand et moi-même souhaitons garantir une visibilité et une sécurité plus grandes des dispositifs proposés aux Français, y compris aux associations. Ce nouvel outil important était attendu.

En écoutant votre intervention, madame, j'ai craint que vous ne votiez contre cette proposition de loi et que vous ne vous perdiez dans le dédale des mauvaises idées. Or j'espère que votre abstention vous conduira sur le chemin qui favorise le retour à l'emploi. Dès lors qu'est proposé, sans imposer, un outil supplémentaire aux associations, nous pourrions nous retrouver tous ensemble sur ce chemin ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)

M. le président. La parole est à Mme le rapporteur.

Mme Sylvie Desmarescaux, rapporteur. Monsieur le président, je me suis peut-être mal exprimée tout à l'heure, puisque Annie Jarraud-Vergnolle et Jean-François Voguet n'ont pas compris l'intérêt de cette proposition de loi pour les associations.

M. Jean-François Voguet. Nous connaissons très bien le monde associatif !

Mme Annie Jarraud-Vergnolle. Nous avons très bien compris !

Mme Sylvie Desmarescaux, rapporteur. Monsieur Voguet, vous avez parlé de précarité alors que, au contraire, des droits supplémentaires ont été accordés, notamment aux jeunes.

Vous dites que les associations n'ont pas été consultées ! Je précise que, élus locaux comme vous, mon collègue Jean-Pierre Decool et moi-même avons été présents sur le terrain et rencontré de nombreuses associations.

Je vous rappelle que vous avez émis un vote négatif lors de la réunion de la commission des affaires sociales et qu'en 2003 vous vous étiez abstenus.

Aujourd'hui, je n'ai pas été nommée rapporteur pour politiser le sujet. Les attaques en direction du Gouvernement ont été claires et nettes, pour qui veut les entendre. Or, en défendant ce chèque emploi associatif, je voulais simplement répondre aux attentes des associations.

Le chemin a peut-être été long - on est d'abord passé de un à trois équivalents temps plein -, mais nous avons pris le temps d'observer et de travailler. Quoi qu'il en soit, il est certain que nous ne partageons pas les mêmes idées, monsieur le sénateur.

Vous ne regrettez pas la mise en place de ce dispositif. Au contraire, vous souhaitez que le chèque emploi associatif soit mieux connu et fasse l'objet d'une meilleure communication. Je ne comprends pas votre vote, mais je respecte votre choix.

Madame Jarraud-Vergnolle, le chemin a peut-être été long, la pente a été rude, mais tout dépend du sens dans lequel on la prend ! (Sourires.)

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Les socialistes la prennent toujours en descente ! (Nouveaux sourires.)

Mme Sylvie Desmarescaux, rapporteur. Aujourd'hui, nous répondons à une demande des associations, qui sont très attachées au chèque emploi associatif. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)

M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...

La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion de l'article unique.

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi relative à l'extension du chèque emploi associatif
Article unique (fin)

Article unique

I. - Dans la première phrase du premier alinéa de l'article L. 128-1 du code du travail, le mot : « trois » est remplacé par le mot : « neuf ».

II. - Dans le 1° de l'article L. 1272-1 du code du travail tel qu'il résulte de l'ordonnance n° 2007-329 du 12 mars 2007 relative au code du travail (partie législative), le mot : « trois » est remplacé par le mot : « neuf ».

M. le président. Personne ne demande la parole ?...

Je mets aux voix l'article unique constituant l'ensemble de la proposition de loi.

(La proposition de loi est définitivement adoptée.)

M. le président. Mes chers collègues, l'ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à seize heures.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix heures cinquante-cinq, est reprise à seize heures cinq, sous la présidence de M. Christian Poncelet.)

PRÉSIDENCE DE M. Christian Poncelet

M. le président. La séance est reprise.

Article unique (début)
Dossier législatif : proposition de loi relative à l'extension du chèque emploi associatif
 

3

Rappel au règlement

M. le président. La parole est à M. Gérard Le Cam, pour un rappel au règlement.

M. Gérard Le Cam. Monsieur le président, mon rappel au règlement concerne l'organisation de nos travaux.

Nous venons d'apprendre que la présentation, devant la commission des affaires économiques, du rapport sur le texte relatif aux organismes génétiquement modifiés est reportée du mercredi 9 avril au mardi 15 avril, du fait du retard pris par l'Assemblée nationale dans l'examen de ce projet de loi.

En conséquence, la discussion au Sénat en séance publique, prévue les mercredi 16 et jeudi 17 avril, aura lieu dans la foulée de la présentation du rapport de la commission, ce qui complique notre travail de parlementaires, notamment si nous désirons déposer des amendements.

Aussi, monsieur le président, je vous demande de vous faire notre interprète auprès de la conférence des présidents pour que celle-ci reporte la discussion de ce projet de loi après l'interruption des travaux parlementaires de Pâques. Nous avons tous un emploi du temps chargé et c'est d'autant plus vrai de ceux d'entre nous qui sont maires, compte tenu du report du vote des budgets municipaux au 15 avril.

M. le président. Monsieur Le Cam, je vous donne acte de votre rappel au règlement.

Votre question sera soumise à la conférence des présidents, qui se réunira demain, mercredi 9 avril, à dix-sept heures.

4

Aide aux malades en fin de vie

Discussion d'une question orale avec débat

(Ordre du jour réservé)

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion de la question orale avec débat no 17 de M. Jean-Pierre Godefroy à Mme la ministre de la santé, de la jeunesse, des sports et de la vie associative.

Cette question est ainsi libellée :

« M. Jean-Pierre Godefroy demande à Mme la ministre de la santé, de la jeunesse, des sports et de la vie associative de bien vouloir lui indiquer les initiatives que le Gouvernement compte prendre sur la question des malades en fin de vie.

« Plusieurs cas récents mettent aujourd'hui en lumière les lacunes de la loi n° 2005-370 votée le 22 avril 2005. Certes, en s'inscrivant dans le prolongement de la loi n° 1999-477 du 9 juin 1999 garantissant à tous l'accès aux soins palliatifs et de la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades, elle a confirmé la prohibition de l'acharnement thérapeutique et légalisé le double effet. Mais, en instaurant un droit au ?laisser mourir?qui peut répondre aux situations de malades en fin de vie, elle a volontairement exclu la question de ?l'aide active à mourir?.

« Comme l'avait déjà proposé le groupe socialiste du Sénat en 2005, il semble aujourd'hui nécessaire d'aller plus loin vers la reconnaissance d'une exception d'euthanasie qui permettrait de gérer les cas exceptionnels pour lesquels les soins palliatifs ne peuvent apporter la solution. »

La parole est à M. Jean-Pierre Godefroy, auteur de la question.

M. Jean-Pierre Godefroy. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, voilà trois ans, quasiment jour pour jour, nous avions déjà eu un débat très intéressant, mais aussi extrêmement frustrant, sur la fin de vie et l'euthanasie.

Les circonstances de ce nouveau débat sont quasiment identiques à celles qui prévalaient voilà trois ans. J'espère néanmoins que l'issue en sera différente. Dois-je rappeler que, à l'époque, trois groupes - le groupe socialiste, le groupe de l'Union centriste et le groupe CRC - avaient quitté l'hémicycle avant la fin des débats pour protester contre l'impossibilité de faire adopter l'un quelconque des amendements déposés, y compris de ceux qui avaient été votés le matin même en commission ?

Placé sous les feux de l'actualité, le débat d'aujourd'hui doit s'extraire des cas récents pour s'élever au niveau de l'intérêt général. Les parlementaires doivent s'inscrire résolument dans les débats de leur temps et, comme on pouvait le lire dans un éditorial d'un quotidien du matin, « c'est l'honneur du politique, sa plus haute mission, que de légiférer sur l'essentiel d'une société, la vie et la mort », même si cela est toujours extrêmement difficile.

Si le groupe socialiste du Sénat a souhaité lancer le débat avec cette question orale, c'est parce qu'il se rappelle ce qui s'est passé dans ce même hémicycle voilà trois. Les intervenants sont quasiment les mêmes, seul le représentant du Gouvernement a changé. J'espère, madame la ministre, que vous vous montrerez plus réceptive que votre prédécesseur !

La mort est la plus grande angoisse de la condition humaine. Bien qu'elle soit finalement inévitable, elle est source de révolte, et ce d'autant plus qu'elle n'est pas la même pour tout le monde : certains meurent « paisiblement », si je puis dire, dans leur lit, d'autres sont surpris en pleine activité, d'autres encore doivent affronter de grandes souffrances parfois pendant très longtemps.

Une étude montre que, si 70 % des Français déclarent vouloir mourir paisiblement chez eux, dans les faits, 70 % d'entre eux - et même 85 % en milieu urbain - meurent à l'hôpital.

Dans son livre, Je ne suis pas un assassin, le docteur Chaussoy écrit : « Il faut une sage-femme pour mettre l'homme au monde, il faut aussi des passeurs, des hommes et des femmes sages, pour l'accompagner dans ce monde et l'aider à bien le quitter ». Voilà une citation qui illustre bien ce dont il est question dans tout débat sur l'accompagnement de la fin de vie. La question du passage est, à mon sens, essentielle.

Le débat sur la fin de vie est complexe parce qu'il met en cause deux principes fondamentaux qui peuvent sembler contradictoires : le respect de la vie, d'une part, le respect de la dignité et de la liberté de l'homme, d'autre part.

Il est interdit de donner la mort : tel est l'impératif éthique, social et politique. Pour autant, au nom de la liberté, tout homme doit avoir l'assurance qu'il pourra « vivre sa mort » conformément à ses choix.

En préambule, il importe de rappeler que, si la question dont nous débattons aujourd'hui est difficile, délicate à aborder parce qu'elle fait appel à des convictions notamment morales, religieuses, philosophiques ou éthiques, néanmoins, dans un pays laïc, la morale religieuse, fort respectable au demeurant, ne saurait empêcher de légiférer.

Comme j'ai déjà eu l'occasion de le souligner voilà trois ans, je suis pour ma part intimement convaincu qu'au lieu de se demander ce qui est permis ou défendu aux tierces personnes - médecins, soignants, famille, proches, notamment - en matière de lutte contre la douleur, d'acceptation ou de refus de traitement, voire d'euthanasie, il faut faire de la personne concernée le centre de gravité de tout le système. Il faut se demander quels sont les droits des êtres humains sur la fin de leur vie. Selon moi, ces droits devraient être absolus, parce que la vie n'appartient ni aux médecins, ni aux philosophes, ni aux procureurs, ni aux juges, ni aux hommes de religion, ni aux techniciens chargés des machines destinées à maintenir artificiellement en vie des hommes et de femmes : c'est de la volonté du patient et de lui seul qu'il faut tenir compte.

Sur ces questions douloureuses, émotionnelles et controversées, il ne s'agit pas de savoir qui a définitivement raison. Les avis sont divergents et ils le resteront. Il s'agit de trancher la seule question qui compte : celle du respect de la liberté de choix et du droit à l'autodétermination de la personne humaine.

On distingue parfois l'euthanasie active de l'euthanasie passive. Je rappelle d'abord que le terme « euthanasie » vient du grec euthanasia, eu signifiant « bien » et thanatos « mort ». L'euthanasie, c'est donc la bonne mort, douce et sans souffrances.

L'euthanasie passive désigne des cas d'omission ou d'interruption de traitements de survie. C'est l'opposé de l'autre option qui consiste à tenter de maintenir le patient en vie par un traitement acharné, agressif et inutile, pratique condamnée par l'éthique médicale, à plus forte raison lorsque le malade a refusé ce traitement.

Même si les auteurs du texte s'en défendent toujours, la première hypothèse est bien celle que prévoit la loi de 2005. Mais dans quelles conditions ? Le savons-nous ? Que savons-nous de ce temps suspendu, parfois plusieurs jours avant l'échéance ultime ? L'omission ou l'interruption d'un traitement ne suffisent pas toujours. Quant à la sédation, qui endort, elle ne sert qu'à faire perdre au patient la perception de la réalité, celle du temps et, finalement, celle de sa propre fin de vie.

Si l'euthanasie passive est, dans certains cas, reconnue sur le plan idéologique, religieux et légal, il est difficile de voir le fondement moral de la distinction avec l'euthanasie active.

Y a-t-il d'ailleurs vraiment une euthanasie passive ? La distinction doit-elle être faite ? À mon avis, non ! La seule question est de savoir si l'on reconnaît ou pas à chacun le droit à disposer de sa mort. Pour moi, le droit à l'euthanasie n'est pas un choix entre la vie et la mort ; c'est un choix entre deux façons de mourir.

Madame la ministre, mes chers collègues, à cet instant de mon intervention, il me semble important de m'arrêter sur le cas de la Belgique, dont la législation, qui date de 2002, me paraît être, au moins partiellement, un modèle à suivre tant dans son contenu que dans son mode d'élaboration : il a fallu deux ans de débat avant l'adoption du texte final, deux ans pendant lesquels le débat fut mené partout, et même retransmis à la télévision.

Aujourd'hui, cette loi est bien acceptée et, n'en déplaise à ses détracteurs, elle est loin d'être laxiste, comme on tente trop souvent de nous le faire croire. En 2007, 495 personnes ont été euthanasiées en Belgique ; toutes remplissaient les conditions nécessaires, que je rappelle : le patient « capable et conscient » doit connaître une souffrance physique ou psychique « constante », « insupportable », « qui ne peut être apaisée » et qui résulte d'une affection accidentelle ou pathologique « grave et incurable » ; il formule une demande « volontaire, réfléchie et répétée » ; des médecins examinent sa requête, puis envoient une déclaration d'euthanasie à une commission de contrôle dans les quatre jours suivant la mort. Aucun cas, je dis bien aucun cas suspect n'a été signalé au parquet. Le circuit est encadré, et l'euthanasie ne représente en Belgique que 0,5 % des décès. Si aujourd'hui les Belges, tout comme les Néerlandais, portent leurs efforts sur le développement des soins palliatifs, c'est qu'ils ont pris conscience du retard qu'ils avaient en ce domaine, et cela ne remet nullement en cause la loi votée en 2002.

Telle n'est pas, ni sur la forme ni sur le fond, la voie choisie voilà trois ans par notre pays. À ce titre, je vous conseille, pour information, la lecture du dernier ouvrage de François de Closets, Le Divorce français, dans lequel les conditions du débat et la genèse de la loi du 22 avril 2005 sont, à mon sens, assez justement rapportées et analysées.

Je reconnais que la loi du 22 avril 2005 a permis certaines avancées, et même de très belles avancées. En s'inscrivant dans le prolongement de la loi du 9 juin 1999 garantissant à tous l'accès aux soins palliatifs et de la loi du 4 mars 2002 relative notamment aux droits des malades, elle a confirmé la prohibition de l'acharnement thérapeutique et légalisé ce que l'on appelle le « double effet ». C'est un progrès indiscutable pour les médecins, qui ont vu dépénaliser leurs bonnes pratiques de fin de vie ; c'est aussi un progrès pour les malades, qui voient confirmer leur droit à refuser toute forme de traitement, au risque de précipiter leur fin ; c'est un progrès encore que de voir reconnaître aux directives anticipées une valeur, ne serait-ce qu'indicative.

Pourtant, aujourd'hui, force est de constater les lacunes de notre législation.

À cet égard, je me dois de rappeler qu'en 2005 le groupe socialiste avait proposé que l'application de la loi fasse l'objet d'une évaluation par l'Office parlementaire d'évaluation des politiques de santé, l'OPEPS, et que le texte soit de nouveau examiné par le Parlement dans un délai maximum de trois ans après son entrée en vigueur. Je crois que ce qui se passe aujourd'hui nous donne raison sur ce point et que, si notre amendement avait été adopté alors, nous aborderions le débat d'aujourd'hui plus sereinement.

J'ai bien noté que le Gouvernement vient, en urgence, de demander au député Jean Leonetti une évaluation de la mise en oeuvre de la loi de 2005. Je m'en félicite, même si je ne crois pas vraiment qu'il revienne au principal auteur du texte, malgré sa grande compétence, d'en faire lui-même l'évaluation de l'application : sans doute une évaluation collégiale et indépendante aurait-elle beaucoup plus de sens.

M. François Autain. Vous avez raison !

M. Jean-Pierre Godefroy. Certains affirment que nombre de soignants comme de patients ignorent ce que permet la loi du 22 avril 2005. C'est possible, mais, mes chers collègues, cela vaut pour cette loi comme pour bien d'autres : il faut diffuser largement l'information pertinente. Pour autant, je crois qu'il serait hypocrite d'en rester là.

L'autre lacune majeure qui a d'ores et déjà été identifiée, c'est bien sûr l'insuffisance des soins palliatifs. Madame la ministre, dans le rapport qu'elle vous a remis à la fin de l'année dernière, Mme Marie de Hennezel dresse un état de carence généralisée des soins palliatifs dans notre pays. Elle établit l'existence d'inégalités profondes dans l'accès aux soins palliatifs selon les régions, ainsi que des difficultés majeures et récurrentes dans la diffusion en France de la culture des soins palliatifs. Elle conclut que les sources actuelles de financement des activités de soins palliatifs ne sont aucunement à la hauteur des missions et des enjeux auxquels nous devons faire face.

À cet égard, force est de constater que la question du financement se heurte aux effets pervers des nouveaux systèmes de tarification hospitalière, qui n'ont de cesse de privilégier la réduction des durées d'hospitalisation et la réalisation d'actes lourds - tout le contraire des soins palliatifs !

Madame la ministre, nous venons de prendre connaissance de la circulaire que vous avez adressée aux agences régionales de l'hospitalisation. Néanmoins, nous attendons toujours de savoir quelles suites vous comptez donner au rapport qui vous a été remis par Mme Marie de Hennezel et quelles mesures vous envisagez de prendre pour développer les soins palliatifs dans notre pays.

Cela étant, si je partage les constats de Mme de Hennezel sur les soins palliatifs, je ne suis pas d'accord avec elle quand elle affirme que le développement des soins palliatifs suffirait à exclure la question de l'euthanasie. Je récuse cette idée. Le débat qui nous réunit aujourd'hui ne doit pas se résumer à cette alternative, car la question des soins palliatifs et celle de l'euthanasie ne sont pas alternatives et ne doivent surtout pas l'être : elles sont complémentaires.

Mais que sont les soins palliatifs ? Leur objectif est simple autant qu'ambitieux : « dispenser toutes les thérapeutiques permettant de réduire au mieux les souffrances des personnes malades pour lesquelles le corps médical a établi qu'elles ne pouvaient plus bénéficier d'actions salvatrices ». Tout est dans le « au mieux ». En effet, nul ne peut prétendre que les soins palliatifs sont la solution ultime, parfaite, pour soulager toutes les personnes en fin de vie. Les connaissances sur la douleur ont certes fait de grands progrès ces dernières années, mais elles sont encore largement insuffisantes pour garantir un succès absolu dans la lutte contre la douleur physique, et encore moins contre la douleur psychique. La recherche dans ce domaine doit d'ailleurs être encouragée et développée.

C'est pourquoi je crois qu'il est aujourd'hui nécessaire d'aller plus loin en reconnaissant une aide active à mourir ou, si l'on veut, une « exception d'euthanasie ».

Je vous rappelle, mes chers collègues, que le Comité consultatif national d'éthique s'est prononcé en faveur d'une telle exception dès le 27 janvier 2000. Vous me permettrez de citer deux extraits de son avis.

« Face à certaines détresses, lorsque tout espoir thérapeutique est vain et que la souffrance se révèle insupportable, on peut se trouver conduit à prendre en considération le fait que l'être humain surpasse la règle et que la simple sollicitude se révèle parfois comme le dernier moyen de faire face ensemble à l'inéluctable. Cette position peut être alors qualifiée d'engagement solidaire. » Je souscris pleinement à ces propos du Comité d'éthique, ainsi qu'à ceux qui suivent.

« De telles détresses appellent la compassion et la sollicitude. Certes, ces termes peuvent être compris de façon paternaliste, comme sollicitant la pitié ou la commisération. Mais, conjuguées avec le respect et marquées par la recherche d'une relation partenariale authentique, compassion et sollicitude incitent à l'humanité, à la sensibilité et à la solidarité. Dépassant le seul registre du droit moral et de la revendication, elles marquent des ouvertures inédites, autorisées par le partage d'une commune condition. »

Comme nous vous le proposions il y a trois ans, il doit s'agir non pas de « dépénaliser l'euthanasie » mais bien d'encadrer en l'insérant dans le code de la santé publique, pour certaines situations caractérisées - souffrance physique ou psychique constante, insupportable, non maîtrisable - et dans des circonstances précises, une aide active à mourir soumise à des conditions strictes, une aide qui ne peut être prodiguée que par un médecin et dans le respect d'une procédure collégiale, une aide qui ne peut être apportée que lorsque la volonté et le consentement de la personne sont clairs, libres et réitérés.

Je veux notamment insister sur le cas de ces hommes et de ces femmes qui, en état de dépendante totale, doivent faire appel à une tierce personne pour tous les actes de leur vie quotidienne - soins, toilette, nourriture, communication -, sans pour autant aujourd'hui pouvoir faire appel, dès l'instant où leur corps les en empêche, à cette tierce personne pour mettre fin à leurs jours.

M. Jean Leonetti rappelait il y a quelque temps que le suicide est non pas un droit, mais une liberté ; or c'est justement cette liberté qui est refusée aux personnes totalement dépendantes et handicapées qui ne peuvent plus s'exprimer, qui ne peuvent plus agir par elles-mêmes. Il me semble que c'est ajouter une souffrance à la souffrance et que refuser cette liberté à ceux qui la demandent, c'est, j'ose le dire sans provocation, la dernière discrimination qu'on leur fera subir.

Telle est précisément la raison pour laquelle nous vous proposions voilà trois ans un amendement qui visait à ajouter aux quatre cas exonérant les médecins de poursuites pénales prévus dans la loi - refus de l'obstination déraisonnable ; principe du « double effet » ; limitation ou arrêt de traitement pour les personnes conscientes en fin de vie ou non ; limitation ou arrêt de traitement pour les personnes inconscientes en fin de vie ou non - un cinquième cas : l'aide médicalisée pour mourir. Je crois que cette proposition est toujours d'actualité, et il me semble urgent d'étudier sérieusement cette piste, la liberté de conscience du médecin restant bien entendu toujours affirmée.

En aucun cas il ne peut s'agir de changer l'interdit éthique « Tu ne tueras pas », qui vise le cas d'une mort imposée à une personne qui ne la souhaite pas. Nous défendons simplement la possibilité d'assister les personnes qui souhaitent abréger leur existence pour des raisons tout à fait justifiées tenant aux souffrances intolérables qu'elles subissent. Je crois que cela permettrait d'avancer dans cette fameuse « voie française » qu'ont voulu promouvoir les auteurs du texte de 2005.

Le Parlement français s'honorerait à regarder enfin en face la question de l'euthanasie : nous ne pouvons plus nous cacher derrière des faux-semblants quand nous sommes à ce point interpellés par nos concitoyens.

J'ai bien conscience qu'il va falloir convaincre. C'est pourquoi je voudrais conclure par une proposition : que le Sénat crée en son sein une mission d'information chargée d'évaluer les dispositions de la loi du 22 avril 2005 et de proposer les évolutions nécessaires. J'espère, monsieur le président de la commission des affaires sociales, mes chers collègues, que vous accueillerez favorablement cette idée.

Voilà trois ans, le Sénat n'avait pu véritablement faire entendre sa voix. Nous avons aujourd'hui l'occasion de reprendre notre travail tranquillement, posément : saisissons-la !

Mes chers collègues, nous sommes attendus, nous sommes interpellés, et nous le serons de plus en plus. Humanistes que nous sommes, respectueux par-dessus tout de la vie d'autrui, soyons à l'écoute des demandes réitérées de ceux qui ne réclament qu'une chose : leur libre choix, la liberté de décider pour eux-mêmes et par eux-mêmes des conditions de leur fin de vie, le médecin étant bien sûr le compagnon privilégié et indispensable dans la prise de décision. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées de l'UC-UDF.)

M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires sociales.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, Jean-Pierre Godefroy vient d'exposer avec la sensibilité, mais aussi la détermination qu'on lui connaît ses convictions sur ce qu'il conviendrait de faire pour aider les malades en fin de vie. Je le remercie de cette initiative, car, dans ce débat, toutes les convictions sont respectables dès lors qu'elles se soucient de respecter l'homme.

J'ai entendu ses mots. Et, c'est vrai, comment ne pas comprendre l'angoisse de celui qui, bien portant encore, sait qu'il sera, demain, confronté à la dépendance ? L'allongement de la vie a d'ailleurs pour corollaire de rendre cette perspective vraisemblable pour chacun d'entre nous. Pour certains, c'est même avec plus de certitude encore, l'actualité vient à nouveau d'en donner un exemple avec le cas de cette jeune femme atteinte du syndrome d'Ehlers-Danlos. Cela explique d'ailleurs que nos concitoyens soient de plus en plus impliqués dans ce débat.

Pourtant, avant d'envisager de changer les textes, il est nécessaire d'en évaluer les effets. C'est la mission que le Gouvernement a confiée à Jean Leonetti pour la loi qui porte son nom.

Nous disposons déjà d'éléments d'appréciation, notamment au travers du rapport de Marie de Hennezel, remis au ministre de la santé en octobre dernier et intitulé La France palliative. Il en ressort la très grande ignorance de nos concitoyens, et même du corps médical, sur le contenu de la loi.

Or, en dépit des réserves que nous avaient inspirées les circonstances de son adoption au Sénat, ce texte offre aux patients, à leurs familles et aux équipes médicales les moyens d'accompagner la fin de vie dans la quasi-totalité des cas.

M. Alain Gournac. Tout à fait !

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Il permet à l'équipe médicale, en accord avec le patient s'il est encore conscient, avec sa famille, d'alléger les souffrances, d'interrompre les soins qui maintiennent artificiellement en vie, d'éviter l'acharnement thérapeutique.

En mars 2007, la Société française d'accompagnement et de soins palliatifs et plus de 6 700 professionnels de santé ont clairement pris position contre la légalisation du suicide assisté, qui modifierait radicalement nos repères sociétaux : « Le tragique, l'effroyable vécu par une personne ne peut pas nous faire admettre que la mort donnée, même si elle est souhaitée, soit la solution », soulignent-ils.

Mais alors, qu'attendons-nous pour mettre en oeuvre la ou les autres solutions, si elles existent ?

Mourir seul dans un milieu hyper-médicalisé, comme c'est trop souvent le cas, n'est pas une solution. C'est un scandale.

C'est socialement destructeur, économiquement stupide et humainement indigne.

On meurt seul, et c'est aussi mortifère socialement, lorsque la famille ne peut pas venir entourer celui qui s'en va dans ses derniers instants, parce que l'aide aux aidants est insuffisante dans notre pays, parce que, plutôt que de se soucier de réduire le temps de travail, il serait infiniment plus utile d'organiser des interruptions de carrière pour accompagner un proche en fin de vie.

C'est la conception de la famille et les liens mêmes qui la fondent qui sont ici remis en cause.

On meurt seul, oui, on meurt à l'hôpital parce qu'il est très difficile d'avoir accès à l'hospitalisation et aux soins palliatifs à domicile. L'atteinte aux liens sociaux et familiaux se double alors d'une absurdité économique.

Trop souvent, certains sont conduits à vouloir mourir, parce que la dépendance dans laquelle ils vivent n'est pas ou pas assez prise en charge ou parce qu'ils sont victimes de négligences, voire de maltraitances répétées. Et cela est humainement indigne.

Quels que soient les luttes quotidiennes et les dépassements incessants de soi qui marquent leur attachement à la vie, ils préfèrent un jour, à bout de forces ou d'humiliation, qu'on leur permette de quitter une société qui les a abandonnés, qui les a oubliés.

Comment ne pas les comprendre ?

Et, en même temps, il ne faut pas confondre, dans un élan d'émotion suscité par la récente médiatisation de cas spectaculaires, des situations par nature différentes, faites d'histoires d'hommes et de femmes au parcours singulier. Je veux ici distinguer au moins trois cas.

Quand un individu en pleine santé ou, bien que malade, disposant encore de la faculté physique d'accomplir le geste irrémédiable, décide de prendre sa propre vie, cela relève de son choix, de ses convictions. Ce n'est pas au législateur d'intervenir. Je n'en parlerai donc pas, sauf pour dire ma compassion.

Le deuxième cas concerne les personnes en phase avancée ou terminale d'une affection grave et incurable. Pour elles, la loi déjà votée permet de résoudre la plupart des questions douloureuses.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Mais il est un troisième cas que la loi ne règle pas : je veux parler des personnes qui se retrouvent, jeunes ou moins jeunes, en situation de très grande dépendance à la suite d'un accident ou d'une maladie invalidante qui les prive soit brutalement, soit de manière progressive, de toutes leurs facultés physiques pour se déplacer, se mouvoir, communiquer.

Je parle ici de personnes totalement conscientes, lucides, et non de celles qui tombent dans le coma ou sont privées de leurs facultés mentales.

Précisément, il s'agit non pas de malades en fin de vie, mais de personnes qui, en dépit de leur volonté exprimée, n'ont pas la faculté physique de mettre fin à leur existence.

Être privé de toute possibilité de mouvement, être aveugle, bref être un quasi « emmuré vivant » et rencontrer une extrême difficulté à communiquer avec autrui ; être jeune, sans pour autant être atteint d'une maladie incurable, mais avec un coeur suffisamment solide pour avoir devant soi la perspective de nombreuses années de vie dans cette situation-là, sans issue possible et pour seul horizon la disparition des rares proches restés à son chevet... Il y a alors dans cet appel à mourir, répété, conscient, responsable, une voix qu'il nous faut entendre.

Là encore, il ne peut y avoir de généralisation possible. En matière de locked-in syndrome, par exemple, il est aussi des voix humaines qui s'élèvent - également respectables - pour crier leur envie de vivre. Songeons au témoignage vibrant du couple de M. et Mme Philippe Vigand dans un ouvrage récent.

Je trouve d'ailleurs qu'il est délicat, pour ne pas dire inconvenant d'utiliser à ce stade, comme le font certaines associations, le terme « mourir dans la dignité ». Qui peut dire si vivre dans la grande dépendance est conforme ou non à la dignité humaine ?

Je me demande s'il ne conviendrait pas d'instaurer une sorte de « droit opposable à la vie », tant ce que réclament nos concitoyens - y compris parmi les plus dépendants - consiste davantage en des conditions de vie décentes. Ils viennent encore de nous le rappeler massivement, le 29 avril dernier, dans une grande manifestation qui a rassemblé plus de 35 000 personnes handicapées à Paris.

Si la dignité humaine se définit d'abord par tout ce qui la blesse et peut lui porter atteinte, si, comme le rappelait le professeur Axel Kahn, « la dignité repose sur le regard signifiant posé sur autrui », c'est-à-dire sur notre capacité toujours renouvelée à nous indigner, alors je rêverais d'un monde qui se mobilisât en faveur des personnes âgées, handicapées ou dépendantes aussi promptement et massivement pour leur « droit de vivre dans la dignité » qu'en faveur d'une « aide à mourir ». (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP.)

Je le dis, le droit, pour une personne en situation de grande dépendance, c'est d'abord celui de vivre dans la dignité.

Interrogeons-nous d'abord, quand elle en vient à demander à mourir, si tout, absolument tout a bien été mis en oeuvre pour lui donner ou redonner l'envie de vivre.

Qui n'a perçu le formidable désir de vivre qu'exprimaient les personnes handicapées qui nous interpellaient en 2003 en faisant des grèves de la faim et qui nous ont conduits, au Sénat même, à élaborer le fameux droit à compensation ? (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Cela n'a rien à voir !

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Chers collègues, s'écouter les uns les autres, c'est aussi cela, la dignité !

M. Jean-Louis Carrère. Chacun son prêche !

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Cela étant, dans certains cas extrêmes - j'y insiste - quand tout aura été tenté pour redonner le goût à la vie, quand toutes les aides humaines, techniques, financières, psychologiques auront été non seulement proposées mais mises en oeuvre, alors seulement je me demande s'il ne faudra pas humblement, en toute humanité, entendre la personne dans cette ultime demande pour arrêter de lutter.

Nul n'est en droit de la juger, car nul n'est à la place de celui ou de celle qui la formule. Demander le droit à mourir, n'est-ce pas alors pour la personne humaine une tentative de donner un ultime sens à la vie ?

N'est-ce pas pour l'esprit, submergé par les tumultes d'un corps qu'il ne maîtrise plus, une manière de refuser que ceux-ci viennent au final dicter leur loi ?

Ce n'est pas l'état de dépendance qui, en soi, est insupportable, ce qui est insupportable, c'est la perte de tout contrôle sur son existence.

Souvenons-nous des grands combats que nous avons menés, dans cet hémicycle, lors de l'examen des textes récents sur le handicap, la dépendance ou le droit des malades, le droit à l'autonomie, le droit à la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, le droit au libre choix de vie, le droit à l'assistance sexuelle, le droit au consentement éclairé du patient...

Au fond, nous ne traitions que d'une seule et même chose : reconnaître le droit pour tout être humain, quel que soit son état de santé, de handicap ou de dépendance, de garder le pouvoir sur un corps qu'il est obligé d'abandonner aux autres.

Lorsque je rencontre les personnes en situation de grande dépendance, que me disent-elles ? Qu'elles veulent choisir qui va les accompagner dans leur vie de tous les jours, qui va les soigner, quels gestes de soins on va pratiquer sur elles et dans quel ordre ; elles veulent choisir leur mode et leur rythme de vie, l'heure à laquelle elles veulent manger, se coucher, aller aux toilettes, sortir ou rentrer, bref décider de leur vie.

Mais lorsqu'on ne peut plus rien décider du tout parce que toutes les facultés physiques ou de communication sont perdues et que même la vie de l'esprit ne supplée plus ce vide, demander à ne plus vivre peut avoir un sens. C'est peut-être l'ultime façon de rester un être humain, et cela, nous devons l'entendre.

Prévoir une situation d'exception applicable à ces demandes me paraît répondre à cette nécessité. Parfois, savoir qu'on pourra y avoir recours un jour lorsque l'état de dépendance sera devenu décidément trop intolérable peut suffire.

Oui, il y a une part d'anxiété profonde dans la demande que formule une personne malade à qui la médecine vient d'avouer son impuissance, pour qu'on reconnaisse son droit futur à choisir sa mort. Cette liberté peut aussi constituer en soi un apaisement, un remède, une délivrance. C'est parfois le seul calmant qui reste, quand tout a été essayé. Alors, pourquoi le refuser ?

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Oui, pour ces quelques cas, je crois qu'il faut trouver une solution. C'est pour cette raison et pour passer au crible tous les aspects du problème complexe de la fin de vie que j'ai proposé à la commission des affaires sociales - pardonnez-moi, cher Jean-Pierre Godefroy, mais cette solution me semble meilleure - de constituer un petit groupe de travail que j'ai accepté de présider.

Je ne sais pas encore ce qui résultera de cette réflexion commune, mais je me demande si l'on ne pourrait pas envisager la création d'une instance, une sorte de Haute autorité, qui disposerait d'abord de tous les moyens d'intervention possibles, afin de veiller, par la contrainte s'il le faut, à ce que l'ensemble des aides humaines, techniques, financières, médicales, psychologiques soient apportées au demandeur, pour soulager son existence.

En contrepartie, cette Haute autorité se verrait aussi confier le droit, dans les cas extrêmes, et pour répondre à la volonté réaffirmée de la personne, de lever à l'avance au nom du peuple français - cela me semble essentiel tant cette décision implique l'ensemble de la société - les poursuites pénales contre ceux qui pourraient être amenés à l'aider à mourir.

Je veux espérer que rares seront les personnes qui iront jusqu'au bout de cette démarche. Mes chers collègues, s'il devait s'en présenter de nombreuses, ce ne serait pas que notre société aurait un problème avec la mort, c'est qu'elle ne permettrait pas réellement la vie.

Je ne veux pas croire que l'on puisse choisir plus facilement d'accompagner la mort que d'accompagner la vie. (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP, ainsi que sur certaines travées socialistes.)

M. le président. La parole est à M. François Autain.

M. François Autain. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous étions nombreux sur ces travées le 12 avril 2005 à considérer que la proposition de loi Leonetti, malgré le caractère novateur de certaines de ses dispositions, par exemple celles qui sont relatives à l'obstination déraisonnable en matière de traitement, à la déclaration anticipée ou encore au double effet, ne permettrait pas de répondre à tous les cas auxquels sont confrontés les médecins et les familles. Mais nous ne pensions pas que l'actualité viendrait aussi rapidement nous donner raison.

Nous avions espéré alors que le Sénat, dans sa sagesse, se réserverait la possibilité d'amender un texte manifestement insuffisant, comme le reconnaissent aujourd'hui ceux de nos collègues députés qui l'avaient à l'époque élaboré.

Malheureusement, il n'en a rien été.

Les auteurs des amendements, qu'ils soient de gauche, du centre ou de droite, ont très vite compris que la porte était fermée. L'objectif du Gouvernement, partagé par la majorité sénatoriale, n'était pas tant d'améliorer le texte que d'obtenir un vote conforme en rejetant systématiquement tous les amendements. Il fallait éviter coûte que coûte une nouvelle lecture qui aurait fait éclater à l'Assemblée nationale ce miraculeux et fragile consensus obtenu au prix de nombreux malentendus et, pourquoi ne pas le dire ? grâce à l'aveuglement de certains de nos collègues députés qui, à la faveur d'événements récents, semblent avoir soudainement recouvré la vue.

Aussi, madame la ministre, affirmer, comme vous l'avez fait jeudi dernier encore, lors de la séance des questions d'actualité, que cette loi aurait fait l'objet d'un consensus est une contrevérité que vous n'êtes malheureusement pas la seule à colporter. Ce jour-là en effet, au Sénat, le vote fut tout sauf consensuel, puisque seuls les parlementaires de l'UMP et du RDSE y participèrent.

D'ailleurs, en démocratie, le consensus n'est pas à rechercher systématiquement, car il ne garantit ni la qualité d'une loi ni sa pérennité. Je pourrais citer de nombreux exemples, notamment, et a contrario, la loi relative à l'interruption volontaire de grossesse et la loi portant abolition de la peine de mort.

Le Sénat, qui, dans cette affaire, s'est rabaissé au rang de simple chambre d'enregistrement, trouverait une occasion de faire entendre sa voix en créant, par exemple, une mission d'information chargée de formuler des propositions pour modifier la législation sur les malades en fin de vie.

M. le président de la commission des affaires sociales a proposé la constitution d'un groupe de travail sur ce sujet, et j'en suis heureux. J'espère qu'il en ressortira des conclusions fructueuses, aboutissant ensuite à des décisions positives.

Quoi qu'il en soit, il est indispensable, pour avancer, de procéder au bilan d'application de cette loi trois ans après sa promulgation. Son auteur, à savoir notre collègue député Jean Leonetti, était-il le mieux placé pour accomplir cette mission qui vient de lui être confiée ? On peut se le demander.

En fait, il s'agit moins de déterminer la manière dont la loi est appliquée que de savoir si ce texte est applicable en l'état.

Nous constatons d'ores et déjà que cette loi ne répond pas à la situation de détresse physique et psychologique dans laquelle se trouvent de nombreux malades. Le cas emblématique de Chantal Sébire ne doit pas occulter la situation de tous ceux qui restent confinés au sein de familles désemparées et dont les appels ne viennent pas jusqu'à nous.

Maître Gilles Antonowicz indique, dans son livre intitulé Fin de vie, que l'association dont il fait partie a consigné dans un Livre blanc une longue liste de personnes atteintes d'affections graves et incurables décédées dans des conditions telles que la loi Leonetti ne leur fut malheureusement d'aucun secours.

Cette loi est en effet inadaptée aux personnes dont l'agonie se prolonge durant plusieurs semaines ou plusieurs mois. Elle n'est pas non plus adaptée aux personnes plongées dans un coma végétatif chronique irréversible, la famille ou la personne de confiance ne pouvant même pas déclencher une procédure collégiale préalable à l'interruption des soins, qui est du seul ressort du médecin. Elle n'aurait pas non plus permis à Vincent Humbert de mettre fin à ses jours comme il le désirait. Elle n'aurait pas mis le docteur Chaussoy à l'abri d'éventuelles poursuites pénales.

Pour toutes ces raisons, il faut faire évoluer la loi : pour sortir de l'hypocrisie actuelle, il faut autoriser le suicide médicalement assisté et l'euthanasie volontaire, en s'inspirant des exemples belge et néerlandais.

Sortir de l'hypocrisie actuelle, c'est reconnaître, par exemple, le « double effet » pour ce qu'il est, c'est-à-dire une euthanasie qui ne s'assume pas. Le double effet, comme on le sait, caractérise un traitement qui, en calmant la douleur, peut avoir pour effet secondaire d'abréger la vie. Il peut, de ce fait, cacher en toute impunité une euthanasie à la morphine. Cette dissimulation est d'autant plus facile quand on utilise des sédatifs, tel l'hypnovel, pour soulager les souffrances rebelles aux antalgiques morphiniques, car les risques d'accident sont plus grands encore.

La sédation, sous sa forme ultime, fonctionne comme une anesthésie générale qui durerait plusieurs semaines jusqu'à ce que la mort s'ensuive, soit sous les effets de l'évolution de la pathologie causale, soit par double effet.

On le voit, la frontière entre euthanasie et sédation est extrêmement ténue. La différence entre sédation répétée et euthanasie directe est plus subtile encore, au point qu'on peut la considérer comme purement théorique, voire imaginaire.

Dans ces situations extrêmes, pourquoi s'opposer à l'euthanasie directe lorsqu'elle fait l'objet d'une demande réitérée, si ce n'est pour des motifs religieux ou idéologiques n'ayant rien à voir avec l'intérêt du malade ?

Sortir de l'hypocrisie actuelle, c'est aussi reconnaître que la forme du suicide médicalement assisté qu'organise la loi est barbare et inhumain. Est-il tolérable de laisser mourir une personne en offrant à sa famille le spectacle d'une souffrance et d'une dégradation, comme ce fut le cas pour l'américaine Terri Schiavo, décédée deux semaines après l'arrêt de son alimentation artificielle ?

Est-il tolérable d'avoir laissé mourir dans des conditions cauchemardesques Hervé Pierra, après huit ans de coma végétatif et six jours d'agonie qui furent pour toute une famille un temps d'horreur et de traumatisme ? Une injection de produit létal, permettant d'éviter cette agonie, n'aurait-elle pas été préférable tant pour Hervé que pour toute sa famille ?

Le docteur Chaussoy, dans son livre intitulé Je ne suis pas un assassin, écrit très justement ceci : « Je considère que le produit injecté n'a que peu d'importance... l'important, c'est la décision d'arrêter la réanimation. » Il ajoute : « Aider les hommes à mourir dignement lorsqu'on ne peut plus les aider à vivre fait partie du métier de réanimateur. » Pour ma part, je dirai même que cela fait partie du métier de médecin. Vous le savez, mes chers collègues, dans l'affaire Humbert, le docteur Chaussoy a finalement été relaxé.

Sortir de l'hypocrisie, c'est reconnaître que, en autorisant la limitation ou l'arrêt de soins entraînant la mort du malade, la loi Leonetti a implicitement légalisé l'euthanasie. En effet, en cessant de dispenser tout traitement dans les conditions où la loi l'autorise, le médecin provoque délibérément la mort, et ce en contradiction avec l'article 38 du code de déontologie médicale.

Un arrêt de traitement consistant à interrompre une perfusion nécessaire au maintien de la vie n'est assurément pas moins grave ni très différent du geste consistant à ouvrir le robinet d'une perfusion qui délivrera rapidement une dose mortelle d'un médicament. Stopper les perfusions médicamenteuses, débrancher le respirateur, mettre fin à l'intubation du patient : dans ces trois cas, il s'agit bien d'un « acte délibéré par lequel un tiers entraîne directement la mort d'une personne pour mettre fin à la maladie incurable et insupportable dont souffre cette dernière ». Or, c'est là la définition même de l'euthanasie donnée par Jean Leonetti dans son rapport de novembre 2004.

Sortir de l'hypocrisie, c'est reconnaître que toute personne dont l'état le nécessite ne pourra pas bénéficier du droit aux soins palliatifs que lui reconnaît la loi. Pour ceux qui en douteraient encore, je recommande la lecture du rapport de Mme de Hennezel qui vient d'être rendu public et qui diagnostique un état de carence généralisé en la matière.

C'est aussi admettre que la pratique des soins palliatifs, a fortiori lorsqu'elle n'est pas généralisable, ne fera pas disparaître la demande d'euthanasie, car certaines souffrances sont réfractaires aux soins palliatifs. Ces derniers n'ont véritablement un sens que lorsqu'ils s'adressent à des personnes conscientes.

Enfin, certains malades, pour des raisons philosophiques très respectables, refusent le principe de ces soins, plaçant alors les médecins dans une situation impossible dans l'état actuel de notre législation puisque, en l'espèce, le droit du patient de refuser les soins entre en conflit avec le devoir du médecin de les lui dispenser.

Bref, pour sortir de l'hypocrisie actuelle, il faudrait adopter un texte autorisant l'euthanasie volontaire tout en interdisant certaines pratiques euthanasiques, alors que la loi Leonetti préconise exactement l'inverse puisqu'elle rend licites certaines pratiques euthanasiques tout en prohibant l'euthanasie.

N'est-il pas étrange et paradoxal d'interdire absolument d'abréger intentionnellement la vie et, dans le même temps, de permettre dans certaines circonstances de ne pas empêcher la venue de la mort ? N'est-il pas étrange et paradoxal de proclamer l'égalité de toutes les vies humaines et, dans le même temps, de faire appel à la notion de qualité de vie pour placer des limites au devoir de préserver la vie à tout prix ?

Compte tenu du caractère éclaté des convictions religieuses et philosophiques dans notre pays, il serait vain d'espérer parvenir un jour à un consensus moral sur l'euthanasie. Nous sommes contraints, au contraire, de rechercher les principes moraux minimaux susceptibles de recueillir l'agrément de la plupart des communautés idéologiques, philosophiques et religieuses, afin que personne ne puisse se voir imposer des actes contraires à ses propres valeurs.

L'accompagnement de la fin de vie ne doit pas exclure l'aide à mourir lorsque celle-ci est reconnue, assumée, expresse et réitérée, l'aide à mourir se définissant comme l'intention délibérée de hâter la mort d'un malade atteint d'une affection terminale. La médecine, les médecins doivent accepter que la mort est avant tout l'affaire de la personne qui meurt.

Voilà donc, madame la ministre, mes chers collègues, des éléments de réflexion qui devraient orienter le débat qui s'est engagé, débat qui correspond, ne l'oublions pas, à une promesse du Président de la République.

Les exemples néerlandais et belge doivent constituer pour nous un modèle. L'actualité récente nous a permis d'en apprécier la validité.

Le hasard a voulu que le jour du décès de Chantal Sébire coïncide avec celui d'Hugo Claus, ce grand écrivain belge de soixante-dix-huit ans plusieurs fois pressenti pour recevoir le prix Nobel, qui, atteint de la maladie d'Alzheimer, avait sollicité une aide à mourir, comme la loi le permet en Belgique. Comme l'ont rapporté les journaux, sa femme et l'une de ses amies qui l'accompagnait ont déclaré ceci : « C'était très calme. C'était un moment très doux pour nous. Il était serein et tranquille. » Tous les trois ont bu une coupe de champagne. Hugo Claus a ensuite été endormi et a reçu une injection de substance létale.

Ce climat apaisé contraste singulièrement avec la polémique, à bien des égards indécente et déplacée, qu'a suscitée dans notre pays la fin tragique, dans la solitude et la clandestinité, de Chantal Sébire.

Le Président de la République et la justice sont restés sourds à l'appel à l'aide lancé par cette femme admirable de courage et de lucidité. Alors qu'elle ne demandait plus rien, on a refusé le permis d'inhumer et on a ouvert une enquête préliminaire pour rechercher, poursuivre et éventuellement condamner celles ou ceux qui auraient pu répondre à son appel.

Personne ne souhaite revivre une nouvelle affaire Chantal Sébire. C'est pourquoi il me semble urgent de modifier la loi.

Madame la ministre, je ne doute pas que ce gouvernement saura mener à bien cette tâche malheureusement laissée en chantier par celui qui l'a précédé. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur quelques travées de l'UC-UDF.)

M. le président. La parole est à Mme Sylvie Desmarescaux.

Mme Sylvie Desmarescaux. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, parler de fin de vie, de mourants, de mort est extrêmement difficile.

Le cas douloureux de Chantal Sébire ne laisse personne indifférent, bien au contraire. Les images vues à la télévision étaient bouleversantes, les propos tenus par Mme Sébire étaient poignants.

Mais, aujourd'hui encore, je ne comprends vraiment pas pourquoi le cas de Mme Sébire a été autant médiatisé.

Il est certain que le débat sur l'euthanasie refait surface ; la preuve en est le nombre d'articles écrits, l'importance des débats audio ou télévisés, sans oublier tous les courriers que nous recevons.

Or, en 2005, loin de toute pression médiatique et de tout excès, le législateur, menant un travail « serein », avait pris le temps de la réflexion pour aboutir à un texte équilibré qui constitue, j'en reste persuadée, une avancée majeure pour les droits des malades en fin de vie. Le choix avait été fait de ne pas toucher au code pénal pour ne pas banaliser « l'autorisation de tuer ». Seul le code de la santé publique avait été modifié, car la nuance existe entre le fait de donner la mort et celui de ne pas l'empêcher. À ce titre, cette différence éthique fondamentale doit être maintenue.

Les rapports élaborés par Régis Aubry et Marie de Hennezel le confirment, si la loi est décriée, c'est qu'elle est mal connue, mal comprise et donc mal appliquée.

Alors que la loi Leonetti couvre un large éventail de situations douloureuses de fin de vie et que des efforts notables ont été consentis ces dernières années pour développer des soins palliatifs et des soins d'accompagnement, de trop nombreuses personnes meurent encore dans des souffrances non soulagées et dans la solitude.

Face à ces souffrances et à cette solitude, le fait d'autoriser la mort, d'abréger la vie peut apparaître comme l'unique façon d'aider à mourir dans la dignité.

Or, pour l'avoir vécu, je reste convaincue que la réponse n'est pas d'autoriser la mort, ce qui reviendrait à dépénaliser l'euthanasie ; elle est bien plutôt dans l'accompagnement et le soutien de la personne malade, de la personne en fin de vie : lui prodiguer les traitements sans obstination déraisonnable, lui administrer tous les soins adaptés, être le plus possible à ses côtés. « Ils auraient mieux aimé de nous un sourire pendant leur vie que toutes nos larmes après leur mort », a écrit Chateaubriand.

Madame le ministre, lors d'une réponse à l'un de nos collègues, vous avez dit : « Il a, en effet, été constaté qu'une demande d'euthanasie n'était pas maintenue si des soins palliatifs de qualité étaient proposés. »

En 2004, à l'annonce de la reprise d'un cancer avec métastases, ma fille a dit à mon mari médecin : « Papa, je ne veux plus souffrir, je ne peux plus supporter tous ces traitements, je ne veux plus dépendre de tout le monde. Ne me laisse pas, fais quelque chose, je ne veux plus vivre ! ».

Malgré les traitements, la maladie s'aggrave, les douleurs s'apaisent difficilement. Notre fille est alors admise dans un service de soins palliatifs ; après quelques jours, elle m'a dit : « je dois vivre ; il y a Xavier, il y a les enfants. Je veux rentrer à la maison. ».

Notre fille était calme, apaisée, rassurée. Les soins qui lui étaient prodigués chaque jour, chaque heure, l'étaient avec beaucoup de compétences, mais aussi beaucoup de tendresse ; la famille l'entourait sans cesse. Elle nous a quittés six semaines plus tard.

Si j'ai tenu, avec beaucoup d'émotion, à m'exprimer par le vécu, c'est que, tout comme vous, madame le ministre, je suis à tout jamais convaincue qu'un malade bien entouré, bien soigné, peut changer d'avis, même s'il sent la mort proche.

Je profite de cette intervention pour remercier tous les soignants, plus particulièrement les membres de l'équipe des soins palliatifs de Zuydcoote, établissement que M. le Président de la République et vous-même, madame le ministre, êtes venus visiter. Ils sont exemplaires dans la prise en charge de la douleur du malade.

Si cet exemple peut être salué, ne nions pas que la France souffre d'un manque de développement des soins palliatifs. De ce fait, de profondes inégalités subsistent dans l'accès aux soins.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Et cela ne va pas s'arranger...

Mme Sylvie Desmarescaux. Or la démarche palliative doit être considérée comme une véritable démarche médicale.

L'offre de soins est en effet indissociable de la prise en charge de la personne en fin de vie. Pour faire face à ces situations humaines douloureuses, il faut développer les soins palliatifs en unités ou en unités mobiles, mais il faut aussi que le personnel médical soit formé à la culture des soins palliatifs.

Bien évidemment, personne ne peut nier que, malgré tout ce qui est mis en place, il restera toujours des situations de souffrances, des situations de grande détresse. Sur ces fondements, certains réclament un élargissement de l'autorisation donnée par ce texte, soit par le biais de la création d'une exception d'euthanasie, soit par la reconnaissance définitive du principe d'euthanasie active.

Mais certaines dérives ne sont-elles pas à craindre ? Il paraît particulièrement difficile de légiférer sur ce qui peut autoriser à donner la mort, alors que l'interdiction de provoquer la mort délibérément figure expressément dans le code de déontologie des médecins.

L'idée d'une instance supérieure qui statuerait sur des cas particuliers insolubles est une piste qu'il faudra prendre le temps d'étudier à l'issue de l'évaluation de la loi Leonetti, l'exception ne devant pas se transformer en généralité.

Nombreux sont ceux qui accusent la France de retardataire et citent l'exemple des Pays-Bas et de la Belgique, pays qui ont légalisé l'euthanasie sous conditions strictes.

Mais un pays comme le Québec, reconnu dans sa qualité de prise en charge par les soins palliatifs, résiste à la pression de ceux qui réclament la dépénalisation de l'euthanasie.

Mme Sylvie Desmarescaux. Sans remettre en cause la sincérité des personnes qui mènent avec conviction le combat de l'euthanasie active, il faut avoir conscience de l'organisation, par une poignée de gens guidés uniquement par des intérêts mercantiles, d'une forme de « business de la mort », avec la mise en relation des différents acteurs et l'arrangement d'un voyage en Suisse ou en Belgique, par exemple. De tels abus ne sont pas acceptables !

La loi Leonetti apporte une réponse à 99 % des cas ; il reste bien évidemment des situations pour lesquelles les médecins sont confrontés à une impasse. Il y a là une réflexion à mener. Notre collègue député Jean Leonetti s'est engagé à y réfléchir avec le groupe de travail mis en place pour évaluer la loi de 2005 ; je lui fais confiance. (M. Michel Dreyfus-Schmidt murmure.)

Qu'une vie digne jusqu'à la mort puisse toujours être respectée. (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. Michel Dreyfus-Schmidt.

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, permettez-moi de me référer à ce que l'on appelait jadis « un grand quotidien du soir » pour citer deux articles que j'ai écrits : l'un que le journal Le Monde a bien voulu publier le 8 novembre 2003, l'autre, sous forme de mise au point, qui a été envoyé au même grand quotidien mais que celui-ci n'a pas publié.

Voici ce que j'écrivais en novembre 2003 : « Avant que ne soit légalisé l'avortement, une femme souhaitant avorter le faisait à ses risques et périls. Les conséquences étaient connues de tous : risque vital pour la femme qui voulait interrompre sa grossesse, risque pénal pour toute personne qui l'aidait. Puis vint la loi sur l'avortement qui, sans promouvoir l'IVG, l'enserrait enfin dans un cadre légal. On craignit des abus massifs, il n'en fut rien. Bien au contraire, la condition féminine en sortait améliorée. »

Je rappelle au passage que cette mesure a été votée grâce à la gauche, l'opposition ici même ayant été épique !

« La question de l'euthanasie relève de la même problématique. Nous en viendrons inévitablement à légiférer un jour, acculés par d'autres tragédies. Mais quand ? »

Une autre tragédie vient de frapper l'opinion : l'euthanasie active de Chantal Sébire.

J'en viens à l'article non publié.

« Les auteurs du ? point de vue ?, publié par ce grand quotidien sous le titre : ? Accompagner la fin de vie... demain ! ?, regrettent que le groupe socialiste du Sénat se soit abstenu sur la proposition de loi ? consensuelle ? adoptée par l'Assemblée nationale : parmi eux, deux députés socialistes. » Il s'agissait - pourquoi ne pas les nommer ? - de Claude Évin et de Paulette Guinchard-Kunstler.

« Aussi nous paraît-il indispensable de répondre ceci :

« Premièrement, le groupe socialiste du Sénat ne s'est pas abstenu ; il n'a pas pris part au vote.

« Deuxièmement, il a même quitté l'hémicycle avant le vote, tout comme l'ont fait les groupes communiste républicain et citoyen, d'une part, Union centriste, d'autre part, »...

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de la santé, de la jeunesse, des sports et de la vie associative. Le texte a quand même été voté à l'unanimité !

M. Michel Dreyfus-Schmidt. ... « pour protester contre la volonté de la seule UMP de ne pas accepter le moindre amendement, pas même ceux que la commission des affaires sociales avait adoptés le matin même sur la proposition de son président.

« Troisièmement, le groupe socialiste a été unanime à retenir toutes les suggestions de l'Assemblée nationale : droit au refus de l'obstination déraisonnable ; droit pour tout intéressé, sauf s'il a indiqué qu'il ne voulait pas être tenu au courant, d'être avisé par le médecin que le traitement peut avoir pour effet d'abréger la vie ; droit de chacun au refus de tout traitement ; droit pour le médecin, lorsque le patient est inconscient, de limiter ou d'arrêter tout traitement après une procédure collégiale et la consultation d'une personne de confiance, de la famille, d'un proche ou de directives anticipées avec inscription du tout au dossier ; droit pour chacun à recevoir des soins palliatifs, en service de soins, en établissement médicosocial, à domicile.

« Quatrièmement, le groupe socialiste a été unanime à trouver les suggestions de l'Assemblée nationale insuffisantes et a unanimement » - à une exception près - « proposé d'ajouter, en l'encadrant avec précision, l'euthanasie active aux euthanasies indirecte ou passive.

« L'Assemblée nationale s'est refusée à mettre la loi en conformité avec la réalité des choses comme avec l'opinion de l'immense majorité des Françaises et des Français.

« En octobre 1997 déjà, un sondage de la SOFRES révélait que 84 % de nos concitoyens étaient favorables à l'euthanasie active, 9 % seulement y étant opposés.

« La lecture des débats de discussion générale à l'Assemblée nationale est parfaitement édifiante.

« Vingt-quatre députés sont intervenus : pour nombre d'entre eux, de droite comme de gauche, le texte issu de la commission spéciale n'est qu'une étape. Pour les autres, elle doit tout au contraire être un aboutissement. Tous se sont félicités d'un consensus général.

« Mme  Henriette Martinez, députée UMP, a fait remarquer que le vote intervenait trente ans, jour pour jour, après le vote de la loi Veil relative à l'interruption volontaire de grossesse. Nul en revanche n'a fait observer » - moi je l'ai déjà fait - « que la loi Veil a été rien moins que consensuelle et qu'elle avait alors à droite tant d'opposants irréductibles qu'elle n'eût pas été votée sans l'apport massif de la gauche.

M. Michel Dreyfus-Schmidt. « De même, en octobre 1981, à l'Assemblée nationale comme au Sénat, des parlementaires de droite s'opposèrent à l'abolition de la peine de mort, tandis que les autres, en forte majorité, la votaient.

« Lors de la discussion de la proposition de loi ?fin de vie?, sur les vingt-quatre députés intervenant - les deux ministres présents n'en ont pas parlé -, dix-huit ont évoqué l'affaire Humbert. Tous ou presque ont reconnu expressément que la commission spéciale était issue de l'émotion qu'avait soulevée cette affaire. Ils ont rendu un hommage appuyé à Vincent Humbert, à sa maman et au docteur Frédéric Chaussoy.

« Or, incroyable paradoxe, le texte de l'Assemblée nationale n'empêche ni n'aurait pu empêcher que Marie Humbert se retrouve inculpée d'administration de substances toxiques, délit passible de cinq ans d'emprisonnement, et le docteur Frédéric Chaussoy d'assassinat, crime passible de la réclusion à perpétuité !

« Des ?affaires Humbert? ne doivent plus relever du droit pénal. Et cela ne suffit pas. Il faut aussi que, même inconscients, même sans y avoir pensé lorsqu'ils étaient en bonne santé, et donc sans avoir donné de directives anticipées ou désigné de personne de confiance, ceux qui souffrent atrocement et sont condamnés sans pouvoir être soulagés, ceux qui ne peuvent plus vouloir vivre, soient aidés à mourir, sans devoir mourir de faim et de soif, comme l'Américaine Terry Schiavo.

« Évidemment, cette aide doit demeurer ?l'exception?, pour reprendre le terme utilisé par l'avis du Comité consultatif national d'éthique du 27 janvier 2000. Elle doit être scrupuleusement encadrée.

« Respect de la liberté de conscience des médecins : décision collégiale de trois médecins, dont l'un au moins médecin hospitalier - comme c'était le cas avant la loi Veil en matière d'avortement thérapeutique - ; temps de réflexion obligatoire pour tous, patients ou proches inclus, avant confirmation ou renonciation ; comptes rendus soumis à une commission régionale de contrôle ; »...

La voilà, monsieur le président de la commission des affaires sociales, votre Haute Autorité ! Mieux, c'est une commission régionale de contrôle !

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Oh là là !

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je poursuis : « saisine possible par la commission régionale d'une autorité nationale de contrôle ayant tout pouvoir d'évocation ; existence d'un registre national automatisé des directives anticipées tenu par la même autorité nationale, registre que tout médecin puisse consulter aisément : telles étaient et restent les propositions constructives de l'ensemble du groupe socialiste du Sénat et du groupe CRC.

« De telles précautions pour encadrer une éventuelle et exceptionnelle assistance médicalisée pour mourir existent à l'étranger, et elles évitent tout dérapage.

En guise de conclusion - ce point ne figurait pas dans l'article que Le Monde n'a pas publié -, je voudrais faire remarquer que beaucoup de croyants, qui ont pourtant voté pour l'abolition de la peine de mort, s'opposent à l'euthanasie. Il en va de même pour vous, madame la ministre. Pourtant, 80 % des Français y sont favorables. Il n'y a donc qu'une seule solution : changer la majorité à l'Assemblée nationale ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. Jean-Louis Carrère. Cela viendra !

(Mme Michèle André remplace M. Christian Poncelet au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE Mme Michèle André

vice-présidente

Mme la présidente. La parole est à M. Gérard Dériot.

M. Gérard Dériot. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous sommes aujourd'hui amenés à débattre à nouveau d'un sujet extrêmement sensible, qui renvoie chacun d'entre nous à ses peurs les plus intimes : l'abandon, la souffrance, la mort.

Certains orateurs ont rappelé que le Sénat avait voté conforme la loi Leonetti voilà trois ans et ont critiqué le fait que, en tant que rapporteur de ce texte, je n'avais pas accepté d'amendement. Comme chacun peut s'en douter, ce n'était pas de gaieté de coeur ! Le rôle d'un parlement est en effet, en principe, de débattre et d'apporter sa pierre à l'édifice. Mais, mes chers collègues, à l'époque, l'état d'esprit dans lequel vous aviez abordé le problème n'était pas des plus sereins. (Ah ! sur les travées du groupe CRC.) De plus, quand une assemblée adopte un texte à l'unanimité, il faut supposer soit qu'un vent de folie y a soufflé, soit que ses membres ont fait preuve de lucidité. Il paraissait en tout cas nécessaire de prendre en compte le signal fort que constituait ce vote unanime.

À vous entendre les uns et les autres aujourd'hui, je suis très fier d'avoir tenu bon car, sinon, nous en serions toujours au même point ! Et, de toute façon, nous ne nous mettrons pas d'accord sur la manière de tuer notre prochain - il est inutile de chercher un autre terme, car c'est bien de cela dont il s'agit ! (Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C'est de la provocation !

M. François Autain. Vous êtes excessif !

M. Gérard Dériot. Aujourd'hui, si aucune loi n'avait été adoptée, nous serions dans une situation qui mettrait tout le monde en difficulté, particulièrement les malades qui ne pourraient même pas être soulagés.

Ce sujet extrêmement difficile est d'autant plus malaisé à aborder, particulièrement en public, que nos sociétés contemporaines ont un problème avec la mort. L'absence de guerre...

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Dites-le : une bonne guerre réglerait tout ça !

M. Gérard Dériot. Ce n'est pas ce que j'ai voulu dire, mais il est évident qu'une guerre entraîne des morts. Ce n'est pas nouveau !

L'absence de guerre, disais-je, l'allongement de la vie, l'amélioration des soins et de l'hygiène, l'accoutumance à une forme de confort que n'avaient pas connus les générations antérieures ont rendu insupportables la mort, la maladie et le handicap : nous avons malheureusement désormais le réflexe de détourner les yeux, alors que ces phénomènes sont toujours aussi présents qu'avant.

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Toujours aussi nuancé !

M. Gérard Dériot. C'est désormais à l'hôpital que l'on meurt le plus souvent : deux décès sur trois y surviennent. Si l'hôpital offre, en principe, le meilleur accompagnement en termes de prise en charge de la douleur, il symbolise surtout, comme l'a rappelé M. le président de la commission des affaires sociales, la mort solitaire, anonyme et surmédicalisée que redoute l'immense majorité d'entre nous. Le mourant des siècles passés, entouré de ses proches, dans le silence du recueillement, semble céder la place au défunt anonyme, abandonné dans l'indifférence de l'hôpital en raison de l'impossibilité des siens de l'entourer.

Toutes ces angoisses n'étant pas nouvelles, un cadre législatif a été mis en place pour organiser la prise en charge médicale de la fin de vie. La loi du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie est le fruit du consensus recueilli par la commission spéciale présidée par M. Gaëtan Gorce - un socialiste, si je ne m'abuse - et animée par M. Jean Leonetti, au travail duquel je souhaite rendre particulièrement hommage.

La proposition de loi organisait un équilibre subtil des droits et responsabilités de chacun. L'ensemble des familles politiques, puis les grands courants de pensées, les sociétés savantes et les médecins y avaient adhéré sans exprimer de réserves. Le Sénat avait alors considéré que ce texte constituait la réponse la plus appropriée au problème de la fin de vie dans notre pays.

À entendre nombre d'intervenants ayant pris part au débat ces dernières semaines, j'ai le sentiment que cette loi est malheureusement trop peu connue, et sans doute pas assez appliquée. Je crois donc indispensable d'en rappeler ici les grands principes.

La loi consacre le principe déontologique du refus de « l'obstination déraisonnable », définie selon trois critères : l'inutilité des traitements, leur disproportion au regard du bénéfice pour le malade, une finalité exclusivement tournée vers le maintien artificiel de la vie.

De ce principe découlent, d'une part, le droit pour la personne malade de refuser tout traitement et, d'autre part, lorsque la personne ne peut pas elle-même exprimer sa volonté, la possibilité, dans le cadre d'une procédure collégiale, d'une décision médicale de limitation ou d'arrêt des traitements.

En outre, toute personne majeure dispose de la possibilité de donner des directives anticipées pour faire connaître ses intentions quant à sa fin de vie avant de ne plus être en état de le faire. L'équilibre global du texte repose sur le développement parallèle des soins palliatifs. Mais vous connaissez très bien tout cela, madame la ministre, puisque vous en avez déjà parlé à plusieurs reprises.

La loi s'inscrit dans le cadre préétabli des principes posés par la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé. Elle comporte non seulement des dispositions spécifiques aux situations de fin de vie, définies comme « la phase avancée ou terminale d'une affection grave et incurable », mais également des dispositions applicables à toute situation de soins : tous les traitements, quels qu'ils soient, sont concernés, y compris les soins de suppléance vitale. La loi prend en compte l'ensemble des cas, que la personne soit ou non en état d'exprimer sa volonté.

Lorsque la personne malade est consciente, et alors même qu'elle n'est pas en fin de vie au sens de la loi, son refus de tout traitement, à condition d'être réitéré et après consultation éventuelle d'un autre praticien, s'impose au médecin, même lorsqu'il y a un risque pour la vie.

Toutefois, c'est en situation de fin de vie que le refus de traitement s'impose pleinement, sans consultation d'un autre médecin, ni délai de réflexion, ni procédure collégiale. Le médecin doit alors respecter la volonté de la personne tout en l'informant des conséquences de son choix.

Ces principes méritaient d'être rappelés, car je reste persuadé que la loi Leonetti n'est pas assez connue, et donc pas appliquée. Le texte prend position en faveur du laisser mourir, mais refuse l'aide active à mourir. Mais l'euthanasie, qu'elle soit « active » ou « passive «  reste de l'euthanasie ! Le terme est là, l'acte est là. Et nous, nous refusons cet acte.

Le dispositif adopté en 2005 couvre l'ensemble des situations concernées par une décision de limitation ou d'arrêt de traitement, et non la seule phase terminale de maladies graves et incurables. La loi réaffirme la priorité accordée à la lutte contre la douleur, et consacre le principe dit du double effet qui, comme beaucoup d'entre nous l'ont rappelé, autorise le médecin à accéder à la demande du malade, même si cela risque d'abréger sa vie.

Après ces brefs rappels, j'aborderai le point qui nous réunit aujourd'hui : est-il nécessaire de légiférer de nouveau sur ce sujet ?

La question est posée depuis que Chantal Sébire, atteinte d'une tumeur évolutive, a fait face à la maladie incurable qui lui a causé de terribles souffrances et l'a défigurée. Avec infiniment de courage, elle a supporté tout cela.

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Non, elle n'a pas supporté !

M. Gérard Dériot. L'opinion publique a été légitimement très émue, et nous avons tous salué sa très grande dignité face aux douleurs, tant physiques que morales, qu'elle a dû affronter avant sa disparition.

Chantal Sébire demandait l'euthanasie. Elle avait donc sollicité de la justice la possibilité d'exonérer le médecin de sa responsabilité pénale pour permettre à ce dernier de lui administrer une substance létale, c'est-à-dire pour la faire mourir.

Effectivement, cette possibilité n'est pas prévue par la loi Leonetti.

M. Gérard Dériot. Mais était-ce la seule solution offerte à Chantal Sébire ? Non, puisque, comme son avocat l'a expliqué, Chantal Sébire refusait la solution proposée par la loi, c'est-à-dire le coma artificiel et la mort qui peut s'ensuivre au bout de quelques jours.

Comme je l'ai rappelé, la loi a reconnu, dans le code de la santé publique, les risques liés à l'administration des médicaments à double effet - apaiser la souffrance, au risque d'abréger aussi la vie - et a posé le principe de la nécessité d'en informer le patient, ce qui va bien au-delà de l'obligation de soins à laquelle sont tenus les professionnels de santé.

Le droit actuel affirme solennellement que tout malade qui le nécessite a le droit d'être accompagné pour la fin de sa vie et d'être aidé par des soins destinés à soulager sa douleur physique, apaiser ses souffrances morales et sauvegarder sa dignité. La loi n'omet pas de préciser que ces soins doivent être accessibles en institution médicale comme à domicile et qu'ils ont aussi pour objectif de soutenir l'entourage du malade dans l'épreuve à laquelle il est tout autant confronté.

Il n'est donc pas honnête de prétendre que la loi n'aurait pas prévu la situation dans laquelle s'est retrouvée Chantal Sébire.

M. Michel Dreyfus-Schmidt. C'est vous qui êtes malhonnête !

M. Gérard Dériot. Mon cher collègue, la loi l'a prévu. Je ne dis bien entendu pas que le texte législatif constitue une solution parfaite. Bien au contraire, je demeure très humble devant ces problématiques si complexes, et je me garderai bien de tout prosélytisme.

Mais ayons également le courage de dire à nos concitoyens que notre société doit aborder ce débat de la fin de vie et des soins contre la souffrance en refusant les schémas simplistes que nous propose trop souvent le débat médiatique.

Prenons du recul et reconnaissons que, en la matière, les craintes les plus diverses entraînent des réactions paradoxales : la peur de souffrir, mais aussi celle de se voir voler sa mort par l'administration excessive de sédatifs ; le refus de l'acharnement thérapeutique et l'inquiétude de se voir jugé par les médecins, d'être inéligible à certains traitements ; la terreur de sa propre déchéance, qu'elle corresponde à sa conception personnelle de la dignité ou à celle que l'on pensera lire dans le regard de l'autre.

Face à ces sentiments mêlés, chacun se forge sa propre opinion, infiniment variable selon qu'il s'agit d'une éventualité abstraite et à venir ou d'une réalité vécue et subie.

Face à ces interrogations et ces craintes, certains militent pour le droit à l'euthanasie. Le contexte émotionnellement dramatique de telle ou telle affaire qui bouleverse nos concitoyens leur donne l'occasion de faire valoir leurs arguments.

Mais ces situations ne sont pas toutes semblables. Et le mot recouvre, dans l'opinion publique, des réalités diverses.

Ce peut être d'abord la mort volontairement donnée au malade incurable par compassion pour ses douleurs au vu de l'impasse thérapeutique à laquelle il est confronté, et sans d'ailleurs qu'il ait toujours donné son consentement à cette issue ultime.

Ce peut être aussi le suicide assisté de celui qui, sans que son pronostic vital soit engagé, souhaite se donner la mort mais ne peut y procéder lui-même.

Ce peut-être encore la non-intervention médicale dans l'intention de laisser faire la nature si le traitement est sans espoir de réelle guérison ou porteur de handicaps trop lourds, notamment pour les nouveau-nés.

Ce peut être enfin l'interruption des soins et traitements du malade lorsque la vie de ce dernier n'est alors plus qu'artificiellement maintenue par des machines dont, en l'état actuel des connaissances médicales, on estime qu'il ne pourrait jamais se priver.

La loi actuelle permet donc, par une approche globale, d'appréhender de façon humaine et structurée les différentes hypothèses selon lesquelles peut se dérouler la fin d'une vie, tout en respectant une vision profondément morale et éthique de notre société.

En 2005, le Parlement a pris le parti de ne pas modifier le code pénal et de confirmer l'interdit de tuer, dont le respect constitue le fondement de notre société et qui demeure la règle absolue des trois grandes religions monothéistes. Avec nombre de mes collègues, je demeure personnellement très attaché à cette limite, que je me refuse de voir franchie.

La médecine n'est pas là pour administrer des substances létales. Le pharmacien de profession que je suis ne souhaite pas que l'on confonde un jour les officines avec une armurerie vendant de quoi tuer. Il n'est pas envisageable de demander aux médecins de trahir leur serment d'Hippocrate et d'imposer aux personnels médicaux de donner la mort.

M. Michel Dreyfus-Schmidt. C'est pourtant bien ce qu'ils sont parfois amenés à faire !

M. Gérard Dériot. Cette limite rappelée, nous ne sommes pas hostiles, bien sûr, à la poursuite de ce débat ni, surtout, à la nécessaire évaluation d'ensemble des moyens consacrés à la prise en charge des maladies chroniques, des pathologies lourdes et dégénératives appelant la mise en oeuvre de suppléances vitales ainsi qu'à l'accompagnement du grand âge et de la fin de vie.

Le comité national de suivi du développement des soins palliatifs et de l'accompagnement doit contribuer à l'évaluation des difficultés de mise en oeuvre de la loi et de ses éventuelles limites.

Je ne méconnais pas l'insuffisance du développement des services de soins palliatifs, mais une part du produit des franchises médicales leur est normalement réservée. Nous veillerons à ce qu'il en soit bien ainsi, comme nous serons attentifs au développement, que nous sommes en droit d'attendre, des soins palliatifs.

Par ailleurs, cela a été rappelé, Jean Leonetti a été chargé par le Premier ministre d'évaluer la mise en oeuvre de la loi de 2005. La commission des affaires sociales va également former un groupe de travail, auquel j'aurai l'honneur de participer. On ne peut que se féliciter de ces initiatives.

Je ne doute pas que cette première évaluation permettra d'améliorer encore la prise en charge des personnes en fin de vie ou en très grande souffrance, mais, dès à présent, il nous appartient de mieux faire connaître la loi et surtout de la faire appliquer, car je maintiens qu'elle est équilibrée. Tout d'abord, elle confirme l'interdit de tuer. Ensuite, elle replace le malade au centre du dispositif en affirmant son droit à maîtriser la fin de sa vie. Enfin, elle restitue au médecin la plénitude de sa responsabilité : faire le choix du traitement adapté, informer le malade et son entourage sur les risques véritables de certains médicaments et les conséquences prévisibles de l'interruption des soins, accompagner son patient jusqu'au bout de son chemin et prendre parfois lui-même, en toute transparence, l'initiative d'y mettre fin.

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, cette loi a le mérite d'exister. Nous avons tenu les uns et les autres à ce qu'elle existe. S'il est sans doute nécessaire d'en évaluer l'application, il est surtout impératif, madame la ministre, de développer davantage les soins palliatifs. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Patricia Schillinger.

Mme Patricia Schillinger. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens tout d'abord à remercier Jean-Pierre Godefroy d'avoir posé cette question orale avec débat sur un sujet si important.

Comme l'ont souligné mes collègues, nous avions déjà souligné les insuffisances et les faiblesses de la proposition de loi de Jean Leonetti relative aux droits des malades et à la fin de vie lors de son examen. Nous avions alors évoqué la nécessité d'aller beaucoup plus loin que le seul « droit de laisser mourir ». En effet, le texte n'envisageait pas l'exception d'euthanasie telle que l'avait envisagée le Comité consultatif national d'éthique.

Malheureusement, lors de l'examen de ce texte au Sénat, il y a trois ans, le Gouvernement tenant absolument à obtenir un vote conforme, a empêché l'adoption de tout amendement. Un texte d'une telle importance sur ce délicat problème justifiait pourtant un vrai débat. Je suis heureuse qu'il ait lieu aujourd'hui dans cet hémicycle.

Si nous sommes réunis aujourd'hui, c'est parce que le dispositif de la loi Leonetti ne permet pas de faire face à toutes les situations. Ce sujet revient donc en discussion à chaque nouveau fait d'actualité.

Même si de réelles avancées ont été constatées ces dernières années, notamment grâce à la loi du 9 juin 1999 visant à garantir le droit à l'accès aux soins palliatifs, à la loi Kouchner du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé et, plus récemment, à la loi Leonetti, aucune réponse n'est proposée au malade conscient qui souhaite interrompre ou refuser ses traitements. Lorsqu'un malade refuse tout traitement, le médecin, en accord avec l'entourage proche du patient, devrait pouvoir respecter son choix, après l'avoir informé précisément des conséquences et sans encourir de poursuites judiciaires.

Dans la loi Leonetti, l'alimentation est clairement considérée comme un traitement et non comme un soin. Le texte précise que le malade conscient est autorisé à refuser tout traitement et vise ainsi implicitement le droit au refus de l'alimentation artificielle. Ce point du texte est très important, car il suscite de nombreuses questions. Quelle est l'intention en cas d'arrêt ou de limitation de traitement ? L'intention est-elle de mettre fin à un acharnement thérapeutique ou s'agit-il d'une intention euthanasique cachée ?

Le texte n'apporte pas de solution pour les personnes qui souhaitent mourir mais ne veulent pas interrompre l'alimentation artificielle. Ce fut le cas du jeune Vincent Humbert et de Chantal Sébire, qui ont souhaité en finir avec une vie qui leur était insupportable, mais sans mourir de faim ou souffrir. Ils souhaitaient partir le jour où ils l'avaient décidé.

En fait, les avancées de la loi Leonetti sont plus pour les médecins que pour le malade. En effet, la loi protège les médecins dans leurs décisions collégiales de limitation ou d'arrêt de traitement. Ainsi le médecin doit-il sauvegarder la dignité du mourant et assurer la qualité de sa fin de vie en dispensant des soins palliatifs. Si ces soins palliatifs visent à soulager ou à atténuer la souffrance, on sait aujourd'hui qu'ils ne visent en aucun cas à prendre en compte la demande d'aide à mourir. En cas de refus de traitement, la loi permet à un patient de se laisser mourir de faim. Il n'est pas tolérable de laisser un patient mourir à la suite de l'arrêt de ses traitements, y compris l'alimentation, de le laisser dans l'incertitude du moment de sa mort et d'offrir à sa famille le spectacle de sa dégradation.

La loi ne pourrait-elle pas autoriser les médecins à adapter la sédation du patient afin de faciliter sa mort et de lui épargner une agonie prolongée et inutile ?

La loi Leonetti n'apporte guère de modification pour les personnes confrontées à une situation médicale sans issue. En effet, elle ne permet pas de répondre aujourd'hui à des demandes telles que celles de Vincent Humbert ou de Chantal Sébire, non plus qu'elle n'évite les poursuites criminelles comme celles dont a fait l'objet le docteur Chaussoy. La proposition de loi Leonetti a pourtant vu le jour à la suite du cas de Vincent Humbert.

Les médecins qui oseront abréger les souffrances d'un malade seront toujours hors-la-loi. Le texte interdit explicitement aux médecins de pratiquer une « aide active à mourir » pour soulager les souffrances d'un patient agonisant. Quand on est en phase terminale, si la douleur physique ou psychologique est insupportable, on peut vouloir ne plus vivre et réclamer une aide active à mourir, non des soins palliatifs.

Madame la ministre, accompagner la mort dans la dignité est un acte d'amour, qu'il s'agisse de personnes âgées atteintes de maladies dégénératives à l'évolution inexorable, de personnes, parfois jeunes, foudroyées par des affections incurables ou encore de victimes d'accidents ayant entraîné des lésions irréversibles, ôtant tout espoir de retour à un minimum d'autonomie de vie.

Quelle que soit la situation particulière à laquelle il est confronté, le praticien doit accompagner son patient par une attitude responsable, dictée par sa conscience et son humanité.

Aujourd'hui, en France, on le sait bien, des euthanasies sont pratiquées dans la clandestinité. Bien que les estimations soient difficiles à réaliser, on évalue à 1 800 par an le nombre des euthanasies clandestines pratiquées en France de manière inégalitaire et anarchique. Pourquoi ne pas agir en toute transparence afin de ne plus être dans l'illégalité et ainsi permettre au malade d'être accompagné par une équipe médicale formée et par son entourage ?

Une société ne doit pas vivre un décalage trop important entre les règles affirmées et la réalité vécue. L'hypocrisie ne peut perdurer.

Par ailleurs, selon un sondage TNS-SOFRES, près de neuf Français sur dix souhaitent que les personnes atteintes d'une maladie incurable puissent demander à bénéficier d'une euthanasie. En d'autres termes, 87 % des Français veulent pouvoir demander l'euthanasie.

Pour finir, j'insisterai sur l'importance qu'il y a à prendre en compte la volonté du patient et de la famille dans une situation médicale grave et sans issue. Lorsqu'un individu est parvenu aux limites du supportable, la volonté de mourir peut l'emporter sur l'intérêt de vivre.

Madame la ministre, mon expérience dans les hôpitaux me conduit à penser que, face à certaines détresses, quand tout espoir thérapeutique est vain et que la souffrance se révèle insupportable, la demande de délivrance devient un droit. Elle doit être l'expression de notre dernière liberté. J'espère que le Gouvernement avancera dans ce sens. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Alain Milon.

M. Alain Milon. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la réflexion contemporaine porte fréquemment sur l'antagonisme entre le désir individuel de liberté, admis comme légitime, et les exigences, parfois jugées dépassées, de notre société.

Le débat, sans cesse relancé, autour de ce qu'on appelle communément l'accompagnement à la mort ou le droit des patients en fin de vie évolue depuis des années, mais reste souvent stérile et occulte complètement l'ensemble des travaux et des rapports d'une grande qualité qui l'ont jalonné.

Personne ici ne l'a oublié : la loi votée le 22 avril 2005 reconnaissait le droit pour les malades d'accéder aux soins palliatifs et en même temps de refuser un traitement. Par ailleurs, l'article 37 du code de déontologie médicale fait obligation au médecin de « s'abstenir de toute obstination déraisonnable » et de « s'efforcer de soulager les souffrances ». Cette loi, qui a fait suite à de nombreux travaux de réflexion, est aujourd'hui applicable, même si elle est encore trop méconnue par beaucoup.

Il n'est donc plus question de polémiquer, mais plutôt d'informer et de communiquer, de sensibiliser le plus grand nombre aux questions que pose la prise en charge de la fin de vie, car, quelles que soient nos références philosophiques, religieuses ou politiques, la vie est, dans les démocraties et dans notre pays, un droit inaliénable et sacré.

Proclamé dans l'article 3 de la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948, le droit à la vie est un principe fondateur de nos sociétés modernes.

Dans la société actuelle, où règne l'apparence, la mort est passée sous silence. Sujet tabou, la fin de vie n'est que très peu abordée dans le cadre intime ou familial. Alors, plutôt que de l'affronter, on se réfugie dans l'occultation, on laisse encore bien souvent le malade, comme l'a dit M. le président de la commission des affaires sociales, sa famille et le corps médical, faire face seuls à des situations douloureuses.

Pourquoi le fait d'accompagner un malade en fin de vie vers une issue que l'on sait fatale pose-t-il encore tant de problèmes à nos consciences ? D'ailleurs, s'agit-il vraiment d'une question de conscience ? Ce malaise ne traduit-il pas davantage la crainte de l'homme moderne de la déchéance provoquée par la maladie, sa peur de mourir ou, pis, la peur du déclin ? La liberté de disposer de son corps serait-elle uniquement réservée aux seuls bien-portants ? Comment, enfin, permettre le respect du droit à l'intégrité physique sans entacher le droit à la vie ?

Offrir des conditions optimales de soins pour, à défaut de guérir, adoucir la souffrance est l'un des nouveaux grands enjeux de la médecine. Il s'agit non d'ôter la vie, en aucun cas, mais de diminuer la durée du passage à un terme inéluctable. Le médecin n'est pas formé, je le crois, pour abréger la vie.

Aujourd'hui, pour un certain nombre d'entre nous, il s'agit bien davantage de rendre la mort plus douce et, paradoxalement, en un certain sens, plus « naturelle ». Le médecin et les personnels soignants doivent rendre sa dignité et sa sérénité à la personne en fin de vie, en se souvenant qu'il s'agit non pas de provoquer la mort intentionnellement, mais de la laisser venir naturellement.

En effet, non seulement l'acte de tuer est incompatible avec le devoir de ne pas nuire, mais le fait de l'associer aux soins saperait la confiance des familles envers les soignants.

En 2005, lors de l'examen de la proposition de loi relative aux droits des malades et à la fin de vie par notre assemblée, il nous avait semblé nécessaire d'être à la fois modestes et précis : précis dans les mots, dans les réponses et dans les motivations. En effet, l'évolution des pratiques médicales ne doit pas éroder les habitudes et les valeurs communes qui fondent une société et qui soutiennent ses institutions. D'un certain point de vue, il s'agissait alors de reconnaître un contrat entre deux parties égales, le patient et son médecin.

En effet, si 80 % des Français souhaitent, lorsqu'ils sont en bonne santé, que les médecins puissent, le cas échéant, les aider à mourir, cette proportion tombe à 1 % chez les patients en fin de vie.

De tels chiffres montrent toute la prudence qui s'impose pour traiter au mieux le délicat problème de la fin de vie. Quoi qu'il en soit, et aussi tragiques ou dramatiques que soient les situations, il est, me semble-t-il, d'une importance capitale de ne jamais céder à l'émotion. C'est la raison pour laquelle il convient d'entourer de certaines précautions l'expression d'une telle volonté.

Mes chers collègues, si, à la suite de plusieurs autres orateurs, j'insiste volontairement sur la loi adoptée voilà trois ans, c'est parce que celle a constitué un progrès considérable, aujourd'hui admis par la quasi-totalité du corps médical. Ce dispositif a apporté des réponses à ce que, en l'état actuel de nos moeurs et de notre législation, certains vivaient alors comme un calvaire.

Renoncer à l'acharnement thérapeutique, éviter l'obstination déraisonnable, rompre l'isolement du malade en fin de vie, épargner le désarroi à la famille et éviter la culpabilité des personnels soignants, tels étaient les principaux enjeux de ce texte, qui recherchait une solution éthique à l'encadrement juridique de la relation médicale entre le médecin et son malade.

Cette loi, qui reconnaît le droit du patient à refuser tout traitement, est centrée sur la notion de « proportionnalité des soins » et sur le développement de la culture palliative. Elle ne prétend pas répondre à toutes les interrogations ou à tous les cas de figure, car ce qui est supportable pour une personne ne l'est pas nécessairement pour une autre, et nul ne vit la douleur de la même manière, nul ne perçoit sa déchéance au travers du même prisme.

Accepter notre condition de mortels tout en refusant la douleur rédemptrice, telle est donc la philosophie qui, je le crois, sous-tend une telle loi. Il s'agit d'un texte équilibré, qui confirme l'interdit de tuer, mais replace le malade au centre du dispositif, en affirmant son droit à maîtriser la fin de sa vie. Il restitue au médecin la plénitude de sa responsabilité : faire le choix du traitement adapté, informer le malade et son entourage sur les vrais risques de certains médicaments et les conséquences prévisibles de l'interruption des soins, accompagner son patient jusqu'au bout de sa vie sans prendre soi-même l'initiative d'y mettre fin.

En contrepartie, ce texte affirme la reconnaissance des soins palliatifs dans l'accompagnement des pathologies graves, voire incurables. Faire entrer les soins palliatifs dans les services hospitaliers constitue une avancée notable - je dirais même une « révolution culturelle » -, dans la mesure où cette présence traduit l'acceptation des limites de la médecine curative. La loi rappelle chacun à l'humilité, et c'est déjà un grand progrès en soi.

Il est indispensable de confirmer l'importance qu'il convient d'accorder aux soins palliatifs. Je pense d'ailleurs moins à la création de services hospitaliers spécifiquement dédiés à ces traitements qu'à la participation des différents services susceptibles d'accueillir des patients en fin de vie à une telle démarche.

Ainsi, des changements sont intervenus au fil des années, et nous pouvons nous féliciter de l'évolution significative de notre législation. Mais ce mouvement peut-il se poursuivre ? Peut-il aller encore plus loin ?

Le cas douloureux qui a marqué l'actualité au cours de ces dernières semaines - nous l'avons tous en mémoire - doit-il demeurer une exception ? Doit-il, au contraire, amener à une nécessaire évolution de nos mentalités et de nos lois qui irait jusqu'à reconnaître une forme de « droit à la mort » et qui consisterait à conférer un ancrage législatif aux conditions de limitation ou d'arrêt d'un traitement ?

Certes, comme nous l'avons vu depuis le début de ce débat, le sujet est polémique. Mais, quoi qu'il en soit, tout en respectant la dignité du patient, nous devons tenter de trouver sans hypocrisie des solutions justes, raisonnables et humaines face à certaines situations qui restent exceptionnelles et dramatiques, sachant que nous devons légiférer non pas à partir de cas particuliers, mais en fonction de l'intérêt général.

Aujourd'hui, si la question de l'euthanasie semble dépassée - presque toutes les souffrances peuvent être soulagées -, le terme d'« euthanasie » est souvent employé pour évoquer un autre débat, celui de l'aide au suicide. Dans ce débat, les personnes qui ne supportent plus de vivre et qui demandent à mourir au nom du droit de disposer de leur vie nous renvoient à notre regard sur elles. En effet, le devoir d'une société démocratique et soucieuse de solidarité à l'égard des plus vulnérables est d'abord d'explorer toutes les réponses humaines et sociales susceptibles de confirmer à ces personnes qu'elles ont leur place dans notre monde et que leur dignité n'est pas entamée.

La prudence vis-à-vis des dérives possibles d'une loi, la protection des plus faibles et la protection de la mission du médecin, qui est de soigner, plaident en faveur du refus de légiférer sur le principe d'un suicide assisté, car il y aura toujours - hélas ! - des situations dramatiques et des exceptions.

Un droit à la mort reste contraire aux valeurs de la médecine et aux sources morales de notre démocratie. Quelles que soient les motivations des partisans de la légalisation de l'euthanasie, on ne peut pas admettre que la société assigne aux médecins, aux infirmiers ou à tout autre personnel soignant la tâche de tuer un patient. De même, il ne faut pas que l'administration de la mort soit prévue par la loi. En effet, si le suicide est une liberté, il n'est pas un droit, et il n'a pas vocation à le devenir.

Pour ma part, au regard de l'extrême diversité des situations, je ne suis pas certain qu'il soit opportun de relancer un débat généraliste sur le vote d'une nouvelle loi traitant d'un sujet aussi douloureux et complexe.

En revanche, nous devons insister sur le refus de l'obstination déraisonnable et de l'euthanasie. Tentons de faire preuve du plus de créativité possible pour trouver des solutions aux pires situations. Redéfinissons l'acte d'« accompagner » et de « laisser mourir » un malade en fin de vie sans le comparer à celui de « donner la mort ». Et, avant toute chose, interrogeons-nous sur les raisons pour lesquelles la loi du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie reste peu connue et appliquée.

À partir de ce constat, essayons d'adapter de nouvelles formations et apprenons à communiquer davantage. Nous devons, j'en suis convaincu, en prendre conscience, s'il est important de développer les nombreuses actions de sensibilisation et d'information sur les soins palliatifs, il est également fondamental de former les professionnels de santé, les bénévoles et le public sur la législation actuelle, qui tolère un « laisser mourir », et surtout pas une aide à mourir. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. Très beau discours !

Mme la présidente. La parole est à M. Roger Madec.

M. Roger Madec. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la fin de vie appelle des réflexions essentielles, qui touchent chacun d'entre nous au plus profond de notre être.

De ce fait, un tel sujet ne peut pas être traité dans le cadre d'une simple question d'actualité, comme certains s'y sont pourtant essayé jeudi dernier. À mon sens, la formule des questions orales avec débat, qui permet d'aborder ce type de problèmes avec sérénité, est plus adaptée. À cet égard, je remercie notre collègue Jean-Pierre Godefroy de nous offrir l'occasion d'en discuter.

Un tel débat, qui est légitime et difficile, doit être posé avec d'autant plus d'égards et de gravité que le sujet revêt des enjeux fondamentaux pour notre société.

Quels choix une société à l'héritage judéo-chrétien, qui a également connu le siècle des Lumières et l'avènement des droits de l'homme, peut-elle effectuer ? Quelles évolutions peut-elle suivre ?

Sensibles et intimes, les certitudes et les croyances des uns et des autres sont respectables. Elles méritent l'attention.

Lorsque nous sommes confrontés à des questions éthiques, nous avons tous notre part de vécu et nos expériences personnelles. Pour autant, notre rôle de législateur est de faire des choix en conscience, certes, mais également en responsabilité.

Comme cela a été rappelé, voilà trois ans, le 12 avril 2005, un tel débat, que nous entendions mener avec respect et sérénité, nous a été confisqué : le texte adopté par l'Assemblée nationale était intouchable puisqu'il était, paraît-il, parfait !

Comment ne pas penser que certaines souffrances auraient pu être évitées ou apaisées et que certaines situations dramatiques auraient pu être épargnées si l'on avait bien voulu, à ce moment-là, laisser notre assemblée s'exprimer et adopter des améliorations sur lesquelles chacun s'accordait, au lieu de précipiter l'adoption d'un texte dont on connaissait déjà les limites ? En effet, à l'époque, on avait déjà présagé les problématiques qui sont aujourd'hui soulevées.

Le simple fait d'accepter l'évaluation de la loi aurait constitué une mesure élémentaire pour en suivre l'application et la faire connaître. À ce titre, permettez-moi d'émettre un doute quant au bien-fondé de la récente décision gouvernementale de confier le soin d'une telle évaluation à l'auteur du dispositif, quelles que soient ses compétences par ailleurs.

Au bout de trois ans, où en sommes-nous ?

Si l'on veut bien y songer, on s'aperçoit que la situation est étrangement similaire. L'opinion publique est marquée par le drame vécu par une femme et relayé par les médias. Les élites et les partisans des différentes options s'animent. La justice et les pouvoirs publics sont interpellés.

Et un triple constat s'impose : celui, encore une fois, de notre impuissance face à la volonté ultime d'un être humain ! Celui, encore une fois, de notre silence face à un combat contre la douleur ! Celui, encore une fois, d'un geste condamné à la solitude ou à l'exil, alors que la France entière était pourtant « à l'écoute » ! Cette femme est morte dans l'isolement et la clandestinité. Faute d'avoir été entendue, et acculée à accomplir elle-même ce qu'elle ne voulait pourtant pas faire, elle s'est suicidée.

Si la loi Leonetti a pu constituer une étape dans la réflexion sur la fin de vie, en parvenant à un certain consensus autour du « laisser mourir », c'est parce qu'elle a confirmé un certain nombre d'évolutions. Elle a réaffirmé le refus de l'acharnement thérapeutique et légalisé la pratique du « double effet », qu'une décision de justice venait de reconnaître.

Cependant, si le « laisser mourir » peut constituer une solution pour les malades en fin de vie, il apporte seulement une perspective de longue agonie à celui qui n'est pas en phase terminale.

Ainsi que nous l'avions dénoncé à l'époque, c'est cette situation qui attendait Vincent Humbert s'il acceptait le dispositif. C'est également ce qu'a vécu le jeune homme dont Michel Dreyfus-Schmidt a rappelé tout à l'heure la triste fin et dont le témoignage des parents a bouleversé la France.

Tout le monde semble à présent étrangement s'y accorder, l'application de la loi Leonetti pose un certain nombre de problèmes.

Tout d'abord, cette législation est peu appliquée parce que, paraît-il, elle n'est pas suffisamment connue. Ensuite, et c'est peut-être pire, elle est mal appliquée, en raison d'un manque de formation médicale à l'accompagnement de la fin de vie et de développement des soins palliatifs sur notre territoire. Enfin, la loi présente des insuffisances ou, du moins, une inadaptation face à certaines situations.

Il est certain que les soins palliatifs doivent être développés. À cet égard, on ne peut que déplorer le fossé entre le principe posé par la loi, c'est-à-dire l'égal accès à ces soins et au soulagement de la douleur, et la réalité.

D'ailleurs, s'il est vrai que 95 % des demandes d'euthanasies sont automatiquement abandonnées lors d'un transfert du patient dans une unité de soins palliatifs, cela signifie qu'elles sont maintenues dans 5 % des cas.

Dès lors, si l'accompagnement et les différents dispositifs existants ne permettent pas véritablement de soulager la douleur de la personne, que faut-il faire ? Est-il inacceptable de se demander s'il ne faut pas aller plus loin ? Est-il inacceptable de répondre par l'affirmative ?

Voilà trois ans, en proposant le principe d'une aide médicalisée pour mourir, le groupe socialiste avait fait le choix d'une voix médiane qui devait permettre à la « compassion et la sollicitude » de s'exprimer au travers d'un geste humanitaire : la délivrance de la souffrance.

En offrant la possibilité à certains malades de choisir cet accompagnement ultime dans certaines conditions et dans certaines circonstances exceptionnelles - j'insiste bien sur cet adjectif -, notre intention était non pas de dépénaliser l'euthanasie, contrairement à ce que certains orateurs ont affirmé, mais bien d'ajouter un cinquième cas d'exonération des médecins de poursuites pénales dans le code de la santé publique.

Le médecin a pour mission de soigner, pas de tuer, nous diront certains... Cela signifie-t-il que, parce qu'il se trouve impuissant à continuer de remplir sa mission, son rôle social doit nécessairement s'arrêter là ? Aller plus loin, c'est transgresser l'interdit, c'est s'exposer à l'anathème, rétorquent d'autres...

À ce point de mon propos, permettez-moi de l'illustrer d'un extrait du témoignage de Chantal Chanel, lu récemment dans la presse : « Il est anormal de laisser cours à tant de souffrance. On est allé au tribunal pour ce qu'on a fait, mais parfois on pourrait plutôt y aller pour ce qu'on ne fait pas. Est-il normal de voir des médecins prescrire des antidépresseurs à quelques heures de la mort et d'autres débrancher tout et fermer la porte ? Au nom du non-acharnement thérapeutique, on peut débrancher un respirateur, des sondes pour alimenter... Et le malade meurt d'étouffement, de faim, en toute légalité certes, mais dans quelles souffrances ? Nous, pour une dose de potassium, illégale mais sans souffrance, nous nous sommes retrouvés aux assises comme des criminels. C'est anormal ».

De toute évidence, le débat doit de nouveau être ouvert, car il ne semble plus possible de se satisfaire du laisser-mourir et d'accepter la clandestinité ; parce qu'on ne peut plus se réfugier derrière l'hypocrisie.

L'effroyable hypocrisie, dans le cas de Chantal Sébire, était de s'entendre dire : « Mais si elle veut mourir, elle n'a qu'à se suicider ! »

Qu'il accepte le laisser-mourir ou qu'il agisse seul et, s'il est dans l'incapacité de le faire lui-même, qu'un autre le fasse à sa place, à ses risques et périls ! Est-ce là l'unique alternative proposée par notre société à celui qui ose demander d'être délivré d'une vie devenue inhumaine ?

Selon un archevêque qui s'est exprimé largement et publiquement dernièrement, « la société n'aurait pas vocation à organiser la mort, [...] ni celle du grand malade en phase terminale, ni celle de vieillards en fin de vie ».

Est-ce à dire que la société qui organise le vivre-ensemble autour de valeurs communes comme la justice, l'égalité, la solidarité devrait abandonner l'homme au « finir de sa destinée » ?

Améliorer les conditions de cette fin quand elle survient, préparer au mieux cette issue inéluctable, n'est-ce pas aussi le devoir d'une société ? Pour ma part, je le crois.

Le respect de la volonté d'une personne, cette dernière liberté, ce choix intime, ne doit plus être nié. Ne pas refermer la porte, ne pas accepter la fatalité de la douleur, du « mourir à petit feu », assumer la transgression au nom de la responsabilité, comme mesure exceptionnelle liée à un état de nécessité - souffrance absolue - et fondée sur la volonté du malade : voilà ce que nous devons avoir le courage d'affronter aujourd'hui.

Permettez-moi d'ouvrir une parenthèse sur ma vie personnelle ; je ne comptais par le faire, mais le débat d'aujourd'hui m'y conduit. Voilà plus de treize ans, j'ai accompagné une personne qui partageait ma vie, atteinte d'une maladie incurable. Cette personne jeune, mais frappée dans sa chair, me suppliait tous les jours de mettre fin à ses souffrances. Croyez-moi, madame la ministre, je n'ai pas eu le courage de le faire à cette époque et, tous les jours, cette situation me hante : j'ai été lâche et je le regrette. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Thérèse Hermange.

Mme Marie-Thérèse Hermange. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous partageons tous, sans aucun doute, des paradoxes et un champ d'axiomes.

Premier paradoxe : d'un côté, sous la présidence de Philippe Marini, une réflexion très poussée de notre assemblée sur la dépendance et l'organisation éventuelle d'un système d'assurance et de solvabilité jusqu'à sa mort ;...

M. François Autain. Cela n'a rien à voir !

Mme Marie-Thérèse Hermange. ...de l'autre, nous sommes appelés à aller toujours plus loin pour instaurer une législation sur le droit à mourir.

Deuxième paradoxe : d'un côté, sous votre présidence, madame André, une réflexion sur le droit à la maternité ; de l'autre, et dans le même temps, une réflexion sur le droit à la mort, l'un et l'autre ayant pour dénominateur commun le fait que la souffrance, considérée comme indignité, comme déchéance, doit être comblée avec cette tentation de revendiquer, par un moyen ou par un autre, le droit de la supprimer.

Nous partageons tous aussi, le champ d'axiomes suivant.

Oui, la phase ultime de la vie interpelle la responsabilité thérapeutique du médecin, mais la fin de vie encadrée, technicisée, peut bouleverser le dialogue singulier entre celui-ci et son patient.

Oui, le devoir de vérité au malade en phase terminale exige discernement et tact, et nécessite les traitements médicaux susceptibles d'alléger la souffrance par des soins palliatifs adéquats.

Oui, il existe un droit pour la personne d'être informée ; mais cette vérité communiquée ne la ferme pas à l'espérance.

Oui, il existe une différence radicale entre « donner la mort », acte qui supprime la vie, et « accepter la mort ».

Oui, au-delà de nos engagements personnels, acceptons que certains conçoivent la mort comme un voyage au pays de l'ombre, tandis que d'autres, comme Jean Guitton, disent que « la mort est un voyage que l'on va faire dans un pays merveilleux ».

M. François Autain. C'est sûr !

Mme Marie-Thérèse Hermange. Oui, nous savons que chacun de nous ne se résume pas à ces rationalités, marqué qu'il est par ses cicatrices, ses blessures, son environnement, son histoire personnelle, son rapport au mystère de la vie, tiraillé qu'il est entre l'envie de s'épanouir et de s'autodétruire. Devant l'inconnu et le singulier, toutes les certitudes humaines ne chancellent-elles pas ?

Oui, déshumaniser la mort a pour nécessaire conséquence de déshumaniser la vie.

Oui, la souffrance humaine inspire compassion, respect ; elle est quelque chose de plus ample que la maladie, de plus complexe, de plus enraciné dans l'humanité de l'homme et, en son coeur, apparaît inévitablement la question du « pourquoi ? ».

Ces considérations, je pense que nous les partageons tous. C'est pourquoi la compassion suscitée par la douleur, la souffrance d'enfants handicapés, de personnes atteintes de maux incurables a servi de socle à la loi relative aux droits des malades et à la fin de vie, en 2005.

Or voici qu'aujourd'hui, à travers une souffrance singulière, une souffrance vécue, bouleversante, montrée et médiatisée, la question du droit de mourir, nommée aujourd'hui « exception d'euthanasie », est en cause devant notre assemblée. Celle-ci amène en fait l'interrogation suivante : peut-on inclure parmi les droits qu'un individu doit revendiquer le droit de mourir, droit qui impliquerait la production de normes imposant leurs règles indifférenciées et systématiques, parce que générales, au titre de bonnes solutions ?

Pour ma part, je reste dubitative sur l'opportunité d'exhumer la problématique de la fin de vie - du reste d'une grande importance sur le plan médical comme sur le plan anthropologique - dans un tel contexte, et ce pour trois raisons : d'abord, n'ajoutons pas du texte à un texte existant si peu appliqué ; ensuite, écoutons ce que disent les médecins : ils ne veulent pas abdiquer pour donner la mort ; enfin, ne choisissons pas dans l'urgence médiatique des solutions dont nous savons à l'avance qu'elles sont forcément porteuses de dérives, parce que générales face à un événement singulier.

D'abord, est-ce nécessaire, compte tenu du corpus de textes existants ?

Nous disposons d'une législation mal connue, mal appliquée et, ce qui est plus grave, nous sommes face à des milliers de personnes qui meurent chaque année dans la solitude et le sentiment d'être abandonnées à leur souffrance.

Il m'apparaît évident qu'il n'est pas nécessaire aujourd'hui d'ajouter du texte à un texte existant. Il importe de faire appliquer la loi Leonetti à la fois en la faisant connaître du grand public et surtout des professionnels de santé, qui sont les premiers concernés, en diffusant la culture de bonnes pratiques en fin de vie comme celle de l'accompagnement au sein des familles et en dégageant tous les moyens nécessaires qui avaient été annoncés lors du vote de la loi.

Mme Marie-Thérèse Hermange. Nous nous devons donc de faire appliquer ces dispositions plutôt que d'en écrire davantage. C'est la raison pour laquelle je vous propose, puisque notre mission de législateur inclut une mission de contrôle et d'application des lois, qu'autour de M. Leonetti nous prenions un rendez-vous, sous une forme ou sous une autre, pour l'application de la loi de 2005.

Ma deuxième interrogation porte sur ce que pensent les professionnels et, plus largement, les personnes qui accompagnent des malades en fin de vie. Souhaitent-ils une évolution supplémentaire de la législation ? Leur réponse est non.

La majorité des médecins et des soignants sont conscients des dérives possibles d'une loi qui ouvrirait la possibilité d'éliminer ceux qui nous dérangent, des grands prématurés aux enfants adultes lourdement handicapés.

Comme le précise Marie de Hennezel dans son rapport intitulé la France palliative, « cette tentation existe déjà chez nos voisins des Pays-Bas et de Belgique, puisqu'on y envisage déjà d'étendre l'euthanasie aux grands dépressifs et aux déments. » Et des s'interroger : « Pourquoi serions-nous plus prémunis contre ce risque que nos voisins ? »

La grande majorité des médecins et des soignants estime qu'il est de leur devoir de protéger les plus vulnérables.

Déjà, dans un plaidoyer signé en mars 2007 par près de 7 000 professionnels de la santé, sept sociétés savantes ont affirmé qu'elles étaient contre la légalisation du suicide assisté, qui modifierait radicalement nos repères sociétaux, et ont appelé à une large information et à une pédagogie de la loi sur les droits des malades et la fin de vie.

Plus récemment, ces mêmes sociétés savantes ont rappelé que « quels que soient les choix que notre société pourrait faire dans le futur, donner la mort ne relève en aucune façon de la compétence du médecin et que nous [...] n'assumerons pas ce rôle », ajoutant : « Le tragique, l'effroyable vécu par une personne ne peut pas nous faire admettre que la mort donnée, même si elle est souhaitée, soit la solution. Ceci ne correspond ni à notre expérience quotidienne ni à ce que nous enseigne la pratique de la médecine. »

Faisons donc confiance sur ce point aux professionnels de santé, ne légiférons pas contre les personnes concernées par cette question.

Enfin, ne choisissons pas dans l'urgence médiatique des solutions dont nous savons à l'avance qu'elles sont forcément porteuses de dérives, mais également fausses parce que générales face à un événement singulier.

M. François Autain. Nous légiférons toujours dans l'urgence !

Mme Marie-Thérèse Hermange. D'une part, si nous légiférions, mes chers collègues, nous ne pourrions légiférer sur la mort à la troisième personne, celle qui est le destin commun de tout ce qui vit et respire.

Nous ne pourrions légiférer non plus sur la mort à la première personne, celle dont je ne peux parler puisque c'est ma mort.

Nous sommes donc appelés à légiférer non pas à la troisième personne ou à la première personne, parce que c'est impossible, mais sur la mort à la deuxième personne, celle de l'autre.

En d'autres termes, nous nous trouvons amenés à prendre au sérieux la parole d'un « je » et à croire que son consentement suffit à légitimer toutes sortes de conduites, sans nous rendre compte que, parfois, le sujet vit ses choix dans la souffrance et n'est donc pas forcément tout à fait en conformité avec son moi.

Autrement dit, nous sommes confrontés à notre propre impuissance, obligés de composer avec quelque chose d'insupportable et d'inacceptable, le coeur de l'inacceptable tenant au fait que c'est comme si l'on se renvoyait l'un à l'autre, en ricochet, la peur de la fin, la perte du sens et l'entrebâillement de l'espérance.

Or, comme le dit très bien Jankélévitch, « l'homme est fait pour connaître l'entrouverture, car sa vie est toujours entrebâillée par l'espérance, ce qui fait qu'il n'est jamais nécessaire de mourir ». C'est d'ailleurs, mes chers collègues, cette espérance qui est refusée au condamné à mort ; cela est contre nature, inhumain, c'est un temps monstrueux.

Or, en légiférant, on demande à la loi, par définition générale, qu'un autre - un homme singulier - vienne fermer cette ouverture, claquer cet entrebâillement, cette capacité à s'indigner et à dire « je veux vivre ».

M. François Autain. Quelquefois, il n'y a plus d'espoir.

Mme Marie-Thérèse Hermange. Plutôt que d'aider la personne à retrouver espoir, on cherche à prendre acte de cette désespérance et à la graver dans les textes.

Mes chers collègues, ce n'est ni le rôle de la loi ni le devoir de notre assemblée.

C'est quelque part à l'amour, à la famille, qui permet de surmonter de telles épreuves, que nous devons redonner espoir. C'est la conception de la famille qui est ici en cause, comme l'ont souligné de façon très émouvante Nicolas About et Sylvie Desmarescaux.

N'est-ce pas d'ailleurs toute la politique qui est conduite lorsque nous mettons en place des politiques de prévention et de service de soins à domicile et de soutien aux aidants familiaux ?

La question n'est donc pas : « Comment puis-je mourir tout de suite ? » mais bien : « Comment va-t-on m'accompagner jusqu'à ma mort ? » En effet, bien souvent les professionnels disent déceler derrière une demande « d'en finir » un appel au secours pour ne pas être abandonné, un besoin de se sentir accompagné et respecté malgré son état.

La demande de mort est parfois une façon pour le patient de sortir de la solitude, de rompre la digue du silence, de pouvoir enfin parler de la mort qui s'approche. C'est parfois une manière de devenir sujet. Il ne s'agit donc pas d'y répondre nécessairement par un acte, mais de l'entendre pour ce qu'elle signifie.

Comme le philosophe Michel Serres l'a dit admirablement : « En des temps assez anciens ou en des lieux dont nous avons honte, nul n'hésitait à mettre à mort les porteurs de ces différences-là. La définition de l'homme s'ensuit de la comparaison : la bête tue le différent alors que l'homme le tolère, le protège, le sauve et finit par cultiver sa différence. Cela s'écrit peu dans les livres mais s'entend sur les lits d'hôpital ou les salles d'accouchement. Des auteurs parfois célèbres étendirent en effet à l'homme la loi implacable de la sélection animale. Or c'est en sortant de ce processus de sélection naturelle que l'homme s'est humanisé. » Michel Serres ajoute : « Nais-tu faible, différent, anormal ? Voici qu'Homme, tu viens de naître Fils de l'Homme. »

Puis-je ajouter à ces propos du philosophe qu'il en va de la naissance comme de la mort, parce que la naissance comme la mort sont des trouées à travers lesquelles l'homme jette les yeux sur le fini et l'infini de sa vie. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Michel.

M. Jean-Pierre Michel. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, après avoir entendu Jean-Pierre Godefroy et, dans une certaine mesure, Nicolas About, ainsi que les témoignages de Sylvie Desmarescaux et de Roger Madec, j'ai été tenté de ne pas prendre la parole. Il faut avouer que, au cours de nos débats, nous répétons souvent de façon plus ou moins bonne ce qui a déjà été dit. Aussi, je m'en tiendrai à l'essentiel.

Si le groupe socialiste a voulu engager ce débat, c'est d'abord pour effacer de nos mémoires celui de 2003, auquel certains orateurs qui ont pris la parole ici avaient été priés de ne pas assister ou auquel leur pudeur ou leurs responsabilités les avait poussés à ne pas participer. Ce débat n'avait fait honneur ni au Parlement ni au ministre de triste réputation qui le conduisait.

C'est ensuite parce que la loi Leonetti ne résout rien. La meilleure preuve en est qu'elle n'aurait pas permis de résoudre le cas de Vincent Humbert, dont l'histoire a suscité une émotion qui est pourtant à l'origine de la proposition de loi. C'est un texte fait pour les médecins, qui légalise des pratiques existant dans tous les hôpitaux. Il permet donc aux médecins de faire maintenant dans un cadre légal ce qu'ils pratiquaient hier dans l'hypocrisie.

C'est enfin parce qu'il nous a semblé utile de redonner sa place au Parlement et plus particulièrement au Sénat. Les parlementaires ont seuls le mandat de faire la loi. Ils doivent décider sereinement, sans céder à la pression des évènements dramatiques liés à l'actualité ou à celle des lobbies, quels qu'ils soient, même ou surtout s'ils s'expriment par la voix de l'archevêque de Paris.

M. Jean-Pierre Michel. Finalement, de quoi s'agit-il ? Il ne s'agit pas d'un débat compassionnel pour plaindre ceux qui arrivent en fin de vie, qui n'en peuvent plus et qui voudraient mourir. Il s'agit d'un débat philosophique entre les conceptions totalement différentes que nous avons les uns et les autres de la personne humaine, de l'autonomie de sa volonté, de son droit à décider seul des conditions de sa mort.

M. Jean-Pierre Michel. Il ne s'agit pas non plus d'une exception d'euthanasie. Cette question est du passé. Le comité consultatif national d'éthique l'avait préconisée en 2000, mais, en 2003, c'était trop pour le gouvernement de l'époque.

En fait, il s'agit d'aider une personne qui le demande à abréger sa vie si elle ne peut le faire seule - si elle peut le faire seule, elle se suicide ! - et à lui permettre de mourir dans la dignité comme elle le souhaite. Cette dignité, mes chers collègues, seule cette personne peut en être juge et non le médecin, qui, au nom de je ne sais quel serment, refuserait de l'accompagner. Voilà quel est le sens de ce débat pour moi !

Il s'agit non pas, comme je l'ai entendu dire imprudemment - je préfère de ne pas retenir le nom de ceux qui l'ont dit -, du droit de tuer, mais de reconnaître la volonté de la personne humaine et son autonomie.

Madame la ministre, vous avez souvent défendu des positions, que certains estiment courageuses, mais que je qualifierai plutôt de justes et d'hétérodoxes, sur les problèmes de société. Nous comptons donc sur vous pour que le Gouvernement prenne en compte nos travaux et pour qu'un texte de loi répondant enfin à ce que réclament la majorité de nos concitoyens aboutisse. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE. - Mme Muguette Dini applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. André Lardeux.

M. André Lardeux. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, s'il est un sujet qu'il est bien difficile d'appréhender, c'est celui de la fin de la vie et de la souffrance physique et psychique qui accompagne le mourant et son entourage. C'est difficile dans notre société qui ne veut plus voir la mort, puisque 70 % des personnes meurent à l'hôpital, et qui s'illusionne en souhaitant l'immortalité terrestre. C'est d'autant plus difficile tant se manifeste d'émotion quand une situation dramatique est exposée sans pudeur sur la place publique.

Dans ce domaine, on redoute plus que l'on ne connaît ; on craint plus que l'on ne sait, et les interpolations et interprétations fantaisistes vont bon train.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Très juste !

M. André Lardeux. Si l'on doit compassion et respect aux personnes concernées et à leur entourage, nous devons nous garder de réagir seulement à l'émotion et éviter de nous laisser emporter dans le maelström médiatique, d'autant que celui-ci ne donne généralement la parole qu'aux militants les plus résolus de l'euthanasie. La dernière affaire en date l'illustre de façon caricaturale.

En effet, radios et télévisions utilisant à fond l'émotion de façon irresponsable n'ont relayé que la parole des partisans du prétendu « droit à mourir dans la dignité », jouant sur les mots sans guère de respect pour la plus élémentaire honnêteté intellectuelle, masquant la réalité derrière la multiplication d'euphémismes et laissant croire de façon choquante que la dégradation physique du corps prive la personne de sa dignité humaine ; tout cela sans donner la parole à ceux qui pensent qu'il y a des solutions alternatives permettant de respecter la personne autrement qu'en la tuant.

On ne peut que penser qu'il y a volonté de manipuler l'opinion par le diktat de l'affectif pour l'empêcher de réfléchir un tant soit peu de façon calme et mesurée à tout ce qu'implique la fin de vie.

Pour ma part, je pense qu'il faut réfléchir longuement avant de toucher à ce qu'il est convenu d'appeler la loi Leonetti, qui, je le crains, nous engage dans un engrenage mortifère.

On ne peut qu'être inquiet quand on lit ce qui a été écrit il y a une vingtaine d'années : « L'allongement de la durée de la vie n'est plus un objectif souhaité par la logique du pouvoir... Dès qu'il dépasse 60-65 ans, l'homme vit plus longtemps qu'il ne produit et il coûte alors cher à la société ; il est bien préférable que la machine humaine s'arrête brutalement, plutôt qu'elle ne se détériore progressivement. On pourrait accepter l'idée d'allongement de l'espérance de vie à condition de rendre les vieux solvables et de créer ainsi un marché. Je suis pour ma part en tant que socialiste contre l'allongement de la vie. L'euthanasie sera un des instruments essentiels de nos sociétés futures. »

J'espère que l'auteur à qui l'on attribue ce texte le désavouera, sinon le pire est à craindre.

Il faut dire « non » à l'euthanasie et « oui » à une médecine à visage humain, « oui » à une société à visage humain prenant pleinement en compte la dignité de la personne humaine.

En effet, avec Jean-François Mattei, je pense que c'est la dignité qui fait l'humain. On ne peut ni la donner ni l'enlever. On ne peut pas, à la fois, disposer de la dignité et décider qu'on l'a, qu'on l'a plus ou moins ou qu'on ne l'a plus. La dignité ne s'éteint pas progressivement au fil de la vieillesse ou de la maladie. Elle n'est pas biodégradable.

La qualité d'humain ne se décrète pas en fonction de la seule liberté du décideur, elle n'est pas subjective. S'engager dans ce sens serait extrêmement dangereux - le passé l'a amplement montré - car cela créerait une humanité à géométrie variable qui porterait atteinte à notre humanité intrinsèque. L'homme peut revendiquer des libertés, mais pas celle de choisir son humanité.

On naît humain et on vit humain, et rien ne peut en décider autrement. Aussi, en fin de vie, si l'acharnement thérapeutique est assurément déraisonnable, l'accompagnement des mourants obéit au principe d'humanité et au respect de la dignité de celui qui s'en va, pas l'euthanasie.

Nier la dignité de l'homme souffrant n'est-il pas indigne de l'homme qui se prétend non souffrant ? Opposer dignité et souffrance ne paraît pas digne de l'homme. C'est bien l'avenir et la dignité de l'humanité qui sont en jeu en la circonstance.

La fausse compassion nous expose à nombre de dangers. Parmi eux, le vote de textes qui ne répondent pas au problème posé.

Le précédent de la dépénalisation de l'avortement est emblématique. Devant des situations dramatiques indubitables, on a voté une loi sur l'IVG en espérant éviter sa banalisation. Pourtant, il n'y a jamais eu en France autant d'avortements qu'aujourd'hui. J'ai du mal à penser qu'il y ait chaque année 220 000 femmes en situation de détresse du fait d'une grossesse.

La question qui se pose est notre rapport à la vie. Notre société face à ce qu'elle considère comme n'entrant pas dans la norme répond très souvent par la mort. Pourtant, la collectivité est là pour protéger les citoyens, pas pour les tuer.

On ne peut pas, à partir d'un cas singulier, tirer des conclusions générales. Faire croire que la seule manière de respecter le désir de quelqu'un qui n'en peut plus est de lui donner la mort est une tromperie. Croire que l'euthanasie légalisée réglera la question de la souffrance et de la mort relève de l'illusion.

L'exception d'euthanasie ne tient pas la route : soit l'euthanasie est dépénalisée, soit elle ne l'est pas ! Il n'y a pas de situation intermédiaire.

Les risques de dérives sont considérables. Là où elle est légalisée, elle s'étend. L'exemple de la Belgique le fait craindre. On y pratique deux à trois euthanasies par jour, et le total annuel ne cesse d'augmenter.

M. François Autain. C'est faux !

M. André Lardeux. Ce n'est pas en franchissant l'interdit majeur du « tu ne tueras point » que l'on résoudra le problème. Faire tomber la barrière qui signifie que, pour chacun d'entre nous, la vie, même diminuée, a une valeur inestimable nous entraînera vers des impasses.

Tout d'abord, c'est une impasse pour les médecins et les soignants, dont il faut rappeler qu'ils ne doivent pas nuire aux patients : le médecin n'a pas le droit de provoquer délibérément la mort.

C'est imposer aux médecins une responsabilité impossible à supporter. De nombreuses situations peuvent les confronter à la demande de mort : maladies incurables, démence sénile, maladie d'Alzheimer, handicaps profonds, congénitaux ou non, etc.

Donner la mort à quelqu'un, même s'il la demande, ne dédouane pas de sa responsabilité morale l'auteur de l'acte.

Ensuite, c'est une impasse pour les malades, dans notre société de la honte - en l'occurrence, la honte de montrer que des gens souffrent : nombre d'entre eux, sous l'effet d'un sentiment de culpabilité, pourraient souhaiter la mort pour ne pas déranger. Et ce sentiment pourrait s'étendre aux personnes qui se sentent socialement inutiles, un poids pour leur entourage ainsi que pour la collectivité.

Il ne peut être question de les sommer de quitter la vie. Ce ne serait pas respecter leur dignité et ce serait créer une nouvelle forme d'exclusion.

Enfin, c'est une impasse pour la société, pour la collectivité, pour nous tous. Cela signerait la fin de la solidarité, qui n'a déjà que trop régressé. Comment vivrons-nous dans une société du chacun pour soi, dans un monde où la solidarité et la compassion consisteront à donner la mort alors que l'interdit du meurtre est une valeur fondamentale, comme le reconnaît le Comité consultatif national d'éthique dans son avis du mois de mars 2000 ?

On ne peut pas livrer la fin de la vie à des spécialistes de l'extinction des feux. On n'ose imaginer un moderne comité des trois Parques !

Pour aller vers l'euthanasie, on affirme que la loi Leonetti n'est pas appliquée, voire qu'elle est mal appliquée. Il faudra, bien sûr, en évaluer les éventuels bienfaits et méfaits, et pour cela il faut du recul.

Quoi qu'il en soit, la réponse, même si la loi n'est pas bien appliquée, n'est pas de donner la mort. Il nous appartient d'analyser le vrai désir des personnes, qui demandent avant tout quatre choses : ne pas souffrir, ne pas être soumises à une obstination inutile, ne pas être exclues des décisions médicales les concernant, ne pas être abandonnées et mourir seules. C'est lorsque ces quatre demandes légitimes ne sont pas respectées qu'il y a souvent un désir d'euthanasie.

Alors que faire ? Il nous faut agir sur les leviers de la vie et donner le courage de vivre. Cela ne passe pas par une loi, qui ne peut répondre à chaque situation particulière et, s'il faut éviter l'acharnement thérapeutique déraisonnable, on ne peut demander à quelqu'un d'abréger la vie d'autrui, car cela demeurera toujours un homicide volontaire.

Il faut axer nos efforts sur les soins palliatifs. Les progrès réalisés dans ce domaine montrent que la question de l'euthanasie est dépassée. On a désormais, pour peu qu'on le veuille, les moyens de soulager la souffrance et d'aider les malades à rester en relation avec les autres, notamment avec les leurs. La dépénalisation de l'euthanasie remettrait en cause les efforts de ceux qui se mobilisent dans cette voie.

Les bonnes pratiques de fin de vie doivent être diffusées par la formation et l'information des médecins comme des professionnels de santé. Il faut poursuivre leur développement dans les établissements de santé. La circulaire que vous avez adressée, madame la ministre, va tout à fait dans ce sens.

Les soins palliatifs doivent également être développés dans l'accompagnement à domicile ou sur le lieu de vie habituel. Il faut aider les équipes qui réalisent ces missions.

Enfin, tout le corps social doit être sensibilisé et informé : tout est à faire en ce domaine, pour que chacun soit en mesure d'accueillir l'impuissance partagée.

Cela doit permettre d'anticiper le plus possible les situations qui peuvent devenir dramatiques, les situations de blocage, pour ne pas être tenté de supprimer la maladie en supprimant le malade, afin de rester toujours dans une posture d'humanité : soulager la douleur au risque de provoquer la mort ne relève pas de la même intention que pratiquer une euthanasie.

Certes, on pourra toujours mettre l'accent sur des cas difficiles, mais en réalité les gens souffrent surtout du regard que la société, c'est-à-dire nous, porte sur eux en leur donnant le sentiment qu'ils n'ont plus leur place parmi nous. Ce sentiment est souvent partagé par les proches.

Notre devoir est de protéger les plus faibles, non de les éliminer. On peut d'ailleurs citer des cas où le désir de vivre dignement est manifeste - je pense à Jean-Dominique Bauby et à son livre le Scaphandre et le papillon, mais aussi au très beau livre de Christiane Singer. Si la souffrance n'a pas de sens, la manière dont nous la prenons en compte est porteuse de sens.

En un mot, essayons de construire un monde où l'on manifeste plus de considération, plus d'amour envers ceux qui souffrent, un monde où la chaleur de la vie et le goût de la vie l'emportent sur le désir de mort, ce qui met en jeu notre sens de l'humain, car si la vie ne vaut rien, rien ne vaut la vie, et cela peut nous éviter de tomber dans la désespérance ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP. - M. Jean-Claude Merceron et Mme Anne-Marie Payet applaudissent également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de la santé, de la jeunesse, des sports et de la vie associative. Madame la présidente, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, je salue la très grande dignité de ce débat, profond, souvent émouvant tant il est baigné des parcours individuels, des souffrances et de la mort de ceux que nous avons aimés.

Le tendre et pudique témoignage de Sylvie Desmarescaux ou celui plein de remords de Roger Madec nous obligent au sérieux, à cette gravité que Pascal opposait au faux sérieux, qui nous divertit, nous détourne de l'idée de la mort.

La question posée par Jean-Pierre Godefroy appelle, en ce sens, une réponse responsable, une vraie réponse, une réponse qui intègre, sans faux-semblants, la complexité de la question.

Oui, Jean-Pierre Michel, oui Marie-Thérèse Hermange, le débat est bien philosophique !

Je voudrais rappeler d'emblée en quel sens le souci qui nous anime et qui m'anime est un souci éthique. Ma démarche s'inscrira résolument dans une morale laïque et républicaine.

Cette éthique est celle qui nous enjoint d'être attentifs et sensibles à la souffrance de notre prochain, de lui porter secours, de répondre à sa détresse par des gestes de vie. Ces gestes de vie, ce sont les gestes que doivent prodiguer, auprès des malades, les personnels soignants.

Cette éthique est celle qui nous commande de traiter avec dignité chaque être humain, de respecter, de comprendre l'irréductible singularité qui fait l'humanité de chacun.

Cette éthique, depuis l'origine de la médecine, irrigue la pratique médicale.

Hippocrate, cité à propos par Gérard Dériot, prétendait déjà mettre davantage de médecine dans la philosophie et de philosophie dans la médecine, nous invitant ainsi, par avance, à éviter les pièges de l'abstraction qui condamne à la spéculation vaine, nous invitant également à ne jamais oublier ni trahir la vocation éthique du geste soignant.

Cette vocation structure, en effet, la manière d'être de tous ceux qui se sont engagés à soigner leurs semblables, à soulager leur douleur, à sauver des vies.

C'est sous le patronage d'Hippocrate que je voudrais répondre à la question posée par Jean-Pierre Godefroy.

Vous avez bien voulu, monsieur le sénateur, évoquer, pour commencer, les récentes évolutions du droit qui ont permis, dans notre pays, de rappeler très précisément les principes régissant le soin au stade terminal ou avancé d'une affection grave et incurable.

Le droit des malades au respect de la liberté de leurs choix est reconnu. La souveraineté de leurs décisions est un droit fondamental de la personne humaine. Ainsi, l'entrée dans une phase avancée d'une maladie incurable oblige médecins et soignants à entendre et à respecter la volonté des patients.

C'est en ce sens que la loi Leonetti, dont on a beaucoup parlé, proscrit, dans son article 1er, l'acharnement thérapeutique, l'obstination déraisonnable. C'est en ce sens aussi qu'elle donne droit aux malades qui le souhaitent de recevoir les traitements palliatifs visant à soulager leur douleur, à apaiser leurs souffrances.

Si les médecins ont le devoir de prodiguer de tels soins quand une demande s'exprime, les malades conservent, bien entendu, le droit de refuser ces traitements.

Cependant, l'intervention du médecin ne saurait en aucun cas avoir pour objet de mettre fin à la vie du patient. Il s'agit là d'un des principes irréfragables de l'éthique médicale. La mort peut être une conséquence, mais elle ne peut en aucun cas procéder d'un projet auquel le corps médical serait associé. La loi Leonetti incorpore ces valeurs fondamentales dans sa rédaction.

L'article 2 de la loi Leonetti précise que le médecin est tenu de soulager les souffrances extrêmes, y compris par l'utilisation de médications très puissantes, tout en informant les malades des conséquences éventuelles de leurs choix, à savoir les risques de décès. Lorsque le traitement appliqué pour soulager la douleur contribue à abréger la vie d'un malade dont l'état de santé est particulièrement dégradé, alors la mort n'est qu'un effet indirect possible.

Ainsi, aux termes de l'article 2, « toute personne a le droit de recevoir des soins visant à soulager sa douleur. [...] Si le médecin constate qu'il ne peut soulager la souffrance d'une personne, en phase avancée ou terminale d'une affection grave et incurable, quelle qu'en soit la cause, qu'en lui appliquant un traitement qui peut avoir pour effet secondaire d'abréger sa vie, il doit en informer le malade. »

L'article 2 s'applique à tout patient en « phase avancée ou terminale d'une affection grave et incurable ».

Ce qu'il est convenu d'appeler le « double effet » constitue une réponse légitime et - je voudrais le souligner - recevable au regard des exigences spécifiques du soin.

Je ne crois pas, comme François Autain, qu'il soit hypocrite de vouloir le bien - premier effet - sans vouloir le mal - second effet -, ce qui reviendrait à postuler que notre vraie conscience d'un bien cache un mal. Pourquoi notre conscience serait-elle nécessairement trompeuse ?

La différence, dans la conscience réelle, entre le bien d'une intention et le mal d'une conséquence non voulue permet de distinguer nettement ce qui relève de l'euthanasie et ce qui relève des justes moyens de lutte contre la douleur. Même si ceux-ci entraînent la mort, ils paraissent plus respectueux des personnes.

La loi du 22 avril 2005 - faut-il le rappeler ? - est une loi récente, une loi des hommes, inscrite dans l'histoire, ce qui en fait la grandeur et la faiblesse à la fois. En ce sens, il nous revient d'en saluer l'esprit. Il est possible de reconnaître qu'elle n'est pas la panacée, mais je reviendrai ultérieurement sur ce point.

Cette loi, dont beaucoup ont bien voulu signaler qu'elle organisait un équilibre subtil des droits et des responsabilités de chacun, incorpore l'idée selon laquelle, en médecine, le véritable respect ne peut être abstrait.

Le véritable respect se tient nécessairement au plus près d'une personne concrète. Le bien et la liberté d'une personne sont ici consubstantiellement liés. Cette liberté est même le bien le plus précieux qui fonde notre dignité, cette dignité si souvent invoquée et trop souvent trahie dans ses principes !

Faciliter l'accès au suicide, prétendument aider, reviendrait à réduire une personne à un être enfermé dans sa douleur. La première des urgences consiste, au contraire, à tout faire pour qu'elle recouvre sa liberté, qu'elle soit dégagée du tourment de la douleur physique en cessant de souffrir. Il est d'ailleurs remarquable qu'une démarche palliative bien menée supprime les très rares demandes d'euthanasie.

Le respect des personnes suppose de ne pas séparer abstraitement leur dignité, leur liberté, leur singularité et leur socialité concrètes. La capacité de se mettre à la place d'autrui, impliquée par l'éthique du soin, au fondement même de toute morale, évite d'avoir faussement à choisir entre la liberté et le bien. Le vrai bien d'une personne n'est pas dissociable de sa liberté concrète. C'est en ce sens que lutter pour la vie et combattre pour la liberté constituent un seul et même défi. Ce défi, bien entendu, est concrètement toujours difficile à relever.

Je me dois ici de rendre hommage aux personnels soignants qui, dans des situations dramatiques, se trouvent placés devant des cas de conscience. Nos établissements de santé, notamment les centres de soins palliatifs, ne sont pas ces lieux déshumanisés, soumis à l'empire de la technique, comme d'aucuns les décrivent trop souvent. Pour m'y être régulièrement rendue, j'ai pu chaque fois constater qu'un hôpital, avant d'être un lieu investi par des équipements, est d'abord un lieu habité par des équipes, remarquablement formées, d'un dévouement exemplaire. Le respect du malade, de son intimité, de sa pudeur, n'y est pas une pure clause de style. Il s'exprime, s'incarne dans des attitudes dont l'invisibilité, parfois, rend difficile l'évaluation.

Aussi, je veux saluer la qualité de ce travail discret, assuré par le personnel infirmier, les aides-soignantes, les médecins, les psychologues, tous ceux qui se tiennent auprès des malades et de leurs proches en ces moments difficiles.

Je veux également saluer le travail admirable des bénévoles qui se rendent au chevet des malades, car ce travail ne peut non plus être ignoré.

Enfin, l'arrêt des traitements, il faut le dire haut et fort, ne saurait être confondu avec la suspension des soins. À cet égard, l'expression consacrée de « laisser mourir » n'est pas sans équivoque. En l'opposant à l'« aide active à mourir », on laisse trop souvent penser - comme je l'ai encore entendu dire dans ce débat -, très malencontreusement, qu'à l'action s'oppose le délaissement. C'est ignorer la réalité de la pratique. C'est méconnaître l'esprit des soins palliatifs, tout entier soutenu par une philosophie de l'effort et du dévouement.

Dans ce cadre, la conception de la sédation de la douleur présentée comme un simple anéantissement par M. Godefroy est beaucoup trop restrictive. Les soins palliatifs impliquent, au contraire, une action exemplaire, une présence exigeante dans l'accompagnement qui s'incarne dans le geste soignant, admirable entrelacs d'humanité et de compétence.

Trois ans après sa promulgation, la loi relative aux droits des malades et à la fin de vie reste insuffisamment connue et appliquée. Jean Leonetti lui-même a exprimé son regret que Chantal Sébire, souvent évoquée dans ce débat, n'ait pas « demandé à la loi de s'appliquer ».

Aussi, il est indispensable de procéder à l'évaluation sereine de notre dispositif législatif de manière à mettre en évidence les éventuelles difficultés de son application à la lumière de tels drames humains.

À cet égard, j'attends avec beaucoup d'intérêt les conclusions de la mission confiée par le Premier ministre à Jean Leonetti qui, véritablement, est l'homme de la situation. Eu égard à la délicatesse avec laquelle il a mené le premier débat, je suis sûre qu'il sera celui qui pourra mener cette deuxième évaluation.

Vous avez souhaité, monsieur le sénateur, qu'une mission d'information soit menée sur le sujet de la fin de vie. M. le président About a proposé de créer un groupe de travail au sein de la commission des affaires sociales. Ce dispositif, qui recueille, me semble-t-il, un assez large consensus, permettra aux sénateurs et aux sénatrices fermement engagés sur le sujet de réfléchir ensemble, mais aussi de nourrir la mission d'évaluation que le Premier ministre a confiée à Jean Leonetti. Il me semble nécessaire que les membres de votre assemblée qui composeront ce groupe de travail soient auditionnés par Jean Leonetti.

Comment répondre, sans jamais renoncer aux principes du soin, aux situations les plus douloureuses ? C'est à cette question difficile que la pratique des soins palliatifs veut répondre.

Dans le rapport de grande qualité qu'elle a rédigé, Marie de Hennezel, tout en déplorant l'absence de diffusion de la culture palliative, n'a jamais émis l'idée que l'euthanasie pouvait être une solution. Mieux, elle la réfute.

La culture palliative, dont je voudrais favoriser la diffusion dans notre pays et qui inspire désormais, je le souligne, un certain nombre d'autres pays en Europe, mérite d'être mieux connue et reconnue.

Pourquoi aller chercher ailleurs des réponses aux questions que nous nous posons, dans des pays qui souvent, d'ailleurs, cherchent désormais à s'inspirer davantage de notre démarche, raisonnée, équilibrée, exigeante ? Pourquoi invoquer un modèle belge ou hollandais ? Je ne vois rien dans le fonctionnement global de ces sociétés qui pourrait nous servir de modèle dans une démarche de morale laïque et républicaine. Pas davantage, nous ne saurions faire appel, comme Michel Dreyfus-Schmidt, à des sondages d'opinion, d'une opinion chahutée par des images insoutenables. Tous ceux d'entre nous qui ont réfléchi à cette question ont été habités par le doute et, plus nous avançons dans cette démarche intime, moins nous avons de certitude.

Il nous revient plutôt de poursuivre dans la perspective tracée et d'agir conformément aux priorités clairement définies par le Président de la République. Il faut s'en souvenir : le Président de la République est entré dans le monde de la santé au début de son mandat par la porte palliative. Madame Desmarescaux, vous l'avez d'ailleurs souligné en évoquant la visite très émouvante qu'il a faite dans l'unité de soins palliatifs de l'hôpital de Zuydcoote, visite à laquelle vous avez assisté.

Ainsi, je proposerai d'agir en ce sens, selon trois grandes orientations.

Il faut, d'abord, poursuivre le développement de l'offre de soins palliatifs à l'hôpital mais aussi en ville.

Il convient, ensuite, d'élaborer une politique de formation et de recherche ambitieuse, au service des soins palliatifs.

Il faut, enfin, travailler à l'amélioration de l'accompagnement offert aux proches.

Nous avons déjà, durant cette première année, observé des progrès considérables, aussi bien dans les unités de soins palliatifs, à travers les lits identifiés, dans les réseaux de soins palliatifs, au sein des équipes mobiles de soins palliatifs.

M. François Autain. Paroles, paroles...

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. L'engagement de doubler les places de soins palliatifs à la fin du mandat sera tenu. L'excellent rapport de Régis Aubry, qui montre bien que cette démarche palliative est évidemment pluridisciplinaire et plurifactorielle, nous y aidera.

Ce débat interpelle aussi l'ensemble de notre société.

Nicolas About comme Alain Milon ont repris l'interrogation de Philippe Ariès sur les rapports de notre société avec la mort : 80 % des malades meurent à l'hôpital, les trois quarts d'entre eux sans être entourés de leur famille. Nous n'acceptons plus l'idée de la mort. Les familles ne veulent même plus recevoir la dépouille mortelle de leurs proches dans leur propre maison. Nous n'acceptons plus que des enfants ou des jeunes rendent visite à ces dépouilles mortelles, qu'ils assistent aux obsèques. Certaines des difficultés que rencontrent les étudiants en médecine au début de leurs études, le véritable choc que constitue pour eux l'entrée dans ces études sont dus au fait qu'ils n'ont jamais auparavant rencontré la mort, qui va pourtant être leur compagne de route.

Les événements tragiques récemment survenus, fortement médiatisés et qui ont suscité une émotion partagée, ont ouvert un débat portant sur l'exception d'euthanasie, concept contesté par André Lardeux.

Il ne faut pas confondre le débat sur la mort et le débat sur la souffrance. Or la confusion est souvent grande dans ce domaine. Nous, soignants, avons tous été confrontés à des douleurs insoutenables, des malades qui ont réclamé la mort et qui sont toujours en vie plusieurs dizaines d'années après.

Il y a des douleurs insupportables. Nul ne le nie. Nul ne peut y être insensible. La question que nous nous posons, que vous posez, est de savoir si une évolution de la loi pourrait permettre de mieux gérer ces cas exceptionnels. Cette question difficile appelle une réponse complexe. La difficulté réside dans la définition même des exceptions, la loi ne pouvant définir que des principes.

Patricia Schillinger parle du malade conscient, François Autain évoque le cas douloureux d'Hervé P. et Jean-Pierre Godefroy évoque l'absolue nécessité du consentement éclairé, répété et clairement obtenu. Or, dans l'exemple justement cité, le consentement éclairé du malade conscient était impossible à obtenir.

Il en est de même de la question de la directive anticipée. Gérard Dériot a bien marqué la différence entre la réalité abstraite d'un consentement formulé à un moment de la vie et l'instant de vérité où la Mort vient prendre le pauvre bûcheron.

Ce qui est exception ressortit à l'espèce, non au genre. Ainsi, instituer une loi qui fixerait par avance l'exception, c'est bien courir le risque que la loi manque son but. Produire une telle loi est d'ailleurs incompatible avec l'idée même de la loi. Comment la loi pourrait-elle, en effet, définir dans leur singularité radicale, irréductible à toute anticipation abstraite, les cas exceptionnels ?

À supposer qu'on soit capable de rédiger une telle loi, les médecins auront toujours à trancher, dans chaque cas singulier soumis à leur appréciation.

M. François Autain. C'est vrai !

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. En cela, d'ailleurs, réside la noblesse et les servitudes propres au difficile exercice de la médecine, qui est toujours l'épreuve d'un cas de conscience, dans des situations exceptionnelles où l'humanité doit prévaloir.

Arguer des euthanasies clandestines, comme l'a fait Patricia Schillinger, est un argument éminemment réversible, qui nous interpelle aussi sur les insuffisances de notre système de soins.

Comment songer, par ailleurs, à installer une commission chargée de délivrer, dans des cas exceptionnels, des autorisations non prévues par la loi ? Qui pourrait légitimement y siéger ? Quelle sorte d'autorité pourrait se substituer au médecin, chargé en conscience de décider ? Imaginons que cette commission d'exception ait été instituée et que, dans le cas de Chantal Sébire, elle ait refusé l'autorisation d'euthanasie au motif que le consentement était impossible du fait du refus de la démarche sédative...

M. François Autain. Créer une commission n'est pas la réponse adaptée !

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. De toute façon, il faut laisser au droit récemment établi le temps d'irriguer la pratique.

Un médecin ne doit jamais craindre de faire cesser une thérapie déraisonnable. Il doit encore trancher en conscience quand tous les moyens ont été épuisés pour contenir la douleur. Mais tout doit être fait - c'est d'ailleurs le but ultime de la science - pour soigner mais aussi apaiser la souffrance.

C'est pourquoi je ne peux pas être d'accord avec Jean-Pierre Michel quand il situe le médecin comme le simple exécutant d'une démarche isolée, solitaire du malade. La question existentielle, ontologique qui nous est posée est bien celle de l'insoutenable demande faite au médecin, qui s'y refuse, d'effectuer un geste relevant de la stricte liberté, laquelle ne peut être qu'individuelle et solitaire. Pourquoi d'ailleurs le médecin est-il convié à apporter cette aide ?

Soigner, apaiser la souffrance est bien le but consubstantiellement attaché à l'éthique médicale, la finalité qui détermine les progrès de la recherche. Ces progrès sont imprévisibles et porteurs d'espoir pour les patients. Cet espoir nourrit les chercheurs eux-mêmes, qui partagent avec les personnels soignants une même éthique de la vie.

Mesdames, messieurs les sénateurs, la discussion que nous venons d'avoir prouve encore une fois que les questions complexes ne souffrent pas de réponses simples.

Sauf à dénier au réel sa consistance spécifique, sauf à ignorer les contradictions qui l'animent, répondre aux interrogations ici formulées, c'est d'abord poser un problème. Ce problème est celui qui se pose à chaque conscience libre.

J'ai voulu, dans ma réponse, introduire un peu du scrupule inhérent à l'action morale. Nous sommes venus ici avec nos pauvres certitudes, nos souvenirs d'amour et de chagrin, notre peur de la souffrance et de la mort. Et si, finalement, nous ne demandions pas l'impossible à la loi, si nous ne lui demandions pas une réponse que nous ne trouverons qu'en nous-mêmes, au terme ultime de notre passion ?.... (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)

Mme la présidente. En application de l'article 83, je constate que le débat est clos.

5

Dépôt d'une proposition de loi

Mme la présidente. J'ai reçu de Mme Monique Cerisier-ben Guiga, M. Richard Yung, Mme Jacqueline Alquier, MM. Bertrand Auban, Robert Badinter, Mme Marie-Christine Blandin, MM. Yannick Bodin, Pierre-Yves Collombat, Roland Courteau, Yves Dauge, Mmes Christiane Demontès, Josette Durrieu, MM. Claude Haut, Roger Madec, François Marc, Louis Mermaz, Bernard Piras, Jean-Pierre Sueur, Simon Sutour, Mme Catherine Tasca et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés une proposition de loi tendant à rétablir les droits des Français établis hors de France pour l'élection des représentants français au Parlement européen.

La proposition de loi sera imprimée sous le n° 261, distribuée et renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.

6

Transmission d'une proposition de loi

Mme la présidente. J'ai reçu de M. le président de l'Assemblée nationale une proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, complétant l'article 6 de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires.

La proposition de loi sera imprimée sous le n° 260, distribuée et renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.

7

Textes soumis au Sénat en application de l'article 88-4 de la Constitution

Mme la présidente. J'ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :

- Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil facilitant l'application transfrontière de la législation dans le domaine de la sécurité routière (présentée par la Commission).

Ce texte sera imprimé sous le n° E-3823 et distribué.

J'ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :

- Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative au rapprochement des législations des États membres concernant les solvants d'extraction utilisés dans la fabrication des denrées alimentaires et de leurs ingrédients (Refonte).

Ce texte sera imprimé sous le n° E-3824 et distribué.

J'ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :

- Proposition de décision du Parlement européen et du Conseil concernant l'Année européenne de la créativité et de l'innovation (2009).

Ce texte sera imprimé sous le n° E-3825 et distribué.

J'ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :

- Proposition de décision du Conseil concernant l'approbation, au nom de la Communauté européenne, du protocole relatif à l'évaluation stratégique environnementale à la convention de la CEE ONU sur l'évaluation de l'impact sur l'environnement dans un contexte transfrontière signée à Espoo en 1991.

Ce texte sera imprimé sous le n° E-3826 et distribué.

8

Dépôt d'un rapport d'information

Mme la présidente. J'ai reçu de M. Philippe Dallier un rapport d'information fait au nom de l'Observatoire de la décentralisation sur les perspectives d'évolution institutionnelle du Grand Paris.

Le rapport d'information sera imprimé sous le n° 262 et distribué.

9

ordre du jour

Mme la présidente. Voici quel sera l'ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mercredi 9 avril 2008, à quinze heures et le soir :

1. Discussion de la proposition de loi (n° 245, 2007-2008), adoptée par l'Assemblée nationale, relative à la journée de solidarité.

Rapport (n° 259, 2007-2008) de M. André Lardeux, fait au nom de la commission des affaires sociales.

2. Discussion du projet de loi (n° 241, 2007-2008), adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations.

Rapport (n° 253, 2007-2008) de Mme Muguette Dini, fait au nom de la commission des affaires sociales.

Rapport (n° 252, 2007-2008) de Mme Christiane Hummel, fait au nom de la Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes.

Personne ne demande la parole ?...

La séance est levée.

(La séance est levée à dix-neuf heures.)

La Directrice

du service du compte rendu intégral,

MONIQUE MUYARD