Sommaire
Présidence de M. Adrien Gouteyron
2. Convocation du Parlement en session extraordinaire
3. Dépôt d'un rapport en application d’une loi
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, M. le président.
5. Modernisation des institutions de la Ve République. – Suite de la discussion d'un projet de loi constitutionnelle.
Amendements nos 195 à 197, 414 de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, 70 rectifié de M. Hugues Portelli, 462 rectifié de M. Bernard Frimat et 61 de M. Jean-Paul Virapoullé. – Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, MM. Jean-René Lecerf, Bernard Frimat, Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois, rapporteur ; Mme Rachida Dati, garde des sceaux, ministre de la justice ; Michel Charasse, Jean-Pierre Bel, Mme Nicole Bricq. – Retrait des amendements nos 70 rectifié et 61 ; rejet des amendements nos 195, 462 rectifié, 196, 197 et 414.
MM. Michel Charasse, Bernard Frimat.
Adoption de l'article.
Amendements identiques nos 199 de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat et 280 rectifié de M. Michel Mercier ; amendement n° 466 de M. Bernard Frimat. – Mmes Nicole Borvo Cohen-Seat, Anne-Marie Payet, MM. Yannick Bodin, le rapporteur, Mme le garde des sceaux, MM. Pierre Fauchon, Michel Charasse, Jean-René Lecerf. – Retrait de l’amendement no 280 rectifié ; rejet des amendements nos 199 et 466.
Amendements nos 45 rectifié bis de M. Christian Cointat et 463 de M. Bernard Frimat. – MM. Christian Cointat, Richard Yung, le rapporteur, Mme le garde des sceaux ; MM. Jean-Pierre Raffarin, Bernard Frimat, Robert del Picchia, Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. – Retrait de l’amendement no 45 rectifié bis ; rejet de l’amendement no 463.
Amendements identiques nos 21 rectifié bis de M. Michel Charasse et 464 de M. Bernard Frimat ; amendements nos 112 de la commission et 320 de M. Philippe Marini. – MM. Michel Charasse, Bernard Frimat, le rapporteur, Philippe Marini, Mme le garde des sceaux. – Retrait des amendements nos 21 rectifié bis et 320 ; rejet de l’amendement no 464 ; adoption de l’amendement no 112.
Amendements identiques nos 87 de M. Patrice Gélard et 465 de M. Bernard Frimat ; amendements nos 198 rectifié de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat et 281 rectifié de M. Michel Mercier. – MM. Jean-René Lecerf, Bernard Frimat, Mmes Nicole Borvo Cohen-Seat, Anne-Marie Payet, M. le rapporteur, Mme le garde des sceaux, MM. Gérard Longuet, Jean-Pierre Raffarin. – Retrait des amendements nos 198, 281 rectifié et 465 ; adoption de l’amendement no 87.
Adoption de l'article modifié.
Amendements identiques nos 113 de la commission et 468 de M. Bernard Frimat ; amendements nos 201 de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat et 373 de Mme Alima Boumediene-Thiery. – MM. le rapporteur, Bernard Frimat, Mmes Nicole Borvo Cohen-Seat, Alima Boumediene-Thiery, MM. Roger Karoutchi, secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement ; Michel Charasse, Jean-Pierre Fourcade. – Adoption des amendements nos 113 et 468 supprimant l'article, les autres amendements devenant sans objet.
Amendements nos 202, 203 de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, 398 rectifié de M. Nicolas About, 22 rectifié de M. Michel Charasse, 469 de M. Bernard Frimat, 114 (priorité) de la commission et sous-amendement no 470 rectifié de M. Bernard Frimat ; amendements nos 403 de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, 471, 472 de M. Bernard Frimat, 115 (priorité), 116 (priorité) de la commission et 23 rectifié de M. Michel Charasse. – Mmes Éliane Assassi, Anne-Marie Payet, MM. Michel Charasse, Richard Yung, le rapporteur, Bernard Frimat, le secrétaire d'État, Pierre Fauchon. – Retrait de l’amendement no 398 rectifié ; demande de priorité des amendements nos 114 à 116 ; adoption du sous-amendement no 470 rectifié et des amendements nos 114 modifié, 115 et 116 ; rejet de l’amendement no 469, les autres amendements devenant sans objet.
Adoption de l'article modifié.
Amendements nos 117 de la commission et 367 de Mme Alima Boumediene-Thiery. – M. le rapporteur, Mme Alima Boumediene-Thiery, MM. le secrétaire d'État, Bernard Frimat, Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. – Adoption de l'amendement no 117 rédigeant l'article, l’amendement no 367 devenant sans objet.
Article additionnel après l'article 17
Amendement n° 24 rectifié de M. Michel Charasse. – MM. Michel Charasse, le rapporteur, le secrétaire d'État. – Retrait.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, MM. Richard Yung, Bernard Frimat.
Amendements identiques nos 204 de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat et 473 de M. Bernard Frimat ; amendements nos 205 à 207 de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, 49 rectifié de M. Christian Cointat, 118 (priorité) de la commission et sous-amendements nos 338 de Mme Alima Boumediene-Thiery, 514, 508 de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat et 518 de M. Michel Charasse ; amendement no 474 de M. Bernard Frimat. – Mmes Nicole Borvo Cohen-Seat, Odette Terrade, MM. Christian Cointat, le rapporteur, Mme Alima Boumediene-Thiery, MM. Bernard Frimat, le secrétaire d'État, Michel Charasse, Pierre Fauchon. – Retrait de l’amendement no 49 rectifié et du sous-amendement no 518 ; rejet, par scrutin public, des amendements nos 204 et 473 ; demande de priorité de l’amendement no 118 ; rejet des sous-amendements nos 338, 508 et, par scrutin public, du sous-amendement no 514 ; adoption de l’amendement no 118, les amendements nos 205 à 206 devenant sans objet ; rejet de l’amendement no 474.
Adoption de l'article modifié.
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. Christian Poncelet
M. Jacques Blanc, Mme Alima Boumediene-Thiery, M. Bernard Frimat.
Amendements nos 241, 242 de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat ; amendements identiques nos 133 de la commission, 142 de M. Josselin de Rohan, rapporteur pour avis, 292 rectifié de M. Michel Mercier, 396 rectifié de M. Hubert Haenel et 493 de M. Bernard Frimat ; amendement n° 154 de M. Jean-René Lecerf. – MM. Bernard Vera, le rapporteur, Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères, rapporteur pour avis ; Pierre Fauchon, Hubert Haenel, Jean-Pierre Sueur, Jean-René Lecerf, Mmes le garde des sceaux, Nicole Borvo Cohen-Seat, MM. Bruno Retailleau, Robert del Picchia, Jean-Pierre Raffarin, Nicolas Alfonsi, Pierre Laffitte, Jean-Pierre Fourcade, Jean Arthuis. – Rejet des amendements nos 241 et 242 ; adoption des amendements nos 133, 142, 292 rectifié, 396 rectifié et 493 rédigeant l'article, l’amendement no 154 devenant sans objet.
Articles additionnels après l'article 18
Amendement n° 337 de Mme Alima Boumediene-Thiery. – Mme Alima Boumediene-Thiery, MM. le rapporteur, le secrétaire d'État. – Rejet.
Amendement n° 336 de Mme Alima Boumediene-Thiery. – Mme Alima Boumediene-Thiery, MM. le rapporteur, le secrétaire d'État. – Rejet.
Amendement n° 208 de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat ; amendements identiques nos 119 de la commission, 282 rectifié de M. Yves Détraigne et 402 de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat ; amendements nos 475 à 478 de M. Bernard Frimat, 62 de M. Jean-Paul Virapoullé, 359, 326, 330 rectifié de Mme Alima Boumediene-Thiery, 120, 121 de la commission, 209 et 210 de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. – Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, MM. le rapporteur, Pierre Fauchon, Thierry Repentin, Jean-René Lecerf, Mme Alima Boumediene-Thiery, MM. Jean-Claude Peyronnet, Jean-Pierre Sueur, Bernard Frimat, le secrétaire d'État. – Rejet des amendements nos 208, 476, 209, 210, 326, 330 rectifié, 478 et 477 ; adoption des amendements nos 119, 282 rectifié, 402, 120 et 121, les autres amendements devenant sans objet.
Adoption de l'article modifié.
Mise au point au sujet d’un vote
MM. Bernard Frimat, le rapporteur.
Amendements nos 212 de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat et 122 rectifié de la commission. – Mme Éliane Assassi, MM. le rapporteur, le secrétaire d'État. – Rejet de l’amendement no 212 ; adoption de l’amendement no 122 rectifié.
Amendements identiques nos 213 de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat et 479 de M. Bernard Frimat. – Mme Éliane Assassi, MM. Bernard Frimat, le rapporteur, le secrétaire d'État. – Rejet des deux amendements.
Adoption de l'article modifié.
Articles additionnels après l'article 20
Amendement n° 214 de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. – Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, MM. le rapporteur, le secrétaire d'État. – Rejet.
Amendement n° 50 rectifié de M. Christian Cointat. – MM. Christian Cointat, le rapporteur, le secrétaire d'État, Michel Charasse. – Retrait.
Article additionnel avant l’article 21
Amendement n° 379 rectifié bis de M. Alain Lambert. – MM. Michel Charasse, le rapporteur, le secrétaire d'État. – Retrait.
Amendement n° 26 rectifié ter de M. Michel Charasse. – MM. Michel Charasse, le rapporteur, le secrétaire d'État. – Rejet.
Amendements identiques nos 303 rectifié de M. Jean Arthuis et 480 de M. Bernard Frimat. – M. Jean Arthuis, Mme Nicole Bricq, MM. le rapporteur, le secrétaire d'État. – Adoption des deux amendements.
Amendements nos 215 à 217 de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat et 144 rectifié bis de M. Hugues Portelli. – MM. Bernard Vera, Laurent Béteille, le rapporteur, le secrétaire d'État, Yves Pozzo di Borgo, Jean Arthuis. – Rejet des amendements nos 215 à 217 ; retrait de l’amendement no 144 rectifié bis.
Adoption de l'article modifié.
Renvoi de la suite de la discussion.
6. Retrait d’une question orale
7. Texte soumis au Sénat en application de l’article 88-4 de la Constitution
8. Dépôt d’un rapport d’information
compte rendu intégral
Présidence de M. Adrien Gouteyron
vice-président
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Convocation du Parlement en session extraordinaire
M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre communication du décret de M. le Président de la République en date du 21 juin 2008 portant convocation du Parlement en session extraordinaire.
Je donne lecture de ce décret :
« Le Président de la République
« Sur le rapport du Premier ministre,
« Vu les articles 29 et 30 de la Constitution,
« Décrète :
« Article 1er. - Le Parlement est convoqué en session extraordinaire le 1er juillet 2008.
« Article 2. - L’ordre du jour de cette session extraordinaire comprendra :
« 1. Le débat d’orientation budgétaire ;
« 2. L’examen et la poursuite de l’examen de ceux des propositions et projets de loi suivants qui n’auraient pas été définitivement adoptés à l’achèvement de la session ordinaire :
« - projet de loi constitutionnelle de modernisation des institutions de la Ve République ;
« - projet de loi organique relatif aux archives du Conseil constitutionnel ;
« - projet de loi relatif aux archives ;
« - projet de loi relatif à la responsabilité environnementale et à diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de l’environnement ;
« - projet de loi de modernisation de l’économie ;
« - projet de loi relatif aux droits et aux devoirs des demandeurs d’emploi ;
« - projet de loi relatif aux contrats de partenariat ;
« - projet de loi portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail ;
« - projet de loi instituant un droit d’accueil pour les élèves des écoles maternelles et élémentaires publiques pendant le temps scolaire obligatoire ;
« - projet de loi de règlement des comptes et rapport de gestion pour l’année 2007 ;
« - proposition de loi visant à rendre obligatoire l’installation de détecteurs de fumée dans tous les lieux d’habitation ;
« - proposition de loi visant à lutter contre les incitations à la recherche d’une maigreur extrême ou à l’anorexie ;
« - projet de loi autorisant l’approbation d’un accord relatif au siège du Bureau international des poids et mesures et à ses privilèges et immunités sur le territoire français ;
« - projet de loi autorisant la ratification de la convention de La Haye du 13 janvier 2000 sur la protection internationale des adultes ;
« - projet de loi autorisant l’approbation du protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements inhumains ou dégradants ;
« - projet de loi autorisant la ratification du protocole additionnel aux conventions de Genève du 12 août 1949 relatif à l’adoption d’un signe distinctif additionnel (protocole III) ;
« - projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Costa Rica sur l’emploi salarié des personnes à charge des membres des missions officielles ;
« - projet de loi autorisant la ratification de la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées ;
« - projet de loi autorisant la ratification de l’accord de stabilisation et d’association entre les Communautés européennes et leurs États membres, d’une part, et la République d’Albanie, d’autre part ;
« - projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République algérienne démocratique et populaire relatif à la coopération dans le domaine de l’étude et de l’utilisation de l’espace extra-atmosphérique à des fins pacifiques ;
« - projet de loi autorisant la ratification de la convention relative à l’adhésion des nouveaux États membres de l’Union européenne à la convention sur la loi applicable aux obligations contractuelles, ouverte à la signature à Rome le 19 juin 1980, ainsi qu’aux premier et deuxième protocoles concernant son interprétation par la Cour de justice des Communautés européennes ;
« - projet de loi autorisant l’approbation de l’accord relatif aux transports aériens entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la Mongolie ;
« - projet de loi autorisant l’approbation de l’accord relatif aux services de transport aérien entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République algérienne démocratique et populaire ;
« - projet de loi autorisant l’approbation de l’accord relatif aux services aériens entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la région administrative spéciale de Macao de la République populaire de Chine ;
« - projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Comité international des poids et mesures portant amendement de l’accord du 25 avril 1969 relatif au siège du Bureau international des poids et mesures et à ses privilèges et immunités sur le territoire français ;
« 3. Une séance de questions orales sans débat au Sénat.
« Article 3. - Le Premier ministre est responsable de l’application du présent décret qui sera publié au Journal officiel de la République française.
« Fait à Paris, le 21 juin 2008
« Par le Président de la République,
« Signé : Nicolas Sarkozy
« Le Premier ministre,
« Signé : François Fillon »
Acte est donné de cette communication.
La conférence des présidents qui se réunira demain fixera l’ordre du jour de cette session extraordinaire.
3
Dépôt d'un rapport en application d’une loi
M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. Jean-François Dhainaut, président de l’Agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur, le rapport d’activité pour 2007 de cet organisme, établi en application de l’article L. 114-3-7 du code de la recherche.
Acte est donné du dépôt de ce rapport.
Il sera transmis à la commission des affaires culturelles ainsi qu’à la commission des affaires économiques et sera disponible au bureau de la distribution.
4
Rappel au règlement
M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour un rappel au règlement.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Je souhaite profiter de la présence de Mme le garde des sceaux et de M. le secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement pour élever une vive protestation à la suite des communiqués que, tous, nous avons lus dans la presse ce matin et qui portent sur l’incendie ayant détruit le centre de rétention de Vincennes samedi et mis en danger la vie des deux cent cinquante personnes qui étaient retenues dans ce centre.
Je n’évoquerai pas aujourd'hui la politique de rétention du Gouvernement. Mais je constate que certains, y compris des parlementaires de la majorité qui n’étaient pas présents au moment des faits, ont accusé des personnes – et cela a été relayé par voie de presse – manifestant à l’extérieur d’être responsables de l’incendie et des évènements qui se sont produits à l’intérieur du centre de rétention.
Une enquête judiciaire est ouverte et il sera procédé à l’audition de ceux qui étaient présents au moment des faits et dont le témoignage sera utile.
Je trouve inadmissible que certains se permettent de porter des accusations sur des associations ou des individus, alors qu’ils étaient absents.
M. le président. Acte vous est donné de ce rappel au règlement, madame Borvo Cohen-Seat.
5
Modernisation des institutions de la Ve République
Suite de la discussion d'un projet de loi constitutionnelle
M. le président. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi constitutionnelle, adopté par l’Assemblée nationale, de modernisation des institutions de la Ve République (nos 365, 387, 388).
Dans l’examen des articles, nous en sommes parvenus à l'article 13 bis.
Article 13 bis
Le deuxième alinéa de l'article 38 de la Constitution est complété par une phrase ainsi rédigée :
« Elles ne peuvent être ratifiées que de manière expresse. »
M. le président. Je suis saisi de huit amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L'amendement n° 86, présenté par MM. Gélard et Portelli, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
Cet amendement n’est pas soutenu.
L'amendement n° 195, présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen, est ainsi libellé :
Rédiger comme suit cet article :
L'article 38 de la Constitution est abrogé.
La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Il est regrettable que l'amendement n° 86 ne soit pas défendu, car il est pertinent. La question se pose en effet de savoir ce que deviennent les ordonnances lorsqu’elles n’ont pas été ratifiées.
La note de synthèse du service des études juridiques du Sénat du 2 février 2007, dont je salue la qualité, note une accélération : « Au cours de la dernière période quinquennale (2002-2006), le nombre de lois contenant des mesures d’habilitation dépasse celui enregistré pour les vingt années 1984-2003. »
Rares sont les textes d’importance dans lesquels le Parlement n’habilite pas le Gouvernement à légiférer par voie d’ordonnances. C’est également sur ces textes que l’urgence est déclarée.
Ce constat inquiétant montre une dérive dans la pratique des institutions, dérive qui tend à priver le Parlement de ses droits.
L’article 38 de la Constitution est symptomatique de l’emprise du pouvoir exécutif sur le pouvoir législatif et de la volonté de donner au premier les moyens de neutraliser le second. Nous assistons ni plus ni moins à une constitutionnalisation de la pratique des décrets-lois des IIIe et IVe Républiques !
Une partie de la doctrine constitutionnaliste va même jusqu’à considérer que les jurisprudences du Conseil constitutionnel et du Conseil d’État ont su neutraliser une pratique jugée dangereuse.
Il n’en est rien ! Oui, cette pratique est dangereuse pour les droits du Parlement, car elle le dépossède quasiment de son pouvoir législatif. Non, la jurisprudence et les pratiques constatées ne sauraient être interprétées comme une limite à cette intrusion. D’une part, mais j’y reviendrai en présentant l’amendement n° 196, les domaines juridiques concernés par les habilitations sont très divers. D’autre part, la période la plus récente a consacré de nouvelles pratiques en ce qui concerne le support ainsi que l’origine de la demande d’habilitation.
Sur le premier point, depuis la loi du 11 juillet 2001 relative à Mayotte, les habilitations résultent généralement d’un ou de plusieurs articles d’un texte ayant un objet plus large.
Sur le second point, dans les faits, l’habilitation peut résulter d’un amendement gouvernemental déposé à l’occasion de l’examen d’une proposition de loi ou d’un projet de loi, ce qui nuit à la lisibilité de la procédure. Mais elle peut surtout résulter d’un amendement parlementaire, alors même que l’article 38 de la Constitution désigne le seul Gouvernement comme titulaire de ce droit d’initiative.
Enfin, le juge constitutionnel a réitéré à plusieurs reprises l’obligation faite au Gouvernement de « définir avec précision les finalités de l’habilitation » et d’indiquer précisément le « domaine d’intervention » des mesures qu’il se propose de prendre par voie d’ordonnances. Cependant, il n’est pas très exigeant, puisqu’il considère que « l’urgence est au nombre des justifications que le Gouvernement peut invoquer pour recourir à l’article 38 de la Constitution » et qu’elle peut résulter de la nécessité de surmonter « l’encombrement de l’ordre du jour parlementaire ».
Pour toutes ces raisons et au nom du renforcement des droits du Parlement, qui vous sont chers, nous demandons la suppression de l’article 38 de la Constitution.
M. le président. L'amendement n° 70 rectifié, présenté par MM. Portelli, Gélard et Lecerf, Mme Henneron et MM. Béteille et de Richemont, est ainsi libellé :
I. - Au début de cet article, ajouter deux paragraphes ainsi rédigés :
... - Dans le premier alinéa de l'article 38 de la Constitution, les mots : « pendant un délai limité » sont remplacés par les mots : « pendant un délai d'habilitation qui ne peut être supérieur à six mois ».
... - A la fin de la seconde phrase du deuxième alinéa de l'article 38 de la Constitution, les mots : « avant la date fixée par la loi d'habilitation » sont remplacés par les mots : « avant l'expiration du délai mentionné au premier alinéa du présent article ».
II. - Compléter le second alinéa de cet article par une phrase ainsi rédigée :
Le projet de loi de ratification est inscrit par priorité à l'ordre du jour des assemblées.
La parole est à M. Jean-René Lecerf.
M. Jean-René Lecerf. Cet amendement vise à encadrer le recours du Gouvernement aux ordonnances, en prévoyant de limiter dans le temps la faculté offerte au pouvoir exécutif à l’article 38 de la Constitution. Ainsi, l’action du Gouvernement serait enserrée dans un délai maximum de six mois entre la loi d’habilitation et la loi de ratification.
Toutefois, pour atténuer cette sévérité, le Gouvernement aurait la faculté d’inscrire par priorité à l’ordre du jour du Parlement les projets de loi de ratification des ordonnances.
M. le président. L'amendement n° 462 rectifié, présenté par MM. Frimat, Badinter, Bel, Collombat, Dreyfus-Schmidt, C. Gautier, Mauroy, Peyronnet, Sueur, Yung et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Avant le premier alinéa de cet article, insérer un paragraphe ainsi rédigé :
... - Le premier alinéa de l'article 38 de la Constitution est complété par une phrase ainsi rédigée :
« Une telle autorisation est exclue dès lors que les mesures envisagées sont relatives aux garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques ».
La parole est à M. Bernard Frimat.
M. Bernard Frimat. L'article 13 bis est relatif aux ordonnances, qui ne pourraient désormais être ratifiées que « de manière expresse ». Cela constitue un progrès ; nous y reviendrons. Cet amendement vise non pas à s’opposer à une telle démarche, mais à la compléter.
En effet, Nicole Borvo Cohen-Seat le rappelait à l’instant, le travail parlementaire se caractérise actuellement par le dessaisissement et l’urgence.
Dessaisissement, puisque le champ d’application et le volume des ordonnances sont de plus en plus importants.
Urgence, car l’encombrement législatif et la mauvaise organisation de l’ordre du jour nous contraignent à travailler dans des conditions tout à fait déplorables. Nous aurons l’occasion de revenir sur ce sujet, puisque le Gouvernement entend prendre de bonnes résolutions et inscrire dans la Constitution des dispositions qui sont à l’opposé de ses pratiques.
Nous ne partageons pas l’idée qu’il faille supprimer l'article 38 de la Constitution, mais nous estimons que la revalorisation du Parlement doit rendre le recours aux ordonnances exceptionnel.
Il est un domaine dans lequel cette exception devrait pouvoir jouer : il s’agit de la garantie du respect des droits fondamentaux des citoyens, donc de tout ce qui concerne l’exercice des libertés publiques ; l’article 34 de la Constitution est suffisamment clair à cet égard.
En votant cet amendement qui vise à compléter le texte adopté par l'Assemblée nationale, nous renforcerions notre droit positif de manière préventive.
M. le président. L'amendement n° 196, présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
... - Le premier alinéa de l'article 38 de la Constitution, est complété par les mots : « qui ne concernent pas les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques. »
La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Il s’agit d’un amendement de repli, dont l’objet est identique à celui qu’a présenté Bernard Frimat.
L’année 2003 constitue un tournant dans le champ d’habilitation des ordonnances, qui est aujourd'hui très vaste. Ainsi, la loi du 2 juillet 2003 habilitant le Gouvernement à simplifier le droit ne contient pas moins de 32 articles habilitant le Gouvernement à légiférer par ordonnances dans les domaines les plus divers.
La nouvelle loi de simplification du droit du 9 décembre 2004 autorise le Gouvernement à légiférer par ordonnances dans des domaines aussi divers que les relations des usagers avec les administrations, le droit des sociétés, la santé et la protection sociale, la filiation, le droit de l’urbanisme et de la construction, le droit de la concurrence, l’agriculture, ou encore le droit de l’environnement : elle compte soixante articles d’habilitation. C’est symptomatique du recours abusif aux ordonnances de l’article 38.
Ce champ d’application étendu de l’article 38 de la Constitution est renforcé au profit du pouvoir exécutif par des pratiques douteuses sur la prorogation des délais d’habilitation, ce qui entraîne un dessaisissement du Parlement. Ainsi, la prorogation du délai initial d’habilitation peut avoir lieu par une modification de l’article d’habilitation initial.
Face à ces dérives, nous vous proposons, par cet amendement de repli, que l’article 38 de la Constitution ne puisse s’appliquer pour prendre des mesures concernant les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques.
M. le président. L'amendement n° 61, présenté par MM. Virapoullé et Lecerf, est ainsi libellé :
Au début de cet article, ajouter un paragraphe ainsi rédigé :
I. - Dans la seconde phrase du deuxième alinéa de l'article 38 de la Constitution, après les mots : « dès leur publication », sont insérés les mots : « avec valeur de loi ».
La parole est à M. Jean-René Lecerf.
M. Jean-René Lecerf. Cet amendement de mon collègue Jean-Paul Virapoullé, que j’ai cosigné, est relativement ambitieux s’agissant de la valeur juridique des ordonnances de l'article 38 de la Constitution : celles-ci auraient non plus le caractère d’actes administratifs, mais force de loi, sur le modèle des ordonnances prévues à l'article 92 de la Constitution, lors de la mise en place des institutions de la Ve République.
Par ailleurs, cet amendement permettrait d’assurer la cohérence du contrôle de constitutionnalité réformé par ce projet de loi constitutionnelle, en confiant le contrôle de tous les actes à valeur de loi au Conseil constitutionnel.
Dès lors qu'il existerait un contrôle de constitutionnalité par voie d'exception, rien ne justifierait plus de donner provisoirement aux ordonnances le caractère d'acte administratif pour permettre le contrôle du Conseil d'État pendant la période de temps, certes très variable, qui précède la ratification. Cette unification du contrôle de constitutionnalité serait, selon Jean-Paul Virapoullé, source de sécurité juridique.
M. le président. L'amendement n° 197, présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
... - L'article 38 de la Constitution est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Les actes de l'Union européenne comportant des dispositions de nature législative et ayant fait l'objet d'un vote d'une résolution prévue à l'article 88-4 ne peuvent être transposés en droit interne par voie d'ordonnance. »
L'amendement n° 414, présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
... - L'article 38 de la Constitution est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« La saisine de la juridiction administrative d'un recours pour excès de pouvoir dirigé contre l'ordonnance suspend le délai de ratification et fait obstacle à celle-ci jusqu'à l'adoption d'une décision définitive. En cas de rejet, le délai recommence, pour la partie non écoulée, à compter du prononcé de la décision. »
La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. S’agissant des actes de l’Union européenne, le recours aux ordonnances a principalement pour objet de transposer en droit interne des directives européennes.
Le Gouvernement justifie le recours aux ordonnances en la matière en faisant valoir que cela permet à la France de respecter les délais de transposition des directives. Mais le constat, ancien, que la plupart des textes pour lesquels il y a un retard de transposition ont un caractère réglementaire et non législatif atteste clairement que le retard dans les transpositions a avant tout une cause administrative et non une cause parlementaire.
Par ailleurs, dans son étude Pour une meilleure insertion des normes européennes dans le droit national de 2007, le Conseil d’État, rappelant l’obligation de transposition des directives communautaires et analysant les nombreuses contraintes qui s’attachent à cet exercice, propose des solutions fondées sur trois idées principales : anticiper, adapter, simplifier.
Anticiper, par une participation le plus en amont possible au processus de conception et d’élaboration de la norme communautaire.
Adapter, par une meilleure association du Parlement et des grandes institutions de la République, ainsi que par une modulation de la méthode d’adoption de la norme de transposition.
Simplifier, enfin, les techniques de rédaction de la norme nationale de transposition et alléger les nombreux régimes consultatifs préalables des partenaires économiques et sociaux.
Le groupe communiste républicain et citoyen considère que la représentation nationale devrait être mieux associée, le plus en amont possible, au processus de transposition des directives communautaires.
Nous estimons en outre que, dès l’instant où une directive ayant des dispositions de nature législative a fait l’objet d’une prise de position de la représentation nationale, par exemple par le vote d’une résolution, elle ne devrait en aucun cas en être dépossédée au moment de sa transposition en droit interne. Cette idée est d’ailleurs présente dans l’étude du Conseil d’État, remise à votre gouvernement en 2007.
Aussi notre amendement n° 197 a-t-il pour objet de prévoir un contrôle parlementaire de la transposition des directives européennes : dès lors que les parlementaires auront voté, sur le fondement de l’article 88-4 de la Constitution, une résolution sur un projet d’acte européen comportant des dispositions de nature législative, leur transposition en droit interne ne pourra se faire que par la voie législative.
L’amendement n° 414 est défendu.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, rapporteur. Mme Borvo Cohen-Seat nous a déjà proposé de supprimer l’article 38 de la Constitution. Sa constance n’a d’égale que la mienne : j’émettrai un avis défavorable sur son amendement n° 195.
S’agissant de l’amendement n° 70 rectifié, le fait d’unifier les deux délais prévus par l’article 38 de la Constitution – celui concernant l’habilitation et celui qui est relatif au dépôt de la loi de ratification – et de les fixer à six mois présenterait le risque d’introduire une certaine rigidité. De nombreux textes prévoient du reste des délais plus courts, par exemple de trois mois en cas d’urgence.
Par ailleurs, la faculté qui pourrait être donnée au Gouvernement d’inscrire par priorité les projets de loi de ratification à l’ordre du jour des assemblées est contradictoire avec les principes retenus par la commission dans la réécriture de l’article 48.
Mon cher collègue, l’article 22 du projet de loi constitutionnelle devrait permettre de procéder dans de bonnes conditions à ces ratifications explicites. Par conséquent, la commission sollicite le retrait de cet amendement.
Quant à l’amendement n° 462 rectifié, le contrôle du champ de l’habilitation appartient au Parlement, qui peut refuser d’autoriser le Gouvernement à prendre des ordonnances dans des domaines qui lui paraissent justifier la mise en œuvre de la procédure législative classique. Il est bien entendu souhaitable que l’habilitation ne concerne pas le domaine des libertés publiques. Tel est d’ailleurs le cas en pratique. Je souhaiterais connaître l’avis du Gouvernement sur cet amendement.
La commission des lois a été très attentive au souci des auteurs de l’amendement n° 61 de renforcer la sécurité juridique par l’unification, sous l’autorité du Conseil constitutionnel, du contentieux des ordonnances. Cependant, l’amendement soulève deux difficultés.
Il ferait du juge constitutionnel le juge d’actes, qui sont certes du domaine de la loi, mais qui sont matériellement, avant leur ratification par le Parlement, des actes de l’exécutif. L’habilitation de l’article 38 s’analyse en effet comme une extension momentanée du pouvoir réglementaire.
Ensuite, il réduirait le champ du contrôle : le Conseil d’État actuellement compétent apprécie la conformité des ordonnances à la loi et, éventuellement, à la Constitution. Le Conseil constitutionnel ne pourrait vérifier que la constitutionnalité des ordonnances. Donc, la commission sollicite le retrait de cet amendement.
En ce qui concerne l’amendement n° 196, la commission souhaiterait connaître l’avis du Gouvernement.
La commission émet un avis défavorable sur l’amendement n° 197, car l’examen par le Parlement des textes visant à transposer les actes de l’Union européenne en droit interne est préférable à des séries de transposition par ordonnances.
La présente révision, en prévoyant l’exercice du droit d’amendement en commission, permettra de recourir pour ces transpositions à des procédures simplifiées, qui préserveront les droits du Parlement sans encombrer l’ordre du jour avec des textes souvent techniques.
Le dispositif proposé ne paraît guère pertinent. Pourquoi limiter l’interdiction de recourir aux ordonnances aux seuls textes qui ont fait l’objet d’une résolution européenne ?
En outre, si le recours aux ordonnances ne doit pas constituer une solution systématique, il peut se révéler nécessaire pour accélérer la transposition des directives. Il a même été indispensable pour transposer une cinquantaine d’entre elles, compte tenu de notre retard.
Cela dit, si la révision constitutionnelle est votée, le Parlement disposera désormais de tout le temps nécessaire pour examiner les textes, et tous ces problèmes ne se poseront plus.
Encore une fois, le recours à de nouvelles procédures que facilitera la présente révision devrait rendre la transposition par ordonnance exceptionnelle.
S’agissant de l’amendement n° 414, un simple recours administratif aurait pour effet de reporter les délais de ratification fixés par le législateur. La commission y est défavorable.
Je formulerai une observation générale.
La ratification expresse des ordonnances prévue par l’Assemblée nationale est une heureuse initiative. Elle correspond certainement à l’esprit de la Constitution de 1958. Mais le Conseil constitutionnel a décidé, en 1972, qu’il pouvait y avoir des ratifications implicites. Depuis, cela fait le bonheur des auteurs de droit public, des universitaires, et sans doute des étudiants… Il n’en demeure pas moins que la ratification expresse devrait assurer une meilleure sécurité juridique. La commission des lois a bien entendu soutenu cette initiative de l’Assemblée nationale.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Rachida Dati, garde des sceaux, ministre de la justice. L’amendement n° 195 de Mme Borvo Cohen-Seat vise à abroger l’article 38 de la Constitution, qui permet au Gouvernement de prendre, avec l’autorisation du Parlement, des mesures qui relèvent normalement du domaine de la loi.
À l’évidence, il est toujours préférable que ces mesures soient délibérées et adoptées par le Parlement. Mais la pratique a démontré que, dans certains domaines, une urgence ou une nécessité pouvait justifier qu’elles soient prises par voie d’ordonnances.
En tout état de cause, le recours aux ordonnances est autorisé par une loi d’habilitation. C’est au Parlement qu’il revient finalement d’apprécier, au cas par cas, s’il convient d’autoriser ou non le Gouvernement à légiférer par voie d’ordonnances. Si le Parlement ne veut pas que le Gouvernement ait recours à une ordonnance, il peut tout à fait ne pas l’habiliter.
À défaut de supprimer l’article 38 de la Constitution, vous souhaitez, madame Borvo Cohen-Seat, limiter le champ possible de l’habilitation.
Par l’amendement n° 196, vous voulez interdire le recours aux ordonnances lorsque sont en cause des garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques.
Cet amendement ne paraît pas souhaitable, pas plus que l’amendement n° 462 rectifié du groupe socialiste, qui est quasiment identique, puisqu’il aurait pour conséquence de rigidifier la procédure. Il risquerait, par exemple, d’interdire le recours aux ordonnances pour la plupart des projets de codification. Or, on le sait très bien, certaines dispositions devant être codifiées touchent aux libertés fondamentales, comme la liberté du commerce ou de l’industrie.
Les risques d’une atteinte particulière aux libertés ne sont pas pour autant à redouter, puisque le Conseil constitutionnel opère toujours un contrôle approfondi des lois d’habilitation, en exigeant du Gouvernement qu’il indique avec précision la finalité des mesures qui seront prises. Bien entendu, la loi d’habilitation ne dispense en rien le Gouvernement de respecter les règles et les principes de valeur constitutionnelle.
Madame Borvo Cohen-Seat, vous voulez également, au travers de votre amendement n° 197, faire obstacle à la transposition par ordonnance d’un acte communautaire qui a fait l’objet d’une résolution.
L’article 88-4 de la Constitution permet aux assemblées de voter des résolutions sur les projets ou propositions d’actes de l’Union européenne qui interviennent en matière législative. Le Parlement peut ainsi faire connaître sa position au Gouvernement au stade de la négociation de l’acte, et appeler son attention sur certaines difficultés, de quelque nature que ce soit.
Mais cela ne veut pas dire – on s’en rend compte assez régulièrement, d’ailleurs – que le Parlement entend forcément adopter lui-même des mesures de transposition une fois que l’acte est pris. Il vaut mieux lui laisser le choix au cas par cas, le moment venu, puisqu’il pourra toujours refuser de voter la loi d’habilitation. Finalement, le dernier mot revient au Parlement.
Sur l’encadrement des délais, je comprends la philosophie qui sous-tend votre amendement, monsieur Lecerf : vous souhaitez prévoir un délai maximum de six mois entre la loi habilitant le Gouvernement à prendre des ordonnances et le dépôt du projet de loi de ratification.
De telles dispositions risquent d’introduire une trop grande rigidité dans l’application directe de l’article 38, puisque certaines ordonnances, telles les ordonnances de codification, concernent plusieurs textes ou plusieurs matières, voire plusieurs codes. Dès lors, la commission de codification, puis le Conseil d’État sont obligatoirement consultés. Cela peut prendre un peu plus de temps que le délai de six mois que vous souhaitez introduire par votre amendement.
Là encore, c’est au législateur qu’il appartient, dans la loi d’habilitation, de fixer au cas par cas le délai, s’il l’estime nécessaire. Du reste, c’est souvent le cas ! Cette souplesse peut donc être conservée dans le cadre de la loi d’habilitation.
Par conséquent, le Gouvernement sollicite le retrait de cet amendement. À défaut, il émettra un avis défavorable.
J’en viens à la portée juridique des ordonnances. Vous souhaitez, monsieur Lecerf, que les ordonnances aient valeur législative dès leur publication. Tant qu’elles ne sont pas ratifiées par le Parlement, les ordonnances ont une nature réglementaire : seul le législateur peut leur conférer une valeur législative en les ratifiant
Il serait dangereux qu’il en soit autrement s’agissant de la compétence du législateur ou pour nos concitoyens. Une ordonnance ne peut prendre des dispositions qui sont du domaine de la loi que dans la stricte mesure autorisée par la loi d’habilitation. Si elle excède les limites de l’habilitation, une ordonnance est donc illégale aussi longtemps que le législateur ne l’a pas reprise à son compte.
Avec votre proposition, monsieur le sénateur, une telle illégalité ne pourrait plus être levée, puisque l’on passerait directement d’une nature réglementaire à une valeur législative, sans passer par cette loi d’habilitation.
En outre, cette modification entraînerait un recul en termes de facilité d’accès au juge, puisque, aujourd’hui, parce qu’elles ont valeur réglementaire, les ordonnances non ratifiées font l’objet du contrôle du juge administratif, lequel peut être saisi d’un recours en annulation par toute personne intéressée. Ce recours est simple et rapide.
Si l’on considère que les ordonnances ont immédiatement valeur de loi, le Conseil constitutionnel, saisi par voie d’exception, pourra certes effectuer un contrôle, mais il faudra attendre que l’ordonnance ait fait l’objet d’une application et que cette application ait donné lieu à un litige. Ce serait plus long et plus compliqué.
Par conséquent, le Gouvernement demande le retrait de cet amendement. À défaut, il émettra un avis défavorable.
Enfin, l’amendement n° 414 vise à bloquer la ratification de l’ordonnance en cas de recours pour excès de pouvoir. Je ne crois pas que ce soit une bonne idée, parce que la ratification modifie la nature même de l’ordonnance et fait obstacle à la poursuite de l’instance engagée devant le juge administratif.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Eh oui !
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Vous craignez, madame Borvo Cohen-Seat, qu’il n’y ait des manœuvres. Mais le législateur n’est jamais obligé de ratifier une ordonnance. Il peut aussi choisir de la modifier quand il l’a ratifie.
De plus, la ratification étant souvent un processus long, il est difficile de trouver une place dans l’ordre du jour du Parlement. Il faut donc éviter de faire obstacle à une ratification qui est en cours.
Par conséquent, le Gouvernement demande également le retrait de cet amendement. Sinon, il émettra un avis défavorable.
M. le président. La parole est à M. Michel Charasse, pour explication de vote.
M. Michel Charasse. Je crois franchement que ce serait irréaliste de supprimer l’article 38, comme le proposent ou l’envisagent certains amendements, car cela nous conduirait tout droit à la IVe République, où l’article 13 de la Constitution n’autorisait rien du tout, et où, un an après, en 1947, sont apparus les premiers « décrets-lois ».
Mes chers collègues, la procédure des décrets-lois étant parfaitement inconstitutionnelle, elle n’a jamais été encadrée, alors que celle de l’article 38 a au moins l’avantage d’être encadrée, d’autant plus que le Conseil constitutionnel, saisi à de nombreuses reprises, a renforcé, de décisions en décisions, cet encadrement et a posé, au fil de ses décisions, des exigences tirées de l’article 38 qui en font maintenant une procédure parfaitement claire.
J’ai bien compris la motivation du dépôt de certains amendements du groupe socialiste comme du groupe CRC, mais pour qu’une atteinte soit portée aux principes fondamentaux, encore faudrait-il que la loi d’habilitation autorise à le faire.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Bien sûr !
M. Michel Charasse. De surcroît, si une telle loi allait trop loin en matière d’inconstitutionnalité, il y aurait de grandes chances pour qu’elle soit annulée par le Conseil constitutionnel. Le risque n’est donc guère réel.
Par ailleurs, les ordonnances sont soumises au Conseil d’État, y compris au contentieux. Cette instance a décidé que ces textes, bien que relatifs au domaine législatif, étaient de nature réglementaire, tant qu’ils n’étaient pas ratifiés.
En réalité, deux difficultés, que l’amendement adopté par l’Assemblée nationale ne résout pas, demeurent.
Premièrement, le Gouvernement est seul à apprécier l’urgence. Or, quelquefois, il recourt à cette procédure uniquement pour mettre en œuvre son programme. Il peut estimer qu’il doit aller vite. Par expérience gouvernementale et autres, nous savons, les uns et les autres, que l’urgence est parfois déclarée par convenance.
Deuxièmement, depuis 1958, par application stricte de l’article 38 de la Constitution, à partir du moment où le projet de ratification est déposé dans le délai prévu par la loi d’habilitation, aucune ratification n’est contrainte par un délai fixe. Tous les gouvernements ont utilisé cette procédure de façon similaire. De ce fait, des dizaines d’ordonnances n’ont jamais été ratifiées.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Eh oui !
M. Michel Charasse. Certes, elles peuvent l’être « par petits morceaux », en catimini, sans que l’on sache d’ailleurs très bien si le fait d’approuver un article d’une ordonnance dans une loi entraîne ou non la ratification de l’ensemble de l’ordonnance.
En réalité, même si M. le rapporteur est assez enthousiaste vis-à-vis de l’article adopté par l’Assemblée nationale, je ne vois pas très bien ce que le texte apporte. On ne pourrait plus ratifier « par petits bouts »…
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Ou implicitement !
M. Michel Charasse. …oui, effectivement, monsieur le rapporteur, implicitement. Par conséquent, on peut continuer à ne pas ratifier du tout, ce qui est pire. Je ne vois pas très bien comment cet obstacle peut être levé.
Enfin, je veux conclure sur une note plus optimiste. Dans de nombreux cas, le recours à la procédure des ordonnances soulage non seulement l’ordre du jour du Parlement, mais aussi de nombreux parlementaires, qui ne demandent pas toujours eux-mêmes la ratification.
M. Pierre Fauchon. Et pour cause !
M. Michel Charasse. Je pense aux ordonnances de 1960 relatives à l’alcoolisme ou encore aux ordonnances concernant Natura 2000. En bref, un certain nombre de sujets me font penser à cette formule de Raimu dans Fanny, de Marcel Pagnol, disant à Marius, en substance, « aux endroits où c’est trop profond, laisse un peu mesurer les autres ! »
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Très bien !
M. le président. Monsieur Lecerf, l'amendement n° 70 rectifié est-il maintenu ?
M. Jean-René Lecerf. Je vais retirer cet amendement, monsieur le président, mais je tiens à faire remarquer que la situation à laquelle conduit ce retrait n’est pas satisfaisante.
Je comprends bien les arguments développés tant par M. le président-rapporteur que par Mme le garde des sceaux. Mais pour ce qui concerne le délai d’habilitation, l’amendement ne posait pas de problème puisqu’il fixait un délai maximal de six mois. Certains m’ont rétorqué qu’un tel délai est parfois trop court. Mais, lorsqu’aucun délai n’est fixé il y a peu de chance pour qu’il soit respecté.
Par ailleurs, la situation actuelle me paraît d’autant plus pénalisante qu’il suffit du dépôt d’un projet de loi de ratification de l’ordonnance pour que celle-ci conserve ad vitam æternam son caractère d’acte administratif. D’aucuns m’ont rétorqué que cette ordonnance pouvait être attaquée par le biais d’un recours pour excès de pouvoir, dans le délai prévu, par tout un chacun. Mais elle peut l’être par voie d’action dans les deux mois. Ensuite, c’est éternellement, par voie d’exception, que sa validité pourra être remise en cause.
Je prends acte du fait que la situation actuelle ne bénéficie pas d’une sécurité juridique, mais je reconnais que l’amendement n° 70 rectifié présente des défauts. C’est pourquoi je le retire, tout en étant désolé de ne pas avoir trouvé mieux.
M. le président. L'amendement n° 70 rectifié est retiré.
La parole est à M. Jean-Pierre Bel, pour explication de vote sur l’amendement n° 462 rectifié.
M. Jean-Pierre Bel. Depuis 2002, la loi n’est plus le mode normal de législation : elle est de plus en plus remplacée par des ordonnances.
Michel Charasse a dit qu’il en était ainsi depuis l’origine de la Ve République, mais je ne partage pas totalement ce point de vue. En effet, depuis 2002, nous assistons à une inflation, sans commune mesure, en matière de recours aux ordonnances. La moitié des ordonnances prises depuis 1958 l’a été par les gouvernements qui se sont succédé depuis 2002. Aujourd’hui, la proportion des ordonnances intervenant dans le domaine de la loi correspond à plus de la moitié des textes. En 2004, la proportion s’élevait à 56,5 % ; en 2005, elle atteignait 63,3 %.
Je suis étonné que la révision constitutionnelle que nous examinons actuellement ne traite pas de ce sujet.
Le dessaisissement du Parlement, qui est un vrai problème, s’accroît, en raison de la diversification de l’objet des ordonnances.
Depuis les lois de simplification du droit de 2003 et 2004, la possibilité donnée au Gouvernement de légiférer par ordonnances en matière de simplification de la législation lui permet de procéder à des modifications de toutes les lois faisant l’objet d’une habilitation très large.
Le dessaisissement du Parlement résulte également de l’extension de la durée d’habilitation, qui atteint désormais un an et reste valable, quel que soit le gouvernement.
Il s’agit là d’un véritable dysfonctionnement de notre système de production des normes.
Les membres du groupe socialiste considèrent que le recours à l’article 38 n’est pas la solution pour remédier à cette situation ; au contraire, il accroît la dépossession du Parlement. Cela crée un profond malaise. Aujourd’hui, le temps du Parlement n’est plus celui du Gouvernement, si je puis dire.
Le recours aux ordonnances a également été justifié par l’encombrement chronique de l’ordre du jour. Mais qui est en responsable d’un tel état de fait, si ce n’est le Gouvernement ? Ce dernier devrait en prendre conscience et veiller à éviter cet encombrement, que nous dénonçons tous.
La systématisation du recours aux ordonnances est le signe d’un dérèglement global de notre système. Les membres du groupe socialiste appellent à une stricte limitation du recours à l’article 38 : nous l’avons indiqué au Gouvernement lorsque nous avons présenté nos premières propositions ; nous l’avons expliqué au comité Balladur ; cela figure dans les rapports que le groupe socialiste a déposés pour apporter sa contribution au débat.
Nous sommes favorables à l’interdiction du recours aux ordonnances dans certains domaines, notamment celui des libertés publiques.
La durée d’habilitation devrait être limitée à un an et la loi d’habilitation devrait fixer un délai de ratification explicite du Parlement.
Enfin, les directives européennes pourraient être transposées par ordonnance, sauf lorsqu’elles concernent les services publics ou les entreprises nationales.
M. le président. La parole est à Mme Nicole Bricq, pour explication de vote.
Mme Nicole Bricq. Le Gouvernement a émis, à tort, me semble-t-il, un avis défavorable sur notre amendement, ainsi que sur l’amendement n° 70 rectifié, que M. Lecerf a retiré.
Les membres du groupe socialiste ne sont pas systématiquement opposés au recours aux ordonnances, qui peut être non seulement utile, mais nécessaire.
À partir de la semaine prochaine, le Sénat va examiner le projet de loi de modernisation de l’économie, qui ne comporte pas moins de sept habilitations du Gouvernement à légiférer par ordonnances. Qui plus est, ce texte ayant été déclaré d’urgence, il ne donnera lieu qu’à une seule lecture dans chaque assemblée. Cette pratique constitue un abus de droit.
Par ailleurs, je veux revenir sur l’encadrement du recours aux ordonnances. Je trouve regrettable que M. Lecerf ait retiré l’amendement n° 70 rectifié, car les parlementaires peuvent agir sur ce point et à bon escient.
Dans le travail effectué par le Parlement et par le Gouvernement pour encadrer les ordonnances, la majorité et l’opposition n’ont pas les mêmes droits : une vraie négociation peut être menée avec la majorité, mais l’opposition en est généralement exclue.
L’amendement n° 462 rectifié est justifié, parce qu’il tend à limiter le champ de l’habilitation à légiférer par ordonnances et à rappeler au Gouvernement qu’il abuse de cette pratique depuis quelques années, et particulièrement ces derniers temps. J’ai cité un texte, mais j’aurais pu en évoquer bien d’autres, depuis cette nouvelle législature.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Quand on donne des chiffres précis, il faut nuancer.
Mme Nicole Bricq. C’est un exemple !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Tout d’abord, le Parlement a réalisé un important travail de codification. Il me paraît difficile de ne pas recourir à des ordonnances en l’espèce, sauf à instaurer des procédures simplifiées.
Par ailleurs, un énorme effort a été accompli dans le domaine de l’application de la législation à l’outre mer. La voie des ordonnances a été retenue en raison du retard accumulé. J’ai moi-même été rapporteur de plusieurs projets de loi, comportant jusqu’à trois cents articles.
Il convient aussi de relever le considérable retard qu’a pris la France dans le domaine des directives européennes. (Mme Nicole Bricq s’exclame.)
Ma chère collègue, voulez-vous que je vous cite des directives plus anciennes qui n’ont jamais été ratifiées ?
Mme Nicole Bricq. Ce n’est pas une question de droite ou de gauche : c’est le fait du Gouvernement !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Vous avez cité 2002 !
Quoi qu’il en soit, pour toutes ces raisons, le nombre d’ordonnances a augmenté.
Mme Isabelle Debré. Les ordonnances sont nécessaires !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. En revanche, les ratifications explicites ont été beaucoup plus nombreuses que par le passé. C’est une sorte de compensation !
Personne ne souhaite le recours aux ordonnances, mais encore faudrait-il trouver d’autres procédures permettant un débat général et l’examen d’amendements. Je tiens ces propos en ma qualité de rapporteur de nombreux projets de loi, relatifs, notamment, à l’outre-mer : au cours de leur examen furent adoptés trois cents ou quatre cents amendements tendant à introduire des petites corrections.
M. Jean-Pierre Bel. 63 %, c’est beaucoup !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Mon cher collègue, si l’on extrait de ce pourcentage les directives européennes, la codification, les textes relatifs à l’outre-mer, ce pourcentage devient beaucoup plus faible. Il faut nuancer !
Je n’aime pas non plus spécialement le recours aux ordonnances ; nous l’avons du reste refusé pour certains sujets fondamentaux. Ainsi, les prescriptions en matière civile – vous n'étiez pas encore garde des sceaux, madame la ministre – devaient faire l’objet d’une ordonnance. En fin de compte, une proposition de loi a été déposée à ce sujet, et je m’en félicite.
M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour explication de vote.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. M. le rapporteur vient d’évoquer la codification, les directives, domaines dans lesquels nous avions du retard à rattraper. Mais le service juridique du Sénat nous a indiqué qu’au cours de la dernière période quinquennale 2002-2006 le nombre de lois avec mesures d’habilitation dépassait celui qui a été enregistré pour les vingt années 1984-2003. Il n’y aurait donc pas eu, pendant toute cette période, de lois de codification…
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Il y en a eu beaucoup moins !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C’est un fait : la dérive, en matière de recours aux ordonnances, s’accentue.
Outre l’abrogation de l’article 38 relatif aux ordonnances, nous avons proposé des mesures d’encadrement.
Comme vous l’avez dit, monsieur Hyest, les textes fondamentaux ne devraient pas être pris par ordonnances. Nous pourrions donc prévoir, démontrant ainsi notre volonté de revaloriser le rôle du Parlement, que les textes relatifs aux libertés publiques ne peuvent être pris par ordonnances. Nous considérons, en effet, qu’il est important d’encadrer cette procédure.
M. le président. Monsieur Lecerf, l’amendement n°61 est-il maintenu ?
M. Jean-René Lecerf. Non, je le retire, monsieur le président.
M. le président. L’amendement n° 61 est retiré.
Je mets aux voix l’amendement n° 197.
(L’amendement n’est pas adopté.)
M. le président. La parole est à M. Michel Charasse, pour explication de vote sur l’article 13 bis.
M. Michel Charasse. Je serai bref. Je voudrais rappeler qu’au printemps 1982 le gouvernement de Pierre Mauroy a fait voter dans l’urgence, sur les problèmes de l’emploi, un train d’ordonnances qui comporte la mesure, que j’ai toujours contestée – et pas seulement moi, mais tout le Sénat –, qui oblige les collectivités territoriales à payer les indemnités de chômage au personnel qu’elles licencient, et que ces ordonnances n’ont jamais été ratifiées, et pour cause !
M. le président. La parole est à M. Bernard Frimat.
M. Bernard Frimat. Nanti de cette précision supplémentaire, mon vote sera d’autant plus clair, monsieur le président. Nous approuverons cet article qui nous semble, comme nous avons eu l’occasion de le dire, constituer un progrès.
Il serait dommage que notre débat, qui s’orientait vers une optimisation supplémentaire, fasse oublier ce léger progrès initial. Il y en a tellement peu, que nous nous devons de l’apprécier !
Je profite de l’occasion qui m’est offerte pour souligner le fait que nous avons commencé cette semaine comme nous avons achevé la précédente, c’est-à-dire sur un nouveau témoignage de fermeture du Gouvernement, même si celle-ci prend un aspect souriant.
Par deux fois, en effet, alors que M. le rapporteur sollicitait l’avis du Gouvernement sur l’un de nos amendements, et ne manifestait donc aucune hostilité à l’égard de la proposition que nous présentions après en avoir débattu – j’essaie de ne pas dénaturer vos propos, monsieur Hyest ! – , ...
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. N’allez tout de même pas trop loin, monsieur Frimat !
M. Bernard Frimat. Je n’irai pas plus loin !
…par deux fois, donc, et sans que cela nous surprenne outre mesure – c’est plutôt l’inverse qui nous aurait surpris ! –, Mme la garde des sceaux nous a expliqué, en termes tout à fait courtois, que notre amendement était inutile, que l’on pouvait s’en passer et que, pour cette raison, elle émettait un avis défavorable.
Je me permets de lui suggérer de méditer cette phrase merveilleuse prononcée par Cyrano de Bergerac avant de mourir assassiné, dans la si belle scène qui conclut la pièce d’Edmond Rostand : « Mais on ne se bat pas dans l’espoir du succès ! Non, non, c’est bien plus beau lorsque c’est inutile ! »
Je tiens à vous remercier, madame la garde des sceaux, d’avoir ainsi rendu hommage à la beauté de notre travail. (Sourires.) Mais, pour ce qui est de la bonne fin de votre texte, je crains que ne nous soyons plutôt mal partis, cette deuxième semaine confirmant la volonté de fermeture du Gouvernement, même sur des points tout à fait mineurs.
Nous ne pouvons qu’en prendre acte ! Mais nous ne nous priverons pas de dénoncer régulièrement cette attitude. (M. le secrétaire d'État lève les yeux au ciel.), même si M. Karoutchi essaye, en regardant la voûte céleste, d’y trouver l’inspiration qui lui manque. (Nouveaux sourires.)
M. Roger Karoutchi, secrétaire d’État. Seulement la voûte du Sénat ! Depuis quand le Sénat est-il un temple ?
M. le président. Je mets aux voix l’article 13 bis.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Le groupe CRC s’abstient !
L’article 13 bis est adopté.)
Article 14
L’article 39 de la Constitution est ainsi modifié :
1° Dans la dernière phrase du dernier alinéa, les mots : « et les projets de loi relatifs aux instances représentatives des Français établis hors de France » sont supprimés ;
2° Il est ajouté trois alinéas ainsi rédigés :
« Les projets de loi sont élaborés dans des conditions fixées par une loi organique.
« Ils ne peuvent être inscrits à l’ordre du jour tant que les Conférences des Présidents constatent conjointement que les règles fixées par la loi organique sont méconnues.
« Dans les conditions prévues par la loi, le président d’une assemblée peut soumettre pour avis au Conseil d’État, avant son examen en commission, une proposition de loi déposée par l’un des membres de cette assemblée. »
M. le président. Je suis saisi de trois amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
Les deux premiers sont identiques.
L’amendement n° 199 est présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe communiste républicain et citoyen.
L’amendement n° 280 rectifié est présenté par MM. Mercier, Amoudry, Badré et Biwer, Mmes Dini, Férat et Payet, MM. Deneux et Merceron, Mme Morin-Desailly, MM. Nogrix, J.L. Dupont, Dubois, C. Gaudin, Zocchetto, Pozzo di Borgo et les membres du groupe Union centriste - UDF.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Avant le 1° de cet article, insérer un alinéa ainsi rédigé :
...° Dans la première phrase du dernier alinéa, après le mot : « avis » est inséré le mot : « public » ;
La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour présenter l’amendement n° 199.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. L’article 39 de la Constitution prévoit que le Conseil d’État est obligatoirement saisi de tous les projets de loi avant leur adoption par le conseil des ministres et leur dépôt devant le Parlement. Cette compétence du Conseil d’État concerne l’ensemble des textes normatifs de valeur législative et constitutionnelle.
Les séances des sections administratives et de l’assemblée générale du Conseil d’État ne sont pas ouvertes au public. Si un certain nombre d’avis sont publiés au rapport annuel du Conseil d’État, les avis sont destinés au seul Gouvernement et ne sont rendus publics que si le Gouvernement en décide ainsi.
Par cet amendement, nous demandons la publicité de ces avis. D’une part, nous considérons que, si ces avis ne sont pas publics, ils ne sont pas secrets pour tout le monde. L’accessibilité à géométrie variable à de tels documents pose déjà un problème. D’autre part, en raison de l’expertise juridique qu’ils délivrent, ces documents sont précieux pour l’information et la formation du jugement des parlementaires. Enfin, cela éviterait la suspicion et les situations délicates dans lesquelles, après que le ministre s’y est engagé en commission et dans le respect total de la Constitution qui ne le lui interdit en rien, l’avis n’est jamais transmis.
Je rappelle pour ceux qui n’y ont pas assisté que, lors des débats au Sénat sur le projet de loi relatif à la réforme portuaire, notre groupe a fait un rappel au règlement afin d’attirer l’attention du ministre sur la non-transmission de l’avis du Conseil d’État sur ce projet, alors même que ledit ministre s’y était engagé publiquement devant la commission des affaires économiques.
Le ministre nous a répondu qu’il n’était pas de tradition de transmettre les avis du Conseil d’État et qu’en outre il s’agissait, en l’occurrence, non pas d’un avis à proprement parler, mais de quelques modifications rédactionnelles, donc rien qui puisse retenir l’attention du Parlement. C’est savoureux !
Le ministre s’est alors à nouveau engagé à nous faire parvenir le document qui était, selon nous, fondamental, au regard de l’atteinte au domaine public portée par le projet de loi.
Plusieurs jours après la fin des débats, nous avons reçu, de la part des services du ministère, un document de quelques lignes, ni signé ni daté, livrant une analyse postérieure au débat et qui, par conséquent, ne pouvait être confondu avec les remarques, toujours antérieures, du Conseil d’État.
Cette attitude est d’autant plus déplaisante que l’on ne saurait imaginer un seul instant que le Conseil d’État se contente de quelques lignes sur un sujet aussi important, alors que les projets de loi qui lui sont adressés sont instruits par un rapporteur et donnent lieu à un projet amendé ou à une note de rejet, elle-même discutée et votée. Si ce n’était pas le cas, on pourrait s’interroger fortement sur la qualité et la raison d’être de sa fonction consultative !
Pour toutes les raisons que je viens d’évoquer, nous vous demandons d’adopter notre amendement, qui permettra enfin d’éviter que les ministres ne se déjugent et de rendre les avis publics pour tous.
M. le président. La parole est à Mme Anne-Marie Payet, pour présenter l’amendement n° 280 rectifié.
Mme Anne-Marie Payet. Cet amendement vise à rendre public les avis du Conseil d’État lorsque celui-ci est saisi d’un projet de loi.
L’obligation de consulter le Conseil d’État revêt une importance toute particulière dans la mesure où plus de 80 % des lois sont d’initiative gouvernementale. Si l’avis est obligatoire, celui-ci est traditionnellement secret, la publicité étant réservée au Gouvernement et au Conseil constitutionnel lorsque ce dernier est saisi d’un recours.
Cette règle du secret n’est mentionnée dans aucun texte, ni dans la Constitution, ni dans l’ordonnance de juillet 1945, ni dans le décret du 30 juillet 1963. Le secret relève davantage de la tradition et peut trouver un fondement juridique dans l’obligation de discrétion et de secret professionnel faite aux fonctionnaires.
Si le secret peut se justifier par le fait que le Gouvernement est le destinataire de cet avis, il n’en est pas de même pour le maintien de cette obligation s’agissant des parlementaires. Cela se justifie d’autant moins que le Gouvernement se prévaut fréquemment des avis du Conseil d’État au cours des débats devant le Parlement, sans en donner la teneur ou en ne la faisant connaître que partiellement.
Enfin, et c’est certainement le plus regrettable, le contenu de l’avis est très souvent reproduit dans la presse.
Pour toutes ces raisons, nous souhaitons que cet avis soit rendu public.
M. le président. L’amendement n° 466, présenté par MM. Frimat, Badinter, Bel, Collombat, Dreyfus-Schmidt, C. Gautier, Mauroy, Peyronnet, Sueur, Yung et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Avant le 1° de cet article, insérer deux alinéas ainsi rédigés :
...° Après la première phrase du deuxième alinéa, il est inséré une phrase ainsi rédigée :
« Les avis du conseil d'État sur les projets de loi sont rendus publics après leur adoption en conseil des ministres. »
La parole est à M. Yannick Bodin.
M. Yannick Bodin. Cet amendement tend à rendre publics les avis du Conseil d’État, après leur adoption en conseil des ministres.
Chacun a bien compris qu’il ne s’agit ni de remettre en cause la fonction de conseiller du Gouvernement qui est dévolue au Conseil d’État ni de porter atteinte au secret des délibérations du Gouvernement, puisque celui-ci est libre de s’écarter de l’avis du Conseil d’État. C’est pour cette raison qu’il est précisé dans cet amendement que les avis du Conseil d’État sont rendus publics uniquement à l’issue de leur adoption par le conseil des ministres.
Il s’agit en fait, avec cet amendement, d’améliorer le travail des parlementaires en leur procurant une meilleure information et en leur permettant de débattre des projets de loi en toute connaissance de cause. En effet, cela peut leur permettre de mieux connaître les intentions et les objectifs du Gouvernement.
Que le Gouvernement soit informé, c’est tout à fait normal. Mais que le Parlement ne le soit pas, alors que nous essayons d’engager l’un et l’autre le dialogue, c’est plus difficilement acceptable.
Enfin, disons-le franchement, ces avis font souvent, voire systématiquement, l’objet de fuites, totales ou partielles. Si cet amendement est adopté, il sera mis fin au caractère aléatoire de la confidentialité de ceux-ci.
Rappelons d’ailleurs que le comité Balladur « a estimé utile à la qualité du travail législatif que les avis émis par le Conseil d’État sur les projets de loi dont il est saisi, en application de l’article 39 de la Constitution, soient rendus publics ».
Ainsi serait mis un terme aux rumeurs qui entourent cet avis dont la publication n’est autorisée, au cas par cas, par le Gouvernement qu’à la fin de chaque année. D’ailleurs, dans nos propres débats, rappelons-le, les rapporteurs font souvent référence à ces avis, mais sans les communiquer aux membres de la commission.
En un mot comme en cent, nous vous proposons tout simplement de faire en sorte que les rumeurs cessent et que nous disposions d’informations exactes.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Nous allons mettre beaucoup de choses dans la Constitution !
Le débat sur la publicité des avis du Conseil d’État sur les projets de loi revient de façon récurrente. Nous aborderons ultérieurement la question des propositions de loi.
Généralement, nos collègues de l’opposition ont connaissance des avis du Conseil d’État avant nous. (M. Michel Charasse s’exclame.) C’est sans doute la marque d’une respiration de la démocratie…
Pour ma part, j’estime que cette disposition ne doit pas figurer dans la Constitution.
Je rappelle que le Conseil d’État est le conseil du Gouvernement. (M. Yannick Bodin s’exclame.) Laissez-moi terminer, monsieur Bodin ! Décidément, les Seine-et-Marnais, cet après-midi ... ! (Sourires.)
Mme Nicole Bricq. Je n’ai rien dit !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Vous m’avez interpellé tout à l’heure !
Le Conseil d’État donne un avis au Gouvernement sur les projets de loi. Cette procédure est utile lorsque le Conseil d’État n’est pas entièrement d’accord, mais elle provoque des polémiques. Or si ces avis sont rendus publics, les polémiques seront encore plus importantes.
Le conseil, c’est une chose, la décision politique, c’est le Gouvernement qui la prend !
Je ne suis pas certain qu’il faille systématiquement publier les avis du Conseil d’État. Mais, en tout état de cause, cette disposition ne doit pas figurer dans la Constitution.
La commission émet donc un avis défavorable sur ces trois amendements.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Le Gouvernement partage tout à fait la préoccupation d’améliorer la qualité de la législation. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle l’article du projet de loi constitutionnelle introduit l’avis du Conseil d’État pour les propositions de loi.
En revanche, le Gouvernement ne partage pas votre position s’agissant de la publicité de l’avis du Conseil d’État, d’abord parce que cet avis appartient à celui qui le demande, ce dernier pouvant tout à fait en faire la publicité s’il le souhaite. Mais si l’avis est d’emblée public, avant même que le destinataire en ait connaissance, cela risque de brider le Conseil d’État lorsqu’il doit rendre des avis plus circonstanciés. Il faut donc laisser le destinataire en faire la publicité s’il le souhaite.
Je prendrai l’exemple des textes émanant du ministère de la justice, qu’ils portent sur les peines plancher ou sur la rétention de sûreté : les avis ont été rendus publics et une grande transparence a été de mise.
Il est, en particulier, préférable de ne pas obliger le Gouvernement à rendre publics ces avis.
Peut-être considérerez-vous, monsieur Frimat, que je ferme la porte une fois de plus, mais la proposition du groupe socialiste de rendre publics les avis du Conseil d’État sur les projets de loi après leur adoption en conseil des ministres suscite elle aussi des réserves.
Le Gouvernement est défavorable à ces trois amendements.
M. le président. La parole est à M. Pierre Fauchon, pour explication de vote sur les amendements identiques nos 199 et 280 rectifié.
M. Pierre Fauchon. Je suis au regret de ne pas être de l’avis de mes amis du groupe de l’UC-UDF auteurs de l’amendement n° 280 rectifié.
Je partage, en revanche, celui de M. le rapporteur : il serait inutile, superflu et éventuellement dangereux de « sacraliser » les avis du Conseil d’État en les rendant publics, car cela en ferait inévitablement l’une des étapes du processus législatif. Celui-ci, qui est déjà assez compliqué comme cela, s’en trouverait brouillé, car une telle publication ne manquerait pas de donner lieu à une polémique. Ce qui se passe en amont de l’examen du projet du Gouvernement ne regarde que ce dernier. (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s’exclame.)
Certes, des fuites se produisent, comme pour toutes les choses confidentielles, mais ce n’est pas une raison pour légaliser les fuites ! L’avis du Conseil d’État reste un avis privé donné au Gouvernement, qui en fait ce qu’il juge devoir en faire en son âme et conscience. N’en faisons pas un élément de la procédure législative et, par voie de conséquence, un objet de polémique.
C'est la raison pour laquelle je ne suis pas favorable à ces amendements.
M. le président. La parole est à M. Michel Charasse, pour explication de vote.
M. Michel Charasse. Comme vient de le dire M. Pierre Fauchon, l’avis du Conseil d’État est, depuis l’avènement de la IIIe République, c’est-à-dire depuis bientôt 150 ans, réservé au Gouvernement.
Si d’ailleurs nous adoptons, dans un moment, la disposition tendant à ouvrir la possibilité de consultation du Conseil d’État pour les propositions de loi, cet avis sera réservé au Parlement.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Eh oui !
M. Michel Charasse. Si le Parlement veut le rendre public, il le rendra public.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Voilà !
M. Michel Charasse. De même, aujourd'hui, si le Gouvernement veut le rendre public, il le rend public.
Il faut quand même savoir, parce que l’on fantasme beaucoup sur ces avis, que, la plupart du temps, ils sont surtout juridiques, mais parfois teintés d’opportunité.
Madame Borvo Cohen-Seat, sur des textes très importants, j’ai vu passer, pendant quatorze ans, à l’Élysée, dans le dossier du Président de la République, des avis du Conseil d’État qui étaient quelquefois de trois lignes, de deux paragraphes ou d’un seul, bien qu’il se soit agi de sujets majeurs.
La plupart du temps, il n’y a pas de note,…
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Exact !
M. Michel Charasse. … il y a le texte plus ou moins rerédigé par le Conseil d’État.
Quelquefois, cependant, il s’agit effectivement d’un avis d’opportunité. La plupart du temps, il est d’une portée superficielle, par exemple une simple recommandation de bon sens : « Faites attention ! Vous avez adopté, voilà deux ans, un texte comportant des dispositions contraires à celles-ci ! »
Dans quelques cas, cet avis est très désagréable pour le Gouvernement.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. C’est vrai !
M. Michel Charasse. La fonction consultative du Conseil d’État n’étant pas une fonction juridictionnelle, le Gouvernement n’est donc pas tenu de suivre les avis rendus.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Eh oui !
M. Michel Charasse. Si ses avis sont rendus publics, à la suite de deux ou trois polémiques qui feront scandale, ou bien le Conseil d’État choisira de ne plus rien dire et de ne plus rien écrire, et ne s’exprimera plus sauf verbalement et en privé, ou bien le législateur – comme, en l’occurrence, cela relève du domaine réglementaire, ce sont les dispositions réglementaires qui régissent le Conseil d’État qui s’appliqueront – interviendra pour rappeler au Conseil d’État que ce dernier doit désormais émettre non plus des avis d’opportunité, mais des avis purement juridiques sur les articles.
J’estime que ce serait une mauvaise solution, même si je comprends parfaitement la démarche de celles et de ceux qui demandent à consulter ces avis. Mais la procédure est ainsi faite. Si nous avons une procédure d’avis sur les propositions du Parlement,…
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. On va voir !
M. Michel Charasse. … dans ce cas, les assemblées pourraient décider de les rendre publics comme un élément des travaux préparatoires de la loi.
En revanche, madame le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d'État, nous pourrions peut-être réfléchir à une solution qui conduirait le Gouvernement à donner au moins le sens général de ces avis, sans entrer dans les détails : nous saurions ainsi s’ils sont favorables ou non, ce qui lèverait une grande partie du mystère.
Tout cela est délicat, et, non plus que M. Pierre Fauchon, je ne peux voter ces amendements : il faut tout de même laisser au Gouvernement le droit de s’entourer des avis et des conseils qu’il veut,…
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Eh oui !
M. Michel Charasse. … faute de quoi, mes chers collègues, il vous faudra bientôt révéler les avis de vos assistants parlementaires. Je ne suis pas sûr que cela vous arrange ! (Sourires sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. Yannick Bodin, pour explication de vote.
M. Yannick Bodin. Nous regrettons bien entendu que ni le Gouvernement ni la commission ne soient favorables à l’amendement n° 466, mais il ne s’agit que d’un regret, nous ne sommes pas pour autant désespérés…
M. Yannick Bodin. … puisque, fort heureusement, dans la pratique, ces avis sont, pour l’essentiel, publiés dans la presse ! Nous eussions préféré que leur publication fût prévue dans la Constitution, mais, faisant contre mauvaise fortune bon cœur, nous nous contenterons de la presse quotidienne.
M. Jacques Valade. Quelle mentalité !
M. Yannick Bodin. Quant à savoir s’il s’agit ou non d’une nouvelle ouverture, madame la garde des sceaux, j’ai le sentiment que la porte est fermée depuis déjà pas mal de jours et qu’il n’y a rien de changé cet après-midi !
M. le président. La parole est à M. Jean-René Lecerf, pour explication de vote.
M. Jean-René Lecerf. La question de la publicité des avis du Conseil d’État ne me paraît pas représentative du clivage entre majorité et opposition. C'est la raison pour laquelle, personnellement, je voterai ces amendements.
En effet, lorsque j’ai été élu parlementaire, je pensais naïvement que les avis du Conseil d’État étaient réservés au Gouvernement et que ce dernier les diffusait s’il le souhaitait.
M. Michel Charasse. Oui !
M. Jean-René Lecerf. Cependant, j’ai pu m’en apercevoir, ce n’est pas du tout ainsi que cela se passe : c’est par des personnes autres que les membres du Gouvernement que j’étais informé desdits avis, y compris lorsque j’étais rapporteur.
Mme Nicole Bricq. Bien sûr !
M. Jean-René Lecerf. J’apprenais leur teneur, par exemple, de la bouche de collègues autrefois conseillers d’État ou ministres. Je remercie d’ailleurs très vivement l’un de mes collègues de l’opposition ici présent, que j’apprécie beaucoup, de m’avoir fait connaître parfois, quand j’étais rapporteur, les avis du Conseil d’État.
Aujourd’hui, connaissant mieux les milieux de la presse parisienne, il m’arrive d’être informé de ces avis par les responsables de la rubrique judiciaire des grands journaux parisiens.
Ces procédés ne me semblant pas particulièrement convenables, il serait selon moi beaucoup plus sage de rendre les avis publics.
Mme Nicole Bricq. Voilà !
M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour explication de vote.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. M. Lecerf a tout dit. J’ajouterai cependant que, puisque c’est le Parlement qui vote la loi, qu’il soit informé des avis du Conseil d’État sur un projet du Gouvernement me paraîtrait tout à fait logique !
Il n’y a pas, d’un côté, le Gouvernement qui préparerait des lois en suivant sa propre voie, et, de l’autre, le Parlement qui en élaborerait d’autres. Non ! C’est le Parlement qui vote la loi, que le texte soit d’origine gouvernementale ou parlementaire.
Il est donc tout à fait normal que le Parlement, avant de voter, sache quel est l’avis du Conseil d’État sur un projet du Gouvernement.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Parfois, il vaut mieux ne pas le savoir !
M. le président. La parole est à Mme Anne-Marie Payet.
Mme Anne-Marie Payet. Je retire l’amendement n° 280 rectifié, monsieur le président.
M. le président. L’amendement n° 280 rectifié est retiré.
Je mets aux voix l'amendement n° 199.
(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L'amendement n° 45 rectifié bis, présenté par M. Cointat, Mmes Garriaud-Maylam et Kammermann et M. Ferrand, est ainsi libellé :
Supprimer le 1° de cet article.
La parole est à M. Christian Cointat.
M. Christian Cointat. Par voie d’amendement, l’Assemblée nationale a supprimé, à l’article 39 de la Constitution, toute référence aux Français de l’étranger. Cet amendement trouve son origine à gauche, celle-ci voulant enlever toute priorité au Sénat dans l’examen des textes relatifs aux collectivités territoriales ou aux Français établis hors de France. Finalement, seuls ces derniers ont fait les frais de l’opération.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Parce qu’ils auront des députés !
M. Christian Cointat. Je constate d’ailleurs que nos collègues socialistes vont tenter de poursuivre l’opération s’agissant des textes relatifs aux collectivités territoriales, au travers de l’amendement qui suit.
En réalité, cette question de priorité est sans doute pour le moins curieuse, car il me paraît tout de même naturel que l’assemblée la plus compétente, s’agissant d’un domaine qui relève de sa spécialité, puisse se prononcer en premier afin d’éclairer les députés, qui sont appelés à trancher en dernier ressort. Cela me semble tellement évident que je suis étonné de ces manifestations de susceptibilité !
Le vrai problème n’est pas là : il tient à la politique définie lors de l’élaboration de la Constitution de la Ve République.
En effet, ses rédacteurs ont alors choisi de prendre en compte les Français de l’étranger en décidant qu’ils seraient représentés, comme tous les citoyens, à l’Assemblée nationale, cette dernière représentant tous les Français, quel que soit leur lieu de résidence. Le Sénat représente, lui, les collectivités de citoyens, autrement dit les collectivités territoriales.
Il se trouve que, à cette époque, il a été décidé de permettre aux Français de l’étranger de s’inscrire sur les listes électorales en France dans une commune de rattachement et de participer à l’élection des députés par ce biais.
C’est pourquoi les Français de l’étranger ont aujourd'hui des députés ! Il ne faut pas croire qu’ils sont privés de représentation nationale : ils sont représentés par des députés élus dans les départements de la République française.
Par ailleurs, si les Français de l’étranger sont représentés à l’Assemblée nationale en tant que citoyens, force est de constater qu’ils ont une spécificité tout à fait particulière, et, aux termes de l’article 24 de la Constitution, il a été reconnu qu’ils formaient non pas une collectivité territoriale, mais une collectivité de fait, et qu’à ce titre ils devaient être représentés au Sénat.
Le fait qu’ils soient représentés par des députés spécifiques ne change rien : les Français établis hors de France constitueront toujours demain une collectivité de fait, qui va d’ailleurs être renforcée par la création de députés et qui devra naturellement se transformer en une collectivité de droit.
Il ne manquait aux Français de l’étranger que la création de sièges de député pour que les attributs d’une collectivité de plein exercice – une collectivité extraterritoriale, bien entendu – soient réunis. Aucun citoyen français ne peut être privé de l’appartenance à une collectivité publique de la République.
Pour l’instant, les Français établis hors de France relèvent des communes, mais, dès lors qu’ils voteront pour élire des députés spécifiques, comment justifier qu’ils puissent continuer très longtemps à participer à la désignation des conseillers généraux, des conseillers régionaux, des conseillers municipaux ?
Par conséquent, c’est un problème de fond qui se pose. L’Assemblée nationale l’a parfaitement compris, puisqu’elle reconnaît que si, de par la Constitution, Saint-Martin et Saint-Barthélemy doivent avoir des sénateurs spécifiques en tant que collectivités, elles n’ont pas forcément à avoir de députés spécifiques, et que la situation actuelle, avec une circonscription englobant une partie de la Guadeloupe, pourrait être maintenue.
Telle est en tout cas la position qu’ont adoptée un certain nombre de députés.
Dans ces conditions, il est évident que traiter de manière différenciée, à l’article 39 de la Constitution, les Français établis hors de France remet en cause l’émergence, que j’appelle de mes vœux et qui doit être organisée autour de l’Assemblée des Français de l’étranger élue au suffrage universel, de la collectivité formée par cette catégorie de nos compatriotes, une collectivité d’outre-frontières, certes extraterritoriale, mais néanmoins publique.
Cette remise en cause est très indirecte. Je reconnais que plus aucune spécificité n’est indiquée à l’article 24 de la Constitution pour le Sénat, mais, pour autant, cette spécificité, comme je viens de le démontrer, existera toujours demain.
Il est donc quelque peu regrettable, mes chers collègues, que, pour des raisons de susceptibilité aucunement fondées, puisque ce sont les députés qui ont le dernier mot et qui doivent être éclairés en connaissance de cause avant de prendre leur décision finale, la collectivité des Français établis hors de France se voit appliquer un traitement différent de celui qui est réservé aux collectivités territoriales.
Plus grave encore, alors que nous avons, en 2003, modifié la Constitution de façon à préciser que la France est organisée de manière décentralisée, les Français établis hors de France, qui sont au nombre d’environ 2,3 millions, sont les seuls à ne pas être encore organisés ainsi dans leur vie quotidienne, c’est-à-dire pour ce qui n’a rien à voir avec les pouvoirs régaliens de l’État.
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue !
M. Christian Cointat. Il est donc utile de bien montrer que cette collectivité existe.
Voilà pourquoi j’ai déposé cet amendement. Je souhaitais, mes chers collègues, vous expliquer la situation, attirer votre attention sur cette évolution, qu’il faut arriver à maîtriser, sans altérer l’esprit ayant présidé à la rédaction de la Constitution de la Ve République. Je vous invite à maintenir la rédaction actuelle de l’article 39 de la Constitution, car il serait dommage de revenir aujourd’hui sur des dispositions que nous avons tous votées en 2003.
M. le président. L'amendement n° 463, présenté par MM. Frimat, Badinter, Bel, Dreyfus-Schmidt, C. Gautier, Mauroy, Peyronnet, Sueur, Yung et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Rédiger comme suit le 1° de cet article : 1° La seconde phrase du second alinéa est supprimée.
La parole est à M. Richard Yung.
M. Richard Yung. À titre personnel, je fais miens dans une très large mesure, ce qui n’est pas le cas de tous les membres de mon groupe, les propos que vient de tenir M. Cointat. Cela tient sans doute à notre spécificité de représentants des Français de l’étranger.
Cela étant, si notre assemblée devait continuer dans la même voie que l’Assemblée nationale, nous irions pour notre part plus loin en demandant le parallélisme des formes, c’est-à-dire la suppression de l’examen prioritaire par le Sénat non seulement des textes relatifs aux Français établis hors de France, mais également des textes relatifs aux collectivités territoriales.
En effet, cette priorité législative, similaire à celle dont bénéficie l’Assemblée nationale pour les projets de loi de finances et les projets de loi de financement de la sécurité sociale, déséquilibre d’une part l’institution parlementaire, puisqu’elle instaure sur ce point la primauté du Sénat sur l’Assemblée nationale, et obscurcit d’autre part les règles de la procédure.
Par ailleurs, bien qu’elle s’inspire des règles applicables à l’examen des projets de loi de finances, la priorité sénatoriale ne bénéficie pas d’une légitimité comparable à celle de l’Assemblée nationale s’agissant de la procédure d’élaboration du budget.
Enfin, la définition des textes pour l’examen desquels le Sénat dispose d’un droit de priorité est insuffisante. À l’image de la notion imprécise de projet de loi de finances sous la IIIe et la IVe Républiques, la caractérisation des projets de loi dont « le principal objet est l’organisation des collectivités territoriales » est incertaine. Je pourrais en donner plusieurs exemples.
Pour toutes ces raisons, nous invitons le Sénat à voter notre amendement.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Je salue la passion de M. Cointat pour la représentation au Parlement, tant à l’Assemblée nationale qu’au Sénat, des Français établis hors de France !
La théorie très originale de la collectivité de fait sans territoire est intéressante.
Cela étant, je rappelle que, en 2003, il avait d’abord été établi que le Sénat examinerait en premier lieu les textes concernant les collectivités territoriales. Comme notre assemblée avait le monopole de la représentation des Français établis hors de France, il était bien naturel que, sur la proposition de M. Cointat, d’ailleurs, nous ayons étendu cette priorité aux textes les concernant.
Si cette priorité se justifie toujours dans le premier cas parce que le Sénat continue d’assurer la représentation des collectivités territoriales, la création de députés représentant les Français de l’étranger entraîne, en bonne logique, qu’il n’y ait plus de priorité d’une assemblée sur l’autre dans le second cas.
M. Michel Charasse. Pour l’instant, il n’y en a pas !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Nous verrons plus tard quelles sont les mesures transitoires à prendre.
Nous ne pouvons donc, monsieur Cointat, être favorables à l’amendement que vous avez défendu, l’Assemblée nationale ayant tiré la conséquence logique de la création de députés des Français établis hors de France.
En revanche, nous avons réintroduit à l’article 34 de la Constitution la mention des institutions représentant les Français établis hors de France, celle-ci ayant été supprimée à l’article 39.
Je vous demande donc de bien vouloir retirer votre amendement, tout en comprenant parfaitement vos arguments. À défaut, la commission émettra un avis défavorable.
Cela étant, vous semblez en fait regretter, dans votre for intérieur, la création de députés représentant les Français établis hors de France ! (M. Christian Cointat rit.) Ne pas y procéder aurait d’ailleurs facilité les choses, puisqu’un nombre maximal de députés a été fixé !
Par ailleurs, la commission est également défavorable à l’amendement n° 463, car il n’y a à mon sens aucune raison de revenir sur ce que nous avions voté en 2003. Il me paraît nécessaire, dans cette période, d’insister sur la qualité de représentant des collectivités territoriales du Sénat.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Monsieur Cointat, vous souhaitez maintenir la priorité accordée au Sénat pour l’examen des projets de loi relatifs aux instances représentatives des Français de l’étranger. Je ne reprendrai pas les arguments que vient de donner M. le rapporteur.
Vous souhaitez également conserver dans la Constitution la mention de ces mêmes instances. Sur ce point, le Gouvernement vous a pleinement suivi, puisque nous sommes très attachés également à l’existence de telles institutions, qui contribuent à maintenir le lien entre nos compatriotes installés à l’étranger et notre pays. C’est pourquoi le Gouvernement a soutenu votre amendement tendant à compléter l’article 34 de la Constitution.
S’agissant de l’amendement n° 45 rectifié bis, je comprends tout à fait son objet. Les Français établis hors de France constituent certes une communauté, mais non une collectivité territoriale. C’est pourquoi je vous invite à retirer cet amendement ; à défaut, le Gouvernement y sera défavorable.
Par ailleurs, aucun motif particulier n’amène à réviser la loi de mars 2003 en ce qui concerne l’examen en premier lieu par le Sénat des projets de loi ayant pour principal objet l’organisation des collectivités territoriales, puisque le Sénat continue, aux termes de l’article 24 de la Constitution, d’assurer la représentation des collectivités territoriales.
Cette priorité se justifie, c’est pourquoi nous sommes défavorables à cet amendement.
M. le président. Monsieur Cointat, l’amendement n° 45 rectifié bis est-il maintenu ?
M. Christian Cointat. J’indiquerai à l’adresse de M. le rapporteur que je ne regrette pas que le M. le Président de la République se soit penché avec attention sur la situation des Français établis hors de France et ait pensé que la meilleure façon de régler une partie de leurs problèmes était d’épauler les sénateurs les représentant par des députés et de leur permettre d’avoir voix au chapitre au sein de l’Assemblée nationale.
Il ne peut s’agir là d’une erreur, puisque le Président de la République est à l’origine de cette disposition (Rires sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.), qui va dans la bonne direction. Il va donc de soi que je me réjouis qu’elle ait été prise, mais je reconnais que, comme pour toute bonne chose, il faut veiller à ce que le meilleur ne devienne pas le pire. C’était le sens de mon amendement.
Je tiens à dire aussi qu’il s’agit pour nous non pas d’insister, au travers de cet amendement, sur la priorité accordée au Sénat en tant que telle, mais sur la nécessité d’instaurer une égalité de traitement entre la collectivité de droit et la collectivité de fait.
Cela étant dit, madame la ministre, vous avez su comprendre les Français établis hors de France en acceptant l’inscription à l’article 34 de la Constitution de leurs instances représentatives, ce qui était le plus important. Dans ces conditions, puisque le Gouvernement a bien montré qu’il s’intéressait aux Français établis hors de France et qu’il était prêt à poursuivre la réflexion sur ce sujet, je retire mon amendement.
M. Charles Pasqua. Très bien !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Tout ça pour ça !
M. le président. L'amendement n° 45 rectifié bis est retiré.
La parole est à M. Jean-Pierre Raffarin, pour explication de vote sur l'amendement n° 463.
M. Jean-Pierre Raffarin. Je comprends la position de M. Cointat et ses deux idées complémentaires : la reconnaissance des Français établis hors de France dans la Constitution et le maintien de la priorité sénatoriale pour l’examen des textes relatifs à leurs instances représentatives.
Je suivrai l’avis du Gouvernement, mais qu’il me soit permis de regretter ce recul pour le Sénat, car la loi de 2003 dispose que le Sénat examine en priorité les textes relatifs à l’organisation des collectivités territoriales ou aux instances représentatives des Français de l’étranger.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Il faudrait la moderniser.
M. Jean-Pierre Raffarin. Pourquoi avait-on institué une telle priorité ? Parce que la qualité du travail législatif du Sénat permet quelquefois d’orienter les débats de manière plus tempérée, et souvent plus moderne !
M. Robert del Picchia. Très bien !
M. Jean-Pierre Raffarin. On l’a vu à propos d’un texte aussi difficile que le projet de loi relatif aux organismes génétiquement modifiés : s’agissant de textes complexes, commencer la discussion au Sénat permet souvent de trouver les voies de l’avenir.
Je regrette que si nous gardons en effet la priorité pour l’examen des textes relatifs à l’organisation des collectivités territoriales, conformément à ce que prévoyait la loi de 2003, nous la perdions maintenant pour les textes concernant les instances représentatives des Français établis hors de France.
Je le répète, il s’agit, pour le Sénat, d’un recul que je déplore ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP et sur certaines travées de l’UC-UDF.)
M. le président. La parole est à M. Bernard Frimat, pour explication de vote.
M. Bernard Frimat. La passion de M. Cointat est connue et sympathique. Sur nos travées, M. Yung et Mme Cerisier-ben Guiga défendent avec la même ardeur les Français qui sont établis hors de France.
M. Robert del Picchia. Très bien !
M. Bernard Frimat. Cela étant, je ne peux pas suivre M. Cointat s’agissant de la notion de collectivité de fait. Les Français établis hors de France sont pleinement citoyens, doivent exprimer cette citoyenneté de toutes les façons et être représentés au Parlement, mais ils ne constituent pas, pour autant, une collectivité de fait. Une telle logique nous mènerait à établir un conseil général des Français établis hors de France et un conseil régional des Français établis hors de France : tout cela n’aurait pas beaucoup de sens ! (M. Richard Yung acquiesce.) Quoi qu’il en soit, M. Cointat a retiré son amendement.
Quant à l’amendement n° 463 tendant à retirer au Sénat la priorité pour l’examen des textes concernant les collectivités territoriales, il ne s’agit pas, pour nous, de faire une mauvaise manière à la majorité sénatoriale.
C’est d’ailleurs lorsque vous étiez Premier ministre, monsieur Raffarin, qu’il a été proposé que le Sénat soit saisi en premier lieu des textes relatifs aux instances représentatives des Français de l’étranger. Cette disposition avait sa cohérence, puisque le Sénat était la seule chambre où ces derniers comptaient des représentants. De la même manière, on peut comprendre que l’on supprime aujourd’hui cette priorité.
Cela étant, la priorité dont bénéficie le Sénat est plus théorique que réelle, et on en a eu très vite la démonstration.
Souvenons-nous du débat sur le projet de loi organique relatif à l’expérimentation par les collectivités territoriales, qui s’était conclu par un amendement de notre collègue Yves Fréville prévoyant que les dotations de l’État seraient prises en compte dans la notion d’autonomie financière.
Or, ce texte a été discuté d’abord à l’Assemblée nationale, et le Conseil constitutionnel n’a pas pour autant invalidé la loi pour ce motif. Pourtant, quoi de plus important, s’agissant des collectivités territoriales, que ce débat sur l’autonomie financière, au cœur de la décentralisation ? Néanmoins, il n’a pas commencé dans notre hémicycle.
Par conséquent, pourquoi constitutionnaliser un principe que le Conseil constitutionnel lui-même n’a pas respecté dans sa jurisprudence.
Un second argument semblera peut-être plus polémique.
Le texte peut être indifféremment déposé à l’Assemblée nationale ou au Sénat. Le Gouvernement a donc toujours la possibilité de soumettre d’abord au Sénat un texte concernant les collectivités territoriales. Cela relève de sa responsabilité, et c’est une responsabilité que je lui laisse bien volontiers, quelle que soit son orientation politique.
Enfin, on nous affirme qu’un texte relatif à l’organisation des collectivités territoriales doit être examiné en premier lieu par le Sénat parce que celui-ci assure leur représentation. Or, sans vouloir revenir sur un débat que nous avons déjà eu et que nous aurons encore, je rétorquerai simplement que, à nos yeux, le Sénat assure de moins en moins bien cette représentation.
M. Jean-Pierre Raffarin. Pas aux nôtres !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. C’est reparti !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Très bien !
M. Bernard Frimat. Symboliquement, prendre en compte le fait que la représentativité des collectivités territoriales ne coïncide pas avec celle du Sénat justifierait aussi que ce dernier ne soit plus prioritaire pour l’examen des textes concernant ces collectivités.
M. le président. La parole est à M. Robert del Picchia, pour explication de vote.
M. Robert del Picchia. Je voudrais simplement rappeler ou apprendre, peut-être, à notre assemblée que l’on trouve, dans les archives du Sénat, des documents très éclairants.
Autrefois, six sénateurs représentaient les anciennes colonies. Puis le constituant a supprimé la mention des sénateurs et écrit, à l’article 24, que le Sénat assure la représentation des collectivités territoriales.
L’un de nos collègues de l’époque avait alors soulevé la question du devenir des sénateurs des Français de l’étranger, voués en effet à disparaître avec un tel texte. Le garde des sceaux avait admis qu’il fallait trouver une solution, et il avait été décidé d’ajouter dans la Constitution que les Français établis hors de France sont représentés au Sénat.
Une telle rédaction ne signifiait nullement que ces derniers n’étaient pas représentés à l’Assemblée nationale. Comme tous les Français, ils l’étaient, en théorie, mais puisque le scrutin ne pouvait être organisé à l’étranger à cette époque, ils ne pouvaient participer à l’élection des députés. Cette question étant désormais réglée, grâce à la mise en place de centres de vote à l’étranger, les Français établis hors de France peuvent maintenant être représentés à l’Assemblée nationale.
Quant au Gouvernement, je dirai, à la suite de notre collègue Jean-Pierre Raffarin, que le Sénat travaille tellement bien sur ces sujets qu’il continuera probablement de déposer les textes relatifs aux instances représentatives des Français de l’étranger d’abord sur le bureau de la Haute Assemblée. C’est en tout cas ce que nous souhaitons, madame le garde des sceaux !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Très bien !
M. Bernard Frimat. C’est ce que l’on appelle une autocritique…
M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour explication de vote.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Je soutiendrai l’amendement de nos collègues socialistes, car je partage l’idée selon laquelle, par votre fait, mesdames, messieurs les membres de la majorité, le Sénat représente de moins en moins bien les collectivités territoriales, dans la mesure où sa composition ne reflète pas le vote de leurs habitants. Il ne faudrait tout de même pas trop cultiver ce paradoxe, sinon nous y perdrons tous…
En effet, concernant les Français de l’étranger, ils ne peuvent exister que par leur nombre, or vous affirmez que le Sénat a vocation à représenter les collectivités, indépendamment du chiffre de leur population.
M. Henri de Raincourt. Ce n’est pas vrai !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Comme vous le voyez, à trop vouloir tirer sur la corde et prouver tout et son contraire, on en arrive à se contredire assez facilement !
M. le président. La parole est à M. Richard Yung, pour explication de vote.
M. Richard Yung. Je souhaite revenir très rapidement sur cette notion de collectivité des Français de l’étranger.
Nous le sentons bien, nous nous heurtons à un grand scepticisme et probablement aussi à un obstacle d’ordre juridique. Néanmoins, telle est bien l’évolution qui est en train de se dessiner. M. Frimat a fait référence, tout à l’heure, à un conseil général des Français de l’étranger. Or c’est très exactement ce que nous avons en tête !
Aujourd'hui, l’Assemblée des Français de l’étranger, instance représentative des Français établis hors de France, est élue au suffrage universel direct. Il est donc tout à fait envisageable qu’à terme cette assemblée se voie confier certains des pouvoirs dont dispose un conseil général et devienne ainsi son équivalent. Nous aurons alors bien une collectivité des Français de l’étranger, même si elle ne sera pas fondée sur un territoire. C’est le sens de l’histoire ! (M. Christian Cointat applaudit.)
M. le président. Je suis saisi de quatre amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
Les deux premiers sont identiques.
L’amendement n° 21 rectifié bis est présenté par M. Charasse, Mme N. Goulet et MM. Fortassin et Alfonsi.
L’amendement n° 464 est présenté par MM. Frimat, Badinter, Bel, Collombat, Dreyfus-Schmidt, C. Gautier, Mauroy, Peyronnet, Sueur, Yung et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Supprimer les deuxième et troisième alinéas du 2° de cet article.
La parole est à M. Michel Charasse, pour présenter l’amendement n° 21 rectifié bis.
M. Michel Charasse. Je propose la suppression des deuxième et troisième alinéas du 2° de l’article 14, car, je dois le dire, je les trouve incompréhensibles !
De quoi s’agit-il ? D’élaborer une loi organique sur l’organisation du travail gouvernemental ? Mais, jusqu’à présent, c’est le Premier ministre qui est le maître de l’organisation du travail gouvernemental, en organisant comme il le veut les différents groupes de travail et comités, notamment interministériels. De son côté, le Président de la République peut convoquer les conseils interministériels.
S’agit-il d’inscrire dans la loi organique l’obligation de publier l’ensemble des travaux préparatoires et des notes réalisées en interne par le Gouvernement ? Veut-on du coup, dans la foulée, rendre obligatoire la publication de l’avis du Conseil d’État ?
Vraiment, je ne comprends pas du tout ce que tout cela signifie ! À mes yeux, une telle disposition ne peut que ralentir et compliquer encore plus le fonctionnement de Matignon et des ministères, sans aucun bénéfice pour personne.
Par conséquent, je propose de la supprimer, sauf si l’on me démontre qu’elle est indispensable. Il n’y a d’ailleurs jamais eu de loi organisant le fonctionnement du travail gouvernemental depuis la IIIe République, et on a toujours bien fonctionné comme cela.
En outre, le système prévu est assez complexe, et je doute que la commission ou le Gouvernement puissent nous éclairer. L’article incriminé prévoit en effet que les projets de loi « ne peuvent être inscrits à l’ordre du jour tant que les conférences des présidents constatent conjointement que les règles fixées par la loi organique sont méconnues ». Mais va-t-on les interroger à chaque fois ou va-t-on attendre qu’elles se réveillent spontanément ? Si, un jour, les conférences des présidents ne le font pas spontanément et ne disent rien, le Conseil constitutionnel ne manquera pas de sanctionner et d’annuler !
De plus, cette procédure jouera-t-elle seulement en première lecture ou à tout moment, tout au long des lectures successives ? En première lecture, la conférence des présidents de la première assemblée saisie devra-t-elle solliciter celle de l’autre assemblée, puisqu’il faut, lorsque les règles sont méconnues, qu’elles le constatent conjointement ?
Mes chers collègues, croyez-vous vraiment que, quand la France est confrontée à des difficultés nombreuses, à des problèmes graves qui doivent être réglés en urgence pour tenir notre place en Europe et dans le monde, on a le temps de s’amuser avec des plaisanteries pareilles ? Cela apporte quoi ?
M. Charles Pasqua. De la confusion !
M. le président. La parole est à M. Bernard Frimat, pour présenter l’amendement n° 464.
M. Bernard Frimat. Si la commission des lois propose certaines améliorations rédactionnelles au travers de l’amendement n° 112 venant en discussion juste après le nôtre, elles ne portent pas sur le fond du dispositif. Or ce dernier, qui a été inséré à la suite de l’adoption d’un amendement à l’Assemblée nationale, vise à prévoir une loi organique, dont le contenu nous est totalement inconnu,…
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Par définition !
M. Bernard Frimat. … ayant vocation à régir les conditions d’élaboration des projets de loi par le Gouvernement. L’Assemblée nationale a donc inventé une loi précisant comment devront être préparés les projets de loi dans l’avenir !
En outre, par le troisième alinéa du 2° de l'article 14, elle a donné aux conférences des présidents des deux assemblées un pouvoir de maître d’école, puisqu’elles pourront refuser d’inscrire un projet de loi à l’ordre du jour si elles estiment que le Gouvernement ne l’a pas élaboré comme il fallait le faire.
M. Michel Charasse. Qu’en savent-elles ?
M. Bernard Frimat. Depuis le début de la semaine dernière, on nous rétorque régulièrement que nos propositions n’ont pas leur place dans la Constitution. S’agissant de la présente disposition, je suis tenté de vous retourner l’objection : doit-elle vraiment figurer dans la Constitution ?
Disant cela, je m’attaque, je le sais bien, à des auteurs d’amendements illustres, puisqu’il semble que cette disposition émane notamment de M. Copé. Or, en ces temps de recherche difficile d’une majorité des trois cinquièmes, tout ce qui vient de M. Copé a un prix exorbitant…
Tout cela pour obliger le Gouvernement à réaliser des études d’impact lors de l’élaboration d’un projet de loi : mais rien ne l’en empêche aujourd'hui !
Supposons un instant, par exemple, qu’une telle disposition ait existé à l’époque de l’élaboration du projet de loi relatif aux OGM.
Le Gouvernement aurait alors dû demander à des experts choisis par ses soins de procéder à une étude d’impact. Nul doute qu’après sa publication celle-ci aurait été immédiatement contestée par d’autres scientifiques. En outre, pourquoi aurions-nous dû, nous parlementaires, nous contenter des études d’impact effectuées à la demande du Gouvernement ? Nous n’aurions pas manqué de demander que d’autres études soient réalisées et que le Parlement se dote d’une capacité d’expertise autonome en la matière.
Il est peut-être souhaitable d’éviter la construction de telles usines à gaz, quelle que puisse être par ailleurs leur utilité… On se plaint parfois d’un délire législatif, mais nous tombons ici dans un délire constitutionnel ! Je le dis par avance, la rédaction proposée par la commission des lois est intelligente, mais elle ne règle pas le problème du contenu du dispositif, avec lequel je suis en complet désaccord.
Cela ne signifie pas que nous soyons hostiles a priori aux études d’impact. Toutefois, est-il vraiment indispensable d’imposer au Gouvernement, quel qu’il soit, des guides dans la phase qui précède l’élaboration du projet de loi ?
M. Michel Charasse. Très bien !
M. Bernard Frimat. On nous a pourtant dit que, dans cette même phase, il ne fallait surtout pas rendre publics les avis du Conseil d’État, dont tout le monde a connaissance au demeurant. Par conséquent, ne pensez-vous pas que le Sénat, s’il a vraiment du bon sens, ce dont je doute de plus en plus (Murmures sur les travées de l’UMP.),…
M. Philippe Marini. C’est de l’autocritique ?
M. Bernard Frimat. … s’honorerait en supprimant cette disposition et en renonçant à ouvrir cette usine à gaz ?
M. Michel Charasse. Très bien !
M. le président. L’amendement n° 112, présenté par M. Hyest, au nom de la commission des lois, est ainsi libellé :
Rédiger comme suit les deuxième et troisième alinéas du 2° de cet article :
« La présentation des projets de loi déposés devant l’Assemblée nationale ou le Sénat répond aux conditions fixées par une loi organique.
« Les projets de loi ne peuvent être inscrits à l’ordre du jour si la conférence des présidents de la première assemblée saisie constate que les règles fixées par la loi organique sont méconnues. »
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. L’Assemblée nationale a prévu que les projets de loi soient « élaborés dans des conditions fixées par une loi organique ». Monsieur Frimat, c’est la reprise exacte d’une des propositions émises par le comité de réflexion présidé par M. Balladur. (Mme Éliane Assassi s’exclame.) Si vous voulez connaître l’auteur de cette disposition, c’est donc là que vous le trouverez, même s’il est vrai que cela avait été également suggéré par un certain nombre de députés.
Ces textes ne pourront être inscrits à l’ordre du jour « tant que les conférences des présidents constatent conjointement que les règles fixées par la loi organique sont méconnues ».
Ces dispositions suscitent chez vous un certain scepticisme, mon cher collègue. Pour sa part, la commission des lois partage les préoccupations auxquelles cet amendement tend à répondre. Elle estime cependant que la référence aux conditions d’élaboration des projets de loi n’est ni suffisamment précise ni vraiment explicite.
D’une part, il faudrait faire apparaître clairement que les règles fixées dans la loi organique ne pourront concerner que le Gouvernement et l’élaboration des projets de loi avant leur dépôt au Parlement.
D’autre part, ces règles porteraient, comme le recommandait dans son rapport le comité présidé par M. Balladur, sur la réalisation d’études d’impact par le Gouvernement.
C’est donc moins, en fait, les conditions d’élaboration des projets de loi qu’il convient de viser que les modalités de présentation de ceux-ci avant leur dépôt sur le bureau de l’une ou l’autre des deux assemblées.
M. Michel Charasse. Cela ne change rien du tout !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. L’amendement de la commission des lois vise à ce que le Gouvernement présente une analyse des effets attendus d’un texte, analyse qui ne saurait se réduire aux études d’impact, souvent superficielles, dont les projets de loi ont été assortis par le passé selon un usage plutôt aléatoire. D’ailleurs, il y a été renoncé. Il fut une époque où l’on procédait à des études d’impact, peut-être M. Charasse s’est-il livré à ce genre de sport quand il était au Gouvernement ?
M. Michel Charasse. Le ministère du budget en fait sur tous les projets de loi et se fait régulièrement « ramasser » lors des réunions d’arbitrage qui se tiennent à Matignon !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. De toute façon, les études d’impact sont réalisées à la suite du dépôt du projet de loi. Il faudrait les faire avant.
La loi organique devrait détailler le type d’informations que le Gouvernement serait tenu de réunir, ainsi que les conditions dans lesquelles celles-ci seraient transmises au Parlement, au plus tard lors du dépôt du projet de loi concerné. Il appartiendrait ensuite à chaque assemblée d’apprécier ces informations, de les valider, de les compléter, bien sûr, par le travail d’investigation conduit dans le cadre des commissions permanentes et de juger, in fine, si le projet de loi répond à une véritable nécessité.
Cependant, il n’est pas nécessaire, monsieur Charasse, que les deux conférences des présidents constatent conjointement que les règles fixées par la loi organique sont méconnues pour empêcher l’inscription d’un texte à l’ordre du jour.
Il appartient en effet à la conférence des présidents de l’assemblée saisie d’apprécier si ces conditions sont satisfaites. D’ailleurs, cela n’empêcherait pas le Gouvernement, le cas échéant, de déposer son texte sur le bureau de l’autre assemblée.
M. Michel Charasse. C’est ce que prévoit votre amendement, mais pas la rédaction actuelle de l'article !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Élaboration et présentation, ce n’est pas la même chose, monsieur Charasse !
M. le président. Le sous-amendement n° 322, présenté par M. Vasselle, est ainsi libellé :
Rédiger comme suit le deuxième alinéa de l’amendement n° 112 :
« La présentation des projets de loi déposés devant l’Assemblée nationale ou le Sénat comporte une étude d’impact et répond aux conditions fixées par une loi organique. »
Ce sous-amendement n’est pas soutenu.
L’amendement n° 320, présenté par M. Marini, est ainsi libellé :
Compléter le deuxième alinéa du 2° de cet article par les mots :
d’initiative parlementaire
La parole est à M. Philippe Marini.
M. Philippe Marini. En lisant le texte qui nous parvient de l’Assemblée nationale – d’une manière, je le confesse, pas aussi approfondie que la commission des lois –, je me suis interrogé, mes questions étant d’ailleurs assez similaires à celles qui viennent d’être formulées, notamment par M. le rapporteur.
Il me semble que la disposition en débat risquerait, si nous ne l’amendions pas, de produire des conséquences susceptibles de se retourner contre le Parlement. J’ai compris qu’il s’agit de prescrire au Gouvernement lui-même des modalités de préparation de ses textes, mais j’ai observé que, de facto, la rédaction actuelle de l’article 14 soumet une large part de la procédure législative au Conseil d’État, et c’est sur cet aspect des choses que je souhaitais intervenir.
M. Charles Pasqua. Cela ne va pas recommencer !
M. Philippe Marini. En effet, en amont, le projet de loi organique serait obligatoirement soumis au Conseil d’État, et, en aval, le Conseil constitutionnel, dont on sait que la jurisprudence a une tendance assez spontanée à l’alignement sur celle du Conseil d’État, serait obligatoirement saisi.
Or, rares ont été les occasions, au moins ces dernières années, où le Conseil d’État s’est montré désireux d’accroître la marge de manœuvre du législateur. L’imprécision de l’alinéa considéré me semble comporter quelques menaces pour le Parlement.
C’est la raison pour laquelle j’ai suggéré, par cet amendement, qui est essentiellement un amendement de questionnement, que la loi organique dont il s’agit soit d’initiative parlementaire. Nous avons une très bonne référence en la matière avec la loi organique relative aux lois de finances, d’initiative parlementaire, qui a permis d’établir des règles du jeu à la suite de débats entre deux chambres dont les majorités étaient, à l’époque, d’orientations opposées. Ces règles du jeu me semblent aujourd’hui faire l’unanimité.
Par conséquent, j’aurais souhaité mieux comprendre les incidences concrètes des dispositions de l’article 14. La rédaction proposée par la commission des lois me paraît de nature à lever les incertitudes que j’ai soulignées. Je voulais néanmoins, tout en souscrivant à son analyse, obtenir des éléments d’appréciation propres à éclairer notre débat.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. La commission des lois propose un amendement de réécriture des deux alinéas en question de l’article 14 pour mieux en préciser la portée.
Il s’agit, pour l’essentiel, de demander au Gouvernement d’accompagner le projet de loi de certains éléments d’information complémentaires. Cela répond en partie à vos objections, monsieur Charasse.
Parmi les exigences relatives à la présentation des projets de loi, on peut penser aux études d’impact, mais aussi, comme le prévoit un autre amendement, aux annexes ou aux déclarations interprétatives concernant les accords internationaux, dont la ratification est soumise à l’autorisation du Parlement. La loi organique définira de manière complète ces conditions. La commission a estimé que ces dispositions introduites par les députés étaient utiles. Par conséquent, je demande le retrait des deux amendements tendant à leur suppression.
Enfin, l’amendement n° 112 répond largement à vos préoccupations, monsieur Marini, car la rédaction votée par l’Assemblée nationale était assez imprécise et pouvait donner à entendre que la loi organique déterminerait l’élaboration du projet de loi – ce qui n’est pas le cas –, y compris au cours de la procédure législative devant le Parlement.
En réalité, les députés, si je lis bien les comptes rendus des débats et les rapports, souhaitaient viser la nécessité d’accompagner les projets de loi notamment d’études d’impact approfondies.
C’est pourquoi la commission a prévu une loi organique pour définir les conditions de présentation des projets de loi, et bien marquer que les obligations prévues par cette loi s’imposent au Gouvernement avant ou lors du dépôt d’un texte devant le Parlement, mais n’interfèrent pas avec la procédure législative en tant que telle.
Rien n’interdira au Parlement de prendre l’initiative d’une proposition de loi organique fixant les conditions de la présentation des projets de loi, mais il me paraît difficile d’inscrire dans la Constitution que la loi organique qui les déterminera sera d’initiative parlementaire.
Je pense d’ailleurs que le projet de loi ou la proposition de loi organique doit être déjà en préparation, au moins dans certains esprits, sinon en cours de rédaction.
En tout état de cause, c’est nous qui voterons la loi organique. Ensuite, le Conseil constitutionnel se prononcera. La rédaction que j’ai proposée me paraît assez précise s’agissant des exigences posées pour la présentation des projets de loi. Nous répondons ainsi à une volonté depuis longtemps manifestée, et très largement exposée au sein du comité Balladur. Notre rédaction donne, à mon sens, satisfaction aux souhaits des députés – et non d’un député en particulier…
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Monsieur le rapporteur, vous proposez de modifier la rédaction des dispositions introduites par l’Assemblée nationale pour encadrer par une loi organique les conditions d’élaboration des projets de loi.
Votre rédaction permet, en effet, de mieux cibler l’objectif visé. Il ne s’agit pas de régir entièrement par la loi organique les modalités d’élaboration des projets de loi, lesquelles comportent, comme vous le savez, un certain nombre de phases d’arbitrage, de consultation et autres. L’objectif est de préciser les conditions non de leur élaboration, mais de leur présentation, notamment en prévoyant les documents qui devront les accompagner, pour obliger le Gouvernement à fournir au Parlement de véritables études d’impact.
Si nous sommes tout à fait d’accord sur la nouvelle rédaction, nous pensons que le texte pourra encore être amélioré au cours de la navette parlementaire. En effet, il peut y avoir blocage en cas de désaccord entre le Gouvernement et la conférence des présidents sur le caractère suffisant ou non de l’étude d’impact. Il faudra prévoir un moyen de sortir d’une telle situation, ce que ne permet pas le texte actuel.
Messieurs Charasse et Frimat, vous proposez de supprimer l’encadrement de l’élaboration des projets de loi envisagé par l’Assemblée nationale.
Le Gouvernement ne peut pas vous suivre, car il partage pleinement la volonté exprimée par l’Assemblée nationale d’améliorer la qualité de la législation. Comme l’avait relevé le Conseil d’État, de nombreuses circulaires ont été prises en ce sens depuis plusieurs années sans véritable succès. Le seul moyen de rendre de telles dispositions obligatoires est donc de les instituer au moins par une loi organique. Cette dernière pourra par exemple obliger le Gouvernement à accompagner les projets de loi de véritables études d’impact. Il s’agit non pas, comme vous le craignez, d’interdire la concertation ministérielle préalable ni de rendre publics les avis du Conseil d’État, mais d’imposer, à l’échelon approprié, des règles en vue d’une meilleure qualité de la préparation de la loi.
L’adoption de l’amendement n° 112 devrait, je l’espère, lever certaines de vos réticences. En effet, il sera plus clair que l’intention du constituant est bien de préciser les conditions de présentation des projets de loi, notamment en énumérant les documents qui doivent les accompagner, plutôt que d’encadrer leurs conditions d’élaboration.
Enfin, monsieur Marini, vous proposez que le projet de loi organique qui précisera les conditions que devra respecter la présentation des projets de loi soit d’initiative parlementaire.
Le Gouvernement souhaite que le texte organique soit préparé en étroite concertation avec les deux assemblées. Il n’est toutefois pas souhaitable d’inscrire dans la Constitution qu’il devra nécessairement s’agir d’une proposition de loi. Cela interdirait d’ailleurs toute modification ultérieure par le Gouvernement.
Restons-en donc au principe de notre République selon lequel l’initiative de la loi appartient aussi bien au Premier ministre qu’au Parlement.
En résumé, le Gouvernement est favorable à l’amendement n° 112 et défavorable aux amendements nos 21 rectifié bis, 464 et 320.
M. le président. La parole est à M. Michel Charasse, pour explication de vote sur les amendements identiques nos 21 rectifié bis et 464.
M. Michel Charasse. Je ne souhaite pas insister sur ces amendements et je dirai donc juste un mot.
Il faut quand même savoir qu’en principe, chaque texte donne lieu à une étude d’impact, au moins de la part de la direction du budget du ministère du budget. Cela n’empêche pas le ministre du budget de se faire régulièrement « renvoyer dans ses buts » lors de tous les arbitrages à Matignon, surtout quand l’étude d’impact débouche sur un constat abominable. Au fond, qu’est-ce qu’une étude d’impact ? C’est un texte acariâtre, écrit par un grincheux, qui a systématiquement tort, pour doucher les enthousiasmes dispendieux… (Sourires.)
Première question : les études d’impact seront-elles expurgées avant publication ?
M. Charles Pasqua. Oui ! Il faut le préciser par amendement !
M. Michel Charasse. En effet, si elles le sont – et, à mon avis, elles le seront –, elles présentent un intérêt limité.
Cela étant, monsieur le président, je vais retirer mon amendement, mais j’en profite – et je n’y reviendrai pas – pour poser deux questions à M. Hyest sur son propre amendement.
Si je lis le texte de la commission des lois, les projets de loi ne peuvent être inscrits à l’ordre du jour si la conférence des présidents de la première assemblée saisie constate que les règles fixées par la loi organique sont méconnues. Si le Gouvernement affirme les avoir respectées et que la conférence des présidents soutient que ce n’est pas vrai, qui arbitre ?
M. Richard Yung. On ne sait pas !
M. Michel Charasse. Est-ce qu’on passe outre ? Est-ce qu’on change d’assemblée, en retirant le texte à l’une pour le déposer dans l’autre ? Comme Mme le garde des sceaux nous dit qu’il faudra affiner cela pendant la navette, voilà une situation à régler : en cas de désaccord entre le Gouvernement et la conférence des présidents, il faut que quelqu’un puisse arbitrer. En effet, on ne va quand même pas bloquer la vie gouvernementale parce qu’il y a une « chicaya » sur l’application d’une disposition législative de tête d’épingle perdue au fin fond d’une loi organique !
Seconde question, monsieur le rapporteur et cher ami : la loi organique concernera, bien entendu, la conférence des présidents du Sénat. Peut-on considérer qu’elle sera, de ce fait, « relative au Sénat » au sens de l’article 46, quatrième alinéa, de la Constitution ? Auquel cas, elle ne peut pas être votée sans notre accord.
M. Philippe Marini. Bonne question !
M. le président. L'amendement n° 21 rectifié bis est retiré.
La parole est à M. Bernard Frimat, pour explication de vote sur l’amendement n° 464.
M. Bernard Frimat. Je ne reprendrai pas les deux questions de Michel Charasse, auxquelles M. le rapporteur va se faire un plaisir de répondre !
Ne serait-ce que pour donner à mes collègues la possibilité de voter contre les dispositions considérées, je suis, pour ma part, dans l’obligation de maintenir l’amendement n° 464.
Je donne acte au président et rapporteur de la commission des lois que son texte constitue une amélioration par rapport à celui de l’Assemblée nationale et lève un certain nombre d’ambiguïtés rédactionnelles.
Il n’en demeure pas moins que tout cela me semble tout de même représenter un carcan inutile. Quels documents devront accompagner les projets de loi ? Ne pensez-vous pas que, plutôt que d’alourdir la présentation des textes, il vaudrait mieux centrer un peu plus notre travail législatif sur l’essentiel ? Je souhaiterais, pour ma part, affranchir le Parlement de la discussion récurrente de tous ces textes inutiles, destinés à « gérer » l’opinion publique et qui nous encombrent !
Parce qu’il nous semble que le Gouvernement a suffisamment d’esprit de responsabilité pour pouvoir de lui-même préparer et présenter une loi dans des conditions satisfaisantes – vous voyez que nous sommes optimistes ! –, je ne vois pas pourquoi on lui imposerait un tel carcan.
Nous maintenons donc l’amendement n° 464.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. M. Charasse m’a posé deux questions.
La réponse à la seconde est incontestablement positive, parce qu’il s’agit d’une loi organique qui concerne aussi bien l’Assemblée nationale que le Sénat.
M. Philippe Marini. Très bien !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Quant à la première question, j’estime que quand un projet de loi est mal ficelé et qu’il manque d’éléments d’appréciation, une commission devrait pouvoir se déclarer dans l’incapacité de le rapporter. Ce serait beaucoup plus simple !
Cela étant, on a choisi d’élaborer un dispositif plus complexe. Nous verrons bien comment il fonctionnera, mais je ne suis pas choqué que l’on dispose que tout projet de loi soit au moins assorti d’une étude d’impact sérieuse, portant non seulement sur l’incidence financière du dispositif, mais aussi sur le bilan de l’application de la législation que l’on veut modifier. Nous aurions d’ailleurs intérêt à mener le même type de travail d’évaluation de notre côté : le Parlement s’en trouverait peut-être un peu plus respecté !
M. le président. Monsieur Marini, l’amendement n° 320 est-il maintenu ?
M. Philippe Marini. Je le retire, monsieur le président.
M. le président. L’amendement n° 320 est retiré.
Je suis saisi de quatre amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
Les deux premiers sont identiques.
L'amendement n° 87 est présenté par MM. Gélard, Portelli et Lecerf.
L'amendement n° 465 est présenté par MM. Frimat, Badinter, Bel, Collombat, Dreyfus-Schmidt, C. Gautier, Mauroy, Peyronnet, Sueur, Yung et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Supprimer le dernier alinéa du 2° de cet article.
La parole est à M. Jean-René Lecerf, pour présenter l'amendement n° 87.
M. Jean-René Lecerf. Les auteurs de cet amendement estiment que le Conseil d'État, qui est d'abord le conseiller du Gouvernement, n'a pas vocation à devenir celui du Parlement. De surcroît, il risquerait de se transformer progressivement en une nouvelle chambre dont les avis deviendraient rapidement incontournables.
Or, autant les auteurs de l’amendement sont favorables au bicamérisme, autant ils sont hostiles au multicamérisme. Ils estiment que le Parlement doit être laissé libre de choisir ses experts en fonction des différents textes qui lui sont soumis et qu’aucun monopole, ni même aucune priorité, ne devrait être réservé au Conseil d'État.
Dans ces conditions, la référence qui est faite à l’avis de ce dernier avant l’examen en commission d’une proposition de loi paraît pour le moins inutile.
M. le président. La parole est à M. Bernard Frimat, pour présenter l'amendement n° 465.
M. Bernard Frimat. Cet amendement vient d’être excellemment défendu par M. Jean-René Lecerf. Je m’en voudrais presque d’abîmer sa démonstration en y ajoutant mes arguments !
Le Conseil d'État est le conseiller du Gouvernement. Qu’il le reste ! On nous a même expliqué tout à l'heure qu’il fallait qu’il conseille l’exécutif avec suffisamment de discrétion pour que le Parlement n’en soit pas averti, celui-ci étant, de toute façon, au courant !
À présent, on nous affirme qu’une proposition de loi pourra être transmise au Conseil d'État par le président de l’assemblée concernée. Mais en fonction de quelles considérations un texte sera-t-il ou non soumis au Conseil d’État pour avis ? Qu’est-ce qui nous garantit que sa transmission au Conseil d'État ne deviendra pas, simplement, un nouveau moyen de ralentir la procédure législative ?
Il me semble que nous sommes dans la confusion la plus totale. Le Conseil d'État, quelque grands que soient ses talents, n’a déjà que trop tendance à vouloir se comporter comme une chambre parlementaire pour que nous ne lui demandions pas d’être notre conseiller !
Si nous avons besoin de conseils, nous pouvons les prendre auprès de qui nous l’entendons, et laisser le Conseil d'État – cette grande institution pour laquelle j’exprime toute mon admiration – jouer pleinement son rôle de conseiller du Gouvernement et de plus haute juridiction administrative.
M. le président. L'amendement n° 198 rectifié, présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen, est ainsi libellé :
I. - Dans le dernier alinéa de cet article, remplacer les mots :
peut soumettre
par les mots :
soumet
II. - Compléter le même alinéa par les mots :
appartenant à un groupe parlementaire soutenant le Gouvernement.
La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Cet amendement vise à obliger les présidents des assemblées à soumettre toutes les propositions de loi au Conseil d'État.
En effet, au cours de ces dernières années, nous avons vu proliférer des propositions de loi que le Gouvernement inspirait et faisait adopter par sa majorité afin précisément d’éviter de les soumettre au Conseil d'État.
Je citerai plusieurs exemples à cet égard, que vous connaissez déjà, mes chers collègues : la proposition de loi de M. Pascal Clément, alors président de la commission des lois de l’Assemblée nationale, relative à la lutte contre la récidive, en 2005 ; celle de M. Patrick Ollier, député, sur la remise en cause des 35 heures, en 2005 ; celle de notre collègue Jean Arthuis, relative à la Banque de France, en 2006 ; celle de notre collègue Michel Mercier, sur le contrôle comptable du RMI, en 2008.
Je pourrais évoquer d’autres textes – je n’ai pris que les plus récents et les plus marquants – pour lesquels il est clair que le Gouvernement s’est abrité derrière un ou plusieurs membres de sa majorité afin d’éviter le passage par le Conseil d'État, dont pourtant les avis ne sont pas publics – vous refusez d'ailleurs qu’ils le soient, chers collègues de la majorité –, mais vous préférez multiplier les précautions !
Pour ma part, ce qui me gêne, ce n’est pas que les propositions de loi soient transmises au Conseil d'État, c’est qu’une autorité puisse décider des textes qui seront soumis, ou non, à cet examen, qui devrait en fait concerner les propositions de loi inspirées par le Gouvernement.
M. Jean-Pierre Raffarin. Pour une fois, vous avez raison !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Cela étant, je retire mon amendement, au profit des amendements de suppression.
M. le président. L'amendement n° 198 rectifié est retiré.
L'amendement n° 281 rectifié, présenté par MM. Mercier, Amoudry, Badré et Biwer, Mmes Dini, Férat et Payet, MM. Deneux et Merceron, Mme Morin-Desailly, MM. Nogrix, J.L. Dupont, Dubois, C. Gaudin, Zocchetto, Pozzo di Borgo et les membres du groupe Union centriste - UDF, est ainsi libellé :
Compléter le dernier alinéa du 2° de cet article par une phrase ainsi rédigée :
Ces avis sont publics.
La parole est à Mme Anne-Marie Payet.
Mme Anne-Marie Payet. Cet amendement vise à rendre publics les avis du Conseil d'État lorsque celui-ci se trouve saisi d’une proposition de loi. Il s'agit d’un amendement de coordination avec l’amendement n° 280 rectifié.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Le Conseil d'État, parmi d’autres institutions, dispose d’une capacité d’expertise tout à fait éminente.
J’ai apprécié la remarque de Mme Borvo Cohen-Seat : il est effectivement arrivé que des propositions de loi soient largement inspirées par le Gouvernement, certes rarement (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s’exclame.), non pas d'ailleurs pour éviter le passage par le Conseil d'État, mais, me semble-t-il, pour accélérer la procédure législative.
En revanche, je ne suis pas d'accord avec vous en ce qui concerne la proposition de loi de M. Pascal Clément sur la récidive : cet exemple est mal choisi, car il s'agissait vraiment d’une initiative parlementaire.
Cette considération mise à part, la commission a estimé souhaitable d’ouvrir aux présidents des assemblées la faculté, car il n’y seront nullement obligés, de solliciter l’avis du Conseil d'État quand une proposition de loi semble poser quelques problèmes juridiques.
Nous n’avons donc pas proposé de supprimer cette disposition, qui reprend d'ailleurs une suggestion du rapport, publié en juillet 2002, du groupe de réflexion sur l’institution sénatoriale, qui s’était réuni à l’époque sous la présidence de notre ancien collègue Daniel Hoeffel. Comme je crois qu’il s'agit d’une bonne idée et qu’il faut la préserver, j’émets un avis défavorable sur les amendements identiques nos 87 et 465.
En ce qui concerne l’amendement n° 281 rectifié, il n’est pas nécessaire de préciser dans la Constitution que les avis du Conseil d'État seront publics, car cela va de soi si l’Assemblée nationale et le Sénat en sont les destinataires. Il est d’ailleurs parfois déjà difficile de tenir un secret quand on est deux ; à 577 ou à 348 – car tel sera bientôt l’effectif de la Haute Assemblée – cela me paraît totalement impossible ! (Sourires.)
Je demande donc le retrait de cet amendement.
M. le président. Madame Payet, l'amendement n° 281 rectifié est-il maintenu ?
Mme Anne-Marie Payet. Non, je le retire, monsieur le président.
M. le président. L'amendement n° 281 rectifié est retiré.
Quel est l’avis du Gouvernement sur les amendements identiques nos 87 et 465 ?
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Messieurs Lecerf et Frimat, vous proposez de supprimer un article du projet de loi constitutionnelle qui tend à autoriser le Parlement à solliciter, par l’intermédiaire du président de chaque assemblée, l’examen par le Conseil d'État d’une proposition de loi.
Cette possibilité nouvelle permettra au Parlement de demander une expertise complémentaire. Elle ne peut que contribuer au renforcement de la sécurité juridique et à l’amélioration de la qualité de la législation. Elle est cohérente avec le renforcement des pouvoirs du Parlement, en particulier avec la plus grande place qui sera accordée aux propositions de loi et le partage de l’ordre du jour.
Enfin, elle n’est aucunement l’expression d’une défiance à l’égard des parlementaires, bien au contraire, puisqu’il s'agit d’une simple faculté à la disposition du Parlement, qui ne saisira le Conseil d'État que s’il en décide ainsi.
Pour toutes ces raisons, le Gouvernement émet un avis défavorable sur les amendements nos 87 et 465.
M. le président. La parole est à M. Gérard Longuet, pour explication de vote sur les amendements identiques nos 87 et 465.
M. Gérard Longuet. Une fois n’est pas coutume, je me trouve en désaccord avec Mme le garde des sceaux sur l’amendement n° 87 cosigné par M. Gélard et défendu excellemment par Jean-René Lecerf.
En effet, l’adoption de la disposition en question, généreuse en apparence, aboutirait en réalité, me semble-t-il, à créer trois catégories de propositions de loi : celles qui auraient fait l’objet d’un avis favorable du Conseil d'État, et qui constitueraient en quelque sorte des propositions de loi de première classe ; celles, de deuxième classe, qui auraient recueilli un avis négatif du Conseil d'État, …
M. Michel Charasse. La carte famille nombreuse !
M. Gérard Longuet. … au motif que tel ou tel dispositif ne serait pas bon ; enfin, les propositions de loi de troisième classe, qui n’auraient même pas fait l’objet d’un tel examen, ce que certains de nos collègues ne manqueraient pas de reprocher au cours de la discussion.
Je crains que le Conseil d'État ne soit horriblement gêné de se mêler de nos travaux et que nous ne le placions dans une situation impossible. Par conséquent, pour lui rendre service (Sourires.), je suggère que nous renoncions à le solliciter et que nous votions l’amendement n° 87.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Raffarin, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Raffarin. Mes chers collègues, voilà désormais plusieurs jours, et autant de nuits, que nous travaillons ensemble et que M. Frimat ne cesse de demander quels gestes d’ouverture nous accomplissons. Cette fois, en suivant M. Lecerf, nous allons satisfaire aussi M. Frimat !
Pour ma part, au moment où l’on accorde au Parlement de nouveaux pouvoirs afin d’équilibrer nos institutions, je suis tout à fait hostile à l’idée que celui-ci dispose du même conseil que le Gouvernement. Cette mesure contreviendrait à l’esprit de cette réforme, qui vise à donner aux assemblées toute la capacité législative nécessaire : les faire passer par le même intermédiaire que le Gouvernement rendrait notre démarche législative ambiguë.
Il s'agit là d’une question fondamentale. Les procédures doivent être distinctes, il y va de la maturité du Parlement. Madame le garde des sceaux, vous le savez mieux que quiconque : la qualité de la production législative du Sénat est telle que le passage par le Conseil d'État ne constitue pas une voie impérative.
M. le président. La parole est à M. Bernard Frimat, pour explication de vote.
M. Bernard Frimat. J’ai entendu avec plaisir que M. Gérard Longuet s’apprêtait à voter l’amendement n° 87 présenté par M. Jean-René Lecerf. Cependant, il s’est gardé de mentionner notre amendement identique n° 465.
Mes chers collègues de la majorité, dans un souci d’ouverture, pour que vous n’ayez aucun scrupule de conscience, que vous vous sentiez tous parfaitement à l’aise et que vous adoptiez en toute quiétude l’amendement n° 87, je me rallie à cette proposition et je retire l’amendement n° 465 ! (Sourires sur les travées de l’UMP.)
M. Gérard Longuet. Nous étions prêts à voter votre amendement !
M. Dominique Braye. Vous nous ôtez la joie de voter pour vous !
M. le président. L’amendement n° 465 est retiré.
Je mets aux voix l'amendement n° 87.
(L'amendement est adopté.)
M. le président. Je rappelle que les amendements portant articles additionnels après l’article 14 ont été examinés en priorité le jeudi 19 juin au soir.
Article 15
Dans le premier alinéa de l'article 41 de la Constitution, après les mots : « le Gouvernement », sont insérés les mots : « ou le président de l'assemblée saisie ».
M. le président. Je suis saisi de quatre amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
Les deux premiers sont identiques.
L'amendement n° 113 est présenté par M. Hyest, au nom de la commission des lois.
L'amendement n° 468 est présenté par MM. Frimat, Badinter, Bel, Collombat, Dreyfus-Schmidt, C. Gautier, Mauroy, Peyronnet, Sueur, Yung et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à M. le rapporteur, pour présenter l’amendement n° 113.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Aux termes de l'article 15, les présidents des assemblées pourraient invoquer l'article 41 de la Constitution et soulever l'irrecevabilité lorsqu'une proposition de loi ou un amendement ne relève pas du domaine de la loi.
Or il nous semble qu’il appartient au Gouvernement de défendre ses prérogatives et que cette tâche n’incombe certainement pas aux présidents des assemblées. Cette disposition est donc, selon nous, inutile.
J'ajouterai que, s'agissant des conditions d’application de cette disposition, nous savons très bien qu’il existe un grand flou entre les articles 34 et 37 de la Constitution. Il n’y a qu’un domaine qui soit purement réglementaire, c’est la procédure civile.
Voilà très longtemps – c’était beaucoup plus fréquent au début de la Ve République, me semble-t-il – que l’article 41 de la Constitution n’a pas été mis en œuvre par le Gouvernement pour déclarer qu’une disposition était de nature règlementaire.
M. Michel Charasse. C’est exact !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. En outre, son application déclenche une procédure très complexe, avec consultation du Conseil constitutionnel.
Laissons donc au Gouvernement le soin d’utiliser cette prérogative, s’il le souhaite. Il n’appartient certainement pas aux présidents des assemblées de défendre le domaine de la loi par rapport à celui du règlement. Au reste, il est parfois utile d’outrepasser les dispositions strictes des articles 34 et 37, comme nous le faisons fréquemment.
M. le président. La parole est à M. Bernard Frimat, pour présenter l'amendement n° 468.
M. Bernard Frimat. Mes chers collègues de la majorité, au sein du groupe socialiste, nous n’avons aucun état d’âme à nous accorder avec vous sur certains sujets ne participant pas à proprement parler de la réforme des institutions et nous apparaissant secondaires.
Toutefois, nous en arrivons là aux prémices du débat sur le droit d’amendement. Les dispositions présentées vont clairement à l’encontre de la définition de nouveaux pouvoirs pour le Parlement.
Pour en revenir à l’article 40 de la Constitution, il s’en est fallu de quinze voix – les absents étant venus au secours des présents ! – pour que celui-ci soit supprimé l’autre jour. Je rappellerai que l’article 40 place en quelque sorte une disqualification financière dans les mains du Gouvernement.
Comme si cela ne suffisait pas, l’article 15 vise à introduire une autre disqualification, aujourd’hui à la disposition du seul Gouvernement, qui peut déclarer un amendement ou une proposition irrecevable au motif que le dispositif relève du domaine règlementaire et non pas de celui de la loi.
Très honnêtement, on serait souvent tenté de penser que le Gouvernement devrait s’appliquer ce principe à lui-même, afin d’éviter d’encombrer les projets de loi de mesures réglementaires, respectant ainsi un peu mieux les dispositions de l’article 34 de la Constitution !
Quoi qu’il en soit, le Gouvernement a aujourd’hui ce pouvoir. Or ce qui nous est proposé à l’occasion de cette révision constitutionnelle consiste à l’accorder également aux présidents des deux assemblées. Je suppose d’ailleurs que ce pouvoir sera exercé par délégation par le président de la commission compétente ou par un membre du bureau qui, assistant à nos séances, se lèverait de temps en temps pour invoquer l’article 41, à l’instar de nos collègues de la commission des finances s’agissant de l’article 40. De cette façon, nous pourrions faire des paris sur le nombre de fois où l’article 40 et l’article 41 seront invoqués au cours du débat !
Je pense que cela va résolument à l’encontre de la modernisation du Parlement, que le Gouvernement ne souhaite pas, et de la dévolution de droits nouveaux à son profit, à laquelle il ne procède que de façon illusoire.
Pour notre part, nous sommes hostiles à tout enfermement du droit d’amendement, et donc à ce pouvoir d’opposition réglementaire qu’il est prévu de donner aux présidents des deux assemblées. Il s’avère que nous sommes d’accord sur ce point avec la commission des lois ; nous supportons ce voisinage sur ce sujet précis ! (Sourires.)
M. le président. L'amendement n° 201, présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen, est ainsi libellé :
Rédiger comme suit cet article :
L'article 41 de la Constitution est abrogé.
La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Certes, je sais que cet amendement deviendra sans objet si celui de la commission est adopté, même s’il est plus éloigné que ce dernier du texte de l’article 15, en ce qu’il vise à supprimer purement et simplement l’article 41 de la Constitution.
En effet, cet article consacre, avec l’article 40, l’article 44-3 ou encore l’article 49-3, la prééminence de l’exécutif sur le législatif et constitue une remise en cause tout à fait frontale de ce qui représente pourtant le socle de la démocratie parlementaire, à savoir le droit d’amendement.
Cette possibilité d’invoquer l’irrecevabilité d’un amendement octroyée au Gouvernement est totalement arbitraire. L’histoire récente démontre d’ailleurs qu’il y a été recouru par simple opportunité.
Nous rejetons d’autant plus cet article 41 qu’il se fonde sur un déséquilibre instauré par la Constitution de 1958 au profit du domaine règlementaire et au détriment du domaine législatif.
Ainsi, l’irrecevabilité au titre de l’article 41 de la Constitution est invoquée au nom d’un empiètement du pouvoir législatif sur le domaine réglementaire. Avouez que c’est tout de même un comble !
Il s’agit là, en quelque sorte, d’une double peine infligée au Parlement en matière constitutionnelle. Il est, dans un premier temps, écarté du domaine qui devrait relever de sa compétence, et, ensuite, sanctionné s’il ose revendiquer un droit d’action dans ce même domaine. C’est tout à fait paradoxal !
Par conséquent, étant donné que vous êtes en faveur de la revalorisation du rôle du Parlement, je vous propose, mes chers collègues, de supprimer l’article 41 de la Constitution.
M. le président. L'amendement n° 373, présenté par Mmes Boumediene-Thiery, Blandin et Voynet et MM. Desessard et Muller, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
... - Le second alinéa du même article est ainsi rédigé :
« En cas de désaccord sur la décision opposant la recevabilité, le Gouvernement, le président de l'assemblée intéressée ainsi que soixante parlementaires de cette même assemblée, peuvent saisir le Conseil constitutionnel, qui statue dans un délai de huit jours. »
La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.
Mme Alima Boumediene-Thiery. Cet amendement va dans le même sens que celui qu’a défendu M. Bernard Frimat, avec cette nuance que nous essayons, pour notre part, de faire une proposition.
Si l’on considère l’article 15 du projet de loi constitutionnelle, il apparaît que la philosophie de ce dernier, si elle est tout à fait louable, est néanmoins assez illusoire, dans la mesure où le dispositif n’est au service que du Gouvernement et du président de l’assemblée saisie, autrement dit de la majorité.
Ce n’est pas ainsi que l’on pourra lutter efficacement contre les empiétements du domaine législatif sur le domaine réglementaire !
En effet, à quoi bon prévoir une procédure permettant d’opposer une irrecevabilité si l’on sait d’avance que, pour des raisons de connivence entre le Gouvernement et la majorité, cette procédure ne pourra jamais être utilisée ?
Au travers de l’amendement n° 373, je vous propose, mes chers collègues, d’étendre la possibilité de recourir à la procédure d’irrecevabilité à un groupe de soixante sénateurs ou de soixante députés, afin de véritablement contribuer à un meilleur respect du partage entre le domaine législatif et le domaine réglementaire.
En fait, la procédure qui nous est présentée à l’article 15 pourrait devenir une arme « prédissuasive » contre certains amendements relevant du domaine réglementaire, qu’ils aient été déposés par l’opposition ou par la majorité, voire par le Gouvernement.
C’est la raison pour laquelle, si l’on souhaite effectivement, par ce projet de loi, revaloriser les pouvoirs du Parlement, il me semble qu’il convient non pas de renforcer les seuls pouvoirs du président de l’Assemblée nationale ou du Sénat, mais d’ouvrir de nouvelles possibilités à l’opposition.
Le droit nouveau que nous proposons d’instituer ne concernera pas que l’opposition, puisque la procédure vaudra pour l’ensemble des membres du Parlement.
Cet exemple illustre parfaitement la manière de donner des droits aux parlementaires sans qu’il s’agisse de droits spécifiques à l’opposition.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Étant donné que la commission souhaite conserver l’article 41 de la Constitution, elle est évidemment défavorable à l’amendement n° 201.
Par ailleurs, je vous rappellerai, madame Boumediene-Thiery, que la commission propose la suppression de l’article 15. Or cette suppression est, me semble-t-il, de nature à rassurer les auteurs de l’amendement n° 373 quant à l’utilisation de l’article 41. Je vous demande donc, ma chère collègue, de bien vouloir retirer cet amendement, faute de quoi la commission émettra un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. Il est vrai que l’article 15, qui met en application une des recommandations du comité présidé M. Édouard Balladur, donne lieu à un vrai débat.
L’irrecevabilité au titre de l’article 41, en cas d’empiètement de la loi sur le domaine du règlement, est rarement mise en œuvre, ainsi que l’a d’ailleurs dit tout à l’heure M. le rapporteur.
Toutefois, elle peut, dans certaines circonstances, se révéler très utile, comme ce fut le cas en 2005, où elle a permis de faire obstacle au dépôt de 15 000 amendements sur le projet de loi relatif à la régulation des activités postales. En effet, ces amendements étaient manifestement d’ordre réglementaire et, dès lors, leur dépôt constituait un abus flagrant du droit d’amendement.
La faculté donnée au président de chaque assemblée d’opposer cette irrecevabilité faciliterait son utilisation. Elle rétablirait également l’égalité des armes, puisque les présidents des deux assemblées pourraient l’utiliser à l’encontre du Gouvernement, alors que, à l’heure actuelle, elle ne joue quasiment jamais à son égard.
Toutefois, monsieur le rapporteur, vous estimez qu’il appartient au Gouvernement et à lui seul de faire usage de cette possibilité, étant donné qu’il est chargé de réguler les empiètements de la loi sur le champ réglementaire. Votre position peut se comprendre, même si la possibilité qui est donnée par l’article 15 du projet de loi n’est qu’une faculté mise à la disposition des présidents des assemblées, et ne constitue en aucun cas une obligation.
Il ne s’agit nullement, pour le Gouvernement, d’organiser un contrôle systématique de la recevabilité, à l’instar de ce qui existe pour l’article 40.
Pour autant, compte tenu de ces éléments, le Gouvernement s’en remet à la sagesse de la Haute Assemblée sur les amendements nos 113 et 468.
M. Bernard Frimat. Nous allons sans doute retirer l’amendement n° 468 !
M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. Chaque fois que l’on fait un pas dans sa direction, M. Frimat retire son amendement pour pouvoir ensuite affirmer qu’on ne lui a rien concédé ! Franchement, monsieur Frimat, nous faisons des efforts désespérés pour aller vers vous, ne nous fermez pas la porte ! (Sourires.)
Cela étant dit, notre vision rejoint naturellement celle de M. le rapporteur, et le Gouvernement est donc défavorable, j’en suis désolé pour Mme Borvo Cohen-Seat, à l’amendement n° 201, ainsi qu’à l’amendement n° 373.
M. le président. La parole est à M. Michel Charasse, pour explication de vote sur les amendements identiques nos 113 et 468.
M. Michel Charasse. Je voudrais faire deux observations.
Tout d’abord, alors que j’étais jeune secrétaire du groupe socialiste à l’Assemblée nationale, j’avais interrogé M. Michel Debré sur l’article 41 de la Constitution, et il m’avait écrit un petit mot, que j’ai gardé dans mes archives, selon lequel « l’empiètement sur le domaine réglementaire est toujours possible si le Gouvernement renonce à défendre son domaine ». Étant donné que c’est Michel Debré qui avait rédigé l’article 41, j’ai pensé qu’il n’y avait pas de meilleure source que l’auteur lui-même !
J’ajoute que le Conseil constitutionnel déclasse maintenant automatiquement certaines dispositions, sans attendre d’être saisi par le Premier ministre.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Absolument !
M. Michel Charasse. C’est d’ailleurs ce qu’il a fait dans le projet de loi « Fillon » d’orientation pour l’avenir de l’école, en énumérant toute une série d’articles qui relevaient du domaine réglementaire. Il n’a pas annulé ces articles en les déclarant non conformes, mais le Gouvernement n’a plus besoin de saisir le Conseil constitutionnel pour lui demander de déclasser une disposition, puisque celui-ci l’a dit par anticipation.
Ma seconde observation fait suite à l’intervention de M. Karoutchi selon laquelle l’article 41 s’appliquerait au Gouvernement.
Personnellement, je n’en suis pas sûr, car, pour le moment, la jurisprudence n’a pas tranché ce point. Lorsque le président Alain Poher a saisi le Conseil constitutionnel, en 1973 si ma mémoire est bonne, sur la question du principe d’égalité devant l’impôt et qu’il a fait annuler une disposition de la loi de finances en se fondant sur la violation des articles 40 de la Constitution et 42 de la loi organique, le Conseil constitutionnel a annulé la partie de l’article qui était issue du Parlement, mais pas la partie de l’article qui était issue du Gouvernement. Certes, il se trouve que l’ensemble de l’article devenait de ce fait caduc, ce qui revenait au même, mais il n’a pas expressément indiqué que cela s’appliquait au Gouvernement.
Par conséquent, ce que vient de nous dire M. Karoutchi est très important. En effet, si l’on considère que l’on se trouve maintenant dans la situation qu’il a décrite, cela signifie que, à part l’article 40, qui n’est applicable qu’aux initiatives parlementaires, tout le reste, y compris les dispositions de la loi organique sur les lois de finances et sans doute de la loi de financement de la sécurité sociale, pourrait être opposé à la fois aux membres du Parlement et au Gouvernement.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Fourcade, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Fourcade. C’est avec beaucoup d’intérêt que j’ai pris note de la position nuancée de M. le secrétaire d’État sur ces deux amendements, pour lesquels il s’en est remis à la sagesse du Sénat.
En ce qui me concerne, pour avoir bien étudié le rapport du comité Balladur et pour avoir vu ce qui s’est passé à l’Assemblée nationale, il m’apparaît tout de même que la modification introduite par cette dernière à l’article 41 de la Constitution est importante.
Ayant présidé pendant quinze ans la commission des affaires sociales du Sénat, j’ai souvent vu arriver des amendements du Gouvernement à la fin d’une discussion ou en deuxième lecture, qui, manifestement, relevaient du domaine réglementaire et auxquels il était impossible de s’opposer.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Il fallait les rejeter !
M. Jean-Pierre Fourcade. Pour ma part, il me semble que cet ajout apporté par l’Assemblée nationale en fonction des recommandations du comité Balladur renforce les pouvoirs des présidents des deux assemblées.
C’est la raison pour laquelle, à mon grand regret, je ne pourrai voter l’amendement n° 113 de la commission, ni l’amendement identique n° 468, présenté par M. Frimat.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Je rappelle que la procédure est extrêmement lourde s’il y a désaccord entre le Gouvernement et le président de l’assemblée concernée. Le texte est alors renvoyé devant le Conseil constitutionnel. Cela n’est arrivé qu’une seule fois.
Quant aux articles 34 et 37 de la Constitution, ils ne s’appliquent plus depuis très longtemps. Tant pis !
Cela étant, toutes les préconisations du comité Balladur n’étaient pas forcément parfaites ! Ainsi, il est des propositions qui n’ont pas été reprises par le Gouvernement, et l’on peut estimer que certaines idées présentées par ce comité ne sont pas bonnes, même si elles sont a priori séduisantes.
M. Michel Charasse. Il faut dire que ce comité n’était pas écrasé par le nombre des praticiens !
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 113 et 468.
(Les amendements sont adoptés.)
M. le président. En conséquence, l’article 15 est supprimé, et les amendements nos 201 et 373 n’ont plus d’objet.
Article 16
L'article 42 de la Constitution est ainsi rédigé :
« Art. 42. - La discussion des projets et des propositions de loi porte, en séance, sur le texte adopté par la commission saisie en application de l'article 43 ou, à défaut, sur le texte dont l'assemblée a été saisie.
« Toutefois, la discussion en séance des projets de révision constitutionnelle, des projets de loi de finances et des projets de loi de financement de la sécurité sociale porte, en première lecture devant la première assemblée saisie, sur le texte présenté par le Gouvernement et, pour les autres lectures, sur le texte transmis par l'autre assemblée.
« La discussion en séance, en première lecture, d'un projet ou d'une proposition de loi ne peut intervenir, devant la première assemblée saisie, qu'à l'expiration d'un délai de six semaines après son dépôt. Elle ne peut intervenir, devant la seconde assemblée saisie, qu'à l'expiration d'un délai de trois semaines à compter de sa transmission.
« Les dispositions de l'alinéa précédent ne s'appliquent pas si la procédure accélérée a été déclarée dans les conditions prévues à l'article 45. Elles ne s'appliquent pas non plus aux projets de loi de finances, aux projets de loi de financement de la sécurité sociale et aux projets relatifs aux états de crise. »
M. le président. Je suis saisi de quatorze amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L'amendement n° 202, présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. L’article 16 nous est présenté comme un article phare dans le processus de revalorisation du rôle du Parlement. Or son adoption nous ferait revenir, selon moi, à une procédure similaire à celle qui se pratiquait sous les IIIe et IVe Républiques, à la différence près que, à l’époque, le Gouvernement ne disposait pas du droit d’amendement, ce qui est pour le moins paradoxal si l’on songe aux cris d’orfraie poussés par la majorité dès que nous évoquons la IVe République !
À première vue, M. Hyest décrit, dans son rapport, les avantages que les parlementaires tireraient d’une telle modification de la procédure parlementaire.
Il est vrai qu’aujourd’hui nous sommes fréquemment amenés à examiner, avant de les adopter, de nombreux amendements rédactionnels tendant à corriger des projets de loi parfois mal rédigés.
Je ferai remarquer que ce n’est pas l’examen de ces amendements rédactionnels qui nous prend le plus de temps en séance publique, le rapporteur se contentant souvent de les défendre d’un simple : « Amendement rédactionnel ! » et le Gouvernement répondant presque systématiquement : « Avis favorable ». Cet argument n’est donc pas déterminant, et je ne m’y attarderai pas.
En revanche, le deuxième argument développé tant par le Gouvernement que par le rapporteur nous interpelle davantage : la discussion du texte de la commission en séance publique permettrait de mieux valoriser le travail des commissions et de concentrer le débat sur les options de fond.
Nous ne pouvons partager un tel enthousiasme, car cette primauté donnée aux travaux des commissions remet en cause un des rares acquis démocratiques du débat parlementaire.
D’ailleurs, il ne faudrait pas dissocier l’article 16 de l’article 15, qui renforce les conditions d’irrecevabilité des amendements,…
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Il vient d’être supprimé !
Mme Éliane Assassi. … ni de l’article 18, qui limite considérablement le droit d’amendement des parlementaires. Ces articles forment un ensemble qui vise à une seule chose : réduire la longueur des débats en séance publique.
Pourtant, et les discussions qui nous occupent depuis la semaine dernière le montrent bien, la séance publique est primordiale, car elle est le lieu où peuvent se tenir de véritables débats démocratiques et transparents, dans lesquels tous les groupes peuvent défendre leurs propositions, quelle que soit la commission dont leurs sénateurs sont membres.
Renforcer le travail législatif en commission revient, d’une part, à priver d’une partie du débat les sénateurs n’appartenant pas à la commission saisie au fond, et, d’autre part, à faire reculer le pluralisme, car seuls les groupes importants disposent des moyens d’assurer une présence forte et régulière au sein de la commission. C’est donc un renforcement du fait majoritaire dans le débat parlementaire.
Par ailleurs, les réunions de commission ne sont pas publiques, contrairement à la séance, dont les débats sont ouverts à nos concitoyens. C’est donc l’opacité qui nous est proposée comme mode de débat parlementaire, et c’est la porte ouverte aux lobbies en tous genres.
C’est pourquoi nous refusons le simulacre de débat parlementaire que vise à instaurer l’article 16.
M. le président. L'amendement n° 203, présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Rédiger comme suit cet article :
L'article 42 de la Constitution est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« La discussion en séance, en première lecture d'un projet ou d'une proposition de loi ne peut intervenir devant la première assemblée qu'à l'expiration d'un délai de deux mois après son dépôt. Elle ne peut intervenir devant la seconde assemblée saisie qu'à l'expiration d'un délai d'un mois à compter de sa transmission. »
La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Vous l’aurez compris, mes chers collègues, nous considérons que l’article 16 du projet de loi amoindrit les pouvoirs du Parlement.
Nous maintenons notre opposition à la nouvelle procédure d’examen des textes telle qu’elle est prévue. Le présent amendement vise donc à récrire l’article 16 du projet de loi en l’expurgeant de cette restriction.
Par ailleurs, nous proposons de compléter l’article 42 de la Constitution afin de fixer des délais entre le dépôt et la discussion d’un projet ou d’une proposition de loi plus longs que ceux qui sont prévus dans le projet de loi.
Aujourd’hui, les délais entre le dépôt d’un projet de loi sur le bureau d’une des deux assemblées et son examen en commission, puis en séance publique, sont aberrants et démontrent à quel point le Gouvernement méprisait le travail parlementaire.
Prenons un exemple récent, celui du projet de loi relatif aux droits et devoirs des demandeurs d’emploi, qui sera examiné cette semaine par notre assemblée. Le Gouvernement l’a déposé sur le bureau du Sénat le 11 juin, le rapport a été examiné le 18 juin par la commission des affaires sociales, et nous devrions en débattre en séance publique le 24 ou le 25 juin, quand nous aurons terminé nos débats sur la modernisation des institutions.
Bien souvent, la commission n’attend pas de disposer du texte définitif du projet de loi pour commencer ses auditions, qu’il lui serait sinon matériellement impossible d’organiser avant l’examen du rapport, comme cela s’est produit, je le rappelle, pour le projet de loi relatif à la mobilité et aux parcours professionnels dans la fonction publique.
Bien évidemment, c’est la qualité du travail des parlementaires qui pâtit de cette situation. Malheureusement, nos protestations sont toujours restées vaines. Ce n’est pourtant pas faute de les avoir exprimées, aussi bien en séance publique qu’en commission !
Si nous reconnaissons la légère avancée que marque le projet de loi sur ce point, nous considérons néanmoins que les dispositions du troisième alinéa du nouvel article 42 ne sont pas assez rigoureuses.
Le projet de loi initial prévoyait qu’en première lecture la discussion d’un texte en séance publique n’interviendrait qu’à l’expiration d’un délai d’un mois après son dépôt, puis, dans la seconde assemblée saisie, à l’expiration d’un délai de quinze jours après sa transmission. Certes, il a été amendé par les députés, qui ont porté le premier délai à six semaines et le second à trois semaines. Dois-je néanmoins rappeler que le comité Balladur était sur ce point beaucoup plus audacieux, puisqu’il suggérait de prévoir des délais de respectivement deux mois et un mois ?
L’article 16 ne va donc pas assez loin en ce qui concerne les délais dont disposeront les commissions pour examiner les rapports. Nous préférerions qu’elles puissent consacrer davantage de temps à l’examen des projets de loi ou à l’audition des personnes qualifiées.
Aussi proposons-nous, une fois n’est pas coutume, de reprendre les propositions du comité Balladur et de prévoir que les délais minimaux avant la discussion en séance d’un projet de loi soient de deux mois dans la première assemblée et d’un mois dans la seconde.
Cela ne signifie pas que nous voudrions profiter d’une plus longue réflexion en commission pour réduire les débats en séance publique ; bien au contraire, je crois que ces deux phases de la procédure parlementaire sont extrêmement importantes et que le fait d’allonger la première ne justifie pas de priver l’ensemble des parlementaires d’un débat, d’une confrontation des idées et de la présentation des propositions des groupes politiques ou des parlementaires.
M. le président. L'amendement n° 398 rectifié, présenté par MM. About et Détraigne, Mme Payet et M. Merceron, est ainsi libellé :
Dans le premier alinéa du texte proposé par cet article pour l'article 42 de la Constitution, après les mots :
article 43
insérer les mots :
siégeant à huis clos
La parole est à Mme Anne-Marie Payet.
Mme Anne-Marie Payet. Le fait de prévoir que, désormais, la discussion en séance publique s’effectuera sur le texte voté par la commission saisie au fond suppose que ce travail soit réalisé dans la plus grande rigueur et avec sérénité. Il est donc opportun que la commission siège à huis clos.
M. le président. L'amendement n° 22 rectifié, présenté par M. Charasse, Mme N. Goulet et M. Fortassin, est ainsi libellé :
Rédiger comme suit le début du deuxième alinéa du texte proposé par cet article pour l'article 42 de la Constitution :
« Toutefois, la discussion en séance des projets de révision constitutionnelle, des projets de loi de finances, des projets de loi de financement de la sécurité sociale, des projets de loi relatifs aux ressources fiscales et sociales, des projets visés aux articles 35, 36 et 53 ainsi que des projets relatifs à la sécurité intérieure et extérieure porte, en première lecture… »
La parole est à M. Michel Charasse.
M. Michel Charasse. Le premier alinéa du texte proposé pour l’article 42 de la Constitution me paraît être un des éléments du texte qui nous est soumis – et ils sont nombreux – dont l’objet premier est d’empêcher le gouvernement de la France et d’empêcher le Gouvernement de gouverner.
Sous couvert d’accroître les pouvoirs du Parlement, ces dispositions n’accroissent rien du tout puisque, en fait, on ne fait que donner au Parlement des pouvoirs négatifs qui consistent à freiner, à ralentir, à bloquer, ce qui n’est pas de nature, me semble-t-il, à améliorer l’image des assemblées dans l’opinion publique. Même si les intentions du Gouvernement, au départ, étaient sans doute pures et sans arrière-pensées, le résultat demeure.
Pour éviter cette fâcheuse situation, je propose donc, par précaution, d’élargir au-delà des textes financiers la liste des textes qui doivent être soumis au Parlement sans résulter des travaux de la commission permanente saisie au fond.
Dans la rédaction qui nous est actuellement proposée, l’article 42 prévoit l’examen du texte de la commission pour tous les projets et propositions de loi hormis les projets de loi constitutionnelle, les projets de loi de finances et les projets de loi de financement de la sécurité sociale.
Mes chers collègues, je propose d’ajouter à la liste des exceptions les textes concernant les ressources fiscales et sociales, qui ne sont que des démembrements des lois de finances et des lois de financement de la sécurité sociale ; tous ceux qui concernent l’état d’urgence ou l’état de guerre ; les projets d’autorisation de ratification ou d’approbation des traités et accords ; et, bien évidemment, tous ceux qui touchent à la sécurité intérieure ou extérieure de l’État.
M. le président. L'amendement n° 469, présenté par MM. Frimat, Badinter, Bel, Collombat, Dreyfus-Schmidt, C. Gautier, Mauroy, Peyronnet, Sueur, Yung et les membres du groupe socialiste et apparentés, est ainsi libellé :
Supprimer le deuxième alinéa du texte proposé par cet article pour l'article 42 de la Constitution.
La parole est à M. Richard Yung.
M. Richard Yung. Nous nous inscrivons dans une logique différente de celle que vient de défendre notre collègue Michel Charasse et nous demandons la suppression du deuxième alinéa du texte proposé pour l’article 42 de la Constitution.
Deux raisons nous y poussent.
D’abord, l’argument des délais constitutionnels limités entourant l’adoption du budget de l’État et de celui de la sécurité sociale devrait conduire le Gouvernement à déposer les textes des projets de loi dans des délais convenables, c’est-à-dire suffisants pour permettre une vraie discussion et un examen approfondi par les commissions.
Ensuite, il n’est pas logique que les projets de loi constitutionnelle, les projets de loi de finances, les projets de loi de financement de la sécurité sociale ne puissent être examinés sur la base du texte adopté par la commission. C’est tout de même un paradoxe, quand nous sommes en train de discuter de la modernisation du travail du Parlement et du travail législatif… Alors qu’il est traditionnel de rappeler que l’une des prérogatives essentielles du Parlement est le vote de la loi de finances, voilà que l’on propose de l’en déposséder !
M. le président. L'amendement n° 114, présenté par M. Hyest, au nom de la commission des lois, est ainsi libellé :
Dans l'avant-dernier alinéa du texte proposé par cet article pour l'article 42 de la Constitution, remplacer les mots :
six semaines
par les mots :
deux mois
et les mots :
trois semaines
par les mots :
cinq semaines
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Monsieur le président, si vous le permettez, je présenterai en même temps les amendements nos 114, 115 et 116, qui forment un ensemble cohérent.
Le projet de loi constitutionnelle fixe pour la première fois des délais minimaux entre le dépôt ou la transmission d'un texte et son examen en séance publique, comme l’avait d’ailleurs suggéré le comité présidé par M. Balladur.
Ces délais sont nécessaires aujourd'hui. Ils deviendraient indispensables dès lors que le débat en séance publique s'engagerait non plus sur le texte du Gouvernement, mais sur celui de la commission.
On sait en effet que, actuellement, la commission se réunit en général dans la semaine qui précède l'examen en séance publique du texte dont elle est saisie. Après la révision constitutionnelle, il serait souhaitable que cette réunion intervienne au moins deux semaines avant la discussion en séance publique, afin de donner au Gouvernement et aux parlementaires non membres de la commission le temps de prendre connaissance des conclusions de la commission et de préparer leurs amendements.
À la lumière de ces observations, les délais prévus par le projet de loi, même allongés par l'Assemblée nationale, me paraissent trop courts, en particulier pour la seconde assemblée saisie. Celle-ci ne disposerait que de trois semaines entre la transmission et l'examen en séance publique : trois semaines pour que la commission organise les auditions, établisse le rapport et élabore le texte qu’elle présentera. Ni le Gouvernement ni les parlementaires n’auront alors le temps de faire part de leurs observations et de préparer leurs amendements.
Or, l'expérience nous l'enseigne, la lecture devant la première assemblée peut se traduire par d'importantes modifications, qui méritent souvent un examen très attentif… Le projet de loi de modernisation de l’économie nous en fournit un bon exemple : le texte issu des travaux de l’Assemblée nationale comportait bien des choses différentes et nouvelles par rapport au projet de loi initial !
L’amendement n° 114 tend donc à revenir aux délais proposés par le comité présidé par M. Édouard Balladur en fixant le délai à compter duquel peut intervenir la discussion en séance publique, en première lecture, à deux mois après le dépôt d'un projet de loi ou d'une proposition de loi devant la première assemblée saisie et à cinq semaines après la transmission devant la seconde assemblée saisie.
Par ailleurs, l'article 16 du projet de loi constitutionnelle prévoit que les délais minimaux ne s'appliqueraient pas dans le cas où la procédure accélérée serait décidée. En effet, il faudra vous y habituer, mes chers collègues : il n’y aura plus de déclaration d’urgence – qui portait d’ailleurs mal son nom et était souvent abusive puisque la seconde assemblée devait quelquefois attendre six mois, voire huit mois, avant d’être saisie !
La procédure accélérée, qui succède donc à la déclaration d’urgence, ayant pour effet de limiter à une seule lecture devant chaque assemblée l'examen d'un texte, il est à nos yeux d'autant plus nécessaire que les délais soient suffisants pour permettre un examen attentif des dispositions en cause.
C’est pourquoi la commission vous invite, au travers de l’amendement n° 115, à faire en sorte que les délais s’appliquent, y compris lorsque les textes font l'objet d'une procédure accélérée.
Demeurent les vraies urgences, pour lesquelles je vous propose une « soupape de sécurité » destinée à éviter des blocages injustifiés. L’amendement n° 116 a pour objet que, dans une telle situation, les délais soient levés ; le Gouvernement devrait cependant, au préalable, consulter la conférence des présidents de l'assemblée concernée.
Mes chers collègues, certains estimeront sans doute que ces délais sont trop longs. Mais il faut que nous puissions discuter ! Pour ma part, je suis très attaché à ces trois points : que la seconde assemblée saisie ne dispose pas seulement de la moitié du temps accordé à la première, car je ne vois pas au nom de quoi il en serait ainsi ; qu’en cas de procédure accélérée les délais soient d’autant plus importants, l’absence de navette permettant de toute façon de gagner un temps non négligeable ; que, lorsqu’un projet de loi est effectivement urgent, le Gouvernement puisse le faire examiner sans délai, après avoir consulté la conférence des présidents de l’assemblée concernée.
Telles sont les raisons pour lesquelles la commission des lois présente ce dispositif, qui lui paraît équilibré.
M. le président. L'amendement n° 403, présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
I. – Dans la première phrase de l'avant-dernier alinéa du texte proposé par cet article pour l'article 42 de la Constitution, remplacer les mots :
six semaines
par les mots :
deux mois
II. – Dans la seconde phrase du même alinéa, remplacer les mots :
de trois semaines
par les mots :
d'un mois
La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Cet amendement rejoint l’amendement n° 114 de la commission des lois, puisqu’il vise à permettre des délais minimaux suffisants pour un examen sérieux des projets ou propositions de loi. Donner plus de pouvoir au Parlement, c’est lui donner le temps nécessaire à ses travaux.
M. le président. L'amendement n° 470, présenté par MM. Frimat, Badinter, Bel, Collombat, Dreyfus-Schmidt, C. Gautier, Mauroy, Peyronnet, Sueur, Yung et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Dans la première phrase du troisième alinéa du texte proposé par cet article pour l'article 42 de la Constitution, remplacer les mots :
six semaines
par les mots :
huit semaines
La parole est à M. Bernard Frimat.
M. Bernard Frimat. Je défendrai en même temps les amendements nos 470 et 471, qui portent tous les deux sur les délais d’examen des textes.
J’avoue que cette discussion a un côté à la fois sympathique et surréaliste, car nous ne faisons pratiquement que travailler dans l’urgence, sauf sur ce texte, qui ne peut être débattu en urgence. On voit d’ailleurs que, pour le Gouvernement, il n’y a pas d’urgence, comme le montre son souci de nous laisser constamment du temps !
Il s’agit donc d’un exercice quelque peu curieux : on s’acharne à inscrire des délais dans la Constitution, mais personnellement je pense que ce n’est pas raisonnable, car, hormis pour les lois de finances, tout cela devrait relever naturellement d’une pratique apaisée du parlementarisme. Mais tel n’est pas le cas, le Gouvernement, à l’instar de ses prédécesseurs, utilisant de manière intensive la procédure d’urgence, en y recourant pour presque tous les textes. On voit d’ailleurs très souvent des textes adoptés en urgence attendre plus d’un an leurs décrets d’application ! L’urgence a simplement pour effet d’empêcher qu’il y ait deux lectures par le Parlement et de dégrader les conditions dans lesquelles nous légiférons.
De même, partir du texte de la commission est intéressant, mais cela implique tout de même que nous réfléchissions en profondeur sur la manière dont fonctionnent nos commissions et sur la présence du Gouvernement lors de leurs réunions, ainsi que sur le fait de savoir si le droit d’amendement qui s’exerce en commission limite le droit d’amendement en séance publique. Nous serons très vigilants sur ce point.
Par ailleurs, l’importance du travail en commission nécessitera que nous obtenions certaines facilités.
L’article 16 vise, en apparence, à donner du temps au Parlement. Il n’y aura plus d’urgence, mais seule la constitutionnalisation va nous permettre d’échapper à ce qui, autrement, serait un serment d’ivrogne…
En effet, est-il nécessaire que le Gouvernement y soit obligé par la Constitution pour ne pas déclarer l’urgence ? Non ! Est-il nécessaire qu’il soit contraint par la Constitution, lui qui est maître de l’ordre du jour, de bâtir des ordres du jour qui nous permettent d’avoir du temps pour travailler ? Non !
En exerçant ses prérogatives avec discernement, il aurait aujourd'hui tout pouvoir de demander l’urgence quand c’est nécessaire, de nous donner du temps quand nous en avons besoin.
En réalité, la pratique est telle que l’on va devoir demander à la Constitution d’imposer au Gouvernement ce qu’il pourrait faire normalement, sans contrainte.
L’amendement n° 471 est satisfait par l’amendement n° 114 de la commission.
Quant à l’amendement n° 470, je me permettrai, par souci de clarification, de le transformer en un sous-amendement à l’amendement n° 114, visant à remplacer les mots : « deux mois » par les mots : « huit semaines ». En effet, je pense que, du point de vue du rythme du travail parlementaire, il vaut mieux compter en semaines plutôt qu’en mois, notamment à cause de la brièveté désespérante du mois de février !
M. le président. Je suis donc saisi d’un sous-amendement n° 470 rectifié, présenté par MM. Frimat, Badinter, Bel, Collombat, Dreyfus-Schmidt, C. Gautier, Mauroy, Peyronnet, Sueur, Yung et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, et ainsi libellé :
Dans le quatrième alinéa de l'amendement n° 114, remplacer les mots :
deux mois
par les mots :
huit semaines
Veuillez poursuivre, monsieur Frimat.
M. Bernard Frimat. Par ailleurs, je tenais à dire à M. le secrétaire d'État que si Robert Badinter, Richard Yung et moi-même sommes seuls présents sur les travées du groupe socialiste, c’est parce que se déroulent en ce moment l’équivalent de nos journées parlementaires. Cela explique en particulier que le président de notre groupe, Jean-Pierre Bel, soit absent de l’hémicycle. Il nous rejoindra dès qu’il le pourra.
L’Assemblée nationale ne siège pas. Nous avons, quant à nous, accepté de siéger sous d’amicales pressions pour que ce texte soit examiné dans les temps, mais nous souhaiterions que la discussion de l’article 18, qui est un texte très important pour la vie même du Parlement, puisqu’il traite du droit d’amendement, puisse se tenir alors que nos rangs seront plus fournis.
M. le président. L’amendement n° 471, présenté par MM. Frimat, Badinter, Bel, Collombat, Dreyfus-Schmidt, C. Gautier, Mauroy, Peyronnet, Sueur, Yung et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Dans la seconde phrase du troisième alinéa du texte proposé par cet article pour l’article 42 de la Constitution, remplacer les mots :
trois semaines
par les mots :
cinq semaines
Cet amendement a déjà été défendu.
L'amendement n° 115, présenté par M. Hyest, au nom de la commission des lois, est ainsi libellé :
Dans le dernier alinéa du texte proposé par cet article pour l'article 42 de la Constitution, supprimer les mots :
si la procédure accélérée a été déclarée dans les conditions prévues à l'article 45. Elles ne s'appliquent pas non plus
Cet amendement a déjà été défendu.
L'amendement n° 23 rectifié, présenté par M. Charasse, Mme N. Goulet et M. Fortassin, est ainsi libellé :
Rédiger comme suit la dernière phrase du dernier alinéa du texte proposé par cet article pour l'article 42 de la Constitution :
Elles ne s'appliquent pas non plus aux projets de loi de finances, aux projets de loi de financement de la sécurité sociale, aux projets relatifs aux états de crise et aux autres projets visés au deuxième alinéa du présent article.
La parole est à M. Michel Charasse.
M. Michel Charasse. C’est un amendement de conséquence de l’amendement n° 22 rectifié. Si l’amendement n° 22 rectifié n’est pas adopté, l’amendement n° 23 rectifié n’aura plus d’objet.
M. le président. L’amendement n° 311 rectifié, présenté par MM. Lambert et Marini, est ainsi libellé :
Dans la seconde phrase du dernier alinéa de cet article, supprimer les mots :
aux projets de loi de finances, aux projets de loi de financement de la sécurité sociale et
Cet amendement n’est pas soutenu.
L'amendement n° 472, présenté par MM. Frimat, Badinter, Bel, Collombat, Dreyfus-Schmidt, C. Gautier, Mauroy, Peyronnet, Sueur, Yung et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
À la fin de la seconde phrase du dernier alinéa du texte proposé par cet article pour l'article 42 de la Constitution, supprimer les mots :
et aux projets relatifs aux états de crise
La parole est à M. Bernard Frimat.
M. Bernard Frimat. Cet amendement vise à supprimer la référence aux états de crise, parce qu’il ne s’agit pas d’une notion reconnue et précise. Je sais ce qu’est l’état de siège, il figure dans la Constitution. Je sais ce qu’est l’état d’urgence : on a voulu le définir dans la Constitution, mais vous avez refusé, objectant que la jurisprudence du Conseil d’État suffisait.
Qu’est-ce qu’un « état de crise » ? La crise des subprimes ou l’état financier particulièrement préoccupant de la France font-ils que nous sommes dans un état de crise ? Le « non » au référendum en Irlande fait-il que l’Europe est dans un état de crise ? Le déficit de la sécurité sociale nous plonge-t-il dans un état de crise ? Nos relations avec les pays africains font-elles qu’un certain nombre de situations précises sont caractérisées par un état de crise ? Je vous épargnerai, mes chers collègues, la crise des valeurs, la crise morale et la crise de foi, ce dernier mot pouvant prendre plusieurs orthographes…
Par conséquent, pour nous, « état de crise » est une formule qui n’a pas de valeur juridique.
Certes, depuis le début de nos travaux, vous ne faites que truffer la Constitution de termes qui manquent de précision juridique. Si l’état de crise n’est pas défini, cela signifie que c’est le Conseil constitutionnel qui va se charger de préciser les choses. Nous délibérons donc dans le flou, nous en remettant en fait au Conseil constitutionnel.
Lors de la crise dans les banlieues, le gouvernement Villepin – j’ai parfois envie de vous rappeler qu’il y a eu un gouvernement Villepin, un gouvernement Raffarin et que la majorité est arrivée au pouvoir non pas en 2007, comme elle a tendance à le croire, mais en 2002 – a pris la décision de déclarer l’état d’urgence.
Tant que nous ne saurons pas ce que signifie précisément l’expression « état de crise », il ne me semble pas raisonnable de l’inscrire dans la Constitution.
M. le président. L’amendement n° 116, présenté par M. Hyest, au nom de la commission des lois, est ainsi libellé :
Compléter le dernier alinéa du texte proposé par cet article pour l’article 42 de la Constitution par les mots :
ainsi qu’aux projets et propositions de loi pour lesquels le Gouvernement estime, après consultation de la conférence des présidents de l’assemblée concernée, qu’ils répondent à une situation urgente
Cet amendement a déjà été défendu.
Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. L’amendement n° 202 est paradoxal, car l’article 16 donne des droits nouveaux au Parlement : la discussion en séance publique sur la base du texte de la commission est une avancée très importante. Certains ont dit que c’était une des dispositions essentielles du texte et que cela va complètement transformer les relations entre le Parlement et le Gouvernement, avec de nombreuses conséquences qu’il faudra traduire dans la loi organique et, bien entendu, dans le règlement de nos assemblées. C’est incontestablement l’une des questions les plus importantes de la révision constitutionnelle.
L’article 16 introduit également des délais minimaux pour donner aux commissions et aux parlementaires un temps suffisant avant l’examen en séance publique.
Le fait que le débat s’engage en séance publique sur les conclusions de la commission n’interdira en rien l’exercice du droit d’amendement. Il faudra même, au contraire, grâce aux délais prévus par la commission, veiller au fait que les parlementaires disposent du temps suffisant pour prendre connaissance des conclusions de la commission avant le débat en séance publique.
Pour toutes ces raisons, la commission demande le retrait de l’amendement.
L’amendement n° 203 va dans le sens des souhaits de la commission. Cependant, celle-ci propose des délais encore plus favorables pour la seconde assemblée saisie. Elle demande donc aux auteurs de l’amendement de le retirer.
J’en viens à l’amendement n° 398 rectifié.
M. Pierre Fauchon. Je le retire, monsieur le président.
M. le président. L’amendement n° 398 rectifié est retiré.
Veuillez poursuivre, monsieur le rapporteur.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. J’indique néanmoins que nous partageons les préoccupations de M. About mais que cette précision a sa place dans le règlement.
L’amendement n° 22 rectifié vise à restreindre le nombre de textes pour lesquels le débat s’engagerait sur les conclusions adoptées par la commission.
Cette restriction n’est pas indispensable pour les textes concernant les autorisations de ratification d’un accord international, qui prennent le plus souvent la forme d’un article unique.
Elle n’est pas adaptée pour les déclarations de guerre ou d’état de siège, qui sont données sous la forme d’une autorisation, et non sous celle d’une loi.
Enfin, cette restriction paraît excessive s’agissant des projets relatifs à la sécurité intérieure ou à la sécurité extérieure, dont on ne voit pas pourquoi ils ne pourraient être discutés sur la base du texte de la commission. La sécurité intérieure, c’est très large ! S’agit-il de la sécurité civile, de la police ?
Quant aux textes sur la sécurité extérieure, s’agit-il des accords internationaux ? On a parlé des accords de défense, je pense qu’il ne faut pas les mettre dans la même catégorie.
M. Michel Charasse. C’est l’article 53 !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Oui, mais je pense qu’il faut distinguer les choses. La commission demande donc le retrait de l’amendement ; à défaut elle émettra un avis défavorable, monsieur Charasse, ce qui me désolerait !
S’agissant de l’amendement n° 469, les exceptions concernant les lois de finances et de financement de la sécurité sociale sont justifiées. L’avis est défavorable. Je rappelle tout de même que l’article 40 a été maintenu, heureusement.
M. Michel Charasse. La République avait été adoptée par une seule voix !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. J’étais sûr que vous alliez le rappeler !
L’amendement n° 403 est pour partie satisfait par l’amendement n° 114 de la commission, mais le délai est inférieur à celui qui est prévu pour la seconde assemblée saisie. La commission demande le retrait.
S’agissant du sous-amendement n° 470 rectifié, la commission émet un avis favorable.
En ce qui concerne l’amendement n° 471, le délai est identique à celui qui est prévu par la commission. Il est donc satisfait.
L’amendement n° 23 rectifié est la conséquence de l’amendement n° 22 rectifié. L’avis est donc le même.
Quant à l’amendement n° 472, les états de crise correspondent à des situations d’urgence. Je pense qu’il faut conserver ce terme, qui justifie que les délais soient levés. En tout état de cause, la commission a prévu, quand il y a urgence, que tous les délais soient levés, ce qui est un peu différent du raisonnement de l’Assemblée nationale.
Monsieur le président, pour faire gagner un peu de temps au Sénat, la commission demande la priorité pour le vote de ses trois amendements.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement sur cette demande de priorité formulée par la commission ?
M. le président. La priorité, de droit, est ordonnée.
Quel est l’avis du Gouvernement sur les amendements en discussion commune ?
M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. L’article 16 du projet de loi constitutionnelle est essentiel.
D’aucuns concèdent qu’il constitue une avancée modeste, ce qui est plutôt mieux que ce qu’ils veulent bien reconnaître d’habitude ; d’autres estiment qu’il ne va pas assez loin. Mais on ne va jamais assez loin ! Et pourtant, mesdames, messieurs les sénateurs, décider que c’est sur la base du texte issu des travaux de la commission que les parlementaires se prononceront désormais en séance publique, c’est une véritable révolution pour le Parlement.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. C’est vrai !
M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. Certes, certains souhaitent disposer de délais supplémentaires pour examiner le projet de loi de finances ou le projet de loi de financement de la sécurité sociale. Mais l’examen en séance plénière du texte amendé par la commission – en réalité, bien des amendements déposés par tous les groupes y auront été intégrés – inverse en quelque sorte la charge des amendements. C’est en effet au Gouvernement qu’il incombera, s’il souhaite revenir au texte initial, de défendre sa position et d’amender le texte.
Il s’agit donc, et je le constate avec bonheur, d’une vraie révolution dans la relation entre l’exécutif et le législatif, qui va jouer dans le sens de la valorisation du travail parlementaire.
Mme Isabelle Debré. C’est vrai !
M. Pierre Fauchon. Absolument !
M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. Monsieur le rapporteur, je comprends votre souci d’allonger le délai entre la transmission du texte et son examen en séance publique, mais je suis au regret de vous dire que le Gouvernement est défavorable à cette proposition.
Je le rappelle, nous partons d’une situation dans laquelle il n’y a quasiment pas de délai.
Dans le texte initial, le Gouvernement a fixé un délai de un mois après le dépôt du projet ou de la proposition de loi devant la première assemblée et un délai de deux semaines à compter de sa transmission pour son examen devant la seconde assemblée.
Dans la rédaction de l’article 16 telle qu’elle est issue des travaux de l'Assemblée nationale, le délai est passé de un mois à six semaines pour la première assemblée, et de deux semaines à trois semaines pour la seconde.
Je le reconnais bien volontiers, le Gouvernement déclare souvent l’urgence ou tente, d’une certaine manière, de maîtriser des délais qui ne sont pas actuellement fixés. Cependant, il a déjà accepté en grande partie la rédaction issue des travaux du comité Balladur, puis celle qui a été proposée par M. Warsmann à l'Assemblée nationale visant à allonger encore les délais.
Faut-il aller encore au-delà, comme le demande la commission des lois du Sénat, et retenir des délais de deux mois et de cinq semaines ?
Heureusement qu’il n’y a pas de troisième assemblée, sinon je me verrais proposer un délai de trois mois pour la première assemblée, et de deux mois pour la seconde ! (Sourires.)
M. Michel Charasse. Sous la ive, il y en avait quatre !
M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. D’ici à la deuxième lecture, nous verrons comment la réflexion évolue. Pour l’heure, le Gouvernement est défavorable à tous les amendements ayant pour but d’allonger les délais, même s’il comprend les arguments de leurs auteurs.
M. Bernard Frimat. Défavorable à tout !
M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. Quant à l’amendement de suppression de l’article 16, je comprends mal, madame Borvo, que l’on puisse tout à la fois reconnaître que cet article constitue une avancée, même légère, et en demander la suppression. C’est absurde !
Voilà pourquoi, monsieur le président, le Gouvernement est défavorable à l’ensemble des amendements en discussion commune et du sous-amendement.
M. le président. La parole est à M. Bernard Frimat, pour explication de vote sur le sous-amendement n° 470 rectifié.
M. Bernard Frimat. M. le secrétaire d’État est fidèle à lui-même : ouvert et tout en rondeur pour présenter les arguments du Gouvernement, il émet un avis défavorable sur tout. Ouvert, heureux, mais défavorable, voilà qui résume son attitude sur l’ensemble du texte ! (M. le secrétaire d’État rit.)
J’aimerais, un court instant, plaider en faveur de la qualité du travail parlementaire et demander à M. le rapporteur, puisqu’il en a le pouvoir, de modifier sa position.
Je m’explique, en distinguant les deux délais.
Si l'Assemblée nationale se satisfait de six semaines pour le premier délai, ne soyons pas plus royalistes que le roi et restons-en là ! Nous connaissons tous les qualités intellectuelles des députés et, si ces derniers ont estimé qu’ils pourraient travailler en six semaines, ce serait, à la limite, leur faire injure que de leur dire qu’ils en ont besoin de huit ! (Sourires.)
Si M. le rapporteur me rejoint sur ce point, nous vous faisons gagner deux semaines, monsieur le secrétaire d’État : ce n’est pas négligeable !
Il en va tout autrement pour le second délai, s’agissant donc de la seconde assemblée saisie. Pour illustrer mon propos, je prendrai un exemple, celui du projet de loi de modernisation de l’économie. Ce texte comportait initialement 44 articles ; après examen par l'Assemblée nationale, il en compte plus de 110, soit, comme c’est souvent le cas, une croissance extraordinaire.
Cela signifie que, lorsque le Sénat est la seconde assemblée saisie, il peut être confronté à un texte complètement transformé qui rend vain le travail préparatoire accompli sur le projet de loi initial. Certes, je sais que vous pouvez faire face, monsieur le rapporteur, vous qui êtes capable de présenter des rapports du jour au lendemain et même de rendre en huit jours, au nom de la commission des lois, le rapport sur ce que l’on nous dit être la révision constitutionnelle la plus importante présentée depuis longtemps !
En résumé, monsieur le rapporteur, tout en laissant à l’Assemblée nationale le délai de six semaines qui lui convient, ne serait-il pas possible d’allonger le délai de trois semaines prévu pour l’examen du texte par la seconde assemblée ?
Je ne vais pas modifier mon sous-amendement, mais je vous pose la question parce qu’elle relève davantage, me semble-t-il, de votre responsabilité.
Cela étant, j’ai le sentiment que la deuxième lecture au Sénat aura un caractère très symbolique (M. le secrétaire d’État fait une moue dubitative.). En effet, le Gouvernement ne tardera pas à se rendre compte qu’il ne recueillera pas la majorité des trois cinquièmes à Versailles et va donc, pour essayer de solidifier sa majorité, faire des concessions aux sénateurs et aux députés. Je ne pense pas que nous serons invités à ces réunions ; nous ne le demandons d’ailleurs pas !
M. Bernard Frimat. Donc, lorsque ce texte nous reviendra, un accord aura été trouvé avec les sénateurs de l’UMP et la deuxième lecture sera plus formelle que réelle.
C’est la raison pour laquelle je me permets d’insister sur le fait que nous avons peut-être là l’occasion de faire une avancée. Très honnêtement, je ne pense pas que les députés s’interrogent, au cours de la navette, sur le temps dont disposera le Sénat pour examiner un texte. Eu égard au maigre délai qui nous a été accordé, peut-être pourrions-nous trouver un compromis, c'est-à-dire six semaines pour l'Assemblée nationale et quatre ou cinq semaines pour le Sénat ? Cette solution serait nettement plus acceptable.
M. le président. Je mets aux voix le sous-amendement n° 470 rectifié.
(Le sous-amendement est adopté.)
M. le président. La parole est à M. Michel Charasse, pour explication de vote sur l'amendement n° 114.
M. Michel Charasse. Je ferai une explication de vote sur les trois amendements de la commission.
Ces trois amendements entraînent, avec le concours du sous-amendement qui vient d’être voté, un allongement des délais avant que les assemblées n’examinent les textes. Mais je voudrais savoir si une étude d’impact a été effectuée sur les conséquences de ces délais sur les travaux parlementaires, …
M. Michel Charasse. … notamment à la lumière de tous les textes examinés lors des sessions précédentes. Avec ces délais, combien va-t-on voter de textes par rapport à la situation actuelle ? Personne n’a fait ce calcul.
Si l’on se retrouve, à la fin de la session de neuf mois, à avoir péniblement réussi à voter une dizaine de lois, alors qu’il y en a vingt, trente ou plus en attente, ce ne sera pas la peine ensuite d’encombrer les séances de questions d’actualité au Gouvernement pour protester contre le Gouvernement parce que l’on n’examine pas tel projet ou tel autre ! (M. Roger Romani applaudit.)
Je me permets d’insister pour que l’amendement n° 116 soit retenu parce qu’il fait allusion aux textes qui répondent à une situation urgente.
Je citerai un exemple. En 1978, la France a signé l’accord conclu au sein du Conseil des gouverneurs du Fonds monétaire international le 22 mars 1976 tendant à augmenter la quote-part des États membres et, du même coup, les droits de vote. Ce texte a été notifié à la France le 1er avril 1978, deux ans après, et les États avaient un mois pour l’approuver, faute de quoi il pouvait entrer en vigueur automatiquement, mais sans augmentation du nombre de voix pour les États qui ne l’auraient pas formellement approuvé au plus tard le 30 avril 1978.
Le texte est arrivé devant l'Assemblée nationale dans les derniers jours du mois d’avril. Il a été voté en urgence le lendemain de son dépôt. Le Conseil constitutionnel a été saisi le 27 avril, en fin d’après-midi. Il a rendu sa décision le 29 avril dans la matinée, et la loi a été immédiatement signée pour paraître le 30 avril et permettre à la France d’obtenir les voix supplémentaires que lui donnait l’accord qu’elle avait conclu.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Et l’urgence ?
M. Michel Charasse. Avec votre texte, vous ne pourrez plus faire cette opération, monsieur le secrétaire d'État !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Mais si ! Ce sera possible avec ce que j’ai proposé !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Mais si !
M. Michel Charasse. Sauf, en effet, à accepter l’amendement n° 116 de la commission.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Voilà !
M. Michel Charasse. Je vous en supplie, ne lions pas à ce point les mains de la France ! Et laissons un peu de mou pour permettre au Gouvernement, comme au Parlement, d’ailleurs, de disposer du minimum nécessaire pour que nous assumions nos responsabilités à tous égards. (MM. Christian Cointat, Charles Pasqua et Jacques Gautier applaudissent.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Je ne peux pas laisser dire que le Gouvernement ne pourra plus gouverner ! Nous allons simplement être obligés de nous doter d’un programme législatif…
M. Michel Charasse. On fait le programme législatif en fonction de la rue et des journaux !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Justement, je ne souhaite pas qu’on légifère en fonction de la rue et des journaux !
M. Michel Charasse. C’est un vœu pieux !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. La commission des lois ne souhaite absolument pas gêner l’action du Gouvernement, mais la procédure accélérée exige un examen attentif, car il n’y a qu’une lecture.
Contrairement à l'Assemblée nationale, j’ai prévu une soupape de sécurité pour permettre au Gouvernement, en cas d’urgence, de nous proposer le texte dans les délais les plus brefs. Vous avez cité un exemple, monsieur Charasse, mais on pourrait en prendre de nombreux autres ! Ce dispositif me paraît beaucoup plus souple.
Dans la procédure normale, on a prévu des délais, dont on rediscutera avec les députés, monsieur le secrétaire d'État. D’ailleurs, je tiens à dire à nos collègues députés que le Sénat est quelquefois la première assemblée saisie, notamment pour ce qui concerne les textes relatifs aux collectivités territoriales. Peut-être alors les députés auront-ils aussi envie de bénéficier d’un délai supplémentaire !
Franchement, ne nous dites pas, monsieur Frimat, qu’il sera impossible de gouverner, je n’y crois pas. Lors de la navette, nous allons essayer de trouver avec le Gouvernement et l'Assemblée nationale une formule raisonnable.
M. Roger Romani. Ah !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Ou alors on en reste à la situation actuelle ! Mais, si nous décidons de nous prononcer dorénavant sur la base du texte issu des travaux de la commission, nous devons prévoir des délais, sinon, il sera impossible de légiférer.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Le Gouvernement nous propose un délai qui nous semble un peu court. Surtout, et ce que l'Assemblée nationale n’a pas fait, il faut, comme nous le propose à juste titre M. Charasse en insistant sur l’importance de l’amendement n° 116, prévoir une soupape de sécurité. La procédure d’urgence n’en était pas réellement une, les députés ayant d’ailleurs parlé de « procédure accélérée ». La procédure d’urgence vaut lorsqu’il y a vraiment urgence. C’est pourquoi je vous demande vraiment, mes chers collègues, de voter ces trois amendements qui forment un ensemble.
M. Jean-Pierre Fourcade. Absolument !
M. Michel Charasse. On intègre l’amendement n° 116 !
M. le président. La parole est à M. Pierre Fauchon, pour explication de vote.
M. Pierre Fauchon. Ce point est important, non pas tant sur la question des délais, mais sur le principe, qui est capital, de l’examen du texte adopté par la commission saisie.
Monsieur Charasse, le fait de fixer des délais n’aura pas d’incidence sur le nombre de lois que nous adopterons.
M. Michel Charasse. Je ne sais pas !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Leur examen s’étalera dans le temps !
M. Pierre Fauchon. Réduisez de moitié la vitesse des trains qui circulent en France, leur nombre restera le même ; nous aurons seulement davantage de temps pour les regarder ! (Sourires.)
Nous constaterons peut-être une baisse durant la période transitoire, mais, une fois celle-ci passée, nous disposerons de plus de temps et nous serons en mesure d’examiner le même nombre de textes !
Le dispositif de la commission, assorti de la soupape que constitue l’amendement n° 116, qui est certainement nécessaire, est excellent.
J’insiste sur l’importance du premier alinéa de l’article 16, par lequel le Gouvernement propose que nos délibérations portent sur le texte adopté par la commission. Dans la pratique, il s’ensuivra un changement de climat.
Sur le fond, ce changement témoigne de la volonté du Gouvernement de ne pas envahir, de ne pas « oblitérer » le travail du Parlement, mais d’admettre au contraire que les parlementaires font leur travail et assument leurs responsabilités. Dès lors, c’est à partir du texte qui sera adopté par la commission saisie que se fera la discussion.
Un tel témoignage de confiance mérite d’être salué. Ce changement, qui est un symbole fort, contribuera vraiment à rééquilibrer les pouvoirs entre l’exécutif et le législatif, non seulement sur les plans pratique, technique et politique au sens politicien, mais aussi sur les plans moral et politique dans le meilleur sens du terme.
Par conséquent, je salue cette mesure, que je crois véritablement l’une des plus significatives de la révision proposée.
M. le président. En conséquence, les amendements nos202, 203, 22 rectifié, 403 et 471 n’ont plus d’objet.
Je mets aux voix l'amendement n° 115.
(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, les amendements nos23 rectifié et 472 n’ont plus d’objet.
Je mets aux voix l'amendement n° 469.
(L'amendement n'est pas adopté.)
M. Bernard Frimat. On ne sait toujours rien à propos de l’état de crise !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C’est dommage !
Article 17
Dans le second alinéa de l'article 43 de la Constitution, le mot : « six » est remplacé par le mot : « huit ».
M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L'amendement n° 117, présenté par M. Hyest, au nom de la commission des lois, est ainsi libellé :
Rédiger comme suit cet article :
L'article 43 de la Constitution est ainsi rédigé :
« Art. 43.- Les projets et propositions de loi sont envoyés pour examen à l'une des commissions permanentes dont le nombre est limité à huit dans chaque assemblée.
« À la demande du Gouvernement ou de l'assemblée qui en est saisie, les projets ou propositions de loi sont envoyés pour examen à des commissions spécialement désignées à cet effet. »
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Afin de prendre en compte la réalité de la pratique institutionnelle et de mieux mettre en valeur le rôle des commissions permanentes, en cohérence avec l'esprit du projet de loi, la commission des lois vous propose d'inverser l'ordre des deux alinéas de l'article 43 de la Constitution et de reconnaître aux commissions permanentes – et non aux commissions spéciales – la compétence de principe pour examiner les textes de loi.
C’est ce qui se pratique depuis plus de quarante ans avec la Constitution de 1958.
M. le président. L'amendement n° 367, présenté par Mmes Boumediene-Thiery, Blandin et Voynet et MM. Desessard et Muller, est ainsi libellé :
Dans cet article, remplacer le mot :
huit
par le mot :
dix
La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.
Mme Alima Boumediene-Thiery. L’objet de cet amendement est très simple : il est de porter à dix le nombre de commissions permanentes au sein de chaque assemblée.
M. Michel Charasse. Il va en falloir, des chauffeurs !
Mme Alima Boumediene-Thiery. Je me permets de vous rappeler que ce nombre est un plafond et non une obligation. Libre aux assemblées de fixer, dans leur règlement, le nombre des commissions dans la limite de dix.
Si, pour des raisons historiques, il est nécessaire de plafonner le nombre de commissions, il serait dommage de se priver, pour le long terme, de la possibilité de désengorger certaines commissions qui sont de plus en plus surchargées de travail. Le rythme effréné que nous avons connu ces dernières semaines, notamment en commission des lois, l’atteste largement.
Mes chers collègues, je vous demande de bien vouloir réfléchir au fait qu’un nombre accru de commissions, même si ce nombre est plafonné, nous permettrait de travailler avec davantage d’aisance.
M. le président. Quel est l’avis de la commission sur l’amendement n° 367 ?
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Lors de la préparation de la Constitution de 1958, le Comité consultatif constitutionnel avait déjà réfléchi à la limitation du nombre des commissions.
Au Sénat, même si les commissions ont une importante charge de travail, nous parvenons tout à fait à mener notre tâche à bien. Souvenez-vous ce que pensait le général de Gaulle à ce sujet : « une commission, un lobby », comme dans certains Parlements !
Nous proposons déjà de passer de six à huit commissions, ce qui n’est pas mal. Personnellement, je ne souhaite pas aller au-delà.
Certes, on n’est jamais obligé d’aller jusqu’au maximum. Mais, comme lorsque l’on fixe une fourchette, il est difficile de résister à la tentation et le plafond est vite atteint. Souvenez-vous le débat que nous avons eu à propos de la dose de proportionnelle pour l’élection des députés !
Par conséquent, le nombre de huit commissions est suffisant ; de plus, il permettra de résoudre les problèmes que rencontre l’Assemblée nationale !
M. Michel Charasse. Même celui du nombre de chauffeurs ?
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. La parole est à M. Bernard Frimat, pour explication de vote.
M. Bernard Frimat. Permettez-moi de prendre, sous votre contrôle, l’exemple du Sénat. Nous avons actuellement six commissions permanentes, trois offices et six délégations, soit quinze structures. (M. le rapporteur fait un signe d’approbation.)
Si l’on veut aller dans le sens d’une augmentation de ces structures, il ne faudra pas manquer de s’interroger non plus seulement sur leur nombre mais aussi sur leur nature. Ce débat viendra peut-être en son temps, si la révision constitutionnelle est adoptée.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Ce dont nous ne doutons pas !
M. Bernard Frimat. C’est donc un débat qui a assez peu de chance d’avoir lieu, monsieur Karoutchi !
M. Bernard Frimat. J’essaie de vous encourager constamment - cela s’appelle la méthode Coué – à penser que votre révision n’a aucune chance, ce dont vous devriez finir par être convaincu en sortant d’ici !
M. Bernard Frimat. Donc, même si le problème que je vais évoquer doit trouver sa solution à un autre moment, il nécessite que nous y réfléchissions d’ores et déjà. C’est la raison pour laquelle je me permets de l’évoquer à l’occasion de cette explication de vote.
La Délégation parlementaire pour l’Union européenne serait transformée en commission par l’Assemblée nationale et en « Comité des affaires européennes » au Sénat. Il est bien évident que le rapporteur ne compte pas ce comité au nombre des commissions supplémentaires qui pourraient être créées, ...
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Bien évidemment non !
M. Bernard Frimat. … étant donné son caractère éminemment transversal, contrairement aux commissions. Ou alors, les affaires européennes, qu’elles soient délégation ou comité, pourraient bientôt englober toutes les compétences des autres commissions.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Tout à fait !
M. Bernard Frimat. Il existe incontestablement une demande pour passer de six à huit commissions. Un tel changement peut se concevoir s’il n’aboutit pas à dépeupler davantage les commissions permanentes, qui, à certains moments, sont déjà bien assez désertées. C’est aussi un élément à prendre en compte.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Pas trop !
M. Bernard Frimat. Mais vous avez déjà exprimé votre volonté de voir le cumul se poursuivre et donc d’aider par là même nos commissions à se vider de leurs commissaires...
Il y a là matière à réflexion, mes chers collègues.
Cela dit, nous voterons le passage à huit, car nous sommes d’accord avec cette extension du nombre des commissions permanentes, mais encore ne faudrait-il pas trop multiplier le nombre des délégations.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Je suis d’accord !
M. Bernard Frimat. Je vous rappelle qu’il existe, dans cette maison, un office qui ne réunit que les groupes de la majorité et dont les travaux n’engagent par conséquent, à nos yeux, que la majorité !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Ce n’est qu’un observatoire !
M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour explication de vote.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Personnellement, je ne suis pas du tout favorable à une augmentation inconsidérée du nombre des commissions.
Mes chers collègues, il y a tout de même un problème : quand la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale a émis un avis défavorable sur le projet de loi constitutionnelle, seulement quatre députés étaient présents ! Alors, n’exagérons pas !
Au nom des groupes peu nombreux, je suis vraiment opposée à l’augmentation du nombre des commissions.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Parce que vous ne pourriez pas y siéger !
M. le président. En conséquence, l’article 17 est ainsi rédigé et l'amendement n° 367 n'a plus d'objet.
Article additionnel après l'article 17
M. le président. L'amendement n° 24 rectifié, présenté par M. Charasse, Mme N. Goulet et MM. Fortassin et Marsin, est ainsi libellé :
Après l'article 17, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L'article 43 de la Constitution est complété par deux alinéas ainsi rédigés :
« La loi fixe les modalités de création et de fonctionnement des commissions parlementaires d'enquête qui peuvent être créées dans chaque assemblée, notamment leur composition, leurs pouvoirs et leur durée. Elle fixe également les règles relatives aux délégations parlementaires permanentes.
« Les commissions chargées de vérifier et d'apurer les comptes des assemblées sont instituées et organisées par le règlement de chaque assemblée. »
La parole est à M. Michel Charasse.
M. Michel Charasse. Comme je l’ai indiqué la semaine dernière, ou plus exactement rappelé, Michel Debré, l’un des principaux auteurs de la Constitution de 1958, a reconnu lui-même que, dans la précipitation qui a marqué l’élaboration des institutions de la Ve République, c’est-à-dire quelques mois d’été en 1958, plusieurs dispositions essentielles pour les assemblées et le régime parlementaire avaient été oubliées dans la Constitution.
On a trouvé la solution en inscrivant tout ce que l’on avait oublié dans l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires. Mais celle-ci n’a pas valeur constitutionnelle, naturellement, et elle n’a même pas valeur organique ; c’est simplement une loi ordinaire.
À propos de ce texte que les questeurs connaissent bien, puisque c’est là qu’ils trouvent une partie du fondement de leurs prérogatives, le Conseil constitutionnel a dit qu’il ne s’agissait pas vraiment d’une loi organique, mais que ce n’était pas vraiment une loi ordinaire non plus, qu’elle est un peu entre les deux, car elle traite de principes institutionnels fondamentaux.
Parmi les oublis qu’il regrettait, Michel Debré a souvent cité lui-même les commissions d’enquête parlementaires et les commissions de contrôle, essentielles au contrôle parlementaire.
Par l’amendement n° 24 rectifié, je propose donc d’inscrire les seules commissions d’enquête dans la Constitution, puisque le Parlement a renoncé de lui-même, depuis longtemps, à la formule imprécise et compliquée des commissions de contrôle. Inscrivons donc dans la Constitution les commissions d’enquête !
Mes chers collègues, je vous suggère d’en profiter pour préciser aussi qu’en vertu du principe d’autonomie des assemblées parlementaires chaque assemblée comporte une commission chargée de vérifier et d’apurer ses comptes, dont les modalités de fonctionnement sont organisées par le règlement de chaque assemblée. Cela mettra un terme à un certain nombre d’incertitudes actuelles qui ne devraient d’ailleurs pas exister si certains ne s’ingéniaient pas à les créer pour abattre un pan essentiel de la séparation des pouvoirs !
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Comme je l’ai indiqué précédemment dans nos débats – et le Gouvernement était d’accord –, nous souhaitons réfléchir sur la reconnaissance constitutionnelle des commissions d’enquête, actuellement prévues par l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, et, à cette occasion, sur les droits qui seraient reconnus aux groupes minoritaires ; c’était aussi notre réflexion de la semaine dernière.
Il ne me semble pas souhaitable que nous préjugions des résultats de cette réflexion en adoptant cet amendement, mais nous trouverons une solution !
Par ailleurs, il n’est pas nécessaire de donner une consécration constitutionnelle aux délégations parlementaires permanentes et aux commissions chargées de vérifier et d’apurer les comptes des assemblées.
Par conséquent, mon cher collègue la commission, à son grand regret, émet un avis défavorable sur votre amendement.
M. Michel Charasse. Bref, c’est bien de penser aux commissions d’enquête, mais on en parlera quand on aura le temps !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Non ! On en reparlera avant la fin de nos débats !
M. Michel Charasse. Et l’autonomie comptable ?
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. Le Gouvernement a exactement le même avis que la commission.
Je demande vraiment à M. Charasse de bien vouloir retirer son amendement, au bénéfice des explications et des engagements du rapporteur, qui sont aussi ceux du Gouvernement.
M. le président. Monsieur Charasse, l'amendement n° 24 rectifié est-il maintenu ?
M. Michel Charasse. Si la navette n’est pas close, je le retire, monsieur le président.
M. le président. L'amendement n° 24 rectifié est retiré.
Article 18
Le premier alinéa de l'article 44 de la Constitution est complété par une phrase ainsi rédigée :
« Ce droit s'exerce en séance ou en commission selon les conditions et limites fixées par les règlements des assemblées, dans le cadre déterminé par une loi organique. »
M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, sur l'article.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. L’article 18 constitue, avec les articles 7, 16 et 22 du projet de loi constitutionnelle, le socle permettant d’assurer, pour dire le vrai, une marche vers la présidentialisation du régime.
Après son examen par l’Assemblée nationale, cet article prévoit désormais que le droit d’amendement « s’exerce en séance ou en commission selon les conditions et limites fixées par le règlement des assemblées dans le cadre déterminé par une loi organique ».
Guy Fischer et moi-même avons dénoncé en détail au cours de la discussion générale le renforcement du travail en commission au détriment de la transparence et du pluralisme de la séance publique, la réduction du nombre de jours de séance consacrés chaque mois au travail législatif lui-même et la limitation des conditions d’exercice du droit d’amendement, qui est donc expressément prévue dans l’article 18.
À ce propos, monsieur le rapporteur, je citerai M. Warsmann, le rapporteur du texte à l’Assemblée nationale, qui écrit à la page 324 de son rapport : « Aussi est-il proposé de permettre la distinction du régime des amendements examinés en commission et celui des amendements débattus en séance publique, ces différents régimes pouvant fixer des conditions et des limites à l’exercice du droit d’amendement. »
« Cette réforme permettra à la fois de faciliter le recours à des procédures simplifiées d’adoption des projets et propositions de loi, d’organiser des débats à l’avance et, notamment, de leur fixer une limite dans le temps et, enfin, de fixer des délais de dépôt des amendements compatibles avec leur examen approfondi, en cohérence avec la réforme adoptée à l’article 42 de la Constitution modifié par l’article 16 du présent projet de révision. », c'est-à-dire en cohérence avec ce que M. Warsmann prétend être le pouvoir nouveau donné aux commissions.
Contrairement à vous-même, monsieur le rapporteur – il faudra d’ailleurs me dire pourquoi –, M. Warsmann se réfère directement aux travaux du comité Balladur. Dans le rapport de ce dernier, on peut lire en effet : « la principale proposition du comité est de donner à la conférence des présidents de chaque assemblée la charge de fixer une durée programmée de discussion pour l’examen des projets ou propositions de loi […] Une fois écoulé le temps de la discussion » – il serait programmé à l’avance, examen des amendements compris – « celle-ci serait close et l’on en viendrait au vote. »
C’est ce que j’appelle avec mes amis, depuis plusieurs mois, le « 49-3 parlementaire », aux mains non plus du Gouvernement, mais de la conférence des présidents, c'est-à-dire de la majorité présidentielle.
Le comité Balladur est d’ailleurs très franc. Selon son rapport, cette mesure « permettrait surtout de limiter l’obstruction parlementaire. […] Cette programmation concertée de la durée des débats est un élément essentiel de la rénovation du travail parlementaire. Elle suppose que le rôle de la conférence des présidents […] soit consacré dans le texte même de la Constitution. Il a semblé au comité que les règles actuelles de la majorité devaient continuer à prévaloir au sein de cette conférence. »
Ainsi, la restriction du droit d’amendement serait la « révolution » que M. le secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement nous a promise en matière de droits du Parlement,…
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Si, vous avez vous-même qualifié ces mesures de « révolutionnaires ». Et il s'agit bien d’une révolution, mais conservatrice et antidémocratique, puisqu’elle consiste à limiter le droit d’amendement des parlementaires.
L’article 18, qui paraît affirmer un droit d’amendement en séance publique ou en commission, ouvre en fait la voie à l’adoption simplifiée des textes et va totalement à l’encontre de la volonté affichée de revalorisation des assemblées. Qui peut croire un instant que la limitation du débat démocratique et du pluralisme renforcera le Parlement ? Personne, mis à part ceux qui veulent brider l’expression des représentants du peuple !
Monsieur le rapporteur, pourrez-vous, dès le début de l’examen de cet article 18, nous donner votre sentiment sur la nouvelle limitation du droit d’amendement préconisée par M. Balladur, proposition relayée par M. Warsmann, ce « 49-3 parlementaire » que vous n’évoquez pas précisément dans votre rapport ?
Les sénateurs du groupe CRC alertent l’ensemble des parlementaires sur la confiscation d’un droit essentiel sur le plan démocratique, à savoir le droit d’amendement. Ils ne renonceront pas à faire éclater la vérité sur ce point, vérité masquée par le slogan que martèlent le Gouvernement et ses soutiens concernant un bien hypothétique renforcement des pouvoirs du Parlement.
Je le constate d’ailleurs au fil des semaines, je ne suis pas la seule à dire que cette pseudo-revalorisation du Parlement revient à limiter notre droit d’amendement. En effet, plusieurs constitutionnalistes, qui se sont sans doute réveillés un peu tard, ont fini par reconnaître qu’il y allait véritablement d’une limitation du droit élémentaire et essentiel de chaque parlementaire.
M. le président. La parole est à M. Richard Yung, sur l'article.
M. Richard Yung. Je formulerai deux grandes observations concernant l’article 18.
J’évoquerai tout d’abord le caractère byzantin de sa rédaction. L’article introduit une distinction entre les amendements examinés en commission et ceux qui seront débattus en séance publique. Ces différents régimes devront être déterminés et comporter certaines conditions et certaines limites, fixées par le règlement de chaque assemblée, qui devra lui-même s’inscrire dans un cadre défini par une loi organique.
Vous le savez, mes chers collègues, la mécanique de poupées russes – je parlais de dispositions byzantines, mais elles s’avèrent plutôt russes ! –, cache parfois des jeux bien dangereux.
Nous considérons, pour notre part, que ce système d’empilement porte préjudice au droit d’amendement des parlementaires. J’y vois même une attaque radicale contre ce droit.
Cette réforme est présentée comme un simple aménagement des modalités d’exercice du droit d’amendement, afin, nous dit-on, d’améliorer la qualité et la clarté des débats parlementaires. A priori, c’est une approche séduisante, à laquelle nous pourrions souscrire. Toutefois, avec la rédaction de l’article 18 qui nous est proposée, et sans connaître davantage les modalités pratiques qui vont être retenues, nous craignons de signer un chèque en blanc sur l’exercice effectif du droit d’amendement.
En modifiant l’article 44 de la Constitution, le présent projet de loi interdira la défense en séance publique d’amendements ayant déjà été discutés en commission. Nous sommes donc sur le point de constitutionnaliser une nouvelle forme de discussion abrégée, dans le simple but de réduire la longueur des débats en séance plénière.
Dès lors que des débats sur certaines questions ne pourront avoir lieu qu’en commission, la question de la publicité des débats est également posée.
Et quelle sera la place réservée au Gouvernement ? Sa présence en commission ne risque-t-elle pas de placer les membres de la majorité dans une forme de subordination ?
L’adoption de l’article 18 permettrait également de contraindre le droit d’amendement, par le biais du réaménagement du temps de discussion en commission et en séance publique, avec, par exemple, l’attribution d’un temps global de discussion pour chaque groupe.
En résumé, nous craignons que l’on n’inscrive dans le règlement de chaque assemblée des conditions et des limites au droit d’amendement, toutes dispositions que nous contestons évidemment formellement.
Nous sommes bien placés pour être prudents, sinon sceptiques, concernant le règlement de chaque assemblée, celui du Sénat n’offrant guère de garanties à l’heure actuelle !
M. le président. La parole est à M. Bernard Frimat, sur l'article.
M. Bernard Frimat. L’article 18 du projet de loi constitutionnelle, qui modifie l’article 44 de la Constitution, touche à ce qui constitue l’un des droits élémentaires du parlementaire.
Le droit d’amendement est en effet l’essence même de la fonction d’un parlementaire ; c’est en quelque sorte sa liberté individuelle. À ce titre, il concerne aussi bien les parlementaires qui appartiennent à la majorité que ceux qui appartiennent à l’opposition. Quand Christian Cointat ou Richard Yung défendent des amendements qu’ils présentent à titre individuel, ils disposent d’une liberté complète. Voilà pourquoi il faut être très prudent et ne toucher au droit d’amendement que si l’on bénéficie de nombreuses garanties.
Le Conseil constitutionnel avait déjà été amené à freiner le Sénat dans ses tentatives de simplification, considérant qu’il était impossible de toucher au droit d’amendement.
Modifier la Constitution vous permet donc de passer outre la jurisprudence du Conseil constitutionnel, ce dernier n’étant pas constituant, comme nous nous tuons à vous le répéter !
Monsieur le rapporteur, vous allez sans doute nous répondre sur cette question, et avec le talent que nous vous connaissons. Toutefois, je l’avoue, les rédactions successives auxquelles a donné lieu cet article m’inquiètent.
Vous avez très certainement lu, comme moi, le compte rendu des débats qui se sont tenus à l’Assemblée nationale. Cette question a représenté un moment très important de l’examen du projet de loi constitutionnelle. Mes collègues du groupe socialiste ont été conduits à demander, sur cet article, une suspension de séance, et le président de l’Assemblée nationale, M. Bernard Accoyer– je parle sous votre contrôle, monsieur le secrétaire d’État –, est revenu lui-même en séance à une heure assez tardive pour expliquer un certain nombre de points, et apporter des garanties.
Pour compléter l’argumentation que vient de développer mon collègue Richard Yung, je souhaite rappeler que le droit d’amendement est aujourd’hui garanti par la Constitution, c’est d’ailleurs pour cette raison qu’il s’agit d’un point particulièrement délicat. La situation s’est déjà dégradée à l’Assemblée nationale, dans la mesure où nos collègues ont prévu de renvoyer à la loi organique pour la définition du cadre dans lequel s’inscriront des conditions et limites dont nous ne savons rien encore.
La commission des lois du Sénat souhaite faire disparaître le renvoi à la loi organique, laissant à chaque assemblée le soin de gérer pour elle-même dans son règlement le droit d’amendement. Or nous n’estimons pas avoir, dans cette hypothèse, suffisamment de garanties pour pouvoir nous rallier à cette position. À nos yeux, il faut impérativement préserver – nous aurons l’occasion d’éclairer cette question au cours du débat – la possibilité de présenter un amendement en commission et en séance plénière. Pour le moment, nous doutons qu’une telle possibilité soit envisagée. La présentation et le rejet d’un amendement en commission interdiront-ils sa présentation en séance plénière ?
M. Bernard Frimat. Ce sont des questions que nous nous posons, monsieur le secrétaire d’État, puisque, à ce jour, nous n’avons aucune garantie sur quoi que ce soit ! Certes, c’est dans vos habitudes, je vous en donne acte ! Vous connaissez la chanson doucereuse « Aie confiance, crois en moi » ; c’est même devenu votre antienne. Mais nous n’avons pas l’intention de nous laisser endormir, même à cette heure avancée de l’après-midi, et de nous contenter d’un « Vous verrez plus tard » ! Chaque fois que nous soulevons un point délicat, on nous renvoie à plus tard. Hélas, plus tard sera sans doute trop tard ! (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat approuve.)
Telles sont les raisons pour lesquelles nous demandons la suppression de l’article 18 du projet de loi constitutionnelle. Nous estimons en effet, et c’est essentiel, que le droit d’amendement des parlementaires, qu’ils soient de l’opposition ou de la majorité, est mieux garanti par la rédaction actuelle de la Constitution que par celle qui est prévue dans l’article 18 de ce projet de loi.
Mes chers collègues, vous devriez faire preuve d’une très grande prudence dans ce domaine. Que vous le vouliez ou non, cette révision constitutionnelle va aboutir à une restriction du droit d’amendement. Or nous montrons, depuis mardi dernier, qu’il est possible de débattre sans déposer des milliers d’amendements, sans solliciter de suspension de séance, sans pratiquer la moindre obstruction, la moindre flibuste. Cela étant, lorsque c’est nécessaire, nous savons faire, et nous ferons !
M. André Dulait. Des menaces…
M. le président. Je suis saisi de neuf amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
Les deux premiers sont identiques.
L'amendement n° 204 est présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe communiste républicain et citoyen.
L'amendement n° 473 est présenté par MM. Frimat, Badinter, Bel, Collombat, Dreyfus-Schmidt, C. Gautier, Mauroy, Peyronnet, Sueur, Yung et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour défendre l’amendement n° 204.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. L’article 18 se combine parfaitement avec l’article 16, qui prévoit que la discussion en séance publique se fait sur la base du texte de la commission.
Avec le présent article, la clé de la nouvelle gestion du débat réside dans la conférence des présidents.
Si le droit d’amendement s’exerce en séance publique « ou » en commission, cela signifie que, à l’avenir, une fois le débat d’amendement effectué en commission, il ne pourra plus avoir lieu en séance publique. C’est clair ! (M. le rapporteur et M. le secrétaire d'État contestent) Vous ne me convaincrez pas du contraire !
Or la conférence des présidents est le lieu privilégié du fait majoritaire. C’est particulièrement vrai au Sénat, où la majorité est surreprésentée au sein de la conférence des présidents, quatre membres sur dix-huit étant issus de l’opposition, soit 25 %, ce qui est un taux même inférieur à celui de la représentation des groupes en séance publique où, malgré un mode de scrutin injuste, l’opposition occupe 40 % des sièges.
Force est donc de constater que, avec cette disposition, la conférence des présidents tord le bâton davantage encore au profit de la majorité, au Sénat, de façon caricaturale, mais également à l’Assemblée nationale, de sorte que l’écart opposition-majorité se creuse.
Nul besoin de rechercher des procédures simplifiées puisque la formule existe depuis longtemps, même si son champ d’application est expressément limité. Par exemple, selon le règlement du Sénat, elle s’applique uniquement aux textes d’importance moindre. Et les groupes disposent d’un droit de veto quant à son utilisation.
De surcroît, la jurisprudence du Conseil constitutionnel a établi, à la suite d’une proposition de modification du règlement par le Sénat en 1990, que tout amendement déposé en commission pourrait être repris en séance plénière.
L’article 18 contredit le Conseil constitutionnel, puisqu’il laisse à la conférence des présidents le soin de décider si le droit d’amendement s’exerce en séance plénière ou en commission, alors même que, de toute façon, c’est le texte de la commission qui est discuté en séance publique.
M. le président. La parole est à M. Bernard Frimat, pour défendre l’amendement n° 473.
M. Bernard Frimat. Cet amendement est défendu.
M. le président. L'amendement n° 207, présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Rédiger comme suit cet article :
Dans le premier alinéa de l'article 44 de la Constitution, après le mot : « ont », sont insérés les mots : « à tout moment du débat ».
La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Cet amendement s’inscrit dans la logique du précédent et vise à préciser que les parlementaires disposent du droit d’amendement à tout instant du débat.
Cette proposition prend l’article 18 à contre-pied. Toutefois, en l’acceptant, le Gouvernement manifesterait sa bonne volonté et son souhait de ne pas brimer, ou brider, les parlementaires.
Avouez qu’il est assez choquant du point de vue démocratique que le Gouvernement dispose du droit d’amendement à tout instant du débat, y compris au moment de l’examen des articles, alors que les parlementaires sont privés de ce droit.
La pratique montre pourtant que l’évolution d’un débat, l’approfondissement d’une question, l’échange d’opinions, y compris sur des amendements individuels en séance publique, peuvent susciter de nouveaux amendements.
Pourquoi exclure une telle possibilité ? Pourquoi empêcher les parlementaires de préciser leur réflexion au cours de la discussion ?
Nous en revenons toujours à ce débat de principe : faut-il limiter le droit d’amendement ? Est-ce une fin en soi ? À ces questions, nous répondons catégoriquement non, d’autant plus que les principaux arguments qui sont avancés pour justifier la limitation de ce droit, que ce soit par M. Balladur ou par les rapporteurs, se fondent sur le risque d’obstruction.
En d’autres termes, chers collègues, le pouvoir exécutif a peur que le Parlement, constitué donc de parlementaires, doté de droits démocratiques, puisse empêcher l’adoption d’un projet de loi. C’est tout de même extraordinaire !
Rassurez-moi, monsieur le secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement, vous ne rêvez tout de même pas de Constitutions anciennes, comme, par exemple, celle de l’An VIII, ou celle de 1814, aux termes de laquelle, pour être discuté, tout amendement devait avoir été consenti par le roi, ou encore, plus subtile, celle de 1852, qui prévoyait de soumettre les amendements pour accord au Conseil d’État avant leur discussion ?
Si l’on veut vraiment revaloriser les droits du Parlement, au moins faut-il inscrire dans la Constitution que le droit d’amendement des parlementaires est imprescriptible.
M. le président. L'amendement n° 206, présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Rédiger comme suit cet article :
Après le premier alinéa de l'article 44 de la Constitution, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Le Gouvernement ne peut introduire, par amendement à un projet de loi, de dispositions nouvelles autres que celles qui sont en relation directe avec une des dispositions du texte en discussion ou dont l'adoption est soit justifiée par des exigences de caractère constitutionnel soit nécessitée par la coordination avec d'autres textes en cours d'examen au Parlement. »
La parole est à Mme Odette Terrade.
Mme Odette Terrade. Par cet amendement, nous vous proposons d’adopter une proposition du comité présidé par M. Balladur visant à limiter le droit d’amendement du Gouvernement.
Trop souvent, ce dernier utilise, en effet, cette capacité exorbitante du droit démocratique lui permettant de déposer, durant l’examen même d’un projet de loi, ce qui en fait un véritable cavalier législatif.
Cette proposition de M. Balladur est a minima. Elle ne remet pas en cause le droit d’amendement gouvernemental, elle en limite les excès. C’est pourquoi nous vous proposons de l’adopter.
M. le président. L'amendement n° 205, présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Rédiger comme suit cet article :
Le troisième alinéa de l'article 44 de la Constitution est supprimé.
La parole est à Mme Odette Terrade.
Mme Odette Terrade. Cet amendement est important. Il tend à supprimer la procédure dite du vote bloqué, qui permet au Gouvernement de demander à une assemblée qu’elle se prononce par un seul vote sur tout ou partie du texte tout en ne retenant que les amendements qu’il juge intéressants.
Cette procédure est à rapprocher de l’actuel article 49, alinéa 3, de la Constitution. Elle est considérée comme une arme contre ce que les gouvernements appellent l’obstruction, ce que notre groupe, comme notre présidente vient de le rappeler, appelle la résistance parlementaire.
Le troisième alinéa de l’article 44 de la Constitution montre bien les limites actuelles du droit d’amendement, c'est-à-dire des droits du Parlement, limites auxquelles vous ne vous attaquez surtout pas.
Il paraît important de s’arrêter quelques instants sur le terme même d’obstruction.
Permettez-moi tout d’abord d’indiquer que, pour ce qui concerne notre groupe, nous n’avons jamais déposé un nombre excessif d’amendements, et en l’occurrence pas ces milliers d’amendements qui avaient été annoncés ici ou là !
Les chiffres les plus impressionnants concernaient l’Assemblée nationale. Mais chacun sait qu’il y avait un effet d’annonce, puisque les débats ne duraient pas plus longtemps qu’au Sénat, où dix, vingt, trente fois moins d’amendements étaient déposés.
Le règlement et la pratique de l’Assemblée nationale font que, comme ce fut le cas pour Gaz de France, à l’automne 2006, les amendements y sont rejetés par centaines en une seule fois, provoquant des accélérations surprenantes de la discussion.
Objectivement, le dépôt massif d’amendements est devenu un moyen d’alerte face à une pratique gouvernementale, face à l’inflation législative.
Chacun le dit, mais on l’oublie généralement au moment de la séance publique, les conditions du débat démocratique ne sont pas réunies aujourd'hui au Parlement et elles ne le seront pas demain.
Le Gouvernement jure ses grands dieux que tout ira mieux demain, que les droits du Parlement seront parfaitement respectés.
Est-ce pour nous convaincre de cette volonté qu’il viole ces mêmes droits de manière éhontée, en inscrivant à l’ordre du jour des semaines à venir, au titre d’une session extraordinaire de surcroît, des textes aussi fondamentaux que la mise à mort des 35 heures, la restriction du droit de grève à l’école, la chasse aux chômeurs, les cadeaux à la grande distribution et, bien entendu, la présente révision constitutionnelle ?
Il suffit de voir, monsieur le secrétaire d’État, la liste des textes inscrits à l’ordre du jour de notre session extraordinaire pour s’en rendre compte.
Comment exiger de l’opposition un comportement « raisonnable », alors que le pouvoir exécutif avance à marche forcée, impose des réformes dont les Françaises et les Français ne veulent pas ?
Oui, il existe un droit d’opposition, un droit de résistance parlementaire, un droit et un devoir d’insurrection parlementaire.
Quand la ligne jaune est franchie, – avec, notamment, le contrat première embauche, ou CPE, la réforme des retraites, la privatisation des biens publics, la casse du droit du travail – il est normal que les représentants du peuple puissent dire « trop c’est trop, cela suffit ! ».
Le phénomène d’inflation législative conforte cette réaction. Cette volonté de déborder le Parlement pour lui faire accepter dans la confusion et la précipitation des textes fondamentaux légitime des réactions fortes des élus.
Le troisième alinéa de l’article 44 de la Constitution est l’une des armes qui permet au Gouvernement de s’opposer à cette expression démocratique du Parlement. Nous vous proposons donc de supprimer cet alinéa.
M. le président. L'amendement n° 49 rectifié, présenté par MM. Cointat et Duvernois et Mmes Garriaud-Maylam et Kammermann, est ainsi libellé :
Rédiger comme suit le deuxième alinéa de cet article :
« Ce droit s'exerce en séance ou en commission. La discussion des amendements peut être organisée conformément au règlement de chaque Assemblée. »
La parole est à M. Christian Cointat.
M. Christian Cointat. Cet amendement rejoint l’amendement n° 118 de la commission des lois.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Pas tout à fait !
M. Christian Cointat. … et je le retirerai au bénéfice de ce dernier, car il me semble que le règlement d’une assemblée est d’une puissance normative suffisante pour contenir toutes les prescriptions utiles en matière d’amendement.
C’est à chaque assemblée qu’il revient de décider quelle procédure elle estime devoir suivre.
Voilà pourquoi cet amendement est nécessaire, me semble-t-il, pour redonner toute leur force aux règlements respectifs du Sénat et de l’Assemblée nationale.
M. le président. L'amendement n° 118, présenté par M. Hyest, au nom de la commission des lois, est ainsi libellé :
Rédiger comme suit le second alinéa de cet article :
« Ce droit s'exerce en séance ou en commission. Le règlement de chaque assemblée fixe les conditions dans lesquelles s'exerce le droit d'amendement de ses membres. »
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. La disposition proposée pour l’article 44 devrait permettre qu’une part plus importante du travail législatif soit effectuée en commission.
Aux termes de cet article, il appartiendrait aux règlements des assemblées de déterminer les conditions et les limites de l’exercice du droit d’amendement en séance publique et en commission « dans le cadre déterminée par une loi organique ».
Votre commission estime, tout d’abord, que la référence aux « conditions » englobe la notion de « limites ». Chacun en conviendra, une limite constitue une condition. D’ailleurs, l’expression « conditions et limites » rappelle une formule du vieux droit. En l’occurrence, il n’est donc pas nécessaire de faire figurer le terme « limites » dans la Constitution.
Ensuite, votre commission s’est interrogée sur le renvoi à la loi organique pour déterminer le « cadre » dans lequel s’inscriraient les règlements des assemblées.
Dans deux autres articles de la Constitution, les articles 12 et 24, la compétence donnée aux assemblées pour définir les règles qui les concernent n’est pas encadrée.
La référence faite ici à la loi organique limite la compétence de principe que la Constitution reconnaît aux règlements des assemblées et contredit l’autonomie des assemblées pour fixer les modalités d’exercice du droit d’amendement.
Aussi, nous proposons de supprimer cette référence.
La rédaction proposée par notre amendement permet de marquer clairement que les dispositions adoptées par les assemblées ne concerneront pas l’exercice, par le Gouvernement, de son droit d’amendement. C’est ce qui différencie notre amendement de l’amendement n° 49 rectifié, mais les auteurs de ce dernier partageaient notre point de vue, me semble-t-il.
Pour répondre à M. Frimat, je rappelle que les efforts que nous avons faits pour développer des formules de débats simplifiés sont jusqu’à présent restés infructueux. Peut-être certains s’en réjouissent-ils, mais ils ont tort, car nos débats, par leur longueur, deviennent souvent ésotériques et incompréhensibles. J’ai cité tout à l'heure l’exemple des textes de ratification d’ordonnance ou de codification, qui font l’objet d’une multitude d’amendements techniques que l’on doit défendre très rapidement – sans cesse on se lève, on se rassoit –, si bien que cela confine à l’absurde !
Saisi en 1990 de dispositions tendant à modifier le règlement du Sénat, notamment de l’interdiction faite à tout membre de l’assemblée saisie d’un texte de reprendre en séance plénière un amendement relatif à ce texte au motif que cet amendement aurait été écarté par la commission saisie au fond, le Conseil constitutionnel s’était montré extrêmement strict et avait censuré le dispositif.
La révision pourrait permettre de lever cette difficulté et de procéder comme nous le faisons déjà pour les textes concernant les conventions internationales. L’examen en procédure simplifiée implique, à l’évidence, l’exclusion des textes dont l’importance justifie l’examen complet en séance publique et un souci particulier du respect des droits de l’opposition. En tout état de cause, il appartiendrait au règlement de chaque assemblée de fixer ces dispositifs, comme le prévoient d’ailleurs les amendements de la commission.
Cet amendement va véritablement dans le sens d’une meilleure organisation de nos débats.
Nous sommes souvent saisis de textes très techniques qui exigent de la commission le dépôt de nombreux amendements non moins techniques, sans susciter pour autant un véritable débat en séance publique. Je prendrai l’exemple récent du projet de loi portant diverses dispositions d’adaptation du droit des sociétés au droit communautaire. Il suffirait dans ces cas d’organiser une bonne discussion générale. Si c’est le texte de la commission qui est discuté en séance publique, cela facilitera d’autant plus les choses.
Nous avons intérêt à mener une réflexion commune pour améliorer la lisibilité de nos travaux en séance publique. Tel est le sens du texte voté par l’Assemblée nationale, que nous proposons d’alléger en supprimant la référence à la loi organique, à nos yeux inutile. C’est aussi dans cet esprit que nous recherchons des formules susceptibles de recueillir l’accord de tous pour être applicables à un certain nombre de textes.
Il ne s’agit pas de déposer des amendements pour le plaisir. L’objectif fixé est de réserver la séance publique à de vrais débats, où l’on ne perde pas un temps infini sur des textes techniques, qui ne sont d’ailleurs pas si nombreux. Cette formule rendrait certainement tout son intérêt à une séance publique que l’organisation actuelle de nos travaux ne sert pas.
Le droit d’amendement ne serait absolument pas atteint, puisque les débats de la commission seraient plus ouverts au public, l’objet des amendements déposés serait clairement explicité et chacun saurait comment ils ont été défendus et pourquoi ils ont été rejetés par la commission.
D’ailleurs, ce système existe à l’étranger.
Ainsi, au Parlement italien, le système des leggine, ou petites lois, permet aux commissions de voter la loi sans aucune ratification en séance plénière. Nous n’en sommes pas là, mais une telle mesure contribuerait à la modernisation du Parlement.
M. le président. Le sous-amendement n° 338, présenté par Mmes Boumediene-Thiery, Blandin et Voynet et MM. Desessard et Muller, est ainsi libellé :
Rédiger comme suit le second alinéa de l'amendement n° 118 :
« Ce droit s'exerce en commission ou en séance dans les conditions fixées par le règlement de chaque assemblée. »
La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.
Mme Alima Boumediene-Thiery. Ce sous-amendement rédactionnel vise à définir les conditions dans lesquelles s’exerce le droit d’amendement non seulement des parlementaires, mais encore du Gouvernement, ce dernier cas ayant sans doute été omis…
Le droit d’amendement appartenant concurremment au Parlement et au Gouvernement, il faut que nous puissions nous prononcer sur les conditions d’exercice de ce droit par ce dernier. Le renvoi à une loi organique aurait probablement affaibli ce droit fondamental des parlementaires ; c’est pourquoi il convient sans doute de saluer la suppression de cette mention proposée par la commission. Néanmoins, son amendement reste muet, me semble-t-il, sur les conditions d’exercice par le Gouvernement de son droit d’amendement.
Si le règlement de chaque assemblée doit déterminer la manière dont ses membres exercent leur droit d’amendement, il doit aussi définir les règles applicables au Gouvernement. Aussi, par ce sous-amendement, je vous propose une formulation qui, par son caractère général, n’exonérera ni le Parlement ni le Gouvernement du respect des règles relatives au dépôt d’amendement.
M. le président. Le sous-amendement n° 514, présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Compléter la première phrase du second alinéa de l'amendement n° 18 par les mots :
, dans le respect des prérogatives des groupes parlementaires
La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ce sous-amendement vise à valoriser les groupes parlementaires. Tout le monde s’accordera sur cet objectif.
M. le président. Le sous-amendement n° 508, présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Compléter le second alinéa de l'amendement n° 118, par les mots :
et du Gouvernement
La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ce sous-amendement vise à préciser que les règlements des assemblées définissent les conditions d’exercice du droit d’amendement non seulement du Parlement, mais aussi du Gouvernement.
L’amendement n° 118 de la commission ne nous satisfait pas. M. le rapporteur s’interroge sur la notion de limite au droit d’amendement, mais il ne va pas jusqu’à supprimer les moyens d’imposer ces limites. Par exemple, il confirme le choix d’un débat en commission plutôt que celui d’un débat en séance publique. Pour notre part, tenant le droit d’amendement pour un droit fondamental, nous ne comprendrions pas que les amendements du Gouvernement soient exclus du champ du dispositif que propose la commission des lois.
M. le président. L'amendement n° 378 rectifié, présenté par MM. Lambert et Marini, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
... - Le dernier alinéa du même article est complété par les mots : « et par la commission saisie au fond ».
Cet amendement n'est pas soutenu.
L'amendement n° 474, présenté par MM. Frimat, Badinter, Bel, Collombat, Dreyfus-Schmidt, C. Gautier, Mauroy, Peyronnet, Sueur, Yung et les membres du groupe socialiste et apparentés, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
... - Le même article est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Le Gouvernement ne peut introduire, par amendement à un projet de loi ou une proposition de loi, de dispositions nouvelles autres que celles qui sont en relation directe avec une des dispositions du texte en discussion ou dont l'adoption est soit justifiée par des exigences de caractère constitutionnel soit nécessitée par la coordination avec d'autres textes en cours d'examen au Parlement. Ces dispositions ne s'appliquent pas aux projets de loi de finances ou de financement de la sécurité sociale. »
La parole est à M. Bernard Frimat.
M. Bernard Frimat. Il est souvent reproché aux parlementaires d’abuser de leur droit d’amendement. Toutefois, la vérité oblige à dire que le Gouvernement n’est pas exempt, lui non plus, de toute critique à cet égard. Ainsi, il n’est pas rare que, toujours pour d’excellentes raisons, des amendements gouvernementaux soient déposés au dernier moment lors de l’examen d’un texte. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle le Gouvernement, parce qu’il tient impérativement à faire adopter telle ou telle mesure, engage parfois des négociations avec les parlementaires pour les dissuader de saisir le Conseil constitutionnel. La plupart du temps, cette requête à au moins le mérite de réparer une éventuelle distraction des parlementaires et d’attirer leur attention sur l’opportunité de faire un recours. (Sourires.)
Notre amendement vise simplement, par souci d’égalité, à proscrire les cavaliers gouvernementaux tout comme sont interdits les cavaliers parlementaires. Certes, étant sans doute de meilleure facture, ils susciteraient l’admiration de tous dans un concours de saut d’épreuve, mais tel n’est pas leur objet. (Nouveaux sourires.)
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Au préalable, je tiens à apporter une précision. Je parle un peu l’anglais, un peu l’allemand, mais pas suffisamment l’italien ! (Sourires.) Aussi, tout à l’heure, quand j’ai évoqué la procédure des leggine en vigueur au Parlement italien, il fallait bien entendre « lég-gi-né », et non « légine », qui est un poisson que l’on trouve au large des îles Kerguelen. Je tiens cette information de M. Cointat, qui préside le groupe d’études du Sénat sur l’Arctique, l’Antarctique et les Terres australes. (Rires.)
L’amendement n° 118 de la commission améliore la rédaction de l’article 18 dans un sens qui, je l’espère, conviendra peut-être davantage aux auteurs des amendements de suppression.
La commission ne peut être favorable à la suppression de l’article 18, qui aurait pour conséquence de limiter toute possibilité d’organiser des débats simplifiés en séance publique. Or ces débats permettront sans doute de recentrer la discussion sur les vrais enjeux.
J’ajoute que, comme c’est actuellement le cas, ces débats simplifiés ne pourront concerner aucun texte important ; en outre, la décision de soumettre un texte à la procédure de débat simplifié devrait recueillir un accord aussi large que possible au sein de la conférence des présidents. Par conséquent, la commission émet un avis défavorable sur les amendements de suppression nos 204 et 473.
S’agissant de l’amendement n° 207, la détermination de délais pour le dépôt des amendements répond à des règles de bonne organisation du débat ; elle permet notamment aux commissions saisies au fond de se prononcer. Pour ces raisons, il n’est pas envisageable de supprimer tout délai. En outre, une telle mesure dévaloriserait le travail des commissions.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. La commission émet sur cet amendement un avis défavorable.
La commission émet également un avis défavorable sur l’amendement n° 206. Le droit d’amendement du Gouvernement est soumis aux mêmes règles que celui des parlementaires et à la même jurisprudence du Conseil constitutionnel, ce que le Gouvernement a pu constater à plusieurs reprises. Aussi, il n’y a pas lieu d’introduire dans la Constitution des dispositions particulières relatives au droit d’amendement du Gouvernement.
La commission émet un avis défavorable sur l’amendement n° 205. Le vote bloqué contribue à garantir l’efficacité de l’exécutif, qui est l’un des principaux acquis de la Constitution de 1958.
M. Cointat pourra peut-être retirer son amendement n° 49 rectifié, qui est satisfait par l’amendement n° 118 de la commission, sur lequel je vais demander la priorité de vote.
M. Bernard Frimat. Cette demande de priorité n’est pas utile, monsieur le rapporteur. (Sourires.)
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Vraiment ? Dans ce cas, je la retire, monsieur Frimat, à la condition que vous me promettiez que vos explications de vote seront brèves. (Nouveaux sourires.)
M. le président. Monsieur Cointat, l'amendement n° 49 rectifié est-il maintenu ?
M. Christian Cointat. Non, je le retire, monsieur le président.
M. le président. L'amendement n° 49 rectifié est retiré.
Veuillez poursuivre, monsieur le rapporteur.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Les auteurs du sous-amendement n° 338 proposent une nouvelle rédaction de l’amendement de la commission. Le règlement de chacune des assemblées n’a pas vocation à déterminer les conditions dans lesquelles s’exerce le droit d’amendement du Gouvernement. C’est pourquoi la commission émet un avis défavorable.
Cela étant dit, j’ai bien noté, madame Boumediene-Thiery, que vous approuviez pour le reste l’amendement de la commission.
La commission émet un avis défavorable sur le sous-amendement n° 508, qui vise à encadrer les modalités de présentation des amendements du Gouvernement.
La commission n’a pas eu à se prononcer sur le sous-amendement n° 514. Il appartiendra au règlement de chacune des deux assemblées de définir les conditions d’exercice du droit d’amendement, lesquelles seront respectueuses des droits de la minorité.
Je rappelle que le droit d’amendement n’est pas un droit des groupes ; il s’agit d’un droit individuel des parlementaires. À titre personnel, donc, j’émettrais un avis défavorable.
Enfin, l’objet de l’amendement n° 474 étant très proche de celui de l’amendement n° 206, la commission émet pareillement un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. Nous sommes sur l’un des articles clés du projet de loi constitutionnelle.
Tout d’abord, je tiens à rassurer M. Frimat en lui confirmant, en réponse à la question qu’il a posée tout à l’heure, qu’un amendement qui aurait été rejeté en commission pourra bien évidemment être présenté en séance publique.
Comme l’a rappelé brillamment M. le rapporteur, le Gouvernement a assigné un objectif essentiel à l’article 18 : assurer la clarté et la lisibilité du débat législatif. C’est pourquoi il va de soi qu’il émet un avis défavorable sur les amendements identiques de suppression nos 204 et 473.
Le comité Balladur avait envisagé deux voies. D’une part, il avait évoqué la possibilité, pour certains textes de moindre importance, d’adopter en commission les amendements et d’y engager l’essentiel du débat, les positions de la commission étant alors ratifiées en séance. Cette procédure impliquerait une modification de l’article 44 de la Constitution.
D’autre part, monsieur Frimat, le comité Balladur avait repris l’idée formulée par M. Bel à l’alinéa 2 de l’article 26 de sa proposition de loi constitutionnelle tendant à réviser la Constitution du 4 octobre 1958 afin de rééquilibrer les institutions en renforçant les pouvoirs du Parlement, déposée le 12 juillet 2007, à savoir des durées programmées de débat.
Je rappelle les termes de cet alinéa : « Le Gouvernement peut, après avis de la conférence des présidents de l’assemblée saisie, fixer un délai pour l’examen d’un projet de loi. À l’expiration de ce délai, qui ne peut être inférieur à une semaine, l’assemblée se prononce par un seul vote sur les dispositions du texte qu’elle n’a pas encore examinées, en ne retenant… » – écoutez bien, mesdames, messieurs les sénateurs, cela figure dans la proposition de loi socialiste – « …que les amendements proposés ou acceptés par le Gouvernement. »
En la matière, ces durées programmées doivent être généreuses et consensuelles. Cela va dans le sens d’une meilleure organisation des travaux des assemblées. Il n’est absolument pas nécessaire d’adapter notre Constitution pour ce faire ; la preuve en est que le règlement de l’Assemblée nationale prévoyait jusqu’en 1969 une telle procédure, qu’avait validée le Conseil constitutionnel. Libre à vous, monsieur Frimat, de vous y opposer, comme de vous opposer à celle que j’ai précédemment évoquée.
Le Gouvernement émet un avis défavorable sur l’amendement n° 207 du groupe CRC. Ses dispositions seraient contradictoires avec le deuxième alinéa de l’article 44 de la Constitution, qui permet au Gouvernement de s’opposer, après l’ouverture du débat, à l’examen des amendements qui n’ont pas été soumis antérieurement à la commission.
Madame Borvo Cohen-Seat, je vous confirme que la proposition contenue dans votre amendement n° 206 est identique à celle qu’a faite le comité Balladur. Pour autant, le Gouvernement ne s’y est pas montré favorable, car il a estimé qu’il pouvait être opportun, en cours de discussion, d’ajouter à un projet de loi des dispositions utiles.
Je précise qu’il ne s’agit ni de contourner les procédures prévues à l’article 39 de la Constitution, notamment l’avis du Conseil d’État, ni de permettre le dépôt de purs cavaliers législatifs.
S’agissant de l’amendement n° 205, si le vote bloqué doit bien évidemment être utilisé avec parcimonie – c’est le cas –, il reste néanmoins un instrument utile pour donner une certaine cohérence à un texte. Le Gouvernement émet un avis défavorable.
Je remercie M. Cointat d’avoir retiré son amendement n° 49 rectifié.
Le Gouvernement est favorable à l’amendement n° 118 de la commission des lois. Celui-ci vise notamment à supprimer la référence aux limites fixées par les règlements des assemblées au droit d’amendement des parlementaires. Sans doute cette mention aurait-elle été mal interprétée et aurait-elle été parfaitement inutile pour atteindre les deux objectifs du Gouvernement que j’ai mentionnés lors de l’examen de l’amendement n° 204 de Mme Borvo Cohen-Seat, à savoir l’instauration de procédures simplifiées pour certains textes et la possibilité d’organiser une durée programmée des débats en séance.
Le droit d’amendement, monsieur Frimat, continuera de s’exercer librement, en séance, bien sûr, mais aussi en commission. Cette dernière précision est importante, car c’est naturellement le texte de la commission qui sera débattu en séance.
Il faut naturellement que les parlementaires puissent défendre leurs propositions en commission. Il faut aussi pouvoir mettre en place la procédure simplifiée que le Gouvernement appelle de ses vœux et qui a été proposée par le comité Balladur.
Les parlementaires continueront à déposer leurs amendements, à les défendre en commission ou en séance.
Si les groupes s’organisent, il n’y a aucune raison que les amendements ne puissent être défendus en séance. Cela suppose que le temps de parole entre les groupes soit réparti et que chacun ait suffisamment de temps pour s’exprimer.
En ce qui concerne le renvoi à une loi organique, il s’agissait simplement, sur la suggestion du Conseil d'État, de régler de manière cohérente les conditions de présentation des amendements du Gouvernement, rien de plus. Il ne s’agissait surtout pas de limiter le droit d’amendement parlementaire par cette voie.
La commission des lois a estimé que ce dispositif était inutile. Le Gouvernement se range à son avis forcément éclairé et considère que la rédaction proposée, qui permet au règlement des assemblées de fixer les conditions d’exercice du droit d’amendement des membres des assemblées, convient. Elle est d’ailleurs conforme à la tradition parlementaire.
Sur les sous-amendements nos 338 et 508, le Gouvernement a émis un avis défavorable. Il ne souhaite pas que le règlement de chaque assemblée puisse apporter des restrictions au droit d’amendement du Gouvernement. Autant les règlements sont légitimes pour déterminer l’organisation du dépôt des amendements des membres de chaque assemblée, leur modalité d’examen, de discussion, de vote, autant il ne paraît pas souhaitable que de telles règles puissent contraindre le Gouvernement, d’autant qu’elles pourraient être très différentes d’une assemblée à l’autre.
En outre, je le rappelle, le Gouvernement n’intervient pas dans la rédaction des règlements des assemblées. Il serait donc paradoxal que ces règlements apportent des limites à son droit d’amendement.
Madame Borvo Cohen-Seat, le Gouvernement est défavorable au sous-amendement n° 514, parce que la mention des droits des parlementaires paraît inutile à l’article 44 de la Constitution. En effet, dans l’article 51-1, nous allons définir des droits liés aux groupes, et c’est évidemment dans ce cadre que ces droits seront établis.
Enfin, le Gouvernement est défavorable à l’amendement n° 474 relatif à la limitation du droit d’amendement du Gouvernement.
M. le président. La parole est à M. Bernard Frimat, pour explication de vote.
M. Bernard Frimat. Monsieur le président, nous sommes au cœur du débat sur les droits élémentaires du parlementaire.
Je veux d’abord remercier M. le rapporteur, qui a eu l’amabilité de revenir sur son intention de demander le vote par priorité de l’amendement de la commission. Cela nous permettra d’avoir un scrutin public sur ces deux amendements identiques de suppression.
J’ai lu le rapport de M. Hyest. Il y est écrit que la disposition proposée pour compléter l’article 44 permettrait « d’assouplir » le principe. « L’auteur d’un amendement rejeté en commission ne serait donc plus fondé à le soumettre de nouveau devant la formation plénière de son assemblée. L’enjeu de la disposition proposée par la révision constitutionnelle est de favoriser le recours aux procédures simplifiées d’examen des textes en séances publiques.
« Les efforts pour développer de tels dispositifs sont en effet restés, jusqu’à présent, infructueux. »
Cela a le mérite de la clarté, mais nous ne pouvons pas accepter un tel dispositif.
D’ailleurs, M. Hyest s’est arrêté de lui-même au cours de son exposé, parce qu’il s’est aperçu que sa démonstration le menait dans une impasse.
Rappelez-vous ses propos sur la séance publique encombrée par la discussion de textes à caractère technique, notamment de codification, et de ces nombreux amendements rendus nécessaires parfois pour de simples changements de nomenclature. Si j’ai bien compris, lorsque nous discuterons, en séance, du texte de la commission, nous ne pourrons pas déposer d’amendements, sauf pour remettre en cause le travail de la commission. Dans cette hypothèse, son argumentation n’a plus de fondement. Nous ne pouvons donc que maintenir notre amendement.
Monsieur Karoutchi, je vous connais trop pour ne pas savoir que vous vous feriez un plaisir de me rappeler la proposition de loi constitutionnelle de Jean-Pierre Bel. Je vous en félicite, car cela prouve que vous avez d’excellentes lectures. (Sourires.) Je félicite également vos collaborateurs, qui vous ont fourni ainsi de bons arguments. M. Bel aurait été plus compétent que moi pour vous répondre, mais il participe aux journées parlementaires du groupe socialiste.
Cela étant, quand on utilise un argument, il faut l’utiliser jusqu’au bout.
La proposition de loi constitutionnelle prévoyait aussi la suppression de l’article 49, alinéa 3, de la Constitution, qui n’a rien d’anodin s’agissant du droit d’amendement. Dans la proposition de loi du groupe socialiste, il n’y a plus de 49-3, monsieur le secrétaire d’État ! Dès lors, n’étant plus dans le même cadre, on ne pouvait donc plus résoudre les problèmes de la même façon. C’était une autre pratique des institutions.
Permettez-moi un instant de me situer dans le cadre envisagé par les auteurs de la proposition de loi pour traiter du problème d’une éventuelle obstruction par le dépôt de milliers d’amendements. La droite et la gauche ont montré en leur temps qu’elles savaient faire, suffisamment pour pouvoir aujourd'hui y renoncer l’une et l’autre.
Que fait-on en cas d’obstruction ? L’article 49-3 n’existant plus, il revient à la conférence des présidents de déterminer, pour un texte donné, un délai de discussion. Et c’est seulement après avoir constaté l’impossibilité de faire voter le texte dans ce délai fixé, qui ne saurait être inférieur à une semaine, que, pour lever le blocage institutionnel, le Gouvernement peut demander un vote sur le texte modifié par les seuls amendements qu’il a déposés ou acceptés.
Mais cela signifie bien que l’organisation du débat aura, au préalable, fait l’objet d’un consensus en conférence des présidents.
Les dispositions de cette proposition de loi constitutionnelle ne correspondent donc pas du tout à la vision que vous en donnez. Je le conçois, d’ailleurs. Quand on n’a que des arguments faibles, il faut bien essayer d’en trouver des bons. (M. le secrétaire d’État sourit.) Je ne vous en veux pas, mais je me sens obligé de fournir ces explications pour ne pas vous laisser travestir la proposition de loi de M. Jean-Pierre Bel, qui s’inscrit dans un autre contexte. Or, vous le savez comme moi, lorsque l’on veut faire d’une partie le tout, en général, on travestit la vérité.
Monsieur le président, je conclus, car j’ai bien conscience d’abuser des cinq minutes qui me sont généreusement accordées.
Si cet article était voté conforme, nous ne pourrions plus revenir sur ce sujet, mais grâce à l’amendement de M. le rapporteur, il sera dans la navette.
Nous maintenons notre amendement, bien que je connaisse par avance l’issue du vote. Je souhaite que chaque groupe marque clairement sa position quant au droit d’amendement.
Ce droit ne peut être restreint et l’on ne saurait s’en remettre au seul règlement des assemblées, parce que cela ne constitue pas une garantie suffisante au regard des prérogatives de la majorité.
On a quelquefois constaté des attitudes qu’en termes économiques on qualifie d’« abus de position dominante ». Si j’avais la certitude de ne jamais revoir de tels comportements, je pourrais vous croire, mais votre pratique m’en dissuade, car elle est essentiellement fondée sur un constant abus de position dominante, surtout au Sénat.
M. le président. La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery, pour explication de vote.
Mme Alima Boumediene-Thiery. M. Karoutchi a indiqué que le règlement de chaque assemblée fixerait les règles d’exercice du droit d’amendement parlementaire. Mais, dans la mesure où il n’existe plus de loi organique, comment les règles du droit d’amendement gouvernemental seront-elles déterminées ? Doit-on comprendre que le droit d’amendement du Gouvernement ne sera soumis à aucune règle ?
M. Bernard Frimat. Le Gouvernement a tous les droits !
M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour explication de vote.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Pour répondre à ma collègue, non, il n’y a pas de règle qui encadre le droit d’amendement du Gouvernement.
Je maintiens mon amendement. Je ne sais pas si la navette permettra de relancer la réflexion sur ce sujet, mais, pour l’heure, je constate que vous n’avez en rien modifié les pouvoirs de l’exécutif, notamment les possibilités dont il dispose pour limiter ou interrompre un débat, pour forcer la décision avec un vote bloqué. Non seulement le « 49-3 » est maintenu, mais vous y ajoutez un « 49-3 parlementaire », ou, plus exactement, un « 49-3 majoritaire ». Car c’est bien de cela qu’il s’agit. Et cela devient évident lorsque l’on connaît la composition de la conférence des présidents.
Vous ne cessez de nous expliquer que cette réforme vise non pas à renforcer la présidentialisation du régime, mais au contraire à accroître les droits du Parlement. Il me paraît donc normal d’insister sur le fait qu’il n’en est rien. Certes, vous cherchez un habillage. Il est en effet difficile de dire que vous voulez conforter le présidentialisme, et même l’hyper-présidentialisme que nous connaissons aujourd'hui. Donc, vous déclarez que ce n’est pas votre but. Pourtant, c’est exactement ce qui se passe. Avec votre dispositif, l’article 49-3 ne sera même plus nécessaire. Il y aura, en quelque sorte, une autorégulation par la majorité du débat parlementaire.
M. Karoutchi m’a indiqué que nous reviendrions, lors de la discussion de l’article 51-1, sur les droits des groupes parlementaires, qui font l’objet du sous-amendement no 514 que j’ai déposé à l’amendement no 118 de la commission. Néanmoins, je demande un scrutin public sur ce sous-amendement, car j’entends bien concrétiser dès maintenant le droit des groupes parlementaires.
M. le président. J’ai été saisi d’un sous-amendement n° 518, présenté par M. Charasse, et ainsi libellé :
Dans la première phrase du second alinéa de l'article 18, remplacer les mots :
en séance ou en commission
par les mots :
en séance et en commission
La parole est à M. Michel Charasse.
M. Michel Charasse. Monsieur le président, j’ai soulevé l’autre jour, et je n’étais pas le seul, une question que M. Frimat vient de poser à nouveau.
Selon les indications contenues dans le rapport de M. Hyest, dans le nouveau système, lorsqu’un amendement aura été déposé en commission puis rejeté en commission, il ne pourra pas être redéposé dans les mêmes termes par son auteur en séance.
Je me suis demandé où M. Hyest avait pris cela. La Constitution ne comprend en effet pas la moindre disposition qui implique la moindre restriction au droit d’amendement, lequel est aujourd’hui libre, en séance comme en commission.
J’ai compris en lisant l’amendement no 118 de la commission des lois. Ce dernier prévoit en effet que le droit d’amendement s’exerce « en séance ou en commission » : fromage ou dessert, mais pas les deux ! (Sourires.) Et on renvoie au règlement.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Je vous l’ai dit !
M. Michel Charasse. Excusez-moi, ma chère collègue, mais je n’avais pas vu l’amendement de M. Hyest lorsque j’ai abordé cette question la semaine dernière. Maintenant, je l’ai vu et j’ai compris : la commission des lois espère, par ce biais, en utilisant ce « ou », se trouver dans une situation où l’on dira qu’un amendement rejeté en commission ne pourra plus être présenté à nouveau par le même auteur en séance.
Que va-t-on faire ? Nous assisterons à une course poursuite infernale. Au lieu que les groupes déposent en bloc des amendements, un membre d’un groupe signera seul un amendement en commission et, si cet amendement est repoussé en commission, ses amis le reprendront en séance.
Finalement, votre système ne marchera pas, monsieur Hyest. Il donnera lieu à de telles chicaneries que je propose, pour que les choses soient claires, dans le sous-amendement no 518, que le droit d’amendement, droit absolu, puisse s’exercer en tout lieu dans cette maison, en séance « et » en commission.
Mes chers collègues, les règlements des assemblées décideront librement. Ils pourront très bien prévoir que l’on peut déposer des amendements en commission « et » en séance. Mais, s’ils prévoient que l’on pourra le faire en commission « ou » en séance, le Conseil constitutionnel considérera que le règlement est tout de même conforme et il en résultera une forte perte de la capacité d’amender.
J’ajoute que les membres de la commission saisie au fond vont se trouver privés d’une grande partie de la possibilité d’intervenir en séance, puisqu’ils n’auront pas le droit d’amendement.
M. Michel Charasse. Comment, mais non ? Je lis « ou ». Dans ce cas, mettez « et », ce sera plus simple ! Si vous ne voulez pas, c’est que le « ou » est un « Ouh ! Ouh ! Au secours ! »
M. le président. Quel est l’avis de la commission sur le sous-amendement n° 518 ?
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Je souhaite que le Sénat se prononce sur les amendements de suppression. Ensuite, je le répète, je demanderai la priorité de vote de l'amendement n° 118, car en voilà assez ! (Exclamations sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste.)
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Monsieur Charasse, vous avez assisté à l’ensemble de la discussion sur l'article 18. J’ai déjà précisé que, dans le cadre des procédures simplifiées d’examen en séance publique de textes portant sur des sujets techniques qui seraient autorisées par la conférence des présidents, l’examen en commission aurait valeur délibérative et il ne serait pas nécessaire de reprendre en séance publique les amendements rejetés en commission. Voilà pourquoi nous sommes obligés d’introduire le « ou ».
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Cette procédure ne s’appliquera que dans ce cadre-là !
Vous imaginez bien que le droit d’amendement s’exercera à la fois en commission et en séance publique pour les débats complexes.
Je pensais avoir été suffisamment clair. Certes, on peut rejeter la procédure simplifiée d’examen des textes en séance publique et refuser la modernisation du Parlement, mais je doute que ce soit votre point de vue, mon cher collègue ! (M. Michel Charasse s’exclame.)
C’est pourquoi la commission émet un avis défavorable sur le sous-amendement n° 518.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. La parole est à M. Michel Charasse, pour explication de vote sur le sous-amendement n° 518.
M. Michel Charasse. Je ne veux pas me fâcher avec vous, monsieur Hyest. Mais admettez que le rapport de la commission est beaucoup trop succinct sur cette question et que, s’il avait été explicité comme vous venez de le faire, il n’y aurait plus de doute.
Si cette disposition ne s’applique que dans le cadre des débats simplifiés, je n’ai plus de problème et je peux retirer mon sous-amendement.
M. le président. Le sous-amendement n° 518 est retiré.
Je mets aux voix les amendements identiques nos 204 et 473.
Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe socialiste.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
(Il est procédé au comptage des votes.)
M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 112 :
Nombre de votants | 327 |
Nombre de suffrages exprimés | 327 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 164 |
Pour l’adoption | 126 |
Contre | 201 |
Le Sénat n'a pas adopté.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Monsieur le président, je demande le vote par priorité de l'amendement n° 118.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement sur cette demande de priorité formulée par la commission ?
M. le président. La priorité, de droit, est ordonnée.
Je mets aux voix le sous-amendement n° 338.
(Le sous-amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Je mets aux voix le sous-amendement n° 514.
Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe CRC.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
(Il est procédé au comptage des votes.)
M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 113 :
Nombre de votants | 326 |
Nombre de suffrages exprimés | 319 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 160 |
Pour l’adoption | 118 |
Contre | 201 |
Le Sénat n'a pas adopté.
Je mets aux voix le sous-amendement n° 508.
(Le sous-amendement n'est pas adopté.)
M. le président. La parole est à M. Pierre Fauchon, pour explication de vote sur l'amendement n° 118.
M. Pierre Fauchon. Les membres de mon groupe, comme tous ceux qui siègent dans cette assemblée, d’ailleurs, considèrent que la pleine liberté de proposition et de vote des amendements ainsi que leur débat en public constituent l’élément essentiel du pouvoir législatif.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Oui !
M. Pierre Fauchon. Nous ne l’ignorons pas.
Pour autant, nous sommes de ceux qui pensent depuis longtemps que, si nous parvenions à élaborer une procédure d’examen simplifiée, nous aurions en commission des débats tout aussi riches. Ils le seraient même plus, parce qu’ils seraient plus sereins sur les questions qui s’y prêtent. Il faudrait, naturellement, qu’ils répondent aux critères et modalités décrits en détail aux pages 137 à 139 de l’excellent rapport de notre très excellent rapporteur. (Sourires.)
Cela suppose de définir très précisément les conditions d’examen en commission,...
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Bien sûr !
M. Pierre Fauchon. ...si nous voulons évacuer le problème et nous dispenser de l’examen en séance publique, ce que vous n’allez pas jusqu’à proposer, d’ailleurs, monsieur le rapporteur. Mais ce débat deviendrait en quelque sorte une formalité et on peut supposer, la bonne foi régnant entre tous, qu’il ne serait généralement pas demandé et que l’on se contenterait de la commission.
D’ailleurs, d’un point de vue matériel, je ne sais pas très bien comment de telles discussions pourraient avoir lieu dans nos salles de commission. Cette nouvelle procédure suppose en effet la publicité des débats, la présence d’intervenants extérieurs, l’accueil du public. Je souhaite beaucoup de plaisir aux questeurs s’ils doivent se charger de cette organisation : ils auront quelques difficultés ! (M. René Garrec sourit.)
Il n’en reste pas moins que ce nouveau dispositif est tout à fait souhaitable, car il permettrait de restaurer la qualité de nos débats sur des textes importants. Peut-être même faudra-t-il introduire dans le règlement des mesures qui allègent quelque peu le déroulement de l’examen en séance publique, c'est-à-dire qui découragent les procédures dilatoires.
Mes chers collègues, je prends l’exemple du texte que nous examinons actuellement : autant le débat auquel nous assistons depuis quelques jours est excellent, autant la discussion préalable de trois motions de procédure à laquelle nous avons consacré toute une soirée ne nous a pas laissé un souvenir aussi satisfaisant, c’est le moins que l’on puisse dire ! (Marques de désapprobations sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
C’est donc dans cet esprit d’ouverture que mon groupe votera cet amendement.
M. le président. En conséquence, les amendements nos 207, 206 et 205 n'ont plus d'objet.
Je mets aux voix l'amendement n° 474.
(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures quarante-cinq, avec l’examen par priorité de l’article 33.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures quarante-cinq, est reprise à vingt et une heures cinquante, sous la présidence de M. Christian Poncelet.)
PRÉSIDENCE DE M. Christian Poncelet
M. le président. La séance est reprise.
Mes chers collègues, nous poursuivons la discussion du projet de loi constitutionnelle, adopté par l’Assemblée nationale, de modernisation des institutions de la Ve République.
Comme nous en sommes convenus vendredi dernier, le Sénat va examiner, par priorité, l’article 33
Article 33 (priorité)
Dans l'article 88-5 de la Constitution, après les mots : « Communautés européennes », sont insérés les mots : «, lorsque la population de cet État représente plus de cinq pour cent de la population de l'Union, ».
M. le président. La parole est à M. Jacques Blanc, sur l'article.
M. Jacques Blanc. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, l’article 33 suscite des interrogations de notre part. J’ai souhaité intervenir afin de bien marquer que ce texte, tel qu’il ressort des travaux de l’Assemblée nationale, nous paraît inacceptable. Et ce n’est pas seulement en ma qualité de président du groupe d’amitié France-Turquie du Sénat que je le dis. Certes, je ne cache pas mes sentiments à l’égard de ce grand pays, qui a entrepris des réformes considérables, qui se transforme, mais qui est trop souvent encore méconnu en France et victime de préjugés.
Mais il ne s’agit pas de dire aujourd'hui si nous sommes favorables ou opposés à l’entrée de la Turquie dans l’Union européenne. Le débat n’est pas là : aujourd’hui, il s’agit de savoir si l’on inscrit dans la Constitution des règles qui s’appliquent à tous ou si l’on y introduit un cas d’espèce, en contradiction, à mon avis, avec le caractère général de tout texte constitutionnel.
Mes chers collègues, je ne voudrais pas que l’on interprète mon propos comme une plaidoirie en faveur de la Turquie, que j’aime, que je défends, certes, mais qui, quand bien même on ne l’aimerait pas autant, mérite mieux que cet article 33. Ce pays accepte de se soumettre à des procédures que lui impose l’Union européenne, au cours de négociations longues, huit chapitres sur trente-cinq étant d’ores et déjà ouverts.
Personne ne sait si la question de l’entrée de la Turquie dans l’Union européenne sera posée dans dix ans, quinze ans, voire davantage. Personne ne peut d’ailleurs prévoir ce que les Turcs eux-mêmes souhaiteront alors.
En cet instant, je voudrais que l’on ne montre pas du doigt un pays ami, qui est associé à la grande ambition que représente l’Union pour la Méditerranée, lancée par le Président de la République. Je me trouvais, tout à l’heure, à Marseille, où se tient le Forum des autorités locales et régionales de l’Union européenne et de la Méditerranée, au cours de laquelle a été prononcée une intervention très forte à cet égard.
Mes chers collègues, pour ne rien vous cacher, j’ai été tenté de déposer un amendement tendant à appliquer aux traités relatifs aux adhésions à l’Union européenne les mêmes règles que celles qui concernent tout traité, en vertu de la Constitution. Mais, par respect pour les différentes sensibilités, j’y ai renoncé.
En revanche, je soutiens totalement les amendements identiques, présentés par le président de la commission des affaires étrangères du Sénat et par le président de la délégation du Sénat pour l’Union européenne, qui nous permettent de revenir à la proposition sage et équilibrée formulée par le comité Balladur selon laquelle tout élargissement à quelque pays que ce soit doit être ratifié selon la procédure mise en œuvre à l’occasion de toute révision constitutionnelle. Il s’agit d’apporter des sécurités et des garanties.
Une telle mesure respecte un principe de la Ve République en vertu duquel le Président de la République peut décider, après le vote par les deux assemblées d’un projet de loi constitutionnelle, soit de recourir à un référendum, soit de convoquer le Parlement réuni en Congrès, la majorité des trois cinquièmes étant alors requise.
N’allons pas blesser un grand pays ami. Respectons la Constitution. Tel est mon souhait ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery, sur l’article.
Mme Alima Boumediene-Thiery. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, l’article 33, tel qu’il a été adopté par l’Assemblée nationale, est tout à fait inacceptable, comme vient de l’indiquer M. Jacques Blanc.
Comment peut-on, dans la Constitution, mettre en place un barrage contre l’entrée de la Turquie dans l’Union européenne ? Cette disposition est scandaleuse, indigne et méprisante pour ce pays.
Que l’on soit pour ou contre l’entrée de la Turquie dans l’Union européenne, le projet de loi autorisant la ratification d’un traité d’adhésion doit être adopté dans une forme qui soit la même pour toutes les adhésions. C’est une question de justice.
Prévoir l’organisation automatique d’un référendum pour entériner l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne est inique. Pourquoi agir ainsi à l’égard de ce pays et pas d’un autre ? Comment vont réagir les Turcs ? Ils peuvent très légitimement se demander s’ils ne sont pas en butte à une forme de racisme.
Lors du débat relatif à la modification du titre XV de la Constitution, la majorité et le Gouvernement nous ont refusé la possibilité de recourir au référendum pour la ratification du traité de Lisbonne, en prétextant que cette procédure devait rester une prérogative du Président de la République. Cette majorité et ce gouvernement reviennent aujourd’hui sur leur position, en imposant le référendum pour la Turquie. Cette volte-face n’est pas digne de la France, ni sur le plan interne ni d’un point de vue diplomatique.
N’oublions pas deux des principes fondateurs de la Ve République : égalité et universalité. Nous les piétinerions si nous adoptions une disposition qui ne vise qu’un seul pays.
Comme la commission l’a proposé, nous voterons la suppression de cette procédure, au profit de celle, au besoin retouchée, de l’article 89.
M. le président. La parole est à M. Bernard Frimat, sur l’article.
M. Bernard Frimat. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, les négociations engagées avec la Turquie avancent. C’est la présidence française qui, à partir du 1er juillet prochain, aura la responsabilité de les poursuivre. La décision de les ouvrir a été prise, en son temps, et elle n’a pu être prise qu’à l’unanimité ; cette unanimité aujourd'hui nous engage.
Même si je ne suis pas membre du groupe d’amitié France-Turquie, je pense qu’il faut avoir le courage de dire les choses dans la vie politique.
On a le droit d’être opposé ou favorable à l’adhésion de la Turquie. En revanche, on n’a pas le droit de se cacher derrière une rédaction hypocrite, qui vise une fin bien précise, tout en la dissimulant.
Nous sommes particulièrement à l’aise pour traiter de ce sujet, puisque c’est la deuxième fois que nous avons à en connaître. Nous l’avons abordé au mois de février 2005, lors d’une précédente révision constitutionnelle. Il avait déjà fait l’objet d’une discussion dure au sein de la majorité. En effet, la solution trouvée à l’époque – mes chers collègues siégeant à droite de cet hémicycle, vous l’aviez majoritairement adoptée, alors que, pour notre part, nous nous y étions opposés – consistait à dessaisir tout à la fois le Président de la République de la possibilité de choix qui lui était offerte et le Parlement, réuni en Congrès, de la possibilité de ratifier un traité d’adhésion.
Aujourd’hui, il s’agit de revenir au projet de loi initial – nous avons d’ailleurs déposé un amendement en ce sens – et également à la position que les membres du groupe CRC comme du groupe socialiste avaient défendue et que vous aviez refusée.
Nous sommes pleinement satisfaits de constater que, après trois ans et demi de réflexion, vous êtes maintenant convaincus par les arguments que nous avions présentés à l’époque !
Si nous voulons que nos concitoyens comprennent la situation, il est indispensable d’exposer clairement les données du problème. Deux solutions s’offrent à nous : celle que nous avions proposée dès 2005, qui figure dans le projet de loi, ou celle qui consisterait à maintenir la rédaction actuelle de la Constitution. Il n’y a pas d’autres solutions, et surtout pas l’adoption de l’insupportable rédaction qui nous est soumise, insupportable parce qu’elle vise un pays, sans avoir le courage de l’assumer.
Tels sont les propos que je souhaitais tenir, monsieur le président, afin d’exposer le point de vue des membres du groupe socialiste, au début de ce débat spécifique sur l’article 33.
M. le président. Je suis saisi de neuf amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 241, présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Bernard Vera.
M. Bernard Vera. Initialement, le projet de loi visait à revenir sur la disposition qui avait été introduite dans la Constitution, en 2005, sur l’initiative de Jacques Chirac.
Nous avions souligné, à l’époque, le caractère politicien de la mesure tendant à rendre obligatoire l’organisation d’un référendum sur l’adhésion de nouveaux États à l’Union européenne, indépendamment de l’entrée en vigueur du traité établissant une Constitution pour l’Europe. Il s’agissait en effet d’une disposition d’opportunité destinée à rassurer une partie de la majorité hostile à l’entrée de la Turquie dans l’Union européenne.
Il n’empêche, surtout après le refus d’organiser un référendum sur le traité de Lisbonne, que le fait de prévoir une automaticité de la consultation revêt un caractère démocratique positif.
Le projet de loi initial de modernisation des institutions de la Ve République tendait à revenir sur cette disposition en prévoyant que toute loi autorisant la ratification d’un traité élargissant l’Union européenne était adoptée après un vote en termes identiques des deux chambres, selon deux procédures alternatives : soit la voie référendaire, soit la voie du Parlement réuni en Congrès, avec la nécessité d’obtenir la majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés.
Mais l’Assemblée nationale a décidé l’organisation obligatoire d’un référendum préalable à l’entrée éventuelle de la Turquie dans l’Union européenne, tout en écartant cette obligation pour d’autres pays candidats. S’est ensuivie une rédaction compliquée et confuse faisant appel à la démographie et rendant obligatoire le référendum pour les seuls États dont la population représente plus de 5 % de la population de l’Union.
Cette disposition témoigne d’une certaine duplicité de la part du Président de la République, farouche opposant à l’entrée de la Turquie dans l’Union européenne !
Le fait que le Gouvernement se soit finalement rallié à cette solution proposée par les députés de l’UMP montre bien a posteriori toute l’hypocrisie de la version initiale du projet de loi de révision constitutionnelle.
La disposition de l’article 33 qui formalise un traitement discriminatoire réservé à la Turquie est proprement scandaleuse ! C’est pourquoi le groupe communiste républicain et citoyen souhaite que cet article soit supprimé du projet de loi constitutionnelle.
Mais soyons clairs : si le groupe communiste républicain et citoyen est opposé à l’instauration d’un référendum obligatoire spécifiquement pour l’entrée dans l’Union européenne de la Turquie, ce qui constituerait une discrimination inacceptable, il estime que le peuple doit pouvoir se prononcer directement sur l’entrée dans l’Union de tout État.
M. le président. L’amendement n° 242, présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Rédiger comme suit cet article :
Dans l'article 88-5 de la Constitution, les mots : « à l'adhésion d'un État » sont supprimés.
La parole est à M. Bernard Vera.
M. Bernard Vera. Notre amendement vise à donner la parole aux Françaises et aux Français pour tout projet de loi autorisant la ratification d’un traité relatif à l’Union européenne et aux Communautés européennes.
Faut-il rappeler que, par référendum en date du 29 mai 2005, le peuple français a massivement refusé d’autoriser la ratification du traité établissant une Constitution pour l’Europe ? Par cet acte de souveraineté, le peuple a signifié de la manière la plus forte qui soit son rejet de l’Europe libérale consacrée par ce texte.
Confrontés à leur échec, les dirigeants européens ont alors décidé la « relance » de l’Union européenne en contournant la volonté des peuples. Les États membres ont tout orchestré sans consulter ni informer les citoyens européens.
Le traité de Lisbonne devait passer coûte que coûte, à n’importe quel prix ... démocratique ! Telle était l’idée commune à tous les tenants de la « Constitution européenne » et de son prolongement, le traité de Lisbonne !
En France, comme dans les autres États membres de l’Union européenne, le choix de la ratification par la voie parlementaire est éminemment politique. Il exprime le manque de courage de nos dirigeants dès lors qu’il s’agit de soumettre la question directement au peuple.
Le traité a été conçu pour éviter le recours au référendum, mais surtout pour éviter que l’on ait à expliquer son contenu. Le refus d’organiser un référendum a attesté de la volonté de soustraire ce texte au débat public.
En France, on aurait pourtant pu penser, à la lecture de la Constitution française, que le recours au référendum allait de soi sur une telle question. En effet, si la procédure normale de ratification d’un traité relève du Parlement, l’article 11 de la Constitution de 1958 dispose que, lorsqu’un traité, sans être contraire à la Constitution, est susceptible d’avoir des incidences sur le fonctionnement des institutions, le Président de la République peut demander l’accord du suffrage universel.
C’était le cas pour le traité constitutionnel européen et, évidemment, pour le traité de Lisbonne, puisque ce dernier reprenait les principales dispositions novatrices prévues par le traité constitutionnel de 2004.
On aurait donc pu légitimement s’attendre à l’organisation d’un référendum en vue de la ratification du traité de Lisbonne. Cela n’a été le cas ni en France ni dans vingt-cinq autres États membres de l’Union européenne. Seul le gouvernement irlandais a dû recourir au référendum, la constitution de la République irlandaise lui en faisant obligation.
Le résultat était clair et prévisible : lorsque le peuple se prononce directement sur la construction européenne qu’on lui propose, il s’exprime massivement et la refuse.
Aussi faut-il bien comprendre que le déficit démocratique originel dont souffre la construction européenne ne se résorbera pas en écartant le peuple et en ne le consultant pas sur les orientations décidées par les dirigeants européens !
Chacun doit comprendre que l’utilisation de la démocratie représentative pour échapper à l’expression directe du peuple dénature le rôle du Parlement, qui se trouve ainsi, une nouvelle fois, instrumentalisé par l’exécutif.
M. le président. Les six amendements suivants sont identiques.
L’amendement n° 133 est présenté M. Hyest, au nom de la commission des lois.
L’amendement n° 142 est présenté par M. de Rohan, au nom de la commission des affaires étrangères.
L’amendement n° 292 rectifié est présenté par MM. Mercier, Arthuis, Amoudry, Badré et Biwer, Mme Dini, M. Fauchon, Mmes Férat, Gourault et Payet, MM. Soulage, Deneux et Merceron, Mme Morin-Desailly, MM. Nogrix, J.L. Dupont, Dubois, C. Gaudin, Zocchetto, Pozzo di Borgo et les membres du groupe Union centriste - UDF.
L’amendement n° 395 est présenté par MM. Baylet, A. Boyer, Collin, Delfau et Fortassin.
L’amendement n° 396 rectifié est présenté par MM. Haenel, de Raincourt, Courtois, Dulait, J. Blanc, Alduy, P. André, Balarello, Beaumont, Bécot, Bernard-Reymond, Besse, Béteille et Bourdin, Mme Bout, MM. Braye, de Broissia, Brun, Buffet, Cambon, Cantegrit, Carle, Cazalet, César, Chauveau, Cléach et Couderc, Mme Debré, MM. del Picchia, Demuynck, Doligé et Doublet, Mme B. Dupont, MM. Duvernois, Émin, Emorine, Etienne, Faure, Ferrand, Fouché, Fourcade, Gaillard et Garrec, Mmes Garriaud-Maylam et G. Gautier, MM. J. Gautier, Gélard, Gérard, Girod, Gournac, Grignon, Gruillot, Guené et Guerry, Mmes Henneron et Hermange, MM. Houel, Huré et Juilhard, Mmes Keller et Lamure, MM. G. Larcher, Leclerc, Le Grand, Leroy, Loueckhote et du Luart, Mmes Malovry et Mélot, M. Milon, Mmes Panis et Papon, MM. Pierre, Pinton, Portelli, Puech, Raffarin, Revet, de Richemont, Richert et Romani, Mme Rozier, MM. Saugey et Sido, Mme Sittler, M. Trillard, Mme Troendle et MM. Trucy, Valade, Vasselle et Vial.
L’amendement n° 493 est présenté par MM. Frimat, Badinter, Bel, Dreyfus-Schmidt, C. Gautier, Mauroy, Peyronnet, Sueur, Yung et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.
Ces amendements sont ainsi libellés :
Rédiger comme suit cet article :
L'article 88-5 de la Constitution est ainsi rédigé :
« Art. 88-5. - Tout projet de loi autorisant la ratification d'un traité relatif à l'adhésion d'un État à l'Union européenne et aux Communautés européennes est adopté selon la procédure prévue aux deuxième et troisième alinéas de l'article 89. »
La parole est à M. le rapporteur, pour défendre l’amendement n° 133.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. C’est M. le rapporteur pour avis, auteur d’un amendement identique, qui défendra les deux amendements, monsieur le président.
M. le président. La parole est donc à M. le rapporteur pour avis, pour présenter l’amendement n° 142.
M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, rapporteur pour avis. Cet amendement vise à revenir au texte initial du Gouvernement, qui prévoyait la possibilité pour les pays sollicitant l’adhésion à l’Union européenne d’obtenir une ratification soit par la voie référendaire, soit par la voie parlementaire.
Il tend donc à la suppression de l’amendement voté par l’Assemblée nationale, que je qualifierai, comme les orateurs précédents, de discriminatoire, d’offensant à l’égard d’un pays ami et allié, mais également d’inutile. En effet, s’agissant de l’ouverture des négociations d’adhésion de la Turquie, les mesures de précaution sont telles que cette adhésion, si jamais elle a lieu un jour, n’aboutira pas avant une dizaine ou une quinzaine d’années, à moins que la Turquie, comme le faisait remarquer Jacques Blanc, ne se désintéresse en cours de route de ce processus et n’y renonce.
Par ailleurs, nous souhaitons que l’on cesse de lier les mains du Président de la République qui doit, en l’occurrence, avoir le choix de la procédure. S’il estime qu’il est conforme aux intérêts du pays de procéder par référendum, il décidera de mettre en œuvre cette procédure. S’il considère, en revanche, que la voie parlementaire est préférable, il décidera d’une ratification parlementaire.
Je précise que la ratification par la voie parlementaire suppose que le Parlement se réunisse en Congrès et se prononce pour l’adhésion à la majorité des trois cinquièmes, ce qui représente la quasi-unanimité du Parlement. (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s’exclame.)
Dans ces conditions, je vous invite, mes chers collègues, à voter la suppression de l’article 33 issu de la rédaction de l’Assemblée nationale.
Mais je souhaite aller plus loin en vous disant qu’il me paraît indispensable, compte tenu de l’état de profonde détérioration des relations franco-turques, que nous renouions des liens avec ce pays. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Nous avons à nous prononcer, ce soir, non pas sur une éventuelle adhésion de la Turquie à l’Union européenne, mais sur une procédure constitutionnelle, et sur rien d’autre !
Je souhaite que nous adressions un témoignage d’amitié à ce grand pays. En effet, s’il est possible de discuter de la légitimité de son adhésion à l’Union européenne, on ne peut nier le rôle extrêmement positif que joue la Turquie dans les relations internationales.
Si des contacts ont été noués entre la Syrie et Israël, c’est à la Turquie qu’on le doit ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. Hubert Haenel. Très bien !
M. Jacques Blanc. Eh oui !
M. Josselin de Rohan, rapporteur pour avis. Si l’équilibre et la paix sont rétablis demain, au Proche-Orient, c’est parce que la Turquie aura participé au processus de paix et y aura joué un rôle important.
Nous avons l’occasion, au travers du vote que nous allons émettre, de montrer à nos amis turcs que nous n’avons absolument aucune intention de les discriminer et que nous voulons, au contraire, les traiter comme ils le méritent, en partenaires et en égaux. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Jacques Blanc. Bravo !
M. le président. La parole est à M. Pierre Fauchon, pour présenter l’amendement n° 292 rectifié.
M. Pierre Fauchon. Le groupe de l’Union centriste-UDF partage les réflexions qui viennent d’être excellemment exprimées par M. le président de la commission des affaires étrangères. Il est vrai qu’a été votée voilà quelques années, dans l’émotion accompagnant le référendum, une disposition – personnellement, je ne l’avais pas votée ! – qui apparaît aujourd’hui regrettable et même très fâcheuse.
Ce n’est pas une raison pour nous inviter aujourd’hui – et je ne comprends pas la démarche de l’Assemblée nationale à cet égard –, à adopter un dispositif marqué au coin de l’hypocrisie la plus évidente, assez consternante de ce point de vue, et qui, par ailleurs, méconnaît la logique européenne. En effet, le fait que la population d’un État représente plus ou moins 5 % de la population de l’Union n’a pas, dans la problématique européenne, l’importance que l’on croit.
Le Luxembourg, Malte, ainsi que d’autres petits États pèsent aussi lourd, dans les instances exécutives de l’Union européenne, que d’autres États plus peuplés : ils ont un membre au sein du Conseil des ministres et peuvent avoir un commissaire. Au Parlement, naturellement, les pondérations de population jouent : il ne peut pas en être autrement ! Mais au sein des autres instances européennes, et notamment des instances exécutives, la question du pourcentage de population n’a pas d’incidence.
Cette mesure est donc hypocrite, blessante, et même offensante pour un peuple qui, Dieu merci, a sa fierté. En outre, elle ne répond pas à la véritable logique européenne.
J’ai apprécié les propos tenus précédemment, notamment par mon ami Jacques Blanc. Je fais partie, comme lui, du groupe d’amitié France-Turquie, et même si je n’entretiens pas des relations aussi personnelles que lui avec ce peuple, j’observe celui-ci aussi attentivement que je le peux au cours de voyages et de rencontres.
Je dois dire que ce peuple a quelque chose d’admirable – et je ne parle pas ici de politique étrangère –, surtout si l’on envisage ses origines et les conditions de la construction de l’État turc. Ainsi, l’expérience kémaliste doit beaucoup aux institutions françaises et à notre tradition, car elle est profondément, et à tous égards, inspirée du système français.
M. Jean-Pierre Sueur. Tout à fait !
M. Pierre Fauchon. Il faut imaginer les difficultés qu’a dû surmonter ce peuple, vivant souvent, à l’origine, dans une société tribale, pour parvenir en moins d’un siècle au niveau de modernité qu’il a atteint et qu’il continue de dépasser en acceptant les sujétions que nous lui imposons, chapitre après chapitre !
Nous veillons de notre mieux à faire évoluer les institutions de ce pays qui ne sont pas, effectivement, dans le même état que les nôtres. Mais sommes-nous si satisfaits de nos institutions, et celles-ci sont-elles si parfaites que cela ? Interrogeons-nous d’abord, avant de critiquer les autres !
La démarche dans laquelle est engagée la Turquie est donc admirable, et ce d’autant plus qu’elle est confrontée à la question si cruciale pour ce pays, mais aussi pour toute l’Europe – je n’ai pas besoin d’entrer dans les détails ! –, de la conciliation entre laïcité, principes républicains et Islam.
Comment pourrions-nous, dans ces conditions, nous adresser à ce peuple, qui se construit et trouve des solutions à ses problèmes avec beaucoup de sagesse, en surmontant de façon admirable et par la voie légale ses difficultés, les unes après les autres, en adoptant une attitude de défi et de mépris ? Ce serait choquant !
Je souhaite donc de tout cœur que nous adoptions cette disposition qui laisse au Président de la République le soin de choisir, le moment venu, entre l’une ou l’autre de deux solutions qui seront, de toute façon, des solutions démocratiques.
Je considère pour ma part, comme Platon et d’autres auteurs illustres, que, dans des affaires aussi complexes, la consultation des représentants du peuple vaut bien mieux que la consultation directe du peuple. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l’UC-UDF et de l’UMP.)
M. le président. L’amendement n° 395 n’est pas soutenu.
La parole est à M. Hubert Haenel, pour présenter l’amendement n° 396 rectifié.
M. Hubert Haenel. Le président de la commission des affaires étrangères, M. Josselin de Rohan, de même que MM. Pierre Fauchon et Jacques Blanc ont parfaitement situé le débat en cause avec cet amendement concernant la Turquie, adopté par l’Assemblée nationale.
Permettez-moi, mes chers collègues, de poser une question. Pourquoi faudrait-il revenir au texte initial du projet de loi ?
Il faut rappeler, tout d’abord, que ce débat ne concerne pas l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne.
Si cette question doit se poser un jour, ce ne sera pas avant une quinzaine d’années. Nul ne peut dire, en cet instant, où en seront alors l’Europe et la Turquie.
Aujourd’hui, le problème ne se pose donc pas.
Le débat porte d’abord sur une question de principe : doit-on insérer dans notre Constitution une disposition concernant un pays étranger bien précis ? En effet, un seul pays est en réalité visé par le texte adopté par l’Assemblée nationale.
Nous devrions être d’accord pour considérer qu’une constitution républicaine n’est pas faite pour régler des cas particuliers.
En outre, introduire un critère démographique pour déclencher une obligation de référendum est une démarche mal fondée. Cela sous-entend que l’importance politique d’une adhésion à l’Union européenne est uniquement une question de niveau de population.
Or, ce n’est pas vrai. Lorsque nous avons approuvé l’adhésion de Chypre, pays divisé, qui compte moins de 900 000 habitants, nous avons fait un choix politique lourd. Si, un jour, nous nous prononçons sur l’adhésion du Kosovo, qui peut croire que ce ne sera pas un choix politique très important, et ce alors que ce pays compte moins de deux millions d’habitants ?
De plus, nous devons songer aux implications diplomatiques de ce texte. La Turquie le considère comme une discrimination à son égard, voire une humiliation (M. Richard Yung fait un signe d’assentiment.), mais c’est également une maladresse vis-à-vis de nos partenaires de l’Union européenne. Sur les vingt-sept États membres, vingt et un ont une population inférieure à 5 % de celle de l’Union européenne. Est-il raisonnable, au moment même où nous nous apprêtons à prendre la présidence de l’Union européenne, de sembler considérer que, en dessous de ce seuil, les pays n’ont pas la même importance ?
Enfin, l’introduction d’une obligation de référendum est inutile : l’adhésion d’un État membre à l’Union européenne n’est pas une affaire qui se traite à la sauvette. Elle nécessite l’accord de tous les gouvernements, puis l’approbation du Parlement européen, et enfin l’approbation de chaque pays.
Le texte initial du projet de loi, celui auquel nous vous demandons de revenir, mes chers collègues, permettrait d’appliquer aux adhésions à l’Union européenne la procédure la plus solennelle qui soit, celle de la révision de la Constitution, qui implique normalement un référendum.
Si l’opinion publique est troublée et divisée par une adhésion, il y aura inévitablement un référendum, que ce soit par décision du Président de la République ou par voie d’initiative populaire.
Il faut donc en revenir au texte initial du Gouvernement, qui apporte des garanties suffisantes, sans introduire dans notre Constitution une disposition discriminatoire. (Applaudissements sur les travées de l’UMP. – M. Jean Arthuis applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour défendre l’amendement n° 493.
M. Jean-Pierre Sueur. Cet amendement est identique aux amendements précédents, ce qui n’est pas sans signification.
Je rappelle que tous les problèmes naissent de la formule mise en œuvre en février 2005, et contre laquelle les socialistes ont voté tant au Sénat qu’à l’Assemblée nationale. Nul n’ignorait qu’il n’y avait pas de sens à imposer la procédure référendaire pour tout élargissement, quel qu’il soit. Néanmoins, cette disposition a été adoptée, sans doute pour des considérations tenant plus à la politique intérieure de la France qu’à la construction européenne.
Nous ne devons pas oublier quels étaient, en décembre 2004 et en octobre 2005, le Président de la République et le Premier ministre. Les chefs de gouvernements européens ont décidé à l’unanimité d’ouvrir des négociations d’adhésion avec la Turquie. Quand on ouvre des négociations, c’est que l’on pense pouvoir aboutir, et même que l’on a l’idée d’aboutir ; sinon, s’engager dans cette démarche serait totalement hypocrite.
La France s’est engagée dans ce processus. Il reviendra au gouvernement français et, au premier chef, au Président de la République de poursuivre ces négociations à partir du 1er juillet prochain.
J’estime, comme plusieurs de mes collègues, que, si nous ne voulons pas compromettre les équilibres géopolitiques, la paix dans le monde, non plus que le dialogue entre les populations, les États, les pays, il serait absurde d’humilier ce pays si important qu’est la Turquie.
Mes chers collègues, la lecture de la presse turque nous prouve que ce seuil de 5 % a déjà fait beaucoup de mal en Turquie.
M. Robert del Picchia. Oui !
M. Jean-Pierre Sueur. Il a beaucoup terni, là-bas, l’image et l’idée qu’ont les Turcs de la France.
M. Pierre Fauchon. C’est plus que son image qui est en cause !
M. Jean-Pierre Sueur. Cette fâcheuse idée d’introduire ce pourcentage a quelque chose de discriminatoire et de parfaitement désobligeant…
M. Henri de Richemont. Très bien !
M. Jean-Pierre Sueur. …à l’égard d’un peuple ami vis-à-vis duquel nous avons librement décidé d’ouvrir des négociations.
Or, quand on ouvre des négociations, on sait que des difficultés devront être surmontées, mais on ne part pas du principe que l’on n’y parviendra jamais, bien au contraire.
Pour toutes ces raisons, nous demandons le retour à la rédaction initiale du texte et au droit commun. (Mme Joëlle Garriaud-Maylam, MM. Jacques Blanc et Henri de Richemont applaudissent.)
M. le président. L'amendement n° 154, présenté par M. Lecerf, est ainsi libellé :
Après le mot :
lorsque
rédiger comme suit la fin de cet article :
le territoire de cet État est situé, dans sa totalité ou pour partie, hors du continent européen, ».
La parole est à M. Jean-René Lecerf.
M. Jean-René Lecerf. Il n’est pas toujours facile d’être parlementaire, mais c’est avec sérénité que je vais assumer une position que je sais être extrêmement minoritaire au sein de cet hémicycle.
J’ai lu, dans le rapport de M. Hyest, la référence faite à l’engagement pris, le 1er octobre 2004, à l’occasion d’un sommet franco-allemand, par le Président de la République de l’époque, M. Jacques Chirac, « de garantir qu’à partir d’une certaine date, c’est-à-dire avant l’entrée éventuelle ou la question de l’entrée éventuelle de la Turquie, les Français soient interrogés, non pas par le biais de la procédure parlementaire, mais obligatoirement pour cet élargissement et d’éventuels autres élargissements par le biais du référendum ».
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. C’est même dans la Constitution !
M. Jean-René Lecerf. C’est sur le fondement de cet engagement qu’a été adoptée, le 1er mars 2005, la révision constitutionnelle…
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Exact !
M. Jean-René Lecerf. … que j’ai votée, comme beaucoup d’entre vous, mes chers collègues.
Cette révision, j’estime que nous l’avons assumée, y compris devant le peuple français.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Il faut la garder, alors !
M. Jean-René Lecerf. Je ne suis pas absolument convaincu que le fait de changer d’avis quelques années plus tard soit la meilleure manière de réconcilier les habitants du vieux continent avec l’idée même de l’Europe.
C’est la raison pour laquelle, restant sur l’opinion qui était la mienne en 2005 et n’étant pas pour autant favorable à ce que l’on introduise dans le texte de la Constitution un pourcentage – cette notion n’y a pas sa place, selon moi –, j’ai suggéré une autre manière d’aborder cette question : pourquoi ne pas nous interroger sur l’attitude que nous aurions si la demande d’adhésion était faite par des États ayant la totalité ou la majeure partie de leur territoire en Europe ?
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. L’Ukraine, la Russie !
M. Jean-René Lecerf. On va m’objecter que la notion d’Europe est extrêmement complexe. Je me souviens des leçons de géographie de mon instituteur, lorsque j’étais élève de septième, ancien nom de l’actuel CM2 : l’Europe a pour frontières l’Arctique au Nord, la Méditerranée au Sud, et je ne sais si je dois ajouter, d’Ouest en Est, « de l’Atlantique à l’Oural ». Il n’y aurait pas de discrimination, pas de stigmatisation, me semble-t-il, à adopter une procédure particulière pour les États dont l’essentiel du territoire ne s’étend pas sur le continent européen. Ainsi, c’est non pas un seul État candidat, mais éventuellement plusieurs, voire un grand nombre, qui seraient visés.
C’est la raison pour laquelle, sereinement, conscient du caractère très minoritaire de mon opinion dans cette assemblée, je défends cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Par l’amendement n° 241, nos collègues du groupe communiste républicain et citoyen souhaitent supprimer l’article 33, et donc en revenir au texte actuel de la Constitution. Cet amendement est contraire à la position adoptée par la commission, s’agissant de cette révision constitutionnelle : nous souhaitons en effet un retour au texte initial du Gouvernement, avec une procédure calquée sur celle de l’article 89 de la Constitution, le Président de la République ayant le choix entre le Congrès et le référendum. L’avis de la commission est donc défavorable.
La commission est également défavorable à l’amendement n° 242. Il n’est pas souhaitable de renvoyer systématiquement au référendum l’autorisation de ratification des traités européens. La souveraineté nationale s’exprime soit par la voie parlementaire, soit par référendum. Les deux possibilités doivent être ouvertes. Il appartient au chef de l’État d’apprécier à laquelle de ces procédures la ratification d’un traité doit être soumise.
J’en viens aux amendements identiques. Il faut tenir compte de tout le contexte. Il n’est pas possible de citer, même d’une manière indirecte, un pays dans la Constitution. La loi fondamentale n’est pas faite pour cela.
M. Michel Charasse. La Nouvelle-Calédonie !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. On peut parler des collectivités d’outre-mer, car c’est autre chose !
Pour des raisons de cohérence juridique et de respect des États tiers, la commission des lois et la commission des affaires étrangères ont considéré qu’il valait mieux en revenir au texte du Gouvernement.
Je rappelle que l’article 3 de la Constitution est ainsi rédigé : « La souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum. »
Il y a donc lieu d’en revenir au texte initial du projet de loi, qui vise à réécrire l’article 88–5 de la Constitution.
J’ajoute que nous avons créé, à l’article 3 bis nouveau, la possibilité d’un référendum d’initiative parlementaire et populaire. Ainsi, que ceux qui craindraient qu’un jour un Président de la République ne soumette pas au référendum l’adhésion d’un pays, adhésion en faveur de laquelle, manifestement, une majorité de Français ne seraient pas prêts à se prononcer se rassurent : il y aurait toujours la possibilité d’utiliser cette procédure. Un cinquième des membres du Parlement appuyés d’un dixième des électeurs inscrits sur les listes électorales pourraient demander un référendum dans ce cas. Il est bon d’expliquer à nos concitoyens qu’ils pourraient s’exprimer le moment venu, s’ils n’étaient pas entendus par le Président de la République.
La commission est donc bien sûr favorable aux amendements identiques nos 142, 292 rectifié, 396 rectifié et 493.
Monsieur Lecerf, la commission ne peut être que défavorable à l’amendement n° 154, puisqu’elle a été favorable aux autres amendements.
Force est de constater, en toute honnêteté, que cet amendement poserait un problème : je ne sais pas où se situent les limites du continent européen, car elles n’ont jamais été définies, ce qui m’inquiète quelque peu. (Mme Alima Boumediene-Thiery s’exclame.) Cet amendement ne nous ramènerait-il pas, d’une manière beaucoup plus subtile – mais cela ne m’étonne pas de vous ! – à ce seuil de 5 %, dont nous ne voulons pas ?
M. Jean-Pierre Fourcade. Absolument !
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Aux termes de la Constitution, depuis la révision du 1er mars 2005, comme l’a rappelé M. Lecerf, est imposée l’organisation d’un référendum avant tout nouvel élargissement de l’Union européenne.
Cette exigence pouvait sembler excessive. Elle pourrait entraîner une succession de référendums, par exemple, en cas d’adhésions échelonnées de plusieurs États des Balkans.
C’est pourquoi, dans le texte qu’il a présenté à l’Assemblée nationale, le Gouvernement retenait une solution beaucoup moins systématique : il laissait au Président de la République le choix entre l’organisation d’un vote par référendum ou d’un vote au Congrès à la majorité des trois cinquièmes, selon la procédure applicable aux révisions constitutionnelles.
L’hypothèse d’un vote au Congrès laisse une faculté de blocage à 40 % des parlementaires.
Cette solution n’a pas été retenue par l’Assemblée nationale, un nombre important de députés ayant en effet estimé qu’il fallait garantir la consultation du peuple français pour les élargissements les plus importants.
L’instauration du seuil de population a paru constituer le meilleur moyen pour juger de l’importance de ces élargissements. C’est le compromis et le consensus que nous avons trouvé avec les parlementaires.
L’adhésion d’un pays qui représente plus de 5% de la population de l’Union Européenne aura effectivement pour conséquence de modifier substantiellement les équilibres au sein de l’Union, du fait des pondérations au Parlement et au Conseil.
La fixation d’un seuil de population permettait d’assurer aux Français qu’ils seraient consultés pour les élargissements les plus importants de l’Union Européenne.
Cet amendement a suscité des controverses, ainsi que vous venez de le rappeler, mais le Gouvernement ne peut y être insensible, comme le Premier ministre l’a d’ailleurs affirmé devant vous mardi dernier. Nous serons donc, encore plus que sur d’autres sujets, à l’écoute de tous.
Les amendements nos 133, 142, 292 rectifié, 396 et 493 tendent à en revenir au texte initial du Gouvernement. Le Gouvernement en prend acte, et il conviendra de réfléchir ensemble, au cours de la navette, à une voie de compromis entre trois solutions : le texte actuel de la Constitution, comme le propose le groupe CRC avec l’amendement n° 241, la solution qui a été retenue par l’Assemblée Nationale, ou, enfin, le recours à la procédure de l’article 89, qui recueille manifestement la préférence au Sénat.
Le Gouvernement est confiant dans la capacité du Parlement à faire émerger une solution dans le cadre de la navette, comme nous l’avons fait tout à l’heure à propos d’autres amendements. Il s’en remet sur ces amendements à la sagesse de la Haute Assemblée.
En revanche, le Gouvernement émet un avis défavorable sur l’amendement n° 154, présenté par M. Lecerf, qui revient à la situation antérieure,…
M. Jean-René Lecerf. Pas exactement !
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. … qui impose un référendum en cas d’adhésion d’un État situé au moins en partie en dehors du continent européen.
M. Jean-René Lecerf. Voilà !
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Une telle formule est stigmatisante ; de plus, elle paraîtrait curieuse dans la constitution d’un pays tel que la France dont une partie du territoire, avec l’outre-mer, est située en dehors de l’Europe.
Le Gouvernement est également défavorable à l’amendement n°242 du groupe CRC, qui tend à imposer un référendum pour tout traité relatif à l’Union européenne. Il n’y a pas de raison de prévoir une telle obligation, quel que soit l’enjeu du traité concerné.
M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour explication de vote sur l'amendement n° 241.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Il est hors de question d’accepter une stigmatisation quelconque, par quelque biais que ce soit, de la Turquie.
D’ailleurs nous l’avions indiqué quand une majorité avait voté l’introduction du référendum obligatoire pour tout élargissement. Nous n’avons pas changé d’avis.
Nous avons proposé de revenir à un référendum pour toute modification de traité ou tout traité nouveau concernant l’Union Européenne. C’est le débat que nous avons eu concernant le traité constitutionnel et, aujourd’hui, le refus du traité de Lisbonne par l’Irlande.
Il faut constater que, bien souvent, alors que les parlementaires votent majoritairement en faveur d’une décision en matière européenne, les peuples, quand ils sont consultés, ont un tout autre comportement. C’est un fait.
En effet, l’insatisfaction des peuples concerne non pas le fait d’être Européens ou de construire l’Europe – les enquêtes d’opinions le montrent assez –, mais plutôt la façon dont l’Europe se construit, la succession de traités qui se ressemblent comme deux gouttes d’eau et qui vont à l’encontre des intérêts populaires.
Aujourd’hui, au moment où l’Europe connaît une grave crise démocratique, à laquelle s’ajoutent les problèmes sociaux et économiques qui induisent d’ailleurs la crise de l’Europe et donc le déficit démocratique, retirer à nos concitoyens le pouvoir d’intervenir, de se prononcer sur l’élargissement de l’Union et sur un nouveau traité modifiant les règles européennes ne serait pas un bon signe.
M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau, pour explication de vote sur les amendements identiques nos 133, 142, 292 rectifié, 396 rectifié et 493.
M. Bruno Retailleau. Je voudrais apporter une voix de soutien à notre collègue M. Lecerf, qui a été bien courageux. C’est une voix discordante, même si, jusqu’à présent, le Sénat a à mon avis très bien travaillé sur cette question constitutionnelle. Permettez-moi de faire état d’une opinion qui n’est pas celle de la majorité de ceux d’entre nous qui se sont exprimés ou vont le faire.
Que ce soit bien clair, je préférais la formulation impulsée par Jacques Chirac voilà trois ans. Elle permettait en effet de recourir, pour les élargissements, au consentement populaire. Je crois en effet qu’il est temps, avec une trentaine de pays, de dire clairement quels États ont ou non vocation à entrer dans l’Union Européenne. Les choses seraient très claires et finalement assez logiques.
Mais l’Assemblée nationale a décidé d’une autre formulation. J’ai la faiblesse de penser qu’il s’agit d’un compromis entre ceux d’entre nous qui pouvaient craindre que les Français ne soient trop souvent consultés – à chaque élargissement – et ceux, comme moi, comme d’autres aussi, qui considèrent qu’on ne peut pas continuer sans cesse à écarter du consentement populaire le processus d’élargissement qui paraît lancé et pris dans une extension sans fin apparente.
Je suis opposé, bien sûr, aux amendements de suppression. J’ai entendu ici et ailleurs, depuis le vote émis par les députés, un certain nombre de critiques qu’on pourrait résumer finalement en trois idées.
Tout d’abord, ce serait une stigmatisation, et M. Jouyet a même utilisé le mot « injure ». Encore une fois, j’ai le sentiment que, comme l’a très bien dit M. Blanc, notamment, ce n’est pas de l’issue de négociations que nous avons à décider. Il ne s’agit pas de savoir si tel ou tel pays peut adhérer.
La Turquie est un grand pays, qui a joué un rôle stratégique dans l’OTAN, au temps de la guerre froide,…
Mme Nicole Bricq. Et toujours !
M. Bruno Retailleau. …et qui joue aussi un rôle important entre la Syrie et Israël ; mais l’appartenance à l’OTAN n’est pas non plus un ticket d’entrée à l’Union européenne.
On ne préjuge pas l’issue des négociations. Simplement, on souhaite que le peuple ait le dernier mot. En quoi une consultation du peuple par référendum automatique obligatoire serait-elle une injure, mes chers collègues ?
Il me semble important, au contraire, que le peuple puisse se décider sur ces choses-là.
Par ailleurs, le référendum serait une dépossession du Parlement ou des prérogatives du Président de la République. J’aimerais vous relire le début de l’article 3 de la Constitution : « La souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voix du référendum ».
Nul parlementaire ou Président de la République ne peut se sentir dépossédé dans la mesure où aucun n’est le peuple : nous sommes simplement une voix d’expression du peuple.
La Constitution de la Ve République organise la coexistence de trois légitimités : le référendum, la représentation nationale, avec le Parlement, et le Président de la République. C’est une richesse, et cela n’a jamais été une amputation.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Oui !
M. Bruno Retailleau. Enfin, cette disposition du référendum automatique, du verrou référendaire, n’aurait pas sa place dans notre Constitution !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Si, pour tout le monde.
M. Bruno Retailleau. Avec pratiquement trente États, la question des frontières est désormais la question du projet européen, et donc du projet France.
Nous sommes payés pour le savoir, avec le thon rouge, la TVA, les produits pétroliers, la semaine prochaine la transposition d’une directive qui va nous obliger, dans le projet de loi de modernisation de l’économie, à modifier les CNEC, ou commissions départementales d’équipement commercial – la grande affaire ! –, le droit européen imprègne toute notre vie nationale.
M. le président. Il vous faut terminer, monsieur Retailleau !
M. Bruno Retailleau. Alors pourquoi refuser aux Français le dernier mot quand il s’agit de mettre en cause des changements radicaux qui pourraient affecter le modèle européen et la nature même du projet européen ?
Un seul homme, un Président de la République, peut-il décider, pour des choses aussi importantes, s’il soumet ou non au peuple le projet ? Citez-moi un seul pays dont la candidature ait été retenue et dont l’adhésion n’ait pas été acceptée, mis à part peut-être un dont le peuple aurait refusé cette adhésion ? Il n’y en a pas !
Cette disposition n’aurait pas sa place ? Mais pourquoi, l’avait-elle voilà trois ans et ne l’aurait-elle plus tout d’un coup, comme par magie ?
Mes chers collègues, j’aimerais vraiment voter cette révision constitutionnelle. Mais sans le verrou référendaire, plusieurs de mes collègues et moi-même considérons que nous ne pouvons le faire.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Josselin de Rohan, rapporteur pour avis. J’entends dire depuis quelques instants que nous supprimerions, par les propositions que nous faisons, la possibilité pour le peuple français de se prononcer par référendum sur une adhésion.
Nous n’avons jamais dit cela ! Ce n’est ni dans notre amendement ni même dans les intentions du Président de la République qui a lui-même déclaré qu’il soumettrait l’adhésion de la Turquie, si jamais cette opportunité se présentait, au suffrage de l’ensemble des Français.
Ce que nous voulons tout simplement, c’est que soit maintenue la possibilité de choisir une voie ou une autre.
M. André Dulait. Très bien !
M. Josselin de Rohan, rapporteur pour avis. Il n’a jamais été question de renoncer à soumettre une adhésion au référendum. Mais il nous paraît que, s’agissant du Kosovo, de la Serbie ou d’autres pays, la voie parlementaire est peut-être suffisante.
N’allez pas nous dire que nous voulons priver le peuple du moyen de s’exprimer alors que cette possibilité existe dans la Constitution ! Simplement, nous proposons que le référendum ne soit pas automatique pour toutes les adhésions, et refusons qu’un pays particulier soit désigné nommément ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP)
M. Roland du Luart. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Robert del Picchia, pour explication de vote.
M. Robert del Picchia. M. de Rohan vient exactement de dire ce que j’avais l’intention de répondre à mon collègue. Mais c’est à titre de témoignage que je prends la parole. Je suis rapporteur pour la délégation pour l’Union Européenne sur le suivi d’adhésion de la Turquie.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ah ! Intéressant...
M. Robert del Picchia. Oui, Madame ! J’ai effectué avec M. Haenel plusieurs voyages en Turquie. Nous avons rédigé des rapports et avons vu l’évolution vers l’adhésion de la Turquie.
Mes chers collègues, contrairement à ce que certains ont commencé à faire, il ne s’agit pas ici de débattre sur l’adhésion de la Turquie ; ce n’est absolument pas le problème. D’ailleurs, cette question ne se posera peut-être pas, de l’avis même de certaines autorités turques. On verra bien le moment venu, dans douze à quinze ans, si la Turquie exprime toujours le désir d’adhérer à l'Union européenne et si elle en a les moyens. Du reste, l'Union européenne sera peut-être devenue tout autre chose. Il sera alors temps d’engager le débat.
La discussion, ce soir, doit donc se limiter à ce seuil des 5 %. À cet égard, permettez-moi de vous raconter une petite anecdote. Voilà trois semaines, Hubert Haenel et moi-même avons été reçus par de hautes personnalités turques, et, sur leur bureau, se trouvait le texte du projet de loi constitutionnelle adopté par l’Assemblée nationale. Ces personnalités nous ont dit, en plaisantant, que les députés, au lieu d’inscrire ces 5 %, auraient pu tout simplement écrire qu’un référendum serait obligatoire pour tous les pays dont le nom commence par la lettre T et finit par la lettre E ! (Sourires.)
M. Michel Charasse. La Tunisie ! (Nouveaux sourires.)
M. Robert del Picchia. Ce n’est pas un pays européen ! D’ailleurs, elle n’est même pas candidate !
Mes chers collègues, aux dires de certains, il convient de ne pas perturber nos relations avec la Turquie. Mais, comme j’ai pu le constater sur place, le mal est déjà fait, et la situation est grave ! Plusieurs sociétés françaises ne réussissent plus à signer de contrats avec la Turquie. Elles ne peuvent même plus s’associer, dans le cadre de joint ventures, à des entreprises étrangères, ces dernières redoutant que leur présence ne les empêche de recevoir l’agrément des autorités turques.
Nous sommes véritablement confrontés à de sérieuses difficultés, au-delà même des problèmes de relations personnelles et politiques. En effet, pour les Turcs, ce n’est même plus de la discrimination, c’est presque une injure !
Par conséquent, mes chers collègues, supprimons ce critère de 5 % qui ne rime à rien ! (M. Adrien Gouteyron applaudit.)
M. Hubert Haenel. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Raffarin, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Raffarin. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, je tiens à rappeler, pour notre collègue et ami Jean-Pierre Sueur, quelques éléments de notre histoire récente relatifs à la révision constitutionnelle de février 2005.
Le Président Jacques Chirac n’a jamais caché à quiconque, surtout pas aux Français, sa position quant à la Turquie.
M. le président. C’est vrai !
M. Jean-Pierre Raffarin. Ses choix ont été très courageux, et il les a toujours expliqués avec une parfaite netteté.
Il a notamment refusé de mettre son veto au processus d’adhésion, sachant que ce dernier était complexe et qu’il présentait un certain nombre de garanties. Il a consulté l’ensemble des familles politiques. S’est alors dégagé le sentiment qu’il fallait recourir au suffrage populaire pour les prochains élargissements. (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s’exclame.)
Le Président de la République a clairement refusé de désigner nommément un État, pour ne pas laisser penser qu’il pourrait y avoir différentes procédures d’intégration à l’Union européenne selon les pays concernés.
M. Jacques Valade. Absolument !
M. Jean-Pierre Raffarin. C’est donc pour cette raison qu’il a choisi le référendum pour tout nouvel élargissement et qu’une telle possibilité existe désormais. Je suis moi-même attaché au fait que la procédure d’adhésion soit la même pour chaque pays, car cela permet d’éviter tout risque de discrimination. Les uns et les autres devront donc veiller à respecter le processus d’adhésion.
De ce fait, je me sens tout à fait à l’aise en votant les amendements identiques, même si je trouve que la disposition adoptée à l’époque était, d’une certaine manière, plus protectrice. Cela dit, le choix de la procédure finale relève de la responsabilité du chef de l’État, et l’article 33, cher collègue Bruno Retailleau, ne remet pas du tout en cause les principes de nos institutions. Au contraire, la rédaction retenue valorise le choix du Président de la République. Sur ce plan, la campagne pour la prochaine élection présidentielle sera éclairante : chaque candidat sera tenu de prendre un engagement. L’actuel Président de la République l’a dit, il y aura un référendum s’il est aux commandes. Nous verrons ce que ses éventuels successeurs décideront.
En tout état de cause, la décision finale reflétera l’opinion de la majorité des Français, qui se seront exprimés par leur suffrage. (Applaudissements sur les travées de l’UMP. – MM. Jean Arthuis et Pierre Fauchon applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Nicolas Alfonsi, pour explication de vote.
M. Nicolas Alfonsi. Mes chers collègues, je ferai trois observations.
La première, c’est que le fait de modifier deux fois en trois ans la Constitution sur ce point illustre de la meilleure manière possible l’absolue nécessité de manier notre loi fondamentale avec précaution. Voilà une disposition qui sera demeurée virtuelle !
La deuxième observation tient aux difficultés rencontrées par ceux qui expriment des réserves. Je partage largement l’avis émis par M. Retailleau, à propos, notamment, de tout élargissement. M. Haenel s’en souvient, à l’occasion du débat sur la Roumanie et sur la Bulgarie, j’avais moi-même exprimé la plus expresse réserve, dans la mesure où, à un moment donné, on peut être contre tout élargissement, a fortiori quand il s’agit de l’adhésion de la Turquie.
Au demeurant, pour les partisans de cette dernière, le fait de réviser le texte constitutionnel est certainement plus facile que pour ceux qui expriment des réserves. Lorsque le général de Gaulle, comme cela a été rappelé, a déclaré à Ankara, en 1963, que la Turquie avait une vocation européenne, on en a peut-être conclu un peu vite que son adhésion était en vue, alors que le général de Gaulle, la même année, exprimait des réserves sur celle de la Grande-Bretagne. Par conséquent, tout cela est toujours très compliqué.
Pour ceux qui se montrent sceptiques sur l’adhésion de la Turquie, la difficulté tient au fait que le crédit de l’État français compte tout autant que leurs réserves.
On peut également redouter la progression insidieuse du processus d’adhésion. La Turquie et l’Union européenne ont ainsi récemment ouvert la discussion concernant les septième et huitième chapitres, sur les trente-cinq prévus. Or, on le sait très bien, à un moment donné, à la fin de l’« entonnoir », il faudra trancher, ce qui fera peser une énorme responsabilité sur nos dirigeants, notamment le Président de la République. On peut donc douter que ce dernier opte pour le référendum. Ceux qui exprimaient des réserves se trouveraient, d’une certaine façon, quelque peu coincés, dans une situation qui les dépassera.
Troisième et dernière observation, M. le rapporteur a évoqué le référendum populaire. C’est en effet l’une des deux procédures référendaires envisageables, et la seule chose à laquelle il faut se raccrocher.
En tout cas, ne nous mettons pas dans la situation de deux amoureux qui seraient restés fiancés pendant quinze ans et dont l’un, à la dernière minute, devant M. le maire, refuserait de se marier !
M. le président. La parole est à M. Pierre Laffitte, pour explication de vote.
M. Pierre Laffitte. Pour des raisons pratiques, l’amendement n° 395 déposé par certains membres du RDSE n’a pu être défendu. Je tiens donc à préciser que notre groupe, dans son ensemble, rejoint la position exprimée par les deux commissions et l’ensemble des groupes. Il souscrit aux arguments très précis et concrets avancés par l’ensemble des orateurs. L’ancien Premier ministre, M. Raffarin, a notamment bien précisé que, de toute façon, en votant ces amendements, nous en revenons à la situation où tout est possible pour chacun des processus d’adhésion.
M. Bernard Frimat. Ensemble tout devient possible…
M. Pierre Laffitte. C’est la raison pour laquelle nous souhaitons le rétablissement du texte initial proposé par le Gouvernement.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Fourcade, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Fourcade. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, le problème difficile qui est devant nous, c’est la résonance dans l’opinion publique du vote que nous allons émettre. De ce point de vue, je me félicite de ce que nous soyons ici quasiment tous unanimes pour condamner cette espèce de mise au pilori de la Turquie, qui est tout à fait indécente dans un texte constitutionnel. C’est la raison pour laquelle j’ai cosigné l’amendement qu’a présenté M. Haenel et que je voterai tous ces amendements identiques, émanant aussi bien de la commission des affaires étrangères et de la commission des lois que des différents groupes.
Pour autant, en ce qui me concerne, je ne suis pas partisan de l’entrée de la Turquie dans l’Union européenne.
M. Josselin de Rohan, rapporteur pour avis. Ce n’est pas la question !
M. Jean-Pierre Fourcade. Selon moi, l’adhésion d’un tel pays, aussi grand et aussi puissant, risque de déséquilibrer la totalité de la construction européenne. Il faut donc bien réfléchir à notre vote et laisser la procédure de négociation qui a été ouverte se dérouler tout à fait normalement.
Je voterai donc ces amendements identiques, et ce pour trois raisons.
Premièrement, je suis conscient des dégâts économiques et financiers qu’a entraînés la position adoptée par nos collègues de l’Assemblée nationale pour nos entreprises et, donc, pour l’emploi de notre pays, pour notre balance commerciale et pour notre balance des services.
À mon sens, en matière de relations internationales, toute décision prise quelque peu brutalement provoque des conséquences très importantes. Dans cette affaire, l’Assemblée nationale a commis une erreur, et nous allons mettre des années pour la rattraper.
Deuxièmement, à l’article 3 bis du projet de loi constitutionnelle, c’est bien un référendum d’initiative parlementaire, appuyé par une pétition populaire, que nous avons instauré. Or, le cas échéant, il pourra toujours être invoqué.
Troisièmement, dans cette affaire, au regard de l’évolution du monde actuel et dans le cadre du projet d’Union pour la Méditerranée que le Président de la République va tenter de lancer solennellement le mois prochain, il y a tellement d’inconnues et de difficultés qu’il serait absurde, aujourd’hui, d’adopter une disposition discriminatoire contre l’un de nos grands pays partenaires.
C’est la raison pour laquelle il faut nous garder de tout amalgame entre l’adhésion de la Turquie et la réforme constitutionnelle. C’est le point sur lequel nous risquons le plus d’être attaqués. Dans notre tâche de constituant, nous devons expliquer que nous entendons rester au-dessus des problèmes catégoriels ou particuliers de tel ou tel pays, en respectant la faculté laissée au Président de la République de choisir entre le référendum ou le passage devant le Parlement. Nous devons mettre en avant l’article 3 bis, qui crée véritablement une possibilité supplémentaire. Nous devons montrer que, dans cette affaire, ce sont les intérêts de notre pays et ceux de la construction européenne que nous essayons de préserver, et pas autre chose ! (Très bien ! et applaudissements sur plusieurs travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. Jean Arthuis, pour explication de vote.
M. Jean Arthuis. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, je voterai le rétablissement de l’article 33 tel que l’avait conçu le Gouvernement, et je voudrais vous faire partager les trois observations qui me viennent à l’esprit.
Première observation, nous devons veiller à ne modifier la Constitution qu’avec circonspection,…
M. Jean Arthuis. … en évitant toute révision destinée uniquement à régler un problème passionnel, apparu à un moment donné dans une conjoncture bien précise.
À mon sens, de telles pratiques nous égarent et n’aident pas à éclairer nos concitoyens. Gardons-nous donc de la tentation de modifier, presque chaque année, notre loi fondamentale, car nous prenons très vite le risque de nous contredire, avec quelque embarras pour en expliquer la justification.
Ma deuxième observation a trait à ce risque d’hypocrisie qui nous guette. Mes chers collègues, si nous nous interrogeons aujourd’hui sur l’entrée éventuelle de la Turquie dans l’Union européenne, n’oublions pas que ce pays est tout de même membre de l’Union douanière européenne depuis 1995 ! Autrement dit, les biens et les services circulent librement à l’intérieur de l’Union douanière, et il n’y a aucune barrière entre la Turquie, la France et les autres pays de l’Union européenne. Les délocalisations industrielles au profit de la Turquie se sont produites à la fin des années quatre-vingt-dix, nombre d’entrepreneurs s’y installant notamment pour y produire des téléviseurs. En 2008, au sein de l’Union douanière européenne, plus aucun téléviseur n’est fabriqué en dehors de ce pays !
Par conséquent, ayons tout cela à l’esprit et méfions-nous de quelques hypocrisies ambiantes.
Enfin, troisième observation, si nous voulons que le processus aille à son terme et soit conforme à nos vœux, alors avançons hardiment dans la construction d’une Europe politique. Nous verrons bien, au moment de son avènement, quels pays sont au rendez-vous politique. Ayant dit cela, je voterai le rétablissement de l’article 33. (Applaudissements sur les travées de l’UC-UDF et sur plusieurs travées de l’UMP.)
M. le président. Monsieur Arthuis, que je sache, la Turquie participera à la demi-finale du Championnat d’Europe des nations !
MM. Jean Arthuis et Jean-René Lecerf. La Russie également, monsieur le président !
M. Robert del Picchia. Et si la Turquie gagne en finale ?
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 133, 142, 292 rectifié, 396 rectifié et 493.
Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant de la commission des lois.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
(Il est procédé au comptage des votes.)
M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 114 :
Nombre de votants | 328 |
Nombre de suffrages exprimés | 304 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 153 |
Pour l’adoption | 297 |
Contre | 7 |
Le Sénat a adopté. (Applaudissements.)
En conséquence, l’article 33 est ainsi rédigé, et l’amendement n° 154 n’a plus d’objet.
Nous avons achevé l’examen de l’article 33, pour lequel la priorité avait été demandée.
Dans la discussion des articles, nous en étions parvenus, avant la priorité de l’article 33, aux amendements tendant à insérer des articles additionnels après l’article 18.
Articles additionnels après l'article 18
M. le président. L'amendement n° 337, présenté par Mmes Boumediene-Thiery, Blandin et Voynet et MM. Desessard et Muller, est ainsi libellé :
Après l'article 18, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après le premier alinéa de l'article 44 de la Constitution, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Avant l'ouverture du débat, les amendements du Gouvernement sont déposés après avis du Conseil d'État. »
La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.
Mme Alima Boumediene-Thiery. Ce texte vise à encadrer le droit d’amendement gouvernemental.
Il est tout à fait souhaitable que les amendements du Gouvernement fassent l’objet d’un examen par le Conseil d'État.
Alors que ces amendements sont souvent très importants, il arrive qu’ils soient transmis à quelques jours de l’ouverture des débats, avec tout ce que cela implique comme difficulté d’examen.
M. Bizet sait de quoi je parle. Je me souviens que, dans le cadre des projets de loi sur les OGM et sur la responsabilité environnementale, nous nous sommes vu remettre, à trois jours de l’ouverture de nos débats, trois amendements transposant à eux seuls trois directives européennes !
Il convient de rationaliser le pouvoir d’amendement du Gouvernement, à certains égards illimité, ce qui aura pour effet de permettre un meilleur travail en commission.
En effet, si le droit d’amendement parlementaire est régi par les règles du règlement intérieur de chaque assemblée, il me semble que le droit d’amendement du Gouvernement est assez libre et n’est soumis à aucune vraie règle. Dans ces conditions, il serait tout à fait opportun de l’encadrer par un avis du Conseil d'État.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Cette obligation instituerait une procédure très lourde qui ne semble pas opportune. Il appartient aux commissions saisies au fond d’apprécier le bien-fondé des amendements du Gouvernement. Je rappelle d’ailleurs, mes chers collègues, que vous avez refusé que l’avis du Conseil d'État soit donné sur nos propositions de loi.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L'amendement n° 336, présenté par Mmes Boumediene-Thiery, Blandin et Voynet et MM. Desessard et Muller, est ainsi libellé :
Après l'article 18, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après le deuxième alinéa de l'article 44 de la Constitution, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Le Gouvernement ne peut introduire, par amendement à un projet ou une proposition de loi, de dispositions nouvelles dépourvues de tout lien avec une des dispositions du texte en discussion. Ces dispositions ne s'appliquent pas aux projets de loi de finances ou de financement de la sécurité sociale. »
La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.
Mme Alima Boumediene-Thiery. Cet amendement vise à mettre l’accent sur ce que l’on appelle les « cavaliers législatifs » non pas du Parlement mais du Gouvernement.
On nous dit que l’objet de cette réforme est de donner plus de pouvoirs au Parlement. Cet amendement, qui procède d’un souci de clarification du travail parlementaire, vise donc à appliquer au Gouvernement la règle du cavalier législatif à laquelle nous sommes soumis.
Les conditions de dépôt des amendements par le Gouvernement font l’objet d’une tolérance parfois troublante. Si le Gouvernement dispose du droit d’amendement au même titre que les parlementaires, alors il doit respecter au même titre que les parlementaires la règle du lien avec le texte en discussion.
Je vous propose donc de reprendre la définition du cavalier législatif donnée par le Conseil constitutionnel pour les parlementaires et de l’appliquer au Gouvernement. Ainsi ce dernier ne pourra pas déposer d’amendements dépourvus de tout lien avec le texte en discussion.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Vous vous souvenez, mes chers collègues, que nous avons supprimé un dispositif prévu pour les amendements parlementaires concernant le lien direct ou indirect.
Bien entendu, la jurisprudence du Conseil constitutionnel s’applique au Gouvernement comme au Parlement quand ses textes donnent l’occasion à des cavaliers, voire à une cavalerie entière, de charger comme à Reichshoffen ! (Sourires.)
M. Gérard Longuet. Ce fut un désastre !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. En effet !
Quoi qu’il en soit, le Conseil constitutionnel donnera son avis. Cette mention n’a donc pas sa place dans la Constitution.
La commission est défavorable à l’amendement n° 336.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. Le Gouvernement partage l’avis de la commission, même si je n’aurais pas forcément pris la comparaison avec Reichshoffen.
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 336.
(L'amendement n'est pas adopté.)
Article 19
L'article 45 de la Constitution est ainsi modifié :
1° Le premier alinéa est complété par une phrase ainsi rédigée :
« Sans préjudice de l'application des articles 40 et 41, tout amendement est recevable en première lecture dès lors qu'il présente un lien, même indirect, avec le texte déposé ou transmis. » ;
2° Le deuxième alinéa est ainsi modifié :
a) Après les mots : « ou, si le Gouvernement a déclaré l'urgence », sont insérés les mots : « sans que les Conférences des Présidents des deux assemblées s'y soient conjointement opposées » ;
b) Après le mot : « ministre », sont insérés les mots : « ou, pour une proposition de loi, le Président de l'assemblée dont elle émane, ».
M. le président. Je suis saisi de seize amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L'amendement n° 208, présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen, est ainsi libellé :
Rédiger comme suit cet article :
Les trois derniers alinéas de l'article 45 de la Constitution sont remplacés par un alinéa ainsi rédigé :
« Lorsque par suite d'un désaccord entre les deux assemblées un projet ou une proposition de loi n'a pu être adopté après trois lectures par chaque assemblée, le Gouvernement demande à l'Assemblée nationale de statuer définitivement. »
La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. L’article 19, qui modifie l’article 45 de la Constitution, comporte trois dispositions visant, pour l’une d’elles et malgré les arguments du Gouvernement, à limiter le droit d’amendement et le débat public. Les deux autres sont quelque peu hypocrites.
La première disposition de l’article 19 prévoit que, sous réserve de l’application de l’article 40, relatif à l’irrecevabilité financière, et de l’article 41, relatif à l’irrecevabilité pour méconnaissance de la répartition entre compétence législative et réglementaire, « tout amendement est recevable en première lecture dès lors qu’il présente un lien, même indirect, avec le texte déposé ou transmis ». C’est l’une des deux dispositions que je considère comme légèrement hypocrite parce qu’elle veut nous faire croire qu’elle assouplit le droit d’amendement.
Vous ne pouvez pas avoir déjà oublié que vous avez refusé ce que proposaient un certain nombre de nos collègues, à savoir la suppression de l’article 40 de la Constitution. Vous ne pouvez non plus ignorer que l’article 15 du projet de loi a durci les conditions de recevabilité des amendements en octroyant au président de l’assemblée saisie le droit d’opposer à un amendement l’irrecevabilité fondée sur une méconnaissance du domaine de la loi.
La deuxième disposition légèrement hypocrite de cet article concerne la possibilité pour la conférence des présidents des deux assemblées de s’opposer conjointement à la déclaration d’urgence.
Mais si l’opposition avait un quelconque poids en conférence des présidents, croyez-moi, cela se saurait ! C’est évidemment la majorité, qui impose sa volonté en conférence des présidents, où elle est surreprésentée. Et elle se pliera aux desiderata du Gouvernement s’agissant de la déclaration d’urgence sur un projet de loi. Je ne crois pas que je serai démentie…
Enfin, la dernière disposition présente le grave inconvénient de limiter le débat en séance publique, ce qui ne nous convient pas, comme vous le savez.
En effet, l’article 19 prévoit de donner au président de chaque assemblée l’initiative de convoquer une commission mixte paritaire pour une proposition de loi dans les mêmes conditions que celles qui sont actuellement fixées par l’article 45 de la Constitution.
Alors que les commissions mixtes paritaires sont majoritairement convoquées dans le cadre de l’examen d’un projet de loi après déclaration d’urgence qui ne permet pas de débattre du texte dans de bonnes conditions, cet article nous propose d’en étendre les possibilités de mise en œuvre.
Les CMP représentent la négation d’un débat parlementaire pluraliste, transparent et public.
M. le président. Il faut conclure !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Bref, nous ne pouvons admettre de prévoir que cette procédure anti-démocratique soit étendue aux propositions de loi sur proposition du président de l’assemblée dont elle émane.
M. le président. Les trois amendements suivants sont identiques.
L'amendement n° 119 est présenté par M. Hyest, au nom de la commission des lois, est ainsi libellé :
Supprimer le 1° de cet article.
L'amendement n° 282 rectifié est déposé par MM. Détraigne, Biwer et Fauchon, Mme Férat, MM. Soulage, Deneux et Merceron, Mme Morin-Desailly et MM. Nogrix, J.L. Dupont et Dubois.
L'amendement n° 402, présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen.
Tous trois sont ainsi libellés :
Supprimer le 1° de cet article.
La parole est à M. le rapporteur, pour défendre l’amendement n° 119.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. La commission des lois s’est interrogée sur la nécessité de rappeler dans le texte constitutionnel la recevabilité, en première lecture, d'un amendement présentant un lien, même indirect, avec le texte déposé ou transmis, alors même que ce principe est garanti, sous une forme peut-être plus satisfaisante, par la jurisprudence désormais bien établie du Conseil constitutionnel.
En effet, cette jurisprudence prévoit qu'un amendement ne « doit pas être dépourvu de tout lien » avec l'objet du projet de loi ou de la proposition de loi.
Je vous propose, en conséquence, un amendement afin de supprimer le texte proposé par le 1° de cet article pour compléter le texte de l'article 45 de la Constitution.
M. le président. La parole est à M. Pierre Fauchon, pour défendre l’amendement n° 282 rectifié.
M. Pierre Fauchon. Il est défendu.
M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour défendre l’amendement n° 402.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Notre amendement vise à supprimer le 1° de l’article 19, qui concerne les conditions de recevabilité des amendements.
Nous en avons parlé lorsque nous avons défendu notre amendement n° 408, mais également lorsque nous avons débattu de l’article 15, qui crée une nouvelle possibilité d’opposer l’irrecevabilité des amendements.
Certes, les arguments contre cet article sont venus de toutes les travées. Mais si l’opposition à l’article 15 a recueilli un consensus, les raisons de cette opposition n’ont toutefois pas le même fondement. En effet, monsieur le rapporteur, vous préfériez renvoyer le Gouvernement à ses responsabilités, considérant que c’était à lui d’assurer le respect de sa compétence réglementaire. Nous y voyions plutôt une nouvelle et grave remise en cause du droit d’amendement.
C'est pourquoi nous avions souhaité aller plus loin et abroger l’article 41 de la Constitution, afin de supprimer pour le Gouvernement toute possibilité, que nous jugions totalement arbitraire, d’opposer l’irrecevabilité à un amendement qui empièterait sur le domaine réglementaire.
Toujours est-il que l’article 15 du projet de loi constitutionnelle a été supprimé. S'agissant de l’article 19, nous souhaitons, à l’instar de M. le rapporteur, qui a également déposé un amendement en sens, en limiter les effets pervers.
Tel est l’objet de cet amendement.
M. le président. L'amendement n° 475, présenté par MM. Frimat, Badinter, Bel, Collombat, Dreyfus-Schmidt, C. Gautier, Mauroy, Peyronnet, Repentin, Sueur, Yung et les membres du groupe Socialiste et apparentés, est ainsi libellé :
Rédiger comme suit le second alinéa du 1° de cet article :
« Tout amendement est recevable dès lors qu'il présente un lien avec le texte déposé ou transmis. »
La parole est à M. Thierry Repentin.
M. Thierry Repentin. Aux termes de la Constitution et de la jurisprudence établie par le Conseil constitutionnel, le droit d’amendement appartient aux membres du Parlement et au Gouvernement.
Cette prérogative doit pouvoir s’exercer pleinement, au cours de la première lecture des projets et des propositions de loi par chacune des deux assemblées. Elle ne saurait être limitée, à ce stade de la procédure et dans le respect des exigences de clarté et de sincérité du débat parlementaire, que par les règles de recevabilité ainsi que par la nécessité pour un amendement de ne pas être dépourvu de tout lien avec l’objet du texte déposé sur le bureau de la première assemblée saisie.
Le Conseil constitutionnel note également « qu’il ressort de l’économie générale de l’article 45 de la Constitution et notamment de son premier alinéa […] que les adjonctions aux modifications qui peuvent être apportées, après la première lecture, par les membres du Parlement et par le Gouvernement doivent être en relation directe avec une disposition restant en discussion », c'est-à-dire qui n’a pas été adoptée dans les mêmes termes par l’une ou l’autre assemblée. Cette jurisprudence est dite de « l’entonnoir ».
Toutefois, « ne sont pas soumis à cette dernière obligation les amendements destinés à assurer le respect de la Constitution, à opérer une coordination avec les textes en cours d’examen ou à corriger une erreur matérielle ».
Or l’application stricte de la règle dite de « l’entonnoir », selon laquelle, à la suite de la première lecture du texte de loi, les amendements présentés ne peuvent plus porter que sur les dispositions restant en discussion, sans pouvoir en instaurer de nouvelles, a conduit à une restriction du droit d’amendement parlementaire.
L’objet de cet amendement est donc de réaffirmer le droit d’amendement et de supprimer la jurisprudence de l’entonnoir.
En effet, en proposant d’aménager les modalités d’exercice du droit d’amendement, la nouvelle rédaction de l’article 45 de la Constitution tend à rendre aléatoire l’effectivité de ce droit. En conséquence, afin de préserver celui-ci dans sa plénitude pour l’avenir, il convient d’en réaffirmer clairement le principe, car il représente véritablement la prérogative par excellence des parlementaires.
Ce droit doit donc pouvoir s’exercer, dès lors que l’amendement possède un lien avec le texte, au cours de toutes les lectures ayant lieu avant la commission mixte paritaire, y compris s’il traite d’un point qui n’a pas été abordé lors des précédentes lectures.
M. le président. L'amendement n° 62, présenté par MM. Virapoullé et Lecerf, est ainsi libellé :
Dans le second alinéa du 1° de cet article, après les mots :
de l'application des articles
insérer la référence :
34,
La parole est à M. Jean-René Lecerf.
M. Jean-René Lecerf. Cet amendement de coordination, assez technique, nous paraît nécessaire pour éviter toute ambiguïté sur l'étendue du droit d'amendement. En effet, celle-ci est conditionnée, outre par les articles 40 et 41 de la Constitution, par la définition spécifique du domaine des lois de finances et des lois de financement de la sécurité sociale et par les lois organiques qui y sont relatives en application de l'article 34 de la Constitution.
M. le président. L'amendement n° 359, présenté par Mmes Boumediene-Thiery, Blandin et Voynet et MM. Desessard et Muller, est ainsi libellé :
Après les mots :
dès lors qu'il
rédiger comme suit la fin du second alinéa du 1° de cet article :
n'est pas dépourvu de tout lien avec l'objet du texte déposé ou transmis. » ;
La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.
Mme Alima Boumediene-Thiery. Après ma proposition relative aux cavaliers gouvernementaux, nous allons débattre des cavaliers parlementaires !
Dans sa grande générosité, le rapporteur du présent texte à l’Assemblée nationale a fait adopter cet article censé assouplir les conditions de recevabilité des amendements en raison de leur objet.
Toutefois, il convient d’aborder cette question dans le contexte général de la réforme : le droit d’amendement des parlementaires est en train de subir de véritables coupes sombres.
J’en prendrai trois exemples : tout d'abord, une loi organique risque de fortement aménager le droit d’amendement en le soumettant à des conditions et des critères qui ne sont pas encore définis ; ensuite, le maintien de l’article 40 de la Constitution constitue en soi une limitation importante du droit d’amendement ; enfin, il est offert non seulement au Gouvernement, mais également au président de l’assemblée concernée d’opposer l’irrecevabilité sur le fondement de l’article 41.
Avec cet article, nous avons donc droit à une bien triste compensation, qui n’a finalement d’autre objet que de constitutionnaliser la lutte contre les cavaliers législatifs. Autant dire qu’il s'agit d’un cadeau empoisonné : on bascule d’une simple faculté ouverte au Conseil constitutionnel à une constitutionnalisation des cavaliers législatifs.
Mes chers collègues, autant être francs et coller à la définition donnée par le Conseil constitutionnel, qui a au moins le mérite d’avoir une tournure négative !
M. le président. L'amendement n° 476, présenté par MM. Frimat, Badinter, Bel, Collombat, Dreyfus-Schmidt, C. Gautier, Mauroy, Peyronnet, Sueur, Yung et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Supprimer le a) du 2° de cet article.
La parole est à M. Jean-Claude Peyronnet.
M. Jean-Claude Peyronnet. Cet amendement a pour objet la déclaration d’urgence.
D’une façon générale, nous ne sommes pas favorables à cette procédure, tout en reconnaissant que le Gouvernement peut être contraint d’y recourir, dans des circonstances particulières, et qu’il peut être donc utile d’en définir les modalités d’application.
La procédure qui nous est proposée n’est pas satisfaisante. Sur le fond, nous constatons que la déclaration d’urgence sert plus à régler l’ordre du jour des assemblées qu’à répondre à des besoins réels. D'ailleurs, seules 20 % des lois qui ont été votées en urgence entre 2002 et 2007 sont devenues directement applicables, contre 46 % des lois adoptées selon la procédure normale. De façon assez curieuse, les lois prétendument les plus urgentes sont appliquées moins vite que les autres ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
Par ailleurs, nous sommes opposés à la généralisation ou au recours trop fréquent à la déclaration d’urgence, parce que nous tenons beaucoup à ce que la procédure parlementaire aille jusqu’à son terme. Quand nous vantons les mérites du bicamérisme, nous célébrons par là même les avantages de la navette, des commissions mixtes paritaires et la qualité du travail parlementaire qui en résulte. De façon générale, nous ne sommes donc pas favorables à cette extension de l’urgence.
Cela dit, il est nécessaire de prévoir une procédure de ce genre pour les cas où le Gouvernement devrait effectivement agir au plus vite. Or, celle qui nous est proposée, c'est-à-dire l’opposition conjointe des deux conférences des présidents à la déclaration d’urgence, nous semble inadaptée. En outre, elle établit une différence entre les gouvernements selon qu’ils sont de gauche ou de droite.
Lorsque l’Assemblée nationale et le Sénat auront la même couleur politique, comme c’est le cas actuellement, aucune difficulté ne se posera : les deux conférences des présidents suivront l’avis du Gouvernement et déclareront la nécessité de l’urgence.
En revanche, lorsqu’un gouvernement de gauche aura besoin d’utiliser cette procédure, il se trouvera dans l’impossibilité d’y recourir, car le Sénat, hélas ! aura conservé la couleur politique qui est la sienne aujourd'hui et sa conférence des présidents s’y opposera. Il y aura donc une discrimination dans le temps entre les différents gouvernements, selon leur couleur politique et la majorité sur laquelle ils s’appuient à l’Assemblée nationale.
Tel est l'objet de cet amendement de suppression.
M. le président. L'amendement n° 120, présenté par M. Hyest, au nom de la commission des lois, est ainsi libellé :
Dans le a) du 2° de cet article, remplacer les mots :
déclaré l'urgence
par les mots :
décidé la procédure accélérée
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Il s'agit d’un amendement de coordination.
M. le président. L'amendement n° 209, présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen, est ainsi libellé :
Après les mots :
sans que
rédiger comme suit la fin du a du 2° de cet article :
la Conférence des Présidents d'une assemblée ou un groupe parlementaire s'y soient opposés » ;
La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Je développerai les mêmes arguments que notre collègue Jean-Claude Peyronnet : entre 2002 et 2007, sous les gouvernements de MM. Raffarin et de Villepin, la procédure d’urgence a été utilisée cinquante-neuf fois, et les textes votés dans ces conditions ont été appliqués moins rapidement que les autres.
Il n’existe donc pas de corrélation entre l’urgence demandée par le Gouvernement et celle qui s’impose en réalité. Ce sont plutôt des considérations d’ordre politique qui conduisent à déclarer l’urgence sur un texte.
La rédaction actuelle de l’article 19 du projet de loi constitutionnelle dispose seulement que l’urgence ne peut être engagée que si la conférence des présidents de chaque assemblée ne s’y est pas opposée.
Cet objectif est louable. Toutefois, dans la pratique, cette disposition serait tout à fait inopérante, comme l’a souligné Jean-Claude Peyronnet. Elle trouverait à s’appliquer quand la majorité actuelle gouverne, mais pas quand c’est la gauche qui domine l’Assemblée nationale, ce qui n’est pas acceptable. Elle donnerait au Sénat un droit de veto particulièrement sûr ! (Sourires sur les travées du groupe CRC.)
Nous demandons donc qu’un groupe parlementaire puisse également s’opposer au déclenchement de la procédure d’urgence.
M. le président. L'amendement n° 210, présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen, est ainsi libellé :
Après les mots :
sans que
rédiger comme suit la fin du a du 2° de cet article :
les présidents de groupe parlementaire des deux assemblées s'y soient opposés en Conférence des Présidents » ;
La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Cet amendement est presque identique au précédent. Nous proposons que les groupes parlementaires puissent s'opposer à toute déclaration d'urgence qui ne reposerait pas sur des critères ou des objectifs consensuels.
M. le président. L'amendement n° 121, présenté par M. Hyest, au nom de la commission des lois, est ainsi libellé :
Après les mots :
proposition de loi,
rédiger comme suit la fin du b du 2° de cet article :
les présidents des deux assemblées agissant conjointement, ont ».
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. L'Assemblée nationale a prévu de donner au président de chaque chambre l'initiative de convoquer une commission mixte paritaire pour une proposition de loi dans les mêmes conditions que celles que l'article 45 de la Constitution fixe actuellement pour le Premier ministre.
Cette disposition serait susceptible de présenter certains inconvénients pour le Sénat. En effet, en cas d'échec de la CMP, le Gouvernement pourrait, conformément au dernier alinéa de l'article 45 de la Constitution, demander à l'Assemblée nationale de statuer définitivement.
Par précaution, mes chers collègues, la commission des lois vous propose donc de laisser à l'initiative conjointe des présidents des deux assemblées la demande de réunion d'une commission mixte paritaire.
M. le président. L'amendement n° 326, présenté par Mmes Boumediene-Thiery, Blandin et Voynet et MM. Desessard et Muller, est ainsi libellé :
Compléter le 2° de cet article par deux alinéas ainsi rédigés :
...) Il est complété par une phrase ainsi rédigée :
« Le Gouvernement ne peut décider la procédure accélérée sur un texte si, devant l'une ou l'autre des assemblées, est examiné un texte pour lequel celle-ci a été décidée. »
La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.
Mme Alima Boumediene-Thiery. Cet amendement a pour objet de limiter dans le temps la possibilité laissée au Gouvernement de déclarer l’urgence, qui deviendra bientôt la « procédure accélérée ».
Dans la mesure où il serait arbitraire de limiter le recours à cette procédure à un nombre de textes déterminé, il semble préférable, pour garantir un travail parlementaire de qualité, de rendre impossible la déclaration d’urgence si l’une ou l’autre des assemblées se trouve saisie d’un texte pour lequel une telle procédure a été décidée.
Cette mesure n’est pas considérable, mais il s’agirait néanmoins, selon nous, d’une avancée importante : nous n’aurions plus à enchaîner les textes, comme c’est le cas depuis un an, sans avoir le temps de les travailler correctement et sur le fond.
L’allongement des délais d’examen, couplé avec cette nouvelle disposition, limiterait de manière rationnelle le pouvoir du Gouvernement de recourir à une telle procédure.
M. le président. L'amendement n° 330 rectifié, présenté par Mmes Boumediene-Thiery, Blandin et Voynet et MM. Desessard et Muller, est ainsi libellé :
Compléter cet article par deux alinéas ainsi rédigés :
...° Après le deuxième alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« La réunion d'une commission mixte paritaire ne peut intervenir si un projet ou une proposition de loi a été rejeté devant l'Assemblée nationale par l'adoption d'une motion de procédure conformément au règlement de cette assemblée. »
La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.
Mme Alima Boumediene-Thiery. Cet amendement a pour objet la réunion de la commission mixte paritaire. Il tend à répondre à une défaillance dans la procédure parlementaire, qui s’est d'ailleurs matérialisée récemment, lors du vote du projet de loi relatif aux organismes génétiquement modifiés, les OGM, par l’Assemblée nationale.
Selon l’article 45 de la Constitution, le Gouvernement ne peut convoquer une commission mixte paritaire qu’après deux lectures d’un texte devant chaque assemblée, et par suite d’un désaccord entre les deux chambres.
Je le rappelle, le 13 mai dernier, l’Assemblée nationale a rejeté le projet de loi relatif aux OGM, par le biais d’une motion de procédure. Or le règlement de l’Assemblée est clair : l’adoption d’une motion de procédure a pour effet de faire tomber le texte.
Toutefois, le Gouvernement a cru bon de convoquer une commission mixte paritaire afin d’entériner le projet de loi, sans autre forme de débat. Autrement dit, il n’y a pas eu deux lectures du texte, en raison de l’adoption de la motion de procédure, mais le Gouvernement a tout de même convoqué une CMP.
Dans ces circonstances, la réunion de la commission mixte paritaire n’a constitué qu’une manœuvre dilatoire du Gouvernement pour court-circuiter le débat et faire adopter au forceps ce texte, dont les députés de la majorité, par leur brillante et courageuse absence, avaient pourtant permis le rejet.
Cet amendement vise à tirer les conséquences de cette mauvaise interprétation de l’article 45 de la Constitution en précisant clairement qu’une commission mixte paritaire ne peut être convoquée si une motion de procédure a été adoptée avant les deux lectures requises par l’article 45 de la Constitution.
M. le président. L'amendement n° 478, présenté par MM. Frimat, Sueur, Badinter, Bel, Collombat, Dreyfus-Schmidt, C. Gautier, Mauroy, Peyronnet, Yung et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Compléter cet article par deux alinéas ainsi rédigés :
…°Le troisième alinéa est ainsi rédigé :
« Le texte élaboré par la commission mixte est soumis par le Gouvernement pour approbation aux deux assemblées. Aucun amendement n'est recevable. »
La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur. Nous attachons une importance toute particulière à cet amendement, qui vise à ce que le texte élaboré par la commission mixte paritaire soit soumis par le Gouvernement pour approbation aux deux assemblées, aucun amendement n’étant recevable.
Dans notre Constitution, figure cette chose singulière selon laquelle, après une commission mixte paritaire, il ne peut y avoir, sur le texte qui est soumis aux deux assemblées, aucun amendement provenant de l’une ou de l’autre des assemblées, alors que le Gouvernement, lui, peut toujours déposer un amendement.
Il nous paraît assez aberrant que le Gouvernement puisse proposer un amendement à ce moment-là.
En effet, lorsque les travaux en commission mixte paritaire aboutissent, cela signifie que les représentants de l’Assemblée nationale et du Sénat se sont mis d’accord sur un texte. Ce dernier acquiert donc une forte légitimité, puisqu’il émane du Parlement en son entier. Il est ensuite soumis aux deux chambres pour approbation, l’Assemblée nationale ayant le dernier mot si la commission mixte paritaire n’est pas parvenue à un texte commun.
Par conséquent, selon quel principe le Gouvernement peut-il être fondé à déposer un amendement après la réunion de la commission mixte paritaire ? Je vous invite, mes chers collègues, à bien réfléchir à cet état de fait.
En vertu de l’article 44 de la Constitution, le Gouvernement peut, comme cela est déjà arrivé, demander le vote bloqué, y compris à ce stade de la discussion.
M. Michel Charasse. C’est automatique !
M. Jean-Pierre Sueur. Dans ce cas, c’est encore pire !
Voilà qu’un amendement gouvernemental est déposé qui n’a été examiné ni par l’Assemblée nationale ni par le Sénat en première ou en deuxième lecture. Il n’a pas non plus été examiné par la commission mixte paritaire, puisqu’il arrive après celle-ci.
Par conséquent, de deux choses l’une : ou l’on vote le texte, et on avalise l’amendement, ou on ne le vote pas. Mais il n’y a plus aucune marge d’appréciation pour les parlementaires.
C’est la raison pour laquelle nous proposons, à l’instar de ce qui existe pour le Sénat et l’Assemblée nationale, qu’aucun amendement ne puisse émaner du Gouvernement à ce stade.
M. le président. L'amendement n° 477, présenté par MM. Frimat, Badinter, Bel, Collombat, Dreyfus-Schmidt, C. Gautier, Mauroy, Peyronnet, Sueur, Yung et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Compléter cet article par deux alinéas ainsi rédigés :
...° Il est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Le Gouvernement ne peut pas déclarer l'urgence plus de cinq fois par session ordinaire. »
La parole est à M. Bernard Frimat.
M. Bernard Frimat. Cet amendement a simplement pour objet de préciser que le Gouvernement ne peut pas déclarer l’urgence plus de cinq fois par session ordinaire.
Ce faisant, nous voulons simplement marquer la nécessité de mettre une limitation au processus d’urgence, désormais appelé « procédure accélérée ». En effet, si nous n’y prenons garde, l’on risque de se retrouver dans la situation suivante : si aucune limite n’est posée au recours à la procédure accélérée, celle-ci pourra être utilisée autant de fois que l’on voudra.
La limitation du nombre de déclarations d’urgence nous paraît donc indispensable pour travailler dans de bonnes conditions. Selon nous, cette déclaration d’urgence pourrait concerner cinq textes au cours d’une session parlementaire ordinaire ; en effet, compte tenu des délais qui nous sont impartis, il semble que cela soit amplement suffisant.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. La disposition proposée dans l’amendement n° 208 interdirait la mise en œuvre de la procédure accélérée, alors même que la prolongation de la navette entre les deux assemblées n’est pas toujours indispensable.
En outre, cet amendement ne favoriserait pas la recherche d’une solution de compromis entre le Sénat et l’Assemblée nationale. La commission y est donc défavorable.
La commission émet un avis défavorable sur l’amendement n° 282 rectifié, identique à son amendement n° 119.
L’amendement n° 402 sera satisfait par l’amendement n° 119 de la commission tendant à la suppression du 1° de l’article 19, même si les motivations de ces deux amendements sont opposées.
S’agissant de l’amendement n° 475, sa rédaction paraît moins favorable que celle qui a été proposée par l’Assemblée nationale et, surtout, que la jurisprudence du Conseil constitutionnel à laquelle la commission propose de s’en tenir.
Selon moi, la règle de « l’entonnoir » est de toute façon indispensable si l’on veut que le débat parlementaire soit organisé.
Il est vrai que cette règle était respectée depuis très longtemps, puis qu’elle l’a été de moins en moins ; nous ne souhaitons pas qu’elle soit modifiée. C’est pourquoi la commission est défavorable à cet amendement.
L’amendement n° 62 ne me paraît pas indispensable. D’ailleurs, si l’amendement n° 119 de la commission tendant à supprimer le 1° de cet article est adopté, il deviendra sans objet.
S’agissant de l’amendement n° 359, la commission est d’accord sur le fond avec l’argumentation développée par Mme Boumediene-Thiery. Toutefois, puisque la jurisprudence du Conseil constitutionnel s’est stabilisée, il ne paraît pas indispensable d’apporter cette précision dans la Constitution, pas plus que ne l’a fait l’Assemblée nationale. La commission est donc défavorable à cet amendement.
En ce qui concerne l’amendement n° 476, même s’il convient de ne pas donner une portée considérable à la possibilité pour les deux conférences des présidents de s’opposer conjointement à la mise en œuvre de la déclaration d’urgence, cette faculté laisse une capacité d’initiative au Parlement et mérite, à ce titre, d’être conservée. C’est la raison pour laquelle la commission est également défavorable à cet amendement.
L’amendement n° 209, contrairement aux intentions de ses auteurs telles qu’elles sont exprimées dans son objet, tend à donner effectivement au Sénat un droit de veto à l’utilisation de la procédure accélérée, la disposition votée par l’Assemblée nationale impliquant au contraire une opposition conjointe des conférences des présidents des deux assemblées.
La faculté donnée à tout groupe parlementaire de s’opposer à la procédure accélérée interdirait en pratique le recours à ce dispositif. La commission est donc défavorable à cet amendement.
L’amendement n° 210 vise à permettre aux présidents de groupes parlementaires des deux assemblées de s’opposer à la mise en œuvre de la procédure accélérée, ce qui reviendrait à paralyser le recours à ce dispositif. La commission est donc également défavorable à cet amendement.
Quant à l’amendement n° 326, sa rédaction n’est pas parfaitement limpide. Il convient, en effet, de laisser au Gouvernement une certaine souplesse pour décider la mise en œuvre de la procédure accélérée, d’autant plus que les conférences des présidents des deux assemblées peuvent s’y opposer conjointement.
La commission propose, dans l’amendement n° 115, que l’examen des textes faisant l’objet d’une procédure accélérée soit soumis au délai minimum prévu par l’article 42 de la Constitution. De ce fait, elle est défavorable à l’amendement n° 326.
L’amendement n° 330 rectifié vise à limiter, dans certaines circonstances, la possibilité de provoquer une commission mixte paritaire. Les conséquences d’une telle mesure seraient d’interdire toute issue en cas de désaccord entre les deux assemblées. Cette disposition ne reviendrait-elle pas, lorsque la majorité du Sénat ne correspond pas à celle de l’Assemblée nationale, à donner un droit de veto au Sénat ? Vous imaginez un peu ? Ce serait l’horreur ! Est-ce vraiment l’intention de ses auteurs ? Quoi qu’il en soit, la commission est défavorable à cet amendement.
S’agissant de l’amendement n° 478, la disposition selon laquelle aucun amendement n’est recevable, sauf accord du Gouvernement, constitue une contrepartie de l’absence du Gouvernement en commission mixte paritaire. Cet équilibre doit être maintenu.
Des amendements peuvent être nécessaires, comme l’a d’ailleurs prévu le Conseil constitutionnel, afin d’assurer le respect de la Constitution, de procéder à une coordination ou de corriger une erreur matérielle.
Je rappelle, au surplus, qu’il appartient à la première assemblée saisie – cela fait l’objet d’un amendement spécifique – de dire « non » aux amendements du Gouvernement, après la réunion de la commission mixte paritaire ; le Conseil constitutionnel est vigilant sur ce point.
La commission est donc défavorable à cet amendement.
En ce qui concerne l’amendement n° 477, toute limitation numérique est insatisfaisante, car trop rigide. Sans doute faut-il inciter le Gouvernement à faire un usage modéré de la procédure accélérée.
Néanmoins, les amendements présentés par la commission à l’article 16 ont pour une part réduit les inconvénients de cette procédure en soumettant les textes qui en font l’objet aux délais minimaux prévus à l’article 42 de la Constitution.
En conséquence, la commission demande le retrait de cet amendement ; faute de quoi, elle émettra un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. L’amendement n° 208, auquel le Gouvernement est défavorable, vise à supprimer la commission mixte paritaire, mais en conservant le dernier mot à l’Assemblée nationale – je remarque qu’il y a tout de même là une relative défiance à l’égard du bicamérisme ! La commission mixte paritaire, loin d’être un organe contraire au pluralisme et à la transparence, est bien plus un organe de conciliation destiné à rapprocher les points de vue.
De la même manière, vous proposez de supprimer l’urgence, désormais qualifiée de « procédure accélérée ». Le Gouvernement fait sur ce point une avancée substantielle, puisqu’il ouvre la possibilité aux conférences des présidents des deux assemblées de s’y opposer conjointement.
Telles sont les raisons pour lesquelles le Gouvernement est défavorable à l’amendement n° 208.
S’agissant des amendements identiques nos 119, 282 rectifié et 402, le Gouvernement s’en remet à la sagesse de la Haute Assemblée.
En effet, nous comprenons, même si elle ne nous semble pas fondée, la crainte que la rédaction proposée dans le projet de loi n’aboutisse pas à l’objectif recherché ou, au contraire, ouvre excessivement le droit d’amendement.
La précision selon laquelle tout amendement est recevable en première lecture dès lors qu’il présente un lien même indirect, avec le texte en examen, consolide largement, tout en la sécurisant, la pratique actuelle.
En effet, autant, en deuxième lecture, les amendements doivent être en relation directe avec une disposition restant en discussion, autant, en première lecture, une certaine liberté doit être laissée dans l’exercice du droit d’amendement.
Avec cette affirmation, c’est une façon différente, et même un peu plus ouverte, de dire ce que juge le Conseil constitutionnel, qui sanctionne les amendements dépourvus de tout lien avec le texte en discussion. C’est aussi un signal que le constituant lui adresse afin de consacrer une plus grande ouverture dans le droit d’amendement en première lecture.
S’agissant de l’amendement n° 475, le Gouvernement est défavorable.
Il est proposé dans cet amendement de mettre fin à la jurisprudence dite de « l’entonnoir », qui permet d’organiser le débat correctement.
Sur l’amendement n° 62, le Gouvernement émet également un avis défavorable. En effet, il est proposé de préciser que la recevabilité des amendements, en plus de s’apprécier sous réserve des articles 40 et 41 de la Constitution, doit s’apprécier également sous réserve de l’article 34, compte tenu de la définition spécifique des lois de finances et des lois de financement de la sécurité sociale. Je ne crois pas, pour ma part, que cet élément doit être mis sur le même plan. En effet, les articles 40 et 41 prévoient les irrecevabilités pouvant être opposées aux amendements, alors que l’article 34 définit le champ de la loi, notamment celui, plus spécifique, des lois de finances et des lois de financement de la sécurité sociale.
Le Gouvernement est défavorable à l’amendement n° 359, même si je l’estime à peu près satisfait par l’avis de sagesse émis sur les amendements identiques nos 119, 282 rectifié et 402.
Il est également défavorable à l’amendement n° 476.
En revanche, il est favorable à l’amendement n° 120, qui tend à remplacer le terme « urgence » par les termes « procédure accélérée ».
Le Gouvernement est défavorable à l’amendement n° 209, car il a fait le choix d’encadrer le recours à la procédure accélérée, anciennement appelée « déclaration d’urgence », en donnant un droit de veto aux conférences des présidents des deux assemblées en cas d’opposition conjointe.
Le Gouvernement est également défavorable à l’amendement n° 210, quasiment identique au précédent.
En revanche, le Gouvernement est favorable à l’amendement n° 121. Il s’agit de la faculté, pour les présidents des deux assemblées agissant conjointement, de convoquer la commission mixte paritaire afin d’examiner une proposition de loi.
S’agissant de l’amendement n° 326, qui concerne l’encadrement du recours à la procédure d’urgence, le Gouvernement, dans le même esprit que précédemment, émet un avis défavorable.
Le Gouvernement est également défavorable à l’amendement n° 330 rectifié, qui prévoit une limitation en matière de convocation d’une commission mixte paritaire. En effet, lorsque le texte a été rejeté par une motion de procédure en séance publique, il convient de convoquer une commission mixte paritaire.
Le Gouvernement est défavorable à l’amendement n° 478, car il est attaché à pouvoir faire valoir son point de vue sur un texte élaboré en commission mixte paritaire, qui, par définition, statue hors sa présence.
Enfin, il est défavorable à l’amendement n° 477, tant il est vrai que l’urgence correspond le plus souvent à des circonstances qui n’avaient pu être anticipées ; il est donc difficile de la quantifier à l’avance.
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 119, 282 rectifié et 402.
(Les amendements sont adoptés.)
M. le président. En conséquence, les amendements nos 475, 62 et 359 n’ont plus d’objet.
Je mets aux voix l’amendement no 476.
(L’amendement n’est pas adopté.)
M. le président. Je mets aux voix l’amendement no 121.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote sur l’amendement no 478.
M. Jean-Pierre Sueur. Sur la question des amendements du Gouvernement après CMP, je voulais citer un cas précis, celui de la séance du Sénat du 30 juillet 2004.
Il s’agissait du projet de loi relatif à la politique de santé publique. La commission mixte paritaire avait décidé que les annonceurs verseraient en faveur de la politique de santé publique une contribution s’élevant à 5 % du prix de chaque publicité télévisée pour les produits sucrés, notamment.
J’ai sous les yeux le compte rendu intégral de cette séance.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Très bien !
M. Jean-Pierre Sueur. Donc, les représentants de l’Assemblée nationale et du Sénat sont convenus de faire payer 5 % du montant des publicités ; on peut en penser ce que l’on veut, mais l’accord était total.
Le ministre de la santé était assis à la place que vous occupez, monsieur le secrétaire d’État. Et voilà que, le 30 juillet au soir, alors que le débat touche à sa fin, il présente un amendement du Gouvernement : le taux de la contribution sera non plus de 5 %, mais – à la grande satisfaction, naturellement, d’un certain nombre d’entités concernées par ce sujet – de 1,5 % ! (M. Michel Charasse s’exclame.)
À ce moment-là, le président de séance dit : « Le vote est réservé. » Pourquoi le vote est-il réservé ? Parce qu’on applique la procédure du vote bloqué !
M. Michel Charasse. Et voilà !
M. Jean-Pierre Sueur. Lorsque le projet de loi a été mis aux voix, les sénateurs de la majorité, dont la plupart étaient hostiles à l’amendement du Gouvernement, se sont trouvés contraints de le voter parce que la seule façon pour eux de le refuser était de s’opposer à l’ensemble du texte.
J’affirme, mes chers collègues, qu’il est contraire au fonctionnement démocratique d’assemblées comme les nôtres que de telles choses puissent se produire. Il ne s’agissait pas du tout de corriger une erreur matérielle, monsieur le secrétaire d’État. Il ne s’agissait pas de la contrepartie au fait que le Gouvernement n’est pas présent aux réunions de la commission mixte paritaire – après tout, c’est le Parlement qui fait la loi ! Il s’agissait d’un acte politique lourd imposé unilatéralement à la fin de la discussion sans que nous ayons pu en débattre et sans que la majorité du Sénat ait pu s’y opposer.
Il serait à mon avis salutaire d’empêcher que cela soit possible : lorsque les travaux d’une commission mixte paritaire débouchent sur l’élaboration d’un texte commun, celui-ci doit être soumis tel quel à l’approbation des deux assemblées, lesquelles gardent d’ailleurs la faculté de ne pas l’approuver.
M. Bernard Frimat. C’était convaincant !
M. le président. La parole est à M. Thierry Repentin, pour explication de vote.
M. Thierry Repentin. L’intervention de mon collègue Jean-Pierre Sueur nous appelle à une réflexion : il y a effectivement deux poids et deux mesures dans le droit d’amendement.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Évidemment !
M. Thierry Repentin. Le Gouvernement peut, après exégèse du texte, appui des services centraux, etc., déposer jusqu’au dernier moment des amendements pour que la loi soit telle qu’il la souhaite, tandis que l’intervention des parlementaires est limitée à la première lecture puisqu’ils ne peuvent pas apporter d’éléments nouveaux en deuxième lecture.
Sur la possibilité d’amender un texte en deuxième lecture, M. le président de la commission des lois et M. le secrétaire d’État nous ont opposé tout à l’heure la jurisprudence constante du Conseil constitutionnel, dite « théorie de l’entonnoir ». Or cette « jurisprudence constante » n’est constante que depuis deux ans !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Elle était déjà appliquée avant, spontanément !
M. Thierry Repentin. Certains parlementaires ne participent effectivement à la séance publique que lorsque viennent en discussion des textes concernant le quotidien de nos concitoyens. Cela ne vaut d’ailleurs pas forcément pour la commission des lois, qui est plutôt la gardienne des grands textes de législation.
Mes chers collègues, j’attire votre attention sur au moins trois textes : la loi relative au développement des territoires ruraux,…
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Eh oui !
M. Thierry Repentin. … la loi de programmation pour la cohésion sociale, la loi portant engagement national pour le logement. Je peux vous assurer que, dans ces trois cas, la seconde lecture nous a donné à tous, sénateurs de la majorité comme de l’opposition d’ailleurs, l’occasion d’apporter des améliorations. En particulier, nous avions déposé en première lecture des amendements qui portaient sur des sujets dont le lien avec l’objet même du texte n’était qu’indirect et que le Gouvernement n’avait pas pris en compte. Le ministre nous avait demandé de lui accorder le temps laissé par navette pour y travailler et de retirer ces amendements pour les présenter de nouveau lors de la seconde lecture, durant laquelle a pu avoir lieu une véritable réflexion collective.
Vous ne pourrez pas faire accroire aux parlementaires « de base », à ceux qui n’oublient pas qu’ils viennent « parlementer », si vous me permettez l’expression, que la modification de la Constitution que vous préconisez aujourd’hui permettra un élargissement de leurs travaux au quotidien.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Mais si !
M. Thierry Repentin. Le fait que nous ne soyons pas autorisés à amender les textes en seconde lecture ne gênera pas ceux qui s’expriment à la télévision sur des grands sujets tels que, par exemple, la Turquie, les langues régionales ou le droit de vote des personnes étrangères sur le territoire national pour les élections municipales. Mais pour nous qui ne sommes pas toujours, contrairement aux membres du Conseil constitutionnel, de grands penseurs, de grands rédacteurs, pour nous qui sommes des acteurs des territoires, cette disposition marque un recul qui, pour moi, sera important lorsqu’on me demandera, dans quelques semaines, d’aller à Versailles pour dire « oui » ou « non ».
M. le président. Mon cher collègue, le dispositif que vous venez de critiquer à l’instant a disparu du fait de l’adoption de l’amendement de la commission des lois.
M. Thierry Repentin. L’amendement no 475 est effectivement tombé tout à l’heure.
M. le président. Par conséquent, votre plaidoirie est inutile maintenant !
M. Thierry Repentin. Cela n’enlève rien au fond de mon argumentation !
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Monsieur Repentin, personne ne remet en cause la possibilité d’amender un texte en deuxième lecture ! Pour moi, la théorie de l’entonnoir ne devrait interdire de déposer en deuxième lecture que des amendements identiques à ceux qui ont été rejetés en première lecture et ne devrait nullement empêcher le débat sur des propositions nouvelles.
J’assiste moi aussi à des débats très concrets : la commission des lois, contrairement à ce que vous pensez, ne se limite pas aux grands textes, et certains sujets – je pense en particulier aux délais de prescription – sont on ne peut plus concrets !
La règle de l’entonnoir évite de répéter en deuxième lecture les débats qui ont déjà eu lieu en première lecture. Elle n’interdit absolument pas de déposer des amendements ! Les cas que vous avez cités prouvent bien, d’ailleurs, que la deuxième lecture peut être l’occasion de discuter d’éléments nouveaux, ne serait-ce que parce que les travaux de l’autre assemblée peuvent, et c’est tout à fait naturel, apporter des idées nouvelles.
M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour explication de vote.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. L’amendement no 478, même s’il est en repli par rapport à notre proposition, est tout à fait justifié : puisque l’on veut revaloriser le Parlement, il est tout à fait opportun de préciser qu’aucun amendement, y compris du Gouvernement, n’est recevable sur un texte élaboré par la commission mixte paritaire.
M. le président. La parole est à M. Jean-René Lecerf, pour explication de vote.
M. Jean-René Lecerf. Je voudrais tenter une conciliation entre le président de la commission des lois et notre collègue Thierry Repentin.
C’est un fait, la jurisprudence de l’entonnoir ne doit pas devenir une sorte d’« urgence de poche », si je puis m’exprimer ainsi, nous empêchant de délibérer en deuxième lecture.
Ce n’est qu’en seconde lecture que nous avions introduit dans le projet de loi relatif à la prévention de la délinquance, dont j’étais le rapporteur, l’incrimination de la personne filmant dans le cadre du happy slapping, d’une part, et l’élargissement de la compétence des associations départementales des maires pour qu’elles puissent se porter partie civile en faveur de leurs adhérents, d’autre part. De manière assez inexplicable, alors que les deux dispositions étaient totalement nouvelles, le Conseil constitutionnel a « retoqué » au nom de la jurisprudence de l’entonnoir celle qui touchait les associations de maires, mais a accepté celle qui concernait le happy slapping.
J’ajoute donc au débat le charme du caractère aléatoire de cette jurisprudence, qui, si celui-ci devait par trop se développer, deviendrait effectivement ce que j’ai appelé une « urgence de poche ». (Applaudissements sur certaines travées de, de l’UC-UDF et du groupe socialiste.)
M. le président. Je mets aux voix l’article 19, modifié.
(L’article 19 est adopté.)
Mise au point au sujet d’un vote
M. Bernard Frimat. Monsieur le président, alors que notre collègue Pierre-Yves Collombat avait expressément souhaité ne pas prendre part au vote sur l’article 33, son bulletin de vote a été glissé par mégarde dans l’urne, avec les autres bulletins du groupe socialiste. Je souhaite donc qu’il soit bien noté que Pierre-Yves Collombat n’a pas pris part à ce vote.
M. le président. Acte vous est donné acte de cette mise au point, mon cher collègue.
Article 20
Le deuxième alinéa de l’article 46 de la Constitution est ainsi rédigé :
« Le projet ou la proposition ne peut, en première lecture, être soumis à la délibération et au vote des assemblées qu’à l’expiration des délais fixés au troisième alinéa de l’article 42. Toutefois, si la procédure accélérée a été déclarée dans les conditions prévues à l’article 45, le projet ou la proposition peut être soumis à la délibération de la première assemblée saisie à l’expiration d’un délai de quinze jours après son dépôt. »
M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement no 212, présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
I. – Supprimer la seconde phrase du second alinéa de cet article.
II. – Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
… – Le troisième alinéa de l’article 46 de la Constitution est supprimé.
La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. L’article 20 du projet de loi modifie l’actuel article 46 de la Constitution, qui prévoit une procédure particulière pour les lois organiques.
L’amendement no 212 tend à la suppression de la procédure accélérée – c’est la nouvelle dénomination de la déclaration d’urgence – ainsi que de la pratique de la CMP en matière de loi organique.
Nous avons déjà évoqué les raisons pour lesquelles nous sommes opposés à la procédure accélérée et à la pratique de la CMP. Nous y sommes d’autant plus opposés lorsqu’il s’agit de lois organiques : en raison de leur importance, ces lois exigent un examen approfondi en séance publique et la plus grande transparence, que ne garantissent ni la procédure accélérée ni la CMP.
Par ailleurs, ces pratiques donnent un poids très important à l’exécutif par rapport au Parlement, puisque c’est le Premier ministre qui provoque la réunion de la commission mixte paritaire après une ou deux lectures, voire plus, par chacune des deux assemblées, et c’est le Gouvernement qui déclare la procédure accélérée.
Vous n’avez de cesse de dire que la réforme constitutionnelle va donner des pouvoirs supplémentaires au Parlement alors qu’il s’agit ici de faire l’inverse. Je vous demande donc, mes chers collègues, de bien vouloir adopter cet amendement.
M. le président. L'amendement n° 122 rectifié, présenté par M. Hyest, au nom de la commission des lois, est ainsi libellé :
Rédiger comme suit la seconde phrase du second alinéa de cet article :
Toutefois, s'il répond à une situation urgente, le projet ou la proposition ne peut être soumis à la délibération de la première assemblée saisie avant l'expiration d'un délai de quinze jours après son dépôt.
La parole est à M. le rapporteur, pour présenter l’amendement n° 122 rectifié et pour donner l’avis de la commission sur l’amendement n° 212.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Cet amendement vise, en cohérence avec les amendements nos 115 et 116 de la commission des lois, d’une part, à appliquer aux lois organiques pour lesquelles une procédure accélérée a été décidée les mêmes délais que pour les lois ordinaires et, d’autre part, à prévoir un délai minimal de quinze jours entre le dépôt et l’examen devant la première assemblée saisie, lorsque le projet de loi ou la proposition de loi organique répondent à une situation d’urgence.
En effet, comme le prévoit aujourd’hui la Constitution, il faut toujours un délai minimum entre le dépôt et l’examen d’un texte organique, compte tenu de l’importance des matières traitées.
Il est donc logique que l’urgence, qui aurait pour effet de lever tout délai pour les lois simples, n’ait pour conséquence, s’agissant des lois organiques, que de réduire les délais normaux sans les supprimer.
J’en viens à l’amendement n° 212. Il peut être utile de recourir à la procédure accélérée pour un texte organique. L’essentiel est que nous puissions disposer des délais nécessaires pour l’examiner. La commission demande donc le retrait de l’amendement. À défaut, elle émettra un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. Le Gouvernement émet un avis défavorable sur l’amendement n° 212 et un avis favorable sur l’amendement n° 122 rectifié.
M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.
L'amendement n° 213 est présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen.
L'amendement n° 479 est présenté par MM. Frimat, Badinter, Bel, Dreyfus-Schmidt, C. Gautier, Mauroy, Peyronnet, Sueur, Yung et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
... - L'avant-dernier alinéa de l'article 46 de la Constitution est supprimé.
La parole est à Mme Éliane Assassi, pour présenter l’amendement n° 213.
Mme Éliane Assassi. Nous souhaitons profiter de la présente révision constitutionnelle pour demander la suppression du droit de veto dont dispose le Sénat en matière de lois organiques le concernant, en vertu du quatrième alinéa de l’article 46 de la Constitution.
Cet alinéa précise en effet que « les lois organiques relatives au Sénat doivent être votées dans les mêmes termes par les deux assemblées ».
Ce faisant, cette disposition confère à la Haute Assemblée un droit de veto alors même que la seconde chambre possède une légitimité démocratique inférieure à celle de l’Assemblée nationale en raison du mode de désignation des sénateurs qui se fait au suffrage indirect.
Dans ces conditions, rien ne justifie que le Sénat ait les mêmes pouvoirs que l’Assemblée nationale, encore moins qu’il ait des pouvoirs supérieurs, et ce d’autant plus que le droit de veto du Sénat s’applique non seulement aux lois organiques le concernant mais aussi en matière de révision constitutionnelle – c’est l’article 89 de la Constitution à propos duquel nous avons déposé un amendement visant à supprimer le droit de veto du Sénat – et en matière de délibérations concernant certains textes législatifs.
J’ajoute que l’interprétation large qui est faite des termes « lois organiques relatives au Sénat » conduit à considérer non seulement celles qui lui sont réservées exclusivement, mais également, au-delà, celles qui s’appliquent aux deux chambres. C’est à notre avis inacceptable.
Nous considérons, pour notre part, que, dans les matières concernées par le droit de veto du Sénat, le dernier mot doit revenir aux députés, qui sont élus par le peuple au suffrage universel direct et peuvent donc légitimement le représenter.
En tout état de cause, en attendant la nécessaire réforme du mode de désignation des sénateurs, les amendements que nous proposons en vue de supprimer de la Constitution le droit de veto de la seconde chambre aideront, à mon avis, à mieux définir le rôle de celle-ci.
M. le président. La parole est à M. Bernard Frimat, pour présenter l'amendement n° 479.
M. Bernard Frimat. Cet amendement, qui est identique à l’amendement n° 213, vise à supprimer le droit de veto du Sénat sur les lois organiques qui le concernent.
Mais l’interprétation qui a été faite des termes « lois organiques relatives au Sénat » a abouti à considérer comme telles toutes celles qui s’appliquaient aux deux assemblées, et ce veto est devenu un veto concernant les parlementaires.
Par exemple, sur le cumul des mandats, c’est parce que le Sénat disposait de ce droit de veto qu’il est encore possible aujourd’hui à un parlementaire de cumuler trois mandats si l’un d’entre eux est celui de conseiller municipal d’une ville de moins de 3 500 habitants.
M. Josselin de Rohan. Il y en a qui ne sont pas loin de vous !
M. Bernard Frimat. Ce n’est pas le problème, monsieur de Rohan ! Vous avez toujours été contre toute loi limitant le cumul, et ces lois se sont toujours faites contre vous.
Je vous rappelle aujourd’hui une situation que vous aviez trouvée normale à l’époque puisque vous aviez voté contre. Vous n’étiez pas choqué que quelqu’un puisse être député européen, président du conseil régional, président du conseil général, maire et sénateur. À l’époque, cela ne vous semblait pas étrange.
Vous avez toujours été contre la limitation du cumul des mandats. Vous êtes effectivement cohérent avec votre position, puisque vous utilisez le veto du Sénat sur les lois organiques pour bloquer toute évolution de ce type.
Ce veto est de plus en plus insupportable d’un point de vue démocratique en raison du décalage entre la réalité des collectivités territoriales telle qu’elle ressort du suffrage universel et le manque de représentativité de notre assemblée.
Voilà pourquoi nous proposons de le supprimer, mais je crains que nous n’ayons encore à recommencer si mon intervention n’a pas été assez convaincante.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. La commission émet un avis tout à fait défavorable sur ces deux amendements.
Il ne doit pas y avoir un droit de veto sur les dispositions concernant l’autre assemblée. Les députés ont le dernier mot pour les lois organiques concernant l’Assemblée nationale que je sache, et c’est un dispositif tout à fait normal dans un système de bicamérisme. Personne ne se demande pourquoi les députés ont le droit de faire ce qu’ils veulent en matière de loi organique. Nous avons nous aussi le droit de protéger le bicamérisme et d’avoir un droit de veto sur les lois organiques concernant le Sénat. (Très bien ! sur les travées de l’UMP. –M. Yves Pozzo di Borgo applaudit.)
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. Le Gouvernement est défavorable aux deux amendements identiques.
L’obligation de voter dans les mêmes termes les lois organiques relatives au Sénat correspond à la nécessité de respecter l’indépendance de chacune des assemblées.
Le Sénat ne peut en aucun cas imposer ses vues à l’Assemblée nationale en ce qui concerne les règles qui lui sont applicables ni d’ailleurs dans un autre domaine. Il est normal que l’Assemblée nationale n’ait pas plus le dernier mot quand sont en cause les dispositions qui intéressent le Sénat.
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 213 et 479.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président. Je mets aux voix l'article 20, modifié.
(L'article 20 est adopté.)
Articles additionnels après l'article 20
M. le président. L'amendement n° 214, présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen, est ainsi libellé :
Après l'article 20, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Avant le premier alinéa de l'article 47 de la Constitution, il est ajouté un alinéa ainsi rédigé :
« Le Parlement conduit la politique économique et sociale du pays. Il décide de la politique budgétaire. »
La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Il est défendu.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Cet amendement a déjà été repoussé à plusieurs reprises parce qu’il ne correspond pas à notre système politique.
La commission émet un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L'amendement n° 50 rectifié, présenté par MM. Cointat et Duvernois et Mmes Garriaud-Maylam et Kammermann, est ainsi libellé :
Après l'article 20, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après le cinquième alinéa de l'article 47 de la Constitution, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Tout acte, quelle qu'en soit la nature, ayant pour objet ou pour effet de rendre des crédits prévus par les lois de finances indisponibles, est subordonné à l'avis des commissions compétentes de chaque Assemblée. »
La parole est à M. Christian Cointat.
M. Christian Cointat. La fin de l’année est toujours très occupée au Parlement puisque nous débattons du budget. Or il est particulièrement frustrant, année après année, alors que pendant plus de six semaines l’Assemblée nationale et le Sénat ont travaillé jour et nuit pour des modifications finalement très mineures sur le budget proprement dit, de voir que, quelques semaines après, le Gouvernement, sur proposition de ses hauts fonctionnaires, bloque d’un trait de plume 20 % des crédits. On en arrive à se demander à quoi nous servons !
Or j’avais cru comprendre, lorsque je suis devenu parlementaire, que le vote du budget était un moment fort, qui traduisait l’attachement de la majorité à la politique du Gouvernement. C’était donc un choix politique. Mais ce dernier est remis en question quelque temps après sans que nous ayons eu notre mot à dire, et c’est tout à fait regrettable.
Monsieur le secrétaire d’État, vous n’êtes pas personnellement en cause ; ce sont tous les gouvernements successifs depuis fort longtemps que je vise, car c’est une pratique bien établie.
Il faut savoir ce que l’on veut : ou le budget est un acte politique, et le Gouvernement doit le respecter et les parlementaires doivent également l’assumer, ou alors c’est un simple exercice comptable.
L’amendement a pour but d’obliger le Gouvernement non pas à revenir devant le Parlement en cas de modification importante mais à avoir le minimum d’attention à l’égard de ce dernier et à demander l’avis des commissions compétentes des deux assemblées.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Cet amendement a pour objet de soumettre les mesures de régulation budgétaire, gels ou annulations de crédits, à l’avis des commissions des finances de l’Assemblée nationale et du Sénat.
La loi organique relative aux lois de finances prévoit pour l’instant, à l’article 14, une information des commissions des finances quand le Gouvernement décide de telles mesures.
L’amendement présenté par notre collègue Christian Cointat évoque une véritable question : le respect des mesures budgétaires votées par le Parlement.
Les excès de la régulation budgétaire ont d’ailleurs été dénoncés par la Cour des comptes. Toutefois, mon cher collègue, la modification envisagée paraît plutôt relever de la loi organique relative aux lois de finances que de la Constitution.
L’idée est tout à fait intéressante, me semble-t-il, mais la commission émet un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. L’amendement est une bonne interpellation, mais il pose deux problèmes.
D’une part, comme l’a dit M. le rapporteur, il modifie une règle qui figure à l’article 14 de la LOLF et non dans la Constitution.
D’autre part, en passant d’une procédure d’information à une procédure d’avis préalable, vous modifiez, me semble-t-il, fortement la répartition des compétences entre le Gouvernement et le Parlement. Le vote des lois de finances et le contrôle de leur exécution relèvent évidemment du Parlement, mais leur exécution relève du Gouvernement, qui peut, en fonction notamment de la conjoncture, modifier le rythme de la consommation.
Dans ces conditions, le Gouvernement émet un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. La parole est à M. Michel Charasse, pour explication de vote.
M. Michel Charasse. Je voudrais simplement rappeler que, en matière de lois de finances, sous le régime de 1958 en tout cas, c’est l’équilibre budgétaire arrêté par le Parlement qui doit être impérativement respecté. La dépense est autorisée, mais non imposée. Si l’on considère qu’elle doit être obligatoirement exécutée, l’équilibre du budget pourrait être compromis.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Oui, en plus !
M. Michel Charasse. Dans les circonstances actuelles, et vu la situation des finances publiques, personne n’a intérêt à ouvrir cette brèche.
J’ajoute que M. Cointat, pour qui j’ai beaucoup d’estime et avec les propositions constitutionnelles de qui je suis souvent d’accord, nous propose de modifier, par le biais de la Constitution, un article de la loi organique, comme M. le rapporteur l’a souligné, ce qui est quand même le monde renversé !
M. le président. La parole est à M. Christian Cointat, pour explication de vote.
M. Christian Cointat. Même si, vous l’aurez compris, mes chers collègues, je ne me fais pas d’illusion sur l’issue de cet amendement, il ne faut pas le balayer aussi rapidement d’un revers de main, car le sujet est important.
M. le président. C’est un signal !
M. Christian Cointat. C’est l’expression d’un accès de mauvaise humeur budgétaire, si je puis dire.
En fait, il s’agit de savoir si le Parlement a de véritables pouvoirs ou non. Certes, je suis d’accord avec M. Charasse, c’est l’équilibre budgétaire qui est important. Mais quand sont bloqués, en janvier ou en février, 20 % des crédits, qui peuvent être réinjectés en novembre, comment voulez-vous qu’ils soient bien dépensés et que soit menée une véritable politique ? Une telle pratique perturbe le fonctionnement de l’État et coûte en réalité beaucoup plus cher.
Certes, le budget n’est pas exécutoire en France, mais il l’est dans de grandes démocraties. Je ne dis pas qu’il faille aller dans ce sens, mais ayons au moins un peu de considération pour le Parlement ! Cet amendement ne vise qu’à demander l’avis des commissions des finances ; le Gouvernement fera ensuite ce qu’il voudra. Le fait de demander l’avis des commissions le rendra certainement plus sage…
Cela étant, après avoir fait part de ma mauvaise humeur budgétaire, je retire mon amendement, monsieur le président.
M. le président. L’amendement n° 379 rectifié bis, présenté par MM. Lambert, du Luart, Marini et Charasse, est ainsi libellé :
Avant l’article 21, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après le cinquième alinéa de l’article 47 de la Constitution, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Au début de la discussion générale en première lecture devant chaque assemblée, le ministre chargé du budget et le chef de l’administration en charge de la préparation du projet de loi de finances prêtent serment du respect par le projet de loi de finances du principe de sincérité. »
La parole est à M. Michel Charasse.
M. Michel Charasse. Cet amendement fait partie de la série des amendements déposés par M. Lambert et qu’il m’a demandé de cosigner parce qu’il ne pouvait être présent en séance publique pour les défendre.
Cet amendement vise à « obliger l’État à respecter sa parole », comme le préconise le Président de la République dans son ouvrage Témoignage, publié en juillet 2006, que je n’ai personnellement pas lu, je dois l’avouer.
Il est nécessaire que les principaux responsables politiques et administratifs s’engagent à ce que tout ait été accompli pour garantir la sincérité du projet de loi de finances, au sens de la loi organique relative aux lois de finances. Cette sincérité s’apprécie en fonction « des informations disponibles et des prévisions qui peuvent raisonnablement en découler ». Les deux responsables visés par l’amendement ne peuvent s’engager que sur le projet, mais pas sur la loi, dont le contenu dépend de la discussion parlementaire. Il va, toutefois, de soi que la sincérité doit également être respectée dans l’attitude du Gouvernement tout au long du débat budgétaire.
C’est la raison pour laquelle M. Lambert et ses collègues proposent une prestation de serment (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s’exclame.) du « ministre chargé du budget » et du « chef de l’administration en charge de la préparation du projet de loi de finances » (Rires et exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Sur quoi prêtent-ils serment ?
M. Thierry Repentin. Sur la Constitution !
M. Michel Charasse. Mes chers collègues, je suis loyal à l’égard de mon collègue !
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. La commission a émis un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Roger Karoutchi, secrétaire d’État. Le Gouvernement est extrêmement sensible au fait que l’on veuille ainsi revenir à la pratique du serment. Il se rappelle les serments célèbres qui sont à l’origine de notre histoire parlementaire !
Néanmoins, je ne suis pas sûr que le serment du ministre chargé du budget…
M. Thierry Repentin. Soit sincère !
M. Roger Karoutchi, secrétaire d’État.… ait une portée historique aussi forte !
Par ailleurs, faut-il que seul le ministre chargé du budget et son directeur assument l’acte collégial que constitue le budget pour l’ensemble du Gouvernement ? Évitons peut-être des serments multiples !
Si M. Charasse avait l’amabilité de retirer l’amendement…
M. le président. Monsieur Charasse, l’amendement n° 379 rectifié bis est-il maintenu ?
M. Michel Charasse. J’avais promis de le présenter, monsieur le président, c’est ce que j’ai fait.
Cela étant, je rappelle que l’auteur du budget est le Premier ministre,…
M. Michel Charasse.… puisque le ministre chargé du budget agit sous son arbitrage.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C’est lui qui doit prêter serment !
M. Thierry Repentin. Il faudra relire ce débat au Journal officiel ! (Sourires.)
M. Michel Charasse. Pour ce motif, je retire cet amendement, monsieur le président.
M. le président. L’amendement n° 379 rectifié bis est retiré.
Article 21
I. - Le dernier alinéa des articles 47 et 47-1 de la Constitution est supprimé.
II. - Après l’article 47-1 de la Constitution, il est inséré un article 47-2 ainsi rédigé :
« Art. 47-2. - La Cour des comptes assiste le Parlement dans le contrôle de l’action du Gouvernement. Elle assiste le Parlement et le Gouvernement dans le contrôle de l’exécution des lois de finances et de l’application des lois de financement de la sécurité sociale ainsi que dans l’évaluation des politiques publiques. Par ses rapports publics, elle contribue à l’information des citoyens. »
M. le président. L’amendement n° 26 rectifié bis, présenté par M. Charasse, Mme N. Goulet et MM. Fortassin et A. Boyer, est ainsi libellé :
I.- Rédiger comme suit le début de la première phrase du texte proposé par le II de cet article pour l’article 47-2 de la Constitution :
Dans les conditions prévues par les lois organiques et les lois et règlements, la Cour des comptes, juridiction indépendante, assiste…
II.- Compléter le texte proposé par le II de cet article pour l’article 47-2 de la Constitution par un alinéa ainsi rédigé :
« La Cour des comptes ne peut porter, dans ses actes, aucune appréciation d’opportunité sur les politiques publiques et les comptes qui lui sont soumis. »
La parole est à M. Michel Charasse.
M. Michel Charasse. Dans cet article concernant la Cour des comptes, qui a été ajouté par l’Assemblée nationale, je propose d’indiquer, dans le premier paragraphe, que la Cour des comptes est une « juridiction indépendante », puisque le Conseil constitutionnel a dû le rappeler dans sa décision sur la récente loi organique relative aux lois de finances. Nous avions fait l’erreur de nous arroger le droit de fixer le rôle de la Cour des comptes, ce qui relève de la seule juridiction.
Dans le second paragraphe, je propose de préciser que la Cour des comptes, comme nous l’avons indiqué clairement dans la loi sur les chambres régionales des comptes, ne peut jamais porter d’appréciation d’opportunité.
M. Jean-Patrick Courtois. Tout à fait !
M. Michel Charasse. Elle juge les comptes et n’a pas à se substituer à l’appréciation politique des autorités responsables.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. L’indépendance de la Cour des comptes est un principe reconnu en tant que juridiction administrative par le Conseil constitutionnel. Il n’est pas nécessaire de rappeler dans la Constitution ce qui relève d’un principe fondamental reconnu par les lois de la République. Jusqu’à présent, nous avons évité de le faire dans ce texte.
L’interdiction faite à la Cour des comptes de porter toute appréciation d’opportunité paraît très restrictive, mais nous avons déjà eu ce débat à plusieurs reprises. Les recommandations de la Cour des comptes n’engagent pas le législateur, mais doivent cependant être une source d’inspiration utile dont il serait sans doute regrettable de se passer.
Dans ces conditions, la commission vous demande, mon cher collègue, de bien vouloir retirer l’amendement n° 26 rectifié bis ; à défaut, elle émettra un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Roger Karoutchi, secrétaire d’État. La définition des missions de la Cour des comptes inscrite dans le nouvel article 47-2 de la Constitution paraît largement suffisante au niveau constitutionnel.
Des précisions supplémentaires doivent être apportées par les lois organiques et le code des juridictions financières, mais il n’est pas nécessaire de surcharger le texte constitutionnel.
Monsieur le sénateur, vous souhaitez affirmer que la Cour des comptes est une juridiction indépendante. Comme vous le mentionnez vous-même, le juge constitutionnel l’a déjà indiqué. II me semble qu’il n’y a aucun doute sur ce point. L’inscrire dans la Constitution ne me paraît pas vraiment nécessaire et serait même de nature à introduire un doute sur ce point, ce qui n’est évidemment pas votre intention.
Par ailleurs, il n’est évidemment pas souhaitable d’indiquer que la Cour des comptes ne peut porter aucune appréciation d’opportunité, notamment dans le cadre de l’évaluation des politiques publiques, même s’il faut être conscient qu’une telle évaluation ne s’apparente pas à un simple exercice comptable et suppose une grande liberté d’analyse pour que l’évaluation soit efficace et utile.
M. le président. Monsieur Charasse, l’amendement n° 26 rectifié bis est-il maintenu ?
M. Michel Charasse. Monsieur le président, je serai inflexible sur cette question qui touche à la séparation des pouvoirs. Je veux bien renoncer au premier paragraphe, le Conseil constitutionnel ayant déjà précisé qu’il s’agissait d’une juridiction indépendante, mais il est insupportable d’avoir peur de rappeler que les juridictions financières ne peuvent porter d’appréciation d’opportunité.
Nous nous sommes trop battus tout un après-midi ici à l’occasion du rapport de notre ancien collègue Oudin pour que les chambres régionales des comptes cessent de s’immiscer dans l’appréciation politique des décisions des collectivités locales…
M. Jean-Patrick Courtois. C’est vrai !
M. Michel Charasse. … pour accepter que la Cour des comptes fasse de même en ce qui concerne les domaines qu’elle contrôle. Elle n’a pas à apprécier et à juger les politiques.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. C’est inconstitutionnel !
M. Michel Charasse. Elle apprécie si une politique a réussi ou non, si on aurait pu faire autrement, mieux ou moins cher, mais, sur le fond, le choix de la dépense ne la regarde pas. Seuls les élus du suffrage universel sont compétents pour cela !
En conséquence, je modifie mon amendement en ne conservant que le deuxième paragraphe. On peut toujours me raconter qu’il vaut mieux attendre un autre texte pour y voir plus clair ! Ce n’est jamais le moment et ce n’est jamais l’heure ! Or nous ne sommes pas là pour protéger les juridictions et nous abaisser devant elles !
M. le président. Je suis donc saisi d’un amendement n° 26 rectifié ter, présenté par M. Charasse, Mme N. Goulet et MM. Fortassin et A. Boyer, et ainsi libellé :
Compléter le texte proposé par le II de cet article pour l’article 47-2 de la Constitution par un alinéa ainsi rédigé :
« La Cour des comptes ne peut porter, dans ses actes, aucune appréciation d’opportunité sur les politiques publiques et les comptes qui lui sont soumis. »
Je le mets aux voix.
(Après une épreuve à main levée déclarée douteuse par le bureau, le Sénat, par assis et levé, n’adopte pas l’amendement.)
M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.
L’amendement n° 303 rectifié est présenté par MM. Arthuis, Marini, Badré, de Montesquiou, Gaillard et Bourdin, Mme Keller et MM. Dallier, Dassault, Doligé, Ferrand, Girod, C. Gaudin, Gouteyron, Jégou, Lambert, Longuet et Guené.
L’amendement n° 480 est présenté par M. Frimat, Mme Bricq, MM. Badinter, Bel, Collombat, Dreyfus-Schmidt, C. Gautier, Massion, Mauroy, Peyronnet, Sueur, Yung et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Avant la dernière phrase du texte proposé par le II de cet article pour l’article 47-2 de la Constitution, insérer une phrase ainsi rédigée :
Elle exprime son opinion sur la sincérité des comptes de l’État et de la sécurité sociale.
La parole est à M. Jean Arthuis, pour présenter l’amendement n° 303 rectifié.
M. Jean Arthuis. La reddition des comptes est une exigence fondamentale de la vie démocratique, posée par l’article 15 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.
La loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances a mis en place un régime de certification des comptes. Cette démarche conditionne la bonne information du citoyen. Il est apparu presque révolutionnaire d’inscrire dans cette loi organique le principe selon lequel les comptes publics devaient être sincères et donner une image fidèle des patrimoines de l’État, de la protection sociale, ainsi que des opérations de recettes et de dépenses.
L’exigence de sincérité est posée dans la loi organique. Il me semble qu’il convient d’élever au rang constitutionnel cet impératif de sincérité des comptes publics. Certes, on pourra toujours adopter des dispositions relatives à l’équilibre souhaitable des comptes publics ; certains évoquent même une règle d’or en vertu de laquelle on prohiberait le déficit de fonctionnement. C’est une belle idée, mais encore faut-il que les comptes soient sincères !
C’est la raison pour laquelle cet amendement prévoit que la Cour des comptes « exprime son opinion sur la sincérité des comptes de l’État et de la sécurité sociale ».
M. le président. La parole est à Mme Nicole Bricq, pour présenter l’amendement n° 480.
Mme Nicole Bricq. Monsieur le président, je serai brève, car l’amendement que nous avons déposé, au nom du groupe socialiste, est identique à celui que vient de présenter M. Arthuis.
Depuis deux années, la Cour des comptes certifie les comptes de l’État avec des réserves qu’elle peut lever en fonction des progrès accomplis par le Gouvernement à la suite des observations émises.
Le fait d’introduire cette notion de sincérité des comptes dans la Constitution est essentiel à nos yeux. La loi de règlement examinée l’année suivante devrait d’ailleurs, à notre avis, avoir plus d’importance qu’elle n’en a à l’heure actuelle, car c’est elle qui permet de mesurer la sincérité ou l’insincérité de l’exécution budgétaire.
Après avoir examiné les résultats de la gestion budgétaire de l’État en 2007, la Cour des comptes a tiré la conclusion suivante : « L’amélioration de la situation budgétaire n’est qu’apparente. En réalité les principaux équilibres se sont dégradés ».
Par conséquent, lors de l’examen du projet de loi de finances, nous avions eu raison de dénoncé l’insincérité des comptes !
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Cet amendement nous a laissés perplexes !
La Cour des comptes certifie les comptes. Cela signifie qu’elle se prononce sur le fait qu’ils sont ou non sincères.
Mme Nicole Bricq. Avec des réserves !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Les réserves sont une chose. Mais la Cour des comptes se prononce bien sur la sincérité des comptes. Si des améliorations sont nécessaires, elle émettra alors des réserves.
Dans votre amendement, vous demandez qu’elle exprime « son opinion sur la sincérité des comptes ». Pardonnez-moi, mais ce que nous attendons de la Cour, ce n’est pas une opinion, c’est une affirmation sur le fait que les comptes sont ou non sincères !
Cela dit, monsieur le président, s’agissant d’un sujet qui nous dépasse – nous restons modestes à la commission des lois ! – nous aimerions connaître l’avis du Gouvernement.
M. le président. Quel est donc l’avis du Gouvernement ?
M. Roger Karoutchi, secrétaire d’État. Le Gouvernement comprend la philosophie de ces deux amendements identiques, qui tendent à donner un fondement constitutionnel à la notion de sincérité des comptes.
Le principe de sincérité a d’ores et déjà été consacré par le Conseil constitutionnel ; à ce niveau-là, son ancrage est donc déjà assuré. Mais vous souhaitez inscrire noir sur blanc ce principe dans la Constitution. On peut, comme vient d’ailleurs de le faire le rapporteur, se poser le problème de l’utilité d’une telle démarche.
Le Gouvernement n’étant pas forcément défavorable à cette idée, il s’en remet à la sagesse du Sénat sur ces deux amendements identiques.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. La sagesse l’emporte !
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 303 rectifié et 480.
(Les amendements sont adoptés.)
M. le président. L’amendement n° 217, présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi la dernière phrase du texte proposé par cet article pour l’article 47-2 de la Constitution :
Elle assiste le Parlement dans sa mission d’évaluation des politiques publiques.
La parole est à M. Bernard Vera.
M. Bernard Vera. Cet amendement précise que le rôle d’évaluation des politiques publiques de la Cour des comptes s’exerce prioritairement au service du Parlement.
Aujourd’hui, l’évaluation des politiques publiques se fait au travers d’indicateurs de performance nombreux et fort divers, dont la pertinence est sujette à caution.
À la lecture des rapports portant sur les missions budgétaires de la loi de finances pour 2008, on constate que l’outil de la LOLF n’a manifestement pas réglé la question de l’évaluation des politiques publiques, bien au contraire pourrait-on dire, compte tenu notamment des changements de périmètres des missions ministérielles ou interministérielles que nous avons pu constater depuis 2001.
C’est sans doute aussi pour ces raisons qu’il convient de rendre au Parlement, assisté par la Cour des comptes, la pleine maîtrise de la définition des choix budgétaires de la nation.
M. le président. L’amendement n° 215, présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen, est ainsi libellé :
Compléter le texte proposé par cet article pour l’article 47-2 de la Constitution par les mots :
et au contrôle de l’utilisation des fonds publics par les entreprises publiques et privées
La parole est à M. Bernard Vera.
M. Bernard Vera. L’amendement n° 215 élargit les compétences du Parlement et de la Cour des comptes en matière de contrôle de l’utilisation des fonds publics, notamment par les entreprises privées.
M. le président. L’amendement n° 216, présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen, est ainsi libellé :
Compléter le texte proposé par cet article pour l’article 47-2 de la Constitution par une phrase ainsi rédigée :
Les groupes parlementaires peuvent saisir la Cour des comptes.
La parole est à M. Bernard Vera.
M. Bernard Vera. Conformément à l’orientation que nous souhaitons imprimer à cette révision constitutionnelle, nous proposons de donner au Parlement toute latitude de saisir la Cour des comptes pour toutes questions relatives à l’utilisation des deniers publics.
Nous proposons donc que le droit de solliciter la Cour des comptes soit étendu aux groupes parlementaires constitués au sein de chacune des deux assemblées de notre Parlement et que des procédures fixées par la loi permettent, par la suite, de les mettre en œuvre sur tout sujet intéressant l’utilisation des deniers publics qui appellerait évaluation et analyse.
L’indépendance de la Cour des comptes et la nature même de ses travaux garantissent a priori la qualité des observations et des documents qu’elle sera amenée à publier dans le droit fil de ce droit nouveau donné aux groupes parlementaires.
Son expertise sur toutes questions relatives aux politiques publiques alimentera le débat budgétaire renouvelé que nous appelons de nos vœux.
M. le président. L’amendement n° 144 rectifié bis, présenté par MM. Portelli, P. Dominati, Beaumont, Adnot, Béteille, Retailleau et Darniche et Mme Desmarescaux, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
…- Après l’article 47-1 de la Constitution, il est inséré un article ainsi rédigé :
« Art.… - Le Parlement est doté d’un office parlementaire d’évaluation et de contrôle des politiques publiques. Une loi fixe les modalités de son fonctionnement. »
La parole est à M. Laurent Béteille.
M. Laurent Béteille. Dans la droite ligne de ce qui vient d’être dit, je crois que tout le monde s’accorde sur la nécessité de renforcer les pouvoirs du Parlement en matière de contrôle de l’évaluation des politiques publiques.
Je pourrais effectivement me référer à l’engagement du Président de la République actuel, mais je pense aussi à d’autres travaux, en particulier ceux du groupe de travail sur l’efficacité de la dépense publique et le contrôle parlementaire, qui était présidé par Laurent Fabius et dont Didier Migaud était rapporteur.
Avec cet amendement, nous vous proposons un système quelque peu différent de celui qui vient d’être défendu par M. Vera. En effet, il ne nous paraît pas souhaitable de dépendre uniquement de la Cour des comptes. Selon nous, les groupes parlementaires doivent avoir la possibilité de faire appel à d’autres corps de contrôle de l’administration, voire à des cabinets privés.
C’est la raison pour laquelle nous proposons que le Parlement soit doté d’un office parlementaire d’évaluation et de contrôle des politiques publiques dont une loi fixera les modalités de fonctionnement.
Un tel dispositif permettrait de respecter la séparation des pouvoirs, qui interdit de mettre la Cour des comptes sous le contrôle direct du Parlement. De plus, ce dernier ne peut rester l’un des seuls parlements occidentaux à ne pas disposer d’un organisme de contrôle qui lui soit directement rattaché.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. La commission est défavorable à l’amendement n° 215. Le code des juridictions financières prévoit que la Cour des comptes assure la vérification des comptes et de la gestion des établissements publics de l’État à caractère industriel et commercial, des entreprises nationales, des sociétés nationales, des sociétés d’économie mixte ou des sociétés anonymes dans lesquelles l’État possède la majorité du capital social.
Contrôler l’utilisation des fonds publics par toute entreprise privée élargirait considérablement les prérogatives de la Cour des comptes. Examiner les comptes des entreprises privées dépasserait largement ses possibilités ! Vérifier l’utilisation des fonds doit simplement être justifié quand il y a une dette publique. S’il fallait vérifier tous les comptes des entreprises privées, où irait-on ? Et je ne parle pas des libertés !
La commission est défavorable à l’amendement n° 217. La préoccupation des auteurs de cet amendement paraît satisfaite par la rédaction du premier alinéa de l’article 21 telle qu’elle résulte des travaux de l’Assemblée nationale, sauf à vouloir interdire que la Cour des comptes assiste le Gouvernement, ce qui ne me paraît absolument pas correspondre à l’esprit dans lequel l’Assemblée a travaillé.
Enfin, la commission est également défavorable à l’amendement n° 216. La disposition est assez imprécise dans sa formulation. Sur quel objet saisir la Cour des comptes ? Cette disposition ouvrirait la voie à une instrumentalisation de la Cour des comptes, ce qui n’est pas souhaitable.
L’amendement n° 144 rectifié bis me plaît beaucoup, monsieur le président ! (Sourires.)
En 1995, à la suite de la grande réforme qui allait moderniser d’une manière considérable les méthodes de travail du Parlement grâce notamment à la session unique, vous vous en souvenez certainement très bien, monsieur le président,…
M. le président. Oui !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur.… nous avions créé – dois-je le rappeler ? – un Office parlementaire d’évaluation des politiques publiques.
M. le président. Que l’on n’a pas eu le courage de supprimer !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Si, il l’a été !
M. le président. On a tari les crédits pour le rendre invivable.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. On l’a fait mourir de sa belle mort !
M. le président. Cette proposition – je parle sous le contrôle de M. Arthuis – est restée sous le coude du président de la commission des finances pendant deux ans.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Oui.
M. le président. Il a été interpellé sans cesse par les médias, car on pensait que c’était la traduction d’une querelle entre des parlementaires. On l’a créé quand même, par discipline, mais ce projet s’est révélé impraticable.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Cela dit, monsieur le président, il n’en demeure pas moins – et nous l’avons inscrit dans la loi – que nous évaluons les politiques publiques ; ce n’est pas une simple contribution. Par conséquent, le Parlement doit être doté d’outils adaptés.
Certes, le concours de la Cour des comptes, qui est extrêmement précieux compte tenu de la qualité de ses magistrats, est inscrit dans la Constitution, mais rien n’interdit de faire appel à d’autres.
Un office, c’est très compliqué à faire fonctionner notamment entre les deux assemblées,…
M. le président. Effectivement !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur.… exception faite de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques.
L’Office parlementaire d’évaluation de la législation n’a pas bien fonctionné non plus, bien que nous ayons tenté de le faire vivre.
Nous devons donc réfléchir à la possibilité de faire appel, au-delà de la Cour des comptes, à des cabinets d’experts notamment.
M. le président. Bien sûr !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Au nom de quoi n’aurait-on pas le droit de le faire ? C’est une décision qui appartient aux assemblées.
Par conséquent, je suis assez défavorable à cet amendement. Les expériences précédentes n’ayant pas abouti, il est inutile de recommencer ; il y avait sûrement des raisons à ces échecs.
En revanche, une fois la révision constitutionnelle achevée, nous devrons réfléchir à la façon de nous doter d’outils adaptés pour permettre au Parlement d’évaluer les politiques publiques, comme le veut la loi.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Roger Karoutchi, secrétaire d’État. Le Gouvernement est défavorable à l’amendement n° 215. En vertu du code des juridictions financières, la Cour des comptes peut effectivement contrôler l’ensemble des organismes qui bénéficient de concours financiers de l’État, d’une autre personne soumise à son contrôle ou de la Communauté européenne. Mais il n’est pas nécessaire de l’inscrire dans la Constitution.
Le Gouvernement est défavorable à l’amendement n° 216, qui vise à inscrire dans la Constitution que les groupes parlementaires peuvent saisir la Cour des comptes.
Sur la forme, je dirai que les modalités de saisine par les assemblées de la Cour des comptes ne relèvent pas de la Constitution.
Sur le fond, je ne suis pas sûr que le groupe parlementaire soit le cadre pertinent pour saisir la Cour des comptes.
Le Gouvernement est défavorable à l’amendement n° 217. L’Assemblée nationale a adopté un amendement à l’article 21 qui précise que la Cour des comptes assiste le Parlement et le Gouvernement dans l’évaluation des politiques publiques. Je ne crois pas qu’il faille empêcher la Cour d’assister aussi le Gouvernement dans cette tâche.
L’amendement n° 144 rectifié bis pose un vrai problème. Le Gouvernement y est défavorable, même s’il en comprend parfaitement la philosophie. Désormais, la Constitution précise que le Parlement doit concourir à l’évaluation des politiques publiques. Dans ce cadre, l’idée de créer un organe d’audit propre au Parlement est évidemment intéressante, mais elle pose deux problèmes de fond.
Tout d’abord, il existe une institution qui a largement fait les preuves de son efficacité : la Cour des comptes, dont le projet renforce la fonction d’assistance au Parlement. Un outil concurrent serait donc inutile.
En revanche, ce dont a probablement besoin chacune des chambres, c’est d’un comité interne pour coordonner tout le travail de contrôle effectué par les organismes internes à l’assemblée ainsi que par les organismes extérieurs tels que la Cour des comptes.
Ensuite, la création des offices parlementaires relève de la loi ; il est donc inutile d’inscrire cette disposition dans la Constitution. J’observe d’ailleurs qu’un office parlementaire d’évaluation des politiques publiques commun aux deux assemblées avait été créé par la loi du 14 juin 1996.
M. le président. Eh oui !
M. Roger Karoutchi, secrétaire d’État. Il n’a pas connu le succès escompté.
Par conséquent, le Gouvernement souhaite le retrait de cet amendement.
M. le président. La parole est à M. Yves Pozzo di Borgo, pour explication de vote sur l’amendement n° 144 rectifié bis.
M. Yves Pozzo di Borgo. Dans les commissions parlementaires – je siège moi-même à la commission des affaires étrangères –, nous sommes amenées à voter des crédits considérables, qui atteignent parfois plusieurs milliards d’euros. Or je suis incapable de vérifier si ces sommes, votées en commission puis en séance, sont justifiées ou non !
Les parlementaires d’autres pays, en particulier les parlementaires allemands ou américains, ont la possibilité de mener des expertises, en amont et en aval. Pas nous ! En général, nous ne disposons que d’une expertise en amont qui nous est fournie par des fonctionnaires.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Cela n’a rien à voir avec la Constitution !
M. Yves Pozzo di Borgo. Je suis désolé, mais cette affaire est beaucoup plus importante qu’on ne veut bien le dire !
N’oublions pas que la Cour des comptes participe du pouvoir judiciaire. Quant au Parlement, il n’a pas la possibilité, à l’heure actuelle, de procéder à des évaluations. La seule commission qui peut aller vérifier sur place et sur pièces, c’est la commission des finances. Les autres parlementaires n’ont pas ce droit.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. C’est autre chose ! Ce n’est pas une évaluation !
M. Yves Pozzo di Borgo. Il se trouve que j’étais inspecteur général de l’éducation nationale avant d’être parlementaire. Quand j’inspectais mon administration, mon pouvoir était beaucoup plus grand ! Je pouvais aller au CNRS, ou bien dans une université ou un lycée, quels qu’ils soient, et demander la base comptable pour vérifier la situation des comptes. Aujourd’hui, en tant que parlementaire, siégeant à la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, quand je me rends dans une ambassade, je peux tout juste demander à l’ambassadeur quel est l’état de ses comptes ! Notre impuissance est incroyable !
L’amendement n° 144 rectifié bis vise donc à instituer une disposition fondamentale.
M. Yves Pozzo di Borgo. Nous avons à notre disposition, en tant que parlementaires, toutes les inspections ministérielles. Tout le travail parlementaire en dépend, et on refuse de le reconnaître ! Pourquoi ne pas les utiliser ?
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Bien sûr !
M. Yves Pozzo di Borgo. Les commissions pourraient, comme vous le suggérez, monsieur le rapporteur, avoir recours à ces inspections. Mais pourquoi ne pas les regrouper dans un office parlementaire ? Je ne sais pas si mon collègue Laurent Béteille va retirer cet amendement, mais je considère pour ma part que c’est l’un des plus importants pour la démocratie !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Cela n’a rien à voir avec la Constitution !
M. Yves Pozzo di Borgo. Si nous l’adoptons, nous pourrons vérifier si ce que nous autorisons en dépenses est justifié. Or, actuellement, on ne peut pas le faire !
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Mes chers collègues, nous avons déjà essayé de faire fonctionner un tel office : celui-ci est mort de sa belle mort ! Par ailleurs, une telle disposition n’est pas du domaine constitutionnel. De plus, vous confondez évaluation et contrôle !
M. Yves Pozzo di Borgo. L’inspection peut faire l’évaluation !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Non ! Vous mélangez tout ! Le contrôle effectué par les rapporteurs budgétaires, qui sont investis de certains pouvoirs par la commission des finances, est tout à fait spécifique. Nous aurions peut-être souhaité que la possibilité d’effectuer de tels contrôles soit élargie, notamment aux rapporteurs pour avis des autres commissions. En même temps, on ne peut pas multiplier les dispositions de ce genre !
Très honnêtement, je comprends vos préoccupations, mon cher collègue. Je vous rappelle cependant que le Parlement peut demander à la Cour des comptes d’effectuer des contrôles. Il peut également demander des expertises à des cabinets d’audit. Rien ne l’interdit, c’est à nous de le décider si nous le souhaitons ! Le Gouvernement, pour son propre compte, fait procéder à des évaluations par des cabinets extérieurs. Par exemple, à l’occasion de l’élaboration du projet de loi de modernisation de l’économie, le Gouvernement a fait évaluer toutes les dispositions existantes en matière d’urbanisme commercial par un grand cabinet spécialisé international. Rien n’interdirait au Parlement de faire de même !
L’important est que nous ayons inscrit dans la Constitution – mais vous n’étiez peut-être pas en séance à ce moment-là – que le Parlement vote la loi, en mesure les effets, contrôle l’action du Gouvernement et évalue les politiques publiques. Quant aux moyens, c’est à nous de nous les donner, mais ils n’ont pas à être inscrits dans la Constitution, car seuls les principes doivent y figurer !
Il est vrai que d’autres parlements ont à leur disposition des organismes très puissants. Ces derniers ne sont pas pour autant prévus dans la Constitution de ces pays. C’est ainsi notamment en Grande-Bretagne, qui, je le rappelle, ne dispose pas de Constitution écrite ! Quoi qu’il en soit, ne mélangeons pas l’objectif et les moyens, et n’oublions pas qu’il existe une hiérarchie des normes !
Par conséquent, je souhaite vraiment que cet amendement soit retiré.
M. le président. La parole est à M. Jean Arthuis, pour explication de vote.
M. Jean Arthuis. Mes chers collègues, cette question me paraît de première importance.
Vous l’avez souvent dit, monsieur le président, le contrôle est la seconde nature du Parlement. Vous pourrez dire désormais que le contrôle et l’évaluation sont la seconde nature du Parlement !
Certes, la Cour des comptes est une juridiction. Mais, du fait de sa mission de certification de la sincérité des comptes de l’État, elle s’oriente vers deux missions bien distinctes : celles qui relèvent de l’ordre juridictionnel et celles qui relèvent de l’ordre du contrôle et de la certification. Et je gage que la Cour des comptes sera beaucoup plus désormais un auditeur certificateur des comptes qu’une juridiction. Selon moi, une telle évolution est irréversible.
Les parlementaires que nous sommes doivent s’investir eux-mêmes dans le contrôle et l’évaluation. Certes, la commission des finances a des prérogatives spécifiques en la matière. Désormais, la commission des affaires sociales dispose également de certains pouvoirs en ce qui concerne les comptes de la sécurité sociale. Mais nous faisons en sorte – je prends à témoin mes collègues des autres commissions permanentes – que les rapporteurs spéciaux et les rapporteurs pour avis diligentent conjointement les travaux de contrôle. Cela doit devenir une habitude.
S’agissant de l’évaluation, cher collègue Pozzo di Borgo, je pense que nos champs d’action s’ouvrent considérablement avec la réforme constitutionnelle. Rien n’empêchera un groupe de membres de la commission des affaires étrangères d’aller passer quelques jours dans une unité militaire ou une ambassade pour poser des questions sur la gouvernance de ces services. Le jour où des membres de la commission des affaires culturelles se rendront dans une université pour s’interroger sur la gouvernance de l’université, ils accompliront, me semble-t-il, un travail tout à fait essentiel, qui contribuera à l’amélioration du fonctionnement des grands services de l’État et de la sphère publique.
Je le confirme, nous pouvons toujours recourir à des concours extérieurs. Certes, la loi organique relative aux lois de finances, dans ses articles 58-1 et 58-2, prévoit de faire appel à la Cour des comptes. Cependant, chaque fois que nous avons demandé aux questeurs des crédits pour pouvoir être assistés d’experts extérieurs, nous n’avons jamais souffert de restrictions.
Par conséquent, il s’agit d’une affaire d’organisation collective au sein de chacune de nos commissions, au sein de notre assemblée ; c’est un enjeu extraordinaire.
Cher collègue Pozzo di Borgo, les corps d’inspection qui relèvent des différents ministères représentent des possibilités d’audit interne à la disposition du ministre. Nous pouvons naturellement les consulter, mais je crois qu’il est peu envisageable de les regrouper dans une sorte d’office qui serait mis à la disposition du Parlement.
Par conséquent, je suis d’avis, moi aussi, de ne pas modifier la Constitution sur ce point particulier.
M. le président. L’amendement n° 144 rectifié bis est-il maintenu, monsieur Béteille ?
M. Laurent Béteille. Sur le fond, je suis pour le moins perplexe, car je n’ai pas été vraiment convaincu par les arguments qui viennent d’être évoqués.
En effet, le recours à la Cour des comptes, dont le président de la commission des finances, M. Arthuis, a bien défini la mission, ne me semble pas être suffisant pour les évaluations qui sont nécessaires au travail du Parlement.
Même si l’histoire témoigne de l’échec de l’office parlementaire en la matière, on ne peut pas se contenter de se référer à une mauvaise expérience pour s’en tenir là et ne jamais tenter de créer un nouvel office.
Sur le fond, je maintiens donc ma position. Cependant, j’ai bien entendu les demandes de retrait qui m’ont été adressées par la commission et le Gouvernement. Effectivement, on peut raisonnablement se poser la question de savoir si une telle disposition est d’ordre constitutionnel. Sur ce point, je rejoins quelque peu M. le rapporteur.
Par conséquent, je retire cet amendement, ce qui ne signifie pas que le dernier mot soit dit sur cette question.
M. le président. L’amendement n° 144 rectifié bis est retiré.
Je mets aux voix l’article 21, modifié.
(L’article 21 est adopté.)
M. le président. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.
6
Retrait d’une question orale
M. le président. J’informe le Sénat que la question orale n° 268 de Mme Brigitte Gonthier-Maurin est retirée du rôle des questions orales, à la demande de son auteur.
7
Texte soumis au Sénat en application de l’article 88-4 de la Constitution
M. le président. J’ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le Gouvernement, en application de l’article 88-4 de la Constitution :
- Avant-projet de budget général des Communautés européennes pour l’exercice 2009. Volume 0.
Ce texte sera imprimé sous le n° E-3891 et distribué.
8
Dépôt d’un rapport d’information
M. le président. J’ai reçu de MM. Robert del Picchia et Hubert Haenel un rapport d’information, fait au nom de la délégation pour l’Union européenne, sur l’Union européenne et la Turquie à la veille de la présidence française.
Le rapport d’information sera imprimé sous le n° 412 et distribué.
9
Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à aujourd’hui, mardi 24 juin 2008, à dix heures, seize heures et le soir :
1. Suite de la discussion du projet de loi constitutionnelle (n° 365, 2007-2008), adopté par l’Assemblée nationale, de modernisation des institutions de la Ve République.
Rapport (n° 387, 2007-2008) de M. Jean-Jacques Hyest, fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale.
Avis (n° 388, 2007-2008) de M. Josselin de Rohan, fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées.
2. Discussion du projet de loi (n° 390, 2007-2008) relatif aux droits et devoirs des demandeurs d’emploi (urgence déclarée).
Rapport (n° 400, 2007-2008) de M. Dominique Leclerc, fait au nom de la commission des affaires sociales.
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée le mardi 24 juin 2008, à zéro heure cinquante-cinq.)
La Directrice
du service du compte rendu intégral,
MONIQUE MUYARD