M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt-deux heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures cinquante, est reprise à vingt-deux heures, sous la présidence de M. Philippe Richert.)
PRÉSIDENCE DE M. Philippe Richert
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
Nous poursuivons la discussion du projet de loi de modernisation de l’économie.
Nous avons commencé tout à l’heure l’examen des amendements à l’article 39. Nous en sommes parvenus aux explications de vote sur les trois amendements de suppression de l’article.
La parole est donc à Mme Odette Terrade, pour explication de vote sur les amendements identiques nos 371, 979 et 890 rectifié.
Mme Odette Terrade. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, nous ne pouvons évidemment qu’inviter le Sénat à adopter ces amendements de suppression de l’article 39.
Nous pourrions, pour vous convaincre, utiliser l’argument du gain de temps. Mesdames les ministres, vous nous avez dit tout à l’heure que vous teniez à répondre de façon détaillée pour pouvoir intervenir plus brièvement dans la suite de la discussion. Il n’empêche que nous souhaitons tout de même prendre le temps nécessaire pour traiter au fond cette question éminemment importante du livret A, qui concerne, rappelons-le, 46 millions de nos concitoyens.
Il est tout de même incroyable de discuter d’un sujet aussi grave au détour d’un texte qui est soit mal ficelé – nous pourrons le montrer si l’occasion nous en est donnée –, soit clairement destiné à organiser un véritable « rapt » sur le livret A, afin de permettre à quelques établissements de crédit de se trouver de l’argent frais dont ils ont le plus grand besoin pour couvrir les engagements de bilan.
En effet, mes chers collègues, c’est bien de cela qu’il s’agit : les banques sont les grandes gagnantes de la généralisation du livret A.
Comme il y a fort à parier que le nombre des livrets en circulation ne va pas véritablement augmenter, c’est surtout autour d’un partage de la collecte que va se jouer l’affaire.
Comme les contraintes de centralisation imposées aux nouveaux distributeurs vont probablement être moins fortes que celles qui sont exigées de la Banque Postale et des caisses d’épargne, il est probable que le « siphonnage » de la ressource du livret A va pouvoir s’organiser sans risque. Sans risque… sauf, évidemment, pour le devenir de la Caisse nationale d’épargne et du réseau des caisses d’épargne et pour celui de la Banque Postale, laquelle sera confinée dans un rôle de faire-valoir social en matière bancaire, ce qui la conduira immanquablement aux plus grandes difficultés.
Quant à la situation du logement social, force est de constater qu’elle ne saurait trouver ici d’amélioration, justement parce que les exigences de centralisation seront globalement relâchées et qu’il y a fort à parier que l’État ne créera pas, dans ce cadre, les conditions d’une politique réellement ambitieuse de mise en chantier de nouveaux logements.
Il faut le dire, dans la mesure où vous avez d’abord décidé de faire la chasse aux locataires à revenus moyens dans le parc social pour le dédier à l’hébergement et au logement des plus démunis, une telle orientation répond parfaitement aux objectifs annoncés.
Et tant pis si, une fois encore, nous constatons la moindre consommation des crédits en faveur de la ville et du logement, et la non-réalisation de 10 000 à 15 000 logements sociaux pourtant programmés.
Dans ce contexte, mes chers collègues, nous ne pouvons évidemment que vous demander d’adopter ces amendements de suppression.
M. le président. La parole est à M. Thierry Repentin, pour explication de vote.
M. Thierry Repentin. Je souhaiterais apporter quelques éléments de réponse aux propos tenus par Mmes les ministres juste avant la suspension.
Tout d’abord, je profite de votre présence parmi nous, madame la ministre du logement et de la ville, pour me réjouir, après vous, de toutes les avancées qui ont pu être réalisées, accompagnées ou suscitées par l’application de l’article 55 de la loi SRU. Vous le savez, nous sommes très attachés à ce dispositif, lequel, dois-je le rappeler, a été conforté par le Sénat au moment même où il était menacé, c’est-à-dire lors de la discussion du projet de loi portant engagement national pour le logement.
Mme Nicole Bricq. Il reste encore beaucoup à faire !
M. Thierry Repentin. Je n’en doute pas, nous aurons la possibilité, à l’occasion de l’examen de prochains textes, d’instituer de nouveaux outils peut-être plus incitatifs, voire coercitifs, à l’intention des dernières communes qui se montrent toujours récalcitrantes à appliquer ce fameux article.
S’agissant du taux de centralisation des sommes collectées, vous nous dites qu’il sera fixé par un décret, lequel, chacun le sait, est tout de même plus facile à modifier qu’une loi. Ce taux devrait être d’environ 70 %, mais, en cas de besoin supérieur constaté, il pourrait augmenter et passer, par exemple, à 75 %.
Je veux bien vous croire, madame la ministre. Néanmoins, pour ma part, je plaiderai toujours pour que de telles dispositions soient inscrites dans la loi, dans la mesure où nous avons la possibilité, tant à l’Assemblée nationale qu’au Sénat, à l’occasion du rendez-vous annuel que constitue l’examen de la loi de finances, de proposer de faire bouger le curseur, et, du coup, d’engager un débat sur le montant d’encours qu’il serait nécessaire de centraliser, dans le cadre de la politique de la ville, pour répondre aux besoins en matière de logement. Cette solution est tout de même préférable à celle qui consiste à laisser la décision finale à quelques fonctionnaires de Bercy, fussent-ils les plus éminents !
Mais je me tourne maintenant vers Mme la ministre de l’économie, de l’industrie et de l’emploi.
Madame Lagarde, dès que la discussion sur l’avenir du livret A a été engagée, Marc Massion et moi-même avons rendu visite à Bruxelles à Mme Kroes, la commissaire européenne chargée de la concurrence. Comme lors de sa récente audition au Sénat, nous nous sommes aperçus qu’elle n’avait pas les idées très claires sur la réforme telle que vous l’avez proposée et que celle-ci suscitait chez elle certaines incertitudes. Sans doute y a-t-il eu depuis des échanges entre vos services et les siens, mais force est de constater qu’elle n’était pas aussi catégorique que vous avez semblé le dire sur la pertinence absolue de votre dispositif.
Au demeurant, si ce système nous semble imparfait, c’est aussi parce que le débat à l’Assemblée nationale a été tronqué. En effet, l’adoption d’un amendement en début de discussion en a fait tomber plusieurs autres, ce qui a conduit le Gouvernement à demander une seconde délibération au petit matin, dans la nuit du jeudi 12 au vendredi 13 juin, pour rétablir le texte initial.
J’ai eu l’occasion peu après de rencontrer un certain nombre de députés UMP, qui ont reconnu que le système n’était pas parfait et qu’il y avait encore matière à discuter. Ils m’ont d’ailleurs confié leur espoir que la lecture au Sénat et la réunion de la commission mixte paritaire permettent de faire évoluer les choses. À l’évidence, si nous adoptons cet article conforme, tel ne sera pas le cas !
J’espère donc, à mon tour, que le Sénat adoptera quelques amendements, ne serait-ce que pour répondre aussi à l’attente de ces députés UMP, qui, parmi tous ceux qui suivent cette réforme et notamment ses implications pour la Caisse des dépôts et consignations, ont des idées à défendre.
M. Thierry Repentin. Enfin, madame Lagarde, d’aucuns évoquent dans ce domaine un cadeau fait aux banques. Comprenez qu’il ne s’agit pas, pour nous, d’avoir une position dogmatique. Simplement, nous l’avons tous entendu, le système actuel entraînerait, aux yeux de certains, une rémunération excessive des trois organismes collecteurs du livret A. Vous l’avez dit, la rémunération moyenne s’élève à 1,1 % de l’encours collecté. À vous entendre, le nouveau système serait beaucoup plus vertueux : les banques qui se verront offrir la possibilité de collecter l’encours seront moins rémunérées que la Banque Postale, la Caisse nationale d’épargne et le Crédit Mutuel, dans la mesure où elles percevront 0,6 %, contre 1,1 % aujourd’hui.
Madame la ministre, si l’État accorde effectivement à ces banques 0,6 % sur 70 % des fonds qui seront centralisés, quid des 30 % restants que celles-ci vont conserver ?
Elles ne manqueront pas de les placer à un taux qui est proche de l’EURIBOR, lequel se situe, à un dixième de point près, autour de 5 %. Elles vont donc rémunérer le livret A à 3,5 % et récolter dans le même temps 5 %, soit un différentiel de 1,5 %. Autrement dit, elles seront rémunérées à ce taux sur 30 % des sommes collectées et à 0,6 % sur les 70 % restants. Une simple règle de trois permet de se rendre compte qu’au final les banques qui recevront, dans les mois à venir, l’autorisation de délivrer le livret A seront rémunérées à 1,1 %. En outre, pour ce faire, elles ne seront pas soumises aux mêmes contraintes que celles que subit actuellement la Banque Postale.
En définitive, elles seront mieux rémunérées que la Banque Postale, qui délivrera pourtant un produit bien plus populaire.
Telles sont les raisons pour lesquelles, mesdames les ministres, nous ne sommes pas persuadés que les efforts demandés aux nouveaux distributeurs seront les mêmes que ceux qui sont exigés des trois opérateurs historiques. En conséquence, nous demandons bien évidemment la suppression de l’article 39, afin de pouvoir le réécrire de concert et le rendre ainsi un peu plus vertueux.
M. le président. La parole est à M. Jean Desessard, pour explication de vote.
M. Jean Desessard. Madame la ministre du logement et de la ville, je souhaiterais tout d’abord vous poser une question d’ordre technique.
Tout à l’heure, vous avez précisé que le niveau plancher de centralisation des sommes collectées et destinées au logement social serait assorti d’un « matelas » représentant une augmentation de 25 %. Pour autant, dans la mesure où le calcul est effectué par rapport aux sommes actuelles, on peut penser que le montant visé sera atteint dans les cinq ans et qu’ensuite il pourra éventuellement diminuer. À l’évidence, cette loi n’est pas faite pour les vingt ou trente ans à venir ! (Mme la ministre du logement et de la ville fait des signes de dénégation en direction de l’orateur.) Madame la ministre, j’en conviens, j’ai peut-être mal compris le dispositif proposé avec ce matelas : j’attends donc vos explications avec impatience !
Je ferai une remarque plus générale : c’est bien l’Europe, que je sache, qui a rendu obligatoire la généralisation du livret A, comme c’est elle qui a ouvert à la concurrence de nombreux marchés, notamment celui de l’électricité. Or vous tentez d’habiller cette réalité, en affirmant que le nouveau dispositif sera meilleur et qu’il permettra, par exemple, d’accroître le nombre d’agences susceptibles de distribuer le livret A. Pour notre part, nous considérons que le système actuel fonctionne bien : il s’agit d’un outil d’épargne populaire intéressant, qui profite à nombre de nos concitoyens et qui permet de financer le logement social.
Pourquoi donc vouloir détruire un système qui fonctionne ? Nous devrions d’ailleurs nous poser cette question chaque fois ! Il se trouve que tout cela est le fruit de considérations purement idéologiques, certains estimant qu’il faut introduire de la concurrence partout.
En l’occurrence, nous pouvons craindre la fiscalisation du livret A et des attaques contre la Caisse des dépôts et consignations. Tel n’est pas le cas, comme nous le verrons, dans le présent texte, mais c’est bien l’esprit de l’Europe qui transparaît systématiquement en filigrane.
Dans un courrier que j’ai reçu de l’un de mes collègues se trouvait cette phrase : les Français, comme les Irlandais, ne répondent pas aux vraies questions qu’on leur pose. (Mme Odette Terrade s’esclaffe.) Ah bon ? Mais ils expriment ce qu’ils ressentent ! L’Europe ne fait-elle pas peser de nombreuses contraintes, en particulier sur le plan social ? Bien sûr que si ! Elle impose la concurrence totale.
Certes, je peux me réjouir que l’Europe, grâce à l’action des pays nordiques, qui sont en avance sur nous, introduise un certain nombre de référents écologiques et environnementaux. Mais, sur le plan social, un certain nombre d’avancées importantes qui ont été obtenues en France sont remises en cause au niveau européen.
Ce que ressentent les gens, on le sait par leur réponse sans ambiguïté aux questions posées : y-a-t-il un pouvoir européen ? Oui ! Impose-t-il des choses ? Oui ! Apporte-t-il des garanties sociales supplémentaires ? Non, au contraire, il est à l’origine d’une régression sociale ! Donc, les gens répondent bien à la question qui leur est posée sur le point de savoir s’ils ont oui ou non envie de voir diminuer leur pouvoir d’achat.
M. Philippe Marini, rapporteur. C’est tellement plus simple quand on fait les questions et les réponses !
M. Jean Desessard. Et c’est tout aussi clair, monsieur le rapporteur, pour le livret A ou la Caisse des dépôts et consignations, qui représentent autant d’avancées obtenues au fil des luttes sociales. Eh bien, l’Europe les remet en cause avec votre consentement !
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote.
Mme Nathalie Goulet. Je comprends bien les observations de nos collègues quant à la politique du logement social. Je me contenterai de revenir sur un point qui préoccupe plus les élus des territoires ruraux.
A-t-on une idée de l’impact de cette diffusion du livret A dans l’ensemble des établissements bancaires sur les rares bureaux de poste qui subsistent dans les territoires ruraux et sont parfois relégués au fin fond d’une épicerie ou Dieu sait où ? En effet, leur maintien dépend de leur activité, laquelle est basée en partie sur le livret A. Sans prétendre être une spécialiste de la matière, je m’exprime en ma qualité d’élue d’un département rural. Et la loi SRU, qui fut longuement débattue dans cet hémicycle, nous gêne plus dans les extensions de réseaux et le mitage que par son article 55.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Christine Boutin, ministre. Monsieur Desessard, je tiens à vous apporter une précision qui vous amènera peut-être à vous raviser et à retirer votre amendement de suppression de l’article.
Je vous le dis très clairement, les 125 % sont réajustés chaque année en fonction des volumes. Convenez que cet élément de confort mérite réflexion !
M. Jean Desessard. Et sur l’Europe, vous n’avez pas répondu ?
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 371, 979 et 890 rectifié.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président. L’amendement n° 557, présenté par M. Repentin, Mmes Bricq et Demontès, M. Godefroy, Mme Khiari, MM. Lagauche, Raoul, Pastor, Sueur, Yung et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Avant le texte proposé par le I de cet article pour l’article L. 221-1 du code monétaire et financier, insérer un article ainsi rédigé :
« Art. L.… - I. - Seule la Caisse d’épargne et les banques bénéficiant d’un droit d’usage du nom « livret A » sont habilitées à proposer les livrets correspondants sous cette appellation.
« II. - Les autres établissements bancaires visés à l’article L. 221-2 distribuent sous leur propre marque un produit d’épargne défiscalisé dont les caractéristiques sont identiques à celles du livret A défini à la présente section.
La parole est à M. Thierry Repentin.
M. Thierry Repentin. Cet amendement s’inscrit dans l’objectif d’une loi de modernisation de l’économie et du respect de la concurrence non faussée ; je pense que vous y serez sensible.
L’appellation « livret A » est une marque déposée par la Caisse d’épargne en 1999, soit trente-trois ans après que le nom a été donné à ce produit d’épargne défiscalisé et bien connu du grand public. Depuis, La Poste – puis la Banque Postale – en ont obtenu le droit d’usage.
De fait, la Caisse d’épargne est donc la seule détentrice des droits sur cette appellation. C’est pourquoi les banques qui voudront proposer ce type de livrets devront développer leur propre appellation commerciale. C’est ce qu’a fait, en 1971, le Crédit Mutuel avec le livret bleu, qui, dans les textes, figure sous le nom de « compte spécial sur livret du Crédit Mutuel ».
Avec le texte que vous nous présentez, cette désignation législative disparaîtra au seul profit du livret A. Le rapport de notre collègue Marini précise : « Le paragraphe III […] porte ainsi nouvelle rédaction du 7° de l’article 157 du CGI pour tenir compte de la nouvelle désignation législative des différents livrets, livrets A et livrets bleu, désormais regroupés sous l’appellation livret A ». Comme dans le régime fiscal actuel, ces livrets continueront de bénéficier d’une exonération d’impôt sur le revenu pour leurs intérêts ; on l’espère, en tout cas. De même, il est prévu que, jusqu’à l’entrée en vigueur de la réforme, au 1er janvier 2009, les intérêts des comptes spéciaux sur livret du Crédit Mutuel – les livrets bleu – soient exonérés d’impôt sur le revenu. Après cette date, le Crédit Mutuel distribuera des livrets A, même si, en pratique, il sera libre de conserver l’appellation commerciale livret bleu.
Si, dans les textes, ce livret d’épargne sera visé par l’appellation livret A, à charge pour chaque groupe bancaire de créer et de faire connaître son propre nom commercial d’usage.
Cet amendement visant à réserver le droit d’usage du terme livret A aux deux distributeurs actuels éviterait toute distorsion de concurrence et tout effet de « passager clandestin ». La Caisse d’épargne a pris à sa seule charge de créer, de développer et d’investir dans la publicité en faveur du livret A. Elle a incontestablement consacré des moyens substantiels à promouvoir le livret A et lui a conféré ce que l’on peut appeler un « effet marque », en tout cas, une image de marque certaine ; c’est d’ailleurs ce qui suscite la convoitise des autres banques.
Madame la ministre, chers collègues, quel que soit le secteur d’activité, l’image d’une marque a toujours une valeur économique. C’est la raison pour laquelle on ne peut impunément se prévaloir des bulles d’une eau de source ou d’un modèle d’un couturier sans l’autorisation des marques concernées. Ce n’est pas parce que l’on fait une boisson pétillante à partir de cépages champenois et d’une méthode de vinification dite « champenoise » que l’on a le droit d’appeler cette boisson Champagne ! On pourrait ainsi multiplier les exemples.
Il est raisonnable de conserver à ceux qui ont construit une marque le bénéfice exclusif de l’utiliser. Un choix contraire remettrait en cause quelques fondements de la propriété industrielle et introduirait, l’air de rien, une incertitude pouvant se révéler majeure pour de nombreuses entreprises ayant développé des politiques de marque. Quelle sera leur sécurité juridique si demain Peugeot peut être autorisée à commercialiser des Kangoos ou des Clios ? Nous sommes dans un cas de figure identique.
De même, pour le livret A, on pourra parler de véritable institutionnalisation des comportements de passager clandestin si des établissements bancaires peuvent bénéficier de l’effet marque issu de dizaines d’années de promotion sans débourser un centime d’euro !
S’ils veulent distribuer le livret d’épargne réglementé, à eux de contractualiser avec la Caisse nationale des caisses d’épargne – comme l’a fait la Banque Postale – pour utiliser l’appellation livret A moyennant rémunération ou bien de développer leur propre ingéniérie de promotion en faveur d’un produit d’épargne ayant son intitulé spécifique.
Madame la ministre, chers collègues, l’amendement n° 557 est finalement un amendement de respect des logiques et identités économiques.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Marini, rapporteur. Je suis totalement en désaccord sur le plan juridique et sur le plan économique avec ce qui vient de nous être dit. Le livret A appartient à l’État. Il est défini par l’État. Il s’agit d’épargne réglementée. Tout cela n’existe qu’en fonction d’un régime fiscal que le Parlement définit. Dès lors, naturellement, seule la représentation nationale a le pouvoir de modifier, le cas échéant, ce régime.
Il est tout à fait clair que cela ne crée pas de droits pour un groupe qui distribue un tel produit car il peut distribuer tout ce qu’il voudra, il n’en demeure pas moins que la valeur de ce qu’il distribue résulte uniquement des décisions de l’État. Ce serait véritablement léser ce dernier que de considérer que les réseaux distributeurs historiques sont propriétaires de quoi que ce soit en la matière.
Quant à la large diffusion dans tous les réseaux des mêmes livrets et, par conséquent, du jeu de la concurrence, il est évident que le produit doit être le même et connaître la même appellation dans tous les guichets. Raisonner autrement reviendrait à aller complètement à rebours de la logique même de la réforme.
Pour toutes ces raisons, la commission spéciale ne peut qu’être défavorable à cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Christine Lagarde, ministre. Monsieur le sénateur, c’est une proposition intéressante, mais à laquelle le Gouvernement est, bien entendu, totalement défavorable pour les raisons que vient d’évoquer M. le rapporteur.
Si cette marque appartient à quelqu’un, c’est à l’État. Si quelqu’un pouvait en revendiquer l’inscription dans un quelconque registre, ce ne serait certainement pas la Caisse d’épargne !
D’ailleurs, jamais la Caisse d’épargne, au cours de toutes les discussions que nous avons eues – et Dieu sait si nous en eûmes ! – n’a excipé de ce critère de marque pour revendiquer une quelconque redevance.
Le Gouvernement est défavorable à l’amendement n° 557.
M. le président. Toujours sur l’article 39, je suis saisi de quatre amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 551 rectifié, présenté par M. Repentin, Mmes Bricq et Demontès, M. Godefroy, Mme Khiari, MM. Lagauche, Raoul, Pastor, Sueur, Yung et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
I. - Rédiger comme suit le texte proposé par le I de cet article pour l’article L. 221-1 du code monétaire et financier :
« Art. L. 221-1. - Les sommes versées sur un premier livret de la Caisse nationale d’épargne ou des caisses d’épargne et de prévoyance, dénommé livret A, ou sur un compte spécial sur livret du crédit mutuel, sont soumises à plafonnement dans des conditions fixées par voie réglementaire.
« Les sommes versées en excédent du plafond fixé à 20 800 euros peuvent être déposées sur un ou plusieurs livrets supplémentaires. Les livrets de caisse d’épargne sont nominatifs.
« Une même personne ne peut être titulaire que d’un seul livret A de caisse d’épargne ou d’un seul compte spécial sur livret du Crédit mutuel.
II. — Pour compenser la perte de recettes résultant pour l’État du I ci-dessus, compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
… - La perte de recettes résultant pour l’État de l’argumentation à 20 800 euros du plafond du Livret A et du Livret bleu, est compensée à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle aux droits visés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.
La parole est à Mme Bariza Khiari.
Mme Bariza Khiari. Le plafond du livret A n’a pas été réévalué depuis octobre 1991 – il y a dix-sept ans ! –, date à laquelle il a été fixé à 15 245 euros. Or, si l’on tient compte de l’inflation intervenue depuis cette date, ce plafond devrait se situer aujourd’hui à 20 800 euros.
L’objet de l’amendement n° 551 est de prendre acte de ce décrochage significatif du plafond par rapport à l’indice des prix et de réparer ce retard de revalorisation. J’y vois plusieurs avantages.
Le premier avantage est de soutenir les détenteurs de ce produit d’épargne populaire en leur permettant de bénéficier de son taux avantageux sur une surface financière un peu élargie. Les livrets A et bleu sont parmi les outils d’épargne défiscalisés privilégiés des résidents sur le territoire français.
Le deuxième avantage est d’assurer une hausse de l’encours de la collecte sur livret, ce qui viendrait quelque peu compenser votre décision de mettre fin à la centralisation totale de la collecte. Nos estimations montrent que le relèvement du plafond à 20 000 euros générerait 6 milliards d’euros d’épargne supplémentaire à un surcoût relativement modeste pour l’État, estimé à 25 millions d’euros, portant le coût total de la défiscalisation à 320 millions d’euros. Il y a là des réserves de financement dont nous aurons assurément besoin pour réaliser des logements sociaux, mais aussi pour les réhabiliter dans le cadre des exigences nouvelles en matière de performance énergétique issues des travaux du Grenelle de l’Environnement.
En outre, augmenter le plafond d’épargne sur les livrets A et bleu renforcera leur attractivité et réduira donc le risque de siphonnage au profit d’autres produits financiers. En même temps, ce mécanisme renforcera la péréquation entre les livrets à faible épargne et les livrets au plafond, ceux-ci représentant actuellement 2,4 % des livrets pour 40 % des encours.
Enfin, j’y vois un troisième avantage : permettre, par la hausse du plafond, d’augmenter les excédents de gestion récupérés chaque année par l’État au titre de sa garantie.
Ainsi, cette mesure va dans l’intérêt de tous : les détenteurs de livrets, les banques, l’État et surtout le logement à loyer modéré, qui verra son financement conforté dans le cadre du Grenelle pour lequel il faudra trouver des fonds publics en vue de la mise aux normes thermiques de plusieurs millions de logements anciens, dont 800 000 logements sociaux.
Madame la ministre, je sais votre conviction personnelle quant à la nécessité de réaliser davantage de logements pour tous. Nous n’y parviendrons pas sans, d’une part, une sécurisation de la ressource et, d’autre part, son élargissement grâce au relèvement du plafond.
Mesdames les ministres, chers collègues, je compte sur la Haute Assemblée pour adopter cet amendement.
Je vous fais grâce des explications sur le calcul d’impact de l’inflation sur le plafond du livret A. Mais, si vous le souhaitez, je pourrai vous expliquer comment nous sommes arrivés à cette somme de 20 800 euros.
M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.
L’amendement n° 558 est présenté par M. Repentin, Mmes Bricq et Demontès, M. Godefroy, Mme Khiari, MM. Lagauche, Raoul, Pastor, Sueur, Yung et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés.
L’amendement n° 886 rectifié est présenté par Mmes Beaufils, Terrade et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Dans le texte proposé par le I de cet article pour l’article L. 221-1 du code monétaire et financier, remplacer les mots :
tout établissement de crédit habilité à recevoir du public des fonds à vue et qui s’engage
par les mots :
les établissements mentionnés au second alinéa de l’article L. 511-9 et qui s’engagent
La parole est à M. Thierry Repentin, pour défendre l’amendement n° 558.