Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Fourcade.
M. Jean-Pierre Fourcade. Monsieur le secrétaire d’État, au moment où les dirigeants des vingt-sept pays de l’Union européenne sont réunis pour parachever l’œuvre entamée voilà un mois, laquelle a fait l’objet, comme l’ont rappelé Mme la ministre et M. le rapporteur général, de très nombreuses réunions, je tiens à apporter le soutien unanime du groupe UMP au projet de loi que vous nous présentez.
MM. Gérard Larcher et Alain Gournac. Très bien !
M. Jean-Pierre Fourcade. Je voudrais également saluer les initiatives courageuses et efficaces du Président de la République et du Gouvernement.
Monsieur le secrétaire d’État, ce projet de loi, adopté hier à l’Assemblée nationale et présenté aujourd’hui au Sénat, traduit, au niveau législatif, le plan de soutien qui a été mis au point par les pays européens à la fin de la semaine dernière. Dans mon esprit, comme dans celui de mes collègues du groupe UMP, ce texte comporte un certain nombre d’éléments très importants. M. le rapporteur général les a détaillés tout à l’heure, et, comme lui, je me bornerai à évoquer les seules dispositions de l’article 6, dans la mesure où le reste du texte est un correctif budgétaire tenant compte de l’évolution à la fois des recettes et des charges.
Tout d’abord, je tiens à souligner l’importance des chiffres annoncés. L’orateur qui m’a précédé à la tribune a comparé des crédits budgétaires et des montants de garantie. Ce n’est tout de même pas la même chose ! Nombre de nos collègues dans cette assemblée dirigent également des collectivités territoriales : tous connaissent parfaitement la différence entre un crédit budgétaire et une garantie. Puisque le Gouvernement français et ses homologues européens ont eu la volonté de frapper l’opinion et d’essayer de rétablir la confiance, il leur a fallu retenir des sommes très élevées, d’où l’annonce des 360 milliards d’euros d’avances et de recomplètement du capital.
L’importance des chiffres présentés est donc le premier élément à prendre en compte, et la réaction des marchés financiers l’a d’ailleurs prouvé. Il est d’autant plus considérable que, contrairement au plan Paulson, qui, lui, s’intéressait aux actifs des banques, notamment aux actifs dangereux – les fameux actifs « toxiques » –, le plan du Gouvernement français, comme ceux des gouvernements britannique et allemand, se concentre essentiellement sur les relations interbancaires et leur nécessaire déblocage. C’est bien ce dernier qui permettra de faire repartir l’ensemble de la machine économique.
Le deuxième élément très important à retenir, c’est le retour de l’État garant, ce qui n’a rien à voir avec une quelconque résurgence de l’interventionnisme ou de je ne sais quel autre vieux système. Quoi de plus normal, d’ailleurs, qu’un tel retour ? On avait en effet un peu oublié, sous l’influence des financiers américains et des banques américaines, ce rôle de l’État. Celui-ci apporte donc une garantie de 360 milliards d’euros, selon des mécanismes que M. le rapporteur général a parfaitement expliqués. Cela emporte deux conséquences, sur lesquelles je tiens à insister car elles n’ont pas été suffisamment soulignées.
La première, c’est que les contribuables français n’auront pas à payer pour les pertes des banques.
M. Hervé Novelli, secrétaire d’État chargé du commerce, de l’artisanat, des petites et moyennes entreprises, du tourisme et des services. Très bien !
M. Jean-Pierre Fourcade. À mon sens, il faut clairement l’énoncer, car, dans le flou actuel des commentaires et des discours, on aurait tendance à l’oublier !
M. Michel Charasse. Il faudrait que cela aille très mal !
M. Jean-Pierre Fourcade. En réalité, il s’agit bien de garantie, et non de crédits.
M. Jean-Pierre Fourcade. Seconde conséquence : l’aide de l’État ne sera accordée au système bancaire – au système financier, devrais-je dire, car tous les établissements financiers domiciliés en France qui en auront fait la demande pourront bénéficier de cette garantie – qu’en échange de contreparties significatives pour l’intérêt général : la rémunération de l’État sera ainsi assurée par l’intermédiaire de mécanismes spécifiques, qui répondent notamment à des préoccupations éthiques s’agissant des rémunérations des dirigeants.
Mme Bricq a déclaré tout à l’heure qu’il faudrait une intervention législative en la matière. Je suis d’accord avec elle : une interprétation fiscale est nécessaire.
Mme Nicole Bricq. Oui !
M. Jean-Pierre Fourcade. À partir du moment où les sommes relatives à tous les parachutes ne seront plus déductibles des frais généraux des entreprises, croyez-moi, tout ira mieux : c’est la meilleure solution, bien préférable à celle qui consisterait à se lancer dans des règles de conditionnalité en matière de rémunérations.
Mme Nicole Bricq. C’est vrai !
M. Jean-Pierre Fourcade. Le troisième élément à retenir me paraît encore plus important.
M. Mercier l’a très justement fait remarquer, le plan du gouvernement français, qui est tout à fait parallèle à ceux des gouvernements britannique, allemand, italien et espagnol, résulte d’une véritable coordination européenne. Mme Lagarde l’a rappelé, sa mise en place a pris beaucoup de temps. On a commencé à discuter à quatre, puis à sept. L’Eurogroupe s’est ensuite réuni, rejoint par le Premier ministre britannique : c’est ce dernier qui a trouvé la méthode pour essayer de débloquer les relations interbancaires. Je m’en félicite, car cela rapproche le gouvernement britannique de l’Europe. Le fait que le Premier ministre britannique soit venu en personne participer à une opération importante concernant l’euro ne présente, selon moi, que des avantages.
Mes chers collègues, cette coordination européenne est un point essentiel. Bien entendu, cela impliquait de disposer d’un chef d’orchestre. Si la crise s’était produite en janvier ou en février prochain, lorsque ce sera au tour de la Tchéquie – pays quelque peu eurosceptique –, de présider le Conseil européen, je me demande si l’on aurait pu avoir le même dynamisme et les mêmes initiatives.
Félicitons-nous, dans le désastre financier actuel, qu’il y ait eu un véritable chef d’équipe, en la personne du Président de la République française. Tout cela montre que toute institution peut fonctionner de manière efficace si la volonté politique est là, si la volonté de concertation et de convergence existe et si l’on s’accorde pour pouvoir faire face, ensemble, à une crise aussi forte que celle que nous venons de traverser.
Mes chers collègues, je souhaite que, ce soir, les Vingt-Sept approuvent le plan général et se rallient à l’ensemble de ce qui a été fait. Pour le définir, Mme Merkel a inventé l’expression de « boîte à outils » : cela signifie que chaque pays peut adapter le plan, notamment les volumes de garantie offerts, à ses problèmes nationaux. J’espère que, ce soir, la Pologne, la Tchéquie et la Roumanie accepteront de se servir aussi de cette boîte à outils. Peut-être faudra-t-il augmenter le nombre des outils pour faire plaisir à tout le monde ! (Mme Nicole Bricq s’exclame.)
En tout état de cause, je souhaite que le succès soit au rendez-vous.
Bien évidemment, monsieur le secrétaire d’État, l’appui que nous vous apportons correspond à ce qu’a annoncé M. le rapporteur général, c’est-à-dire à un soutien total au texte que vous nous proposez, aussi bien aux dispositions des articles 1er à 5 qu’à celles de l’article 6. Vous nous fournirez sans doute tout à l’heure un certain nombre d’explications complémentaires sur les modalités d’application envisagées.
Toutefois, il va de soi que l’on ne pourra pas s’arrêter là. Il importe, après le vote du Sénat tout à l’heure, que j’espère positif – je remercie le président Mercier d’avoir annoncé qu’il voterait en faveur du texte –, d’envisager ce qui va se passer demain. À mon avis, il y a deux grandes orientations à prendre : une sur le plan national, l’autre sur le plan international.
Sur le plan national, il est évident que toute traduction de la crise financière sur l’économie réelle appelle des mesures en matière d’emploi, d’écologie et de soutien aux collectivités locales. Il s’agit en effet de permettre à ces dernières de faire face aux quelques difficultés qu’elles viennent de rencontrer dans leurs rapports avec les principaux établissements financiers, notamment en ce qui concerne leurs lignes de trésorerie.
Sur le plan de l’emploi, il est clair qu’il faut tenir compte à l’heure actuelle de la vague de licenciements qui ne manquera pas de déferler sur notre pays du fait de la réduction de la production.
Sur le plan de l’écologie, c’est justement parce que nous sommes dans une conjoncture très déclinante qu’il faut mettre en place un certain nombre d’éléments nouveaux en la matière, notamment pour ce qui est des énergies renouvelables et du développement durable. Nous avons là des gisements de croissance,...
Mme Nicole Bricq. C’est vrai !
M. Jean-Pierre Fourcade. ... et c’est le moment de les exploiter, plutôt que d’attendre le retour à meilleure fortune. En effet, la France étant ce qu’elle est, une fois cette bonne fortune rétablie, nous oublierons les nécessités écologiques et les problèmes de développement durable.
Enfin, les présidents du Sénat et de l’Assemblée nationale ont lancé une mission d’analyse et de réflexion sur l’organisation des collectivités territoriales. Le Gouvernement et le Président de la République en ont lancé une autre. J’espère qu’il en sortira quelque chose à la fois de plus simple et de moins coûteux que ce que nous connaissons. Si nous parvenons à modifier nos structures territoriales en respectant ce double objectif - plus grande simplicité et moindre coût -, nous aurons beaucoup progressé.
Au plan international, à l’évidence, nous ne pouvons pas nous en tenir au programme sanctionné par l’accord européen : nous devons aller plus loin et en revenir à un véritable système monétaire international.
À cet égard, qu’on me permette d’abord de m’étonner d’être le premier orateur à évoquer le Fonds monétaire international. Personne n’en a parlé jusqu’à présent !
M. Yves Pozzo di Borgo. Parce qu’il est inexistant !
M. Jean-Pierre Fourcade. Nous devons lutter contre la dérive du Fonds monétaire international qui, depuis quelques années, s’emploie bien davantage à donner des conseils de politique économique aux gouvernements qu’à réguler les transactions financières et à surveiller le fonctionnement du marché financier.
Je me souviens que, ministre des finances en 1974, lors du premier choc pétrolier, je fus inspecté par une délégation du FMI chargée de vérifier si le gouvernement français avait pris toutes les mesures nécessaires pour redresser l’économie. Je dus alors répondre à une série de questions complexes posées par un collège composé de Belges, de Néerlandais, d’Anglais et d’Américains. Je considère que ce n’est pas le rôle du Fonds monétaire international et que ce rôle doit être reprécisé.
Le FMI doit s’occuper de l’ensemble des mécanismes financiers internationaux, ...
M. Adrien Gouteyron. Très bien !
M. Jean-Pierre Fourcade. ... et je compte sur le Gouvernement pour le rappeler à son directeur, à son comité monétaire et financier ainsi qu’à l’ensemble de nos partenaires.
M. Michel Charasse. En français ! Ils comprendront !
M. Jean-Pierre Fourcade. Si nous voulons rétablir un système monétaire mondial sérieux, sans toutefois revenir à un système de parités fixes - idée saugrenue que n’accepteraient ni la Chine, ni les États-Unis, ni l’Inde, ni le Brésil -,…
M. Joël Bourdin. Et nous non plus !
M. Jean-Pierre Fourcade. … nous devons renforcer le rôle du Fonds monétaire international.
Nous devons également revenir sur l’ensemble des produits extrêmement sophistiqués qui ont été inventés par de très jeunes talents un peu partout – à Londres, à New York, à Chicago, mais aussi à Paris – et qui résultent, entre autres, de la titrisation des fonds de valeurs pourries. Je suis persuadé qu’à l’heure actuelle personne ne sait exactement quelle est l’importance, dans les bilans des banques, des risques encourus du fait de la possession de ces titres financiers que l’on se repasse comme le mistigri et parmi lesquels on trouve un peu n’importe quoi.
Nous sommes allés trop loin en matière de titrisation et de produits dérivés, trop loin dans la sophistication. Si nous voulons rétablir un système monétaire international convenable, nous devons avoir le courage de revenir à des méthodes plus classiques - celles que j’ai connues par le passé -, moins dangereuses pour l’ensemble des économies.
J’en viens, pour finir, à l’article 6 du projet de loi, qui est relatif à la recapitalisation de Dexia, que nous connaissons bien puisque cet établissement accorde aux collectivités territoriales de nombreux prêts, à moyen et long terme, ainsi que des facilités de trésorerie.
Le texte qui nous est soumis indique clairement que la garantie de l’État sera donnée pour les seuls engagements financiers pris à compter du 9 octobre, date de l’accord intergouvernemental, et jusqu’à la fin de 2009. Je crains qu’il ne subsiste dans les comptes de Dexia un certain nombre d’actifs toxiques. Je vous pose donc la question suivante, monsieur le secrétaire d’État : s’est-on assuré, lors de la conclusion de l’accord concernant Dexia, passé entre les gouvernements luxembourgeois, belge et français, que la recapitalisation envisagée de 6,4 milliards d’euros serait suffisante pour éponger l’ensemble des actifs toxiques ou contaminés ?
Je suis quelque peu inquiet à ce sujet et j’aimerais être rassuré, comme tous mes collègues, dont beaucoup sont, en tant que responsables d’exécutifs locaux, clients de Dexia, ...
M. Jean-Michel Baylet. C’est sûr !
M. Jean-Pierre Fourcade. ... sur le sauvetage de cette banque.
M. Michel Charasse. On va dire que c’est la banque des sénateurs ! Déjà qu’on s’en prend plein la gueule…
M. Jean-Pierre Fourcade. Je constate que l’action Dexia n’a pas encore retrouvé, sur les marchés français et belge, un cours tout à fait satisfaisant. Bien que cela n’entache en rien l’appui global que nous vous apportons, nombreux sont ceux qui, parmi nous, souhaiteraient recevoir, monsieur le secrétaire d’État, des apaisements sur le sort de ce groupe. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Michel Baylet.
M. Jean-Michel Baylet. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’heure est indiscutablement grave et capitale.
Le projet qui nous est soumis a déjà été ratifié par les marchés et il est, n’en doutons pas, également approuvé par l’opinion.
Je serai donc direct : dans les nouvelles conditions économiques, mais aussi politiques, créées par les décisions de l’Eurogroupe, qui peut s’opposer, même par une simple abstention de circonstance, au volet national du plan européen qui nous est présenté aujourd’hui ? (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RDSE et de l’UMP.)
J’entends dire que ce plan n’est pas parfait, qu’il ne va assez loin, que la confiance retrouvée est fragile, que les prévisions de croissance restent mauvaises, que beaucoup d’emplois restent menacés, ou encore que le pouvoir d’achat ne s’en trouve pas amélioré. Tout cela est vrai ou partiellement vrai, et j’y reviendrai.
Mais enfin, que voyons-nous et que voulons-nous ?
Voilà quelques jours, la panique s’étendait à grande vitesse depuis le cœur des institutions financières jusqu’à tous les petits épargnants, tous les petits porteurs, tous ceux qui craignaient pour leur retraite. Le sentiment d’une crise gravissime n’était plus celui des seuls spéculateurs, très justement mis en accusation par leurs victimes potentielles, mais celui de l’ensemble de nos concitoyens.
Voilà deux semaines, nous déplorions l’insigne faiblesse de l’Europe face au géant américain. Et aujourd’hui, c’est l’initiative coordonnée des Européens qui rend la confiance aux marchés, y compris Wall Street, et aux peuples, alors que le plan Paulson, pourtant doté de 700 milliards de dollars, avait été impuissant à enrayer la crise.
Voilà quelques mois, les tenants d’un libéralisme sans principes et d’une mondialisation sans lois espéraient encore leur survie de « la main invisible du marché », alors même que, pour la crise énergétique ou la crise alimentaire, la main de certains profiteurs était déjà bien visible. De M. Bush à Mme Merkel, en passant par le gouvernement britannique, on ne jure plus désormais que par la « régulation », nouvel euphémisme qui désigne cette économie mixte où la puissance publique réhabilitée refuse de se résigner à ce que les banquiers jugent inéluctable.
Et voilà quelques minutes, nous avons encore entendu poser la question du financement du volet français de cette opération de sauvetage de l’économie alors que, d’une part, si la confiance retrouvée perdure, la garantie payante donnée aux opérations interbancaires n’aura aucune raison d’être mise en jeu et que, d’autre part, les prises de participation dans les établissements exprimant des besoins en capital pourraient se révéler rapidement sources de bénéfices pour l’État.
Mais je crois que l’essentiel est bien là où les Français l’ont vu : pour la première fois, sur un sujet aussi important, les Européens parlent d’une seule voix et la similitude, en volume et quant aux modalités, des volets anglais, allemand et français, suffit à démontrer que l’élan communautaire s’est imposé comme une évidence que les radicaux de gauche, fédéralistes convaincus, saluent aujourd’hui.
Faudra-t-il pour autant en rester là et se contenter d’un succès d’étape dont chacun devine qu’il est à la merci de nouvelles convulsions ? Je ne le crois pas, et cela pour trois raisons.
La première raison, qui impose une réponse de court terme, tient à ce que la situation de ceux qui travaillent vraiment et qui ne jouent pas au Monopoly dans une salle dorée - je veux parler des vrais entrepreneurs et des salariés - ne s’est pas améliorée. La croissance est en panne, les prévisions pour 2009 n’augurent rien de bon et la crise de liquidités a révélé les besoins de financement de ce qu’il est désormais convenu d’appeler, dans un terrible aveu, l’« économie réelle ».
Il me semble que les énormes facilités accordées au système bancaire imposent de véritables contreparties, caractéristiques de cette économie mixte que les radicaux, là encore, ont toujours souhaitée.
Il faut, bien sûr, modifier les règles d’un jeu devenu fou, notamment sur les ratios de liquidités, la nature des risques et les échanges à terme. Mais il faut aussi profiter de l’effet de levier produit par l’aide de l’État pour imposer aux banques de financer effectivement et dans des conditions améliorées ceux qui créent des emplois.
Je prendrai trois exemples concrets.
Tout d’abord, j’appelle de mes vœux la mise en place un vaste système de prêts bonifiés avec différé d’amortissement, au moins jusqu’en 2010, au profit des PME et PMI, gisement d’emplois, d’innovations et de capacités d’exportation.
Ensuite, je veux aider Mme la ministre du logement à améliorer son plan d’endettement perpétuel pour en faire un véritable plan d’accession sociale à la propriété, en diminuant la durée des prêts non seulement pour le rachat des HLM, mais aussi pour la construction neuve, dans un secteur où 150 000 emplois sont en danger.
Je veux enfin - et où le dire mieux qu’au Sénat ? – sortir les collectivités d’une situation financière liée aux conditions de leur endettement, mais aussi aux effets de la récession sur les recettes de taxe professionnelle, de droits de mutation et de foncier bâti. Il faut imposer aux banques de renégocier les prêts avec des taux fixes au lieu des taux variables qui livrent nos collectivités à la spéculation.
Le deuxième motif que nous avons de prolonger l’élan interventionniste, qui a eu des effets si heureux et qui nous oblige à ne pas nous désarmer, est à rechercher dans le champ européen. Les événements de ce week-end sont la preuve éclatante que l’Union européenne a besoin d’un gouvernement économique, dont elle ne peut abandonner l’aspect monétaire à la seule BCE.
Ce gouvernement économique, pour être efficace, devra être doté d’armes telles qu’une fiscalité directe communautaire, de grands services publics européens - qu’il faudra bien cesser de démanteler par pur dogmatisme au moment même où l’on réinvente la régulation financière par les États : nous en avons un exemple frappant avec La Poste -, mais aussi telles que l’usage raisonné du déficit budgétaire - n’ayons pas peur du mot ! - qui permettrait, à rebours de la stricte orthodoxie, de financer de grands travaux d’investissement et donc de créer des emplois qui doperaient nos exportations, ce qui ne serait somme toute que la réponse du berger européen à la bergère américaine.
En signant le très strict traité de Maastricht, nous avons renoncé à cette possibilité au plan national, mais nous n’avons jamais déclaré que nous l’abandonnions pour l’avenir au niveau européen.
En 2009, nous aurons un nouveau Parlement européen et, sous réserve de la ratification finale du traité de Lisbonne, une nouvelle Commission. L’occasion est belle de poser cette question : l’Europe enfin devenue visible aux yeux de ses citoyens est-elle décidée à continuer d’exister ?
Enfin, ma troisième raison de souhaiter que la résurgence forte de la volonté politique face au laisser-aller libéral se prolonge durablement tient à la nécessité de réformer en profondeur et les règles monétaires internationales et celles de l’OMC.
Le déséquilibre des accords de Bretton Woods signe leur caducité et la faiblesse du niveau d’intervention du FMI montre son inadaptation. En réalité, le système ne fonctionnait déjà plus du tout sur ses bases initiales depuis 1971 et la décision de non-convertibilité du dollar, à cette époque où le secrétaire d’État américain au Trésor déclarait aux Européens : « Le dollar est notre monnaie, mais c’est votre problème ! ».
Pour cynique qu’elle ait été, cette déclaration était la traduction de la réalité, et nous l’avons vérifié aussi bien dans l’application des mécanismes de la politique agricole commune que dans le jeu de yoyo du cours du pétrole : nous ne cessons de payer le déficit de la réserve fédérale américaine.
L’ensemble du système doit donc être repensé en fonction des objectifs prioritaires suivants : le rééquilibrage entre les grandes monnaies mondiales sous l’angle de leur pouvoir d’arbitrage des échanges internationaux ; la création de règles imposées aux titulaires de rentes, énergétiques ou autres, aujourd’hui capables d’irriguer ou d’assécher des économies nationales entières ; la révision totale des règles d’intervention d’inspiration strictement libérale du FMI au profit de pays en développement.
Le chantier est donc immense. C’est une raison de plus de s’y attaquer dès la réunion du G8 élargi qu’on nous annonce pour novembre.
Quant aux accords de Maastricht, ils étaient dépassés dès leur signature. S’il s’agit de « moraliser » ou de « refonder » le capitalisme – des expressions que, pour ma part, je n’emploierais pas –, il n’y aura pas de commerce international équitable aussi longtemps que le libre-échange ne sera pas assorti de critères sociaux générateurs d’espoir dans les pays émergents, de clauses environnementales devenues aujourd’hui impératives et de conditions démocratiques propres à rénover les cynismes d’État.
Vous le voyez, l’approbation que les radicaux de gauche apportent au projet qui nous est soumis n’est ni aveugle ni exempte d’inquiétudes pour demain. Mais nous croyons qu’il est du devoir d’une opposition responsable et sûre d’elle de dépasser les strictes considérations partisanes pour s’attacher à l’intérêt public national – ou plutôt, en l’occurrence, à l’intérêt du continent européen –, tout en aiguillonnant le pouvoir exécutif et en le rappelant à l’objectif de justice sociale sans lequel aucune politique économique n’a de sens puisqu’elle ne se donne pas l’homme comme mesure et comme finalité. (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l’Union centriste et de l’UMP.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Muller.
M. Jacques Muller. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, chers collègues, nous sommes rassemblés pour légiférer en procédure d’urgence afin de tenter d’apporter des solutions concrètes à ce que l’on appelle la « crise financière ». La menace qui pèse désormais sur l’économie réelle et ses conséquences sur la vie quotidienne de nos concitoyens sont tellement graves qu’il est de notre devoir de récuser par avance toute approche partisane et de mettre en œuvre des solutions concrètes et efficaces.
Pour autant, croyez-vous un instant que l’étatisation des créances toxiques et la recapitalisation des banques résoudront la crise mondiale à laquelle nous sommes confrontés ? Ne faisons pas l’autruche ! Il y a vingt ans, s’écroulait le mur de Berlin, marquant la fin du socialisme dit « réel ». Aujourd’hui, nous assistons à l’écroulement d’un autre mur, le mur de l’idéologie ultralibérale qui a malheureusement contaminé l’ensemble de nos sociétés.
Cette imposture idéologique néolibérale n’a eu de cesse de « ringardiser » le politique – comme le rappelait hier encore à juste titre M. le président Larcher – en laissant croire que la « main invisible » du marché et, plus particulièrement, celle des marchés financiers, était le seul garant de l’optimum économique et social. Comme si l’intérêt général n’était que « la somme des égoïsmes particuliers » et comme si l’histoire pouvait se construire rationnellement en « laissant faire » !
Ne nous trompons pas de crise ! La crise financière mondiale ne provient pas de la rémunération excessive – donc, a priori facile à corriger, parce qu’il ne s’agirait que de mesures techniques – des banquiers et autres PDG : elle plonge ses racines dans la crise sociale, plus précisément dans l’abandon de la régulation fordiste et keynésienne qui avait prévalu de l’après-guerre jusqu’au début des années quatre-vingt. Pendant toute cette période, par le jeu de règles collectives issues d’un véritable compromis social capital-travail, les gains de pouvoir d’achat évoluaient régulièrement, au rythme des gains de productivité du travail, résolvant par là même le problème consubstantiel du capitalisme, celui qui l’avait plongé dans la crise de1929 : le problème des débouchés.
Depuis le début des années quatre-vingt, date de la révolution néolibérale qui, à partir des Etats-Unis, a déferlé sur le monde entier, en tout cas dans tous les pays industrialisés, nous observons la même tendance : la baisse durable, profonde, de la part des salaires dans la richesse créée, au profit des revenus du capital.
On retrouve partout les mêmes recettes néolibérales : austérité salariale et flexibilisation rampante du marché du travail. Aux États-Unis, d’où est partie la crise financière, la durée moyenne du travail est tombée à 33,6 heures, non pas du fait d’une volonté d’aménagement et de réduction du temps de travail, mais à cause de la multiplication des emplois précaires ! Votre propre gouvernement n’a eu de cesse, monsieur le secrétaire d’État, de transposer ce modèle américain dans notre pays.
Comme en témoignent les différentes lois dites de « modernisation » adoptées récemment, qu’il s’agisse du dialogue social, de l’économie ou du marché du travail, la nouvelle norme de travail, y compris pour les cadres, c’est l’emploi précaire, que nos concitoyens ont fini par accepter sous la pression du chômage.
Les résultats macroéconomiques sont clairs et nets : dans notre pays, la part des revenus du travail dans le PIB a diminué de 15 % entre 1980 et aujourd’hui, passant de 78 % à 66 % du PIB.
Les chiffres sont précis : ce sont 200 milliards d’euros qui sont prélevés chaque année sur la richesse nationale et qui, depuis vingt ans, alimentent l’économie financière, cette « économie casino » qui gangrène l’économie réelle et dont les premiers bénéficiaires ont été particulièrement soignés par votre gouvernement, monsieur le secrétaire d’État : chacun aura compris que je vise ici la baisse de l’impôt sur le revenu et le bouclier fiscal !
Ce sont, chaque année, ces mêmes 200 milliards d’euros qui ne participent pas au financement de la sécurité sociale ni à celui de la retraite par répartition, dont le sauvetage devrait être une priorité nationale. Tout le monde sait bien, désormais, ce que valent les promesses des chantres de la retraite par capitalisation !
Sur le plan strictement économique, ce sont 200 milliards d’euros qui manquent chaque année à la rémunération du travail, c’est-à-dire aux débouchés internes : comme nos voisins, nous comptons sur les exportations, c’est-à-dire sur les marchés extérieurs, pour écouler notre production.
Comment nos économies ont-elles évité l’écroulement pendant les deux décennies qui ont suivi l’abandon du partage fordiste des gains de productivité du travail ? Eh bien, par la fuite en avant, par la dette ! Les États-Unis nous ont montré la voie : de 1950 à 1980, le rapport entre la dette et le PIB est resté constant, s’établissant à 120 % environ. Entre 1980, date de la rupture engagée par Ronald Reagan et ses Chicago boys et aujourd’hui, ce ratio a doublé pour atteindre 240 %. Les États-Unis ont une économie artificielle qui vit à crédit. Et nous avons laissé faire, tout simplement parce qu’elle tire nos propres économies en important à tour de bras nos produits européens ; je rappelle que la balance commerciale américaine est déficitaire depuis 1971 !
Dans ce contexte, les propositions du candidat Nicolas Sarkozy il y a un an et demi prennent un relief tout à fait particulier : « Il faut développer le crédit hypothécaire des ménages », de sorte que « ceux qui ont des rémunérations modestes puissent garantir leur emprunt par la valeur de leur logement ». Beau programme lorsque, simultanément, on n’a eu de cesse de précariser les salariés au nom de l’idéologie qui réduit le travail des êtres humains à une simple marchandise ! Et d’ajouter : « Une économie qui ne s’endette pas suffisamment, c’est une économie qui ne croit pas en l’avenir, qui doute de ses atouts, qui a peur du lendemain. » Le rêve américain porté aux nues !
Le même nous explique aujourd’hui que la « moralisation du capitalisme financier demeure une priorité » : Si ce n’est pas du grand écart, c’est du salto arrière, et même du double salto arrière !
Monsieur le secrétaire d’État, chers collègues, si l’on ne renonce pas au paysage surréaliste que je viens de décrire, ne nous demandez pas, à nous les Verts, de tendre benoîtement avec vous les filets de sécurité, au nom de je ne sais quelle exigence de solidarité nationale : nos concitoyens n’en peuvent plus d’assister, impuissants, au cirque pathétique des thuriféraires de l’ultralibéralisme !
Pour autant, les Verts ne se déroberont pas à leurs responsabilités : nous ne nous opposerons pas au panel de mesures techniques de bon sens que vous nous proposez aujourd’hui. Souffrez cependant que nous ne gardions pas le silence.
En effet, nous ne pouvons pas taire les difficultés auxquelles Martin Hirsch s’est heurté pour récolter les 1,6 milliard d’euros nécessaires au financement du RSA. Et nous les mettons en regard de la promptitude avec laquelle est mobilisé l’argent de nos concitoyens ; aujourd’hui de manière virtuelle, certes, mais qu’en sera-t-il demain ?
Dans le même esprit, nous ne pouvons que relever et dénoncer, pour le coup, avec les partenaires sociaux réunis – comme au bon vieux temps du pacte social fordiste – le hold-up perpétré par le Gouvernement sur le 1 % logement pour financer le plan Boutin.
Dans un esprit parfaitement constructif, et pour participer au plan d’urgence auquel personne ne saurait se dérober, nous faisons un certain nombre de propositions concrètes, tant sur le plan international – c’est d’autant plus important que la France préside encore l’Union européenne pour quelques mois – que sur le plan national, à travers plusieurs amendements.
Tout d’abord, nous défendrons une série d’amendements sur la conditionnalité de la garantie de l’État. Nous proposons que cette garantie soit conditionnée par un meilleur encadrement des rémunérations et une double exigence sociale et environnementale.
Nous proposons, ensuite, de lutter contre les places offshore et les paradis fiscaux : il convient non seulement d’avoir une politique internationale volontariste, mais surtout que nous, Français, balayions devant notre propre porte et imposions des règles strictes interdisant la présence d’entreprises françaises dans ces centres où a sévi la tempête financière.
Nous devons également assurer un contrôle optimisé du fonctionnement de la société de refinancement.
II convient, enfin, de restreindre les actions de prédation financière des fonds d’investissement LBO et de revenir sur le bouclier fiscal.
Ces dispositions d’urgence étant prises, nous ne pouvons faire abstraction de l’analyse de causes profondes de la crise : elle puise ses racines dans l’abandon de toute régulation macroéconomique. Par conséquent, le remède strictement financier ne sera qu’un cautère sur une jambe de bois si nous ne prenons pas le problème dans sa réalité et sa complexité : l’économie réelle reste menacée par la crispation sur les doctrines néolibérales, les politiques dites de l’offre.
À cet égard, le retour à des politiques de régulation doit se construire à l’échelle adaptée, c’est-à-dire celle de l’Union européenne, mais en cessant de démanteler, à l’échelon national, ce qui contribue à consolider la formation des revenus du travail, ce que nos concitoyens appellent le pouvoir d’achat. Il s’agit donc de rompre avec la revalorisation des retraites inférieure à l’inflation, les franchises médicales, les nouvelles cotisations sur les mutuelles, la taxe sur l’épargne populaire pour financer le RSA, la réduction des effectifs dans la fonction publique... Toutes ces mesures sont manifestement contraires à la consolidation de la demande globale et accentuent les risques d’une crise majeure de l’économie réelle.
Toutefois, les Verts n’appellent pas à un simple New Deal néofordiste et productiviste : nous vivons dans un monde fini ! Ainsi, le nouveau pacte social à construire ne saurait être un copier-coller de celui sur lequel se sont appuyées les Trente Glorieuses.
Nous estimons qu’il faut lancer sans tarder un Eco Deal, fondé sur un principe simple : la relance des activités économiques doit être sélective ; les déficits budgétaires d’ores et déjà engagés doivent être liés à de grands programmes d’investissements publics et privés qui nous permettront de sortir d’une économie basée sur le tout-pétrole pas cher ou sur le tout-électrique-nucléaire pas maîtrisé – je vise ici les risques, les déchets et le démantèlement des sites.
Nous devons bâtir les fondamentaux d’une économie solidaire dont l’empreinte écologique – carbone, pollutions diverses, atteintes à la biodiversité – soit enfin réduite. Il y va de notre survie !
Nous attendons un plan massif d’investissements dans l’habitat, les économies d’énergie, les énergies renouvelables, les transports collectifs, l’agriculture agro-écologique, qu’elle soit biologique ou intégrée, et l’abandon concomitant de tous ces projets marqués du sceau d’un productivisme datant du siècle passé, notamment les projets autoroutiers !
Ainsi, à l’heure où l’hypothèse d’une croissance de 1 % apparaît comme optimiste, le rapport Stern précise qu’il faudrait impérativement prélever chaque année un point de croissance pour éviter les conséquences humaines et géopolitiques incalculables de la montée des océans.
Dans le même esprit, l’Agence internationale de l’énergie atomique, AIEA, nous rappelle qu’il faudrait investir 42 000 milliards d’euros pour passer effectivement aux énergies renouvelables.
Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous ne nous déroberons pas à nos responsabilités : nous ne ferons pas obstacle à cette loi qui s’inscrit dans un sursaut historique de l’Europe politique – non l’Europe des marchés, des marchands et des spéculateurs, mais l’Europe des citoyens – qu’il nous faudra construire.
Mais il était de notre devoir de dire haut et clair ici que, sauf à vouloir apposer un cautère sur une jambe de bois, il va falloir changer de paradigme, sortir non seulement de l’idéologie néolibérale mais aussi de celle de la croissance et travailler à l’émergence d’un nouveau compromis social, écologiste et solidaire, faisant passer les liens – liens entre les personnes et liens entre les personnes et l’environnement, la planète – avant les biens, ce qui risque de prendre encore quelque temps…
Dans l’immédiat, nous prenons au mot les promesses de moralisation faite par le Président de la République et nous espérons que nos amendements techniques seront une contribution utile pour passer des paroles aux actes. Les Français n’accepteraient en effet pas que l’on mette du carburant dans la machine financière sans lui tracer le cap d’une route plus responsable. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)