M. Jacques Legendre, président de la commission des affaires culturelles. Je voudrais apporter quelques précisions concernant l’organisation de nos travaux avant d’entendre les orateurs des groupes.
La commission souhaite que la discussion des articles ne commence que demain matin, compte tenu du délai tardif, aujourd’hui à midi, qui avait été fixé par la conférence des présidents.
M. le président. Monsieur le président de la commission, je vous donne immédiatement mon accord : nous arrêterons nos travaux après la réponse de Mme la ministre aux orateurs qui seront intervenus dans la discussion générale.
M. Jacques Legendre, président de la commission des affaires culturelles. En outre, la commission demande la réserve de l’amendement n °145 tendant à insérer un article additionnel avant l’article 1er et de l’article 1er jusqu’à la fin du texte, après l’amendement n °93 visant à insérer un article additionnel après l’article 11.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement sur la demande de réserve formulée par la commission ?
M. Serge Lagauche. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la loi relative au droit d'auteur et aux droits voisins dans la société de l'information, dite « loi DADVSI », adoptée définitivement par le Parlement le 30 juin 2006, visait à garantir le respect du droit d’auteur et des droits voisins dans le cadre des échanges culturels par le biais de l’Internet.
Deux ans après le vote de cette loi censée notamment apporter des réponses efficaces au contournement du droit d’auteur sur le net, on constate qu’elle n’a pas été dissuasive et que le piratage s’est amplifié.
Le contournement sur internet des règles de la propriété intellectuelle demeure à ce jour assimilé au délit de contrefaçon, passible dans notre arsenal juridique de trois ans de prison et de 300 000 euros d’amende.
Parce qu’elles sont excessives et totalement inadaptées, ces sanctions n’ont pour ainsi dire jamais été appliquées, et le pillage des œuvres par le biais des réseaux de pair à pair n’a cessé de prendre de l’ampleur jusqu’à mener les industries culturelles, musicales et cinématographiques au point de rupture.
Les chiffres du piratage des œuvres sont éloquents. En ce qui concerne la musique, un milliard de fichiers – soit l’équivalent des ventes physiques de titres – auraient été téléchargés en 2007, dont seulement 20 millions sur des plates-formes de téléchargement légales.
L’industrie phonographique française dans son ensemble, majors et labels indépendants, se trouve actuellement dans une situation des plus délicates. Le marché du disque a globalement chuté de 22 % en 2006 et encore de 20,5 % pour les neuf premiers mois de 2007, avec une baisse vertigineuse en volume et en valeur de plus de 50 % depuis 2002.
J’insiste sur le fait que cette baisse concerne aussi bien les grands éditeurs, dits majors du disque, que les petites structures qui ne représentent pas moins de 80 % de l’offre musicale en France. Les uns ne peuvent pas exister sans les autres. C’est le principe même de l’équilibre de la culture et de la contre-culture qui est en jeu, de l’équilibre entre une offre grand public et une offre plus pointue mais garante de la diversité et de la richesse de la production phonographique française.
En ce qui concerne le cinéma, le constat n’est pas plus brillant.
Secteur pourtant régulé par le Centre national de la cinématographie, ou CNC, le cinéma est désormais touché de plein fouet par le téléchargement et la mise à disposition illégale sur internet : 450 000 films seraient téléchargés illégalement chaque jour, et une étude récente du CNC et de l’ALPA, l’Association de lutte contre la piraterie audiovisuelle, nous enseigne qu’en 2006 plus de 40 % des films sortis en salle étaient déjà disponibles sur les réseaux peer to peer, sur lesquels près de 94 % des films piratés pouvaient être téléchargés avant même leur sortie en DVD.
En 2008, malgré le succès phénoménal de Bienvenue chez les Ch’tis – plus de 20 millions d’entrées-salles –, la fréquentation stagne par rapport à l’année précédente : le pic de fréquentation que l’on attendait du succès de ce film ne s’est pas produit.
L’ensemble du système de financement du cinéma et de rémunération des ayants droit sur les différentes fenêtres d’exploitation d’un film risque de s’effondrer si rien n’est fait pour endiguer le piratage des œuvres et développer en parallèle – c’est important ! – une offre légale attractive et respectueuse de la propriété intellectuelle. Il est donc urgent d’agir sur ces deux volets.
La méthode employée, consistant à réunir sous l’égide de M. Denis Olivennes l’ensemble des acteurs concernés par le pillage des œuvres sur internet, s’est avérée positive. Les accords dits « de l’Élysée » nous semblent un compromis équilibré permettant de répondre à une situation d’urgence.
La « riposte graduée », issue de ces accords signés par quarante-deux organisations professionnelles, sociétés d’ayants droit et fournisseurs d’accès à internet et dont ce projet de loi est la transcription législative, constitue une démarche consensuelle, pédagogique et novatrice pour lutter contre le piratage des œuvres sur internet. Nous ne pouvons qu’y souscrire.
Permettez-moi toutefois un certain nombre de remarques.
Il est tout d’abord particulièrement regrettable que certains fournisseurs d’accès à internet se croient permis, sous le fallacieux prétexte qu’on leur aurait fait signer une page blanche, de retirer leur signature de ces accords. L’avenir de la création musicale et cinématographique risque de pâtir de telles volte-face, qui en disent long sur l’attitude que certains opérateurs se croient autorisés à adopter pour des raisons qui leur sont propres.
Sans revenir sur le détail du dispositif de la « riposte graduée », qui nous a été parfaitement décrit par M. le rapporteur et par vous-même, madame la ministre, je regrette à mon tour les vicissitudes de l’amendement no 138, dit « amendement Bono », qui a le mérite de rappeler aux États membres un principe essentiel de l’ordre juridique communautaire : toute atteinte aux libertés fondamentales nécessite l’intervention d’une autorité judiciaire.
Si l’on ne peut nier que la possibilité pour tous les citoyens d’accéder à internet est un objectif de développement important, il nous paraît excessif qu’un encadrement de son utilisation soit considéré comme une atteinte aux droits essentiels de l’homme revêtant un caractère liberticide. Ajoutons que les garanties offertes dans le projet de loi pour assurer la sécurisation des données personnelles qui seront collectées par la HADOPI et l’anonymat des internautes sanctionnés ont été respectées, grâce en partie aux amendements de la commission des affaires culturelles.
Une telle démarche est d’autant plus navrante qu’elle tente de faire passer les auteurs et l’ensemble de la chaîne des ayants droit pour de terribles censeurs de l’internet, alors qu’il s’agit ni plus ni moins de faire respecter, sur le net comme ailleurs, les règles de la propriété intellectuelle tout en les adaptant au nouvel environnement numérique.
Cependant, madame la ministre, votre projet de loi ne nous satisfait pas pleinement en ce qu’il ne reflète pas suffisamment la philosophie des accords de l’Élysée. Ces derniers reposaient sur un équilibre entre les droits et les obligations des ayants droit. En d’autres termes, la mise en place d’un système innovant de riposte graduée doit avoir pour corollaire un certain nombre d’obligations dont le respect permettra le développement de l’offre légale de musique et de films.
Le respect du volet fondamental du développement parallèle de l’offre légale est essentiel.
En ce qui concerne la graduation de la « riposte » – nous aurions préféré le terme « réponse », moins agressif –, le volet pédagogique n’est pas assez développé. Vous vous appuyez sur la peur du gendarme en espérant – et, sincèrement, nous le souhaitons également – que, comme en Grande-Bretagne ou aux États-Unis, 70 % des internautes cesseront de pirater des œuvres lors de la réception du premier message d’avertissement et que ce taux atteindra 90 % lors de la réception de la lettre recommandée avec accusé de réception. Il manque, madame la ministre, un engagement ferme du Gouvernement de développer une campagne d’information ayant pour objet de faire de la pédagogie à destination des internautes, en particulier des plus jeunes, afin de leur expliquer de façon simple l’enjeu du respect par tous des règles de la propriété intellectuelle.
Nous souscrivons aux propositions de la commission des affaires culturelles du Sénat visant à sensibiliser les élèves, dans le cadre des enseignements scolaires, aux risques liés aux usages d’internet et aux dangers du piratage des œuvres culturelles pour la création. Il s’agit d’un point fondamental, qui déterminera l’efficacité de ce texte : la riposte graduée ne sera comprise et acceptée par l’opinion qu’à cette seule condition. Sans cette campagne d’information, les systèmes de brouillage risquent de se développer – car la technique est toujours en avance sur le législateur – et tous les efforts déployés pour protéger et rémunérer la création auront été vains.
Le projet de loi que vous nous présentez aujourd’hui, madame la ministre, présente par ailleurs des lacunes en matière d’encouragement des industries de la culture à développer l’offre légale, développement qui est le corollaire, voire la justification, de la riposte graduée. Les accords signés étaient très clairs sur ce point : l’engagement pris par les pouvoirs publics de mettre en place un dispositif efficace de réduction du piratage sur internet doit s’accompagner d’un engagement des professionnels de l’industrie culturelle de développer leur offre légale et de faire des efforts significatifs. Il s’agit, pour le cinéma, de réviser la chronologie des médias et d’abaisser le délai de diffusion de la vidéo à la demande, la VOD, de sept mois et demi à six mois ; et, pour l’industrie musicale, de renoncer à recourir aux DRM, les mesures de gestion des droits numériques, ce qui réglerait les multiples problèmes d’interopérabilité entre les différents supports d’écoute et de lecture.
Certes, l’offre légale s’est développée de manière significative depuis le vote de la loi DADVSI, et de nouveaux modèles de consommation légale des œuvres ont vu le jour. Il est désormais possible d’écouter une grande quantité et une grande diversité d’œuvres musicales sur des plates-formes légales de lecture et de téléchargement ; des centaines de milliers de titres sont d’ores et déjà accessibles, soit en streaming, soit par le biais de la vente à l’acte.
Mais, si la vente de musique numérique représente un chiffre d’affaires de 50,8 millions d’euros en 2007, soit une augmentation de 16,6 % par rapport à l’année précédente, elle reste marginale au regard du chiffre d’affaires global de l’industrie phonographique, qui s’élève à 713 millions d’euros.
L’offre légale de cinéma en ligne connaît une progression comparable, et le marché de la vidéo à la demande est en forte croissance, avec des catalogues de plus en plus étoffés qui viennent directement concurrencer les locations physiques en vidéoclubs. Pour 2007, l’observatoire de la vidéo à la demande faisait état d’une augmentation de l’offre de 45,2 % par rapport à l’année précédente. En revanche, si 67 % des internautes déclarent connaître ce service, ils ne sont que 9 % à y recourir.
Que ce soit pour le cinéma ou pour la musique, l’offre légale numérique n’a donc pas encore rencontré la demande.
À ce titre, l’engagement des professionnels du cinéma d’aligner, au sein de la chronologie des médias, la fenêtre de la VOD sur celle du DVD serait un signe fort qui rendrait la VOD plus attractive. Il est à cet égard très regrettable que certains représentants de la profession aient refusé de siéger à la première réunion organisée par le CNC pour faire évoluer la chronologie des médias.
Votre projet de loi, madame la ministre, ne suffira pas à poser le cadre de la rencontre entre la demande et l’offre légale de musique et de films. La pédagogie à travers une sanction du piratage, même graduée, est indispensable pour inciter les internautes à se diriger vers l’offre légale numérique. À défaut, la lettre des accords de l’Élysée serait certes respectée, mais leur esprit, qui fait prévaloir un équilibre entre la lutte contre le piratage et le développement de l’offre légale, serait fragilisé. Il faut d’urgence rétablir cet équilibre afin d’assurer aussi bien la diversité de l’offre que l’attractivité de son prix.
L’enjeu de cet équilibre, nous le connaissons tous : c’est celui de l’environnement culturel dans lequel nous souhaitons vivre. Ce sera un monde de pseudo-gratuité qui s’organisera autour des annonceurs publicitaires, avec des productions françaises financées et formatées par la publicité, ou bien un monde de diversité que les auteurs continueront de mettre en musique et en image, en toute indépendance. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et sur plusieurs travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly.
Mme Catherine Morin-Desailly. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, voilà deux ans, lors de la discussion du projet de loi DADVSI, nous avons souligné que les discussions sur la régulation des droits d’auteur dans l’univers numérique intervenaient trop tard ou trop tôt. Trop tard, car le projet de loi visait à transposer une directive européenne de 2001 issue d’accords internationaux de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle, l’OMPI, signés en 1996 ; trop tôt, car la révolution numérique était en cours et les modèles économiques émergeaient à peine. Aujourd’hui, l’examen du projet de loi favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet vient le confirmer.
En effet, que reste-t-il de la loi DADVSI ? Comme nous le pressentions alors, le dispositif de sanctions adopté à l’époque pour lutter contre le téléchargement illégal s’est révélé totalement inefficace. Certes, la rapidité des évolutions technologiques dans le secteur numérique rend difficile notre travail de législateur ; mais les sanctions juridiques prévues se sont révélées inapplicables et sont restées inappliquées, nous obligeant aujourd’hui à remettre l’ouvrage sur le métier.
Cependant, à la différence du précédent projet de loi, dont la gestation, nous nous en souvenons tous, avait été douloureuse et la naissance difficile, je pense et j’espère que celui-ci contribuera de la manière la plus efficace possible à la nécessaire régulation de l’univers numérique.
D’abord, la mission menée par Denis Olivennes – mission dont vous avez pris l’initiative, madame la ministre – a réussi à asseoir autour d’une table des professionnels dont les intérêts, nous avions pu le constater au moment de la préparation de la loi DADVSI, sont très divergents. Il faut saluer les « accords de l’Élysée », qui engagent, aux côtés des pouvoirs publics, quarante-sept représentants des différents secteurs de la musique, du cinéma, de l’audiovisuel, et des fournisseurs d’accès à internet à trouver des solutions pour favoriser le développement et la protection des œuvres et programmes culturels sur les réseaux. Qu’un consensus ait pu être trouvé entre ces acteurs, qu’ils aient pris conscience de leurs responsabilités et que chacun ait accepté de souscrire à des engagements forts et concrets pour faire aboutir ce projet est à saluer.
Ensuite, il faut rappeler que le projet de loi est plus qu’attendu par les artistes et les ayants droit. Il est en effet nécessaire aujourd’hui d’apporter une réponse au téléchargement illégal : nous connaissons les effets redoutables, voire extrêmement négatifs, de ce phénomène, et nombre d’exemples en ont été évoqués à cette tribune.
Nous constatons tous qu’avec le numérique nous vivons une révolution des modes de diffusion et de consommation des œuvres, comme l’a si bien rappelé notre collègue Bruno Retailleau, révolution à laquelle les industries culturelles n’ont pas toujours su s’adapter en temps utile. L’important aujourd’hui est de dissuader les internautes de se fournir en fichiers musicaux, cinématographiques ou audiovisuels sans que les auteurs et les ayants droit perçoivent la juste rémunération à laquelle ils sont en droit de prétendre. C’est la raison pour laquelle je défendrai un amendement tendant à ce que les sommes liées au prix de l’abonnement versé durant la suspension de l’accès à internet reviennent directement aux artistes, dans le cadre des actions d’aide à la création et à la diffusion du spectacle vivant : c’est en quelque sorte une réparation pour les artistes des usages illicites de leurs œuvres.
Notre pays, je le rappelle, a toujours défendu le droit d’auteur, seul garant de l’indépendance des artistes, de leur liberté, mais surtout du renouvellement de la création. L’essentiel aujourd’hui est de changer les comportements, car nous savons bien que l’évolution technologique sera toujours en avance sur la loi. C’est pourquoi je crois fondamental d’agir en amont et de renforcer la pédagogie.
Madame la ministre, vous proposez un dispositif préventif, et les sondages réalisés montrent que 70 % des Français seraient effectivement dissuadés de télécharger à la première recommandation reçue. Nous insisterons donc pour que la sanction – la suspension de l’accès à internet – garde son statut d’« arme de dissuasion » ; car nous savons tous qu’aujourd’hui internet est devenu, comme l’indiquait M. Éric Besson en présentant le plan France numérique 2012, « une commodité essentielle comme l’eau ou l’électricité ». Sans revenir sur la question des offres double ou triple play, je soulignerai que la suspension de l’accès à internet peut aujourd’hui devenir handicapante, un nombre croissant de services de la vie quotidienne passant désormais par internet.
Cela étant, la réponse graduée reste la solution qui paraît aujourd’hui la plus adaptée et la plus réaliste. C’est d’ailleurs cette solution, je tiens à le rappeler, que le groupe Union centriste–UDF avait défendue au Sénat en 2006. Nous y sommes donc, vous l’aurez compris, très favorables.
S’agissant de la future haute autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet, ou HADOPI, nous sommes attachés à ce que soient garanties son impartialité et son indépendance. Cet objectif nous semble atteint grâce à la distinction opérée entre le collège et la commission de protection des droits, composée exclusivement de magistrats.
Nous sommes donc attachés à faire de ce projet de loi un texte équilibré fidèle aux engagements pris par chacun lors des « accords de l’Élysée » : équilibre entre le droit de propriété et le droit moral des créateurs, et la protection de la vie privée des internautes ; équilibre entre les sanctions et les offres légales ; équilibre entre les droits et les devoirs des internautes ; équilibre entre prévention et sanction.
Comme d’autres orateurs, j’ai le sentiment que le projet de loi est plus particulièrement centré sur les mesures de la réponse graduée, c’est-à-dire les mesures d’avertissement et de sanction. Or, vous le savez tous, deux volets étaient prévus dans les « accords Olivennes » : le premier vise à améliorer l’offre légale en ligne, le second tend à lutter plus efficacement contre les téléchargements illégaux. J’aurai donc à cœur de défendre plusieurs amendements ayant pour objet de favoriser le développement des offres légales, afin que les internautes et les consommateurs soient réellement « désincités » à télécharger illégalement.
La commission des affaires culturelles a également exprimé ce souhait et a déjà amendé largement le texte dans ce sens. Je proposerai que nous allions un peu plus loin.
S’agissant du développement de l’offre légale, s’il revient principalement aux représentants du secteur de prendre les mesures nécessaires en ce sens, le législateur peut toutefois avoir un rôle d’impulsion. Cela est d’autant plus important que, pour l’instant, aucune annonce n’a été faite – sauf celle de dernière minute ce matin par Universal – et que les négociations, notamment sur la chronologie des médias, sont, force est de le reconnaître, au point mort.
Or, pour deux raisons au moins, il me semble qu’il revient aux pouvoirs publics d’initier le mouvement d’une amélioration de l’offre légale.
Tout d’abord, parce qu’il s’agit du pendant indispensable au volet « sanctions » de ce projet de loi. Il est difficile de mettre en place un système tel que la réponse graduée sans dire aux internautes qu’ils pourront avoir une offre élargie, diversifiée et facile d’utilisation de musique et de cinéma sur internet. Pour que la loi soit bien acceptée par l’opinion publique, et notamment par les jeunes générations, ce volet est indispensable.
Cela est d’autant plus justifié que la disponibilité des œuvres sur les plates-formes légales, œuvres autant cinématographiques que musicales, a été améliorée mais reste encore largement perfectible. S’agissant de la musique, si les catalogues tendent à s’étoffer et à offrir une gamme de plus en plus large, la disponibilité technique des œuvres achetées reste insatisfaisante pour de nombreux consommateurs.
En d’autres termes, comme le rappelle la mission Olivennes, « le manque d’attractivité de l’achat en ligne d’œuvres musicales est très lié aux contraintes d’utilisation que les mesures techniques de protection imposent. L’achat d’une œuvre numérique n’est intéressant que s’il permet la même liberté d’usage que le support physique. ».
Il est ainsi tout à fait regrettable qu’aujourd’hui lorsque vous changez d’ordinateur, vous ne puissiez pas conserver les fichiers achetés sur internet, le transfert d’une bibliothèque à une autre étant impossible. De même, vous ne pourrez pas lire une musique achetée si le format du fichier n’est pas compatible avec le logiciel de lecture de l’ordinateur. Ce sont autant de contraintes qui font que « le consommateur se refusera à acheter ».
Or l’interopérabilité est une condition indispensable à l’acceptation de ce qui est proposé aujourd’hui et à l’émergence d’une offre légale plus attrayante face à la gratuité de l’offre illégale. J’avais déjà insisté sur la nécessaire interopérabilité lors de l’examen du projet de loi DADVSI, et je constate aujourd'hui que de vrais progrès doivent être faits dans ce domaine.
Pour cette raison, je vous proposerai, en m’inspirant des conclusions de la mission Olivennes, un amendement prévoyant que les professionnels du secteur du phonogramme s’accordent pour mettre en place un standard de mesures techniques assurant l’interopérabilité des fichiers musicaux, et pour permettre l’offre au détail de tous les fichiers musicaux en ligne sans mesures techniques.
S’agissant maintenant de l’offre légale en matière de cinéma, s’il n’est pas question de remettre en cause la chronologie des médias, qui est nécessaire, il semble indispensable aujourd’hui de raccourcir les délais d’exploitation des films pour s’adapter à l’univers numérique. Les fenêtres actuelles de la chronologie des médias, de six mois à trente-six mois, sont inadaptées au rythme actuel de consommation des films. Ces délais longs constituent, à n’en pas douter, une invitation au téléchargement illégal. Chacun en est conscient, il faut se rapprocher des délais observés chez nos voisins européens, dont l’exemple montre que des fenêtres d’exploitation plus courtes n’empêchent pas la bonne exploitation des films lors de leur sortie en salle.
Ainsi, les délais de disponibilité des films en VOD doivent être impérativement raccourcis pour se situer autour de trois ou quatre mois. Le rapporteur, M. Michel Thiollière, a fait un premier pas en fixant un cadre aux négociations professionnelles. Il faut aller plus loin et donner des signes tangibles aux internautes consommateurs en indiquant les fenêtres dans lesquelles les professionnels devront négocier. C’est le sens de l’un des amendements que je présenterai.
Au-delà de ce nécessaire rééquilibrage entre la réponse graduée et l’amélioration de l’offre légale, je m’interroge sur l’équilibre entre les obligations de surveillance de son accès internet par l’abonné et les droits de se défendre ainsi que les garanties données aux internautes face à la procédure mise en œuvre par la Haute autorité.
À ce titre, nous avons déposé un certain nombre d’amendements visant à protéger les droits des internautes. Partant d’une obligation de surveillance de l’accès internet par l’abonné, et non d’une obligation pesant sur l’internaute malveillant, le projet de loi pose la question de l’identification du contrevenant et de sa responsabilité. En effet, comment savoir si c’est l’abonné et non une tierce personne qui a téléchargé illégalement ? Cette question est d’autant plus importante qu’il est fréquent qu’un abonnement soit utilisé par plusieurs personnes. Une présomption de culpabilité pèse sur l’abonné.
En outre, il est « simple » de faire accuser un internaute innocent en fournissant son adresse IP, celle de son routeur wi-fi, voire celle de son imprimante, en dépit des systèmes de surveillance.
L’internaute, en l’occurrence l’abonné, devra donc prouver qu’il a été piraté et qu’il a mis tous les moyens en œuvre pour ne pas l’être, ce qui pour un simple internaute profane – ce qui est le cas de la grande majorité des internautes – sera difficile, voire improbable.
Ce constat d’incertitude juridique et de perfectibilité des systèmes informatiques nous a conduits à déposer plusieurs amendements visant à garantir les droits de l’abonné. Ainsi, à ce stade, je l’avoue, nous nous interrogeons sur la possibilité de pouvoir contester le bien-fondé des recommandations comme toute décision administrative. Cela nous semble d’autant plus important que la recommandation entraîne de facto une inscription dans le fichier géré par la HADOPI.
Si l’abonné doit pouvoir se manifester à la suite d’une recommandation, il doit le faire en connaissance de cause. C’est pourquoi nous trouverions normal que la première recommandation, acte générateur de la réponse graduée, soit motivée.
Dans un même souci de consolidation juridique du texte, nous proposerons de préciser le caractère graduel du dispositif en inscrivant clairement dans la loi que la sanction puisse être prononcée uniquement si l’abonné a reçu une deuxième recommandation.
Je proposais également de rendre obligatoire la transaction qui est prévue entre la HADOPI et l’abonné pour l’établissement de la sanction afin de donner plus de souplesse aux décisions de la Haute autorité, mais, surtout, de renforcer le caractère pédagogique avec les internautes contrevenants. C’est aussi dans cet esprit que nous avions suggéré que la HADOPI mette à disposition des internautes contrevenants une hot line gratuite pour permettre d’engager le dialogue. Nous regrettons que la commission des finances ait opposé l’article 40 de la Constitution à ces amendements.
Un dernier amendement vise à empêcher une double action et donc une double peine. En l’état actuel du texte, rien n’interdit que l’internaute puisse faire l’objet à la fois d’un recours devant le juge pénal pour un délit contrefaçon et d’une procédure devant la HADOPI pour défaut de surveillance de son poste. Un même fait, à savoir le téléchargement illégal d’une œuvre protégée, peut conduire à la mise en œuvre de ces deux procédures. La règle non bis in idem peut donc s’appliquer.
Enfin, je terminerai en évoquant la prévention. Je l’ai déjà dit, l’objectif avec la réponse graduée est de faire évoluer les mentalités et les comportements.
L’éducation et la pédagogie nous semblent essentielles pour que les jeunes générations prennent conscience des conséquences du téléchargement illicite sur la création artistique. En 2006, nous avions plaidé l’importance de l’éducation de nos concitoyens à la culture tant ces pratiques de téléchargement peuvent accréditer l’idée que tout est gratuit et que la culture ne coûte rien. Or c’est méconnaître l’investissement personnel et financier et le travail des artistes. Ainsi, je me félicite que M. le rapporteur ait prévu une information des élèves dans le cadre de l’éducation nationale. Il est également bien venu que les fournisseurs d’accès à internet soient mis à contribution dans les actions de sensibilisation des internautes par des messages appropriés.
En tout cas, il ne faut pas perdre de vue que l’enjeu de ce projet de loi est bien la création culturelle. II faut garantir un juste équilibre entre les droits légitimes des auteurs, sans lesquels il ne saurait y avoir de création artistique et culturelle, et les droits des citoyens à l’accès, au partage et à la diffusion de la culture, des savoirs et de l’information que permet ce formidable espace de liberté qu’est internet. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE et au banc des commissions.)