Mme la présidente. La parole est à Mlle Sophie Joissains, pour explication de vote.
Mlle Sophie Joissains. Une mesure légale doit, selon le principe républicain, s’appliquer à tous de la même manière.
Or, si la suspension de l’accès à internet, quel que soit le niveau social de l’intéressé, s’appliquera sans aucun autre critère de discernement que celui du téléchargement illicite, l’amende introduit de fait une inégalité de traitement entre ceux qui ont les moyens de payer et ceux qui ne les ont pas : cela signifie que les internautes les plus riches seront moins sanctionnés que les plus pauvres.
Par ailleurs, une sanction, pour être pédagogique et efficace, doit être vécue comme telle par le contrevenant. Une grande partie des internautes étant des adolescents, la suspension, sans pour autant leur interdire l’usage d’internet dans d’autres lieux, tels les établissements scolaires ou les cybercafés, va les gêner dans leurs habitudes quotidiennes, sur une période suffisamment longue pour être vécue comme marquante et susciter une prise de conscience.
Remettre en cause la procédure de la suspension au profit de l’amende priverait ainsi le texte d’une grande partie de sa portée pédagogique et pénaliserait inégalement les parents, qui, selon leurs moyens financiers, répercuteront plus ou moins fortement la sanction sur leurs enfants. Instaurer une amende reviendrait donc à s’éloigner de deux des principaux objectifs visés, la dissuasion et la pédagogie.
Enfin, s’agissant de l’efficacité de la suspension, j’indiquerai qu’elle a été prouvée aux États-Unis et au Canada, où 90 % des contrevenants, après deux avertissements, ont renoncé à tout téléchargement illicite.
M. Jacques Gautier. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à M. Ambroise Dupont, pour explication de vote.
M. Ambroise Dupont. À l’instar d’Ivan Renar, j’ai été très intéressé par le débat qui s’est déroulé dans cet hémicycle, notamment par la proposition que vous avez formulée avec talent, monsieur Retailleau, en traçant des perspectives pour l’avenir. Néanmoins, cher collègue et ami, je ne pourrai malheureusement pas voter en faveur de l’amendement que vous avez présenté.
Les arguments développés par M. le rapporteur et par Mme la ministre m’ont en effet convaincu qu’il ne fallait pas se priver, dans le cas d’un abus ou d’une transgression de la loi et des principes que nous voulons voir établis, des moyens d’assurer une dissuasion maximale.
Internet étant en constant développement, le débat sur les moyens du contrôle, par l’État, de son utilisation reviendra souvent devant notre assemblée. Notre discussion de ce jour constituera donc une première phase de la réflexion.
J’ai en tête le futur projet de loi sur l’ouverture à la concurrence du marché des jeux d’argent en ligne. Mme la ministre a raison de ne pas vouloir que l’État se prive des moyens d’une dissuasion maximale.
C’est pourquoi, en dépit de tout son talent, M. Retailleau ne m’a pas convaincu.
Mme la présidente. La parole est à M. Michel Magras, pour explication de vote.
M. Michel Magras. J’espère que mon propos ne contredira pas outre mesure les opinions qui viennent d’être exprimées.
Ma première remarque portera sur l’offre légale sur internet. Nous vivons aujourd’hui dans un monde de plus en plus virtuel. Internet ne connaît ni limites ni frontières et est accessible de n’importe quel endroit dans le monde entier. Nous vivons à l’ère du commerce en ligne, ce dont se sont déjà rendu compte de nombreux artistes. Il est nettement plus facile et moins coûteux de diffuser de la publicité ou de faire de la promotion sur internet. C’est pourquoi les artistes diffusent leurs œuvres sur internet – des clips audio et des séquences vidéo – avant qu’elles ne soient mises en vente sur le marché. Cela permet au grand public de tester directement le produit avant, éventuellement, de l’acheter.
Cette démarche a eu pour effet d’accroître les ventes de ces produits et d’attirer un public plus nombreux dans les salles de spectacle, et ce pour le plus grand bénéfice des producteurs des œuvres.
Que nous le voulions ou non, il est dans notre intérêt de nous inscrire dans cette démarche, parce qu’elle est à la fois inévitable et irréversible.
Ma deuxième remarque portera sur la question de la sanction. Il faut bien évidemment sanctionner les fraudes. En l’espèce, le débat porte donc sur la nature de la sanction : faut-il suspendre l’abonnement ou faut-il infliger une amende ?
Pour ma part, je reste persuadé que la suspension est à la fois inefficace et non dissuasive, car la cible visée ne sera pas nécessairement celle qui sera touchée. Je m’explique. Aujourd’hui, nous avons accès à internet en quelque endroit du globe, d’un hôtel, d’un port, d’un aéroport. Si, ce soir, avant de quitter mon hôtel, je télécharge quelques films sur internet, quel abonnement va-t-on suspendre ? Celui de l’hôtel dont j’ai utilisé l’accès ou mon abonnement ? Dans le cas présent, mon abonnement, c’est celui de l’hôtel ! Si l’abonnement d’un client est suspendu, qu’est-ce qui l’empêchera de souscrire le lendemain un nouvel abonnement sous un autre nom, celui d’un membre de sa famille, d’un ami, d’un voisin ?
En troisième lieu, je crains que la solution consistant en une suspension de la ligne ne risque d’engendrer des préjudices. Nous savons tous qu’il est à peu près impossible de séparer les différentes lignes qui transitent par le réseau. Au cas où il serait procédé à la suspension de la ligne d’un abonné, il est à craindre que d’autres personnes estiment avoir subi un préjudice, ce qui ouvrirait la voie à des procédures contentieuses.
Par conséquent, si la solution consistant à infliger une amende n’est pas considérée comme dissuasive, elle aura au moins le mérite de permettre de financer la lutte contre la fraude. Elle me paraît à la fois mieux ciblée, plus facile à mettre en place et donc plus efficace et plus pédagogique.
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Bruno Retailleau, rapporteur pour avis. Certes, l’issue du scrutin ne fait guère de doute. Néanmoins, mon souhait était de susciter un débat sur une question fondamentale. Je remercie les uns et les autres de m’en donner acte.
J’ai demandé un scrutin public pour des raisons de conscience : pour un certain nombre de motifs, je pense profondément qu’il vaut bien mieux infliger une amende que suspendre l’abonnement.
On a comparé le principe de cette amende avec ce qui prévaut pour les voitures : la mise en fourrière est-elle plus pédagogique ou plus répressive qu’une amende ? La plus répressive, c’est la fourrière, mesure de suspension !
Ensuite, il a été dit que l’amende pourrait atteindre plusieurs milliers d’euros. Je rappelle qu’il s’agit non pas d’une amende pénale, mais d’une sanction pécuniaire administrative, dont le montant devra être en rapport avec le préjudice. Mme la ministre rappelait hier soir qu’on trouve désormais, pour quelques euros, des offres légales de téléchargement presque illimité. De fait, il faut remettre les choses à leur juste place.
Enfin, il a été dit que le principe de l’amende était inégalitaire, celui de la suspension étant égalitaire. Mes chers collègues, permettez-moi de considérer que c’est cette seconde solution qui est très inégalitaire ! Selon que vous êtes technophile ou non, vous échapperez à toute suspension, grâce à la « proxyfication », à l’anonymisation, etc. Si vous disposez de plusieurs ordinateurs à votre domicile, vous échapperez aussi à la suspension. Enfin, selon que vous aurez accès ou non à internet sur votre lieu de travail, vous pourrez continuer ou non à naviguer, à travailler, à vous renseigner. Celui dont l’abonnement personnel aura été suspendu et qui n’aura pas accès à un ordinateur sur son lieu de travail sera empêché de poursuivre ses recherches.
En outre, la suspension sera discriminatoire dans la mesure où elle ne pourra pas être appliquée uniformément sur l’ensemble du territoire.
Madame la ministre, le Conseil général des technologies de l’information vous a remis au mois d’août un rapport provisoire. Dans mon propre rapport pour avis, j’ai reproduit à la page trente une estimation par l’ARCEP du nombre des lignes internet qu’il sera impossible de suspendre sans interrompre de façon concomitante la ligne téléphonique.
Dès lors qu’un doute subsiste, la sagesse devrait nous inciter à préférer la solution de l’amende.
Il n’en demeure pas moins que nous sommes tous d’accord pour espérer que 80 % à 90 % des pirates seront dissuadés de procéder à des téléchargements illégaux après les deux premières étapes, à savoir la « recommandation », puis la lettre recommandée.
Mme la présidente. La parole est à M. Serge Lagauche, pour explication de vote.
M. Serge Lagauche. Nous avons débattu assez longuement de cette question au sein de la commission des affaires culturelles. À cette occasion, M. le rapporteur pour avis nous avait fait part de ses arguments. Le débat a de nouveau lieu ici.
Pour notre part, nous pensons que les « accords de l’Élysée » constituent un socle qui doit permettre à la profession de proposer des plateformes de téléchargement et de moderniser l’offre à destination de l’ensemble des internautes. Mais que va-t-on proposer aux internautes ? Telle est la question principale.
Quant à la solution de la riposte graduée, elle a été choisie par l’ensemble de la profession. Le projet de loi que nous soumet Mme la ministre reprend les propositions issues des longues discussions. Appliquons donc cette méthode pragmatique et, surtout, je le répète, interrogeons-nous sur l’offre aux internautes.
Mme la présidente. La parole est à Mme Joëlle Garriaud-Maylam, pour explication de vote.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Madame la ministre, je ne suis pas une spécialiste de cette question. Néanmoins, je me pose de nombreuses questions.
J’ai écouté les arguments des uns et des autres. Entre la suspension de l’abonnement et l’amende, j’aurais tendance à choisir cette dernière solution, qui me semble moins discriminatoire.
Pensons à ces étudiants pour lesquels internet est devenu un outil de travail et de recherche. Je ne voudrais pas qu’une famille tout entière soit pénalisée parce que l’un des enfants du foyer a téléchargé des morceaux de musique ou des vidéos, empêchant ainsi ses frères et sœurs lycéens de mener les recherches nécessaires à leurs études. Cet aspect me gêne profondément.
Bien sûr, je comprends la nécessité de soutenir et d’aider nos créateurs. Mais la réponse ne doit-elle pas être trouvée bien au-delà de cet hémicycle ? Ne devons-nous pas chercher une réponse au niveau international ? Les sanctions ne devraient-elles pas viser les pourvoyeurs des sites plutôt que les familles ? Il me semble qu’une réponse internationale pourrait être recherchée. Je connais la difficulté et la complexité de ce type de démarche, mais j’aimerais savoir ce qui est fait ou ce qui pourrait être fait dans ce domaine.
Mme la présidente. La parole est à M. Claude Domeizel, pour explication de vote.
M. Claude Domeizel. La sanction graduée consiste en l’adresse d’une « recommandation », puis en l’envoi d’une lettre recommandée. Ensuite, de la suspension ou de l’amende, troisième et dernière étape du processus, quelle est la mesure la plus égalitaire ? Il me semble que la première est préférable à la seconde, car tout le monde sera logé à la même enseigne.
Parmi les personnes qui se verront infliger une amende, il convient de distinguer trois catégories : celles qui pourront l’acquitter, c'est-à-dire celles qui achèteront le droit de pirater, car souvent l’amende est transformée en autorisation de transgresser la loi ; celles qui, bien que disposant de moyens plus faibles, la règleront quand même ; enfin, celles qui ne sont pas solvables et qui ne pourront pas payer.
Voyez ce qui se passe dans les administrations qui infligent des sanctions pécuniaires ! Elles éprouvent les pires difficultés à les recouvrer et sont contraintes d’envoyer de nombreux courriers de rappel. Bien souvent, elles ont affaire à des personnes insolvables. Finalement, elles renoncent à exercer les actions en recouvrement. La SNCF est régulièrement confrontée à ce genre de situation.
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Christine Albanel, ministre. Je tiens tout d’abord à saluer la qualité de ce débat, qui prouve bien, monsieur le rapporteur pour avis, madame Morin-Desailly, que le Parlement joue tout son rôle.
Nous avons trouvé des accords sur plusieurs points. C’est ce qui différencie ce projet de loi du texte précédent, qui avait donné lieu à une lutte ouverte entre, d’un côté, les ayants droit dans les domaines de la musique et du cinéma et, d’un autre côté, les fournisseurs d’accès et, parallèlement, entre la musique et le cinéma. Avec ce projet de loi, nous nous situons dans une optique d’accords et de propositions.
Sa rédaction a demandé un gros travail. Maintenant, je le répète, le Parlement joue son rôle, comme en atteste l’adoption d’amendements issus de tous les groupes.
Pour ma part, je continue à penser que l’amende se situe plus dans une logique répressive que dans la logique pédagogique que je soutiens. Elle est injuste pour la raison suivante : soit elle est réellement insignifiante, et donc inefficace, soit elle est forte, auquel cas on crée de fait une inégalité selon les situations de fortune. Pour beaucoup, en effet, elle ne constituera aucun frein à pirater.
Certes, on peut toujours prétendre qu’une inégalité existe déjà pour ce qui concerne internet, en raison du degré de spécialisation et de « science » des internautes auquel faisait allusion M. le rapporteur pour avis.
En tout état de cause, ce projet de loi ne permettra évidemment pas de mettre totalement fin au piratage et d’éradiquer le problème. L’objectif, c’est de créer des conditions favorables à l’offre légale, tout en assurant une véritable dissuasion : ce faisant, l’immense majorité des pirates occasionnels cesseront d’agir et le phénomène du piratage, d’une manière générale, diminuera considérablement.
M. Bruno Retailleau, rapporteur pour avis. Nous sommes bien d’accord !
Mme Christine Albanel, ministre. Naturellement, il y aura toujours de grands spécialistes qui arriveront à leurs fins par des moyens détournés.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je le redis très clairement, il est tout à fait possible, dans le cadre des abonnements dits « triple play », d’interrompre le seul accès internet. Cela a été explicitement précisé dans les accords signés par toutes les parties prenantes, et l’ensemble des opérateurs, notamment Orange, Free et Alice, ont garanti que c’était techniquement possible. Le CGTI, le Conseil général des technologies de l’information, auquel nous avons demandé de mener une étude complémentaire, a confirmé qu’il n’y avait aucun problème de principe. De son côté, l’ARCEP a estimé qu’une telle limitation était tout à fait possible, mais qu’elle pouvait entraîner des problèmes de coût et qu’il convenait de discuter ultérieurement avec les FAI, les fournisseurs d’accès à internet.
J’y insiste, le découplage ne pose véritablement pas de problème technique, sauf dans certains cas très particuliers, que j’ai évoqués tout à l’heure, pour lesquels une solution a justement été prévue. La Haute autorité pourra ainsi infliger d’autres sanctions, comme l’obligation d’installer des pare-feu sur les postes informatiques, ce qui est d’ailleurs déjà fait dans la plupart des hôtels. Il est alors plus que difficile, sauf à être un grand spécialiste, de pirater sur internet.
L’essentiel à retenir, c’est qu’il n’y aura jamais de coupure de télévision ou de téléphone imputable aux dispositions de ce projet de loi.
M. Christian Cointat. Très bien !
Mme Christine Albanel, ministre. C’est explicitement inscrit dans le texte lui-même, plus précisément dans le texte proposé pour l’article L. 331-28 du code de la propriété intellectuelle. Notre engagement ne peut être plus clair !
Pour toutes ces raisons, je continue de penser que, dans sa forme actuelle, ce projet de loi est vraiment pédagogique et bien équilibré ; il s’inscrit d’ailleurs dans la ligne de ce qui avait été décidé par toutes les parties prenantes.
Mme la présidente. La parole est à Mme Bernadette Dupont, pour explication de vote.
Mme Bernadette Dupont. Je voudrais simplement signaler que certaines familles s’inquiètent tout de même de la suspension de l’accès à internet, qu’elles considèrent comme une punition collective : à leurs yeux, ce n’est pas parce que l’un des membres de la famille a fait une sottise qu’il faut pénaliser tous les autres.
Mme Christine Albanel, ministre, M. Roger Karoutchi, secrétaire d’État, et M. Jacques Legendre, président de la commission des affaires culturelles. Les conséquences seraient exactement les mêmes en cas d’amende !
Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 75 rectifié.
Je suis saisie d’une demande de scrutin public émanant de la commission des affaires culturelles.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
(Il est procédé au comptage des votes.)
Mme la présidente. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 30 :
Nombre de votants | 340 |
Nombre de suffrages exprimés | 312 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 157 |
Pour l’adoption | 15 |
Contre | 297 |
Le Sénat n’a pas adopté.
Je mets aux voix l’amendement n° 165 rectifié bis.
(L’amendement n’est pas adopté.)
Mme la présidente. Madame Procaccia, l’amendement n° 113 rectifié est-il maintenu ?
Mme Catherine Procaccia. Non, madame la présidente, je le retire, puisqu’il est satisfait.
Mme la présidente. L’amendement n° 113 rectifié est retiré.
Je mets aux voix les amendements identiques nos 133 et 142.
(Les amendements sont adoptés.)
Mme la présidente. L’amendement n° 25, présenté par M. Thiollière, au nom de la commission des affaires culturelles, est ainsi libellé :
Après le deuxième alinéa (1°) du texte proposé par cet article pour l’article L. 331-25 du code de la propriété intellectuelle, insérer un alinéa ainsi rédigé :
« 1° bis En fonction de l’état de l’art, la limitation des services ou de l’accès à ces services, à condition que soit garantie la protection des œuvres et objets auxquels est attaché un droit d’auteur ou un droit voisin ;
La parole est à M. le rapporteur.
M. Michel Thiollière, rapporteur. Mes chers collègues, l’objet de cet amendement est de nature à réconcilier les tenants des différentes hypothèses évoquées à l’instant (Sourires), conformément à l’objectif affiché hier lors de la discussion générale.
Cet amendement vise, tout d’abord, à permettre à la HADOPI d’assurer la protection des œuvres, tout en s’adaptant à l’évolution rapide des technologies. En réalité, si nous avons souhaité la mise en place d’une Haute autorité, c’est justement pour que les mesures prises à l’encontre des pirates puissent suivre l’évolution inéluctable des technologies.
C’est la raison pour laquelle nous proposons que, en fonction de l’état de l’art, pourrait être maintenu au bénéfice des internautes l’accès aux services de communication électronique ne permettant pas le « piratage ».
Il pourrait s’agir, par exemple, d’évaluer la fiabilité de techniques permettant l’usage de la messagerie électronique, sous réserve que les « dossiers attachés » à de tels messages ne permettent pas de communiquer certains fichiers, notamment ceux qui contiennent des extraits musicaux d’œuvres protégées. Un tel risque s’avère moindre pour ce qui concerne les films ou les séries audiovisuelles, compte tenu de la taille des fichiers concernés.
Il pourrait aussi s’agir de permettre la consultation d’internet sans possibilité de téléchargement, par le biais, notamment, d’une réduction du débit.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Christine Albanel, ministre. Le Gouvernement reconnaît que l’intention exprimée au travers de cet amendement est très intéressante, puisqu’il est proposé de moduler le dispositif en instaurant une suspension partielle. Cela étant, il s’interroge sur l’applicabilité de cette disposition, et ce pour plusieurs raisons.
Tout d’abord, son adoption pourrait soulever, sur le fond, un problème d’égalité de traitement entre la musique et le cinéma : en effet, les fichiers musicaux étant de très petite taille, il est extrêmement facile de les pirater, y compris par le biais de la messagerie électronique, ce qui n’est évidemment pas possible pour les fichiers contenant des œuvres cinématographiques.
Ensuite, la prise en compte de la condition liée à l’état de l’art peut ouvrir un débat sur le terrain de l’intrusion dans les correspondances privées et sur celui du filtrage, dans la mesure où un dispositif faisant obstacle au piratage devrait alors faire le tri entre les fichiers légaux et ceux qui ne le sont pas.
L’application d’une telle disposition peut également créer une incertitude dans l’esprit des internautes sur le degré de la sanction réellement encourue. Il est donc à craindre que tout cela n’affaiblisse la portée dissuasive des avertissements adressés.
Enfin, les opérateurs de télécommunications nous ont avertis qu’une suspension partielle de l’accès à internet, en laissant la messagerie disponible, était en réalité plus complexe à mettre en œuvre que la suspension d’internet dans le cadre d’une offre « triple play ».
Dans la mesure où, en l’état de l’art actuel, une telle disposition paraît extrêmement difficile à appliquer, le Gouvernement s’en remet à la sagesse du Sénat sur cet amendement.
Mme la présidente. L’amendement n° 76, présenté par M. Retailleau, au nom de la commission des affaires économiques, est ainsi libellé :
Après le quatrième alinéa du texte proposé par cet article pour l’article L. 331-25 du code de la propriété intellectuelle, insérer un alinéa ainsi rédigé :
« La commission notifie à l’abonné la sanction prise à son encontre et l’informe des voies et délais de recours, et, lorsque la sanction consiste en la suspension de l’accès au service, de son inscription au répertoire visé à l’article L. 331-31 et de l’impossibilité temporaire de souscrire pendant la période de suspension un autre contrat portant sur l’accès à un service de communication au public en ligne auprès de tout opérateur.
La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Bruno Retailleau, rapporteur pour avis. Cet amendement vise à apporter une précision que la commission des affaires économiques juge utile. Il convient en effet que la commission de protection des droits notifie impérativement à un abonné la sanction prise à son encontre. Cela nous paraît tout de même la moindre des choses. Je doute donc qu’il y ait besoin d’un scrutin public pour nous départager ! (Sourires.)
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Michel Thiollière, rapporteur. Avis favorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery, pour explication de vote.
Mme Alima Boumediene-Thiery. Je voulais me féliciter du dépôt de cet amendement. Nous avions en effet nous-mêmes déposé un amendement similaire, mais la commission des finances l’a « retoqué », en invoquant l’article 40 de la Constitution !
En raison des conséquences qu’une telle disposition emporte, je me demande d’ailleurs si une simple lettre suffit. Ne serait-il pas préférable que la notification soit adressée par courrier électronique ou lettre recommandée ?
En tout cas, je peux vous l’assurer, nous soutenons totalement cet amendement !
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Bruno Retailleau, rapporteur pour avis. Madame Alima Boumediene-Thiery, si la commission des finances a invoqué l’article 40 de la Constitution à l’encontre de votre amendement, c’est parce que la procédure de notification par lettre recommandée que vous aviez prévue aboutissait à créer une nouvelle charge financière. C’est la raison pour laquelle votre proposition n’est pas passée au travers des mailles du filet, au contraire de la nôtre !
Mme la présidente. L'amendement n° 105, présenté par Mmes Boumediene-Thiery, Blandin et Voynet et MM. Desessard et Muller, est ainsi libellé :
Dans le cinquième alinéa du texte proposé par cet article pour l'article L. 331-25 du code de la propriété intellectuelle, remplacer les mots :
en annulation ou en réformation
par les mots : de pleine juridiction
La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.
Mme Alima Boumediene-Thiery. Cet amendement vise à étendre l’office du juge devant statuer sur la légalité de la sanction prise à l’encontre d’une personne ayant contrevenu au dispositif créé par le présent texte.
En vertu du futur article L. 331-29 du code de la propriété intellectuelle, un recours en annulation ou en réformation sera possible. Le recours en annulation est en quelque sorte la version la plus sommaire de la procédure, puisque le juge se contente d’annuler, alors que le recours en réformation, s’il permet certes au juge d’annuler la décision, lui ouvre aussi la possibilité de lui en substituer une autre.
Le contentieux de l’indemnisation est exclu de ces deux procédures. Pourtant, celles-ci s’inscrivent toutes les deux dans le champ des recours dits de pleine juridiction.
Je vous propose donc, au lieu d’ajouter de nouveaux types de recours, de préciser que les recours ouverts sont « de pleine juridiction », ce qui inclut non seulement l’annulation et la réformation, mais également l’indemnisation en cas d’erreur de la part de la commission de protection des droits.
En effet, une suspension d’accès à internet peut avoir des dommages importants, notamment lorsque cette suspension concerne une personne morale et qu’il n’a pas été possible d’identifier l’auteur des téléchargements illégaux. Dans la mesure où, à notre grand regret, le système préconisé institue une punition collective, la personne morale elle-même sera lésée en cas de suspension illicite.
Une entreprise qui s’occupe de la mise en ligne de sites internet, ou de commerce électronique, verra ses livraisons réduites et un préjudice pourra naître d’une suspension par erreur.
C’est la raison pour laquelle nous proposons d’ouvrir le champ des recours contre les sanctions prévues par ce dispositif.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Michel Thiollière, rapporteur. Nous souhaiterions recueillir l’avis du Gouvernement sur cet amendement.
Mme la présidente. Quel est donc l’avis du Gouvernement ?
Mme Christine Albanel, ministre. Les termes « en annulation » et « en réformation » s’emploient habituellement devant les juges judiciaires, alors que l’expression « de pleine juridiction » s’emploie devant le juge administratif. C’est du moins le résultat de la consultation qui nous a été rendue par le secrétariat général du Gouvernement. Pour cette raison, l’avis du Gouvernement est défavorable.
Mme la présidente. Quel est maintenant l’avis de la commission ?