Effets de la crise sur l’agriculture

M. le président. La parole est à Mme Colette Mélot.

Mme Colette Mélot. Ma question s'adresse à M. le ministre de l'agriculture et de la pêche.

Monsieur le ministre, la crise financière nous fait vivre des heures difficiles qui laisseront des traces dans la mémoire collective et, comme vous l’indiquiez dans une tribune parue en début de semaine, elle constitue une vraie leçon pour l’avenir du continent européen.

Cette crise a démontré la vulnérabilité de nos pays et de l’Europe. Elle a également révélé la nécessité d’une volonté politique pour protéger nos concitoyens, nos entreprises, notre économie.

Pourtant, monsieur le ministre, la crise financière se propage déjà à l’économie réelle, notion qui recouvre notamment, bien entendu, l’agriculture. Cette crise risque de toucher durement les filières de l’élevage, du lait, de la volaille ou encore de la transformation des pâtes alimentaires.

Vous le savez mieux que moi, monsieur le ministre, nos entreprises agricoles et notre secteur agroalimentaire doivent s’organiser pour relever ce nouveau défi. Au-delà de la réalité de la crise, se posent des questions d’organisation des filières, d’emploi, de modèle agricole, d’exportation et, enfin, d’aide à l’innovation. L’enjeu est important pour nos agriculteurs, pour l’agroalimentaire, et il s’avère stratégique pour notre économie. L’agriculture est toujours une chance pour la France grâce au savoir-faire et à la capacité d’adaptation de nos agriculteurs.

Ma question sera donc simple : monsieur le ministre, comment comptez-vous accompagner les filières que j’ai évoquées ? Quel plan d’action allez-vous mettre en œuvre afin de permettre à tous leurs acteurs de faire face aux mutations profondes qui s’annoncent ? (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Michel Barnier, ministre de l'agriculture et de la pêche. Madame Mélot, aujourd’hui peut-être plus que jamais, l’agriculture et les 12 000 entreprises du secteur agroalimentaire représentent effectivement une chance pour la France.

Qu’est-ce qui peut nous permettre de résister au désordre financier qui bouleverse actuellement le monde ? Ce sont nos bases, c’est l’économie réelle, c’est le secteur productif, en particulier agricole, qui regroupe un grand nombre d’entreprises et de salariés. C’est pourquoi nous allons accompagner ce secteur à la fois par des mesures d’urgence et en agissant pour l’avenir.

En ce qui concerne les mesures d’urgence, je me bats avec l’Europe et l’ensemble de nos services contre la crise sanitaire de la fièvre catarrhale ovine, qui affecte profondément tout le secteur de l’élevage en France et qui ajoute à sa désespérance. Nous avons encore obtenu, lundi dernier, 100 millions d’euros de crédits supplémentaires de l’Union européenne pour la vaccination au titre de 2009.

Autre mesure d’urgence, les entreprises de l’agroalimentaire auront leur part du plan de soutien au crédit pour les PME annoncé par le Premier ministre.

Toujours dans l’urgence, je réunis le 12 novembre prochain une conférence des revenus, concernant en particulier – mais pas exclusivement – l’élevage. Nous allons apporter un soutien exceptionnel au secteur ovin, qui est en grande difficulté, en arrêtant des mesures d’allégement de trésorerie.

Voilà quelques mesures d’urgence, mais il y a aussi l’avenir.

Nous allons accompagner le secteur productif agricole d’abord en maintenant les outils de gouvernance. On le voit actuellement, c’est une des leçons de la crise, la gouvernance est nécessaire dans de nombreux domaines ; il importe donc de la maintenir quand elle existe. En matière d’agriculture, nous avons une gouvernance européenne depuis quarante ans : elle peut être améliorée, mais gardons-la !

Je ne laisserai pas l’agroalimentaire et les produits agricoles à la merci des seules lois du marché. Je n’abandonnerai pas l’alimentation et l’agriculture à la seule loi du moins-disant sanitaire et écologique. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. Michel Barnier, ministre. Nous avons besoin de régulation, conservons celle dont nous disposons. Gardons la politique agricole commune, son budget et ses orientations.

Ainsi que je l’ai dit ici même hier soir encore, nous avons l’occasion d’adapter la politique agricole commune à l’occasion de l’établissement du bilan de santé. Le Gouvernement espère conclure cette négociation sur la PAC le 19 novembre prochain. Avec un budget important et qui sera stable jusqu’en 2013, nous aurons les moyens de rendre cette politique agricole plus préventive, grâce à des outils de gestion de crise et d’assurance, plus équitable, en répartissant autrement les aides, et plus durable.

Voilà comment nous allons accompagner l’agriculture. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUnion centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

Sommet Asie-Europe à Pékin

M. le président. La parole est à M. Laurent Béteille.

M. Laurent Béteille. Ma question s'adresse à M. le ministre des affaires étrangères et européennes.

Monsieur le ministre, la crise financière a été au centre du septième sommet de l’ASEM, l’Asia-Europe meeting, samedi dernier. Ce forum Europe-Asie fut le plus marquant depuis la création de ces rencontres en 1996, par le nombre élevé de participants européens et asiatiques – quarante-trois États étaient représentés –, ainsi que par l’importance du thème principal traité : la réforme du système financier mondial.

Au cœur de la tourmente financière que nous connaissons, ce fut l’occasion bienvenue de tenir, sous la présidence de la Chine, un dialogue intergouvernemental de premier plan avec l’Asie. Un semblable dialogue économique et financier avait déjà, par le passé, notamment en 1997, montré la solidarité de l’Europe et de l’Asie.

Le volontarisme de la France dans le traitement de cette crise financière a été une fois encore souligné, et l’initiative française du sommet de Washington, le 15 novembre 2008, approuvée sans aucune réserve.

Les dirigeants d’Asie et d’Europe, loin de se prononcer sur un simple catalogue de bonnes intentions, se sont engagés, me semble-t-il, à réformer complètement les systèmes financiers et monétaires, après avoir constaté que travailler ensemble n’était pas un choix pour l’Europe, mais une réelle nécessité.

Le constat a également été fait que le protectionnisme ne constituait en aucun cas la conduite à tenir, que les prérogatives du Fonds monétaire international devaient être renforcées et qu’un rôle plus grand devait être accordé aux pays en voie de développement.

Pouvez-vous nous détailler, monsieur le ministre, les mesures qui ont été prises à l’issue de ce septième sommet de l’ASEM ? Peut-on parler de consensus euro-asiatique et quelle pourrait en être la portée ? Enfin, comment peut-il s’articuler avec le prochain G 20 ? (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes. Monsieur le sénateur, c’était effectivement un succès que de réunir les représentants de quarante-trois pays, assurant 60 % du commerce mondial et regroupant 60 % de la population du globe.

Il nous a semblé, pour répondre à votre question, que l’entente était grande, d’abord au sein de l’Europe, où l’on avait pu, jusqu’à présent, relever quelques nuances d’appréciation quant aux actions nécessaires et à la construction d’un nouveau système de régulation économique internationale.

Évidemment, la crise financière et économique frappe également – ce fut notre premier constat – les pays d’Asie. Les États-Unis et l’Europe ne sont pas les seuls à être touchés.

Je rappelle que la seule Chine a consenti un premier soutien de 600 milliards de dollars aux principaux établissements immobiliers et financiers américains, puis un autre de 400 milliards de dollars, soit 1 000 milliards de dollars au total d’aide directe.

M. René-Pierre Signé. Que font les riches ?

M. Bernard Kouchner, ministre. Que font les riches pendant que souffrent les pauvres, monsieur le sénateur ? C’est précisément en pensant aux plus pauvres que tout cela a été fait. Et en Chine, il y en a beaucoup !

À notre grande satisfaction, les autres pays ont témoigné de la même volonté de changer le système de régulation, ou d’ « irrégulation », internationale, pour le rendre plus transparent et plus contrôlé.

Parmi les pays du G 20, lequel, vous le savez, a été créé après les crises qui ont frappé les pays d’Asie dans les années quatre-vingt-dix, figurent la Corée du Sud, le Japon, la Chine et l’Indonésie. Le Président de la République française a rencontré leurs représentants et, à notre satisfaction, un consensus s’est dégagé.

Tout d’abord, la crise étant partie des États-Unis, il est apparu souhaitable de se réunir dans ce pays. Tout le monde a donc été d’accord pour se rencontrer le 15 novembre prochain à Washington, afin de poser les premières pierres d’un système différent.

M. le président. Monsieur le ministre, veuillez conclure !

M. Bernard Kouchner, ministre. Comme vous avez pu le lire aujourd’hui dans un grand journal du soir, le FMI présentera un plan très proche de celui que nous avons souhaité voir mettre en œuvre.

Enfin, je souligne que la réunion des pays d’Europe et d’Asie illustre à l’évidence non seulement la bascule des intérêts mondiaux, mais également la fin d’une autre domination. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUnion centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

Sécurité en Guyane

M. le président. La parole est à M. Georges Patient.

M. Georges Patient. Ma question s'adresse à Mme la ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales.

Que l’on me permette, en préambule, de remercier mes camarades de groupe, qui ont bien pris la mesure de l’urgence de ma question et m’ont donné la possibilité de m’exprimer aujourd’hui.

Madame la ministre, la lutte contre l’insécurité est une priorité pour tous les Guyanais, vous ne l’ignorez nullement. Le taux de criminalité en Guyane constitue en effet un record eu égard à la moyenne nationale, et il progresse singulièrement dans l’ouest et l’est du département.

Même si vous allez m’annoncer que les chiffres de l’insécurité sont à la baisse, il n’en reste pas moins que le dernier rapport de l’Observatoire national de la délinquance montre que la Guyane est l’un des départements où le taux d’atteintes volontaires à l’intégrité physique est le plus élevé, puisque ce taux y est de 14 pour 1 000 habitants, alors que la moyenne nationale est de 1,3 !

Un seuil particulièrement alarmant a été franchi tout récemment, le 21 octobre 2008, quand le maire de la commune de Saint-Élie et trois de ses collaborateurs ont été agressés en plein bourg, devant témoins, par des garimpeiros, des orpailleurs clandestins brésiliens, munis de pistolets automatiques.

Ayant précédemment déjà fait l’objet de menaces, le maire avait pourtant, à maintes reprises, alerté les autorités compétentes sur la situation explosive dans sa commune, devenue une zone de non-droit.

Chers collègues, il est inconcevable que le maire d’une commune de la République se trouve dans l’incapacité d’exercer pleinement ses fonctions ! La commune de Saint-Élie n’est d’ailleurs pas la seule à subir cette situation d’insécurité ; c’est le cas également de toutes les autres communes à fort potentiel aurifère, qui se voient ainsi livrées aux exactions des écodélinquants.

Je précise, par ailleurs, que la gendarmerie nationale est absente de Saint-Élie depuis 2004, que l’opération Harpie n’a plus cours et que la réforme de la carte militaire devrait se traduire, outre-mer, par un désengagement.

M. le président. Veuillez poser votre question, mon cher collègue !

M. Georges Patient. Force est donc de constater, madame la ministre, que les actions ponctuelles Harpie et Anaconda n’ont eu qu’une efficacité limitée. Elles ne sont bien évidemment pas suffisantes pour éradiquer le problème de l’insécurité. Il vous faut changer de cap, avoir une stratégie globale dans la durée et adaptée à la réalité de la Guyane, ce qui impliquerait notamment une coopération véritable et étroite entre le Gouvernement français et ses homologues du Brésil, du Surinam et du Guyana.

Madame la ministre, qu’entendez-vous faire pour assurer, de manière durable, la sécurité des Guyanais et, surtout, la présence de l’État sur tout le territoire guyanais ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales. Monsieur le sénateur, l’agression dont a été victime le maire de Saint-Élie est inadmissible ! J’ai donné toutes les instructions nécessaires pour que les agresseurs, dont l’un a d’ailleurs été identifié, soient rapidement interpellés, afin qu’ils rendent compte de leurs actes devant la justice.

Je veux également préciser qu’une protection avait été proposée au maire de Saint-Élie, puisqu’il se sentait menacé. Je regrette qu’il ne l’ait pas acceptée, car cela aurait sans doute permis d’éviter le problème. Je rappelle d’ailleurs que cette offre de protection est toujours valable.

Vous l’avez souligné, monsieur le sénateur, les actes de délinquance commis sur le territoire de la commune de Saint-Élie, comme dans un certain nombre d’autres communes de Guyane, sont liés à l’orpaillage et à la présence de personnes, souvent extérieures au département, qui mènent des opérations dangereuses, dommageables en outre à la santé publique et à l’économie guyanaise.

C’est la raison pour laquelle, depuis 2002, les moyens affectés au maintien de la sécurité en Guyane ont connu un renforcement sensible. C’est aussi la raison pour laquelle, profitant de périodes durant lesquelles les activités d’orpaillage sont plus intenses, nous avons mené plusieurs actions, en particulier l’opération Harpie, qui vient en relais et en soutien des opérations Anaconda.

Cette opération a donné des résultats tout à fait remarquables, puisque nous avons saisi plus de 26 millions d’euros – l’orpaillage étant source d’importants revenus –, 19 kilos d’or et 221 kilos de mercure, métal qui représente évidemment un danger important, à la fois pour l’environnement et pour la santé des populations.

Sur le territoire de la seule commune de Saint-Élie – je le rappelle, monsieur le sénateur, parce que vous avez omis de le faire –, la gendarmerie a triplé ses activités de surveillance générale, ce qui a permis d’aboutir à un certain nombre de résultats, notamment, au cours de ces derniers mois, à la mise en examen de douze personnes pour orpaillage illégal, blanchiment d’argent et aide au séjour d’étrangers en situation irrégulière. Sur ces douze personnes, sept ont été écrouées et cinq ont été placées sous contrôle judiciaire.

Oui, monsieur le sénateur, de nouvelles opérations auront lieu aux périodes de l’année où elles sont le plus utiles. C’est aussi cela, une bonne gestion des moyens et des deniers publics ! Comme nous savons que ces réseaux trouvent des appuis en dehors de nos frontières, le Gouvernement a pris l’attache, à ce sujet, des autorités du Brésil et du Surinam.

M. le président. Veuillez conclure, madame la ministre.

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre. J’en termine, monsieur le président.

Nous connaissons donc les conséquences de l’orpaillage. C’est pourquoi j’entends continuer de mettre en œuvre toutes les mesures nécessaires pour lutter contre ce fléau et protéger nos concitoyens de Guyane. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUnion centriste.)

M. le président. Nous en avons terminé avec les questions d’actualité au Gouvernement.

Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures, est reprise à seize heures quinze, sous la présidence de Mme Catherine Tasca.)

PRÉSIDENCE DE Mme Catherine Tasca

vice-présidente

Mme la présidente. La séance est reprise.

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Article 2 (interruption de la discussion)
Dossier législatif : projet de loi favorisant la diffusion et la protection de la création sur Internet
Article 2

Diffusion et protection de la création sur internet

Suite de la discussion et adoption d'un projet de loi déclaré d'urgence

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet (urgence déclarée).

Dans la discussion des articles, nous en sommes parvenus à l’article 2.

Discussion générale
Dossier législatif : projet de loi favorisant la diffusion et la protection de la création sur Internet
Article additionnel après l'article 2

Article 2 (suite)

Mme la présidente. Au sein de l’article 2, nous en sommes parvenus aux explications de vote sur l’amendement n° 75 rectifié, qui fait l’objet d’une discussion commune avec les amendements nos 165 rectifié bis, 113 rectifié, 133 et 142.

Je rappelle les termes de l’amendement n° 75 rectifié, présenté par M. Retailleau, au nom de la commission des affaires économiques :

I. - Rédiger comme suit le deuxième alinéa (1°) du texte proposé par cet article pour l'article L. 331-25 du code de la propriété intellectuelle :

« 1° Une amende, dont le montant, fixé par décret en Conseil d'État, est majoré quand l'œuvre ou l'objet illicitement utilisé fait l'objet d'une offre autorisée par les titulaires de droits en format numérique, à un prix raisonnable et dans des conditions d'interopérabilité satisfaisantes, sur les réseaux de communications électroniques ; »

II. - En conséquence,

1. Après le texte proposé par cet article pour l'article L. 331-25 du code de la propriété intellectuelle, insérer un article ainsi rédigé :

« Art. L.... - La Haute autorité reverse aux titulaires des droits prévus aux livres Ier et II ayant subi un préjudice économique du fait d'un manquement à l'obligation définie à l'article L. 336-3, sanctionné par l'amende visée au 1° de l'article L. 331-25, le montant des amendes qu'elle a collectées au titre de l'article L. 331-25. Elle répartit ce montant de manière équitable entre les titulaires de droits concernés, en veillant à une juste rémunération des artistes-interprètes et des auteurs, au sens du présent code.

« Un décret en Conseil d'État détermine les modalités de la répartition et les procédures du reversement visés à l'alinéa précédent. »

2. Rédiger ainsi le deuxième alinéa (1°) du texte proposé par cet article pour l'article L. 331-26 du code de la propriété intellectuelle :

« 1° Une amende, dont le montant ne peut dépasser la moitié de celui de l'amende visée au 1° de l'article L. 331-25 ; »

La commission des affaires culturelles a demandé un scrutin public sur cet amendement.

Dans la suite des explications de vote, la parole est à Mme Catherine Morin-Desailly.

Mme Catherine Morin-Desailly. Je voudrais tout d’abord souligner à quel point il est essentiel que ce type de débat, suscité par l’amendement déposé, au nom de la commission des affaires économiques, par notre collègue Bruno Retailleau, puisse avoir lieu au sein de notre assemblée. En effet, sur de tels sujets de société qui passionnent nos concitoyens, les positions des uns et des autres doivent pouvoir s’exprimer ailleurs que dans la presse.

De même, et je rejoins sur ce point la majorité des orateurs qui se sont exprimés précédemment, il ne faut pas, à mon sens, donner l’impression que les commissions ad hoc qui ont été créées détiennent la vérité et qu’il n’y a donc plus lieu de débattre au Parlement. Si tel était vraiment le cas, notre rôle se trouverait réduit à néant !

De la dialectique de la contradiction doit émerger une position qui soit, à la fois, collectivement responsable et adaptée.

La question qu’a posée M. Retailleau, au travers de son amendement, se justifie pleinement, puisque la solution de l’amende avait été évoquée, tout comme celle de la suspension d’ailleurs, dans le rapport Olivennes. En effet, lors des discussions entre les partenaires qui ont précédé et suivi les accords conclus à l’Élysée, les positions se sont affinées jusqu’à ce que la solution qui apparaissait comme étant la plus sage soit finalement adoptée.

Même si le Parlement doit bien sûr jouer pleinement son rôle, il ne doit pas négliger pour autant les résultats de ce travail préparatoire, fruit de la réunion de quarante-sept partenaires et qui avait tellement fait défaut lors de l’examen du projet de loi DADVSI en 2006. Il ne faudrait pas prendre le risque de faire éclater un consensus acquis de haute lutte.

Après avoir pesé le pour et le contre et examiné la question sous tous ses aspects – sans disposer, malheureusement, de l’expertise technique de notre collègue Bruno Retailleau –, notre groupe s’est prononcé majoritairement contre l’amende. Je vais m’en expliquer.

Cela étant, l’idée qui consiste à réaffecter aux artistes et à la création une partie du produit de l’amende, pour réparer le préjudice subi, nous semble tout à fait intéressante. En effet, l’enjeu, dans cette affaire, est bien le renouvellement de la création et le respect du travail des créateurs. Dans la discussion générale, nous avions bien rappelé qu’il fallait garantir un juste équilibre entre les droits légitimes des internautes et ceux des auteurs, sans lesquels il n’y aurait plus de création artistique et culturelle, ni guère de contenu sur internet.

Il faut donc trouver la meilleure arme de dissuasion à mettre en œuvre au terme d’une procédure préventive. Elle doit être à la fois juste et pratique à utiliser.

Tout à l’heure, certains orateurs ont prétendu que l’amende aurait des vertus pédagogiques. Nous ne le pensons pas, une amende étant toujours perçue comme une taxe indue. En revanche, en privant temporairement l’internaute de l’outil qui a servi à la piraterie, la suspension nous semble revêtir un caractère symbolique.

Certes, la suspension pose d’autres problèmes, nous ne le nions pas. Par le biais de nombreux amendements examinés ce matin, nous avons cherché à rééquilibrer le texte en faveur du respect des droits de l’internaute. Nous avons insisté, en particulier, sur le fait que l’internaute récidiviste devra avoir été largement mis en garde, par le biais d’une série d’avertissements, avant que la suspension n’intervienne.

Je reprendrai, à cet instant, l’exemple de la voiture, qui a déjà été souvent évoqué. On se souvient sans doute davantage du jour où l’on a retrouvé sa voiture à la fourrière que de celui où l’on a dû payer une amende ! Certains préfèrent d’ailleurs acquitter une contravention de temps à autre plutôt que de mettre de l’argent régulièrement dans le parcmètre ! (Sourires.) La situation est analogue pour les internautes : plutôt que de télécharger légalement de la musique ou des films moyennant quelques euros, certains d’entre eux préféreront peut-être payer parfois une amende !

La question du montant de l’amende se pose également. S’il est par exemple de l’ordre de 75 à 95 euros, ce qui le rapprocherait du montant d’une contravention pour stationnement interdit, il ne sera guère dissuasif au regard de l’économie que peut représenter le piratage de milliers de morceaux de musique. Pour être vraiment dissuasif, le montant de l’amende devrait s’élever à plusieurs milliers d’euros, mais la sanction aurait alors un caractère franchement discriminatoire, comme l’ont souligné tout à l’heure Mme la ministre et M. le rapporteur, en fonction de la situation financière des familles.

Bien sûr, la question de la suspension de l’accès à internet reste très sensible, ainsi que l’a rappelé Bruno Retailleau, notamment dans le cas d’un abonnement triple play, le problème étant peut-être que le projet de loi ne présente pas de solution de rechange validée. Compte tenu de l’usage que nos concitoyens font d’internet au quotidien, suspendre la connexion est nécessairement délicat, le texte prévoyant que la durée de cette suspension pourra aller jusqu’à douze mois.

C’est la raison pour laquelle nous aurions souhaité que la transaction soit rendue obligatoire, ce qui aurait fourni l’occasion de vérifier dans chaque cas la situation et l’attitude de l’internaute contrevenant et d’ajuster beaucoup plus finement la peine en conséquence. Nous avions déposé un amendement qui allait dans ce sens. Nous regrettons que l’article 40 de la Constitution ait été invoqué pour le rejeter, car son adoption aurait permis que soient prises en considération les contraintes propres à chaque internaute.

Mme la présidente. La parole est à Mme Françoise Laborde, pour explication de vote.

Mme Françoise Laborde. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je voudrais expliquer pourquoi le groupe du RDSE votera contre l’amendement n° 75 rectifié.

À l’instar de M. Retailleau, j’avoue avoir pensé à la solution de l’amende. Toutefois, il faut reconnaître que le dispositif du projet de loi revêt un caractère assez pédagogique et permettra une riposte graduée.

Il faut veiller à ne pas traiter de façon uniforme les différents cas que la HADOPI aura à traiter, et à faire preuve d’équité. La réponse ne saurait être identique selon qu’il s’agit d’un individu, d’une famille, d’une entreprise ou d’une collectivité locale. Je me permets d’insister plus particulièrement sur le cas de ces dernières, car je pense que nous n’en avons pas assez discuté, que ce soit en commission ou dans l’hémicycle. Les collectivités territoriales se trouveront en effet en première ligne avec les cyber-bases, les médiathèques, etc.

Étant donné les maigres résultats de l’application de la loi DADVSI, il ne faut pas retomber dans les travers de ce texte en retenant la solution de l’amende.

Il est vrai que certains préfèrent toujours payer : certains partis politiques préfèrent payer plutôt que d’appliquer les règles de la parité ; certaines communes préfèrent payer plutôt que de compter sur leur sol 20 % de logements sociaux… (Sourires.)

La solution de l’amende me paraît donc un peu simpliste. Ce seraient encore et toujours les mêmes qui auraient les moyens de payer ! Au lieu d’instituer une amende pénalisante pour les plus pauvres, essayons donc plutôt de mettre en œuvre le dispositif pédagogique contenu dans ce projet de loi, et de nous y tenir ! Si, finalement, il se révélait nécessaire d’exiger de l’argent des internautes, mieux vaudrait les forcer à acheter des logiciels de téléchargement autorisé ou des pare-feux !

Mme la présidente. La parole est à M. Ivan Renar, pour explication de vote.

M. Ivan Renar. Nous avons là le seul vrai débat peut-être d’une journée qui ne sera pas nécessairement historique. Quoique…

Pour parler franchement, j’ai trouvé les propositions de M. Retailleau intéressantes.

Nos concitoyens, effectivement, ne sont pas traités de la même façon selon le niveau technologique atteint sur leur territoire de résidence. C’est une réalité que l’amendement de M. Retailleau tend à prendre en compte.

Cet amendement permet aussi d’éviter de constituer un fichier, dont on ne connaît jamais vraiment le destin. En effet, le croisement des fichiers a abouti, aux quatre coins du monde, au meilleur comme au pire ! On croit ainsi être inscrit sur le fichier de la HADOPI, et on se retrouve sur celui de Mme Edvige, pour reprendre un mot de mon petit-fils ! (Sourires.)

Un autre aspect intéressant de cet amendement est qu’il tend à transformer le débit supporté par les internautes contrevenants en crédit pour les créateurs et les auteurs.

Tout à l’heure, notre collègue Michel Thiollière évoquait l’amende comme une vieille recette, mais il en va des vieilles recettes comme des vieilles marmites : c’est dans celles-ci que l’on fait la meilleure soupe ! (Nouveaux sourires.)

Néanmoins, la question du montant de l’amende m’inspire une certaine inquiétude. En effet, dans les rares procès qui se sont tenus en France sur cette matière, les réquisitions des procureurs ont souvent été assez lourdes.

Cette inquiétude fait que nous n’irons pas jusqu’à céder à la tentation d’émettre un vote positif. Nous nous abstiendrons, en soulignant toutefois l’intérêt de cet amendement, qui aura permis d’éclairer notre chemin. Cette position nous permet également de préserver l’avenir de l’amendement n° 142, qui deviendra sans objet si l’amendement de M. Retailleau est adopté.