compte rendu intégral
Présidence de M. Jean-Claude Gaudin
vice-président
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Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
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Loi de finances pour 2009
Suite de la discussion d'un projet de loi
M. le président. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi de finances pour 2009, adopté par l’Assemblée nationale (nos 98 et 99).
participation de la france au budget des communautés européennes
M. le président. Nous allons examiner l’article 33 relatif à l’évaluation du prélèvement opéré sur les recettes de l’État au titre de la participation de la France au budget des Communautés européennes.
La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d’État chargé des affaires européennes. Monsieur le président, je tiens à vous remercier très sincèrement, ainsi que M. le président de la commission des finances et M. le rapporteur général, d’avoir bien voulu bouleverser quelque peu l’ordre du jour, en avançant l’examen de cet article, afin de me permettre de remplir mes obligations auprès du vice-premier ministre pour l’intégration européenne de l’ancienne république yougoslave de Macédoine.
M. le président. Nous sommes ravis de vous être agréables, monsieur le secrétaire d’État, tant votre présence régulière et courtoise honore la Haute Assemblée.
La parole est à M. le rapporteur spécial.
M. Denis Badré, rapporteur spécial de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’article 33 du projet de loi de finances pour 2009 fixe à 18,9 milliards d’euros le prélèvement sur nos recettes qui abondera le budget européen.
Le respect du Traité nous oblige à voter cet article et à le faire sans amendement. Nous pouvons seulement répondre par oui ou par non, avec une quasi-obligation de dire oui, sans droit de regard sur les dépenses que cette ressource contribuera à financer. La mise en œuvre du principe du consentement à l’impôt est ainsi réduite à sa plus simple expression. C’est un oui forfaitaire, global et de principe.
Si nous votons, on continue ; si nous ne votons pas, une crise européenne est ouverte, ce dont nous n’avons pas besoin à l’heure actuelle.
Comme je le répète inlassablement, cela pose à nouveau le problème de la forme du budget européen, dont les dépenses et les recettes sont votées par des autorités différentes, puisque 80 % des recettes de ce budget, improprement appelées « propres », sont en fait des cotisations des États, votées par les Parlements nationaux, les dépenses étant, de leur côté, votées en codécision par le Parlement européen et le Conseil européen.
Pour l’avoir déjà fait ailleurs, je ne développerai pas les conséquences fâcheuses qui découlent de cette structure budgétaire, dont la moindre est non pas le déferlement des analyses sur les « retours nets » ou les « j’en veux pour mon argent », mais le fait que l’intérêt national est systématiquement mis en avant par chacun, bien avant l’intérêt commun.
Pourtant, derrière la crise actuelle, on sent bien que l’intérêt commun existe et on aimerait que les méthodes communautaires reprennent le pas sur une méthode intergouvernementale qui, trop souvent, privilégie excessivement la confrontation entre les intérêts nationaux particuliers. D’où l’importance du débat, toujours reporté, sur la réforme du budget et sur la mise en place d’un financement qui redevienne vraiment « propre » ou « commun ».
Je regrette, pour ma part, que la présidence française n’ait pu, sans doute en raison d’un agenda chargé, prendre à bras le corps cet épineux dossier, pourtant susceptible de restaurer la confiance que les citoyens placent dans l’Europe. Je ne suis pas certain que la présidence tchèque choisisse de le faire. Je suis même persuadé du contraire, et je le regrette.
Je pourrais clore ici mon propos en vous recommandant de voter cet article 33, considérant que ni la France ni l’Europe n’ont vraiment besoin de voir s’ouvrir, du fait de la France, une crise européenne de plus.
Des crises, monsieur le secrétaire d’État, vous en avez supportées suffisamment ! Vous abordiez la présidence française avec, devant vous, un menu copieux minutieusement préparé et une crise institutionnelle à dénouer. Vous avez consommé le menu et assumé, en plus, deux autres crises : une guerre ainsi qu’une crise financière et économique mondiale.
Dans ce contexte, et au moment où vous allez quitter vos fonctions, permettez-moi de vous dire à titre exceptionnel et personnel, monsieur le secrétaire d’État, combien ont été appréciées, au sein de notre assemblée, votre action et votre manière de faire avancer la construction européenne. En cet instant, ce n’est pas le rapporteur spécial de la commission des finances, c’est l’Européen qui vous dit merci. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
J’en reviens au prélèvement sur nos recettes de 18,9 milliards d’euros.
Situons-les, tout d’abord, par rapport aux prélèvements opérés les années précédentes. Je rappelle que le prélèvement finalement exécuté est toujours différent du prélèvement voté. Comment en serait-il autrement ?
Nous votons aujourd’hui, 26 novembre, l’article 33 du projet de loi de finances, qui nourrira un budget européen non encore arrêté puisqu’il ne sera examiné en deuxième lecture par le Parlement européen que le 18 décembre. Nous ne savons donc pas encore ce que sera le budget européen, et il y aura, en 2009, des rectificatifs, des reports et des sous-consommations.
Pour illustrer mon propos et le résultat de ce décalage dans le temps, je citerai quelques chiffres.
Pour 2007, le prélèvement exécuté s’élevait à 17,2 milliards d’euros, montant inférieur de 1,5 milliard à celui de 18,7 milliards d’euros que nous avions voté.
Pour 2008, le prélèvement exécuté dépassera de plus de 300 millions les 18,7 milliards d’euros votés.
Les comparaisons ont donc peu de sens !
Le prélèvement voté pour 2008 était en augmentation de 6 % par rapport au prélèvement exécuté de 2007. Quant au prélèvement voté pour 2009, il n’affichera qu’une progression de 1 % par rapport au prélèvement exécuté pour 2008.
Il faut une lecture interannuelle de l’évolution du prélèvement si l’on veut éviter de tirer des conclusions hâtives, comme certains ne s’en privent pas dans de mauvaises intentions. Nous devons veiller à ne pas tomber dans ce piège.
Je préfère remarquer que ce prélèvement, qui représente 1 % de notre produit intérieur brut et 6 % de nos recettes fiscales, est de l’ordre du tiers de ce que devrait être le déficit de notre budget national pour 2009. Cela paraît peu, mais uniquement parce que notre déficit est beaucoup trop lourd.
Là aussi, il faut savoir raison garder. Nous ne devons jamais oublier que nous avons une ardente obligation de contrôler le déficit.
La France demeure le deuxième pays contributeur au budget communautaire, derrière l’Allemagne et devant l’Italie, l’Espagne, le Royaume-Uni. La part de sa contribution représente l7, 4 % du total.
Depuis 2006, la France a remplacé l’Espagne au rang de premier pays bénéficiaire des dépenses du budget communautaire, politique agricole commune oblige.
Je rappelle, par ailleurs, que le prélèvement tient compte de la nouvelle décision relative au système des ressources propres des Communautés européennes du 7 juin 2007, que j’ai eu l’honneur de rapporter devant vous, mes chers collègues, et que vous avez bien voulu transcrire dans notre droit national, le 15 mai dernier, suivant en cela mes recommandations.
Cette décision modifie, dans un sens plutôt favorable, les modalités de calcul et de financement du chèque britannique, qui nous coûte, et ce n’est pas marginal, encore 1,5 milliard d’euros, soit près de 10 % de notre contribution au budget européen. Il ne faut jamais l’oublier !
J’en viens au budget européen pour 2009, que permet de financer ce prélèvement.
L’avant-projet de la Commission consacre une augmentation de 3,1 % des crédits d’engagement par rapport au budget pour 2008, qui atteignent 134,4 milliards d’euros. Les principales augmentations de crédits traduisent la volonté de la Commission de consacrer la part la plus significative du budget communautaire à la mise en œuvre de la stratégie de Lisbonne.
Les crédits de paiement affichent, en revanche, une baisse de 3,3 % et s’élèvent à 116,7 milliards d’euros. Les années 2007 et 2008 ont concentré les derniers paiements réalisés au titre des perspectives financières closes en 2006, et la majeure partie des avances de paiement pour la nouvelle programmation. Nous voyons là un des défauts du système des perspectives financières interannuelles.
Adopté à l’unanimité du Conseil, le projet de budget proposé par la présidence française sur la base de cet avant-projet de la Commission se veut « réaliste ». Les coupes réalisées en crédits d’engagement et en crédits de paiement ont principalement pour origine la prise en compte de sous-exécutions passées sur certains programmes, ou ont une vocation « tactique » en vue de la négociation entre le Parlement européen et le Conseil. La dernière séance, qui s’est déroulée le 21 novembre, a d’ailleurs permis d’avancer et nous devrions pouvoir conclure, cette année, avant la fin de l’exercice 2008.
L’avant-projet de la Commission a été préparé avant la crise. Le Parlement européen et le Conseil ne proposent pas, à ma connaissance, de le modifier.
Le hasard du calendrier veut que nous débattions de notre contribution à ce budget le jour même où la Commission européenne va rendre public un « plan de relance en faveur des économies du continent ». Annoncé à 130 milliards d’euros, soit le montant du budget européen lui-même – nouveau hasard ! –, ce plan serait essentiellement composé de crédits ouverts sur les budgets nationaux. On ne touche pas au budget européen : la participation du budget communautaire demeurerait marginale et prendrait la forme d’une accélération des paiements aux États membres et d’interventions du Fonds européen d’ajustement à la mondialisation, fort peu utilisé jusqu’à présent.
Si, dans une démarche intergouvernementale, induite et pilotée par la présidence française, l’Europe a su réagir à la crise financière, elle a peiné un peu plus à bâtir un plan de relance qui, au demeurant, demeure lui aussi largement intergouvernemental.
Quant à la Commission, gardienne de la méthode communautaire, elle suit le Conseil et sa présidence, sans doute quelque peu paralysée par la proximité de son renouvellement, mais consciente tout de même de la nécessité de coordonner au moins les plans des États afin de leur donner une valeur supplémentaire d’entraînement collectif.
S’agissant du pacte de stabilité, dont on parle beaucoup actuellement, tout le monde semble s’accorder pour considérer qu’il doit être « temporairement mis entre parenthèses ». Vous devrez veiller, monsieur le secrétaire d’État, à ce que ses détracteurs n’interprètent pas cela comme sa fin et, de ce fait, comme une victoire. Vous devez rappeler, à temps et à contretemps, que le principe du pacte exprime une exigence vertueuse.
Moins de plan ne signifierait pas moins de dette. Bien au contraire ! Et la dette reste l’ennemi numéro un du développement durable. Il faut donc rester vigilant et se montrer très attentif à la sémantique employée.
Veillez aussi, monsieur le secrétaire d’État, à ce que les dépenses autorisées « en dérogation du pacte » financent des investissements à « retours » rapides et importants !
On peut accepter une difficulté temporaire, à condition que celle-ci représente un plus grand bien pour demain. Souvenons-nous que le mot grec krisis signifie temps décisif. Or, dans les temps décisifs, nous n’avons aucun droit à l’erreur !
Sans doute souffrons-nous ici aussi d‘une certaine difficulté à vivre pleinement le couple franco-allemand. Je sais, monsieur le secrétaire d’État, que vous le déplorez au moins autant que moi. J’espère que le rapprochement de ces dernières vingt-quatre heures sera réellement durable.
Il est indispensable qu’on arrive à rebondir et à reconstruire un couple vraiment uni. Les temps de crise et l’avenir de l’Europe l’exigent. Nous n’en ferons jamais trop pour chercher à mieux nous comprendre !
Nous voyons enfin combien une politique économique européenne nous manque. Le budget de l’Union européenne n’a pas la taille critique qui lui permettrait de jouer un rôle de stabilisation conjoncturelle.
Je note d’ailleurs, en ces temps difficiles, que les 130 milliards d’euros du budget de l’Union européenne sont finalement bien modestes en comparaison des sommes avec lesquelles le monde jongle en ce moment pour tenter de juguler la crise et relancer la croissance.
Pour autant, il est primordial que les citoyens européens prennent la mesure des efforts consentis par le budget communautaire pour préserver et dynamiser l’activité économique en Europe.
Dans l’immédiat, et bien que cette initiative ressortisse essentiellement au domaine du symbole, notre travail de pédagogie communautaire doit plus que jamais consister à rappeler combien sont importants les investissements européens dans la recherche, la formation, la compétitivité et les réseaux transeuropéens. Ils doivent absolument être privilégiés.
Si nous voulons que l’Europe puisse poursuivre sa construction – et vous savez que, personnellement, j’y suis passionnément attaché – il faut le faire dans la rigueur, en ces temps de crise, où souvent on peut rebondir et bien repartir. Saisissons cette occasion pour préparer un avenir plus solide et plus fort !
Pour en revenir à l’article 33, j’invite le Sénat, au nom de la commission des finances, à le voter dans un esprit constructif et tourné vers l’avenir afin d’éviter une crise et de poursuivre la construction de l’Union européenne. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur général.
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le président de la commission des affaires européennes – c’est la première fois que je vous salue dans l’hémicycle à ce titre – monsieur le rapporteur spécial, mes chers collègues, ce débat sur les questions européennes sera l’occasion d’évoquer des sujets de régulation financière. L’exercice me sera d’autant plus facile que je sais m’adresser aussi au futur président de l’Autorité des marchés financiers.
Comme vous le savez, monsieur le secrétaire d’État, l’Assemblée nationale et le Sénat ont constitué, à l’appel du président du Sénat, Gérard Larcher, ce que j’intitule « une mission mixte paritaire » pour traiter des questions relatives aux origines, à la réalité de la crise financière et aux réactions que les États, l’Union européenne, le monde doivent y apporter
Malgré leurs différences d’approche, de famille politique, voire d’idéologie d’origine, les membres de la mission se sont accordés, après des discussions nourries et assez fondamentales, sur un constat partagé. Comme j’ai eu le privilège de participer à cette mission comme corapporteur pour le Sénat, je voudrais, si vous le permettez, vous donner lecture de quelques phrases qui me semblent essentielles dans ce constat partagé.
« La crise actuelle s’analyse comme le résultat de la conjonction d’une double démission des États face au leadership américain et à la toute-puissance des marchés.
« La dérégulation amorcée dans les années quatre-vingt a laissé libre cours aux conceptions anglo-saxonnes, américaines mais aussi britanniques, des marchés financiers. Par leur monnaie, le dollar, qui a bénéficié de fait du statut de monnaie internationale à travers un déficit des paiements sans limite leur permettant de s’imposer comme l’émetteur d’actifs dominant, et au moyen d’une politique monétaire qui a facilité l’inflation immobilière et la constitution d’une bulle financière, les États-Unis ont imposé leur vision du monde. Il est temps que les pays européens fassent entendre leur voix.
« L’autre renoncement se constate surtout au niveau de l’Europe. En ne mettant pas en place des mécanismes de supervision et de régulation financières et économiques, les États membres se sont laissés déposséder au profit de procédures souvent technocratiques et faisant de plus en plus de place aux décisions d’instances à caractère professionnel, dont il est difficile que les membres ne soient pas en conflit d’intérêts. »
Il n’y a pas si longtemps – c’était en mai 2007 – j’avais, au nom de la commission des finances, consacré un petit rapport sur la régulation financière. J’en appelais, voix clamant dans le désert, à une certaine reprise en main de cette soft law proliférante, ce que les juristes appellent souvent le « droit mou » qui prévaut dans le domaine communautaire.
J’insistais sur les effets pervers d’une comitologie qui, à force de renvoyer des sujets complexes impliquant de nombreux acteurs à des groupes de personnalités soi-disant expertes, aboutit naturellement à la déresponsabilisation du politique. Il faut donc, monsieur le secrétaire d’État, réintroduire le politique dans la définition des règles du jeu.
Reconnaissons au demeurant que l’harmonisation de la surveillance et de la réglementation des banques et des services financiers est depuis longtemps au cœur de l’action communautaire.
Le plan d’action pour les services financiers de 1999-2005 fut une étape décisive avec près de 40 directives. Depuis 2001, la législation financière communautaire s’est largement inscrite dans le processus Lamfalussy, qui a ouvert la voie à cette comitologie.
Des progrès indéniables ont été réalisés. Lorsqu’on compare nos législations nationales et communautaires, les lois de transposition à la régulation américaine, nous devons observer, malgré le constat sévère par lequel je commençais mon propos, que notre droit a évolué dans le bon sens, sans doute – et c’est l’essentiel du message que je voudrais faire passer ce matin – sans une implication suffisante des États et des autorités politiques.
Bien des sujets sont très structurants, et on ne s’en est pas assez rendu compte, par paresse, par facilité, voire par lâcheté, par plaisir ou par nécessité d’aboutir à des compromis Je voudrais citer quelques concepts qui se sont affirmés dans la logique anglo-saxonne et qui ont des conséquences que l’on avait sous-estimées.
D’abord, je citerai l’évolution des normes comptables, sujet que M. le président de la commission, Denis Badré et moi-même aurions pu développer, si nous en avions eu le temps. Les évolutions auxquelles nous avons souscrit, que nous avons acceptées souvent par défaut, sont pour beaucoup dans l’aggravation et l’accélération de la crise financière. Le problème est de savoir comment s’en sortir. Car casser le thermomètre en période de crise, ce n’est pas si simple, on ne peut que très difficilement revenir en arrière.
Ensuite, je mentionnerai la fin de la centralisation des ordres sur les marchés réglementés. Avec la directive concernant les marchés d’instruments financiers d’avril 2004, nous avons souscrit à la toute-puissance des grandes banques d’investissement.
Or ce modèle, qui va à l’encontre des principes mêmes de la transparence et de l’organisation équitable des marchés, a aujourd’hui craqué. Comment revenir, monsieur le secrétaire d’État, sur ces choix effectués par défaut ?
Enfin, je noterai la publication trimestrielle des comptes, imposée par les directives « Transparence. » Nous y avons souscrit. Peut-être était-ce inévitable dans un mouvement mondial, mais nous avons ainsi accepté de privilégier le prisme du court terme et d’accentuer la volatilité des valeurs.
En outre, dans ces matières, l’Europe a bien souvent réalisé son consensus sur le plus petit dénominateur commun, sur ce qui créait le moins de problèmes et permettait de terminer la réunion en faisant les quelques sacrifices, dont on ne se rendait pas forcément bien compte, mais qui permettaient de passer au dossier suivant.
Ainsi, en matière de rémunération des dirigeants, par exemple, on n’a qu’une simple recommandation peu innovante de décembre 2004.
S’agissant des infrastructures de règlement-livraison et de compensation des titres, dites « post-marché », on s’en est remis à de simples codes de conduite plutôt que de mettre en place une directive et de créer une véritable infrastructure d’intérêt général dont on voit bien la nécessité en considérant les handicaps que font peser sur nos économies les activités dérégulées ou les produits de gré à gré.
Enfin, en matière de surveillance des agences de notation, sujet sur lequel, en 2003, M. Francis Mer me disait : « Passez, il n’y a rien à voir ! », nous avons observé la longue résistance du commissaire Charlie MacCreevy et son revirement, pas encore très concret, ni très substantiel, intervenu fin 2007.
Enfin, monsieur le secrétaire d’État, cette réglementation communautaire définit des règles parfois complexes d’attribution de compétences pour les régulateurs nationaux. La directive OPA est assez paradoxale puisqu’elle crée un droit à la carte. Il y a tellement de combinaisons possibles que l’on se demande s’il faut y voir du droit communautaire ou le résultat d’un nouveau compromis de l’impossible entre nos amis britanniques et les États continentaux.
Certes, la Commission est loin d’être la seule responsable de cette confusion, et les divergences de conceptions au sein du Conseil européen sont souvent apparues irréductibles. Peut-être la crise a-t-elle du bon, en ce sens qu’elle va inévitablement faire évoluer les mentalités et, donc, les positions des États. Comme le dit très justement le président Nicolas Sarkozy, il faut que l’Europe reprenne les choses en main « pour permettre de tout surveiller sans pour autant tout réglementer ».
C’est l’équilibre qu’il convient de trouver. Quelques avancées sont prometteuses ; espérons qu’elles seront approfondies, monsieur le secrétaire d’État. Je citerai notamment la proposition de directive sur l’enregistrement des agences de notation et la mise en place de collèges de régulateurs pour la quarantaine de banques transnationales. Permettez-moi de vous dire qu’on en reste à la surface des choses et qu’on ne traite que les sujets les plus faciles.
J’achèverai ce bref propos par une allusion au volet international. Bien entendu, l’évolution de la réglementation européenne n’a pas de sens si elle ne se traduit pas par une progression de l’influence de l’Europe sur le monde.
C’est le moment de faire prévaloir une conception équitable, raisonnable, efficace des zones dérégulées juridiquement et fiscalement.
M. Denis Badré, rapporteur spécial. Le Luxembourg, par exemple !
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Expliquez cela à M. Junker !
M. Philippe Marini, rapporteur général. C’est bien ce qui nous a conduits, monsieur le coprésident de la mission mixte paritaire, à mettre en tête de nos préoccupations les paradis juridiques et fiscaux.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Absolument !
M. Philippe Marini, rapporteur général. Au demeurant, l’Europe, vous le savez, monsieur le secrétaire d'État, est au cœur de cette problématique. S’il n’y avait pas de territoires dérégulés sous la souveraineté, la surveillance ou l’autorité des États de l’Union européenne, la situation serait plus simple.
Au sein même de l’Union européenne, nos grands amis du Grand-Duché ont quelques reproches à se faire ! D’ailleurs nous n’avons pas toujours été d’une extrême clarté à leur égard, et le rôle qu’ils jouent dans l’équilibre européen n’est pas négligeable, mais il faudra bien trouver un juste équilibre.
Quant à nos excellents amis de Grande-Bretagne, ils ont sous leur souveraineté, ou sous leur dépendance, l’essentiel des paradis juridiques et fiscaux d’Europe.
Alors, monsieur le secrétaire d'État, comment avancer quand l’ambiguïté est aussi fondamentale ?
Certes, quelques initiatives concrètes sont en cours, ce qui me permettra de conclure mon exposé sur un signe d’espoir.
La directive en matière de fiscalité des revenus de l’épargne, qui date de juin 2003, fait l’objet d’un consensus pour qu’elle soit révisée et que son champ soit étendu. Elle ne couvre que les obligations et des produits très classiques, de sorte que tout ce qui est nouveau n’entre pas dans son champ. Elle a donc le mérite d’exister, mais elle ne sert pas à grand-chose.
En ce qui concerne par ailleurs le système de retenue à la source prévu au cas où un État refuse l’échange d’informations, nous avons observé, dans l’affaire du Lichtenstein comme avec nos amis du Luxembourg, que les retours financiers constatés à ce titre sont assez dérisoires par rapport à la réalité probable des volumes d’opérations.
Comment, monsieur le secrétaire d'État, aller plus loin, s’agissant d’États souverains qui siègent avec nous dans différents cercles, à l’intérieur et autour de l’Union européenne ?
Enfin, bien sûr, il faudrait élargir le champ de la directive en termes non seulement de produits mais aussi de nature d’intervenants, car les véhicules juridiques intermédiaires, tels que le « trust » ou l’ « Anstalt », ne sont pas aujourd'hui couverts.
Voix clamant dans le désert, la commission des finances du Sénat dénonce depuis des années cette situation, mais cela n’a pas intéressé beaucoup de monde. Peut-être qu’avec la crise les représentants des États, les spécialistes du droit communautaire et du fonctionnement de l’Union européenne s’intéresseront-ils à la réalité des choses et regarderont-ils enfin ce qu’il y a à l’extérieur de la pièce ?
C’est en tout cas un vœu que je formule. S’il n’en allait pas ainsi, il ne faut pas être grand clerc pour prédire que le divorce entre l’Europe et les peuples ne fera qu’aggraver la situation.
Or la grande responsabilité des États, des gouvernants et de tous les « sachants » est d’éviter un tel divorce, car il serait assurément désastreux pour l’avenir de nos États et de l’Europe. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires européennes.
M. Hubert Haenel, président de la commission des affaires européennes. Tous les sujets qui viennent d’être abordés par M. le rapporteur général pourraient faire l’objet d’un débat.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, nous sommes appelés, comme chaque année, à autoriser la contribution de la France au budget des Communautés européennes, qui s’élève pour 2009 à 18,9 milliards d’euros.
Notre débat d’aujourd’hui intervient dans un contexte dont le moins que l’on puisse dire est qu’il est particulier.
En premier lieu, c’est notre pays qui a conduit la procédure budgétaire communautaire 2009 et je crois que nous pouvons nous féliciter du travail de la présidence française en la matière.
Le compromis proposé par notre pays lors de la première lecture au Conseil le 17 juillet dernier, c'est-à-dire tout au début de notre présidence, a recueilli l’unanimité des États membres. Une unanimité acquise dès le Coreper, le comité des représentants permanents, est, à ce stade de la procédure budgétaire communautaire, un fait largement inédit qu’il faut souligner.
Je sais que la qualité de la dépense communautaire a constitué une préoccupation permanente pour la présidence française. Je forme le vœu qu’elle continue de l’être à l’avenir, en particulier à un moment où les réflexions sur la clause de réexamen des perspectives financières devraient s’approfondir.
Cet exercice important doit constituer pour notre pays l’occasion de rappeler quelques grands principes.
Le renforcement de la discipline budgétaire, la priorité accordée au caractère sélectif et complémentaire du budget communautaire, l’amélioration de l’exécution du budget, la réforme de la gouvernance de l’Union européenne ou encore le développement du contrôle et de l’évaluation sont autant de sujets sur lesquels nous devrons tôt ou tard revenir.
En second lieu, au-delà des questions de procédure, notre débat intervient dans un contexte marqué par des crises profondes, auxquelles la présidence française a fait face avec promptitude : la guerre entre la Russie et la Géorgie au mois d’août et la crise financière à l’automne avec ses conséquences sur l’économie réelle.
Cette situation nous oblige à réfléchir sur la nature même du budget communautaire. Je crois que l’on ne peut pas attendre du budget communautaire ce qu’il ne peut pas donner !
Le budget de l’Union européenne est soumis – on peut le regretter, mais c’est ainsi – à de très fortes contraintes.
Ce budget doit obligatoirement être voté en équilibre.
Le recours à l’emprunt pour financer d’éventuels déficits n’est pas possible, et c’est d’ailleurs heureux.
De surcroît, le budget de l’Union européenne s’inscrit dans un cadre financier pluriannuel négocié entre les États membres donnant lieu à la conclusion d’un accord interinstitutionnel, qui prévoit notamment des plafonds annuels de dépenses.
Certes, la principale contrainte qui s’impose au budget communautaire est son montant limité, mais on voit que ce n’est pas la seule.
Sans doute l’accord interinstitutionnel de 2006 comporte-t-il des dispositions pour faire face aux imprévus. Il prévoit ainsi des modalités de révision des perspectives financières, mais celles-ci sont étroitement encadrées.
Par exemple, une révision du cadre financier entraînant une modification au-delà de 0,03 % du revenu national brut communautaire ne peut être adoptée par le Conseil qu’à l’unanimité.
De même, le relèvement du plafond d’une rubrique de dépenses est généralement compensé par la réduction du plafond d’une autre rubrique. C’est d’ailleurs le mécanisme qui a été retenu, l’année dernière, pour la révision des perspectives financières afin de financer le système européen de navigation par satellite Galileo.
L’accord interinstitutionnel a également mis en place des instruments financiers qui peuvent être mobilisés en cas d’urgence ou pour faire face à des besoins budgétaires imprévus, tels que le fonds de solidarité ou le fonds européen d’ajustement à la mondialisation.
Toutefois, ces éléments d’assouplissement connaissent des limites tenant à la fois aux conditions de mise en œuvre de ces instruments et à la modicité relative du montant des crédits qu’ils permettent de mobiliser.
Il faut donc toujours avoir à l’esprit que le budget communautaire ne peut constituer l’outil principal d’une politique de relance. Il n’a d’ailleurs jamais été conçu dans cet objectif.
De surcroît, il est trop réduit pour ne pas être lié aux budgets nationaux. La modestie de son montant ne lui permet pas d’avoir un impact significatif sans appui national. Il doit donc chercher à capitaliser sur des politiques conduites dans les États membres, par exemple en jouant un rôle d’incitation.
On peut regretter cet état de fait, mais je crois qu’il s’agit d’une donnée objective, constitutive de la nature même du budget de l’Union européenne.
La Commission européenne, après le sommet du G20 à Washington, doit présenter aujourd’hui même ses propositions en réponse à la crise économique, ce que d’aucuns ont vu comme un « plan de relance européen ». Mais, ne nous y trompons pas, ce plan ne peut être que la conjonction d’une impulsion européenne et d’actions nationales qui en constituent l’essentiel.
Ce qui importe est d’assurer la coordination de différents plans de relance nationaux et de veiller à la complémentarité entre l’échelon national et l’échelon communautaire.
Le budget communautaire doit permettre d’accroître la valeur ajoutée européenne.
Si le budget européen ne peut être un instrument de politique conjoncturelle, il n’en joue pas moins un rôle structurant sur le moyen terme et ce rôle est particulièrement utile dans une période de crise comme celle que nous traversons actuellement.
Je pense en particulier aux politiques de compétitivité qui participent à l’atteinte des objectifs de la stratégie de Lisbonne, mais c’est aussi le cas des fonds structurels, qui ont pour principale vocation de renforcer la cohésion économique et sociale au sein de l’Union européenne, en réduisant les disparités de développement entre les États membres.
Dans un contexte particulièrement morose et incertain, les dépenses portées par le budget communautaire doivent permettre de préparer l’avenir.
Je terminerai en souhaitant que le budget communautaire pour 2009 soit le dernier à être adopté selon la procédure en vigueur. Je forme le vœu que l’année prochaine nous débattions de la contribution de la France à un budget communautaire pour 2010 préparé sur la base des dispositions du traité de Lisbonne, qui, dans le domaine budgétaire comme dans d’autres, comporte des avancées notables. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste, ainsi que sur les travées socialistes.)