M. Roland du Luart, rapporteur spécial. Il peut atteindre 200 % !
M. Alain Anziani. Madame le garde des sceaux, votre obsession répressive vous conduit à remplir des prisons sans prévoir la création des places supplémentaires nécessaires, avec comme conséquences mécaniques une dégradation des conditions de vie des détenus, voire, pour les plus fragiles d’entre eux, des suicides. Les chances de réinsertion des autres sont compromises, et le risque de récidive augmente.
Le projet de budget de la mission « Justice » ainsi que le futur projet de loi pénitentiaire n’apportent pas les réponses que nous attendrions.
Une réforme pénitentiaire d’ampleur est indispensable – le groupe socialiste à l’Assemblée nationale a d’ailleurs déposé une proposition de loi en ce sens –, et elle doit se fonder sur le sens de la peine, sur son contenu et sur sa mise en œuvre. Mais quel peut être le sens de la peine lorsque la prison devient un lieu d’injustice, voire l’école du crime ? Quelle est l’efficacité de la politique pénale lorsque l’homme qui retrouve sa liberté est détruit ou parfois rempli de haine par ses conditions de détention et, finalement, encouragé à la récidive ?
Le projet de loi pénitentiaire que vous nous présenterez prochainement ne va ni dans le sens de la réhabilitation ni dans celui de la réinsertion. Vous vous limitez à une gestion du flux par le jeu des peines alternatives ou des aménagements de peine.
Certes, vous améliorerez les statistiques, évitant peut-être ainsi une nouvelle condamnation de notre pays. Mais notre société ne disposera pas encore d’une politique pénitentiaire ambitieuse et humaine.
D’autres voies, notamment en faveur des plus fragiles, peuvent être explorées. C’est notamment le cas du suivi psychiatrique des détenus.
Là encore, comment ne pas noter que 30 % des détenus souffrent de troubles mentaux, et 15 % de pathologies lourdes ?
L’un des responsables de la section française de l’Observatoire international des prisons affirmait récemment ceci : « Les suicides au mitard de détenus ayant des troubles psychiatriques sont fréquents. » D’ailleurs, la France a récemment été condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme sur ce sujet, dans un arrêt « Renolde contre France » du 16 octobre 2008, avec des considérations très sévères pour notre pays.
Madame le garde des sceaux, mes chers collègues, il s’agit là d’avertissements importants qui doivent nous inciter à envisager des créations de places d’internement psychiatrique adaptées. Nous devons faire en sorte que notre politique pénitentiaire à l’égard des plus fragiles, notamment les psychotiques, ne mette pas en place des « mouroirs psychiatriques ».
Voilà quelques années, Michel Foucault avait dénoncé la confusion qui était déjà entretenue entre folie et criminalité. Il est temps aujourd'hui de trouver des solutions.
Je terminerai en saluant le courage de notre collègue Jean-René Lecerf, qui avait déposé devant la commission des lois un amendement tendant à instituer un revenu minimum carcéral. Il s’agit là d’un projet d’autant plus courageux qu’il est peu susceptible d’apporter à ses promoteurs des gains de popularité ou des suffrages. Malheureusement, cet amendement a été retiré en commission.
Le Gouvernement nous a apporté des assurances à cet égard. J’espère qu’il tiendra ses engagements et qu’il n’invoquera pas l’irrecevabilité financière prévue par l’article 40 de la Constitution lorsque le Parlement sera de nouveau saisi d’une telle proposition. Encore une fois, cette idée ne procurera aucun bénéfice électoral à ses auteurs, mais elle traduit la vision que nous avons de notre pays et de notre mandat.
En tout état de cause, madame le garde des sceaux, pour les raisons que j’ai indiquées, le groupe socialiste votera contre le projet de budget de la mission « Justice ». (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à Mme Virginie Klès.
Mme Virginie Klès. Madame le garde des sceaux, de mon point de vue, le projet de budget de la mission « Justice » est décevant à plusieurs titres, et ce malgré l’autosatisfaction affichée par vous-même et par votre majorité en raison de l’augmentation globale des crédits de paiement de 2,6 % et de la création de 952 emplois.
Mes critiques envers vos orientations budgétaires sont nombreuses, justifiées et argumentées, même si je n’espère malheureusement pas vous convaincre.
Tout d’abord, je tiens à rappeler un élément. C’est bien le Conseil de l’Europe, et non l’opposition parlementaire française, qui a classé la France au trente-cinquième rang des quarante-trois pays membres en matière de budget annuel de la justice par habitant. À mon sens, notre retard en ce domaine est inadmissible pour un pays qui se présente comme la patrie des droits de l’homme.
Or, loin de commencer à combler un tel retard, le projet de budget qui nous est aujourd'hui présenté permettra à peine de faire face à l’aggravation de la surpopulation carcérale et de financer les objectifs du Gouvernement en termes de construction de places supplémentaires « à confort amélioré ».
Pourtant, alors que vous êtes aujourd’hui aux responsabilités, il devrait vous revenir d’agir pour remédier à cette situation de surpopulation carcérale, pour améliorer notre classement et pour présenter un budget cohérent, efficace et ambitieux. Or la lecture de votre projet semble montrer que vous n’empruntez pas la meilleure voie pour y parvenir.
À titre d’illustration, je voudrais insister sur deux exemples.
D’une part, les moyens et les ambitions affichés en matière de protection judiciaire de la jeunesse, la PJJ, affichent un affaiblissement dangereux des mesures éducatives en faveur de la prévention de la primo-délinquance et de la lutte contre la récidive.
D’autre part – je m’exprime en tant qu’élue locale soucieuse de l’exercice de la justice sur l’ensemble du territoire avec une efficacité accrue, de mutualisations cohérentes et de dépenses maîtrisées –, je trouve inquiétant le coût de la réforme de la carte judiciaire qui est aujourd'hui annoncé. Cela a d’ailleurs été évoqué. Et je n’aborderai même pas les fortes réticences qui sont exprimées par des élus de toutes tendances politiques, y compris au sein de la majorité parlementaire, quant au fonctionnement et à l’organisation territoriale imposés.
Madame le garde des sceaux, en ce qui concerne la protection judiciaire de la jeunesse, votre projet de budget ne déroge pas à la tradition établie par le gouvernement précédent et perpétuée par vous l’an dernier.
En effet, le financement des mesures rééducatives et des actions en milieux ouverts pâtit de la priorité accordée au problème des mineurs délinquants, auquel vous apportez d’ailleurs seulement des réponses strictement pénales. Ce dernier volet perçoit ainsi environ 60 % des crédits, contre moins de 20 % pour l’aide aux mineurs ou aux jeunes majeurs en danger.
La protection judiciaire de la jeunesse connaît un net recentrage de ses activités. Les crédits alloués à l’action « Mise en œuvre des mesures judiciaires : mineurs délinquants » augmentent de 20 %. Parallèlement, les moyens attribués à l’action « Mise en œuvre des mesures judiciaires : mineurs en danger et jeunes majeurs » baissent de 40 %, soit une diminution de 96 millions d’euros. L’écart entre ces deux volets est déjà suffisamment flagrant. Mais il ne cesse de se creuser. L’an dernier, ces deux actions bénéficiaient respectivement de 50 % et de 30 % des crédits.
Le Gouvernement justifie de telles orientations budgétaires par l’évolution de la délinquance des mineurs, en s’appuyant sur des chiffres contestables et contestés.
Madame le garde des sceaux, je ne sais pas de quelles sources vous disposez pour affirmer que les mineurs délinquants sont toujours plus nombreux, plus jeunes et plus violents. Pour ma part, j’ai consulté les statistiques de la police et de la justice, et je n’ai pas fait les mêmes constats.
Selon ces chiffres, la part des mineurs dans l’ensemble des personnes mises en cause par la police et la gendarmerie est passée de 22 %, maximum atteint en 1998, à 18 % en 2007.
En outre, et contrairement à ce que vous affirmez, la répartition des condamnations prononcées par la justice selon les classes d’âge, c'est-à-dire les jeunes âgés de treize à seize ans, les mineurs âgés de seize à dix-huit ans et les adultes, est parfaitement stable.
Enfin, parmi les 203 700 adolescents mis en cause par la police, qui ne représentent que 5 % de l’ensemble de la population mineure française, seulement 1,3 % était impliqué dans des actes criminels.
Madame le garde des sceaux, vous avez à juste titre invoqué devant l’Assemblée nationale les difficultés de la gestion d’une politique pénale face à l’opinion publique.
Certes, il est difficile de lutter contre l’émotion télévisuelle. Mais c’est précisément là un piège dans lequel nous devons nous garder de tomber. Le devoir des politiques n’est-il pas justement de ramener chaque dossier, chaque question, chaque problème à ses justes proportions et de ne pas se laisser entraîner vers la dérive de la gestion émotionnelle du fait divers ? Cette forme de gestion est affective et subjective, surtout lorsqu’il s’agit de victimes et d’auteurs d’actes de délinquance qui sont des enfants et des adolescents, c'est-à-dire des adultes en devenir.
Alors, soyons précis et soucieux des chiffres que nous affichons. Posons les problèmes tels qu’ils sont et non tels que les techniques de communicants en tout genre nous suggèrent de les commenter.
Le désengagement de l’État de la protection judiciaire de la jeunesse en général – les crédits baissent de 4,2 % –, et de ses missions civiles en particulier, me semble inquiétant. La circulaire d’orientation budgétaire de rentrée de l’administration centrale de la PJJ impose ainsi le positionnement de ses services exclusivement au pénal.
À terme, le projet de budget qui nous est présenté renvoie aux collectivités territoriales, sans nulle précision chiffrée, toutes les mesures relevant des secteurs civil, éducatif, de la santé ou de l’insertion sociale. Voilà qui est préoccupant.
Bien évidemment, en tant qu’élue locale, je m’alarme du nouveau transfert prévisible par l’État de ses responsabilités financières vers les collectivités territoriales dans le cadre de la nouvelle prise en charge de la protection des mineurs en danger.
Les charges pesant sur les collectivités locales doivent-elles encore s’accroître au moment où leur budget est obéré par l’aggravation de leurs dépenses sociales obligatoires, qui sont encore appelées à augmenter à l’avenir, compte tenu de la situation économique ?
Comme nous sommes nombreux à le ressentir, pour le Gouvernement, en particulier pour votre ministère, le primat de l’éducatif sur le répressif n’est plus qu’un lointain souvenir ! Pourtant, Victor Hugo proclamait autrefois ceci : « Ouvrez une école, vous fermerez une prison ! »
Loin de toute considération angélique, je m’interroge et vous interroge, madame le garde des sceaux. Où sont envisagées, chiffrées et budgétées les nécessaires coopérations, synergies ou mutualisations entre la PJJ, l’éducation nationale, la santé, la cohésion sociale et la réduction de la pauvreté ? Cela me semble pourtant indispensable à la cohérence, la rationalisation et l’efficacité de la dépense publique en la matière.
Où en sont les grands « plans banlieues » et autres dispositifs de prévention de la délinquance annoncés par le gouvernement auquel vous appartenez à grands renforts d’effets de manche, de budgets gelés sitôt votés et de coopérations interministérielles fantômes, dont nous attendons toujours l’embryon d’un début de mise en place ? Qu’en est-il des dizaines de milliers de places promises dans les dispositifs dits de « deuxième chance » ? Je pense aux écoles de la deuxième chance, aux centres ouverts de l’Établissement public d’insertion de la Défense, aux cadets de la police ou au service civil volontaire dans les associations ou collectivités locales.
Quels sont les liens, fonctionnels, organisationnels et budgétaires entre la justice, la PJJ, et ces dispositifs vers lesquels des milliers de jeunes pourraient être adressés avec une réelle chance d’insertion familiale, sociale et professionnelle, si seulement le Gouvernement respectait ses engagements ? Je tiens à le souligner, cela aurait un coût d’encadrement moindre que dans les centres fermés, dont le Gouvernement prône pourtant le seul développement. À cet égard, compte tenu de la diversité des parcours des jeunes qui y sont envoyés, la nécessité de tels centres reste encore à prouver, y compris aux yeux des professionnels y travaillant. Pour ma part, j’ai la conviction intime et profonde qu’il s’agit d’orientations vouées à l’échec. C’est même une spirale ascendante de dépenses injustifiées, au regard de la réalité de la délinquance des mineurs, de ses causes, qui ne seront en aucun cas traitées efficacement avec les seules mesures affichées.
Notre exigence de cohérence et de vision durable du budget de la justice est également nécessaire à l’organisation territoriale. J’en viens donc au deuxième point que je souhaitais aborder : la gestion immobilière de la réforme de la carte judiciaire.
Je ne reviendrai pas sur les chiffres qui ont été mentionnés par mon collègue Jean-Pierre Sueur.
Mais, madame le garde des sceaux, le coût global et le plan de financement prévus pour les investissements immobiliers induits par la réforme de la carte judiciaire viennent gravement compromettre les possibilités d’une politique judiciaire ambitieuse. D’ailleurs, en matière de délai de traitement des dossiers et de coût de revient, l’efficacité de cette démarche ne sera pas, me semble-t-il, au rendez-vous sans une réflexion approfondie et concertée sur la répartition des charges entre les tribunaux. Encore une fois, il y va de l’efficacité de la dépense publique.
Madame le garde des sceaux, vous avez répété à l’envi que vous n’improvisiez rien en matière de réformes et que plus de dix textes ont été publiés depuis votre arrivée à la Chancellerie.
Hélas ! un tel empilement de textes, conjugué à votre projet de budget, provoque une désorganisation massive de l’institution judiciaire et assombrit son avenir et ses rapports avec nos concitoyens.
Au-delà des chiffres, en apparence globalement en hausse, il faut se plonger dans les détails, car c’est là que se nichent souvent les failles. Or, pour 2009, elles sont nombreuses.
Une réforme vraiment utile de notre justice exigerait des moyens qui sont absents dans ce projet de budget. C’est pourquoi nous ne le voterons pas. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Rachida Dati, garde des sceaux, ministre de la justice. Tout d’abord, je souhaite répondre à la question qui m’a été posée par M. Sueur – cela me donnera également l’occasion de répondre à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat – sur l’interpellation de M. Vittorio de Filippis.
Dans un souci de clarté et de précision, je voudrais vous rappeler quelle a été la procédure suivie.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous êtes, comme moi, attachés au principe d’indépendance de la justice. En l’occurrence, dans cette affaire, il s’agit d’une constitution de partie civile auprès du doyen des juges d’instruction, donc d’une initiative tout à fait indépendante du parquet ou du garde des sceaux.
Dans cette affaire, il y a une personne qui est mise en cause. À trois reprises, on lui envoie une convocation. Elle ne défère pas aux convocations à trois reprises. Le juge d’instruction, en toute indépendance – et je suis attachée, tout comme vous, madame Borvo Cohen-Seat, à l’indépendance de la justice – délivre un mandat d’amener, ce qui est tout à fait possible dans le cadre des procédures.
C’est une procédure qui s’applique à tous nos concitoyens : lorsqu’une personne ne défère pas aux convocations d’un juge, ce dernier a la possibilité d’émettre un mandat d’amener à son encontre.
Je rappelle que, depuis la loi du 15 juin 2000, votée sous un gouvernement socialiste, la notification de la mise en examen ne peut plus se faire par voie postale comme c’était le cas auparavant. Cette disposition vise à préserver la présomption d’innocence en permettant à la partie mise en cause de s’expliquer. Il est donc de l’intérêt de cette dernière de déférer aux convocations.
Lorsqu’un citoyen ne défère pas aux convocations, on lui envoie un mandat d’amener. Cela ne veut pas dire qu’il est coupable. Il s’agit aussi de le protéger et de préserver ses droits. Il doit pouvoir venir s’expliquer.
Lorsque le mandat d’amener est délivré, la police va chercher cette personne. Il n’y a pas de procédure de garde à vue. La personne est directement dirigée au commissariat et emmenée au tribunal de grande instance de Paris.
M. Jean-Pierre Sueur. Où on la traite de « pire que la racaille » !
M. Jean-Pierre Sueur. C’est une citation parue dans la presse !
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Monsieur le sénateur, vous m’avez demandé des précisions ; je vous rappelle simplement la procédure. Elle est valable pour tout le monde ! Je le répète, la loi du 15 juin 2000 préserve vos droits, et, si vous ne déférez pas aux convocations, on vous envoie un mandat d’amener avant de vous mettre en examen, s’il y a lieu.
Le juge d’instruction émet son mandat d’amener dans le cadre d’une procédure tout à fait régulière avec des outils juridiques qu’il est parfaitement autorisé par la loi à utiliser.
Sauf à ce que vous vouliez remettre en cause l’indépendance de ce magistrat dans cette affaire, la délivrance du mandat d’amener relève du pouvoir d’appréciation du juge.
Je vous l’ai dit, le parquet de Paris a demandé officiellement la communication de la procédure ce matin même.
S’agissant des journalistes, permettez-moi de vous rappeler deux éléments.
D’une part, le projet de loi relatif à la protection du secret des sources des journalistes répond à l’engagement pris par le Président de la République de consacrer le principe de la liberté d’expression pour les journalistes en renforçant les droits et les garanties dont ils disposent dans l’exercice de leurs fonctions.
D’autre part, le rapport Guinchard que j’ai demandé voilà quelques mois préconise la dépénalisation de la diffamation en matière de presse.
Mme Nathalie Goulet. C’est dommage !
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Par conséquent, la procédure que nous évoquons ne pourra plus être appliquée à un journaliste ou à un directeur de rédaction mis en cause pour diffamation.
Ne mélangez donc pas tout, monsieur le sénateur : les instructions au parquet, l’indépendance, le climat de confiance… J’ai beaucoup trop de respect pour vous pour penser que vous aimez la polémique ou la caricature.
M. Jean-Pierre Sueur. Ce sont deux choses distinctes !
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Le Président de la République a été élu par les Français, notamment pour appliquer une politique pénale. Dès lors, il est normal que le garde des sceaux, en vertu de ses prérogatives statutaires et constitutionnelles, puisse donner au procureur des instructions pour l’application de la politique pénale souhaitée par les Français.
À aucun moment, le Gouvernement n’a donné d’instruction ou n’a remis en cause des décisions de justice prononcées par des juges, lesquels sont indépendants. Et nous tenons à leur indépendance.
S’il existe des cas d’atteinte à l’indépendance des juges, ce serait alors une violation des principes de l’État de droit ; mais il faudrait citer des exemples précis, afin de ne pas en rester à des choses un peu brumeuses et laisser la rumeur enfler.
Nous sommes dans un État de droit, et j’y tiens ; je suis très attachée à l’indépendance de la justice, car elle garantit l’application de la même justice pour tous sur le territoire.
Par conséquent, je le répète, jamais le Gouvernement ni moi-même n’avons porté atteinte en aucune manière à l’indépendance des magistrats, à laquelle nous sommes très attachés.
J’espère avoir répondu précisément sur la procédure et sur ses effets.
J’en reviens à présent à la présentation du budget du ministère de la justice.
Pour la deuxième année consécutive, comme vous l’avez rappelé, monsieur le rapporteur spécial, la justice est une priorité du Gouvernement.
Dans un contexte économique difficile, c’est un budget ambitieux qui tient compte de la « vigilance financière » défendue notamment par le rapporteur général, M. Philippe Marini.
En 2009, les crédits du ministère de la justice progressent de 177 millions d’euros pour atteindre 6,66 milliards d’euros, soit une augmentation de 2,65 %.
La justice pourra financer un millier d’emplois supplémentaires, 952 très exactement. D’ailleurs, je le rappelle, le ministère de la justice est le seul à bénéficier de créations d’emplois,…
M. Roland du Luart, rapporteur spécial. C’est exact !
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. …puisque, dans l’ensemble des services de l’État, 30 600 départs à la retraite ne seront pas remplacés.
Cet effort budgétaire s’accompagne d’une profonde réforme de la justice. C’était une véritable attente des Français, parce que, pendant trop longtemps, on a considéré qu’un service public qui fonctionnait avait besoin de toujours plus de moyens.
La réalité a montré que ce n’est pas forcément avec plus de moyens que l’on apporte plus de protection aux Français. C’est d’abord en modernisant la justice et en l’adaptant aux enjeux de notre société. C’est ce que nous faisons depuis dix-neuf mois.
En adoptant le projet de budget pour 2009 du ministère de la justice, vous permettrez à notre justice de mieux remplir ses missions essentielles : protéger, sanctionner et, également, être au service de nos concitoyens.
Nous avons déjà fait beaucoup pour que les victimes retrouvent leurs droits et leur dignité.
D’abord, le juge des victimes a été créé le 1er janvier dernier. Il enregistre aujourd’hui plus de trois cents saisines.
Ensuite, le service d’aide au recouvrement des victimes d’infractions est opérationnel depuis le 1er octobre dernier. Force est de constater que 72 000 victimes qui se voient allouer des dommages et intérêts ne sont pas prises en compte par la commission d’indemnisation des victimes d’infractions. Elles doivent effectuer elles-mêmes les démarches. Nous considérons qu’il n’est pas normal qu’une victime qui a été restaurée dans sa dignité et ses droits ait encore des démarches à accomplir pour obtenir une totale réparation. Ce n’est pas notre conception de la justice.
En 2009, les crédits d’aide aux victimes s’établiront à 11 millions d’euros, soit une progression de 15,8 % par rapport à 2007.
Nous réformerons l’aide juridictionnelle, comme il nous l’a été demandé, pour qu’elle réponde mieux aux besoins des justiciables les plus modestes. La réforme prendra en compte les propositions formulées par la commission des finances, sur l’initiative du rapporteur spécial, Roland du Luart, mais également par la commission Darrois.
En réponse à M. Sueur, j’indique que, en 2009, dix points d’accès au droit seront ouverts dans les quartiers les plus en difficulté. La justice agit également pour l’égalité des chances. Nous avons ouvert dans toutes les écoles du ministère de la justice des classes préparatoires intégrées, destinées à aider les étudiants les plus modestes ou socialement défavorisés, n’ayant pas démérité sur le plan scolaire ou universitaire, à se présenter aux concours.
La protection, c’est aussi une prise en charge plus digne des détenus.
Nous avons mis en place une politique pénitentiaire extrêmement ambitieuse.
Elle passe par des conditions de détention améliorées. C’est ce que nous faisons en construisant des prisons modernes. En 2008, nous avons ouvert huit établissements pénitentiaires, dont trois pour les mineurs. Le 20 novembre dernier, j’ai inauguré le centre pénitentiaire de Mont-de-Marsan. C’est un établissement pénitentiaire d’une nouvelle génération qui porte un regard neuf sur la détention.
En 2009, sept établissements ouvriront, dont celui du Mans. Monsieur le rapporteur spécial, je vous précise qu’ils représenteront 5 130 places neuves. Elles permettront d’améliorer les conditions de travail des personnels et les conditions de vie des détenus.
Monsieur Béteille, tout comme vous, je souhaite que le calendrier des ouvertures soit respecté. Je veux vous rassurer, il l’est à ce jour. C’est l’un des grands avantages du partenariat public-privé que nous avons lancé voilà près d’un an. Les entreprises sont incitées à livrer en avance et sans défaut, ce qui est un grand progrès.
L’administration pénitentiaire sera donc renforcée par 1 087 agents, dont 917 surveillants.
La politique pénitentiaire a aussi des effets contre la récidive à travers les actions qui favorisent la réinsertion des détenus.
C’est le sens de la dynamique donnée à la politique d’aménagement des peines : 2 000 peines aménagées en moyenne par an entre 2002 et 2007, plus de 6 000 aujourd’hui.
Les efforts se poursuivront en 2009. Il est prévu de créer 500 emplois de conseillers d’insertion et de probation d’ici à 2012, dont 170 en 2009.
En 2009 également, 2 500 bracelets électroniques seront mis en service, ce qui portera leur nombre à 6 500. En 2012, il y en aura 12 000 au total.
Avec les 63 000 places disponibles en détention, nous nous donnons les moyens d’en finir avec le problème de la surpopulation carcérale. Monsieur Anziani, c’est le premier élément pour améliorer la situation des prisons françaises.
Je rappelle que, entre 1997 et 2002, 4 % des places de prison ont été fermées sans compensation en termes de mesures alternatives à l’incarcération. Dans la même période, nous avons assisté à une augmentation sans précédent de la délinquance.
Le projet de loi pénitentiaire que nous présenterons à la commission des lois le 10 décembre renforcera encore la dignité des personnes détenues.
Je souhaite également rassurer à cet égard M. Lecerf. Le Parlement aura toute sa place dans l’élaboration de cette loi qui est attendue depuis très longtemps, comme vous l’avez dit, et nous discuterons notamment de la réinsertion des détenus. Le Gouvernement considère que cette réinsertion passe d’abord par l’activité professionnelle.
Madame Escoffier, vous avez évoqué des pistes intéressantes en matière d’aménagement des peines. Comme vous, le Gouvernement souhaite qu’il n’y ait plus de sorties sèches, car c’est le meilleur moyen de prévenir la récidive. C’est l’objet de toute une série de mesures au sein du projet de loi pénitentiaire qui vise, comme vous le souhaitez, à développer l’usage du bracelet électronique.
M. Roland du Luart, rapporteur spécial. C’est nécessaire !
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Je souhaite que nous puissions en discuter lors de l’examen de ce texte.
Monsieur Lecerf, vous avez évoqué la question de la formation professionnelle des détenus. C’est un sujet que nous avons régulièrement évoqué. Il est vrai que notre indicateur est stable. Cependant, compte tenu de l’évolution de la population carcérale, l’administration pénitentiaire devra renforcer l’incitation à cette formation professionnelle. Pour aller au-delà, il faudra en changer les modalités. C’est pour cette raison que le Gouvernement propose d’expérimenter la formation professionnelle de manière plus incitative avec les régions.
De la même manière, selon l’indicateur dont nous disposons, le nombre de personnes ayant une activité rémunérée augmente. En 2008, 40,8 % des détenus exerçant une activité rémunérée, contre moins de 35 % l’année précédente. En 2009, notre objectif sera de 41,5 %.
La deuxième mission de la justice est de sanctionner ceux qui ne respectent pas la loi. Je considère que la première des libertés est de pouvoir vivre en sécurité ; il s’agit non pas d’avoir une position sécuritaire, mais simplement de protéger nos concitoyens.
C’est l’objet de la loi du 10 août 2007 : plus de 16 000 récidivistes ont déjà été condamnés, dont 50 % à des peines plancher.
La loi est claire : elle est applicable aux récidivistes. Nous n’admettons pas que des multirécidivistes n’aient aucune sanction et à aucun moment.
Madame Borvo Cohen-Seat, contrairement à ce que vous indiquez, les résultats se font sentir sur le terrain, puisque, en un an, la délinquance générale a diminué de près de 5 %, les atteintes aux biens ont baissé de 7 %, et le nombre d’agressions contre les personnes enregistre une stabilisation, après une baisse constante – pour la première fois depuis 1995 – entre mars et septembre 2008.
Contrairement à ce que vous indiquiez, madame le sénateur, l’indépendance des juges n’a pas été restreinte. Vous semblez considérer que les parquets ne devraient pas faire appel lorsque des décisions prises ne sont pas conformes à leurs réquisitions. Pour avoir été magistrat, je peux vous dire que les décisions rendues ne sont pas toujours conformes aux réquisitions du procureur, auquel cas le parquet, avec un pouvoir d’appréciation, peut faire appel. Ce sont des voies de recours parfaitement légitimes dans un État de droit. Tout le monde pourrait faire appel, sauf le parquet ?