Mme la présidente. La parole est à M. François Fortassin, pour explication de vote.
M. François Fortassin. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le problème n’est pas de savoir si ce texte est irrecevable d’un point de vue constitutionnel.
En réalité, ce projet de loi souffre d’un certain nombre de vices inacceptables à mes yeux, en particulier son absence de cohérence.
Je prendrai un exemple tout à fait éclairant
De 1880 à 2000, le département que je représente s’est régulièrement dépeuplé. Depuis l’an 2000, il a gagné 10 000 habitants.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. On en tient compte !
M. François Fortassin. En 1986, ce qui n’est pas si ancien, le nombre de nos députés est passé, du fait de la proportionnelle, de deux à trois. Lorsque la droite est revenue au pouvoir, elle a considéré qu’il fallait rétablir le scrutin majoritaire. Mais le fait que nous ayons trois députés a été en quelque sorte entériné et nous les avons conservés. Comment, dans ces conditions, expliquer aujourd’hui sur le terrain que le département va perdre un député alors que la population a augmenté ? Après tout, 1986 n’est pas si loin !
J’ajoute que vous allez fabriquer des députés et des sénateurs de seconde zone.
M. Jean-Pierre Fourcade. Disons « au rabais » ! (Sourires sur les travées de l’UMP.)
M. François Fortassin. Une fois désignés comme suppléants, ils deviendront députés ou sénateurs lorsque le titulaire du siège sera nommé ministre. Mais ils ne sauront pas pendant combien de temps ils seront appelés à siéger ! Un mois ? Six mois ? Un an ? Deux ans ? Etc.
M. Patrice Gélard, rapporteur. C’est la Constitution !
M. François Fortassin. Quel peut-être l’état d’esprit de ces suppléants, qui seront en quelque sorte des travailleurs temporaires, ne bénéficiant de surcroît d’aucune garantie quant au temps d’embauche ! (Murmures d’approbation sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
MM. Jean-Pierre Michel et Guy Fischer. Ce seront des CDD ! (Sourires sur les mêmes travées.)
Mme Alima Boumediene-Thiery. Et même plutôt des intérimaires !
M. François Fortassin. Effectivement, et c’est inacceptable !
Par ailleurs, comme je l’ai dit ce matin, ce débat est totalement dénué de sens puisque vous nous avez annoncé que, quoi que nous fassions, vous voteriez le texte conforme !
M. Patrice Gélard, rapporteur. Nous n’avons pas dit ça !
M. François Fortassin. Que l’on adopte une telle attitude par courtoisie républicaine, c’est une chose, mais qu’on l’annonce d’emblée, cela revient à considérer que la Haute Assemblée ne sert à rien ! Cela aussi est inacceptable !
M. Patrice Gélard, rapporteur. Nous n’avons pas dit ça ! C’est ça qui est inacceptable !
M. François Fortassin. Pour ma part, je ne participerai pas à cette mascarade. D’ailleurs, monsieur le secrétaire d’État, chaque fois que nous vous avons interrogé, vos réponses ont été pour le moins embarrassées.
M. Patrice Gélard, rapporteur. Non ! Elles étaient très complètes !
M. François Fortassin. Cet embarras est tellement manifeste, monsieur le rapporteur, que vous vous croyez obligé de voler au secours de M. le secrétaire d’État ! (Sourires.)
M. Patrice Gélard, rapporteur. Il n’a pas besoin de moi !
M. François Fortassin. Alors, n’intervenez pas !
Le fond du problème est que ce débat, qui intéresse les Français, est totalement faussé.
Quant à cette commission censément indépendante, dès lors que son président est choisi par le Président de la République, son indépendance est toute relative !
M. Jean-Pierre Godefroy. C’est le moins que l’on puisse dire !
M. François Fortassin. Cette instance « indépendante » sera en fait complètement sous tutelle ! (Applaudissements sur certaines travées du RDSE ainsi que sur travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Je remercie M. Fortassin de poursuivre la discussion générale !
Nous examinons une motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité au projet de loi organique, texte que vous avez tout à fait le droit de critiquer, monsieur Fortassin. Mais à partir du moment où la Constitution a été modifiée, nous ne faisons qu’appliquer les nouvelles dispositions constitutionnelles.
Vous pouvez répéter que, comme cela avait été proposé sur de nombreuses travées, ...
M. Patrice Gélard, rapporteur. Y compris à l’UMP !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. ... les ministres ne doivent pas revenir au Parlement. J’ai souvent entendu dire, en effet, qu’il était normal que les ministres élus députés soient remplacés, une fois qu’ils ont été nommés au Gouvernement, par leur suppléant. Les termes corrects pour désigner ce suppléant sont d’ailleurs : « remplaçant éventuel ».
Le Sénat s’est simplement interrogé sur l’opportunité d’appliquer cette disposition aux ministres actuellement en poste, au motif que les suppléants qui siègent n’ont pas accepté cette charge de remplaçant d’un député ou d’un sénateur dans la perspective d’un départ prématuré.
Mais le Constituant a tranché. Pour ma part, j’aime bien les exceptions. Votre raisonnement est subtil et ingénieux, mais il ne tient pas !
Monsieur Fortassin, votre intervention était, comme d’habitude, remarquable et pleine de bon sens…
M. Robert del Picchia. Hors sujet !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. … mais la discussion générale est close !
Mme la présidente. Je mets aux voix la motion n° 12, tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.
Je rappelle que l’adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi organique.
En application de l’article 59 du règlement, le scrutin public ordinaire est de droit.
Il va y être procédé dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
(Il est procédé au comptage des votes.)
Mme la présidente. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 57 :
Nombre de votants | 341 |
Nombre de suffrages exprimés | 324 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 163 |
Pour l’adoption | 138 |
Contre | 186 |
Le Sénat n’a pas adopté.
Question préalable
Mme la présidente. Je suis saisie, par Mmes Borvo Cohen-Seat, Mathon-Poinat, Assassi et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, d’une motion n° 13, tendant à opposer la question préalable.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l'article 44, alinéa 3, du Règlement, le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi organique, adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, portant application de l'article 25 de la Constitution (n° 105, 2008-2009).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d’opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à M. Guy Fischer, auteur de la motion.
M. Guy Fischer. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la motion que je défends porte à la fois sur le projet de loi organique et sur le projet de loi ordinaire, les deux étant étroitement liés. Et comme cette motion tend à opposer la question préalable, je soulèverai une interrogation préalable relative au rôle du Parlement.
La révision constitutionnelle que nous avons combattue, et que vous avez fait voter à l’arraché, à une voix près, a été présentée à l’époque par le Gouvernement comme un « très grand progrès » pour la revalorisation du rôle du Parlement. Or, dès qu’il s’agit de la mettre en œuvre, le Gouvernement montre ce qu’il en est réellement.
Le projet de loi organique et le projet de loi ordinaire dont nous débattons aujourd’hui ont été déclarés d’urgence et prévoient le recours aux ordonnances sur des dispositions ayant précisément trait au fonctionnement du Parlement.
Bel exemple de revalorisation du rôle du Parlement !
Un projet de loi organique portant sur « les pouvoirs, les droits du Parlement et les nouveaux modes de travail entre le Gouvernement et le Parlement » a été présenté hier en conseil des ministres, alors que les groupes de travail qui se réunissent à l’Assemblée nationale et au Sénat sur cette question depuis la rentrée n’ont même pas achevé leur travail de réflexion ! Le président Larcher nous a annoncé que les travaux de notre commission devraient être terminés pour le 14 janvier. (M. le président de la commission des lois le conteste.)
L’Élysée n’a pas jugé utile d’attendre la fin de ces travaux, alors que ce projet prévoit très concrètement de limiter le droit d’amendement des parlementaires. Encore un bel exemple de revalorisation du Parlement !
J’en viens aux textes examinés aujourd’hui. Pour être de « circonstance », ils n’en sont pas moins particulièrement inquiétants. Le projet de loi organique a principalement pour objet de garantir aux membres du Gouvernement qui étaient députés ou sénateurs leur retour automatique à l’Assemblée nationale ou au Sénat après cessation de leurs fonctions gouvernementales.
C’est au nom de l’efficacité que le Gouvernement défend ce système. Aujourd'hui, les parlementaires nommés au Gouvernement sont remplacés par leurs suppléants et, dans l’éventualité où cessent leurs fonctions gouvernementales, ils doivent revenir devant leurs électeurs pour retourner siéger dans leur assemblée d’origine. Je ne vois dans cette procédure que respect vis-à-vis des électeurs, lesquels, par l’exercice de la démocratie, peuvent porter un jugement sur l’action de leur parlementaire devenu ministre.
Votre proposition traduit donc une défiance inopportune à l’égard des électeurs.
Par ailleurs, les électeurs, lors des élections législatives, votent en toute connaissance de cause pour un député et son suppléant. Ils savent que, si leur député démissionne ou devient membre du Gouvernement, c’est son suppléant qui siégera à sa place.
Au-delà de l’atteinte à ce principe démocratique, la nouvelle disposition consacre la présence autour du Président de la République, non pas d’un gouvernement, mais d’un « super-cabinet » composé de ministres sur lesquels il aura tout pouvoir et dont il pourra disposer à sa guise : soit au Gouvernement, dont il est le chef, soit dans la majorité parlementaire, dont il est aussi le chef, soit au parti UMP, dont il est encore le chef.
M. Pierre Fauchon. Et c’est très bien !
M. Guy Fischer. Quel est, dans le système proposé, le sens de la responsabilité du Gouvernement ? Les ministres « renversés » retrouveront-ils automatiquement leur siège de parlementaire ? À notre avis, la motion de censure perd également tout son sens. Elle perd son caractère de sanction d’une politique menée par un gouvernement issu d’une majorité.
Ainsi, les électeurs n’auront pas les moyens de contrôler et de sanctionner l’action du Gouvernement, ce qui est pourtant l’un des fondements de notre démocratie.
Votre réforme pose un autre problème. Elle revient, en fait, au cumul entre une fonction gouvernementale et un mandat parlementaire. Elle est ainsi en totale contradiction avec l’article 23 de la Constitution, qui prévoit précisément l’interdiction du cumul d’une fonction gouvernementale et d’un mandat parlementaire.
En effet, le suppléant, par définition éphémère, sera le représentant direct du parlementaire devenu ministre et appelé à revenir au Parlement dès lors qu’il ne sera plus ministre. Il continuera donc d’être parlementaire pendant qu’il occupera ses fonctions gouvernementales.
Bref, si le projet de loi organique présente l’avantage de l’efficacité, c’est uniquement en faveur de l’hégémonie présidentielle. Le Président de la République aura, à portée de main, des ministres collaborateurs, irresponsables devant le Parlement et les électeurs.
Le petit chassé-croisé de ministres et dirigeants de l’UMP auquel nous assistons aujourd’hui nous conforte dans notre critique. L’expérience nous a prouvé que la démocratie était certes difficile, mais indispensable.
J’ajoute que vouloir appliquer ces dispositions au suppléant devenu député ou sénateur à la faveur de la formation du gouvernement actuel, autrement dit en cours de mandat, n’est pas acceptable. Ils sont parlementaires à part entière en vertu des dispositions en vigueur jusqu’ici. Ils ne pourraient plus l’être que s’ils démissionnaient et si les ministres concernés retournaient devant les électeurs.
J’en viens maintenant au projet de loi ordinaire, qui prévoit la mise en place de la commission chargée de rendre un avis public sur les projets de textes délimitant les circonscriptions pour l’élection des députés ou modifiant la répartition des sièges de députés ou de sénateurs. Il prévoit également d’habiliter le Gouvernement à procéder au redécoupage des circonscriptions électorales par ordonnance.
En réalité, admettez-le, cette commission n’a d’autre raison d’exister que de servir de caution au prochain redécoupage des circonscriptions électorales qui, quoique vous en disiez et quel que soit l’avis de cette commission, sera fait sur mesure ! Peut-être ce redécoupage des circonscriptions interviendra-t-il à un moment où votre réforme des collectivités locales se mettra, elle aussi, en place. Auriez-vous un autre dessein, celui d’avoir des collectivités taillées sur mesure ?
Je trouve cavalier de la part du Gouvernement de nous présenter en même temps, dans le projet de loi ordinaire, un article 1er qui prévoit l’organisation et le fonctionnement de la commission théoriquement saisie des projets de loi et ordonnances relatifs aux circonscriptions électorales et, immédiatement après, un article 2 d’habilitation du Gouvernement à prendre par ordonnance les dispositions de mise à jour de la délimitation des circonscriptions électorales.
C’est cette précipitation qui vous a sans aucun doute conduit, monsieur le secrétaire d'État, à prévoir que la commission devrait être saisie également des projets d’ordonnance. Cela révèle à quel point l’arbitrage sur le prochain découpage des circonscriptions électorales est déjà rendu !
Tout cela est bien hypocrite puisque, le 12 septembre, vous révéliez, monsieur le secrétaire d’État, dans un article paru dans Libération, qu’au total une dizaine de circonscriptions devraient disparaître, dont deux à Paris, deux dans le Nord et le Pas-de-Calais, une dans l’Allier, en Corrèze, la Seine-Maritime et dans le Tarn, entre autres...
Je n’insisterai pas plus sur cette commission, ma collègue Josiane Mathon-Poinat en ayant relevé tous les travers dans la discussion générale.
S’agissant du recours à l’article 38 de la Constitution, vous le savez, le groupe CRC-SPG est historiquement hostile à l’utilisation des ordonnances puisqu’elles permettent au Gouvernement de dessaisir le Parlement de son pouvoir législatif.
Si nous y sommes aussi hostiles, c’est parce que nous considérons que le recours aux ordonnances traduit un profond mépris de l’institution parlementaire. Rappelons-le, cette pratique vise à signer un chèque en blanc au Gouvernement qui, en dehors de toute confrontation pluraliste des différentes propositions, décidera seul du contenu des réformes envisagées.
Et c’est d’autant plus inquiétant que la commission chargée de donner son avis, qui n’est qu’un avis simple, ne sera pas indépendante et, en raison de sa composition, ne garantira en aucun cas le pluralisme.
La banalisation du recours aux ordonnances est dangereuse. Aujourd’hui, le Gouvernement est maître de l’ordre du jour, il dispose de la majorité dans les deux chambres : aucune raison ne justifie le recours aux ordonnances, qui doit, théoriquement, correspondre à une situation d’urgence. Or les prochaines élections législatives n’auront lieu, sauf si le Président de la République en décide autrement, qu’en 2012.
Certes, le redécoupage des circonscriptions électorales est nécessaire : le Conseil constitutionnel l’a rappelé à la suite des élections législatives de 2002, cette recommandation ayant été renouvelée en 2005 et en 2007. Nous avons nous-mêmes souhaité un redécoupage, mais sur des bases démocratiques bien établies par le débat parlementaire.
Par ailleurs, le fait d’avoir inscrit ad vitam aeternam dans la Constitution le nombre de 577 députés, ce contre quoi nous nous sommes prononcés, n’autorise plus aucune souplesse dans l’ajustement du nombre de députés par habitant.
À cela vient s’ajouter la création de sièges de députés élus par les Français de l’étranger. Or la création de ces sièges doit s’insérer dans le plafond des 577 députés. Étant donné qu’il est question de créer une douzaine de sièges de députés – selon M. le secrétaire d’État, ce serait plutôt de sept à neuf –d’autres circonscriptions devront être privées d’un nombre équivalent de sièges.
Enfin, le Gouvernement propose de reprendre les critères traditionnels pour arrêter la nouvelle répartition des sièges de députés, à commencer par la règle assurant à tout département un minimum de deux députés.
Le deuxième critère que le Gouvernement entend conserver est celui de l’attribution automatique d’un siège supplémentaire par tranche de population, désormais fixée à 125 000 habitants. Or cette dernière règle conduira à avoir au plus un député pour 125 000 habitants, contre un pour 108 000 actuellement.
À l’inverse, quelques circonscriptions ultramarines bien définies compteront un nombre beaucoup moins important d’électeurs.
La question de la représentation ne ferait certainement pas l’objet d’aussi vives critiques si le Gouvernement avait accueilli favorablement notre proposition d’élire les députés au scrutin proportionnel, et non plus au scrutin majoritaire, scrutin par ailleurs responsable de la bipolarisation du paysage politique de notre pays.
Ces dispositions vont, hélas, à l’encontre de l’aspiration populaire d’un rapprochement entre les élus et les citoyens.
Pour ces raisons, nous vous invitons, mes chers collègues, à adopter la question préalable. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG.)
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Fauchon, contre la motion.
M. Pierre Fauchon. Je suis, en effet, contre cette motion, et même archi-contre !
J’ai déjà expliqué que je n’étais nullement choqué par cette mesure. L’évolution vers un régime de type présidentiel me paraît aller dans le sens de la clarification de la démocratie, d’une bonne répartition des responsabilités dans la séparation des pouvoirs telle que Montesquieu nous l’a enseignée et d’une meilleure efficacité de l’appareil public.
Une fois de plus, vous voulez à tout prix sacraliser les ministres ! Je l’ai dit et répété, je crois que cela n’a pas de sens dans le contexte actuel et que c’est même profondément faux.
Je vous invite à réfléchir à la signification du mot « ministre ». Comme je ne veux pas être pris pour un donneur de leçon, j’ai pris la précaution de me munir d’un dictionnaire. À la rubrique « Ministre », je lis : « Celui qui est chargé d’une fonction, d’un office, celui qu’on utilise pour l’accomplissement de quelque chose. » Ou encore : « Instrument, serviteur. »
Et voici la citation, qui va vous étonner : « Voilà quelle est, dans l’État, la raison du Gouvernement, confondu mal à propos avec le souverain, dont il n’est que le ministre.» L’auteur ? Jean-Jacques Rousseau. Ça vous dit quelque chose ?
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. Patrice Gélard, rapporteur. La motion tendant à opposer la question préalable déposée par nos collègues du groupe CRC-SPG ne m’étonne pas : je m’y attendais.
Comme la commission l’a reçue aujourd’hui, elle n’a pas eu plus le temps de l’examiner, pas plus qu’elle n’avait eu le loisir de se pencher sur la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité. Néanmoins, je vais donner mon avis personnel, mais il reflétera naturellement les travaux de la commission.
Je tiens, monsieur Fischer, à saluer la cohérence de votre groupe qui, après avoir refusé de voter la révision constitutionnelle en juillet dernier, en conteste maintenant les modalités d’application. Le dépôt de la question préalable est une conséquence de ce précédent vote négatif.
Cela étant, il me revient d’expliquer que les textes dont nous débattons aujourd’hui sont nécessaires. On ne peut pas renvoyer indéfiniment à plus tard la discussion de ce projet de loi organique et du projet de loi ordinaire qui lui est étroitement lié.
Quant à la commission indépendante, on ne va pas encore attendre indéfiniment pour la mettre en place puisqu’elle doit donner son avis sur les projets de loi ou d’ordonnance et les propositions de loi délimitant les circonscriptions ! La loi d’habilitation va permettre de légiférer par voie d’ordonnance en vue de délimiter les circonscriptions : celles-ci seront délimitées par l’ordonnance elle-même, laquelle sera soumise à la commission indépendante.
Cette commission est une avancée, car, pour la première fois, une instance indépendante donnera un avis public sur les projets de redécoupage électoral, et M Fauchon a souligné ce matin tout l’intérêt de sa mise en place au regard de la démocratie.
Le mode de désignation des personnalités qualifiées qui y siégeront donnera en plus l’occasion au Parlement, et à l’opposition en particulier, de s’exprimer le cas échéant sur ces personnalités, voire de repousser leur nomination. Il s’agit, là encore, d’une avancée très importante en termes de transparence et d’indépendance.
Enfin, monsieur Fischer, je ne suis pas du tout d’accord avec vous en ce qui concerne les ordonnances.
J’estime au contraire nécessaire d’y recourir pour un travail aussi complexe que le redécoupage électoral. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle elles ont déjà été utilisées à cette fin dans le passé.
Par ailleurs, les ordonnances ne constituent pas un dessaisissement du Parlement puisque c’est celui-ci qui vote l’habilitation du Gouvernement. Le Parlement a donc la plénitude du choix d’accorder ou non au Gouvernement le droit de légiférer par voie d’ordonnance.
M. Bernard Frimat. Mais non !
M. Patrice Gélard, rapporteur. J’ajoute qu’en application de notre Constitution révisée les ordonnances seront obligatoirement soumises à ratification, étant précisé qu’il devra s’agir d’une ratification expresse, et non plus d’une ratification tacite ou implicite, comme c’était auparavant le cas.
Nous aurons donc, quoi qu’il arrive, un débat sur la ratification de l’ordonnance, et le vote par lequel ce débat se terminera pourra faire l’objet d’un recours devant le Conseil constitutionnel.
Les pouvoirs du Parlement sont donc, au contraire, renforcés par cette procédure dans le cadre de la révision constitutionnelle que nous avons adoptée le 23 juillet dernier.
Enfin, permettez-moi de formuler deux remarques, monsieur Fischer. D’une part, ce n’est pas à une mais à deux voix que la révision constitutionnelle a été adoptée.
M. Alain Gournac. Deux voix !
M. Guy Fischer. D’accord !
M. Patrice Gélard, rapporteur. D’autre part, mais il s’agissait vraisemblablement d’un lapsus, vous avez dit qu’un député démissionnaire était remplacé par son suppléant ; or, en cas de démission d’un député, il y a une élection partielle.
M. Guy Fischer. C’est vrai !
M. Patrice Gélard, rapporteur. En conclusion, n’oublions pas que l’objet de nos travaux présents est d’appliquer le nouvel article 25 de la Constitution, dont l’article 23 n’est, du même coup, plus opérant dans cette affaire.
Pour toutes ces raisons, je suis amené, à titre personnel, je le répète, à émettre un avis défavorable sur la motion tendant à opposer la question préalable.
M. Alain Gournac. Tout à fait défavorable !
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Alain Marleix, secrétaire d'État. Cette motion s’appuie, en particulier, sur la prétendue absence de garanties d’indépendance de la commission constitutionnelle de contrôle ; c’est un sujet dont nous avons longuement débattu dans la discussion générale.
Monsieur Fischer, comme beaucoup de vos collègues sénateurs et députés, je considère qu’il s’agit au contraire d’une avancée démocratique forte, selon la formule employée par plusieurs députés de gauche lors du débat à l’Assemblée nationale, et d’ailleurs reprise ce matin dans cet hémicycle.
Pour ce qui est du recours aux ordonnances de l’article 38, il n’est pas du tout exclu en matière électorale, ainsi que le Conseil constitutionnel lui-même l’a affirmé précisément en 1986, à l’occasion de l’examen de la précédente loi d’habilitation en la matière, qu’il a alors déclarée conforme à la Constitution.
Plus largement, monsieur Fischer, compte tenu des rappels à l’ordre, pour employer l’expression qui convient, du Conseil constitutionnel sur la nécessité d’actualiser la répartition des sièges et la délimitation des circonscriptions aux évolutions de la démographie en fonction des derniers recensements, nous ne pouvons plus attendre !
Si la question préalable que vous avez défendue était adoptée, que répondriez-vous au Conseil constitutionnel, qui a dit qu’il vous fallait modifier le découpage ?
Si la question préalable était adoptée, que répondriez-vous à notre juridiction suprême, qui vous a demandé de le faire « aussitôt après » les élections législatives de 2007, alors que celles-ci ont eu lieu il y a déjà plus de dix-huit mois ?
Si la question préalable était adoptée, que répondriez-vous au juge constitutionnel, qui a affirmé voilà six mois – ce qui démontre d’ailleurs l’absence de toute précipitation de la part du Gouvernement – qu’il était désormais « impératif » de procéder à ce découpage ?
Si la question préalable était adoptée, que répondriez-vous aux citoyens qui sont de plus en plus nombreux à fonder des recours contre les élections des députés, notamment à l’occasion des élections partielles, sur les disparités démographiques affectant les circonscriptions et sur le non-respect de la Constitution, notamment de son article 3 ?
Vous ne pouvez pas prendre le risque de prolonger une « carence » que le Conseil constitutionnel a déplorée en employant à dessein ce mot dans sa réponse à une de ces requêtes.
Vous ne pouvez donc pas attendre, mesdames, messieurs les sénateurs, alors que près de dix ans se sont écoulés depuis le dernier recensement, lequel aurait déjà dû vous conduire à intervenir pour procéder à un redécoupage
C’est la raison pour laquelle je demande au Sénat de rejeter la motion tendant à opposer la question préalable.