M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 109, présenté par M. Ralite, Mme Gonthier-Maurin, MM. Renar, Voguet et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, est ainsi libellé :
Avant l'article 1er, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L'article 4 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 précitée est ainsi rédigé :
« Art. 4. - Le Conseil supérieur de l'audiovisuel comprend onze membres désignés selon la répartition suivante :
« - Cinq parlementaires désignés par les commissions compétentes de l'Assemblée nationale et du Sénat, dans le respect du pluralisme ;
« - Deux membres désignés par le Président de la République. Ces nominations sont faites sur la base de candidatures rendues publiques et sont soumises à la procédure prévue à l'article 13 de la Constitution ;
« - Deux membres sont désignés par le président du Conseil économique, social et environnemental ;
« - Deux membres représentent les syndicats du secteur audiovisuel ;
« Le mode de désignation des quatre derniers membres est fixé par décret.
« Le président est élu par les membres du Conseil pour la durée de ses fonctions en tant que membre du conseil. »
La parole est à Mme Brigitte Gonthier-Maurin.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Cet amendement vise à rendre sa légitimité à l’autorité administrative garante du pluralisme qu’est le CSA.
La présente réforme, que nous appelons de nos vœux depuis des années et que nous n’avons cessé de proposer, est nécessaire, de l’aveu même du Président de la République.
Toutefois, ce dernier prend prétexte du dysfonctionnement de cette autorité pour décider de nommer lui-même le patron de France Télévisions. Puisque le CSA n’est pas indépendant et que la nomination du président de France Télévisions par cette instance est donc « hypocrite », M. Sarkozy propose que lui soit attribuée directement cette prérogative.
L’argument est fabuleux ! Plutôt que de pallier un dysfonctionnement démocratique, le Président prévoit de l’instaurer comme nouvelle règle : puisque cette nomination est déjà le fait indirect du prince, nous dit-il, qu’elle procède désormais directement de lui !
Pour qui est attaché à la démocratie et à la République, il est impensable de se résoudre à un tel sophisme !
Selon nous, si l’autorité de régulation et d’arbitrage n’est pas indépendante, il vaut mieux, plutôt que de la vider plus encore de son sens en lui retirant l’essentiel de ses compétences, la réformer, car la démocratie suppose l’existence de tiers indépendants du pouvoir pour statuer sur les éventuels conflits entre ce dernier et les citoyens.
Or, principalement du fait de sa composition, le CSA n’est effectivement pas indépendant à l’heure actuelle.
Les récentes déclarations dans la presse du président du CSA, M. Boyon, en ont donné une ultime preuve. Son affirmation selon laquelle la suppression du CSA représenterait une garantie d’indépendance supplémentaire pour l’audiovisuel public démontre sans aucun doute, de manière moins cocasse que très inquiétante, sa soumission au bon vouloir du Président.
Pour redonner sa légitimité au CSA, il faut assurer le pluralisme politique et social en son sein et rendre plus transparente la procédure de nomination de ses membres.
À cette fin, nous proposons d’accroître le nombre de parlementaires dans cette instance, pour que résonnent les voix des citoyens téléspectateurs, et de prévoir la présence en son sein de représentants des syndicats du secteur audiovisuel, comme c’est le cas au bureau de la chaîne allemande ZDF.
Nous proposons, en outre, que les désignations faites par le Gouvernement soient soumises à la procédure prévue à l’article 13 de la Constitution.
Sans pluralisme ni transparence, il n’est pas de diversité, chacun en convient. Dans ces conditions, mes chers collègues, soyons conséquents et réformons le CSA !
M. le président. L'amendement n° 294, présenté par MM. Assouline, Bel et Bérit-Débat, Mmes Blandin, Blondin et Bourzai, MM. Boutant, Domeizel et Fichet, Mme Khiari, M. Lagauche, Mme Lepage, M. Sueur, Mme Tasca et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Après l'article 1er A, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I - Les cinq premiers alinéas de l'article 4 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication sont ainsi rédigés :
« Le Conseil supérieur de l'audiovisuel comprend huit membres. Deux sont désignés sur proposition conjointe des groupes appartenant à la majorité de l'Assemblée nationale, deux sur proposition conjointe des groupes n'appartenant pas à la majorité de l'Assemblée nationale. Deux sont désignés sur proposition conjointe des groupes appartenant à la majorité du Sénat, deux sur proposition conjointe des groupes n'appartenant pas à la majorité du Sénat.
« Ils ne peuvent être nommés au-delà de l'âge de soixante-cinq ans.
« Le Conseil supérieur de l'audiovisuel élit son président parmi ses membres. En cas d'empêchement du président, pour quelque cause que ce soit, la présidence est assurée par le membre du conseil le plus âgé.
« Le mandat des membres du conseil est de six ans. Il n'est ni révocable, ni renouvelable. Il n'est pas interrompu par les règles concernant la limite d'âge éventuellement applicable aux intéressés.
« Le conseil est renouvelé complètement tous les six ans. »
II - Le septième alinéa du même code est ainsi rédigé :
« Le Conseil supérieur de l'audiovisuel ne peut délibérer que si six au moins de ses membres sont présents. »
La parole est à M. David Assouline.
M. David Assouline. Le Conseil supérieur de l’audiovisuel a la mission, essentielle dans une société démocratique, de réguler le secteur de la communication audiovisuelle.
À ce titre, le CSA est constitué sous la forme d’une autorité administrative indépendante, qui n’a malheureusement d’indépendante que le mot. D’ailleurs, certains semblent entériner cet état de fait en disant que ce serait une hypocrisie si le CSA continuait à nommer le président de France Télévisions.
Pourtant, aux termes des projets de loi que nous examinons, le CSA sera amené à assumer la responsabilité considérable de donner un avis conforme aux nominations, par le Président de la République, des présidents de France Télévisions, de Radio France et de la société chargée de l’audiovisuel extérieur de la France.
Autrement dit, dépossédés du droit de nommer les responsables de l’audiovisuel public, les membres du CSA pourront s’opposer à la volonté du chef de l’État, c’est-à-dire à l’autorité ayant choisi un tiers d’entre eux, ainsi que leur président.
La preuve est donc établie que la modification du régime de nomination des dirigeants des chaînes publiques ne permet pas de sortir de l’hypocrisie consistant à se satisfaire de la situation actuelle. En réalité, cette réforme institutionnalisera l’hypocrisie, en assujettissant encore un peu plus étroitement les membres du CSA aux désirs des autorités les ayant désignés.
C’est pourquoi il est essentiel d’assurer l’indépendance des membres du CSA en modifiant les conditions de leur nomination.
Cette exigence est d’autant plus importante que nous souhaitons, comme les rapporteurs de la commission, que le CSA, en tant qu’autorité devenue réellement indépendante du Gouvernement, puisse exercer de nouvelles prérogatives, notamment celle d’évaluer objectivement les besoins de financement des sociétés de l’audiovisuel public et les moyens d’y pourvoir, à l’instar de ce que font les Allemands, notamment.
Dès lors, notre proposition a pour objet d’éviter que puisse perdurer la situation actuelle, où la totalité des membres du CSA ont été désignés par trois autorités appartenant à la même famille politique. La droite ne devrait pas se satisfaire de cet état de choses, qui pourrait un jour se retourner contre elle. Il faut donc se garder d’adopter des positions partisanes dans cette affaire et s’efforcer simplement de rechercher ce qui est juste et démocratique.
Or le caractère politiquement monocolore de la composition du collège du CSA sera confirmé par les nouvelles nominations qui interviendront très prochainement, trois des titulaires actuels arrivant en fin de mandat. Autrement dit, la situation présente risque de perdurer !
Il s’agit donc de retirer aux trois autorités actuellement compétentes le pouvoir de nommer les membres du CSA, pour confier cette responsabilité paritairement à la majorité et à l’opposition, dans leur diversité, de l’Assemblée nationale et du Sénat.
Après avoir longuement examiné, je peux vous l’assurer, différentes formules susceptibles d’assurer dans les faits une véritable indépendance à cette autorité, nous n’en avons pas trouvé d’autre qui soit à même de permettre de traverser les alternances et d’être validée sur toutes les travées de cette enceinte.
Quel que soit le gouvernement en place, tout le monde y trouverait son compte et la démocratie y gagnerait.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Michel Thiollière, rapporteur. C’est un vrai sujet qu’évoquent nos collègues par le biais des amendements nos 109 et 294.
La définition des modalités de composition du CSA remontant à 1989, on peut toujours estimer qu’il est temps de la changer.
Cela dit, le CSA, dans sa composition actuelle, a traversé plusieurs alternances, sans que son indépendance ait été à aucun moment remise en question.
Pour autant, comme l’a souligné Catherine Morin-Desailly, nous aurons sans doute à discuter du rapprochement de l’ARCEP et du CSA d’ici à 2012, ce qui nous permettra probablement de déterminer la composition de cette future autorité indépendante.
C'est la raison pour laquelle la commission souhaite aujourd'hui le maintien en l’état de la composition du CSA et est donc défavorable aux deux amendements.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Christine Albanel, ministre. Je m’associe à l’argumentation développée par M. le rapporteur.
Depuis 1989, différentes personnalités, y compris socialistes d’ailleurs – je pense à Jean-Jack Queyranne ou à Jack Lang –, se sont exprimées sur le bien-fondé des modalités de la composition du CSA.
Certes, du fait des réalités de la vie politique, le CSA a une certaine « couleur », mais celle-ci est souvent en fait difficile à déterminer dans la mesure où cette instance est souvent composée de personnalités très diverses.
En tout état de cause, la réforme du CSA n’est pas au cœur de ce projet de loi. Nous aurons l’occasion d’aborder ce sujet à l’occasion de l’éventuel rapprochement des instances de régulation, comme vient de le signaler Michel Thiollière.
M. le président. La parole est à Mme Catherine Tasca, pour explication de vote.
Mme Catherine Tasca. Nous touchons là à un sujet très important, et nous avons déjà déploré que le Gouvernement n’ait pas ouvert le dossier de la composition et des missions du CSA.
Il faudrait faire preuve d’un peu plus de cohérence, alors que l’on nous affirme depuis le 8 janvier 2008 qu’il s’agit de procéder à une véritable révolution, parce que le monde a changé : les techniques, le paysage audiovisuel et les forces économiques ne sont plus les mêmes.
La gauche a créé les premières instances de régulation indépendantes de l’audiovisuel. Notre réflexion chemine depuis maintenant une vingtaine d’années, car avant le CSA, madame la ministre, existait la Haute autorité de la communication audiovisuelle !
Nous avions sans doute adopté par conformisme, à l’époque, un schéma qui régit la nomination des membres du Conseil constitutionnel, les trois plus hautes autorités de l’État, à savoir le Président de la République, le président du Sénat et le président de l’Assemblée nationale, désignant les membres de cette instance.
En ce temps, il semblait à chacun – peut-être était-on alors plus naïf qu’aujourd’hui – qu’un tel mode de nomination suffisait à garantir l’indépendance de l’instance de régulation.
Nous avons vécu avec ce système, qui a fait en partie ses preuves car, comme l’a dit tout à l’heure M. Longuet, on ne peut prétendre découvrir tout à coup que ces instances de régulation ne valent rien et n’ont rien fait !
Il n’empêche que l’autorité de régulation de l’audiovisuel n’a pas acquis la confiance de l’opinion, ni d’ailleurs celle des professionnels du secteur.
En effet, le caractère politique des nominations des membres du CSA est aujourd'hui trop visible, trop éclatant. Les alternances politiques ne sont pas suffisamment fréquentes dans notre pays pour rassurer les Français de ce point de vue.
Nous devons tirer les leçons de cette situation, car l’instance de régulation aura demain à prendre des décisions encore plus lourdes que durant les vingt dernières années. Nous avons donc tout intérêt à renforcer son crédit.
Or nous n’y parviendrons pas en maintenant le statu quo. Je suis très étonnée, madame la ministre, que vous qui défendez avec ardeur l’aspect novateur du projet de loi ne nous proposiez rien d’autre, sur ce point central de la nomination des membres du CSA, que de conserver le système en l’état !
La formule que notre groupe a retenue est tout à fait neuve. Nous pensons que si la révision constitutionnelle doit trouver une traduction dans ce domaine, c’est bien en changeant les rapports entre l’opposition et la majorité ! Nous avons ici l’occasion de procéder à un tel changement en décidant de confier de façon paritaire à l’opposition et à la majorité la responsabilité de la nomination des membres de l’autorité indépendante.
Je vous assure, madame la ministre, que le CSA rencontre à l’heure actuelle, alors qu’il est amené à faire des choix très importants, un très grand problème de crédibilité, du fait du mode de nomination de ses membres, quelle que soit la qualité de ceux-ci.
Ce projet de loi est l’occasion de prendre immédiatement un tournant à cet égard, et d’adopter une formule neuve.
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 294.
(Après une épreuve à main levée déclarée douteuse par le bureau, le Sénat, par assis et levé, n'adopte pas l'amendement.)
Mme Catherine Tasca. C’est une occasion manquée !
M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 110, présenté par M. Ralite, Mme Gonthier-Maurin, MM. Renar, Voguet et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, est ainsi libellé :
Avant l'article 1er, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le Conseil supérieur de l'Audiovisuel veille à ce que les services de radio et télévision respectent, au sein de leurs programmes, la répartition suivante du temps de parole :
- un tiers du temps aux interventions du Président de la République, de ses collaborateurs, et des membres du Gouvernement ;
- deux tiers du temps aux représentants politiques en fonction de leur représentativité aux dernières élections nationales et locales selon des critères fixés par décret.
La parole est à M. Jean-François Voguet.
M. Jean-François Voguet. L’objet de cet amendement est de comptabiliser les interventions audiovisuelles du Président de la République et de ses collaborateurs dans le temps de parole réservé à l’exécutif.
À l’heure où le Président de la République affirme vouloir donner un vrai statut à l’opposition et en promouvoir le rôle démocratique, cette réforme du décompte du temps de parole présidentiel est à nos yeux essentielle.
Plus que par un « hyper-président », notre pays est dirigé, pour reprendre les mots du député Noël Mamère, par un « télé-président » : cette réforme devient donc urgente !
Les chiffres, à ce sujet, sont éloquents : d’après les statistiques du CSA, le temps de parole du Président de la République entre 1989 et 2005 représentait, en moyenne, 7 % du temps global des interventions politiques.
Ces statistiques indiquent que, pour le second semestre de 2007, Nicolas Sarkozy a disposé de 13,3 % du temps de parole politique dans les journaux télévisés, les magazines d’information et les programmes de divertissement, voire de 15 % de ce même temps de parole si l’on prend en considération les interventions de ses collaborateurs.
Cette proportion atteint même 21,4 % du total du temps d’expression politique – 23 % avec les interventions de ses collaborateurs – si l’on ne prend en compte que les journaux télévisés, contre 3,5 % pour les partis non représentés au Parlement.
Le Comité de réflexion et de proposition sur la modernisation et le rééquilibrage des institutions de la Ve République ne s’y est d’ailleurs pas trompé, puisqu’il a proposé que les interventions du chef de l’État soient prises en compte dans le temps de parole de l’exécutif, pointant l’« anomalie » que représentait le décompte actuel des temps de parole et soulignant que « cette situation était la traduction d’une conception dépassée du rôle du chef de l’État ».
Une telle réforme ne ferait que rendre véritablement effectif l’article 1er de la loi du 30 septembre 1986, qui dispose que la liberté de communication doit respecter « l’expression pluraliste des courants d’opinion ». Elle permettrait, en outre, de palier l’imprécision de l’article 13 de la même loi et de travailler réellement à la mise en œuvre du pluralisme, pluralisme que le Conseil constitutionnel a qualifié dans sa décision du 18 septembre 1986 d’« objectif de valeur constitutionnelle ». Le Conseil constitutionnel a également précisé que « le respect de ce pluralisme est une des conditions de la démocratie », et ce aussi bien dans le cadre du secteur public de l’audiovisuel que dans celui du secteur privé.
C’est donc pour assurer le respect du pluralisme que nous demandons au Sénat d’adopter cet amendement.
M. le président. L'amendement n° 295, présenté par MM. Assouline, Bel et Bérit-Débat, Mmes Blandin, Blondin et Bourzai, MM. Boutant, Domeizel et Fichet, Mme Khiari, M. Lagauche, Mme Lepage, M. Sueur, Mme Tasca et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Après l'article 1er A, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
« Le premier alinéa de l'article 13 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication est complété par une phrase ainsi rédigée :
« Il veille à ce que les services de radio et de télévision respectent, au sein de leurs programmes, une répartition des temps d'intervention entre le Président de la République et les membres du gouvernement, pour un tiers du temps, les personnalités appartenant à la majorité parlementaire, pour un tiers du temps et les personnalités appartenant à l'opposition parlementaire, pour un tiers du temps. »
La parole est à M. David Assouline.
M. David Assouline. Nous tenons particulièrement à cet amendement, pour avoir déjà défendu une disposition similaire lors du débat sur la révision constitutionnelle et déposé l’an dernier une proposition de loi allant dans ce sens.
Conformément aux termes de l’article 13 de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de la communication, qui confie au CSA la mission d’assurer le respect de l’expression pluraliste au sein des médias audiovisuels, l’instance de régulation a, depuis 1989, repris et adapté la règle des trois tiers héritée d’une ancienne directive du conseil d’administration de l’ORTF en date du 12 novembre 1969.
Cette directive posait le principe d’un équilibre de la présentation des points de vue sur les deux chaînes de l’ORTF entre les représentants des pouvoirs publics, ceux qui les approuvent et ceux qui les critiquent.
Le CSA, aménageant la règle des trois tiers en principe de référence, a défini un équilibre dans le secteur audiovisuel entre Gouvernement, majorité et opposition. L’article 13 de la loi du 30 septembre 1986, complétée par la loi du 1er février 1994, a ensuite octroyé au Parlement et aux partis politiques un droit de regard mensuel sur les temps d’intervention relevés par le CSA qui leur sont transmis.
La législation et la réglementation en vigueur pour le décompte des temps de parole des responsables politiques sur les antennes ont été établies compte tenu des caractéristiques propres de la Ve République.
Le CSA a toujours refusé de comptabiliser le temps de parole du Président de la République avec celui du Gouvernement, considérant que la Constitution plaçait le Président de la République dans un rôle d’arbitre, au-dessus des partis politiques.
Le Conseil d’État, saisi de cette question, a confirmé, par sa décision n° 279259 du 13 mai 2005 relative à la campagne liée au référendum sur la ratification du traité européen, la position du CSA, estimant que « en raison de la place qui, conformément à la tradition républicaine, est celle du chef de l’État dans l’organisation constitutionnelle des pouvoirs publics, le Président de la République ne s’exprime pas au nom d’un parti ou d’un groupement politique ».
Le Conseil d’État a estimé que l’instance de régulation avait exclu « à bon droit » les interventions du chef de l’État du décompte des présentations des positions des partis et groupements politiques dans les programmes des services audiovisuels.
Les institutions de la Ve République connaissent aujourd'hui une dérive accentuée vers une présidentialisation du régime. On assiste ainsi, depuis la dernière élection présidentielle, à une multiplication des interventions du chef de l’État dans les médias. Ses prises de position répétées influencent significativement le débat politique et contribuent à rompre l’équilibre des expressions politiques défini par le CSA. La révision constitutionnelle liée à l’adoption de loi du 23 juillet 2008 donne désormais la possibilité au Président de la République de s’exprimer devant le Parlement réuni en Congrès.
Le Président de la République est donc désormais le vrai chef de la majorité. La confusion des pouvoirs est accentuée.
C’est pourquoi l’expression du Président de la République sur les chaînes de télévision et à la radio doit être comptabilisée.
Il vous est donc proposé d’assimiler le temps de parole du Président de la République sur les antennes à celui du Gouvernement dans le décompte des temps d’antenne effectué par le CSA.
Notre amendement tend ainsi à compléter le premier alinéa de l’article 13 de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de la communication, qui confie au CSA la mission de veiller au respect par les services de communication audiovisuelle de l’expression pluraliste des courants de pensée et d’opinion dans les programmes. L’ajout proposé consiste à préciser les modalités d’exercice de cette expression pluraliste par une référence à la règle des trois tiers ainsi définie : un tiers du temps pour le Président de la République et les membres du Gouvernement, un tiers du temps pour les personnalités appartenant à la majorité parlementaire, un tiers du temps pour les personnalités appartenant à l’opposition parlementaire.
Cet équilibre, dans le cadre de la présidentialisation du régime et du quinquennat, donne de toute façon à la majorité et au gouvernement de la même couleur les deux tiers du temps de parole : c’est bien suffisant !
Mme Catherine Tasca. Très bien !
M. le président. Quel est l’avis de la commission sur les amendements nos 110 et 295 ?
M. Michel Thiollière, rapporteur. La commission n’est pas favorable à ces amendements pour une raison simple, liée non à la personnalité de l’actuel Président de la République, mais à la nature de la fonction.
Tout le monde sait que la fonction de Président de la République engage son titulaire sur des champs étrangers à la politique intérieure et que sa mission ne peut pas être confondue avec le débat parlementaire ou le débat public en général. Par exemple, pendant six mois, le Président de la République a assuré, au nom de la France, la présidence du Conseil européen : on peut imaginer que toutes ses déclarations pendant cette période ont été faites au nom de l’Union européenne. De la même manière, le Président de la République revient du Proche-Orient : dans cette mission, il a représenté le pays et non pas une sensibilité politique. Il nous paraîtrait donc dangereux de nous engager dans la direction que l’on nous propose ici.
Je sais bien que les membres de l’opposition sont très jaloux de leurs droits. Cela dit, même sans parler de la majorité en général, le Président de la République a aussi le droit de jouir d’un certain nombre de prérogatives liées à sa fonction. Il s’agit d’envisager non pas la personne, son origine politique et les mandats qu’elle a pu détenir auparavant, mais bien la mission qu’elle exerce en qualité de chef de l’État et donc de représentant de notre pays.
C’est la raison pour laquelle l’avis de la commission n’est pas favorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Christine Albanel, ministre. L’avis du Gouvernement est défavorable pour les mêmes raisons que celles avancées par M. le rapporteur.
Il est vrai que nous avons connu au cours des derniers mois une activité internationale et économique particulièrement dense : on voit bien que le Président de la République s’est exprimé au nom de la présidence de l’Union européenne et au nom de l’intérêt supérieur de la nation. Il ne nous paraît pas souhaitable de sortir de la logique de la Ve République. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à Mme Marie-Christine Blandin, pour explication de vote.
Mme Marie-Christine Blandin. Monsieur le président, mon explication de vote vaudra pour les amendements nos 110 et 295, qui ont reçu un avis défavorable du Gouvernement. Je reprendrai la dernière phrase de Mme la ministre : il ne lui semble pas logique de sortir des principes qui ont présidé au fonctionnement des institutions de la Ve République. Mais ce n’est pas notre faute si l’actuel Président de la République s’est complètement affranchi de ces principes !
Nous n’avons jamais vu auparavant le Président de la République s’exprimer devant le Parlement – il a d’ailleurs dû faire modifier le texte de la Constitution dans ce sens –, nous n’avons jamais vu un Président aussi omniprésent dans les affaires du Gouvernement, au point que les journalistes ont raillé le Premier ministre, le déstabilisant, le plaçant dans une situation humiliante dont il n’est sorti que récemment, et encore, cahin-caha !
Alors, madame la ministre, vous ne pouvez pas dire que la Ve République fonctionne comme avant, cette loi en est la preuve ! Qui a déclaré, il y a un an : « Je supprime la publicité sur l’audiovisuel public » ? Qui a déclaré, il y a deux jours : « Je supprime les juges d’instruction » ? Aux ministres, ensuite, d’assurer tant bien que mal la mise en musique !
La moindre des choses, c’est que le temps de parole dans les médias de cet homme qui gouverne soit décompté avec celui du Gouvernement, tout en garantissant à l’opposition le respect d’un temps de parole calculé au prorata.
M. Serge Lagauche et M. Jean-François Voguet. Très bien !