M. le président. En conséquence, les amendements nos 300 et 299 n'ont plus d'objet.
Je suis saisi de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 7, présenté par Mme Morin-Desailly et M. Thiollière, au nom de la commission des affaires culturelles, est ainsi libellé :
I. - Compléter le I de cet article par deux alinéas ainsi rédigés :
« France Télévisions conçoit et diffuse en région des programmes qui contribuent à la connaissance et au rayonnement de ces territoires. Ces programmes sont diffusés à travers des décrochages spécifiques, y compris aux heures de grande écoute, et peuvent être repris au niveau national. Ils reflètent la diversité de la vie économique, sociale et culturelle en région et proposent une information de proximité.
« À travers sa grille de programme, France Télévisions contribue, le cas échéant, à l'expression des langues régionales. »
II. - Supprimer le IV de cet article.
La parole est à M. Michel Thiollière, rapporteur.
M. Michel Thiollière, rapporteur. Il nous semble que la diversité, c’est aussi celle de nos territoires.
L'Assemblée nationale a souhaité inscrire dans la loi la mission régionale du service public. La commission approuve ce choix et elle a tenté à son tour de définir cette mission qui est assurée à titre principal par France 3, chaîne des régions par excellence.
Cet amendement vise à inscrire dans la loi le fait que France Télévisions non seulement diffuse, mais également conçoit des programmes en région : l'existence de directions régionales et d'antennes locales est ainsi directement garantie. De plus, cette nouvelle rédaction, qui vise à se substituer au IV de l’article 1er, consacre le principe des décrochages régionaux, y compris aux heures de grande écoute, et affirme explicitement que ces émissions à caractère régional peuvent être reprises au niveau national.
Notre commission a la conviction que le potentiel de France 3 est sous-exploité : cette chaîne, à laquelle nous sommes tous si attachés, dispose en effet d'un réseau local suffisamment dense et de qualité pour produire plus de programmes régionaux qu'elle ne le fait aujourd'hui. Nous en voulons pour preuve le site « Culturebox » que France 3 a mis en place et qui propose l'ensemble des émissions culturelles réalisées en région.
Permettez-moi, en l’absence du président Jacques Legendre, de dire au passage que « Culturebox » n’est pas nécessairement la dénomination la plus heureuse et qu’il conviendrait sans doute de lui trouver un nom français.
Tous ces programmes pourraient être repris au niveau national : cela permettrait d'affirmer l'identité de France 3, que sa vocation régionale distingue, par exemple, de France 2.
Je crois utile d'apporter ici une précision essentielle : la commission n’estime ni souhaitable ni nécessaire de porter atteinte au caractère national de France 3 et elle mesure l'intérêt de disposer d'une rédaction nationale au sein de cette chaîne ; mais la grille de France 3 a vocation, plus qu'elle ne le fait aujourd'hui, à comporter des programmes réalisés en région.
Enfin, cet amendement conserve la précision apportée par l'Assemblée nationale, qui avait souhaité consacrer le rôle singulier que joue France 3 en matière d'expression des langues régionales dans les territoires où celles-ci sont encore vivaces. Au moment où le Constituant a consacré leur existence, il serait incompréhensible que cela ne figure pas parmi les missions du service public.
Telles sont les raisons pour lesquelles la commission présente cet amendement, en soulignant que France 3 a peut-être tendance à négliger de façon un peu trop régulière ce qui se passe en région et à ne pas le relayer suffisamment au niveau national ; nous en avons certainement tous de nombreux exemples en tête.
M. le président. Le sous-amendement n° 250, présenté par Mmes Blandin, Boumediene-Thiery et Voynet et MM. Desessard et Muller, est ainsi libellé :
I - Dans la première phrase du deuxième alinéa du I de l'amendement n° 7, après les mots :
France Télévisions
insérer les mots :
par sa chaîne France 3
II - Procéder à la même insertion dans le troisième alinéa du I du même amendement.
La parole est à Mme Marie-Christine Blandin.
Mme Marie-Christine Blandin. Il ne manque, dans l’amendement présenté par la commission, que la mention d’un nom : celui de France 3.
La commission Copé, chargée de réfléchir à l’avenir de la télévision publique sans publicité, a proposé de renforcer l’identité régionale de France 3 par un renversement de son mode de fonctionnement : « Au lieu d’une chaîne nationale et de décrochage en région, elle ferait place à un réseau de chaînes régionales, faisant une plus grande place aux rendez-vous d’information de proximité, avec un décrochage national. »
Voilà une curieuse idée de la part d’une commission à la française parce ce que cela fait penser au fédéralisme des Länder allemands, fédéralisme tant redouté en France quand on parle de décentralisation…
C’est bien la preuve que ces propositions ont été faites à la hâte, sans concertation avec les personnels et les professionnels de l’audiovisuel, au risque du démantèlement de France 3, sur laquelle les grands groupes de la presse quotidienne régionale jettent un regard gourmand.
Élus locaux et régionaux vivent depuis des décennies avec France 3. Nous en connaissons les atouts, nous nous considérons, vis-à-vis des habitants de nos collectivités, comme directement concernés par son avenir, car c’est un indispensable élément d’animation de nos territoires.
Les responsables successifs ont souvent eu, hélas, un regard un peu trop parisien. Nous disposons là d’un bijou inégalé en Europe et, dans un univers passablement globalisé, les habitants ont aussi besoin de miroirs et d’ouvertures de proximité. Pour eux, l’écran de France 3, c’est l’outil du penser et agir local et global.
Nous avons bien perçu, vendredi dernier, les réticences du Gouvernement à nommer les chaînes : on préfère la grande firme mère, dirigée par un obligé de l’Élysée. (Exclamations sur les travées de l’UMP.)
Mais, devant le risque de dégâts collatéraux, la commission éprouve tout de même le besoin de présenter un amendement concernant les missions de France Télévisions à l’échelon local.
Il faut, me semble-t-il, aller jusqu’au bout des choses. Vous avez entendu l’argumentation de M. Thiollière : il a cité au moins six fois France 3 en défendant son amendement. Alors, madame la ministre, pourquoi ne pas faire figurer le nom de cette chaîne dans la loi ?
M. le président. L'amendement n° 289, présenté par Mmes Blandin, Boumediene-Thiery et Voynet et MM. Desessard et Muller, est ainsi libellé :
Au début du deuxième alinéa du IV de cet article, après les mots :
Elle conçoit
insérer les mots :
, produit, fabrique
La parole est à Mme Marie-Christine Blandin.
Mme Marie-Christine Blandin. Cet amendement vise à introduire de nouveau les notions de production et de fabrication parmi les nobles missions des services de France Télévisions, et il s’agit cette fois-ci de France 3 et de la palette de ce qu’elle sait faire : la conception, la création, l’achat, la programmation, la diffusion.
Les antennes régionales de France 3, nous le constatons souvent, souffrent déjà des contraintes très rigides des décrochages. Elles disposent de moyens techniques mobiles vieillissants. Pourtant, elles ont une cote d’amour très élevée dans le cœur des spectateurs. Elles proposent d’ailleurs des fictions fort bien réalisées et qui, sans doute parce qu’elles se nourrissent d’une mosaïque de mémoires collectives, rencontrent un succès qui n’a rien à voir avec celui de certains programmes nationaux.
Mes chers collègues, vous avez tous vu, à des degrés différents selon vos régions, ces réalisations endogènes, comme ces productions judicieusement commandées.
Même si Mme la ministre nous a dit dans la nuit de jeudi que rien n’empêchait aujourd’hui la création et la production en interne, nous nous devons de rassurer les spectateurs, ainsi que les professionnels, sur cette possibilité que nous souhaitons durable. En effet, quand on demande à une antenne locale de prêter son matériel à des producteurs privés, alors qu’elle a elle-même un projet en interne qu’elle ne pourra pas réaliser, les doutes grandissent et il serait mieux d’écrire dans la loi ce que vous nous avez dit jeudi.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Michel Thiollière, rapporteur. La commission souhaite définir dans la loi l’esprit dans lequel doivent fonctionner les groupes de l’entreprise unique, ou entreprise commune, comme on l’appelle maintenant en son sein, qui favorise la diversité et qui permet à l’expression des territoires de se donner aussi à voir et à entendre au niveau national.
Il s’agit non pas de s’attacher à une chaîne et à son nom, mais de définir le contenu que nous souhaitons voir repris en main par le service public. Telle est la raison pour laquelle la commission, tout en en partageant l’esprit du sous-amendement n° 250, émet un avis défavorable à son sujet, car il tendrait à figer les choses en l’état.
Quant à l’amendement n° 289, il va encore plus loin : il vise à « ossifier » France 3 dans ses moyens de production. Or la commission souhaite garantir la liberté et l’indépendance qui sont mises en œuvre par les moyens de France Télévisions. Aussi bien la commission est-elle également défavorable à cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Christine Albanel, ministre. J’adhère totalement au contenu de l’amendement n° 7, mais il me paraît relever davantage du cahier des charges que de la loi ; c’est pourquoi je m’en remettrai à la sagesse du Sénat.
Le sous-amendement n° 250 vise à réintroduire la notion juridique de France 3. Le Gouvernement y est donc défavorable.
Il en va de même concernant l’amendement n° 289. Je rappelle une nouvelle fois que plus de 50 % des programmes de France Télévisions sont produits en interne. Cette possibilité existe déjà dans la loi de 1986 et il ne me semble donc pas nécessaire de l’expliciter.
M. le président. La parole est à M. David Assouline, pour explication de vote.
M. David Assouline. Il serait effectivement souhaitable de préciser qu’il s’agit de France 3, comme l’a demandé Mme Blandin. Faute de cette mention, l’amendement de la commission sera moins clair, mais je le voterai de toute façon, le considérant comme un amendement de repli.
M. le président. En conséquence, l'amendement n° 289 n'a plus d'objet.
L'amendement n° 309, présenté par MM. Assouline, Bel et Bérit-Débat, Mmes Blandin, Blondin et Bourzai, MM. Boutant, Domeizel et Fichet, Mme Khiari, M. Lagauche, Mme Lepage, M. Sueur, Mme Tasca et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Compléter le texte proposé par le I de cet article pour le I de l'article 44 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 par un alinéa ainsi rédigé :
« Elle garantit l'indépendance éditoriale de ses rédactions et le respect du pluralisme politique, dans ses différents services. »
La parole est à Mme Catherine Tasca.
Mme Catherine Tasca. Cet amendement est un rappel au nécessaire respect du pluralisme politique – j’ai même envie de dire un rappel à l’ordre.
Il est aujourd’hui évident que le rôle joué par les médias dans la société en général n’est absolument plus comparable à ce qu’il était il y a quarante ou cinquante ans.
La « société de l’information » est une réalité à l’heure où la vie de nos concitoyens, dans ses différentes dimensions sociales comme dans la sphère privée, est de plus en plus marquée par les médias.
Selon une étude récente, chaque Français de 13 ans et plus a eu, en moyenne, en 2007, plus de 41 contacts par jour avec un « support média ou multimédia », les 15-24 ans ayant eu, pour leur part, plus de 45 contacts quotidiens. De plus, neuf Français sur dix regardent la télévision tous les jours, huit sur dix écoutent la radio ou lisent la presse écrite et plus du tiers d’entre eux « surfent » sur internet.
La notion de « média de masse » n’a donc jamais été autant d’actualité et doit conduire le législateur à considérer le rôle des médias dans la société et l’espace public comme un véritable pouvoir dont il convient de mieux encadrer l’exercice pour éviter que ses utilisateurs n’en abusent.
Tel est d’ailleurs le sens de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, qui a reconnu le pluralisme comme objectif de valeur constitutionnelle, en affirmant dans une décision du 18 septembre 1986, par exemple, que le respect du pluralisme de l’expression des différents courants politiques et socioculturels sur les supports de communication audiovisuelle est l’« une des conditions de la démocratie ».
Or l’évolution actuelle de l’économie du secteur de la communication et les liens étroits qu’entretient le Président de la République avec la plupart des patrons de presse, de radio et de télévision nous font penser que cette garantie apportée par le Conseil constitutionnel au pluralisme est devenue insuffisante.
En effet, à l’heure de la dématérialisation de l’information, des groupes de communication intégrant une multiplicité de supports, de contenants et de contenus dominent le marché. En France, cette concentration va au-delà du secteur de la communication ; tous ces grands groupes tirent une part substantielle de leurs revenus de commandes publiques.
Ce phénomène de concentration, unique au monde, est d’autant plus inquiétant que l’actuel chef de l’État entretient des relations de proximité affirmée avec tous les patrons de ces grands groupes et ne se prive pas d’en user, voire d’en abuser, pour influencer la ligne éditoriale des principaux médias du pays.
La réforme du mode de désignation des responsables de l’audiovisuel public n’est sans doute pas étrangère à cette manière de faire.
Ces pratiques justifient l’inquiétude des journalistes quant à l’évolution des conditions d’exercice de leur métier, alors que certaines voix, dans la majorité, relaient les revendications des industriels et des financiers qui ont investi dans la presse en demandant que le législateur assouplisse encore les règles d’emploi et de déontologie d’une profession dont l’indépendance est une condition absolument nécessaire au pluralisme.
Dans ce contexte, le service public audiovisuel a donc une responsabilité particulière et contribue de manière essentielle au pluralisme de l’information, dont il doit constituer une garantie substantielle. En ce sens, l’indépendance de la télévision publique doit être regardée comme l’« une des conditions de la démocratie ».
C’est pourquoi il convient de compléter la loi du 30 septembre 1986 pour donner une portée légale à l’indépendance éditoriale des rédactions de France 2, France 3 et France Ô ainsi qu’au respect du pluralisme politique sur l’ensemble des antennes de France Télévisions.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteur. La commission est favorable à la garantie de l’indépendance éditoriale des rédactions, et a d’ailleurs adopté un amendement en ce sens jeudi dernier.
Toutefois, elle éprouve les plus grands doutes à l’idée d’organiser le respect du pluralisme politique dans les différentes rédactions et services de France Télévisions. Elle craint, en effet, que cette disposition ne puisse servir de base légale à une politique de recrutement au sein de France Télévisions, qui veillerait alors à composer ses services et ses rédactions en procédant à un savant équilibre entre les différentes sensibilités politiques. (Mme Catherine Tasca s’étonne.) Les journalistes et les salariés de France Télévisions doivent être recrutés pour leurs compétences et non pour leurs opinions politiques.
MM. Robert del Picchia et Jacques Gautier. Très bien !
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Christine Albanel, ministre. L’indépendance éditoriale des rédactions est une réalité qui s’impose à nous en permanence et qui perdurera, d’autant qu’elle s’appuie sur la loi de 1881, sur les dispositions constitutionnelles et sur la loi de 1986. Elle me semble donc suffisamment garantie.
En conséquence, le Gouvernement est défavorable à cet amendement.
M. le président. La parole est à M. David Assouline, pour explication de vote.
M. David Assouline. Levons tout malentendu : l’amendement n° 309 ne vise nullement à faire en sorte que le recrutement des journalistes et des personnels reproduise l’éventail des différentes sensibilités politiques.
M. Charles Pasqua. Nous aurions, pour notre part, tout à y gagner !
M. Gérard Longuet. Mathématiquement !
M. David Assouline. Monsieur Pasqua, ne nous ressortez pas cette vieille lune selon laquelle la droite serait maltraitée partout où l’on pense et tous les journalistes seraient forcément de gauche ! Vous pouviez encore le faire croire dans les années 1970.
Mme Catherine Procaccia. C’est toujours vrai !
M. David Assouline. Franchement, nous dire aujourd'hui que les rédactions sont truffées de journalistes liés à la gauche, alors que sont placés, tous les jours, à tous les postes de commande, dans le privé comme dans le public, des amis de l’actuel pouvoir politique ! Car c’est cela que tout le monde perçoit !
M. David Assouline. C’est d’ailleurs l’un des enjeux de notre débat.
Mais là n’est pas le sujet de mon intervention.
L’amendement n° 309 vise simplement à préciser que la nouvelle organisation garantit l’indépendance des rédactions et le respect du pluralisme politique. Nous devons veiller à garantir l’indépendance et le pluralisme des lignes éditoriales lors des échanges de points de vue et des prises de position. Ce point ne prête pas à confusion, madame le rapporteur.
Quant à Mme la ministre, elle ne s’embarrasse pas de nuances dans sa réponse : aujourd'hui, l’indépendance des médias ne pose pas problème ; toutes les garanties sont déjà apportées. Mais si tout était bordé, si les lois et les jurisprudences garantissaient tout, on ne pourrait connaître aujourd'hui la situation que Mme Tasca a décrite tout à l'heure !
Peut-on, oui ou non, aujourd'hui, vivre de la commande publique et par ailleurs posséder des médias ? Oui, et massivement même ! C’est le cas de Bouygues ou d’un autre groupe qui vend des Rafale et possède dans le même temps un groupe de presse. Un éminent sénateur représente d’ailleurs bien ici cette confusion des genres !
Aujourd'hui, les médias occupent une telle place dans la vie quotidienne des Français qu’il est de l’intérêt de tous de poser le problème, y compris de notre intérêt à nous en tant que membres de la représentation parlementaire : nous devons veiller à ce que le pouvoir politique, quel qu’il soit – car les alternances auront lieu, messieurs de l’UMP, et vous défendrez peut-être alors ce principe ! –, n’empiète jamais sur l’indépendance et le pluralisme des médias. Quels que soient les pouvoirs politiques, nous devons défendre non pas nos petits intérêts personnels, mais tout ce qui fait avancer la démocratie.
Nous continuerons à insister sur ce point, car c’est l’un des enjeux de société des prochaines années. Les médias ont pris une place telle dans la vie politique que l’on ne pourra même plus, à un moment donné, parler librement à l’extérieur des enceintes parlementaires. Or ce qui ne pourra pas se dire dehors ne se dira pas non plus dedans. Comme le disait Victor Hugo, il y aura le silence au dehors ! Et vous verrez, mes chers collègues, que vous pourrez difficilement dire, y compris dans les couloirs de notre assemblée, que vous êtes choqués par la manière dont le Gouvernement s’est conduit en n’attendant même pas le vote du Sénat pour demander au président de France Télévisions de supprimer la publicité. Si certains d’entre vous ont pu faire savoir qu’ils n’étaient vraiment pas contents, comme je l’ai lu dans une dépêche de l’AFP qui les a précisément nommés, c’est parce qu’il y a des médias indépendants.
Lorsqu’il ne sera plus possible de faire part de son opinion à l’extérieur, ce sera encore moins possible dans les enceintes parlementaires. La liberté des médias intéresse tous les hommes et toutes les femmes politiques qui veulent défendre la démocratie, a fortiori les parlementaires !
Mme Catherine Tasca. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Plancade, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Plancade. Le mieux est souvent l’ennemi du bien.
Très sereinement, j’indique que je ne voterai pas un amendement qui vise à demander à chaque journaliste la carte de son parti politique, car c’est franchement inacceptable ! (Très bien ! sur les travées de l’UMP.)
Mme Catherine Tasca. Ce n’est pas ce qui est écrit !
M. David Assouline. C’est l’inverse !
M. le président. La parole est à M. Robert del Picchia, pour explication de vote.
M. Robert del Picchia. J’interviens sur cette question parce que j’ai été journaliste, responsable de rédaction, puis rédacteur en chef, pendant trente-six ans.
Dès lors qu’un rédacteur en chef sait que tel journaliste est proche d’un parti politique, il commettrait justement une erreur en l’envoyant couvrir le congrès de ce même parti, …
M. David Assouline. Bien sûr !
M. Robert del Picchia. … et ce pour différentes raisons.
En effet, pour démontrer qu’il n’est pas trop proche de ce parti et qu’il ne prend pas position, le journaliste en question aura tendance à amplifier les idées inverses.
Mes chers collègues, il ne faut surtout pas mettre le doigt dans un tel engrenage. Il faut rester tout à fait indépendant et essayer d’être objectif même si, vous le savez aussi bien que moi, l’objectivité n’existe pas en matière d’information. Les journalistes ne peuvent que s’efforcer de tendre vers l’objectivité. Et cela tout simplement parce que, dans une rédaction, quelle qu’elle soit, les sources d’information et les dépêches sont déjà sélectionnées par les rédacteurs en chef des agences. Le journaliste est donc déjà lié par une sélection des informations en amont.
De plus, dès lors que vous discutez dans une rédaction des problèmes politiques, il n’y a définitivement plus d’objectivité possible.
Mon cher collègue, vous pouvez dire tout ce que vous voulez et digresser sur les responsables, l’expérience m’a prouvé jusque très récemment qu’il est très difficile d’être objectif. Vouloir instaurer un équilibre politique, c’est pire que de ne pas en parler !
M. David Assouline. Personne ne demande cela !
M. le président. La parole est à Mme Catherine Tasca, pour explication de vote.
Mme Catherine Tasca. Nous ne pouvons pas laisser passer cette caricature de nos propositions. On nous parle là d’un amendement qui n’a pas été déposé ! Tous ceux qui prendront la peine de lire notre amendement pourront vérifier que ce qui y est écrit ne correspond nullement à l’histoire qu’on nous raconte ! Il ne s’agit nullement d’un partage des cartes des partis politiques entre les différents professionnels.
Nous souhaitons préciser que France Télévisions « garantit l’indépendance éditoriale de ses rédactions et le respect du pluralisme politique, dans ses différents services », afin de préserver les conditions d’exercice du journalisme et la totale indépendance du travail des équipes rédactionnelles. Il n’est donc pas question, et vous le savez bien, de s’amuser à demander des comptes politiques à chacun des acteurs !
Vous êtes en train d’agiter une espèce de croquemitaine, mais, fort heureusement, aujourd’hui, vous n’avez aucune chance de faire peur à qui que ce soit. À moins que vous ne cherchiez plutôt à faire oublier la tentation très forte, chez l’autorité la plus élevée du pays, de confier à ses amis les plus proches les postes à responsabilités importantes en matière d’information...
Nous le répétons, cet amendement ne traite absolument pas de la couleur politique des journalistes : il ne vise qu’à réunir les conditions objectives d’un travail indépendant des équipes dans les rédactions de France Télévisions.
M. le président. La parole est à M. Jean-Luc Mélenchon, pour explication de vote.
M. Jean-Luc Mélenchon. Je remercie notre collègue Catherine Tasca de nous avoir apporté ces précisions à propos de sa proposition, et son intervention me permet de souligner le caractère tout à fait étrange des propos tenus précédemment.
Je voterai cet amendement et je veux expliquer pourquoi.
J’ai compris qu’il s’agissait ici, en matière de respect du pluralisme politique, de l’objet final et non du point de départ.
Mme Catherine Tasca. Bien sûr !
M. Jean-Luc Mélenchon. Or le pluralisme politique n’est pas toujours respecté. À regarder les petits écrans, on a l’impression, dans de nombreuses circonstances, qu’il n’existe qu’un parti dans ce pays (Protestations sur les travées de l’UMP), parfois deux, ce qui est déjà mieux, mais reste non conforme à la réalité.
À propos d’objectivé, je dis tout de suite à notre collègue del Picchia, qui a donné un point de vue d’ancien professionnel, que personne ne fait une telle demande !
Par définition, nous savons tous, philosophiquement, que la vérité est inaccessible à l’intelligence humaine. On ne peut que l’approcher par la confrontation des points de vue.
M. Yves Pozzo di Borgo. M. Mélenchon est hégélien ! (Sourires.)
M. Jean-Luc Mélenchon. Voilà ce qui la rend possible !
Que demande-t-on au service public ? De permettre aux citoyens d’approcher le sujet en connaissant les diverses voies qui y conduisent. Mais c’est le contraire de ce qui se passe ! Pourquoi ? Ce n’est pas, monsieur del Picchia, parce que tel ou tel journaliste a la carte de tel ou tel parti. En tant que citoyen, c’est bien son droit d’être engagé, et je l’en félicite. Là n’est pas le sujet et, de toute façon, les choses ne se passent pas comme cela.
En vérité, la production de l’information est socialement déterminée. Si vous examinez la composition des rédactions, vous découvrirez une masse X de journalistes ayant un CDI et protégés de cette manière dans l’exercice de leur métier, et une masse Y, beaucoup plus importante, composée d’une foule d’intérimaires et de travailleurs précaires, donc sans aucune des conditions sociales leur permettant de faire valoir leur esprit critique. Par conséquent, remonte du bas vers le haut un conformisme socialement contraint, auquel personne ne peut se soustraire !
La défense du pluralisme politique concerne donc non seulement l’objet final de ce qui est produit, mais aussi les conditions initiales de la production de l’information dans les entreprises publiques. Voilà pourquoi ces deux questions se touchent et, que l’on soit de droite ou de gauche, on a raison de dire qu’il s’agit là d’un bien commun.
Une information factuelle, une information qui éclaire le point de vue des citoyens, est préférable au martèlement d’un point de vue unique, quel qu’il soit d’ailleurs, qu’il concerne les orientations politiques au sens le plus étroit du terme ou philosophiques au sens plus large.
Nous ne gagnons rien à ce que la parole officielle, en tout cas ressentie comme telle par nos concitoyens – « C’est vrai puisque c’est dans le journal ! », disait-on autrefois –, soit perçue comme un discours unique, parce que vous n’empêcherez pas la diversité de s’exprimer dans la société et d’être ressentie de manière confuse, au détriment, pour finir, de la démocratie elle-même, si les citoyens finissent par penser que toute parole qui leur est proposée est un mensonge ou un trafic.
Veillons donc aux conditions sociales de la production de l’information. Soyons vigilants en rappelant le principe du pluralisme politique comme l’accomplissement de ce travail politique. Alors, nous aurons fait de la bonne besogne.
Et n’allez pas dire qu’ici quelqu’un veut contrôler les cartes de parti, parce que, finalement, c’est très facile à faire : tous ceux qui sont au placard sont de gauche et tous les autres sont de droite ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste. – Exclamations sur les travées de l’UMP.)