M. Henri de Raincourt. Ça, c’est totalement faux !
M. le président. Maintenant que le vote a eu lieu, je veux ajouter un mot, monsieur Mélenchon.
J’ai connu un directeur de journal qui se faisait lire la veille ce qui allait paraître le lendemain. Ainsi, lorsque vous aviez beaucoup parlé, vous pouviez constater que vos propos étaient peu repris dans l’édition du lendemain !
M. Jean-Luc Mélenchon. Ce doit être une histoire marseillaise !
M. le président. Absolument ! Mais c’est une histoire qui a duré un demi-siècle !
M. Jean-Luc Mélenchon. Une de ces histoires marseillaises auxquelles la plupart d’entre nous ne comprennent rien ! (Sourires.)
M. Gérard Longuet. Une histoire marseillaise et, si j’ai bien compris, socialiste ! (Nouveaux sourires.)
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Il est bon de le préciser !
M. le président. L'amendement n° 312, présenté par MM. Assouline, Bel et Bérit-Débat, Mmes Blandin, Blondin et Bourzai, MM. Boutant, Domeizel et Fichet, Mme Khiari, M. Lagauche, Mme Lepage, M. Sueur, Mme Tasca et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Compléter le texte proposé par le I de cet article pour le I de l'article 44 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 par un alinéa ainsi rédigé :
« Tout journaliste de la société France Télévisions a le droit de refuser toute pression, de refuser de divulguer ses sources, de refuser de signer une émission ou une partie d'émission dont la forme ou le contenu auraient été modifiés à son insu ou contre sa volonté. Il ne peut être contraint à accepter un acte contraire à son intime conviction professionnelle. »
La parole est à M. David Assouline.
M. David Assouline. Ce que vient de dire le président Jean-Claude Gaudin va dans notre sens puisqu’il a l’air de déplorer ce qu’il a subi. Il faut donc garantir que cela ne sera plus possible, quel que soit le pouvoir en place.
C’est là que l’on perçoit bien les limites de votre raisonnement : vous vous plaignez quand vous subissez, mais vous ne voulez rien changer dans les textes !
Avec l’amendement n° 312, nous allons plus loin. Nous souhaitons préciser dans la loi elle-même les conditions de cette indépendance des rédactions et des journalistes de France Télévisions.
On me rétorquera que ce n’est pas nécessaire puisque leur indépendance est garantie par la jurisprudence, la convention collective, la charte, etc. Mais, puisqu’il y a débat et qu’il convient de préciser les choses, notamment pour l’audiovisuel public, nous proposons une série d’amendements visant à inscrire dans la loi ce qui constitue depuis le début du siècle la ligne de conduite à tenir pour l’indépendance des journalistes.
Je vous rappelle les termes de la Charte des devoirs professionnels des journalistes français. Ce document, qui date de 1918, est toujours d’actualité.
« Un journaliste, digne de ce nom,
« - prend la responsabilité de tous ses écrits, même anonymes ;
« - tient la calomnie, les accusations sans preuves, l’altération des documents, la déformation des faits, le mensonge pour les plus graves fautes professionnelles ;
« - ne reconnaît que la juridiction de ses pairs, souveraine en matière d’honneur professionnel ;
« - n’accepte que des missions compatibles avec la dignité professionnelle ;
« - s’interdit d’invoquer un titre ou une qualité imaginaires, d’user de moyens déloyaux pour obtenir une information ou surprendre la bonne foi de quiconque ;
« - ne touche pas d’argent dans un service public ou une entreprise privée où sa qualité de journaliste, ses influences, ses relations seraient susceptibles d’être exploitées ;
« - ne signe pas de son nom des articles de réclame commerciale ou financière ;
« - ne commet aucun plagiat, cite les confrères dont il reproduit un texte quelconque ;
« - ne sollicite pas la place d’un confrère, ni ne provoque son renvoi en offrant de travailler à des conditions inférieures ;
« - garde le secret professionnel ;
« - n’use pas de la liberté de la presse dans une intention intéressée ;
« - revendique la liberté de publier honnêtement ses informations ;
« - tient le scrupule et le souci de la justice pour des règles premières ;
« - ne confond pas son rôle avec celui du policier. »
À l’heure où les entorses à ces règles de déontologie sont de plus en plus nombreuses, notamment par les immixtions incessantes de l’exécutif dans les organes de presse et les médias audiovisuels, et les invectives de ce même exécutif contre les rédactions, allant jusqu’à la demande de démission des journalistes jugés insuffisamment complaisants envers le pouvoir, il nous semble important de faire figurer dans la loi les principaux objectifs de cette charte, afin qu’elle s’applique légalement aux journalistes de France Télévisions.
Par conséquent, nous tenons à préciser que tout journaliste de la société France Télévisions a le droit de refuser toute pression, de refuser de divulguer ses sources, de refuser de signer une émission ou une partie d’émission dont la forme ou le contenu auraient été modifiés à son insu ou contre sa volonté, et qu’il ne peut être contraint à accepter un acte contraire à son intime conviction professionnelle.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteur. La commission des affaires culturelles a émis un avis favorable.
Elle considère en effet qu’il est important, notamment pour rassurer les journalistes, de préciser les garanties de l’indépendance éditoriale des rédactions, même s’il est vrai que ces garanties figurent déjà dans la convention collective, entre autres, et qu’il n’était, dès lors, pas absolument nécessaire de les faire figurer dans la loi.
Toutefois, elle considère que leur mention dans le texte constitue un signe fort vis-à-vis des journalistes et elle démontre ainsi son attachement à leur indépendance.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Christine Albanel, ministre. Le Gouvernement est défavorable à cet amendement qui relève de la convention collective. Je ne vois donc aucune raison de faire figurer cette précision dans la loi, d’autant que cela s’inscrit dans le droit fil des différentes lois sur la presse.
En outre, le projet de loi relatif à la protection du secret des sources des journalistes apporte une réponse à l’une des préoccupations portées par cet amendement.
M. le président. La parole est à M. David Assouline, pour explication de vote.
M. David Assouline. Au sein de la commission des affaires culturelles, nous avons des désaccords, mais, parfois, nous voulons aller dans le même sens et les uns font alors un pas vers les autres.
Après avoir refusé l’amendement que j’ai défendu précédemment, la commission a estimé sur ce point qu’il s’agissait d’un vrai sujet et que, sur le plan politique, il y avait un intérêt à inscrire notre proposition dans la loi, même si certains considèrent que ce n’est pas nécessaire sur le plan juridique. Il faut en effet lever des préventions, comme on le fait dans bon nombre d’autres articles. Madame la ministre, les juristes sauraient mieux que moi vous citer toutes les dispositions qui, dans ce texte, ne sont pas strictement nécessaires. N’avez-vous pas vous-même demandé au conseil d’administration de France Télévisions de supprimer la publicité, alors que cette mesure est l’un des objets essentiels du projet de loi ?
Notre assemblée est devant un choix. Après des échanges, la commission des affaires culturelles, qui compte des juristes reconnus, a estimé qu’il était utile d’inscrire notre proposition dans le texte, car c’était un signe adressé aux médias et aux journalistes quant à l’importance que nous attachons à l’indépendance de ces derniers. Par la même occasion, cela témoigne du travail constructif qui peut être le nôtre au sein de cette commission. Y renoncer constituerait un retour en arrière par rapport à cet état d’esprit.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Plancade, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Plancade. Franchement, je n’éprouve pas le besoin d’inscrire une telle disposition dans la loi. Je vais toutefois voter l’amendement pour m’épargner le procès d’intention qui ne manquerait pas de m’être fait !
La seule chose qui me gêne, c’est la mention du refus de divulguer ses sources. Je préférerais préciser dans un sous-amendement que le journaliste ne pourra pas refuser de divulguer ses sources si l’autorité judiciaire le lui demande.
M. le président. Je suis donc saisi d’un sous-amendement n° 442, présenté par M. Plancade et ainsi rédigé :
Dans le second alinéa de l’amendement n° 312, supprimer les mots :
, de refuser de divulguer ses sources
M. David Assouline. Mais c’est dans la charte !
M. le président. La parole est à Mme Marie-Christine Blandin, pour explication de vote.
Mme Marie-Christine Blandin. Je voudrais compléter les arguments qui ont été avancés sur la protection du journaliste et les éventuelles pressions d’ordre politique.
Il s’agit du refus « de signer une émission ou une partie d’émission dont la forme ou le contenu auraient été modifiés à l’insu [du journaliste] ou contre sa volonté ». Dans ce cas, il s’agit de la protection non seulement politique, mais aussi esthétique, morale : ce que l’on appelle en France le droit d’auteur, le droit patrimonial à l’intégralité de la création.
On ne peut ni découper une photo, ni gommer quelqu’un. Si, demain, on s’avise de glisser dans un reportage des images filmées – je prends un exemple au hasard ! – dans une autre cité HLM, dans une autre banlieue, pour d’autres événements, un journaliste ayant participé à ce reportage doit avoir le droit, afin de ne pas cautionner une telle pratique, de refuser sa signature.
Madame la ministre, vous avez été un fer de lance dans la défense des droits d’auteur, faisant adopter le projet de loi favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet, qui a permis de créer la Haute autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet, l’HADOPI. Il faut, me semble-t-il, poursuivre votre action législative, faute de quoi nous serons amenés à considérer qu’il ne s’agissait là que d’une mesure politico-technique.
Ce qui est ici en question, c’est bien la noblesse des droits d’auteur.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Plancade.
M. Jean-Pierre Plancade. Je considère que mon sous-amendement contredirait la remarque que j’ai faite sur l’amendement. Dans ces conditions, je le retire.
M. le président. Le sous-amendement n° 442 est retiré.
Je mets aux voix l'amendement n° 312.
(L'amendement est adopté.)
M. le président. L'amendement n° 313, présenté par MM. Assouline, Bel et Bérit-Débat, Mmes Blandin, Blondin et Bourzai, MM. Boutant, Domeizel et Fichet, Mme Khiari, M. Lagauche, Mme Lepage, M. Sueur, Mme Tasca et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Après le I de cet article, insérer un paragraphe ainsi rédigé :
... - Le III de l'article 44 de la même loi est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Tout journaliste de la société Radio France a le droit de refuser toute pression, de refuser de divulguer ses sources, de refuser de signer une émission ou une partie d'émission dont la forme ou le contenu auraient été modifiés à son insu ou contre sa volonté. Il ne peut être contraint à accepter un acte contraire à son intime conviction professionnelle. »
La parole est à M. David Assouline.
M. David Assouline. Cet amendement s’inscrit dans la même perspective que le précédent.
Nous venons de rappeler les termes de la charte des devoirs professionnels des journalistes qui, je le précise, figure dans l’avenant pour les entreprises de l’audiovisuel du secteur public de la convention collective nationale de travail des journalistes. À la suite du vote qui vient d’avoir lieu, les principes qu’elle met en avant se retrouvent désormais dans la loi, et c’est très important.
L’indépendance de l’information et de la programmation dans les futures sociétés de programme, notamment à Radio France, va se trouver menacée du fait des dispositions contenues dans le projet de loi dont nous débattons, particulièrement lorsqu’il est prévu que le responsable d’une société peut être nommé et, surtout, révoqué d’un simple trait de plume présidentiel.
Les journalistes auront, plus que jamais, besoin des textes et dispositions leur permettant d’affirmer leur déontologie et de conserver leur indépendance et celle des rédactions du service public.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteur. Comme sur l’amendement précédent, la commission a émis un avis favorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Christine Albanel, ministre. Le Gouvernement est, à l’évidence, également défavorable à cet amendement.
Les dispositions en question, auxquelles nous sommes tous évidemment très attachés, figurent déjà dans la convention collective. Il suffit d’ailleurs d’écouter et de regarder les différentes chaînes de France Télévisions et de Radio France pour constater que, contrairement à ce qui a été affirmé, les rédactions sont aujourd’hui totalement indépendantes : elles en apportent la preuve tous les jours.
Le fait d’inscrire dans la loi des dispositions figurant dans la convention collective pourrait laisser penser que la réforme entreprise exige de prendre des dispositions supplémentaires pour protéger l’indépendance des journalistes. Un tel message serait, à mes yeux, négatif.
M. Gérard Longuet. Et désobligeant !
M. le président. La parole est à M. Yann Gaillard, pour explication de vote.
M. Yann Gaillard. Bien que je ne sois absolument pas un spécialiste de ces questions, je m’étonne que nous soyons aujourd’hui amenés à discuter de telles dispositions.
Qui peut penser, en effet, que l’un des membres de notre assemblée voudrait contester à un journaliste, de France Télévisions ou de Radio France, le « droit de refuser une pression » ? Qui peut croire qu’on viendrait dénier à un journaliste le droit de « refuser de divulguer ses sources » ?
Les dispositions prévues se contentant d’énumérer des évidences, ces amendements constituent un piège ridicule. Pour ma part, je me suis abstenu lors du vote sur l’amendement précédent, et je m’apprête à faire de même sur celui-ci. En effet, voter pour ces amendements ou même voter contre, c’est reconnaître implicitement qu’il peut effectivement y avoir des atteintes à l’indépendance et à la déontologie des journalistes, alors qu’il n’en est rien.
M. Gérard Longuet. C’est un procès d’intention !
M. le président. La parole est à Mme Marie-Christine Blandin, pour explication de vote.
Mme Marie-Christine Blandin. Notre débat peut être aiguisé et violent ; il peut également être serein.
Vous venez de nous expliquer, monsieur Gaillard, que la probabilité d’observer de tels procédés est infime.
Je reprends l’exemple des reportages manipulés en ce sens qu’on y introduit des images prises plus ou moins longtemps auparavant, peut-être simplement parce qu’on ne dispose pas d’images plus récentes, mais qui sont mêlées à des images renvoyant à l’actualité. Certains peuvent même penser qu’il n’y a pas de mal à agir ainsi. Il reste que, dans un tel cas, le journaliste qui ne cautionne pas le procédé doit avoir la possibilité de ne pas signer l’émission en question.
Il faut savoir que cela n’arrive pas occasionnellement, mais souvent. Il existait même une émission qui pointait régulièrement ces procédés : elle s’intitulait Arrêt sur images. Elle devait tellement déranger qu’on l’a supprimée !
Par conséquent, le fait d’introduire de telles précisions dans la loi est, à nos yeux, loin d’être facultatif.
M. le président. La parole est à M. David Assouline, pour explication de vote.
M. David Assouline. Il ne faut pas chercher malice ! Si, dans la majorité, certains considèrent que voter un amendement comme celui-ci revient à reconnaître l’existence des pratiques qu’il entend empêcher et emporte par là même condamnation de ceux qui exercent présentement le pouvoir politique, cela signifie en fin de compte qu’on ne peut plus légiférer !
Lors de l’examen, cet été, de la réforme constitutionnelle, j’ai défendu ici même, au nom du groupe socialiste, un amendement visant à insérer à l’article 34 de la Constitution certaines dispositions relatives à l’indépendance, au pluralisme et à la liberté des médias. On aurait alors pu prétendre qu’il s’agissait d’évidences et que, en incluant ces dispositions dans la Constitution, on disait implicitement que le Président de la République ou le pouvoir étaient contre cette indépendance ! Cela n’a pas de sens !
Si vous êtes pour, chers collègues de la majorité, laissez-vous donc un peu aller ! N’ayez pas tant de préventions ! Si vous considérez que ces dispositions définissent une bonne pratique, fussent-elles évidentes, inscrivez-les donc dans la loi ! Personne ici ne peut dire que les procédés visés par cet amendement n’existent pas. Vous pouvez toujours affirmer, bien sûr, que de telles pressions n’émanent pas du pouvoir politique.
J’en reviens à l’exemple qui a été donné par Mme Blandin. Il s’agit d’une pratique courante, notamment à la télévision. Je pense notamment aux images illustrant le conflit au Proche-Orient. Le plus souvent, ce procédé est utilisé quand on ne dispose pas d’images sur un sujet d’actualité, mais qu’on veut nous faire croire le contraire. De même, certaines images censées illustrer les émeutes en banlieue, avec jets de pierre et incendies, passent en boucle. Parfois, ces images « ne mangent pas de pain ». Mais d’autres fois, elles travestissent la réalité. Les journalistes, pour se protéger, doivent avoir le droit de dire : ceci n’est pas ma production, ceci n’est pas mon œuvre.
Par conséquent, puisque nous sommes tous d’accord sur le fond, adoptons cet amendement ! Si vous refusez de le faire pour ne pas accorder une victoire à l’opposition, notre débat restera totalement superficiel. Au lieu d’essayer de nous convaincre les uns les autres, nous nous contenterons de nous opposer. Jusqu’à présent, nous avons débattu au fond, sans pratiquer d’obstruction. Si vous voulez changer de style de débat, alors que le travail de la commission a permis de trouver des consensus, nous en changerons également !
M. le président. La parole est à M. Gérard Longuet, pour explication de vote.
M. Gérard Longuet. Monsieur le président, bien que j’aie quelques scrupules à allonger le débat, je souhaite intervenir sur ce point.
De conviction libérale, je tiens à vous dire, cher David Assouline, que votre amendement ne me dérange absolument pas. Tout ce qui peut protéger la liberté est naturellement le bienvenu.
Mais la loi doit être ultime. Nous observons aujourd’hui une vie conventionnelle libre, ouverte et transparente, qui a permis d’établir une charte. Celle-ci a été négociée par les patrons de l’audiovisuel et leurs employés, c'est-à-dire les journalistes. Cette convention est beaucoup plus vivante, libre et proche des réalités que ne le seront jamais les textes législatifs, qui n’interviennent qu’en retard et en retrait.
Par ailleurs, vous évoquez un monde qui n’existe plus, un monde où il n’y avait de place que pour une télévision d’État, et où il était indispensable en effet que le législateur fixe des règles – et Dieu sait que nous avons légiféré sur ce sujet ! – parce que le système était fermé.
Nous sommes aujourd’hui dans un système totalement ouvert, où la moindre erreur personnelle – il m’arrive naturellement d’y succomber, comme chacun d’entre nous, peut-être même plus souvent que d’autres –, le moindre mot maladroit, le moindre écart de comportement, le plus petit abandon du « politiquement correct » vous font immédiatement repérer par un système de censure extrêmement vigilant : je pense à internet et à la multiplication des chaînes de télévision.
À titre personnel, j’ai été étonné de découvrir un entretien que j’avais eu dans ma voiture avec un auto-stoppeur muni d’une caméra, d’abord sur une télévision danoise, trois mois après, puis dans une édition locale de France 3. Il est vrai que, à l’époque, j’étais président de région : lorsque je disais une ânerie, mes propos revêtaient donc une certaine importance ! (Sourires.) Le journaliste danois a protesté contre France 3, rappelant qu’il s’agissait d’une interview totalement privée qui n’avait pas vocation à être diffusée.
Vous le voyez, monsieur Assouline, la société va aujourd’hui beaucoup plus vite que la loi. La liberté est assurée par la multiplication de l’offre et la confrontation permanente d’expressions libres. Faisons en sorte que la loi n’intervienne que dans l’exception. Or, manifestement, dans notre pays, la règle veut que la liberté du journaliste soit largement assurée. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. Ivan Renar, pour explication de vote.
M. Ivan Renar. Je suis d’accord avec tout ce qui a été dit sur les droits des journalistes. Selon moi, il n’y aura jamais trop de débats ou de textes pour les affirmer. En effet, on le voit partout dans le monde, les atteintes aux libertés les plus élémentaires dans le domaine de la vie sociale sont monnaie courante.
Même si je ne souhaite pas sous-amender l’amendement n° 313, pour ne pas compliquer les choses, j’estime que la rédaction proposée pourrait être enrichie de la façon suivante : « Tout journaliste de la société Radio France a le droit et le devoir de refuser toute pression,… » En effet, les mots « droit » et « devoir », loin de s’opposer, se complètent.
Ces sujets sont fondamentaux. C’est l’honneur du Sénat que de discuter et d’adopter un tel amendement.
Certes, beaucoup de choses ont pu séparer les miens et Michel Debré, le père de la ve République. Mais nous nous rejoignions lorsqu’il affirmait que, en cas d’atteinte aux libertés fondamentales, l’insurrection était un devoir.
M. Gérard Longuet. C’était dans le Courrier de la colère, avant 1958 !
M. Ivan Renar. Je parle sous le contrôle des vieux gaullistes ! J’ai été nourri de ces affirmations, comme beaucoup d’entre vous, d’ailleurs.
Il est bon que la représentation nationale envoie ce signal positif.
M. le président. La parole est à Mme Catherine Tasca, pour explication de vote.
Mme Catherine Tasca. On n’analyse pas bien l’enjeu. Les meilleurs garants de l’indépendance journalistique, ce sont les journalistes eux-mêmes.
M. Gérard Longuet. Et la multiplication des canaux !
Mme Catherine Tasca. Aucun texte de loi ne pourra imposer aux journalistes de se comporter de façon indépendante s’ils ont fait le choix, par exemple, de se soumettre à des pressions. Cela relève de leur liberté et de leur responsabilité.
Le texte que nous examinons doit viser à préserver les journalistes qui s’estimeront victimes de pressions ; sans doute ne s’agit-il pas de la majorité d’entre eux, certains sachant se défendre et d’autres pouvant être consentants. Ce texte doit simplement permettre à ceux qui le veulent de réagir et de se défendre pour exercer leur métier en toute liberté. Il s’agit non pas d’une disposition d’interdiction, mais bien d’une disposition qui préserve un espace de liberté et une marge de défense pour les journalistes. Je ne vois pas du tout quelles craintes un tel texte pourrait inspirer.
Nous ne faisons que rappeler les principes de pluralisme de l’information et d’indépendance des journalistes. Dans le contexte de démultiplication de l’offre que M. Longuet a évoqué, les journalistes, de par leur formation professionnelle, doivent faire vivre eux-mêmes leur indépendance. Mais, en cas de menace ou d’atteinte à leur indépendance, la loi doit leur donner les moyens de résister.
M. le président. L'amendement n° 314, présenté par MM. Assouline, Bel et Bérit-Débat, Mmes Blandin, Blondin et Bourzai, MM. Boutant, Domeizel et Fichet, Mme Khiari, M. Lagauche, Mme Lepage, M. Sueur, Mme Tasca et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Compléter le texte proposé par le I de cet article pour le I de l'article 44 de la loi n°86-1067 du 30 septembre 1986 par un alinéa ainsi rédigé :
« La principale source de financement de la société France Télévisions est constituée par le produit de la redevance audiovisuelle. »
La parole est à M. David Assouline.
M. David Assouline. Je précise que, dans cet amendement, nous avons employé le terme redevance, qui était utilisé dans le projet de loi. La commission proposera de la rebaptiser « contribution », ce qui nous convient d’ailleurs fort bien ; il faudra donc, le cas échéant, modifier le texte de notre amendement en conséquence.
Il s’agit de garantir que la redevance constitue la principale source de financement de la télévision publique. À l’heure où le financement de ce secteur est de plus en plus menacé, il nous semble opportun de rappeler ce sain principe, d’autant qu’en France, tout le monde en convient, le tarif de la redevance est manifestement insuffisant pour assurer un financement pérenne et garanti aux organismes destinataires.
À 116 euros, ce tarif est très en deçà de celui qui est pratiqué ailleurs en Europe. Je rappelle rapidement les montants de cette taxe chez quelques-uns de nos voisins : 316,24 euros au Danemark, 204,36 euros en Allemagne, 194,5 euros au Royaume-Uni et 99,6 euros en Italie. La moyenne européenne se situe aux environs de 165 euros.
Je rappelle que, depuis 2002, le tarif de la redevance n’a jamais progressé – il a même été ramené à l’euro inférieur en 2005, la conversion du franc en euro ayant fait apparaître des centimes – et n’a même pas été indexé sur le coût de la vie.
Avant 2002, le gouvernement de Lionel Jospin procédait, chaque année, à la revalorisation de la redevance : le montant de cette taxe est ainsi passé de 700 francs, soit 106 euros, en 1997, à 764,20 francs, soit 116,50 euros, en 2002 ; il y a donc eu une augmentation de 10 euros pendant cette mandature. Si elle n’était pas de nature à nous faire rattraper notre retard par rapport à nos voisins européens, cette progression avait au moins le mérite de suivre l’inflation. À l’époque, le débat consistait à essayer d’obtenir une augmentation supérieure au strict taux de l’inflation.
Avec le retour de la droite au pouvoir et la non-augmentation de la redevance pendant sept exercices budgétaires – ce qui représente une perte de 14 euros en volume –, on a fini par oublier que l’augmentation annuelle de la redevance était auparavant une chose naturelle. S’est ainsi répandue l’idée selon laquelle le courage politique revient à proposer une hausse de cette taxe égale à l’inflation, hausse qui, par le passé, était complètement acquise.
Toutes ces raisons nous poussent à demander que figure dans le projet de loi la mention légale de la redevance comme ressource principale de France Télévisions.
Cette demande se justifie encore davantage à l’heure où l’on supprime l’autre source de financement naturelle de France Télévisions, à savoir la publicité, sans que cette perte de recettes soit compensée de façon garantie, affectée et pérenne. Or l’indépendance d’un média suppose la garantie de son financement.
On me rétorquera sans doute qu’il n’est pas nécessaire d’inscrire dans la loi que la redevance constitue l’essentiel des revenus puisque c’est déjà le cas aujourd'hui. Certes, mais la situation sera peut-être différente à l’avenir. En prenant acte dans la loi que, aujourd'hui comme demain, le service public est d’abord financé par la redevance – la contribution, dans le nouveau vocabulaire –, on fait en sorte que cet état de fait ne soit jamais inversé. Nous préparons ainsi les débats que nous aurons par la suite sur le montant de la redevance. Au final, il s’agit bien de réhabiliter un système qui a été progressivement discrédité ou vilipendé.