M. le président. La parole est à M. Serge Lagauche.
M. Serge Lagauche. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, quel crédit accorder à des états généraux de la presse où la représentation des journalistes était réduite au minimum et où les quatre groupes de travail étaient présidés par des patrons de presse ? Des états généraux d’où les lecteurs ont été totalement absents, tout comme les associations de journalistes.
Il n’y a rien de surprenant à ce que, après avoir satisfait les patrons de l’audiovisuel privé, le Président de la République s’attache à répondre aux revendications des patrons de la presse.
Et les journalistes dans tout cela ? Car ce sont eux qui font l’information, le contenu du journal, et c’est bien le métier de journaliste qui est mis en question par la révolution numérique.
La seule mesure qui les concerne directement réside dans le remplacement du droit d’auteur lié à la publication par un droit lié à la durée d’exploitation. Ainsi les journalistes vont-ils se voir imposer, gratuitement, la polyvalence et la mise en commun des pages dans les groupes de presse. Il s’agit ici, de manière détournée, d’une cession de droit, même si cette cession est à durée déterminée. Or droit patrimonial et droit moral ne sont pas dissociables.
Ce simulacre de discussion a courageusement laissé de côté l’uniformisation de la presse et sa mise sous la tutelle de la rentabilité économique. Tout comme la commission Copé pour l’audiovisuel a été un leurre, les états généraux servent de vernis « légitimateur » aux revendications récurrentes des patrons de presse.
Nous sommes tous d’accord sur le constat : la publicité s’est détournée de l’information, la presse n’a plus les moyens de financer la production de l’information.
Nous nous trouvons face à une crise non seulement technologique et économique, largement accentuée par le contexte récent, mais également culturelle, voire sociologique. Les usages de la lecture et de l’information, en particulier par les jeunes, se sont complètement transformés.
Les états généraux de la presse, en se concentrant sur la diminution des coûts de fabrication et l’amélioration de la distribution, sont passés à côté du problème de fond. Mais, en deux mois, comment pouvait-il en être autrement ?
La tendance lourde qui se profile, c’est l’évolution vers l’information de masse, l’information rapide, faite par des précaires de l’information. On voit ainsi le triomphe des contenus interchangeables sur le net, comme les dépêches en continu sur les journaux du net et, à l’opposé, celui des blogs, qui sont essence même de la subjectivité et de l’opinion personnelle, le lieu, de fait, de positions très affirmées, face à des organes de presse aux lignes éditoriales perçues comme floues ou en perte de repères idéologiques.
Les blogs constituent également un relais d’informations peu ou pas retransmises par les médias traditionnels, et un lieu de confrontation de points de vue. D’ailleurs, la frontière entre blogs et organes de presse est elle-même floue puisque leur succès est tel que les journaux sont de plus en plus nombreux à intégrer des blogs sur leur site.
Internet a ainsi fait exploser nos modèles traditionnels d’intermédiation, en particulier celui des journalistes. Mais l’information peut-elle exister sans journaliste ? Est-ce toujours de l’information ou est-ce de la communication ? Or l’information n’est pas la communication. Si le journalisme évolue vers l’agrégation de contenus, cette évolution représentera un risque certain pour la démocratie.
Ces transformations posent la question du statut de l’intermédiation et, en contrepoint, celle de la qualité, de la légitimité, voire de la défiance à l’égard des contenus développés par la société civile.
Pour certains observateurs, ou même certains journalistes, Internet permet à toute une communauté qui ne se sent représentée ni par ses élites politiques ni par le milieu journalistique de s’exprimer.
Le Net constituerait, de fait, un moyen de revanche des classes moyennes en voie de déclassement et des professions intellectuelles en voie de marginalisation, par rapport au pouvoir économique, dans le cadre d’une lutte de classes sociales pour le pouvoir de médiation. Le radicalisme critique de la blogosphère contre l’establishment, qu’il soit politique, économique ou intellectuel, irait bien dans le sens de cette interprétation.
La question de la collecte de l’information est également posée. Jusqu’à maintenant, elle était structurée autour de grands organes de presse, de grands quotidiens. Or, peu à peu, les bureaux à l’étranger ferment, les correspondants sont rapatriés.
Il s’agit d’un mouvement généralisé : presse, radio, télévision, tous les médias sont touchés et, avec la crise généralisée, ce sont même des grands quotidiens reconnus internationalement qui risquent de mettre la clé sous la porte.
Malgré l’explosion du web à l’échelon planétaire, tous les pays ne sont pas couverts par Internet. Ils sont d’ailleurs beaucoup moins nombreux à l’être par Internet que par la presse écrite. C’est à un risque d’une réduction de la couverture des événements que nous sommes collectivement confrontés.
Dans ce contexte, nous sommes très inquiets pour l’avenir de l’AFP, seule agence de presse francophone à l’international. Là encore, c’est le désengagement de l’État qui se profile à l’horizon, avec le serpent de mer de la capitalisation de l’AFP. À cet égard, l’appel des enseignants-chercheurs à soutenir l’AFP n’est pas anodin.
Personnellement, j’acquiesce à la vision développée par ces universitaires, que je tiens à citer ici : « Leur combat est le nôtre, car il s’agit du même combat fondamental pour l’indépendance de ceux que l’on appelle aujourd’hui les travailleurs du savoir et de l’information. La garantie de l’indépendance des universitaires constitue un principe fondamental reconnu par les lois de la République. Une loi de 1957 garantit l’indépendance de l’AFP à l’égard des pouvoirs publics et de tout autre “groupement idéologique, politique ou économique”. »
« Leur combat est le nôtre, parce que la mission de l’AFP est définie par la loi comme celle “de rechercher tant en France qu’à l’étranger les éléments d’une information complète et objective”. Comme nous, les journalistes défendent le pluralisme, le souci de la vérité et le droit, pour tous les citoyens, d’accéder librement à une connaissance et à une information les plus objectives possible.
« Ce combat est le combat contre le renoncement à l’ambition au profit de la réussite gestionnaire immédiate, contre le renoncement à la création et à la diversité au profit de la standardisation et de la banalisation par le marché, contre le renoncement à l’indépendance au profit de la privatisation du financement et au contrôle par des groupes industriels ou financiers privés. »
Nous sommes toujours dans la même lignée : le mépris avéré du Président de la République pour l’indépendance, que ce soit celle des chercheurs, celle des magistrats ou celle des journalistes. (Murmures sur les travées de l’UMP.)
L’un des enjeux, à l’ère numérique, réside dans la construction d’une nouvelle économie de l’information, qui ne soit pas inféodée à l’industrie des télécommunications, qui ne soit pas non plus fondée sur une production individualisée – et donc forcément précarisée – de l’information.
À ce titre, la mainmise de Google sur le Net mondial, en position dominante tant dans la distribution d’informations qu’en tant que régie publicitaire, ce qui lui permet de contrôler la fixation des prix, n’aurait pas été tolérée dans l’économie traditionnelle. En France, 85 % des sessions sur Internet incluent l’utilisation du moteur de recherche Google, et celui-ci capte 90 % de la valeur de la publicité à ciblage contextuel.
Internet permettra-t-il de développer une valeur ajoutée suffisante pour financer une industrie de la presse, alors que c’est aujourd’hui le modèle strictement publicitaire, fondé sur le seul audimat, qui prédomine ? Or le revenu publicitaire fourni chaque année par un visiteur unique mensuel varie de 1 à 3 euros, contre 20 à 60 euros pour un lecteur de presse écrite.
Nous sommes en pleine période de tâtonnement sur Internet, avec la coexistence de modèles gratuits et payants. Certains plaident pour la fusion des rédactions papier et web, d’autres pour la solution inverse.
Dans ce nouveau modèle économique, la question de la constitution d’un pôle public de l’information sur le net autour de l’AFP, France télévisions, Radio France, l’Institut national de l’audiovisuel, Arte, les chaînes parlementaires et l’audiovisuel extérieur doit être posée, notamment parce que l’information est de plus en plus mobile et nomade : pensons simplement à l’actualité par envoi de SMS. Tous les secteurs d’information perdent de l’audience, sauf Internet.
Pour le papier, même la presse gratuite n’a pas trouvé les clés d’un nouveau modèle économique puisque les budgets publicitaires sont les premiers touchés en période de crise. Or ils n’ont pas d’autre source de revenus.
Autre sujet essentiel peu ou pas abordé dans les états généraux : la perte de crédibilité de la presse écrite. Elle vient en partie de ce que la presse appartient de plus en plus à des grands groupes industriels, qui contrôlent le pouvoir économique et sont en connivence étroite avec le pouvoir politique. Le club présidentiel du Fouquet’s en est une fameuse illustration. (Nouveaux murmures sur les mêmes travées.)
Je pourrais citer également les explications de M. Serge Dassault à son rachat de L’Express et du Figaro : un journal « permet de faire passer un certain nombre d’idées saines ». Il faudrait y ajouter, dans un autre registre, les fausses affaires médiatiques, telles que l’agression imaginaire du RER D ou l’affaire du bagagiste d’Orly, ainsi que le traitement médiatique de l’affaire d’Outreau.
Nos concitoyens prennent de plus en plus de distance avec le journalisme de complaisance, dont la récente émission télévisée du Président de la République, simulacre d’interview, constitue une parfaite illustration.
Dans cette perspective, l’idée qu’une partie de la presse attende des pouvoirs publics sa planche de salut laisse planer quelques interrogations.
Quant au fait que les pouvoirs publics – ou plus précisément le Président de la République – aient tranché, seuls, l’issue des propositions des états généraux, il constitue assurément une preuve de plus de l’allégeance des médias au pouvoir présidentiel, alors que la révolution de la presse doit venir des éditeurs et des journalistes eux-mêmes.
Ainsi a-t-on vu M. Nicolas Sarkozy, après avoir annoncé que les dépenses de communication institutionnelle réservées à la presse écrite seraient doublées, ironiser, sourire aux lèvres, avec un « J’espère que personne n’y verra d’atteinte à son indépendance… » Bien sûr, chacun sait qu’un média peut tout à fait critiquer librement un annonceur sans que cela porte à conséquence !
Si ces états généraux de la presse ont émis des propositions précises sur le numérique, telles que le statut des éditeurs de presse en ligne, il n’en a pas été de même pour la presse papier. Le risque serait de vouloir tout miser sur le numérique et de retarder encore la réinvention de cette presse papier, faute de véritable impulsion.
Le pire a été évité : pour une fois, Nicolas Sarkozy ne s’est pas livré à une partie de « chamboule-tout » !
Une seule demande des syndicats de journalistes a été retenue : l’inclusion d’un code de déontologie à la convention collective nationale de travail des journalistes.
Mais rien sur les pigistes, les plus fragiles de la profession, ni sur l’indépendance des équipes rédactionnelles, dans un contexte économique où les journaux appartiennent à des groupes industriels qui n’ont rien à voir avec la presse, mais vivent de la commande publique.
Actuellement, le pouvoir politique ne conçoit l’information qu’au service de sa propre communication. Pourtant, l’indépendance rédactionnelle représenterait un signal fort à l’intention du public contre la relation de méfiance vis-à-vis des journalistes. en tout cas, à défaut de cette indépendance, il serait vain d’attendre une amélioration de la qualité du contenu.
Rien non plus sur le conditionnement des aides à la presse à des critères sociaux et éditoriaux.
Au final, ce qui ressort du discours de M. le Président de la République, c’est bien l’écart flagrant entre l’enjeu : sauver la presse écrite, comme il l’a lui-même indiqué en introduction, et le catalogue de petites mesures, parfois discutables, qui, en tout cas, restent bien en deçà du défi à relever.
Le pire a été évité, mais il n’est jamais écarté définitivement. C’est pourquoi nous serons particulièrement vigilants quant à la traduction législative des états généraux de la presse. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly.
Mme Catherine Morin-Desailly. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, depuis plusieurs années déjà, la presse écrite française est en crise, crise que l’on peut qualifier de structurelle et que l’actuelle situation économique ne fait bien sûr qu’aggraver. Tous les titres de la presse quotidienne d’information politique, pris en ciseaux entre une baisse continue des recettes et le maintien de coûts de production élevés, sont confrontés à des difficultés aiguës.
Les états généraux de la presse qui se sont tenus ces derniers mois ont été une bonne chose. Ils avaient pour objectif d’apporter des réponses aux problèmes économiques que rencontre aujourd’hui la presse écrite, notamment face au développement de l’information sur Internet et des journaux gratuits. Soulignant qu’il s’agissait de la pire crise à laquelle la presse écrite ait jamais été confrontée, les cent cinquante membres des états généraux, dont il faut d’ailleurs saluer le travail collectif, ont adopté quatre-vingt-dix propositions susceptibles de redynamiser le secteur.
Le 23 janvier dernier, le Président de la République a présenté les mesures de soutien qu’il a retenues parmi les quatre-vingt-dix qui avaient été préconisées. L’aide que l’État consentira représente un total de 200 millions d’euros par an pendant trois ans ; elle sera répartie entre le soutien aux marchands de journaux et au portage à domicile, et l’abonnement gratuit de chaque jeune Français à un quotidien de son choix pendant l’année de ses dix-huit ans.
Par ailleurs, un statut d’éditeur de presse en ligne sera créé, et l’aide de l’État au développement des journaux sur Internet augmentera. A été également annoncée une évolution du régime des droits d’auteur des journalistes, qui sera adapté à l’ère numérique ; cela me semble tout à fait indispensable, tant pour les journalistes que pour les photographes. Un amendement allant en ce sens a d’ailleurs été déposé à l’Assemblée nationale lors de l’examen du projet de loi favorisant la diffusion et la protection de la création sur Internet.
Enfin, il est prévu d’expérimenter pendant six mois, mais sans toucher à la loi Bichet, des formes alternatives de distribution, par exemple la distribution des quotidiens nationaux par le réseau de la presse régionale, ou la distribution par les éditeurs eux-mêmes de leurs titres dans des enseignes spécialisées.
Avant d’approfondir ces propositions, madame la ministre, je souhaite rappeler l’attachement des sénateurs centristes à une presse indépendante et de qualité. Celle-ci joue en effet un rôle déterminant dans la construction de l’opinion publique, dans l’exercice de notre démocratie. Elle est en tout cas nécessaire à l’émergence d’une culture commune partagée.
C’est pour cela qu’elle doit être pluraliste, vivante, dynamique, indépendante, pour cela qu’elle doit vivre de ses propres moyens, pour cela qu’elle doit reposer sur des rédactions fortes, pour cela également qu’il faut se préoccuper de l’écart croissant entre ceux qui lisent régulièrement la presse et ceux qui la lisent peu.
Le diagnostic de la crise de la presse est connu depuis fort longtemps : investissements trop faibles, offre éditoriale inadaptée, baisse de la diffusion, vieillissement du lectorat, diminution du nombre des points de vente, déclin des recettes publicitaires, fuite des petites annonces vers le Net, qui est un média global, interactif et gratuit, et, par voie de conséquence, pertes d’exploitation.
Notre ancien collègue Louis de Broissia avait établi dans un rapport sur la crise de la presse quotidienne d’information un constat particulièrement préoccupant quant à l’érosion du lectorat de la presse écrite payante. Alors qu’il est 31e à l’échelle mondiale, notre pays ne se classe qu’au 12e rang européen pour la diffusion des quotidiens, avec moins de 160 exemplaires diffusés pour 1 000 habitants.
Or la situation morose de la diffusion de la presse quotidienne payante contraste avec la bonne santé affichée par la presse gratuite. Il s’agit donc non pas d’une diminution de la demande d’information, mais bien plutôt de la crise d’un modèle.
Pour sortir de cette crise, il est à mon sens indispensable de rationaliser les coûts de production, et ce à tous les niveaux de la chaîne. Agir seulement sur les coûts d’impression, qui, il est vrai, sont les plus élevés d’Europe, ne sera pas suffisant.
Il est en outre essentiel de mieux prendre en compte les besoins nouveaux de qualification : l’accent doit être tout particulièrement mis sur les efforts de formation des personnels de fabrication de la presse, afin de leur permettre de s’adapter au nouvel environnement numérique.
Il est également indispensable de développer de nouveaux modes de diffusion. La presse gratuite, qui bénéficie massivement du portage, est très facilement accessible à ses lecteurs. Au contraire, la presse quotidienne payante l’est bien moins. C’est pourquoi il nous semble nécessaire de poursuivre les initiatives actuellement en cours dans le cadre du plan Défi 2010 et de les encourager.
Le Président de la République a affirmé sa volonté de « mettre le diffuseur au centre de tout » en changeant ses conditions de travail, en développant l’assortiment et en plafonnant les invendus, mais aussi en développant le réseau sous toutes ses formes. Ces propositions répondent en grande partie au problème de l’accessibilité de la presse, mais elles doivent s’accompagner d’une réflexion sur le portage.
Notre collègue souligne dans son rapport budgétaire pour 2009 qu’il est indispensable que soit menée une réflexion sur la revalorisation du métier de porteur, notamment sur l’opportunité de sa transformation en service à la personne. Le système actuel d’aide au portage, insuffisamment incitatif, mériterait d’être rénové en vue de stimuler et de viabiliser des réseaux de portage multi-titres, dans lesquels d’autres acteurs du secteur de la presse ont peut-être vocation à être intégrés, notamment la presse magazine.
Une partie de la réponse à la crise de la presse payante réside aussi, à l’évidence, dans le renouvellement de l’offre éditoriale. Dans un contexte de concurrence accrue en matière de diffusion de l’information de la part d’Internet ou des chaînes d’information en continu, il appartient assurément à nos quotidiens non seulement de se montrer plus réactifs, mais également de mettre en évidence leur valeur ajoutée, à savoir, au-delà du simple exposé de l’actualité brute, une analyse critique des faits.
Cette réflexion sur les contenus, sur l’éthique du métier, sur le traitement de l’information comme sur le fonctionnement et les pratiques des rédactions est primordiale pour restaurer le lien de confiance entre la presse et ses lecteurs, ceux-ci jugeant trop souvent celle-là négative, pour ne pas dire catastrophiste.
Cela passe notamment par le renforcement de la formation initiale et continue : une grande avancée des états généraux de la presse a été l’apparition d’une quasi-unanimité autour de l’idée d’une formation minimale obligatoire aux spécificités de la profession – notamment droit et éthique – dans les deux premières années d’exercice. Il est indispensable de la mettre en œuvre rapidement.
À l’évidence, il faut investir dans les nouveaux supports, comme Internet, car il n’y a d’avenir que dans le bimédia. Le passage de la presse écrite payante au monde du numérique n’implique pas que celle-ci se conforme aux codes de lecture déjà en vigueur sur la toile ; bien au contraire, elle doit investir Internet pour y diffuser sa propre identité. Afin de se distinguer des autres sites à caractère informatif, tels que les blogs, la presse écrite en ligne a vocation à s’inscrire dans une démarche de certification permettant aux lecteurs de faire la différence entre une information de qualité, à caractère professionnel, et les autres sources d’information.
Enfin, il est absolument nécessaire de sensibiliser les jeunes générations à la lecture de la presse écrite. Je salue l’initiative, madame la ministre, qui consiste à abonner chaque jeune Français à un quotidien l’année de ses dix-huit ans, même si, comme l’a exposé notre collègue Jacques Legendre, l’efficacité d’une telle mesure suppose qu’on étudie de près les modalités.
Cette mesure pourrait s’accompagner d’autres visant à rapprocher la presse quotidienne de ses futurs lecteurs en garantissant le libre accès des quotidiens aux classes de collège et en favorisant l’installation de points de vente dans les lycées, comme le préconisait d’ailleurs la commission des affaires culturelles dans son rapport sur la presse quotidienne d’information. De même, les enseignants doivent être encouragés à dispenser une formation critique aux médias.
En tout état de cause, il nous semble important de remettre le citoyen, en particulier le jeune citoyen, au centre de l’enjeu démocratique que représente la presse. Car, selon la célèbre formule, « la liberté de la presse n’est pas un privilège des journalistes, mais un droit des citoyens ». (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Ivan Renar.
M. Ivan Renar. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, depuis plusieurs années, la presse écrite se porte très mal, en particulier la presse quotidienne d’information, dont la presse dite « d’opinion ». Comme si toute presse n’était pas d’opinion !
Ce phénomène concerne l’ensemble de la presse occidentale, y compris celle des États-Unis, où l’on a enregistré ces dernières semaines des faillites et des fermetures en cascade. La crise économique et financière mondiale qui touche tous les secteurs ne fait qu’aggraver la situation de la presse écrite, dont beaucoup de titres sont en réel danger de mort.
Si la presse écrite est profondément menacée, les journaux en ligne eux-mêmes ont du mal à exister. Il serait paradoxal que la révolution « informationnelle », comme on la qualifie, aboutisse à la « mal-info », à un recul du pluralisme et, par conséquent, de la démocratie. L’avenir de la presse écrite constitue bien un enjeu de société crucial, d’autant qu’elle remplit une fonction civique essentielle. Elle demeure un média indispensable à la vie et à l’échange des idées.
Dans un contexte de poussée des intégrismes et des obscurantismes, la défense du pluralisme, de la diversité des points de vue, impose une intervention publique résolue et un meilleur accompagnement des mutations en cours, d’autant qu’il s’agit de surcroît d’un secteur économique important.
Face à la gravité de cette crise, qui frappe de plein fouet de nombreux titres de notre pays, il faut agir dès maintenant et anticiper l’avenir.
Les problèmes structurels sont bien connus : vieillissement du lectorat, baisse de la diffusion payée, augmentation des coûts de fabrication et du prix du papier, points de vente en nombre insuffisant, migration de la « pub » vers le web, faiblesse du portage à domicile, perte de confiance des lecteurs, effondrement du marché des petites annonces, concurrence des gratuits, absorption-disparition de nombreux titres locaux ou départementaux, modification des modes de vie…
À ces problèmes structurels s’ajoutent des difficultés conjoncturelles liées à la crise financière et économique mondiale, qui n’épargne aucun secteur. Quand la crise s’ajoute à la crise, ce n’est pas jouer les Cassandre que d’annoncer l’acte de décès de nombreuses entreprises de presse si aucune mesure urgente n’est prise !
C’est l’un des mérites des états généraux de la presse écrite que d’avoir mis en évidence l’urgente nécessité d’apporter promptement des réponses concrètes à la presse écrite, qui est sous perfusion. Le Livre vert qui présente leurs recommandations met l’accent sur une aide exceptionnelle d’urgence en faveur de la presse écrite d’information générale. Car, avant d’envisager toute stratégie de renforcement du réseau de distribution, certes capital, et de développement des journaux, dans le respect de leur pluralisme, il est indispensable en premier lieu de leur permettre simplement… d’exister ! Aller au chevet d’une presse en souffrance ne suffit pas : il faut un traitement de choc, qui passe par ce soutien financier exceptionnel. C’est une question de vie ou de mort pour nombre de titres. Demain, il sera trop tard.
Il existe un précédent, madame la ministre. En 1993, dans une situation moins alarmante pour la presse, le gouvernement de l’époque avait déjà décidé d’une telle aide en faveur de la presse nationale et locale d’information politique et générale dans le but de compenser les effets de la récession économique qui sévissait alors.
Par ailleurs, de la même façon qu’il a décidé de venir à la rescousse des banques et de certains secteurs économiques en danger, l’État se doit d’apporter un secours financier d’urgence à la presse écrite. C’est, je le répète, une question vitale pour de nombreux titres, donc pour le pluralisme de la presse. C’est un enjeu démocratique. Et parce qu’il n’y a pas de société ni d’esprit libres sans pluralisme, l’État doit s’emparer résolument de cet enjeu et en faire une véritable priorité politique nationale.
Quelques mesures positives ont été retenues par le Président de la République, comme le moratoire sur l’augmentation des tarifs postaux, l’amélioration de la rémunération des marchands de journaux, la création d’un statut d’éditeur en ligne, le développement des points de vente et du portage à domicile, afin que ce soit le journal qui aille au lecteur et non l’inverse. Cela représente 150 millions d’euros en mesures diverses.
Je me permets de rappeler, madame la ministre, que la réforme du code des marchés publics met en cause les recettes issues de la publicité légale, qui vont diminuer d’autant les interventions de l’État.
D’autres mesures seront mises en chantier, comme la défiscalisation des dons.
Mais toutes ces mesures n’ont de sens que si l’on sauve d’abord les journaux. Une aide financière immédiate et exceptionnelle est en effet indispensable à certains titres pour traverser la tourmente et ne pas disparaître
Nos concitoyens sont conscients de ces enjeux et tiennent à l’existence d’une presse pluraliste, et qui soit à l’abri des aléas du marché et de la rentabilité. Il n’y a qu’à voir avec quel élan nombre d’entre eux, même s’ils n’en sont pas lecteurs, ont volé au secours de Politis, de La Croix, de L’Humanité hier, de Témoignage chrétien aujourd’hui, et manifesté leur solidarité au journal Libération, par exemple.
Dans une société en panne de repères, plus l’info low cost – vous excuserez l’anglicisme, monsieur le président de la commission – se développe sous couvert de modernité, plus nous avons besoin de la rigueur d’analyse, de la distance critique, de la pertinence comme de l’impertinence de la presse d’opinion. C’est pourquoi, si l’on veut la sortir de la situation périlleuse dans laquelle elle se trouve, on ne peut plus la considérer uniquement sous l’angle d’une activité marchande ni s’en remettre au caprice d’actionnaires dont le seul credo est la rentabilité financière. D’ailleurs, l’information étant devenue une activité de plus en plus déficitaire, elle ne les attire plus guère, ce qui n’est qu’un moindre mal dans la mesure où l’actionnariat alimente à juste titre les soupçons d’interventionnisme sur les contenus, renforçant la méfiance des citoyens.
Différentes formules sont actuellement expérimentées sur le Net, où la gratuité perçue comme une norme quasi consubstantielle complique singulièrement l’émergence de modèles économiquement viables.
Les sites des journaux nationaux en ligne attirent de plus en plus d’internautes et le lectorat global est nettement plus important qu’il y a quelques années. Le problème, c’est que ce succès d’audience ne se traduit pas en succès financier, car la publicité ne suit pas, pas plus que le lecteur payant.
À mon sens, l’avenir est non pas le papier ou Internet, mais l’un et l’autre : ils sont complémentaires. Le défi de la concurrence technique ne conduit pas inéluctablement à l’enterrement du support papier.
Mais, sans ressources suffisantes, comment continuer à faire vivre une presse quotidienne d’information de qualité, quel que soit le support ? Les recettes publicitaires, qui constituaient un apport déterminant à l’équilibre financier des journaux, n’en finissent pas de s’écrouler de façon vertigineuse. De fait, aucun site d’information ne parvient à vivre uniquement de la publicité, et les recettes évoluent à la baisse. Or cela ne va pas s’améliorer à l’avenir.
Google News, site d’information sans journalistes qui puise gratuitement dans 5 000 sites d’information, dont 500 sites francophones, vient de décider d’ouvrir son site américain aux annonceurs sans partager ses gains avec les éditeurs de journaux qui lui fournissent pourtant les contenus. Qui peut croire que Google ne va pas étendre cette expérience à la France ? C’est un nouveau coup qui va encore affaiblir la presse.
Il est inquiétant de constater que les moteurs de recherche vampirisent littéralement le marché publicitaire attiré par l’efficacité des publicités ciblées que permet le profilage des goûts et des préférences. À propos des moteurs de recherche, de Google en particulier, on peut vraiment parler de nouveau monopole et d’un abus de position dominante tout à fait condamnable.
Si le diagnostic de la situation de la presse est aujourd’hui bien posé, les remèdes sont des plus incertains. Ils s’apparentent davantage à des stratégies de survie. En d’autres termes, il est temps de repenser le modèle économique de la presse de contenu, qui est bien loin de n’être qu’une activité marchande, et de tendre vers un service d’utilité publique, comme le préconise ce grand philosophe et sociologue qu’est Jürgen Habermas. N’est-ce pas légitime dans la mesure où cette activité constitue un pilier majeur non seulement de la démocratie, mais aussi de notre civilisation ?
Face au flux incessant de l’« info », fondé sur l’immédiateté et invitant à un présent permanent sans recul, notre société a de plus en plus besoin d’informations hiérarchisées et pertinentes, fiables et vérifiées, complètes et objectives, exigeantes sur l’éthique et la déontologie journalistique.
C’est une piste qu’évoque un homme comme Bernard Poulet, rédacteur en chef à L’Expansion, dans son dernier ouvrage, La fin des journaux, excellent livre, écrit par un excellent journaliste: « Il existe des services publics de l’éducation ou de la santé, pourquoi ne pas imaginer un service public de l’information, indépendant des pouvoirs politiques ?» Je partage son opinion. En effet, une société démocratique ne peut pas se .passer du pluralisme de l’information. Et, comme les deux piliers des ressources de la presse s’assèchent avec des ventes qui s’érodent et des recettes publicitaires qui fondent inexorablement, il est temps d’explorer de nouvelles voies.
Aux États-Unis, dans un contexte de financement public différent, fondé sur les donations et l’exonération fiscale des dons qu’ils proviennent des entreprises ou des particuliers, l’expert Michael Schmidt proposait récemment dans le New York Times que les journaux deviennent « comme les universités, des institutions à but non lucratif soutenues par les donateurs ». Ainsi, les Américains eux-mêmes réfléchissent de plus en plus à un journalisme de « non-profit », soustrait à. l’économie de marché.
La meilleure arme de la presse, à l’évidence, c’est la qualité des contenus, les articles qui creusent les sujets, les enquêtes approfondies, les analyses différenciées, les bureaux de correspondants à l’étranger, ce qui suppose de recourir à de nombreux journalistes professionnels. Le métier de journaliste est plus que jamais indispensable, car, face à la masse d’informations disponibles, nous avons besoin de journalistes expérimentés, qui trient, décryptent et surtout donnent du sens.
Malheureusement, à la suite de nombreux plans de rigueur, les rédactions sont de plus en plus resserrées et les licenciements se poursuivent, entraînant une baisse de qualité qui entraîne à son tour la fuite des lecteurs…
L’idée d’un service public s’appuyant sur des critères de qualité et puisant à de multiples sources n’est-elle pas la meilleure solution pour prévenir la mort des quotidiens nationaux et celle du pluralisme ? Il s’agit non pas, bien évidemment, de créer une presse d’État, contraire à l’indépendance des journaux, mais un service public contrôlé par le Parlement et les lecteurs-citoyens. La reconnaissance juridique des rédactions garantirait cette indépendance.
Dès lors, il est particulièrement incompréhensible de chercher à privatiser l’Agence France-Presse, présente en continu pour informer en six langues des centaines de journaux, de télés, de radios, de sites internet, d’institutions, de dirigeants, de décideurs. Le Gouvernement souhaite en effet ouvrir son capital et remettre en cause son statut, celui-là même qui lui garantit l’indépendance rédactionnelle qui fait son succès.
Alors que l’information est plus que jamais stratégique dans l’ensemble de nos sociétés, l’AFP est incontestablement l’un des plus remarquables fleurons planétaires au service du droit de savoir des citoyens.
Dans le contexte actuel de concurrence acharnée, il est indispensable de conforter l’AFP dans sa position de troisième agence mondiale et de renforcer son rayonnement international. Sauvegardons son statut actuel : il est indispensable pour affronter la crise de la presse.
La représentation nationale a le devoir civique et éthique de donner un véritable avenir à la presse quotidienne d’information ainsi qu’à son pluralisme, dont l’État est le garant. Le financement public de services publics de l’information est bien une réponse pertinente à la crise actuelle, qui va être fatale à de nombreux titres dans leur diversité. L’information est un besoin et une nécessité à la vie en société comme à la vie démocratique.
Cela dit, il est aussi très important de travailler à faire renaître le plaisir de lire ce papier, qui noircit les doigts mais éclaire la réflexion. Comment redonner goût au bon vieux journal, perpétuer le rite de sa lecture gourmande ? Bien sûr, accorder un abonnement gratuit à un quotidien de leur choix à tous les jeunes de dix-huit ans est une excellente mesure. Mais, pour leur donner le goût du pluralisme, n’est-il pas préférable de leur faire découvrir une plus large palette de la presse écrite et de les encourager à fréquenter les lieux de vente pour mieux expérimenter les différentes offres ?
Ne faut-il pas viser plus loin, et plus tôt, en s’inspirant par exemple de la semaine de la presse à l’école, instaurée par le ministère de l’éducation nationale, avec le soutien des professionnels de la presse écrite ? Les journaux sont de formidables réserves de matière première pour l’enseignement du français, de l’histoire, de l’économie…