M. Jacques Legendre, président de la commission des affaires culturelles. C’est vrai !
M. Ivan Renar. La formation à la lecture de la presse, de l’école à l’université, n’est-elle pas la meilleure pédagogie de la citoyenneté ?
Le nombre et la fonction des documentalistes devraient être renforcés dans les collèges et les lycées.
De plus, il est indispensable de dispenser également une formation critique aux médias, comme il y a une éducation à l’image à partir du cinéma et de la télévision. Toutes les expériences et les pratiques ont été positives dans ce domaine.
Les défis auxquels est confrontée la presse écrite, en particulier la presse d’opinion, sont bien l’affaire de toute la société et conditionnent son avenir. Chaque fois qu’un journal disparaît, c’est un morceau de démocratie qui meurt. On ne rappellera jamais assez que « la liberté de la presse est non pas un privilège des journalistes, mais un droit des citoyens ».
Comment le monde peut-il comprendre son époque et s’appréhender lui-même sans le miroir que lui fournit le journalisme d’information ? Sans presse de qualité forte et diversifiée, c’est toute la société et la démocratie qui vont s’appauvrir. D’où la nécessité de créer les conditions d’un large débat populaire et citoyen afin de valoriser l’intelligence collective au service de l’émancipation humaine.
En un mot, mes chers collègues, la véritable ambition n’est-elle pas de remettre le citoyen au cœur de l’enjeu démocratique que représente la presse ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à Mme Colette Mélot.
Mme Colette Mélot. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, je me réjouis que nous ouvrions cette semaine sénatoriale de contrôle de l’action du Gouvernement et d’évaluation des politiques publiques, en application de notre nouvel ordre du jour, par un débat sur l’avenir de la presse.
Ce sujet revêt une importance particulière non seulement sur le plan démocratique, parce que nos concitoyens doivent bénéficier d’une information complète, indépendante et pluraliste, mais également sur le plan économique, car il s’agit d’assurer la survie d’un secteur aujourd’hui en péril.
Notre commission des affaires culturelles a depuis longtemps engagé une réflexion sur le sujet, lui consacrant de nombreuses auditions, et un groupe de travail a présenté un rapport sénatorial faisant aujourd’hui référence, le rapport d’information de notre ancien collègue Louis de Broissia, au titre éloquent : « Presse quotidienne d’information : chronique d’une mort annoncée ? »
Je souhaiterais, avant d’évoquer le plan d’aide à la presse présenté par le Président de la République, situer le contexte de la crise.
Bien que la presse totalise 35 % des parts de la publicité globale en France, les annonceurs se tournent de plus en plus vers l’audiovisuel ou Internet.
La presse quotidienne payante est de plus en plus concurrencée par les succès de l’information en ligne et de la presse gratuite, deux médias qui la rendent chaque jour moins indispensable aux yeux des lecteurs.
Dans le monde entier se pose la question de l’avenir de la presse d’information.
Toutefois, si la crise est mondiale, il existe un retard propre à la France, qui s’explique par la réunion de plusieurs facteurs : le manque d’adaptation du réseau de distribution, activité très déficitaire, la disparition de nombreux points de vente et le coût élevé des frais de production. Les coûts d’impression, de papier et de distribution sont parmi les plus élevés du monde occidental.
Les quotidiens français figurent à la cinquante-huitième place mondiale et à la vingtième place européenne quant à la diffusion pour 1 000 habitants. L’Europe de la presse quotidienne est dominée par deux grandes puissances : l’Allemagne, avec 24 millions d’exemplaires par jour, et le Royaume-Uni, avec plus de 16 millions d’exemplaires. La France vient loin derrière, avec seulement 8 millions d’exemplaires.
Si une étude parue dans Le Monde d’hier révèle une augmentation des ventes des quotidiens français en 2008, il faut relativiser ces données, car les ventes enregistrent une baisse de 15 % depuis le début de l’année, en raison de la crise.
La presse française est devenue la plus chère d’Europe. Signe d’un dispositif vieillissant, le prix des quotidiens augmente plus vite que la moyenne des prix à la consommation. Cette augmentation des prix entraîne la désaffection du public populaire, plus sensible au prix de vente, mais aussi du public le plus jeune, alors que c’est lui qui forme le lectorat du futur.
Un autre problème majeur est celui des invendus qui engorgent les points de vente. Le Livre vert issu des états généraux de la presse écrite relève qu’il n’est plus soutenable de produire et transporter à un prix plus élevé que partout ailleurs en Europe, puis de détruire 40 %, voire parfois 90 % de la production invendue.
La presse française aborde donc l’actuelle crise économique avec des handicaps structurels connus depuis longtemps, mais jamais résolus.
Les états généraux de la presse écrite ont permis une concertation exemplaire du monde de la presse, avec l’ensemble des éditeurs, des techniciens et des journalistes.
Le Plan qui en est issu, annoncé par le Président de la République le 23 janvier dernier, présente tout d’abord des mesures d’urgence destinées à compenser les effets immédiats de la crise : report d’un an de l’augmentation des tarifs postaux pour la presse et doublement des dépenses de communication de l’État dans la presse écrite. Je ne citerai pas l’ensemble des mesures envisagées par le plan, car vous serez sans doute amenée à les décrire tout à l’heure, madame le ministre. Je souhaite simplement souligner que le Gouvernement a su cibler les priorités.
Le plan s’attaque aux racines du mal : les coûts excessifs de fabrication et de distribution, avec une augmentation importante de l’aide directe au portage, qui passe de 8 millions à 70 millions d’euros, la suppression des charges sociales patronales pour tous les porteurs rémunérés au SMIC, le développement des points de vente, la revalorisation du métier de diffuseur.
Le développement de la presse en ligne est favorisé, car, ainsi que l’a souligné le chef de l’État, « si la presse ne prend pas le virage d’internet, elle n’aura aucune réponse à offrir aux générations natives du numérique ». D’où la création d’un statut d’éditeur de presse en ligne et l’adaptation du régime des droits d’auteur.
La crise est aussi une crise de fond sur la maîtrise de l’innovation, de la recherche et du développement. Pourriez-vous, madame le ministre, nous parler des actions que vous comptez entreprendre en ce domaine ? Quels sont les moyens dont peut disposer le ministère de la culture pour favoriser la mise en place d’une plateforme nationale de recherche sur les médias ?
Il est également important d’encourager la lecture de la presse chez les jeunes. Il ressort de diverses études que ceux-ci lisent très peu la presse en général, mais pensent néanmoins qu’elle est le média le plus utile pour « comprendre le monde ». On peut espérer que la décision d’offrir à tout jeune de dix-huit ans un abonnement gratuit à un quotidien de son choix retiendra l’attention des jeunes. Je souhaiterais savoir, madame le ministre, si vous envisagez d’autres mesures pour encourager ce lectorat ?
Pourriez-vous, d’autre part, nous indiquer le calendrier que vous allez mettre en place pour l’ensemble des réformes ?
Je tiens enfin à souligner que l’aide consentie par l’État est particulièrement importante : elle représente un total de 200 millions d’euros par an pendant trois ans. Cette aide est conditionnée aux réformes profondes du secteur, que les acteurs devront eux-mêmes mener à bien.
En effet, si l’État a dégagé une série de propositions, l’essentiel dépend de la presse elle-même. L’offre éditoriale doit ainsi s’adapter aux besoins et aux souhaits de ses lecteurs. Entre le minimum informatif des gratuits et la galaxie d’informations personnalisées d’Internet, l’offre des quotidiens payants devra se renouveler pour démontrer son originalité.
Le chemin est encore long, mais l’élan est aujourd’hui donné. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
M. le président. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants, avant qu’il nous soit donné lecture d’une déclaration du Gouvernement relative à la politique étrangère.
Le débat sur l’avenir de la presse reprendra à la suite de cette lecture.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures quinze, est reprise à seize heures vingt.)
M. le président. La séance est reprise.
7
Rappels au règlement
M. le président. La parole est à M. Jean-Luc Mélenchon, pour un rappel au règlement.
M. Jean-Luc Mélenchon. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, mon rappel au règlement a trait à l’événement, somme toute assez étonnant, qui va avoir lieu dans quelques instants au Parlement.
Tandis que les députés sont invités à se prononcer sur une déclaration du Gouvernement relative à la politique étrangère, celui-ci ne voyant pas d’autre moyen pour rallier une majorité autour de sa proposition tendant à ce que notre patrie retourne dans le commandement intégré de l’OTAN, les sénateurs sont, quant à eux, invités à écouter la lecture de cette déclaration, avant de vaquer à des occupations autres que celles qui leur ont été confiées, alors qu’ils expriment la volonté du souverain, qu’ils représentent tout autant que les députés.
Pourtant, s’il l’avait souhaité, le Premier ministre aurait pu faire application du quatrième alinéa de l’article 49 de la Constitution et demander au Sénat l’approbation d’une déclaration de politique générale, ou encore de l’article 50-1 de la nouvelle Constitution, entrée en vigueur le 1er mars dernier, qui dispose que « le Gouvernement […] peut […] faire […] une déclaration qui donne lieu à débat et peut, s’il le décide, faire l’objet d’un vote sans engager sa responsabilité ». Or il n’a retenu ni l’une ni l’autre de ces possibilités !
Au demeurant, nous sommes obligés de reconnaître que le Gouvernement – et nous lui en donnons acte – est absolument cohérent avec les choix qu’il a opérés précédemment, notamment en ratifiant le traité de Lisbonne, dont l’article 28 A prévoit que « les engagements et la coopération dans ce domaine demeurent conformes aux engagements souscrits au sein de l’OTAN, qui reste, pour les États qui en sont membres, le fondement de leur défense collective et l’instance de sa mise en œuvre ». Soit ! Mais tel n’est pas notre avis.
D’ailleurs, nous pensons être nombreux, dans ce pays, à ne pas approuver que notre patrie renonce à être un exemple d’indépendance, un point d’appui à une défense européenne réellement indépendante de l’empire américain.
Conscients de l’honneur que représente notre mandat de parlementaire, ou de l’idée que nous nous en faisons, et de notre devoir à l’égard de la sécurité de notre continent et de l’engagement de notre pays, nous ne pouvons exprimer d’une autre manière notre absolue et totale opposition à ce que nous considérons comme une capitulation sans condition…
M. Dominique Braye. Toujours dans la nuance !
M. Jean-Luc Mélenchon. … devant les décisions militaires de l’empire qu’en quittant l’hémicycle sans entendre la lecture de la déclaration qui a été prévue à notre intention. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)
M. Alain Vasselle. Provocateur !
M. Didier Boulaud. C’est mieux que d’être un dégonflé !
M. le président. La parole est à M. Yvon Collin, pour un rappel au règlement.
M. Yvon Collin. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, mon rappel au règlement se fonde sur les articles 29 et 66 du règlement du Sénat.
Lors de la dernière conférence des présidents de notre assemblée, le groupe du RDSE, par la voix de mon collègue François Fortassin, a protesté contre les conditions dans lesquelles le Sénat allait être amené à débattre – ou plutôt à ne pas débattre véritablement – du retour de la France dans le commandement intégré de l’OTAN.
Dès que j’ai eu connaissance de l’organisation de nos travaux, au nom de mon groupe, je vous ai écrit, monsieur le président, ainsi qu’au Premier ministre, pour vous faire part de nos regrets et de notre vive déception de voir le Parlement, et tout particulièrement la Haute Assemblée, ainsi traité.
Car, indépendamment de toute prise de position sur la question de fond – notre pays doit-il ou non revenir au sein du commandement intégré de l’OTAN ? –, il nous apparaît incompréhensible et injustifiable, compte tenu des enjeux majeurs que recouvre cette question au regard de notre politique étrangère et de défense, que le Parlement, en particulier le Sénat, ne puisse se prononcer sur un sujet aussi fondamental.
Près d’une semaine après que le Président de la République a annoncé sa décision, à l’occasion de la clôture d’un colloque à l’École militaire, l’Assemblée nationale devra se prononcer aujourd’hui de façon plus globale sur la politique étrangère du Gouvernement, et non pas sur le fond de ce qui devrait, dans une véritable démocratie parlementaire, faire débat : la France doit-elle rentrer dans le commandement intégré de l’OTAN, après plus de quarante ans d’absence ?
Quant à nous, sénateurs, nous devrons encore attendre plus d’une semaine – soit deux semaines après l’annonce du Président de la République – pour pouvoir nous exprimer sur cette question majeure et hautement stratégique.
Qui plus est, à l’issue de notre débat, qui sera, à n’en pas douter, une fois de plus très riche et très pertinent, nous ne voterons pas : il se limitera à des interventions pendant une heure et demie, dont huit minutes réservées à mon groupe ! Huit minutes et pas la moindre possibilité de voter sur la question de l’OTAN !
M. Didier Boulaud. C’est le temps qu’a mis Sarkozy pour réfléchir à cette question ! Ou plutôt, il n’a même pas mis huit minutes, car il ne réfléchit que 30 secondes, le matin, en se rasant ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)
M. Yvon Collin. Avouez, monsieur le président, mes chers collègues, que c’est faire peu de cas de la Haute Assemblée !
Avec de telles pratiques, on est bien loin de l’esprit de la révision constitutionnelle votée en juillet dernier et de la volonté, qui avait alors prévalu, de revaloriser les droits du Parlement, notamment ceux du Sénat.
Mon rappel au règlement porte donc non pas sur le fond de la question, mais bien sur la forme et les conditions insuffisantes, et regrettables, dans lesquelles le Sénat sera amené à ne s’exprimer que la semaine prochaine.
C’est pourquoi, monsieur le président, monsieur le ministre d’État, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, la majorité des membres de mon groupe et moi-même n’assisterons pas à la lecture de la déclaration du Gouvernement relative à la politique étrangère. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Bel.
M. Jean-Pierre Bel. Monsieur le président, nous faisons partie de ceux qui sont toujours prêts à voir l’avenir de manière optimiste, j’allais même dire l’avenir en rose ! (Sourires.)
Même si nous n’avons pas voté la réforme constitutionnelle, nous pensions que de nouvelles relations allaient peut-être s’instaurer entre le Parlement et l’exécutif.
Hélas, à la première occasion, le Gouvernement en revient de manière caricaturale à ses mauvaises habitudes !
M. Jean-Pierre Godefroy. Eh oui !
M. Jean-Pierre Bel. Le Sénat a aujourd'hui le droit d’entendre un message, mais il n’aura, en aucun cas, la possibilité de s’exprimer.
Pourtant, comme mes collègues l’ont souligné, la question est cruciale puisqu’il s’agit ni plus ni moins de la place de la France dans le monde, en particulier de sa politique en matière d’alliances militaires.
On en revient donc aux bonnes vieilles méthodes consistant à museler non seulement l’opposition – nous en avons l’habitude ! –, mais également la majorité.
M. Didier Boulaud. C’est bien fait ! Elle ne l’a pas volé !
M. Jean-Pierre Bel. Oui, chers collègues de la majorité, je défends aussi vos intérêts !
Eu égard aux discussions que j’ai eues avec un certain nombre d’entre vous, je me demande si le Sénat, tel qu’il est aujourd’hui constitué, n’aurait pas refusé la réintégration de la France dans l’OTAN !
M. Jacques Gautier. Vous êtes notre confesseur ?
M. Jean-Pierre Bel. Je dis donc haut et fort que le Gouvernement aurait pris un risque politique en organisant un débat suivi d’un vote dans cet hémicycle !
M. Didier Boulaud. Il a eu la trouille !
M. Jean-Pierre Bel. Monsieur le président, il est de votre responsabilité de refuser que le Sénat soit cantonné à jouer le rôle du muet du sérail.
M. Didier Boulaud. Absolument !
M. Jean-Pierre Bel. Contrairement à ce qui m’a été dit en conférence des présidents par M. Karoutchi, secrétaire d'état chargé des relations avec le Parlement, les outils constitutionnels existent bel et bien : l’article 49, quatrième alinéa, et l’article 50-1.
Monsieur le président, vous affirmiez, le 14 octobre 2008 : « Je suis frappé chaque jour davantage par l’incroyable distorsion entre la réalité et la qualité du travail du Sénat et l’image déformée qui est encore celle de notre assemblée dans une partie de l’opinion. » Mais comment s’en étonner si vous acceptez que notre assemblée ne puisse exprimer clairement une position ?
M. Jean-Louis Carrère. Très bien !
M. Didier Boulaud. C’étaient des « paroles verbales » !
M. Jean-Pierre Bel. Pardonnez-moi, monsieur le président, mais, en n’imposant pas cet acte démocratique élémentaire – voter et débattre ici, au Sénat –, vous donnez raison aux ennemis du bicamérisme et vous confortez auprès de l’opinion publique l’image d’une assemblée secondaire.
M. Josselin de Rohan. Quelqu’un avait parlé d’« anomalie » !
M. Jean-Pierre Bel. De nouveau, j’adresse donc une demande formelle et officielle pour que, en application de l’article 50-1 de la Constitution, le Gouvernement vienne devant le Sénat faire une déclaration qui donne lieu à débat et fasse l’objet d’un vote, sans engager sa responsabilité.
En attendant, chacun ici le comprendra – y compris, peut-être, vous-même, monsieur le ministre d’État –, nous ne pouvons cautionner ce déni de démocratie et ce piètre sort qui est réservé au Sénat. C’est pourquoi nous ne participerons pas, nous non plus, à cette caricature de débat parlementaire et vous laisserons seuls face à vos responsabilités, et j’ajouterai même face à l’histoire ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SP, ainsi que sur certaines travées du RDSE. – Mmes et MM. les sénateurs du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que certains sénateurs du RDS, se lèvent et quittent l’hémicycle. – Plusieurs sénateurs de l’UMP applaudissent.)
M. Didier Boulaud. Nous savons lire, nous n’avons pas besoin qu’on nous fasse la lecture !
M. Alain Vasselle. Ah, de l’air !
M. Dominique Braye. Allez, pressez-vous un peu !
M. Didier Boulaud. Nous ne sommes pas des godillots, nous !
M. Alain Vasselle. Les absents ont toujours tort ! La politique de la chaise vide n’est jamais un bon choix !
8
Politique étrangère
Lecture d'une déclaration de politique générale du Gouvernement
M. le président. L’ordre du jour appelle la lecture d’une déclaration du Gouvernement relative à la politique étrangère.
Cette déclaration, sur laquelle le Premier ministre engage la responsabilité du Gouvernement devant l’Assemblée nationale en application du premier alinéa de l’article 49 de la Constitution, est actuellement prononcée à la tribune du Palais-Bourbon par M. François Fillon.
Elle va être lue à notre tribune par M. Jean-Louis Borloo, ministre d’État, ministre de l’écologie, de l’énergie, du développement durable et de l’aménagement du territoire.
La parole est à M. le ministre d’État. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Jean-Louis Borloo, ministre d'État, ministre de l'écologie, de l'énergie, du développement durable et de l'aménagement du territoire. « Monsieur le président, mesdames, messieurs, durant ces derniers mois, notre politique étrangère et de défense a fait l’objet de plusieurs débats au sein de cette assemblée.
« Nous avons débattu à plusieurs reprises de la question afghane, et vous avez dû, pour la première fois dans la Ve République, vous prononcer sur la prolongation de nos opérations militaires extérieures. Sous l’impulsion du Président de la République, le domaine autrefois réservé est devenu plus ouvert et plus partagé.
« Nous l’avons voulu ainsi parce que les frontières entre les affaires intérieures et extérieures sont de plus en plus imbriquées.
« Je rappelle à l’opposition (Sourires sur les travées de l’UMP) que, par le passé, le pouvoir régalien du président s’affirmait pleinement, et François Mitterrand l’utilisa sans réserve. De son soutien à l’installation des missiles Pershing américains en République fédérale d’Allemagne à l’interruption brutale de nos essais nucléaires en 1992, de l’intervention au Tchad en 1983 à l’intervention en ex-Yougoslavie en 1992, jamais le vote du Parlement ne fut sollicité. Seul notre engagement en Irak, en 1990, fit l’objet d’un vote de confiance à l’Assemblée nationale, mais il intervint alors même que les hostilités étaient déjà engagées.
« Ce bref rappel du passé nous dispense des leçons de démocratie que certains se plaisent à nous donner aujourd’hui. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
M. Dominique Braye. Très bien !
M. Jean-Louis Borloo, ministre d'État. « Parce que notre politique étrangère et de défense est l’affaire de la nation, le Gouvernement a décidé de solliciter la confiance de la majorité à l’Assemblée nationale pour servir une certaine idée de la France dans le monde.
« Car oui, ce débat ne peut se résumer à la seule question de l’OTAN, qui ne constitue qu’un des volets de notre diplomatie et de notre sécurité.
« Si l’Alliance atlantique était autrefois une réponse des démocraties face à la menace soviétique et, de ce fait, l’un des symboles idéologiques et militaires de la guerre froide, elle n’est désormais qu’une structure parmi d’autres. Elle n’est plus et elle n’est pas l’expression d’une politique globale !
« En 1966, en plein cœur des tensions Est-Ouest, notre retrait de l’Organisation constitua un choc. Mais, en 2009, notre retour ne constitue qu’un ajustement qui, de ce fait, ne provoque aucun émoi dans le concert international.
« Notre pleine participation aux structures de l’Alliance n’est qu’un moyen parmi d’autres de placer notre pays en capacité de répondre aux défis de son temps.
« La France n’est grande que lorsqu’elle est grande pour le monde. C’est ainsi : notre nation se sent investie d’une responsabilité universelle, et les circonstances géopolitiques en élargissent les horizons.
« L’interdépendance des enjeux sécuritaires, économiques, écologiques, constitue la césure historique du XXe siècle. Elle est la conséquence de la disparition de la bipolarité d’hier, de l’extension de l’économie de marché et du développement accéléré des technologies de l’information et de la communication.
« Cette interdépendance signe la fin du monopole de la puissance et du progrès si longtemps détenu par les seuls Occidentaux.
« La spectaculaire émergence de la Chine et de l’Inde est le point saillant de ce rééquilibrage politique et économique.
« Ce monde globalisé et complexe ne rend que plus légitime et nécessaire notre vocation internationale.
« Pour elle, nous croyons à l’égale dignité des nations et à la liberté des peuples à disposer d’eux-mêmes.
« Face aux tyrannies, nous sommes l’avocat des droits de l’homme.
« Devant l’uniformité rampante, nous défendons de Dakar à Québec la diversité des héritages culturels et linguistiques.
« Face aux tentations hégémoniques, nous opposons la légalité internationale et le multilatéralisme.
« Devant les grands enjeux actuels, nous militons en faveur d’une mondialisation réorganisée, plus équitable et mieux maîtrisée.
« Cet universalisme français prolonge la défense de nos intérêts nationaux.
« N’en déplaise aux esprits angéliques qui négligent les rapports de force et aux idéalistes qui prophétisent la fin des nations, la France demeure une puissance qui a des objectifs propres. Nous les orchestrons de façon collective. Nos intérêts se conjuguent avec ceux de l’Europe.
« Ils s’articulent avec ceux de nos alliés les plus fidèles, dont font partie les États-Unis, mais aussi avec ceux de nos partenaires qui entretiennent des relations de confiance avec nous.
« Au Maghreb, au Proche-Orient et au Moyen-Orient, en Afrique, en Amérique du Sud, en Asie, en Russie, il y a de grands peuples avec lesquels nous partageons une estime réciproque qui s’enracine dans les profondeurs de nos mémoires et de notre histoire.
« La promotion de nos valeurs et de nos intérêts constitue notre permanence politique. Elle est servie par notre indépendance. Notre nation ne reçoit d’ordre de personne ! Elle doit être libre de décider par elle-même et pour elle-même.
« L’autonomie de notre politique est complète sur le plan stratégique avec notre force de dissuasion nucléaire, qui protège nos intérêts vitaux.
« Elle l’est aussi sur le plan diplomatique.
« De notre engagement armé en Yougoslavie à celui en Afghanistan, de notre refus catégorique de nous associer à la seconde guerre en Irak à l’initiative franco-égyptienne en faveur de Gaza, la France agit et agira toujours selon ses convictions.
« Lorsque nous relançons le dialogue avec la Syrie ou la Libye, lorsque nous demandons, avant la conférence de Bali, des engagements contraignants de réduction du CO2, lorsque nous prenons l’initiative d’intervenir dans la crise russo-géorgienne, nous décidons et œuvrons selon nos vues.
« Cette indépendance de ton et d’action qui est la marque de la France s’inscrit dans notre choix résolu de la solidarité.
« Solidarité d’abord avec l’Union européenne, pour laquelle tous les Présidents de la République se sont engagés de façon continue, avec un objectif identique : faire de l’Europe, non pas seulement un espace économique, mais une force politique.
« Sous la conduite de Nicolas Sarkozy, la présidence française de l’Union aura révélé l’Europe sous un jour nouveau.
« Oui, l’Europe a le pouvoir d’influer et de peser sur les affaires du monde ! Elle a un destin singulier dès lors qu’elle s’en saisit avec courage !
« L’Europe mérite, avec le traité de Lisbonne, une organisation institutionnelle plus stable. La France a la conviction que l’Europe ne peut être un géant économique sans prétendre au premier rang diplomatique et militaire.
« Solidarité ensuite avec nos alliés, notamment américains.
« De la crise de Cuba à la première guerre en Irak, de la crise des euromissiles au 11 septembre 2001, la France ne s’est jamais départie de son amitié à l’égard du peuple américain.
« La France, alliée mais pas vassale, fidèle mais insoumise, toujours fraternelle mais jamais subordonnée : voilà la nature de notre relation avec l’Amérique.
« L’Amérique est une puissance globale, et la sagesse comme les réalités géopolitiques nous commandent de juger sa diplomatie sur ses actes et non sur ses intentions. L’amitié ne se confond pas avec la naïveté !
« L’élection de Barak Obama ouvre pourtant des perspectives que nous devons saisir. La gauche a applaudi à tout rompre cette élection américaine, mais n’hésite pas à marquer sa défiance vis-à-vis de l’Amérique dès lors que l’on évoque l’Alliance atlantique.
« Entre fascination et appréhension, il existe pourtant une voie pragmatique pour renouveler les instruments et les objectifs de la relation franco-américaine et euro-américaine.
« Plusieurs sujets cruciaux réclament une nouvelle dynamique commune.
« Il y a d’abord l’Iran.
« Notre devoir absolu est d’éviter la contagion nucléaire et, pour cela, il faut défendre le régime international de non-prolifération. Nous avons renforcé les sanctions du Conseil de sécurité et poursuivi nos offres de dialogue avec Téhéran. Aujourd’hui, les États-Unis nous rejoignent sur cette approche ferme, mais ouverte. Il semble qu’ils convergent vers l’idée que nous défendons depuis longtemps d’un dialogue franc et direct avec Téhéran.
« Avec la Corée du Nord, la crise iranienne a fait ressurgir la question nucléaire, qui est aggravée par le développement des missiles balistiques de moyenne portée.
« La question nucléaire doit être résolue par le partage encadré du nucléaire civil.
« Elle doit l’être aussi par une attitude responsable de la part de ceux qui détiennent la dissuasion. Dans cet esprit, nous demandons aux États-Unis comme à la Chine de ratifier le traité d’interdiction complète des essais nucléaires comme nous l’avons fait nous-mêmes il y a onze ans. Nous soutenons la relance d’une négociation entre les États-Unis et la Russie, afin d’aboutir, de part et d’autre, à une dissuasion strictement minimale.
« Nous souhaitons enfin l’ouverture sans délai de la négociation d’un traité d’interdiction de la production des matières fissiles pour les armes nucléaires.
« Il y a aussi l’Afghanistan.
« Le Gouvernement a défendu la nécessité de l’engagement de la France dans ce pays, qui fut la base arrière du terrorisme international.
« Je veux ici saluer la mémoire du caporal Belda, du 27e bataillon de chasseurs alpins, qui a trouvé la mort au cours d’un accrochage dans la province de Kapissa, samedi dernier. Le courage et le professionnalisme de nos soldats font l’honneur de la France !
« Sécuriser l’Afghanistan, reconstruire ses infrastructures, réconcilier le peuple afghan, transmettre aux autorités légitimes les moyens d’exercer la pleine souveraineté de cet État : voilà notre stratégie. Pour tout cela, nous voulons rompre avec une gestion exclusivement militaire de la crise afghane. Il faut une approche politique d’ensemble et il semble que les États-Unis y soient désormais sensibles.
« Il y a enfin, avec nos partenaires américains, le sujet central de la lutte contre le changement climatique.
« Sous l’impulsion de la France, l’Europe est parvenue à un accord ambitieux. Mais l’Europe ne peut agir seule. Les États-Unis semblent enfin prendre la mesure de leurs responsabilités vis-à-vis des prochaines générations. Avec le sommet de Copenhague de décembre 2009, il va falloir maintenant passer aux décisions et aux actes !
« Cette solidarité de la France s’exprime aussi avec l’espace méditerranéen.
« Le projet de l’Union pour la Méditerranée marque notre ambition de dessiner les contours d’une étroite collaboration euro-méditerranéenne.
« Nous voulons désavouer et désarmer ceux qui en appellent au choc des civilisations. Nous refusons la logique des fanatiques. Nous refusons de nous laisser enfermer dans des schémas manichéens. Entre l’Occident et l’Orient, la France est et restera une médiatrice.
« En toute indépendance et malgré les critiques, nous avons pris le risque de renouer avec Damas. Nous croyons que la Syrie peut apporter une contribution importante à la paix dans la région. Elle l’a montré au Liban avec la conclusion de l’accord de Doha. Elle peut nous aider à convaincre le Hamas de faire le choix de la raison, celui de la réconciliation interpalestinienne et de la négociation avec Israël.
« Dès le premier jour de la crise de Gaza, le Président de la République a cherché une issue au conflit, dans un esprit d’équilibre et de justice. Cette crise et son bilan dramatique montrent qu’il n’y aura pas de solution militaire au conflit.
« La France affirme qu’Israël doit pouvoir vivre en paix, dans des frontières reconnues, et que la Palestine doit pouvoir vivre libre, en jouissant de sa pleine souveraineté.
« Dans cette région, seul le courage des compromis politiques permettra de sortir de l’impasse.
« Le Président de la République a proposé de tenir au printemps un sommet de relance du processus de paix.
« Solidarité aussi de la France avec l’Afrique.
« Nous croyons en l’avenir de cet immense continent. Et c’est pourquoi nous demeurons l’un des principaux pourvoyeurs d’aide publique au développement.
« Nous nous sommes engagés au Darfour en sécurisant les camps à l’est du Tchad. Nous avons amené nos partenaires européens à nous appuyer dans la mise en œuvre de l’EUFOR, la plus grande opération militaire de l’Union européenne. Signe de son succès, les Nations unies viennent de prendre le relais de cette force européenne.
« Solidarité, enfin, avec l’Organisation des Nations unies.
« Pour la France, le droit international est l’expression d’une morale universelle. Il est la source d’un ordre légal face à la violence. En l’espace d’un demi-siècle, les interventions successives de l’ONU ont couvert les échecs de la SDN.
« Pour autant, la France estime que la gouvernance internationale, issue de l’après-guerre, ne répond que partiellement aux enjeux d’aujourd’hui. Nous soutenons le processus de réforme du Conseil de sécurité des Nations unies et militons en faveur de son élargissement.
« Nous avons proposé l’extension du G8 en G14. Nous avons joué un rôle moteur dans la réforme des droits de vote au sein du FMI. Enfin, nous nous faisons sans cesse les avocats d’une meilleure représentation de l’Afrique au FMI et à la Banque mondiale.
« Avec l’Union européenne, la France a pris la tête des efforts pour bâtir une véritable régulation financière internationale. Nous voulons corriger les causes de la crise actuelle.
« Le Conseil européen du 19 mars définira une position européenne pour le sommet du G20, à Londres, le 2 avril.
« La France exigera des changements clairs en matière financière : régulation des hedge funds et des agences de notation, encadrement des rémunérations, réforme des normes comptables, lutte contre les centres offshore. L’idée que nous nous faisons de l’économie mondiale n’est pas celle d’un vaste casino sans règles et sans éthique qui ne peut que mener à la catastrophe.
« S’il est une leçon que nous devons retenir du général de Gaulle, c’est bien celle qui consiste à ne jamais regarder l’avenir avec les yeux du passé.