M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Absolument !
M. Jean-Pierre Sueur. L’exemple que je viens de citer nous incite à être très réservés en matière d’ordonnance. Or cette proposition de loi comporte de très nombreuses habilitations pour de très nombreuses ordonnances !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Il ne s’agit que de ratifications expresses.
M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le président de la commission des lois, vous le savez bien, la masse des textes législatifs issus d’ordonnances devient tout à fait considérable eu égard au volume des lois dont nous débattons au Parlement. S’agissant plus particulièrement des collectivités locales, sujet qui intéresse le Sénat au plus haut point, nous devons être très vigilants.
J’appellerai également à la vigilance concernant l’article 7 de cette proposition de loi, qui traduit la volonté de M. Warsmann, président de la commission des lois de l’Assemblée nationale, de réformer le vocabulaire législatif.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois et M. Bernard Saugey, rapporteur. Ah !
M. Jean-Pierre Sueur. Ainsi, on nous propose d’exclure du corpus législatif un certain nombre de termes de la langue française. Pourquoi le verbe « échoir », par exemple, devrait-il être proscrit dans une loi de la République ? (Sourires sur le banc de la commission.)
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C’est pourtant un beau verbe !
M. Jean-Pierre Sueur. Ainsi réapparaît ce que j’appellerai le syndrome de La Princesse de Clèves…
M. Jean-Pierre Sueur. Comme vous le savez, monsieur Santini, un ministre de la République, qui depuis a été promis à un destin supérieur – bien que celui de ministre soit très respectable (Sourires) –…
M. Jean-Pierre Sueur. …avait jugé incongru d’inscrire La Princesse de Clèves au programme des concours de fonctionnaires. Cette littérature serait d’un niveau trop élevé pour être accessible au commun des mortels et des fonctionnaires !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Une culture inutile !
M. Jean-Pierre Sueur. De la même manière, on considère que certains mots très anciens de la langue française, des mots qui ont fait leurs preuves, qui font partie de notre patrimoine, devraient être exclus de la loi ! J’estime que nous ne devons nous aventurer dans cette voie qu’avec beaucoup de précaution.
Certes, on trouve des formules désuètes et incompréhensibles dans la loi, mais on y trouve aussi de braves mots – comme il y a de bons soldats –, couverts d’histoire et témoins des richesses que recèle la langue, cette faculté langagière qui fait partie du génie de notre peuple.
Par conséquent, je suis reconnaissant à la commission des lois de nous avoir suivis en écartant cette censure langagière un peu excessive.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Suspecte !
M. Jean-Pierre Sueur. Je m’interroge également sur le type d’objet législatif auquel nous avons affaire.
Souvenez-vous, il existait naguère les DDOS, les lois portant « diverses dispositions d’ordre social »,…
M. le président. Ce n’était pas si mal !
M. Jean-Pierre Sueur. …les DMOS, « diverses mesures d’ordre social », puis les DDOF, « diverses dispositions d’ordre financier », nous avons également connu des « dispositions diverses relatives aux collectivités locales ».
Puis l’excellent Pierre Mazeaud a jugé que ces textes…
M. le président. Aïe, aïe, aïe !
M. Jean-Pierre Sueur. …étaient des objets « inconstitués ».
M. le président. S’il n’avait dit que cela ! (Sourires.)
M. Jean-Pierre Sueur. Je crains que nous n’atteignions là, mes chers collègues, malgré les bonnes intentions, le paroxysme de la loi inconstituée contre laquelle M. Mazeaud nous mettait en garde.
Parfois, la simplification a bon dos ! En effet, cette proposition de loi rassemble des considérations qui portent sur tout : elle réforme tous les codes et porte sur tous les sujets !
Permettez-moi de vous rappeler à cet égard, chers collègues de la majorité, que vous avez cru devoir adopter le principe d’une étude d’impact. Or le rapport de M. Saugey compte déjà quelques centaines de pages, sans compter ceux de ses collègues rapporteurs pour avis ! Si l’on y ajoute le rapport de l’Assemblée nationale, on obtient déjà de forts volumes ! (Sourires sur le banc de la commission.)
J’ose à peine imaginer l’épaisseur de l’étude d’impact qui serait consacrée à l’ensemble des vingt-cinq sujets de ce texte pour en mesurer les effets notamment sur l’égalité entre les hommes et les femmes, la Nouvelle-Calédonie et les autres départements et collectivités d’outre-mer, les PME… C’est une tâche impossible !
Par conséquent, nous pensons qu’il faut faire preuve de beaucoup de vigilance sur ce point.
Je conclurai en soulignant combien nous avons été surpris, et le terme est faible,…
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Choqués !
M. Jean-Pierre Sueur. … par l’amendement n° 182 déposé par le Gouvernement, que nous avons découvert ce matin ! (Murmures.)
Certes, je sais que vous avez eu d’autres sujets de préoccupation ces derniers temps, monsieur Karoutchi, et je comprends tout à fait que vous n’ayez pas pu vous pencher sur cet amendement.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Mais si !
M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement. J’ai étudié l’amendement n° 182 avec beaucoup d’attention, monsieur le sénateur ! (Sourires.)
M. Jean-Pierre Sueur. Au demeurant, le sujet mériterait de disparaître complètement.
L’amendement n° 182 se réfère à la loi du 5 mars 2007 tendant à renforcer l’équilibre de la procédure pénale. Comme vous le savez, nous n’avions pas soutenu ce texte, mais il y a ici d’éminents collègues qui l’ont voté. Cette loi, dont l’objet était de renforcer l’équilibre de la procédure pénale, a institué les pôles de l’instruction.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Vous défendez cette loi ?
M. Jean-Pierre Sueur. Soyons clairs, monsieur le président de la commission des lois : je défends non pas la loi du 5 mars 2007, mais le principe de la collégialité de l’instruction.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Vous le savez très bien, monsieur le président de la commission des lois !
M. Jean-Pierre Sueur. Car s’il est une proposition formulée par la commission d’enquête créée par l’Assemblée nationale à la suite des événements d’Outreau qui a suscité l’assentiment, y compris celui du Gouvernement, c’est bien celle de confier l’instruction non pas à un juge seul, mais à une structure collégiale. La création des pôles de l’instruction s’inscrivait dans cette perspective.
Or, selon les auteurs de l’amendement n° 182, il est urgentissime de reporter l’entrée en vigueur d’un tel dispositif. Et pourquoi cela ? Parce que le représentant le plus éminent du pouvoir exécutif, M. Nicolas Sarkozy, a annoncé récemment qu’il allait supprimer les juges d’instruction. Comme l’exécutif a proclamé, sans que le Parlement soit ni informé, ni consulté, ni appelé à en débattre à ce stade, qu’il n’y aurait plus de juge d’instruction, il est urgentissime de reporter la création des pôles de l’instruction !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Ils sont déjà créés !
M. Jean-Pierre Sueur. Je vais vous lire l’objet de l’amendement n° 182 du Gouvernement.
M. Bernard Saugey, rapporteur. Ce n’est pas la peine ! Nous sommes d'accord pour reporter la création des pôles de l’instruction d’un an !
M. Jean-Pierre Sueur. Permettez-moi de poursuivre, car c’est un point très important !
Dans l’objet de l’amendement n° 182, le Gouvernement écrit ceci : « Confier toutes les informations à une collégialité de juges à partir du 1er janvier 2010 nécessite des moyens considérables et une réorganisation lourde des juridictions concernées. »
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. En 2007, ils ne savaient pas qu’il faudrait des moyens !
M. Jean-Pierre Sueur. Pourtant, c’est bien le Gouvernement qui avait proposé la création des pôles de l’instruction. Et il nous explique à présent que cela nécessite des « moyens considérables et une réorganisation lourde », et qu’il n’est donc pas opportun de les instaurer à la date prévue ! En d’autres termes, le Gouvernement, qui a fait voter une loi, nous dit maintenant qu’il n’est pas souhaitable de l’appliquer : mais, monsieur le secrétaire d’État, c’est la loi !
Pour ma part, je vous informe d’emblée que nous voterons contre cet amendement…
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Heureusement !
M. Jean-Pierre Sueur. … et que nous sommes extrêmement choqués par le procédé.
C’est un amendement de confort, un amendement prédictif dont le seul objet est de préparer la négation de la loi que vous avez fait adopter parce que le Président de la République a décidé qu’il n’y aurait plus de juge d’instruction !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. C’est votre interprétation !
M. Jean-Pierre Sueur. Au nom du principe d’indépendance de la justice et des droits du Parlement, nous contestons une telle décision.
Mes chers collègues, profiter d’une proposition de loi de simplification du droit pour faire passer ce genre de dispositions nous paraît véritablement choquant. Nous ne pouvons pas cautionner une telle pratique.
De tels textes législatifs, dont l’objet est partout et la circonférence nulle part, servent de réceptacle à des articles qui sont en fait la négation de la loi !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Et du Parlement !
M. Jean-Pierre Sueur. Tout cela témoigne d’un manque de respect et de considération pour le Parlement, ainsi que pour les lois qu’il vote.
Par conséquent, nous ne pouvons pas souscrire à de tels procédés et vous comprendrez que nous restions extrêmement vigilants sur ce type de dispositions. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à M. François Zocchetto.
M. François Zocchetto. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la complexité du droit français est régulièrement dénoncée. Le principe selon lequel nul n’est censé ignorer la loi n’a jamais été aussi difficile d’application. En effet, notre pays souffre d’un trop-plein de lois et de règlements.
Une telle complexité est lourde de conséquences, comme le souligne de manière récurrente le Conseil d’État. L’empilement des normes et leur insuffisante clarté altèrent le fonctionnement de notre économie, découragent les citoyens, qui perdent leurs repères, et désorientent l’autorité publique. C’est peut-être un lieu commun de le rappeler, mais c’est la réalité : l’accumulation des textes finit par brouiller la perception du politique. En rendant le droit plus complexe, elle le rend plus incertain.
Pourtant, dans le même temps, le Conseil constitutionnel a intégré l’intelligibilité et l’accessibilité du droit parmi les objectifs de valeur constitutionnelle.
Comment sortir d’une telle contradiction ? C’est précisément l’un des objets de la présente proposition de loi. La volonté de simplifier le droit constitue l’un des axes de travail majeurs de la commission des lois du Sénat. Depuis le début de la présente législature, nous nous efforçons de simplifier, de clarifier et d’alléger nos règles juridiques. Dans ces conditions, nous ne pouvons que soutenir le texte dont nous sommes saisis aujourd'hui.
Le premier objectif est de simplifier. Dans cette optique, nous pouvons mentionner le recours aux nouvelles technologies chaque fois que cela est possible. C’est pour simplifier et moderniser les procédures mises en œuvre par les collectivités territoriales que l’article 33 de la proposition de loi permet de mettre à la disposition des conseillers régionaux et généraux les documents préparatoires aux sessions de l’assemblée à laquelle ils appartiennent par Internet. De même, l’article 15 prévoit la remise du bulletin de paie, avec l’accord du salarié concerné, sous forme électronique.
Je voudrais vous faire part d’une réflexion concernant l’organisation du travail législatif. Le tome II du rapport de la commission, consacré au tableau comparatif, comptait tout de même 815 pages !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Et il devrait encore s’étoffer !
M. François Zocchetto. Nous nous plaignons souvent que le Gouvernement légifère par ordonnances. Ce texte procède à la ratification d’un certain nombre d’ordonnances, mais je me demande si, pour une fois, il n’aurait pas été souhaitable d’aller plus loin en la matière…
M. Bernard Saugey, rapporteur. N’exagérons rien !
M. François Zocchetto. Je sais que les procédures actuelles ne le permettent pas, mais nous pourrions envisager un dispositif tripartite dans lequel le Gouvernement et les présidents des commissions des lois de l’Assemblée nationale et du Sénat se réuniraient et feraient le tri entre ce qui relève de la procédure législative et ce qui relève des ordonnances.
Car, il faut tout de même le rappeler, la procédure législative est très lourde, dès lors que nous sommes très attachés à la navette parlementaire, avec une double lecture, voire avec la réunion d’une commission mixte paritaire, parfois elle-même suivie de nouvelles lectures !
Simplifier, c’est également supprimer des articles de loi devenus obsolètes ou sans objet. Qu’on le déplore ou qu’on s’en réjouisse, force est de constater que la loi suit les évolutions de la société.
Comme la simplicité, la clarté du droit est un objectif trop souvent oublié par le législateur.
Clarifier le droit – vous pouvez le regretter, monsieur Sueur, mais c’est tout de même ce que souhaitent nos concitoyens –, c’est améliorer la clarté du langage utilisé et supprimer les ambiguïtés des textes et des règles applicables.
Au XXIe siècle, améliorer la clarté du langage, c’est par exemple – malheureusement peut-être – supprimer le beau mot d’« antichrèse » ou remplacer le terme de « commodat »…
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Pourtant, c’était bien, « commodat » ! (Sourires.)
M. François Zocchetto. … par celui de « prêt à usage ». La richesse de la langue française y perdra sans doute, mais je pense que la clarté juridique y gagnera.
Notre collègue Pierre Fauchon me citait également le terme « amodiation ». Qui sait ce que cela signifie ?
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Il n’y a pas d’équivalent !
M. François Zocchetto. En tout cas, les justiciables ne le savent pas forcément !
Le troisième objectif est d’alléger. Cette proposition de loi a également le mérite d’alléger l’excès de formalisme, qui constitue un frein inutile au fonctionnement des entreprises, et donc au développement économique.
À ce stade de mon intervention, j’aimerais formuler quelques remarques au sujet de la procédure pénale. Je tiens à remercier M. le rapporteur de sa sagacité, en particulier sur deux points : l’ordonnance pénale et la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité, la CRPC.
Voilà trois ans, au sein de la commission des lois du Sénat, nous avons mené une mission d’information sur les procédures accélérées de jugement en matière pénale, ce qui a permis de mettre en évidence tout l’intérêt de ces procédures créées ces dernières années. Toutefois, si nous en avons exposé les avantages, nous en avons également pointé les limites. Il me paraît donc très sage, et même incontestable, d’avoir refusé l’extension du champ de l’ordonnance pénale à tous les délits.
Je souhaite également exprimer ma satisfaction quant au travail de la commission des lois sur la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité. Je me suis personnellement beaucoup investi dans la mise en place de cette procédure et je pense qu’elle forme un tout. Il ne saurait donc être question d’envisager, comme certains représentants du ministère public, de découper, de modifier ou de triturer cette procédure au bout de deux ans.
Dès lors que la décision du procureur a été acceptée par l’auteur présumé des faits incriminés, elle ne peut pas être modifiée. De deux choses l’une : soit elle est homologuée par le juge, soit elle ne l’est pas et il faut alors recommencer une nouvelle procédure. Toutefois, je n’imagine pas une décision du procureur qui aurait été acceptée par l’auteur présumé des faits revenir devant un juge du siège et faire l’objet d’une nouvelle procédure. Nous avons donc eu raison de nous montrer fermes sur ce point, et j’espère que le Sénat nous suivra.
Je m’étonne qu’il soit désormais possible d’engager une procédure classique de saisine du tribunal de police ou du tribunal correctionnel lorsqu’une procédure de CRPC est déjà engagée ! Pour moi, il s’agissait de procédures différentes, qui devaient être tentées successivement. Peut-être ne serai-je pas suivi sur ce point, mais je souhaite vivement que nous écartions ces possibilités de saisine en cas de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité.
Si je défends une telle position, contrairement à mon collègue Jacques Mézard, c’est parce que je crois fermement aux procédures de CRPC. Si nous les dénaturons, nous risquons de revenir en arrière en remettant en cause les progrès que nous avons pu constater dans leur utilisation.
Je souhaite en outre évoquer en quelques mots la réforme de l’instruction. Il est vrai que le Gouvernement nous a saisis in extremis d’une disposition visant à reporter les effets de la collégialité. Je suis d’autant plus à l’aise pour aborder le sujet que c’est sur mon initiative qu’avait été prise la décision d’avancer la date de création des pôles de l’instruction.
M. François Zocchetto. Lors de l’examen du texte qui allait devenir la loi du 5 mars 2007, nous avions estimé que la nouvelle procédure choisie devait être mise en œuvre le plus rapidement possible. La réflexion a évolué depuis ; des annonces ont été faites, et elles ne peuvent pas être ignorées, ne serait-ce que parce qu’elles émanent du Président de la République.
De mon point de vue, nous devons prendre le temps de la réflexion. Il y a un an, je souhaitais effectivement que les nouvelles dispositions soient mises en œuvre dans les plus brefs délais. Aujourd'hui, je suis convaincu – je l’étais d’ailleurs avant le dépôt de l’amendement n° 182 par le Gouvernement – qu’il y a lieu de prendre quelques mois de réflexion.
La réforme de l’instruction, qui est une vraie question, est évoquée depuis une dizaine voire une vingtaine d’années …
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Plus de vingt ans !
M. François Zocchetto. … sans que personne n’ose véritablement aller jusqu’au bout. Peut-être y parviendrons-nous dans les mois à venir, mais, dans l’immédiat, il me paraît sage de décider – bien que la commission ne se soit pas encore prononcée à ce sujet – …
M. Bernard Saugey, rapporteur. Demain matin !
M. François Zocchetto. … de s’accorder quelques mois supplémentaires avant de mettre en œuvre la collégialité de l’instruction.
J’ajoute cependant que, à mes yeux, il ne peut être question de modifier le fonctionnement actuel des tribunaux de grande instance.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Voilà !
M. François Zocchetto. En effet, il ne faudrait pas supprimer l’instruction dans les tribunaux de grande instance qui n’ont pas de pôle de l’instruction et ne s’occupent donc que des affaires délictuelles – les crimes étant dévolus aux pôles de l’instruction –, car on ajouterait à la confusion, ce qui n’est pas souhaitable.
S’agissant de l’article 4 de la proposition de loi concernant l’indivision, je suis quelque peu réservé sur le fait de revenir sur le dispositif de la loi de 2006 portant réforme des successions et des libéralités. Sans être un spécialiste de la question, il me semble que, à l’issue de débats longs et approfondis, nous étions parvenus à des solutions très raisonnables et faciles à mettre en pratique en matière d’indivision.
Je m’associe aux propos tenus tout à l'heure à ce sujet en soulignant, à mon tour, que nous ne devons pas en arriver à entériner le principe de l’expropriation pour des motifs d’intérêt privé. Nous n’y gagnerions pas, et les familles encore moins.
Enfin, je tiens à féliciter vivement notre rapporteur, Bernard Saugey – et ce n’est pas une clause de style ou une quelconque flatterie de ma part –, pour le travail considérable qu’il a accompli, en coopération avec les rapporteurs pour avis, Mmes Panis et Henneron, ainsi que M. Angels, et je ne sais si tous nos collègues mesurent véritablement l’ampleur de la tâche réalisée, avec le concours des administrateurs du Sénat.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. C’est un travail de bénédictin !
M. François Zocchetto. Absolument ! (Sourires.)
Je veux également mentionner le travail de codification mené par notre collègue récemment élue Mme Anne-Marie Escoffier, en coordination avec M. Patrice Gélard. Ils méritent notre reconnaissance pour ce travail silencieux, ingrat, dont on parle peu mais qui les occupe chaque semaine.
Nous voterons cette proposition de loi de nos collègues députés, en émettant le vœu qu’après les trois précédentes lois visant à simplifier le droit l’effort soit poursuivi, car la tâche est loin d’être achevée ! (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Josiane Mathon-Poinat.
Mme Josiane Mathon-Poinat. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, nous examinons une proposition de la loi de simplification et de clarification du droit et d’allégement des procédures, présentée à l’Assemblée nationale par Jean-Luc Warsmann.
Ne devrait-on d’ailleurs pas parler de projet de loi ? Nul ne doute ici de l’origine de ce texte : ce type de proposition de loi sert avant tout de cheval de Troie législatif pour le Gouvernement, destiné à faire passer diverses mesures d’ordre juridique sans avoir à présenter un projet de loi.
Ainsi, le Gouvernement se passe dans la plus grande discrétion de l’avis du Conseil d’État. Pourtant, le contrôle de ce dernier aurait été nécessaire sur des mesures visant, notamment, à réformer certains contentieux, à supprimer ou à spécialiser des tribunaux, à habiliter le Gouvernement à légiférer par ordonnances, à procéder à la fusion d’établissements publics, à modifier le code pénal et le code de procédure pénale.
Peut-on vraiment parler de simplification du droit ? En réalité, sur les quelque quatre-vingts articles que compte désormais cette proposition de loi, seules quelques dispositions sont réellement simplificatrices, telles que celles en faveur des citoyens et des usagers des administrations, ou encore celles visant à actualiser la terminologie du code civil, si chère cependant à notre collègue Jean-Pierre Sueur.
Mais les autres dispositions ne simplifient pas le droit : elles le modifient, voire en créent. En effet, plusieurs d’entres elles sont issues de la commission Guinchard sur la répartition des contentieux, mise en place par Mme le garde des sceaux en janvier 2008, et dont le rapport date du 30 juin 2008.
Cette commission accompagnait la réforme de la carte judiciaire et devait inspirer, selon les termes de Mme la ministre, un projet de loi global sur la réforme des contentieux. Or, depuis que ce rapport est paru, nous retrouvons dans diverses propositions de loi – et pas uniquement dans des textes gouvernementaux ! – des propositions piochées dans les préconisations de cette commission.
Tel fut le cas avec la proposition de loi de notre collègue Laurent Béteille relative à l’exécution des décisions de justice et aux conditions d’exercice de certaines professions réglementées, comme c’est à nouveau le cas avec la présente proposition de loi.
Alors que le rapport Guinchard présentait une réforme du contentieux cohérente – que l’on en partage ou non les orientations –, nous assistons depuis sa parution à une véritable « vente à la découpe » de ses préconisations.
Ainsi, les dispositions présentées, qui pouvaient être intéressantes initialement dans la mesure où elles étaient insérées dans un ensemble réfléchi, apparaissent totalement prématurées au sein de la présente proposition de loi, car elles résultent de décisions prises isolément, sans concertation véritable et approfondie.
C’est le cas, notamment, de la disposition figurant à l’article 9 relative au transfert au juge aux affaires familiales de la tutelle des mineurs. En effet, ce dernier est, pour l’instant, dans l’impossibilité de traiter sur le long terme ces dossiers de tutelle. Or ce transfert de compétence était envisagé dans le cadre de la création d’un véritable « pôle famille », et non pas de façon isolée et inopportune dans une proposition de loi qui se veut simplificatrice.
Il est donc regrettable que notre rapporteur, loin de critiquer cette méthode de travail, la légitime en proposant de reprendre, à l’article 9 bis, l’intégralité de la proposition n° 5 du rapport Guinchard, afin de confier également au juge aux affaires familiales le contentieux des liquidations et du partage des indivisions conjugales.
Il ne faudrait pas non plus oublier le contexte dans lequel nous est proposé le regroupement de certains contentieux : celui-ci s’inscrit dans la réforme de la carte judiciaire, imposée de façon totalement autoritaire et sans aucune concertation, ce qui a suscité une grande colère.
Cela pose, enfin, la question des moyens alloués à ces juridictions qui devront être réorganisées : mais ce problème ne peut évidemment pas être abordé dans une proposition de loi, puisque cela relève de la compétence du Gouvernement !
Bref, tous ces arguments démontrent que ces articles n’ont pas réellement leur place dans une proposition de loi de simplification du droit.
La simplification du droit ne doit pas non plus se faire au détriment des citoyens : je pense, par exemple, à la possibilité prévue à l’article 15 de dématérialiser les bulletins de paie. Non seulement cette disposition ne semble pas avoir fait l’objet de concertation avec les organisations syndicales, mais, de surcroît, elle emporte des conséquences non négligeables pour les salariés. Chacun sait que les bulletins de paie doivent être conservés sans limitation de durée.
Or leur dématérialisation pose, d’une part, la question de leur conservation, qui n’est absolument pas assurée, et, d’autre part, même si la dématérialisation est pour l’instant soumise à l’accord du salarié, le problème de la généralisation de cette pratique et, donc, de l’accès à l’outil informatique. Nous aurons l’occasion d’en reparler lors de la défense d’un amendement que nous avons déposé sur ce point.
Enfin, simplifier le droit ne doit pas signifier retirer au Parlement son rôle de législateur. Comme il est désormais de coutume dans ces prétendues lois de simplification du droit – en l’occurrence, c’est la quatrième, intervenant après celles de 2003, de 2004 et de 2007 –, il est demandé au Parlement de se dessaisir du pouvoir de faire la loi en habilitant le Gouvernement à prendre par ordonnance des dispositions visant à modifier des pans importants de notre législation.
Il s’agit notamment des missions exercées par la direction générale des impôts et la direction générale de la comptabilité publique – alors même que ces directions sont en train de fusionner et que les problèmes relatifs aux personnels sont loin d’être réglés –, du contrôle de légalité des actes des collectivités territoriales et de la partie législative du code général des collectivités territoriales, une réforme des institutions locales étant pourtant annoncée.
Notre opposition aux ordonnances est systématique, vous le savez, car elles privent les parlementaires d’un débat public, qui est l’essence même de notre démocratie.
Cette opposition est d’autant plus grande que, depuis 2003, les gouvernements choisissent l’option des ordonnances non pas pour procéder, comme dans les années passées, à des codifications, mais bien pour produire de nouvelles normes juridiques. C’est ainsi que les contrats de partenariat, qui rompent avec les principes de la commande publique, ont été instaurés par l’ordonnance du 17 juin 2004.
La procédure des ordonnances, que nous avons toujours vigoureusement combattue, y compris lors de la révision constitutionnelle de juillet dernier, constitue une véritable dénaturation du rôle du Parlement et contribue à l’affaiblissement de ce dernier.
La proposition de loi prévoit la suppression de nombreux rapports, qui sont pourtant des outils de contrôle de l’activité gouvernementale et de l’application de la loi. Les choses sont très ambiguës dans ce domaine. Le Gouvernement et la majorité n’hésitent pas à adopter, dans le cadre de certains projets de loi, des articles prévoyant la remise au Parlement de rapports sur des sujets précis, comme ce fut le cas récemment pour le texte relatif à la communication audiovisuelle et au nouveau service public de la télévision, mais, dans les faits, ces rapports sont rares, voire inexistants. Nous en reparlerons lors de la discussion de l’article 29.
Enfin, la proposition de loi tend à modifier le code pénal et le code de procédure pénale. Si j’estime que la plupart de ces articles auraient pu attendre la réforme annoncée par Mme le garde des sceaux, sans toutefois que j’y trouve trop à redire sur le fond, il me paraît, en revanche, plus que discutable que les députés en aient profité pour adopter certaines dispositions visant à aggraver les sanctions en cas de récidive, à élargir le champ de l’ordonnance pénale à l’ensemble, ou à la quasi-totalité, des délits, ou encore à modifier le régime de la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité.
Une telle méthode est évidemment inacceptable, car elle conduit au dévoiement de la nature de la présente proposition de loi sur deux points. D’une part, ces dispositions créent du droit – en l’occurrence, elles durcissent notre législation pénale – sans le simplifier aucunement et, d’autre part, elles révèlent un trouble sur leur origine : émanent-elles vraiment des parlementaires ou sont-elles largement insufflées par le Gouvernement ? Cette méthode de travail est indigne et méprisante pour les parlementaires que nous sommes.
C’est pourquoi il convient de saluer l’initiative de notre rapporteur, Bernard Saugey, qui a supprimé, à l’article 57, les dispositions visant à aggraver des sanctions encourues en cas de récidive et, à l’article 63, celles qui tendaient à élargir le champ de l’ordonnance pénale à l’ensemble des délits, exceptés les délits de presse, les homicides involontaires et les délits politiques. L’ordonnance pénale est une procédure qui n’offre pas de garanties suffisantes aux justiciables. Cet élargissement de l’ordonnance pénale portait atteinte aux principes qui fondent notre justice, ceux du débat contradictoire et de sa publicité.
J’aurais toutefois apprécié que vous alliez plus loin en supprimant purement et simplement l’article 63, monsieur le rapporteur. En effet, il n’est pas opportun de discuter de la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité dans un texte de simplification du droit.
De plus, le dispositif proposé me semble pour le moins incohérent : le procureur pourrait convoquer une personne simultanément pour une audience devant le tribunal et en vue de sa comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité.
Au-delà du risque de pressions accrues sur le prévenu, il paraît incompréhensible de prévoir la « négociation » d’une peine entre le procureur et le prévenu et, en même temps, la possibilité pour ce dernier d’être jugé par un juge du siège, garant des libertés individuelles et indépendant. Dans ce cas-là, pourquoi maintenir la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité, contre laquelle mon groupe s’est d’ailleurs opposé dès sa création ?
Il est donc regrettable que cette proposition de loi soit davantage un patchwork qu’un véritable texte de simplification.
Car la simplification du droit est aujourd’hui un processus plus que nécessaire, en raison de l’empilement de textes présentés par le Gouvernement, de plus en plus complexes, voire inapplicables parce qu’ils sont votés dans l’urgence, parfois en réponse à un fait divers isolé, et qu’ils contiennent de plus en plus d’erreurs et de dispositions contradictoires ! Comment, dans ces conditions, atteindre l’objectif constitutionnel de clarté et d’intelligibilité de la loi ?
La présente proposition de loi ne vise manifestement pas cet objectif et sert davantage de cavalier législatif permettant de faire passer tout un train de mesures qui auraient nécessité plusieurs projets de loi. C’est pour cette raison que les sénateurs du groupe CRC-SPG voteront contre ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)