M. André Santini, secrétaire d'État. Le comité de réflexion sur la justice pénale, présidé par Philippe Léger, a déposé, début mars, un pré-rapport qui présente une réforme d’ampleur de l’instruction des affaires pénales. Dans le même temps, la loi du 5 mars 2007 tendant à renforcer l’équilibre de la procédure pénale prévoit que, au 1er janvier 2010, toutes les instructions seront faites en collégialité par trois juges, et ce pour toutes les affaires.
Nous sommes donc à la croisée des chemins pour choisir un modèle pénal qui apporte les meilleures garanties.
L’amendement n° 182 du Gouvernement vise à reporter d’une année seulement une réforme qui nécessite des investissements importants et une complète réorganisation alors que sa pérennité n’est pas assurée.
S’engager aujourd’hui dans cette réorganisation ne serait pas cohérent. Il s’agit donc simplement de se donner le temps d’examiner une autre réforme plus globale et plus fondamentale, que le Gouvernement entend soumettre au Parlement dans quelques mois.
M. le président. Le sous-amendement n° 184, présenté par M. Saugey, au nom de la commission des lois, est ainsi libellé :
Supprimer les II, III et IV de l'amendement n° 182.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Bernard Saugey, rapporteur. Avant d’aborder le fond de l’amendement du Gouvernement, je souhaiterais formuler une remarque sur la méthode retenue par celui-ci.
Cet amendement n’a été déposé que lundi matin, soit la veille de l’examen du texte en séance publique. Cela a contraint la commission à l’examiner en urgence ce matin, monsieur le secrétaire d'État. Cette méthode, vous l’avouerez, est peu propice à un travail de qualité. Je regrette donc le dépôt au dernier moment de cet amendement, dont l’examen aurait mérité davantage de temps et de sérénité.
Cela étant, j’en viens au fond.
Cet amendement a pour objet de reporter au 1er janvier 2011, au lieu du 1er janvier 2010, l'entrée en vigueur des dispositions relatives à la collégialité de l'instruction…
M. Bernard Saugey, rapporteur. …et tendant à renforcer l'équilibre de la procédure pénale.
En revanche, il maintient au 1er janvier 2010 le regroupement de l'ensemble des juges d'instruction au sein de pôles de l'instruction, et donc supprime la présence de ces juges dans les tribunaux de grande instance ne disposant pas de pôles.
L’existence de pôles de l’instruction n’implique pas nécessairement la collégialité de l’instruction. Il s’agit uniquement de regrouper au sein d’un certain nombre de tribunaux de grande instance l’ensemble des juges d’instruction.
La question du report de l'entrée en vigueur de la collégialité de l'instruction mérite d'être débattue. En effet, alors qu'une réforme d'ensemble de notre procédure pénale doit être prochainement soumise au Parlement, il n'est probablement pas opportun de mettre en œuvre des dispositions qui risquent de n’être que transitoires.
Il est toutefois permis de s’interroger sur l’urgence qu’il y aurait à supprimer la présence des juges d'instruction dans les tribunaux de grande instance ne disposant pas de pôle de l'instruction.
Puisqu’il s’agit de reporter l’entrée en vigueur de dispositions relatives à la collégialité de l’instruction, il serait tout aussi cohérent de reporter l’entrée en vigueur du regroupement de l’ensemble des juges d’instruction au sein des pôles.
Il me semble aussi souhaitable de maintenir, pendant le temps que durera la réflexion sur la refonte de notre code de procédure pénale, la présence de juges d'instruction au sein de tribunaux de grande instance ne disposant pas de pôles.
Dans ces conditions, monsieur le secrétaire d'État, la commission propose de sous-amender l’amendement du Gouvernement afin de n’en conserver que le premier paragraphe, relatif au report au 1er janvier 2011 des dispositions adoptées dans le cadre de la loi du 5 mars 2007.
M. le président. Si je comprends bien, monsieur le rapporteur, la commission propose de supprimer les trois quarts de l’amendement du Gouvernement ! (Sourires.)
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Les trois-quarts en volume !
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. André Santini, secrétaire d'État. Le sous-amendement n° 184 de la commission appelle quelques commentaires de ma part.
Il vise à reporter l’achèvement de la mise en place des pôles de l’instruction prévue par la loi du 5 mars 2007 et qui doit entrer en vigueur le 1er janvier prochain. Le Gouvernement n’est pas favorable à ce report.
La Chancellerie a procédé à l’installation des pôles de l’instruction sans tarder, afin de se conformer à la loi. C’est ainsi que, depuis le 1er mars 2008, toutes les affaires criminelles et toutes les affaires correctionnelles nécessitant la cosaisine de plusieurs juges sont instruites exclusivement dans les 91 pôles qui ont été créés en France métropolitaine et outre-mer.
Vous serez donc satisfait, monsieur Sueur, de constater que, comme vous, le Gouvernement est soucieux de mener à son terme la mise en place de ces pôles.
Il n’y a aucune incohérence à maintenir l’entrée en vigueur de la dernière phase à la date prévue du 1er janvier 2010, alors qu’une nouvelle réflexion est en cours sur les procédures d’enquête.
Maintenir le calendrier voté en 2007 permettra, dès l’année prochaine, de regrouper tous les juges d’instruction dans les pôles. Ainsi, ces magistrats seront moins isolés et plus à même d’échanger sur leurs dossiers et de partager leur expérience. C’est dans l’intérêt d’une meilleure justice. C’est ce qui avait conduit le Parlement à voter à l’unanimité la réforme de mars 2007.
Enfin, je pense utile de vous indiquer que l’achèvement de ce regroupement a été programmé dès l’entrée en vigueur de la loi du 5 mars 2007 et que toutes les affectations ont été planifiées en conséquence de longue date.
Le Gouvernement est donc défavorable à ce sous-amendement de suppression et vous demande de voter l’amendement no 182 dans son intégralité. C’est la position qui lui paraît la plus conforme à la fois aux dispositions qui ont été votées en 2007 et à la prudence qu’imposent les réflexions en cours.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Bernard Saugey, rapporteur. Monsieur le secrétaire d’État, le Président de la République a déclaré qu’il allait supprimer les juges d’instruction. Cette décision, annoncée urbi et orbi, rend quelque peu difficile l’application de la loi de 2007.
Par ailleurs, c’est le ministère de la justice qui nous a demandé de reporter la mise en œuvre de la réforme de 2010 à 2011. Nous pensions donc lui donner satisfaction, ne serait-ce que partiellement.
Enfin, la commission des lois ayant adopté le sous-amendement no 184 à l’unanimité, votre tâche risque d’être difficile, monsieur le secrétaire d’État !
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Sueur. L’affaire est grave au regard du fonctionnement de nos institutions et de la République.
La solitude du juge d’instruction est une question ancienne. Déjà, en 1985, Robert Badinter avait présenté une loi allant dans le sens de la collégialité des juges d’instruction. Hélas ! le gouvernement qui a suivi n’a pas donné suite.
Dans la loi de 1993, le législateur a considéré qu’il devait y avoir cosaisine « lorsque la gravité ou la complexité de l’affaire le justifie ». En pratique, la cosaisine fut peu utilisée. Je ne reviendrai pas sur les torts respectifs des gouvernements du passé, monsieur Fauchon.
À la suite du drame d’Outreau, l’Assemblée nationale a constitué une commission d’enquête parlementaire. Au terme de débats qui ont été très largement suivis et d’un immense travail, elle a présenté des propositions, la principale étant l’instauration de la collégialité des juges d’instruction.
Il en est résulté la loi du 5 mars 2007, qui a été votée dans les conditions qui ont été rappelées. Cette loi, monsieur le secrétaire d'État, c’est le gouvernement précédent, dont vous êtes proche, qui l’a élaborée, proposée, soutenue et qui s’est engagé à la mettre en œuvre.
Et aujourd’hui, au détour d’un projet de loi de simplification du droit, le Gouvernement présente tout à coup un amendement, qui n’a donné lieu à aucune concertation : il a été déposé non pas pour les raisons que vous avez exposées, monsieur le secrétaire d’État, mais parce que le Président de la République a décidé, un beau jour, qu’il ne devait plus y avoir de juge d’instruction, comme il avait annoncé la suppression de la publicité sur les chaînes publiques de télévision devant une ministre de la culture très surprise.
M. Jean-Pierre Sueur. Il semble que, désormais, la loi soit censée s’élaborer ainsi : elle émane des paroles impromptues de l’exécutif suprême. Le Gouvernement acquiesce. Puis les législateurs que nous sommes sont priés de déférer : nous devons, mes chers collègues, adopter derechef, le mercredi, un texte déposé le lundi et dont nous avons pris connaissance le mardi, car il apparaît subitement qu’une loi, que vous avez soutenue, qui a été votée à l’unanimité, est en fait inapplicable.
Monsieur le secrétaire d'État, n’est-il pas quelque peu léger, de la part d’un Gouvernement, de faire voter des lois inapplicables ? Ces lois restent en l’état. Puis, soudain, peu de temps après la parole présidentielle, il apparaît qu’il faut tout changer.
Nous ne sommes pas d’accord avec cette République déséquilibrée, avec cette hypertrophie du pouvoir exécutif. Nous n’approuvons pas ces méthodes.
Mes chers collègues, sur de nombreux sujets, les appréciations des deux principaux syndicats de magistrats diffèrent. Pourtant, sur la question qui nous occupe aujourd’hui, elles se rejoignent. Permettez-moi de vous donner lecture de leur communiqué de presse, car il est important de les entendre.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Ce ne sont pas eux qui font la loi !
M. Jean-Pierre Sueur. « Cet amendement, dont l’exposé des motifs s’inscrit pleinement dans l’annonce présidentielle visant à supprimer le juge d’instruction, n’a fait l’objet d’aucune publicité, ni d’une quelconque concertation avec les organisations syndicales ou professionnelles de magistrats.
« Pire, avançant à marche forcée telle une armée de petits soldats, la conférence des procureurs généraux se réunit aujourd'hui pour proposer des modes de répartition des dossiers d’instruction voués à être confiés au parquet.
« Pendant que la réforme de l’instruction se prépare dans cette scandaleuse opacité, les magistrats en juridiction restent dans l’ignorance du sort des dossiers d’instruction qui leur sont confiés et de l’avenir des pôles de l’instruction pourtant créés il y a à peine un an. »
Ces syndicats « rappellent que la suppression du juge d’instruction, à la supposer nécessaire, impose notamment le préalable incontournable d’une réforme statutaire des parquets pour assurer leur indépendance vis-à-vis de l’exécutif. À défaut, les principes d’égalité devant la loi et de séparation des pouvoirs seront bafoués.
« Ils soulignent par ailleurs que cet amendement vise à centraliser l’intégralité des procédures pénales dans les juridictions importantes au détriment des petites juridictions appelées à disparaître. »
Voilà ce que disent les organisations professionnelles !
Nous ne sommes pas d’accord avec cette méthode.
M. Pierre Fauchon. On l’a compris !
M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur Fauchon, vous vous exprimerez autant que vous le voudrez tout à l’heure.
M. Pierre Fauchon. Je serai moins long que vous !
M. Jean-Pierre Sueur. Vous ferez ce que vous voulez ! Je m’exprime dans le cadre du règlement et je constate que c’est une très mauvaise manière de faire.
Nous considérons que les juges d’instruction ont un rôle à jouer et que la collégialité est un élément très important pour éviter de nouveaux « Outreau ».
On nous a vanté ce mode de fonctionnement et aujourd’hui, subitement, on veut le détruire. Nous ne sommes pas d’accord ! C’est très grave et c’est pourquoi nous voterons contre l’amendement du Gouvernement dans son intégralité.
M. le président. La parole est à Mme Josiane Mathon-Poinat, pour explication de vote.
Mme Josiane Mathon-Poinat. La présentation d’un tel amendement par le Gouvernement dans un texte de simplification du droit est une véritable provocation.
Cet amendement ne vise absolument pas à la simplification du droit. Le Gouvernement est tout simplement confronté à l’impossibilité de mettre en place la collégialité dans les pôles de l’instruction faute d’avoir inscrit, dans le budget de la mission « Justice », les moyens nécessaires à la création du nombre suffisant de postes de magistrat.
Nous redoutions une telle situation : rien n’a été prévu pour permettre un fonctionnement satisfaisant des pôles de l’instruction dans les délais impartis.
Ces pôles de l’instruction, créés pour les affaires criminelles et correctionnelles les plus complexes, ont été institués par la loi du 5 mars 2007. Leur création a été justifiée par la volonté de « briser la solitude des juges d’instruction » après l’affaire d’Outreau. La collégialité de juges d’instruction au sein de pôles de l’instruction devait être effective au 1er janvier 2010.
Dès janvier 2008, lors d’un point presse, le porte-parole du ministère de la justice avait indiqué que Rachida Dati s’était « assurée que les moyens seraient en place » pour permettre le fonctionnement des pôles de l’instruction, avec notamment « trente-quatre juges d’instruction supplémentaires au 1er septembre 2008 et trente-quatre greffiers supplémentaires au 1er octobre 2008 ».
Qu’en est-il aujourd’hui de ces chiffres annoncés pourtant il y a un an ? Manifestement, le Gouvernement ne pourra pas tenir ses engagements puisqu’il propose de reporter la date de mise en œuvre de la collégialité.
Cette décision ne constitue-t-elle pas un moyen de gagner du temps afin de tuer dans l’œuf les pôles de l’instruction ? Le Président de la République a proposé la suppression du juge d’instruction. Il serait incohérent de renforcer aujourd’hui les effectifs de ces pôles et d’annoncer ensuite la suppression du juge d’instruction.
Nous voterons donc contre cet amendement qui remet en cause une avancée essentielle dans la procédure d’instruction des affaires criminelles et correctionnelles.
M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard, pour explication de vote.
M. Jacques Mézard. L’amendement no 182 du Gouvernement démontre très clairement le danger des lois de simplification et de clarification du droit et d’allégement de la procédure. Il concrétise les inquiétudes que nous inspire ce type de textes.
Une loi a été votée, à l’unanimité, voilà un peu plus de deux ans. Or, comme le précise la première phrase du deuxième alinéa de l’objet de l’amendement no 182, le Gouvernement considère que « confier toutes les informations à une collégialité de juges à partir du 1er janvier 2010 nécessite des moyens considérables et une réorganisation lourde des juridictions concernées ».
Que se serait-il passé sans l’annonce du Président de la République ? Les moyens auraient-ils été soudainement dégagés, en quelques mois, pour préparer la mise en place de cette très importante réforme ?
Cet amendement est donc motivé par l’incapacité de mettre en place les pôles de l’instruction. Et pour couronner le tout, dans les paragraphes II, III et IV de l’amendement no 182, dont la commission a fort heureusement proposé à l’unanimité la suppression – c’est l’objet du sous-amendement no 184 – le Gouvernement nous demande d’adopter des dispositions qui visent à vider sans délai de leurs juges d’instruction les tribunaux qui n’ont pas de pôles de l’instruction. C’est un comble ! Voilà la démonstration que la loi du 5 mars 2007 ne sera, de fait, jamais appliquée : c’est tout à fait clair ce soir !
L’amendement no 182 n’est donc ni un amendement de simplification du droit, ni un amendement de clarification, ni un amendement d’allégement de la procédure. En fait, avec cet amendement, le Gouvernement tente, au dernier moment, au détour d’un texte dit « de simplification », de faire passer à la sauvette une mesure de circonstance. C’est une simplification de la tâche du Gouvernement, mais pas de la loi. (M. Bernard Frimat applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, pour explication de vote.
M. Pierre-Yves Collombat. Dois-je rappeler que nous débattons dans le cadre d’une procédure parlementaire rénovée, qui est censée redonner au Parlement du poids, du pouvoir ?...
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. C’est le cas !
M. Pierre-Yves Collombat. Une loi a été votée à l’unanimité voilà maintenant deux ans. La Chancellerie a mis en place les pôles de l’instruction. Que ne les laissez-vous fonctionner, monsieur le secrétaire d’État ! Mais le consul a dit qu’il fallait modifier la loi. (Exclamations sur les travées de l’UMP.)
M. Pierre-Yves Collombat. Oui, le consul ! Nous sommes dans une République consulaire !
M. Pierre-Yves Collombat. Non, le présidentialisme, ce n’est pas cela ! Nous sommes dans une République consulaire, et nous sommes censés suivre, le doigt sur la couture du pantalon. Eh bien ! nous ne suivrons pas, car ce serait nous déconsidérer !
Monsieur le secrétaire d’État, durant toute la Ve République, on a daubé les parlementaires de la IVe République et les défauts de ce régime. Je vous parie devant l’histoire que, dans dix, vingt ou trente ans, la fin de la Ve République sera jugée plus misérable encore !
M. le président. La parole est à M. Pierre Fauchon, pour explication de vote.
M. Pierre Fauchon. Je suis de ceux qui pensent qu’il y a quelque chose de saugrenu et de très fâcheux dans cette affaire.
Je suis aussi de ceux qui pensent qu’il ne faut ni dramatiser…
M. Pierre-Yves Collombat. Bien sûr….
M. Pierre Fauchon. … ni vaticiner sur les abus du régime consulaire…
M. Pierre-Yves Collombat. Vous vous accommodez de tout !
M. Pierre Fauchon. … à partir de ce qui est sans doute une maladresse.
Il me semble préférable de suivre ce qui nous est proposé plutôt que de nous entêter, ce qui serait une erreur encore plus préjudiciable. À cet égard, je regrette que François Zocchetto ne soit pas présent aujourd’hui, car, en sa qualité de rapporteur, il aurait pu fournir toutes les explications qu’il avait données à la commission des lois.
La réforme prévoyait un délai de cinq ans pour que le système des pôles de l’instruction soit mis en place. Et c’est notre commission, avouons-le, qui a imposé de réduire ce délai, alors que la Chancellerie de l’époque estimait que cela risquait de poser des problèmes techniques importants. Malgré cela, nous avons voté cette mesure, et François Zocchetto le premier !
Monsieur le secrétaire d’État, vous n’êtes pas ministre de la justice, et c’est sans doute la raison pour laquelle vous dites que tout est en place. En vérité, nous savons fort bien que ce n’est pas exact : d’après les échos qui nous sont parvenus des parquets, la situation est très difficile, à tel point qu’il aurait peut-être fallu repousser le délai et gagner une année.
Vous avez employé le terme « consul », monsieur Collombat : ce n’est pas un déshonneur !
M. Pierre-Yves Collombat. Tout à fait !
M. Pierre Fauchon. Je crois, pour ma part, que nous vivons sous un régime présidentiel, et il est normal que l’exécutif assume ses responsabilités, surtout quand il le fait intelligemment.
M. Pierre-Yves Collombat. À condition qu’il n’ait pas le droit de dissolution !
M. Pierre Fauchon. Et il me paraît intelligent de se demander s’il faut maintenir le système actuel de l’instruction.
Tous ceux qui connaissent le fonctionnement de la justice savent que la collégialité est une idée purement théorique, qui ne peut être appliquée, mais qui peut parfois servir de refuge à certains, peu avertis des mécanismes de la justice.
Invoquer à cette occasion le procès d’Outreau, c’est se tromper lourdement ! En effet, ce qui est grave, dans cette affaire, c’est que les magistrats, les auxiliaires de justice, les avocats et les journalistes ont été très nombreux à participer à cette erreur, qui a duré des années : les décisions du juge ont été contrôlées et confirmées par des collégialités, par un parquet hiérarchisé et organisé qui n’a rien décelé et qui, pour cette raison, fait l’objet de poursuites. Les avocats, la presse, personne n’a rien vu !
La vérité, c’est que l’erreur d’Outreau est révélatrice d’une malfaçon généralisée de notre système judiciaire. Et il ne faut pas croire qu’il existe un refuge dans la multiplication des collégialités ! Si vous fréquentiez les tribunaux, vous sauriez que très peu de collégialités fonctionnent véritablement, car, au sein de chaque collégialité, un seul juge sur les trois connaît en détail le dossier, qui est parfois très épais. C’est une illusion de croire que les deux autres juges sont aussi concernés. Les affaires sont trop complexes et les expertises exigent une grande maîtrise.
À moins que des erreurs invraisemblables aient été commises, ce qui n’est pas pensable de la part de magistrats français, les deux autres juges font confiance à leur collègue qui suit le dossier et souscrivent à la décision qu’il a prise. Alors, ne vous réfugiez pas dans la collégialité ! Nous sommes confrontés à un vrai problème de l’instruction et il n’est pas facile de le résoudre.
Vous avez cité Robert Badinter : dans un article paru récemment dans Le Monde, Robert Badinter, à l’instar de Mme Delmas-Marty, qui est une experte des questions de procédure pénale, a déclaré qu’il n’était pas défavorable au remplacement du juge d’instruction par le parquet, sous le contrôle d’un juge de l’instruction. Cela pose effectivement la question de l’indépendance du parquet ; vous n’en avez pas parlé. Robert Badinter l’explique très justement.
Je rappelle que le Sénat a apporté une réponse à cette question il y a plusieurs années ; je pense que nous y reviendrons !
Dans l’immédiat, le Gouvernement plaide coupable, en quelque sorte : il nous dit qu’il a cru bien faire en s’engageant dans ce système de collégialité, avec les pôles de l’instruction, mais qu’il est difficile à mettre en place et que, de toute façon, le problème n’est pas pour autant résolu. Il faut donc penser à une autre solution.
Et le « consul », comme vous l’appelez, face à tant d’autres circonstances de la vie politique depuis deux ans, dit des vérités et met en avant ce qu’il faut faire, comme la suppression de la publicité sur les chaînes publiques, que vous avez l’air de déplorer, mais dont je me félicite chaque soir, avec un grand nombre de Français. La solution est sans doute venue tout à trac, mais il vaut mieux agir ainsi plutôt que de ne rien faire. Voilà la façon dont il faut gouverner !
M. le président. Veuillez conclure, monsieur Fauchon !
M. Pierre Fauchon. J’ai épuisé mon temps de parole, monsieur le président ?...
MM. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois, et Bernard Saugey, rapporteur. Depuis longtemps !
M. Pierre Fauchon. Comme c’est dommage !
Pour conclure, je dirai que nous avons voté cette disposition trop rapidement. Il vaut mieux ne pas persévérer dans l’erreur et mettre fin à cette absurdité, afin de laisser ouvert le chantier de la vraie réforme de l’instruction. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. Bernard Frimat, pour explication de vote.
M. Bernard Frimat. Je ne résiste pas au plaisir d’intervenir après Pierre Fauchon.
Mon cher collègue, il serait sans doute souhaitable d’avoir une discussion sérieuse, approfondie, sur la manière de réformer l’instruction avec l’ensemble des magistrats, plutôt que de mettre en place une commission ad hoc, dont les conclusions, faites à la légère, sont connues d’avance. Mais, aujourd’hui, nous sommes dans le cas où, au débotté, dans un texte fourre-tout, on réforme trente-sept codes, on ratifie des ordonnances, on prévoit des lois d’habilitation. Et, d’ici à la fin de l’examen de la proposition de loi, le Gouvernement, qui a la possibilité de déposer à tout moment des amendements, nous annoncera peut-être une réforme urgente si le Président de la République, dans l’après-midi, en a inventé une.
C’est une caricature du parlementarisme ! La révision constitutionnelle était censée nous apporter de nouveaux droits. Or nous discutons d’un texte qui est un véritable fouillis et avec lequel le rapporteur, dont je salue le grand mérite, doit se débrouiller.
Nous voterons le sous-amendement de la commission, mais le problème reste entier. L’amendement du Gouvernement n’est ni une simplification du droit, ni une clarification, ni un allègement des procédures : c’est un amendement de facilité pour régler un problème.
Mon cher collègue, je ne suis pas d’accord avec vous. La loi a été votée à l’unanimité par le Parlement, après un travail remarquable réalisé par nos collègues de l’Assemblée nationale au sein de la commission d’enquête sur l’affaire Outreau ; le président était André Vallini et le rapporteur Philippe Houillon. Une telle démarche n’est pas anodine : elle ne peut pas être écartée d’un revers de main parce que, un beau matin, on a trouvé autre chose !
La Chancellerie a pour fonction d’appliquer la loi. Or, en donnant des ordres au parquet, elle fait l’inverse ! Nous le savons tous, nous avons rencontré les juges d’instruction ! Il ne s’agit pas d’être favorable à l’immobilisme, mais ayons un débat sur l’indépendance des parquets.
M. Pierre Fauchon. Nous l’aurons !
M. Bernard Frimat. Nous l’aurons avec un vote conforme, avec cette espèce de vénération qui vous saisit parce qu’un oracle s’est prononcé un matin. Si la version moderne de la présidence de la République est une version dévoyée de la pythie de Delphes, ce n’est pas ma conception de la démocratie !
Nous estimons honteux de présenter une telle mesure dans un texte de simplification du droit et c’est pourquoi nous voterons contre. Il faudra un jour saisir le Conseil constitutionnel sur la validité de ces véhicules législatifs, ces voitures-balais à la disposition du Gouvernement, des ministères et des administrations qui ont commis des erreurs ou des oublis.
Je m’arrête là, monsieur le président, car, avec votre bienveillance, j’ai dépassé mon temps de parole ; je vous en suis infiniment reconnaissant. Mais il faut parfois se ressaisir. Nous voterons contre le report de cette mesure, parce qu’il ne faut pas que cette volonté de désorganisation qui est à l’œuvre dans les parquets, sous injonction de la Chancellerie et de l’Élysée, soit d’une façon ou d’une autre récompensée. Il est important que nous ayons un minimum de dignité.