Mme la présidente. La parole est à M. Rémy Pointereau. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. Rémy Pointereau. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, depuis le 1er octobre 2007, la nouvelle réglementation des heures supplémentaires prévue par la loi TEPA du 21 août 2007 encourage, via des exonérations de charges patronales, l’octroi pour les salariés d’heures supplémentaires au-delà des 35 heures.
Cette mesure phare de la politique économique de notre gouvernement recueille l’entier soutien du groupe UMP auquel j’appartiens (Mme Nicole Bricq s’exclame.), car elle s’inscrit pleinement dans le cadre de la valeur travail que nous défendons avec force et que le Président de la République avait résumée pendant sa campagne par l’expression « travailler plus pour gagner plus ». (Exclamations ironiques sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Force est de constater que la politique de partage du travail, incarnée par la réduction uniforme et autoritaire du temps de travail, a fortement pénalisé le pouvoir d’achat des salariés français. Les 35 heures se sont traduites, je vous le rappelle, par un gel des salaires. En conséquence, comme le prouvent les statistiques économiques, le pouvoir d’achat des Français a stagné depuis le milieu des années quatre-vingt-dix.
Je rappelle également que les 35 heures ont désorganisé les hôpitaux et coûté très cher aux collectivités locales et territoriales, car elles augmentaient le coût du personnel sans qu’une compensation de l’État en faveur des établissements publics soit prévue. Cela a engendré de nombreux surcoûts pour les collectivités, des hausses d’impôts, des diminutions d’autofinancement, etc.
La baisse du nombre des heures supplémentaires du fait des 35 heures a été particulièrement mal ressentie par les salariés les plus modestes, qui y trouvaient un complément de revenu très apprécié. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Je voudrais aussi rappeler que les personnels de certaines collectivités, par le jeu des journées de RTT, se retrouvent parfois avec deux mois et demi de congés, qu’il faut gérer. Des personnels préfèreraient d’ailleurs racheter des journées de RTT pour pouvoir gagner un peu plus. Nous payons encore aujourd’hui les conséquences des 35 heures !
La promesse de campagne de Nicolas Sarkozy a donc été tenue : permettre à l’ensemble des salariés qui le souhaitent de pouvoir allonger leur temps de travail pour augmenter leur pouvoir d’achat. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe socialiste.)
Certains salariés sont satisfaits des 35 heures et souhaitent y demeurer. Nous n’y voyons aucun inconvénient. En revanche, d’autres, notamment, parmi les jeunes, les pères et mères de famille qui viennent d’acheter une maison ou ont un projet, veulent pouvoir gagner plus en travaillant plus longtemps. Nous ne devons pas les en empêcher.
Si la crise actuelle entraîne malheureusement une baisse temporaire d’activité dans certains secteurs, donc une utilisation moindre ou nulle des heures supplémentaires, il ne saurait pour autant être question, pour l’avenir, de remettre en cause un dispositif qui repose sur une logique « gagnant-gagnant » : pour l’entreprise, dont le coût des heures supplémentaires, trop dissuasif jusqu’à la loi TEPA, a désormais diminué, mais aussi pour les salariés, qui bénéficient d’une augmentation directe de leur rémunération, contrairement à ce qu’affirmait tout à l’heure ma collègue.
Je rappelle que le gain mensuel d’un salarié gagnant le SMIC qui travaille quatre heures de plus pendant la semaine est, au minimum, de 165 euros, soit 1 980 euros par an, et non pas 700 euros, comme je l’ai entendu dire tout à l’heure, c’est-à-dire 17 % de salaire net en plus.
Mme Nicole Bricq. Ce n’est pas vrai !
M. Rémy Pointereau. Je le confirme ! Et pour ceux qui faisaient déjà des heures supplémentaires, les charges payées sur celles-ci diminuent de 20 %.
Tout cela, c’est du pouvoir d’achat en plus, dans un contexte économique difficile.
Mme Christiane Demontès. C’est purement théorique !
M. Rémy Pointereau. Ce n’est pas théorique : je le vis tous les mois s’agissant des salariés !
Conformément aux engagements du Président de la République, cette mesure d’amélioration directe du pouvoir d’achat bénéficie à l’ensemble des salariés : salariés du secteur privé, fonctionnaires, salariés rémunérés selon un régime forfaitaire, salariés à temps complet ou à temps partiel.
Aujourd’hui, près de 40 % des entreprises représentant 65 % de la masse salariale utilisent l’exonération prévue par la loi TEPA.
Or, malgré certaines prises de position péremptoires de l’opposition, voire de certains experts, la défiscalisation des heures supplémentaires n’entraîne pas de hausse du chômage par une utilisation moindre des CDD ou de l’intérim. Au contraire, l’augmentation du nombre des heures travaillées est une mesure dont l’efficacité a été démontrée pour favoriser l’emploi et la lutte contre le chômage.
Mme Annie David. Elle est hors du temps !
M. Rémy Pointereau. Au Danemark, en Suède…
Mme Annie David. Le chômage a remonté !
M. Rémy Pointereau. … au Royaume-Uni, en Irlande, la durée de travail hebdomadaire est supérieure à ce qu’elle est en France, et pourtant, dans tous ces pays, le plein-emploi est atteint, le taux de chômage avoisinant les 5 %.
M. Henri de Raincourt. Bien sûr !
Mme Nicole Bricq. Ce n’est plus vrai ! Il faut se tenir au courant !
M. Rémy Pointereau. C’est bien le travail des uns qui crée le travail des autres.
Mme Christiane Demontès. Des chiffres !
M. Rémy Pointereau. Augmenter les heures supplémentaires, c’est plus de pouvoir d’achat pour les salariés, plus de production, plus de consommation, une meilleure compétitivité, donc plus d’emplois. C’est le cercle vertueux !
M. Henri de Raincourt. Eh oui !
M. Rémy Pointereau. Si les effets de la défiscalisation des heures supplémentaires sont peut-être moindres en cette période de fort ralentissement économique, je le concède, ils seront de nouveau bénéfiques pour le pouvoir d’achat des salariés dès que la reprise s’amorcera. Donc, ne détricotons pas un dispositif qui a été mis en place récemment,…
Mme Annie David. Mais si !
M. Rémy Pointereau. … d’autant que tous les secteurs d’activité économique ne sont pas touchés de manière égale par la crise.
C’est la raison pour laquelle le groupe UMP demeure attaché à la politique de défiscalisation des heures supplémentaires.
M. Henri de Raincourt. Bien sûr !
M. Rémy Pointereau. La loi TEPA, contrairement à ce que certains disent, concerne aussi et surtout les travailleurs des classes moyennes et très modestes : beaucoup veulent aujourd’hui gagner plus en travaillant plus. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Mme Christiane Demontès. Et ceux qui ne travaillent plus ?
Mme la présidente. La parole est à M. Aymeri de Montesquiou.
M. Aymeri de Montesquiou. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la défiscalisation des heures supplémentaires a été l’une des mesures symboles voulues par le Président de la République et instaurées par le Gouvernement, l’objectif étant de concrétiser le principe « travailler plus pour gagner plus ».
Je rappellerai que cette défiscalisation bénéficie à tous les salariés, ceux des entreprises privées ou publiques, ainsi qu’aux agents des administrations publiques.
Aujourd’hui, alors que le contexte économique a sensiblement évolué, peut-on tirer un premier bilan de cette politique de défiscalisation des heures supplémentaires ? Pour ce faire, il faut se fonder sur des chiffres précis. Selon les services de l’URSSAF, 37 % des entreprises y ont eu recours en 2007 et 2008, pour un coût global de 6,5 milliards d’euros pour l’État. Si les données statistiques sont encore trop partielles et insuffisantes, on peut toutefois dégager certaines tendances et dresser quelques constats.
D’après les services de l’URSSAF, l’application du dispositif de la défiscalisation des heures supplémentaires pose trois problèmes.
Tout d’abord, en cas de hausse d’activité, les très petites entreprises ont tendance à augmenter les heures supplémentaires, qui leur donnent de la souplesse dans la gestion de leurs effectifs, plutôt qu’à créer des emplois : l’effet sur l’emploi est donc neutre.
Ensuite, les allègements de charges sociales correspondent à une perte de revenus pour la sécurité sociale et à un gain financier important pour les PME. Or ce bonus financier pour les entreprises qui ne payent pas de charges sur ces heures, s’il est précieux dans le contexte actuel de crédit difficile, pousse aussi à la mise en œuvre des heures supplémentaires pour en bénéficier au lieu de créer un emploi, voire à augmenter artificiellement les heures supplémentaires pour en diminuer le coût salarial.
Enfin, les exonérations de cotisations sociales risquent d’aggraver, à terme, les déficits des comptes sociaux.
Cette hausse des heures supplémentaires pourrait bénéficier aux entreprises, ce qui est très positif, surtout aujourd’hui, plus qu’aux salariés, même si ces derniers ont déjà commencé à profiter d’une diminution substantielle de leur impôt sur le revenu.
Il apparaît essentiel de comptabiliser, par exemple, les heures supplémentaires effectuées non déclarées, ce qui représente, selon l’URSSAF, un nombre considérable d’heures supplémentaires dans les PME de moins de vingt salariés et dans les TPE de notre pays.
En outre, les données analysant le dispositif des heures supplémentaires ne sont pas corrigées des variations saisonnières, ni des effets des jours ouvrables. Or les heures supplémentaires ont une forte composante saisonnière, qui rend délicate toute interprétation des données statistiques.
Deux possibilités sont envisageables.
Dans un premier scénario, le système des 35 heures persiste : cette défiscalisation permettrait, dans les cinq ans à venir, un supplément de croissance de 0,3 % grâce à un soutien de la demande intérieure. La consommation des ménages serait stimulée par un revenu plus dynamique. Une partie de ce supplément de revenu serait épargnée par les ménages – le taux d’épargne augmenterait ainsi de 0,1 point – et l’autre partie serait consommée : elle serait captée majoritairement par l’extérieur et, pour le reste, elle stimulerait l’activité et l’investissement des entreprises en retour. Cette mesure, de par la très légère baisse du coût du travail, permettrait de créer près de 73 000 emplois d’ici à 2012.
Dans un second scénario, le Gouvernement propose, sous conditions, un allongement de la durée légale du travail, ce qui permettrait à la défiscalisation des heures supplémentaires d’engendrer une augmentation de la productivité des salariés français. Ce serait positif pour notre économie, mais pas nécessairement, à court terme, pour l’emploi.
S’il s’agit d’une réussite non négligeable à l’échelle des entreprises pour les salariés qui en bénéficient, cette réussite doit être relativisée par la forte diminution, ces derniers mois, du nombre d’entreprises qui y ont recouru par manque d’activité et en raison d’un ralentissement inquiétant, conséquence directe de la crise.
Enfin, il ne faut pas oublier les sombres perspectives pour l’emploi dans les années à venir, la crise économique conduisant inexorablement à une forte hausse du taux de chômage : les prévisions les plus pessimistes tablent sur 9,8 % de chômeurs en 2009, 10 % en 2010, voire 12 % à l’horizon 2011-2012. Qu’en sera-t-il alors des avantages liés à l’application de la loi TEPA ?
Au vu de ces quelques données chiffrées et des incertitudes liées à la crise, il est particulièrement difficile d’entrevoir une perspective impartiale du dispositif de la loi TEPA.
C’est pourquoi le groupe du RDSE considère que le succès des mesures de défiscalisation des heures supplémentaires dépend d’abord de la situation économique de notre pays. Celles-ci pourraient donc être modulées, sans incidence sur l’investissement, en fonction du contexte, et jouer leur rôle positif en période de croissance. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Mme la présidente. La parole est à M. François Rebsamen.
M. François Rebsamen. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, tout le monde connaît la situation de notre économie, frappée de plein fouet par une crise dont on dit qu’elle est la plus grave depuis 1930, et dont les conséquences se manifestent tous les jours : les fermetures d’entreprise et les licenciements se multiplient.
Il nous faut entendre le désarroi des salariés et l’inquiétude de la population : ils assistent, impuissants, à la mise en œuvre d’un modèle politico-économique symbolisé par la loi TEPA, loi teintée de néolibéralisme à la sauce Thatcher, si je puis dire, et dont les auteurs avaient comme objectif affiché – cela ne manque pas d’humour aujourd’hui ! – de relancer notre économie.
Ce modèle, qui pouvait, du point de vue d’économistes conservateurs – point de vue que nous ne partageons pas, bien sûr –, se justifier en période de forte croissance et de tension sur le marché du travail, nous semble aujourd’hui dangereux pour les finances publiques, économiquement inefficace et socialement injuste.
Le Président de la République, qui se prétend pragmatique, fait preuve, en réalité, d’un dogmatisme idéologique avéré, arc-bouté qu’il est sur la défense de certaines mesures ; je me permettrai de les rappeler rapidement, tant elles sont symboliques : le bouclier fiscal, destiné à protéger les plus riches, et que – nous en sommes persuadés – le Gouvernement sera obligé de revisiter prochainement ; la suppression des droits de succession pour les plus aisés ; la défiscalisation des heures supplémentaires, qui détériore un peu plus l’emploi. Au final, les exonérations de charges sur les heures supplémentaires aboutissent à des arbitrages qui se font au détriment de l’emploi.
Je tiens à affirmer avec force que la situation économique de 2009 n’est pas celle de 2007 et que le pragmatisme exige désormais de renoncer à ces dispositifs qui sont autant d’atteintes à l’égalité sociale, laquelle est la garantie de l’efficacité économique. Car nous devons pouvoir imaginer des mesures qui concilient sortie de crise et nouveau modèle de développement durable.
Favoriser le travail dominical ne permettra pas d’offrir plus de sécurité professionnelle et de pouvoir d’achat ; je me permettrai d’y revenir lorsque nous débattrons de ce sujet.
Il nous faut, mes chers collègues – je crois que tout le monde en sera d’accord –, inventer ensemble un nouveau contrat social qui réconcilie le salarié et l’activité et donne à chacun la possibilité de construire sa vie en toute sécurité professionnelle.
Le nombre d’heures supplémentaires travaillées en 2008, supérieur à celui de 2007, traduit, en réalité, une baisse de l’activité économique.
Notre collègue Rémy Pointereau a évoqué tout à l’heure les 35 heures. Je lui rappellerai qu’il n’y a jamais eu autant d’heures travaillées que durant la période 1997-2001 et que, aujourd’hui, cette mesure entraîne une baisse du nombre d’heures travaillées : il est clair qu’elle freine mécaniquement la création d’emplois et elle la freinera encore plus lorsque viendra, comme nous l’espérons, la reprise économique.
Point n’est besoin que je m’étende longuement sur le coût financier, mes collègues s’étant fort bien exprimés sur le sujet ; néanmoins, je tiens à revenir un instant sur cette fausse solution du travail dominical.
En lieu et place de la suppression de la défiscalisation des heures supplémentaires, le Président de la République relance le débat sur le travail dominical avec un nouveau slogan : « un jour de croissance en plus, du pouvoir d’achat en plus ». On croit rêver ! En 2008, il avait affirmé que libéraliser et assouplir encore un peu plus le droit du travail permettrait de relancer la croissance. Vous voyez où nous en sommes !
Est-ce vraiment le moment d’instaurer une précarité et une flexibilité accrues de l’emploi ?
Mme Christiane Demontès. Non !
M. François Rebsamen. Selon l’Observatoire français des conjonctures économiques, il n’existe aucun élément montrant que le travail dominical aurait le moindre effet sur le volume global des dépenses ou l’emploi. D’ailleurs, vous le savez bien, vous qui, sur le terrain, avez négocié des accords avec les organisations patronales et syndicales visant à ce que le nombre de dimanches ouverts soit limité à deux ou trois par an ; tout le monde en était d’accord ! Les effets néfastes du travail dominical pour les salariés et le petit commerce, on les voit venir.
Enfin, je terminerai en évoquant le Plan d’action pour les jeunes. Il est tout de même étonnant que l’on parvienne à dégager 4 milliards d’euros pour financer la défiscalisation des heures supplémentaires, mais que l’on peine à trouver 1,3 milliard d’euros pour l’emploi des jeunes ! D’ailleurs, en 2008, les crédits alloués au dispositif des contrats de professionnalisation avaient été réduits de 200 millions d’euros.
Il faut cesser d’empiler des mesures qui n’entraînent que des effets d’aubaine pour les entreprises. Celles-ci, au lieu d’embaucher des jeunes en CDI, préféreront les prendre en stage ou en formation pour les abandonner ensuite. Ce plan pour les jeunes risque fort de laisser les jeunes en plan… (Sourires.) Le jeu de mots est facile, j’en conviens !
À chaque jeune qui entre dans la vie active, la société doit garantir un contrat de travail sur toute la durée de sa vie professionnelle ; à chaque salarié, elle doit apporter une sécurité réelle, par de véritables contrats de transition professionnelle de plusieurs années si nécessaire, assortis de formations performantes, efficaces et préservant le lien entre le salarié et l’entreprise.
Ce n’est qu’en sécurisant l’avenir des jeunes et des salariés que nous rétablirons la confiance et que nous jetterons les bases d’une autre société, bien différente de cette société inégalitaire que vous nous préparez. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'État chargé de l’emploi. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi d’abord de vous remercier de ce débat fort intéressant. J’ai toujours beaucoup de plaisir à participer aux travaux du Sénat, qui donnent lieu à des échanges de grande qualité, marqués par la conviction des différents intervenants mais empreints de respect mutuel.
Après avoir écouté avec attention chacun des orateurs, je vais tenter d’exposer les vues du Gouvernement sur ce sujet des heures supplémentaires dans la période de crise que nous traversons et, plus généralement, dans la perspective de notre politique de l’emploi.
M. Pointereau a très bien montré la cohérence du dispositif dans le contexte de l’époque où il a été adopté. Je n’y reviendrai donc pas. La réforme des heures supplémentaires a en effet été mise en place, notamment, pour remédier aux dégâts catastrophiques engendrés par le dispositif des 35 heures, en termes tant de dégradation durable de la productivité de nos entreprises, plus particulièrement des PME, que de diminution des revenus et de gel des salaires.
Mme Nicole Bricq. Pourquoi ne pas l’avoir abrogé ?
M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'État. L’adoption de ce dispositif, fondé sur l’idée qu’une réduction du temps de travail pourrait avoir une incidence positive sur l’emploi, a singularisé la France au sein des pays occidentalisés. Son application s’est avérée à ce point désastreuse qu’aucun autre pays n’a suivi le nôtre dans le chemin solitaire qu’il a emprunté entre 1997 et 2000 !
Les mesures relatives aux heures supplémentaires avaient donc un double objet : restaurer la compétitivité de nos entreprises – il est d’ailleurs heureux que nous ayons pu devancer la survenue de la crise – et offrir aux salariés, notamment aux plus modestes d’entre eux, une marge de manœuvre en matière de revenus.
Je voudrais souligner, à ce sujet, un point qui ne l’a pas encore été : la réforme a permis d’aligner la rémunération des heures supplémentaires dans les petites entreprises sur celle qui est pratiquée dans les grandes. Cet aspect avait été totalement laissé de côté par le dispositif des 35 heures.
Cela a permis une hausse de 10 % à 25 % de la rémunération des heures supplémentaires dans les petites entreprises, dont les salariés subissaient une situation d’injustice et d’inégalité flagrante.
Le double levier ainsi mis en place par le biais des heures supplémentaires a apporté, monsieur Rebsamen, trois bénéfices principaux.
Le premier bénéfice – je n’arrive d’ailleurs pas à comprendre votre position à cet égard, mais j’y reviendrai – est un accroissement du pouvoir d’achat des salariés les plus modestes.
Mme Christiane Demontès. Ce n’est pas vrai !
M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'État. En ces temps difficiles, qui peut contester l’utilité d’une mesure permettant une redistribution forte au profit des salariés modestes, souvent durement touchés par la crise et dont certains ici se font les porte-parole ?
À cet instant, et puisque vous m’avez interrogé sur les chiffres, je rappellerai, madame Demontès, une réalité statistique : les ouvriers font en moyenne deux fois plus d’heures supplémentaires que les membres des professions intermédiaires, et six fois plus que les cadres ; quant à ceux des entreprises de moins de vingt salariés, ils font en moyenne trois fois plus d’heures supplémentaires que les autres.
À l’évidence, l’exonération des heures supplémentaires est donc d’abord une mesure en faveur du pouvoir d’achat des salariés modestes.
Mme Annie David. Augmentons leurs salaires !
Mme Nicole Bricq. Oui !
M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'État. Supprimer cette mesure reviendrait à priver ces derniers d’un complément de revenu dont ils ont grand besoin dans cette période de crise.
Deuxième bénéfice, l’exonération des heures supplémentaires représente un véritable coup de pouce pour nos entreprises, notamment en termes de compétitivité. En effet, elle a permis de faire baisser le coût moyen du travail. Nous le constatons tous sur le terrain, cela n’est pas un luxe dans une période de crise où la concurrence internationale est particulièrement rude ! Il est donc essentiel de préserver ce dispositif, qui permet davantage de souplesse en termes d’organisation des entreprises.
Troisième bénéfice, important notamment au regard de la démocratie sociale, cette mesure permet la définition du temps de travail à l’échelon de l’entreprise, alors que nous étions prisonniers du carcan des branches. Certes, celles-ci jouent un rôle majeur dans bien des domaines, mais elles imposent aux entreprises des contraintes néfastes dans d’autres. Au sein d’une même branche, certaines entreprises ont besoin de plus de souplesse que d’autres en termes de fonctionnement. (Mme Annie David proteste.)
Je sais, madame David, que nous ne sommes pas d’accord sur ce sujet. Je respecte parfaitement votre position, qui est tout à fait cohérente.
J’en viens aux résultats obtenus. Nous avons assisté à une très rapide montée en charge du dispositif. En effet, 185 millions d’heures supplémentaires ont donné lieu à une exonération au quatrième trimestre de 2008, contre 150 millions au quatrième trimestre de 2007. Par ailleurs, 50 000 entreprises de plus ont eu recours à cette exonération, et les entreprises qui l’utilisent représentent désormais 65 % de la masse salariale, contre 46 % un an plus tôt.
Au total, ce sont les trois quarts du montant global des exonérations, soit 2 milliards d’euros, qui ont été restitués aux salariés. Soyons donc clairs : quand on propose de supprimer cette exonération, on propose en fait de priver les salariés modestes de notre pays de 2 milliards d’euros de complément de revenus.
Mme Nicole Bricq. Il faut les payer correctement !
M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'État. Il faut développer le raisonnement jusqu’au bout et assumer les conséquences d’un tel choix !
Je reviendrai maintenant sur certains arguments avancés par les orateurs de l’opposition, en particulier par Mmes Bricq, Demontès et David.
Vous réclamez de façon récurrente des mesures en faveur du pouvoir d’achat, notamment celui des salariés modestes. Or, cela tombe bien, une disposition a précisément cet objet ! Je ne comprends donc pas que vous puissiez à la fois appeler à un renforcement du pouvoir d’achat et proposer, à titre principal, la suppression d’une mesure visant à cette fin et présentant, en outre, l’avantage d’être ciblée sur ceux qui en ont le plus besoin ! (Protestations sur les travées du groupe socialiste.)
Certes, vos critiques s’inscrivent tout à fait normalement dans le débat démocratique, mais elles comportent des contradictions avec les positions que vous défendez par ailleurs.
Ainsi, vous avez insisté, mesdames Bricq et Demontès, sur le fait que les exonérations d’heures supplémentaires ont permis de « blanchir » des heures de travail auparavant non déclarées. Mais c’est tant mieux !
M. Rémy Pointereau. Oui !
M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'État. Reprocheriez-vous au dispositif de ramener dans le champ du droit des heures de travail effectuées au noir, pour lesquelles des salariés étaient rémunérés sans bénéficier d’aucune sécurité professionnelle ?
Mme Nicole Bricq. Mais cela ne crée pas de travail !
M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'État. Il me semble que chacun, dans cette enceinte, ne peut que se réjouir d’une mesure permettant de régulariser des heures non déclarées et d’éviter à des salariés de travailler sans aucune sécurité ni protection sociale !
M. Aymeri de Montesquiou. Évidemment !
Mme Christiane Demontès. Mais cela ne crée pas d’emplois !
M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'État. Par ailleurs, à vous entendre, le recours aux heures supplémentaires expliquerait que la France soit dans une situation si difficile au regard du chômage. Des pays comme l’Espagne, le Royaume-Uni ou le Danemark n’ont pas, il est vrai, mis en place un dispositif semblable, pour la bonne et simple raison qu’ils n’ont pas non plus adopté les 35 heures ! Cela étant, le taux de chômage a augmenté de 60 % en Espagne, de 30 % au Royaume-Uni et de 55 % au Danemark, alors qu’en France sa progression n’a été que de 15 %.
Certes, ce chiffre demeure beaucoup trop élevé, et je suis loin de me réjouir de la situation présente, constatant tout comme vous sur le terrain, presque chaque semaine, les difficultés en termes d’emploi et les situations de détresse vécues par nos compatriotes.
Il est cependant difficile, au vu de ces chiffres, d’attribuer la dégradation de la situation de l’emploi en France au seul dispositif des heures supplémentaires ! On constate en effet qu’elle est bien plus importante dans les pays qui n’ont pas mis en œuvre de telles mesures.
Enfin, le recours aux heures supplémentaires empêche-t-il de créer des emplois et de développer l’activité ? Là encore, il s’agit d’un vrai débat.
J’observe que notre pays n’a jamais créé autant d’emplois qu’entre octobre 2007 et mars 2008, période qui a vu l’adoption et la montée en charge du dispositif des heures supplémentaires : 140 000 l’ont été dans le secteur concurrentiel, soit beaucoup plus que de 2006 à mars 2007, période où la croissance était pourtant nettement plus soutenue.
Cela montre bien que, en temps de croissance économique, les heures supplémentaires nous permettaient de soutenir la création d’activité et d’emplois. En revanche, il est vrai que, en période de crise, le recours aux heures supplémentaires est moindre, les entreprises réduisant leur activité en réponse à la diminution des commandes.
En conclusion, les causes de nos difficultés ne peuvent être résumées à l’application du dispositif des heures supplémentaires. Celui-ci constitue au contraire un outil de gestion de l’emploi sur la durée, qui nous amène à regarder au-delà de la période de crise actuelle. Comme l’a très bien rappelé M. de Montesquiou, il est sous-tendu par une authentique conviction et un véritable choix politique.