M. Alain Milon, rapporteur. Je tiens tout d’abord à vous rappeler, mes chers collègues, que j’avais présenté, en tant que rapporteur, le même amendement. Je considérais, en effet, qu’il pouvait s’avérer utile d’instaurer une clause de non-concurrence à l’égard des praticiens hospitaliers.
Mais les explications, très claires, de Mme la ministre m’avaient convaincu : instaurer une clause de non-concurrence de deux ans pour les praticiens hospitaliers – il est question des seuls praticiens hospitaliers, en aucun cas des internes et des chefs de clinique, qui, eux, pourront toujours exercer dans l’établissement de leur choix – dissuaderait les chefs de clinique et les internes de devenir praticiens hospitaliers et les inciterait à partir directement dans le privé.
J’avais donc retiré mon amendement. Comme il a été repris, je n’ose pas demander aux auteurs de ces quatre amendements de les retirer, mais je donne un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. Plusieurs arguments militent contre ces amendements. Certains sont de nature juridique.
Tout d’abord, une telle disposition porte atteinte aux principes constitutionnels que sont la liberté d’entreprendre et la liberté du travail. (Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.) Selon la jurisprudence constante de la Cour de cassation, les clauses de non-concurrence ne sont licites que pour autant qu’elles s’avèrent indispensables à la protection des intérêts légitimes de l’entreprise – or l’hôpital n’est pas une entreprise – et qu’elles sont limitées dans le temps et l’espace.
De plus, ces clauses doivent être assorties de contreparties financières. Ces quatre amendements pourraient donc tomber sous le coup de l’article 40 de la Constitution, puisqu’ils devraient prévoir une contrepartie financière : telle est la jurisprudence constante, qui a été rappelée par le Conseil d’État.
En outre, il est difficile, voire impossible, d’invoquer la protection des intérêts légitimes d’un établissement public de santé, car il ne possède pas de clientèle. Il est assez curieux de voir invoquer sur ces travées une clause qui relève du droit privé et du droit commercial, alors que – et à juste titre – nous n’avons eu de cesse de répéter qu’un hôpital n’est pas une entreprise.
M. François Autain. C’est vrai !
Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. Les règles de l’entreprise ne peuvent donc pas lui être appliquées. Chacun, ici, en sera d’accord.
M. le rapporteur a également employé des arguments de fond : instaurer des restrictions de ce type dissuaderait davantage encore – ce qui irait à l’encontre de l’objectif poursuivi – les jeunes praticiens de se porter candidats à des postes au sein de l’hôpital public.
Les jeunes praticiens qui s’installent ou exercent dans un centre hospitalier universitaire à rayonnement régional se verront, s’ils décident de quitter l’hôpital public, empêchés d’exercer dans des secteurs extrêmement importants, étant donné le rayonnement régional, voire, parfois, interrégional des centres hospitaliers universitaires, sans parler du rayonnement de la structure hospitalière Assistance publique-Hôpitaux de Paris, qui est encore beaucoup plus grand.
Je veux ajouter un point important, de nature à rassurer nombre d’entre vous, mesdames, messieurs les sénateurs, notamment les auteurs de ces amendements : le projet de loi vise à étendre la compétence de la commission de déontologie des fonctionnaires aux praticiens hospitaliers quittant le service public hospitalier.
Par conséquent, pour des raisons juridiques, pour des raisons pratiques – assurer l’attractivité de l’hôpital public – et parce que la commission de déontologie étendra sa compétence aux praticiens hospitaliers quittant le service public hospitalier, le Gouvernement est défavorable à ces quatre amendements.
M. le président. Mes chers collègues, pour la clarté du débat, je propose que les explications de vote portent sur les trois amendements restant en discussion, car ils ont une finalité commune.
La parole est à M. Gilbert Barbier, pour explication de vote.
M. Gilbert Barbier. Mme la ministre vient d’exposer un certain nombre d’arguments, mais il faut raison garder : les chirurgiens – ce sont essentiellement eux qui sont visés, me semble-t-il – sont formés dans les CHU ; ils sont internes, chefs de cliniques, et peuvent quelquefois, pour perfectionner leur formation, occuper des postes de praticiens hospitaliers.
Si une telle clause de concurrence était instaurée, les médecins, notamment les chirurgiens, ne pourraient pas s’installer dans la ville où ils ont fait leurs études et où ils ont déjà exercé pendant de nombreuses années
M. Gilbert Barbier. Les médecins intégrant l'hôpital général après leur clinicat seraient-ils donc condamnés à y rester jusqu’à la fin de leur carrière ?
Plusieurs sénateurs des groupes socialiste, CRC-SPG et RDSE. Mais non ! Seulement pendant deux ans !
M. Gilbert Barbier. Mme la ministre l’a dit, ils risquent donc, avant même de choisir la carrière hospitalière, d’opter immédiatement pour le privé. Les médecins, notamment les chirurgiens, qui, formés dans notre pays, choisiront l'hôpital public se feront donc encore plus rares.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. C’est sûr !
M. Gilbert Barbier. Personnellement, je n’ai aucun problème pour parler de la clause de non-concurrence. Je suis praticien hospitalier, je l’ai été pendant toute ma carrière et je n’ai jamais eu de clientèle privée à l'hôpital. C’est un choix que j’ai fait, et que d’autres chirurgiens font.
Toutefois, à un moment donné, les médecins hospitaliers peuvent souhaiter, pas forcément pour des raisons pécuniaires, d’ailleurs, aller travailler dans le privé, notamment parce qu’ils sont amenés à assumer dans les hôpitaux des gardes répétitives qui s’ajoutent à des conditions de travail très difficiles. À mon avis, une telle mesure ne fera qu’accroître la désaffection des spécialistes d'ores et déjà constatée dans nos hôpitaux régionaux.
M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Mirassou, pour explication de vote.
M. Jean-Jacques Mirassou. L’avis émis par Mme la ministre sur ces amendements et les remarques que vient de formuler notre collègue ne nous convainquent pas du tout.
M. François Autain. Eh oui !
M. Jean-Jacques Mirassou. Leurs arguments sont du reste faciles à écarter.
On évoque ainsi le risque pesant sur la démographie médicale. Mais personne ne nous fera croire aujourd'hui que les CHU sont implantés dans des déserts démographiques ! Les médecins qui auront démissionné ne rencontreront donc assurément aucune difficulté pour s’installer dans des zones plus attractives.
Par ailleurs, pour en revenir au concept de « l'hôpital entreprise », rappelons-nous que la formation d’un interne ou d’un chef de clinique coûte très cher à la communauté hospitalière. Si celui-ci quitte l'hôpital à la première occasion, il n’y a aucun « retour sur investissement ».
M. Gilbert Barbier. De tels propos sont scandaleux !
M. Jean-Jacques Mirassou. Force est de constater que les arguments qui ont été avancés ne tiennent pas.
La quasi-totalité des praticiens amenés à exercer à titre libéral prennent le soin de préciser sur leurs plaques professionnelles qu’ils ont été soit internes, soit chefs de clinique, soit chefs de service. Autrement dit, le fait d’avoir passé un moment suffisamment long à l'hôpital permet de valoriser ses compétences et, au passage, d’enrichir sa carte de visite.
Pour toutes ces raisons, nous voterons l’amendement n° 215, sur lequel nous demandons un scrutin public.
M. le président. La parole est à M. Bernard Cazeau, pour explication de vote.
M. Bernard Cazeau. Madame la ministre, vos explications longues et alambiquées, loin de me convaincre, m’ont, au contraire, confirmé que tout est fait aujourd'hui pour vider l'hôpital de ses forces vives.
Les internes et les chefs de clinique qui se seront formés à l'hôpital public pourront terminer leurs carrières dans le secteur privé, dont ils apprécieront l'intérêt financier. Quant aux praticiens hospitaliers qui ne souhaitent pas rester dans le secteur public, ils commenceront par se constituer leur clientèle, au détriment de celui-ci, avant d’aller exercer à quelques encablures de là.
Ce problème s’inscrit parfaitement dans le débat que nous évoquions lors de la discussion générale.
M. Jean-Jacques Mirassou. Exactement !
M. Bernard Cazeau. On est en train de procéder à un transfert du public vers le privé : à terme, irrémédiablement, le transfert des forces vives et expérimentées s’opérera vers le secteur privé, plus lucratif.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Chevènement, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Chevènement. Madame la ministre, ne tournons pas autour du pot : c’est une question non pas de libéralisme, mais de déontologie. Quand un policier quitte la police nationale, il n’a pas le droit de créer une société de sécurité pendant cinq ans !
À cet égard, le délai de deux ans que nous proposons pour les praticiens hospitaliers me semble raisonnable : c’est loin d’être une interdiction à perpétuité !
Mme Annie David. Absolument !
M. Jean-Pierre Chevènement. Tout le monde comprend qu’il s’agit de préserver l’autorité de l'hôpital public face à ce qui pourrait s’apparenter à un dévoiement.
C'est la raison pour laquelle nous soutenons les amendements nos 215, 318 et 401.
M. le président. La parole est à M. François Autain, pour explication de vote.
M. François Autain. Madame la ministre, j’avoue ne pas très bien comprendre votre raisonnement. Quand nous vous proposons des mesures de nature à revaloriser les conditions de travail et de rémunération des médecins travaillant à l'hôpital, dans le but, précisément, de les retenir dans le secteur public pour éviter qu’ils ne le quittent et aillent travailler dans le privé, vous nous opposez une fin de non-recevoir au motif que de telles mesures seraient contreproductives.
Lorsque nous vous soumettons ensuite des dispositions protectrices destinées à empêcher un médecin qui part exercer dans un établissement privé d’entrer en concurrence avec l'hôpital dont il est démissionnaire, vous invoquez le statut de l'hôpital, en faisant valoir que celui-ci n’est pas une entreprise. Quel paradoxe, madame la ministre, car c’est, me semble-t-il, à cette seule occasion que vous vous rappelez que l'hôpital n’est pas une entreprise ! (Marques d’approbation sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)
Notre argumentation a donc finalement porté. Mais, aujourd'hui, vous retenez cet argument pour justifier votre refus de contraindre les praticiens hospitaliers à s’engager de ne pas quitter l'établissement public pour une clinique privée, afin de ne pas rentrer en concurrence avec celui-ci.
Je trouve vos arguments irrecevables. C'est la raison pour laquelle nous devons soutenir et voter l’amendement n° 215 ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et sur plusieurs travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Michel Charasse, pour explication de vote.
M. Michel Charasse. Je comprends et, même, je partage l’intention des auteurs des amendements nos 215, 318 et 401. Pourtant, je souhaiterais appeler leur attention, et celle de tous nos collègues, sur les difficultés que pourrait soulever le texte qu’ils visent à insérer, s’il est adopté, auprès du Conseil constitutionnel, s’il est saisi, et ce compte tenu de la rédaction commune des trois amendements.
Nous sommes dans un État de droit, fondé sur de grands principes, dont celui de la liberté du travail. Les interdictions d’exercer une profession sont rares – M. Chevènement a rappelé un cas tout à l’heure –, et, étant des exceptions, justement, à la liberté du travail, elles sont évidemment de « droit étroit ».
Elles doivent donc avoir une portée limitée et surtout pas générale ; elles doivent aussi être motivées par d’impérieuses nécessités d’ordre public ou, par exemple, le souci d’éviter le mélange des genres comme dans les cas qui relèvent de la Commission de déontologie de la fonction publique, dont on parle beaucoup ces jours-ci. Cette dernière examine, vous le savez, la situation de certains hauts fonctionnaires au regard des règles de déontologie qui s’imposent pour préserver l'intérêt public en cas de passage du public au privé ; c’est le cas de M. Pérol ou du futur président de France Télécom.
Mes chers collègues, à mon sens, ces amendements devraient être rédigés différemment, surtout parce qu’il est écrit dans leurs textes : « {…] où ils puissent rentrer en concurrence directe avec l'établissement public dont ils sont démissionnaires. » Si un tel article est inséré dans le projet en discussion, le praticien hospitalier qui voudra partir dans un autre établissement et qui n’entrera pas en concurrence directe avec celui dont il est démissionnaire aura quand même l’interdiction de travailler. Cela donnera lieu à des contentieux et pourra être interprété par le Conseil constitutionnel comme constituant une interprétation de portée générale, qui ne visera pourtant que quelques cas particuliers.
Si j’étais arrivé un peu plus tôt – mais l’avion a eu du retard, je le regrette ! –, j’aurais proposé un sous-amendement pour remplacer les termes « il est interdit » par les mots « il peut être interdit », dans la mesure où, je le répète, les auteurs des trois amendements renvoient, dans la suite de la phrase, à l’hypothèse « où ils puissent rentrer en concurrence directe ».
Autrement dit, si le praticien hospitalier souhaite travailler dans un établissement où il rentre en concurrence directe avec son établissement d’origine, on lui interdit de travailler pendant deux ans. Mais, si tel n’est pas le cas, il n'y a aucune raison, sauf à vouloir supprimer une liberté, de lui interdire de travailler.
Mes chers collègues, je souhaiterais donc que vous acceptiez de modifier les amendements nos 215, 318 et 401, en remplaçant « il est interdit » par « il peut être interdit », puisque l’expression « où ils puissent rentrer en concurrence directe », que vous employez dans vos amendements, revient à dire qu’il n'y a pas de raison d’interdire de travailler à un médecin hospitalier qui n’entre pas en concurrence avec son ancien établissement.
Car si l’article devait être inséré en l’état, le Conseil constitutionnel pourrait trouver que, sur ce point, il n’est pas conforme à la Constitution. En revanche, si vous acceptez ma proposition, il n’y a plus de problème en ce qui concerne ma position au moment du vote. Mais si la rédaction actuelle perdure, je considère que c’est une mesure vexatoire et générale, inconstitutionnelle et liberticide, puisqu’elle s’applique même dans les cas où le départ du médecin ne pose aucun problème particulier de concurrence déloyale.
M. Jean Desessard. Ce n’est pas ce qui est demandé !
M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Vanlerenberghe, pour explication de vote.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe. J’ai parfaitement compris les explications de M. Charasse, et je ne vois d’ailleurs pas d’inconvénient à rectifier mon amendement dans le sens qu’il a suggéré.
L’objectif n’est pas d’interdire à tout jamais à un médecin hospitalier de pouvoir franchir le Rubicon et d’aller travailler dans le privé. Je partage la position de Mme la ministre : la liberté de circulation est un principe que nous devons respecter.
Néanmoins, si nous tenons à conserver un service public hospitalier, il convient d’être exigeants et de prévoir un certain nombre de clauses protectrices, lesquelles existent dans toutes les professions. M. Chevènement a cité tout à l’heure le domaine de la sécurité, mais il y aurait bien d’autres exemples. Certes, dans certains secteurs, les clauses de déontologie ne sont pas appliquées, mais c’est une autre histoire…
En l’espèce, nous nous devons de veiller au respect de la déontologie à l'hôpital, tant les fonctions qui y sont exercées sont exigeantes sur le plan humain.
Monsieur le président, suivant les remarques de M. Charasse et soucieux de nous prévenir contre tout risque d’inconstitutionnalité, j’accepte de rectifier l’amendement n° 215, en remplaçant les mots « il est interdit » par « il peut être interdit ».
M. Jean Desessard. Mais qui sera chargé de juger ?
M. le président. Je suis donc saisi d’un amendement n° 215 rectifié, présenté par M. Vanlerenberghe, Mmes Dini et Payet, M. J. Boyer et les membres du groupe Union centriste, et ainsi libellé :
Après l'article 3, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après l'article L. 6152-6 du code de la santé publique, il est inséré un article L. 6152-7 ainsi rédigé :
« Art. L. 6152-7. - Dans un délai de deux ans suivant leur démission, il peut être interdit aux praticiens hospitaliers à titre permanent d'ouvrir un cabinet privé ou d'exercer une activité rémunérée dans un établissement de santé privé à but lucratif, un laboratoire privé d'analyses de biologie médicale ou une officine de pharmacie où ils puissent rentrer en concurrence directe avec l'établissement public dont ils sont démissionnaires.
« Les modalités d'application de cet article sont fixées par voie réglementaire. »
La parole est à M. Gérard Dériot, pour explication de vote.
M. Gérard Dériot. Je trouve tout de même un peu curieux que l’on se mette aujourd’hui à vouloir protéger le service public hospitalier avec une interdiction d’installation, se limitant certes à deux ans suivant la démission, mais s’appliquant à des professions qui ne sont soumises, à l’origine, à aucune réglementation en la matière.
En effet, les professionnels concernés peuvent s’installer où ils le veulent. Seules les officines de pharmacie échappent à cette règle, mais il faudrait qu’un pharmacien d’hôpital ait un sacré coup de chance pour que soit mise en vente une pharmacie se trouvant juste à côté de l’hôpital dans lequel il exerce. C’est pratiquement impossible !
S’agissant des autres professions, rien n’interdit à un médecin, un dentiste ou un laboratoire d’analyses médicales de choisir un lieu d’installation le faisant rentrer en concurrence directe…
M. Jean-Jacques Mirassou. Mais si ! La déontologie l’interdit !
M. Gérard Dériot. Quelle déontologie ? Ce ne sont que des mots ! La loi ne pose aucune interdiction !
Dès lors, je ne vois pas comment on pourrait instaurer une interdiction d’installation du seul fait de rentrer en concurrence directe. Que recouvrent ces termes et où s’arrête cette « concurrence directe » ? Il est des situations bien connues et je suppose, monsieur Cazeau, que vous en avez fait l’expérience. Certains de vos clients habitaient sans doute à 25, 30, voire 40 kilomètres de votre cabinet et cette distance ne les empêchait pas de venir vous consulter, car ils vous reconnaissaient comme un praticien de grande qualité, ce dont je ne doute absolument pas.
Donc, comment définir la concurrence directe ? C’est impossible ! Dès lors, il est totalement anormal d’imposer une clause de non-concurrence, même limitée à deux ans.
Par ailleurs, d’autres l’ont dit avant moi, ce serait le meilleur moyen pour réduire à néant les installations de médecins ou d’autres professions médicales dans certaines zones.
M. Bernard Cazeau. Il n’y en a déjà plus !
M. Gérard Dériot. Il y en a encore ! Du reste, nous en avons fait la démonstration dans le département de l’Allier. J’ai soumis au conseil général des propositions, qui ont d’ailleurs été votées par Mme Schurch, et le dispositif instauré a porté ses fruits.
En revanche, chers collègues, vous pouvez être sûrs qu’aucun d’entre eux ne viendrait s’installer dans des lieux où serait mise en place une telle clause. Certains souhaitent prendre cette responsabilité. Réfléchissez aux conséquences d’une telle décision : chacun d’entre nous, un jour ou l’autre, sur son territoire, sera concerné ! Il faut absolument éviter cette clause de non-concurrence !
M. le président. La parole est à M. Michel Mercier, pour explication de vote.
M. Michel Mercier. Je comprends très bien l’intention des auteurs de ces amendements, qui visent à protéger l’hôpital public. Mais il faut aussi respecter la liberté de tous, y compris celle des médecins.
Ce qui m’inquiète, c’est la rédaction du dispositif proposé : « Dans un délai de deux ans suivant leur démission, il peut être – ou il est – interdit aux praticiens hospitaliers à titre permanent d’ouvrir un cabinet privé […] où ils puissent rentrer en concurrence directe avec l’établissement public dont ils sont démissionnaires. »
Le choix du médecin est donc simple : s’il démissionne, il doit quitter la région ! (Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.) Chers collègues, je prends le texte tel qu’il est écrit : « concurrence directe » signifie partout où le médecin fera concurrence à l’établissement public.
Mme Annie David. Ce sera défini par décret !
M. Michel Mercier. Il devra donc aller en dehors de la zone de chalandise de l’établissement, ce qui l’obligera à quitter la ville où il réside.
Je voudrais que l’on m’explique comment respecter ces deux libertés, celle de changer d’activité et celle de rester là où l’on a choisi d’habiter. Même si cette question peut paraître légère à certains d’entre nous, choisir librement son lieu de vie est une liberté publique fondamentale, à laquelle je suis très attaché. Envisager qu’une personne ne puisse plus travailler là où elle a choisi de s’installer me semble curieux.
Bien entendu, il est parfaitement possible de continuer à exercer une activité privée au sein de l’hôpital public, même si la part de l’activité privée se réduit progressivement au bénéfice de celle de l’activité publique. Cela ne pose de problème à personne !
Par ailleurs, de très nombreux patriciens exercent à temps partiel, réalisant une partie de leur activité à l’hôpital public et une autre en établissement privé. Du reste, cela permet à un nombre assez important d’établissements de pouvoir continuer à vivre.
J’ajoute que certaines des dispositions votées dans le cadre de ce projet de loi organisent le partenariat entre les établissements de santé publics et privés. Ces amendements seraient donc quelque peu en contradiction avec des mesures déjà adoptées, puisqu’ils rendraient impossible l’appartenance à la fois à l’hôpital public et à l’hôpital privé, au motif d’une concurrence automatique.
Je pense donc que cette affaire mériterait une étude plus approfondie.
Mme Annie David. Le praticien doit être démissionnaire ! Il peut exercer dans les deux types de structures !
M. Michel Mercier. Si je comprends bien, dès lors que l’on ne démissionne pas, le fait d’entrer en concurrence n’est pas grave…
Il me semble tout de même que certaines réalités doivent s’imposer à chacun d’entre nous. Une personne doit pouvoir choisir l’endroit où elle vit et y travailler dans des conditions acceptables pour tous. Il faut également tenir compte des possibilités de partenariat.
J’aimerais donc que M. Vanlerenberghe modifie son amendement, même si la rectification qu’il a acceptée apporte déjà une amélioration sensible. En utilisant l’expression « il peut » être interdit, on laisse au pouvoir réglementaire toute latitude pour définir les cas impliquant une interdiction, ce qui, d’ailleurs, annule pratiquement la portée de l’amendement.
M. Alain Vasselle. Il faut le retirer !
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Je partage totalement les propos de M. Mercier. En particulier, s’agissant de la coopération entre les secteurs public et privé, nous avons effectivement voté, à l’article 8, des dispositions permettant à un établissement public de santé, lorsqu’il en a besoin, de faire appel au secteur privé. Les chirurgiens libéraux, les médecins, les sages-femmes, les odontologistes, etc. peuvent ainsi venir apporter leur aide. Chers collègues, pensez-vous véritablement que nous obtiendrons cette collaboration, que nous appelons de nos vœux, en faisant peser ce type de menaces sur l’ensemble des professionnels du secteur médical ?
Par conséquent, à l’instar de notre rapporteur et ayant pleinement conscience de l’enjeu, je souhaite que les auteurs de ces amendements les retirent. À défaut, certaines parties de ce projet de loi que nous avons déjà votées n’auraient plus de sens puisqu’aucune collaboration ne serait plus possible entre les secteurs public et privé. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. François Autain. Ce n’est pas une collaboration !
M. le président. La parole est à M. Jean Desessard, pour explication de vote.
M. Jean Desessard. Je reviendrai non pas sur le fond, mais sur la précision de M. Charasse. Si nous utilisons l’expression « il peut être interdit », nous risquons de rendre la loi « bavarde ».
Qui décidera de l’interdiction ? Le directeur de l’hôpital ne s’en chargera pas, arguant du fait qu’il ne peut rien faire puisque la loi ne prévoit aucune mesure. Si nous laissons la décision à autrui, nous nous serons simplement fait plaisir en inscrivant dans la loi une disposition qui ne s’appliquera pas.
M. Alain Vasselle. Le retrait s’impose !
M. Jean Desessard. Il faut conserver l’amendement n° 215 rectifié, mais sans la rectification.
M. le président. La parole est à M. Robert del Picchia, pour explication de vote.
M. Robert del Picchia. Quelle autorité interdira ?
M. Michel Charasse. Celle qui accepte la démission !
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. L’hôpital !
M. Robert del Picchia. Et qui déterminera qu’il y a concurrence directe ?
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Le juge !
M. Robert del Picchia. L’expression « peut interdire » signifie que l’interdiction peut ou non s’appliquer. La loi doit être claire !
Il serait souhaitable de retirer l’amendement.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Alain Milon, rapporteur. Le président Nicolas About et moi-même avons écouté avec beaucoup d’intérêt l’ensemble des interventions. Si certains propos ont été très enrichissants, d’autres, tels que ceux de M. Mirassou, ont été vexatoires pour les internes et les chefs de clinique.
Prétendre que les internes et les chefs de clinique coûtent cher est inadmissible. C’est ignorer les services que ces professionnels rendent au sein de l’hôpital et les salaires qu’ils perçoivent ! (Vifs applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. Jean-Jacques Mirassou. Je parlais de leur formation !
M. Alain Milon, rapporteur. À la demande de la commission des affaires sociales, j’ai élaboré, l’année dernière, un rapport d’information sur l’avenir de la chirurgie en France. Dans le cadre de ces travaux, j’ai rencontré de nombreux internes et chefs de clinique, des jeunes d’une trentaine d’années.
En vous écoutant, monsieur Mirassou, je me remémorais en particulier un chef de clinique qui travaillait sur les greffes de foie à l’hôpital Saint-Antoine, avec le professeur Tiret. En dernière année de clinicat, il était rémunéré 1 700 euros par mois.
Bien qu’il fût contacté par de nombreuses entreprises privées, ce jeune spécialiste de la greffe du foie avait l’intention de continuer à travailler, pendant encore un à trois ans, pour l’hôpital public afin de poursuivre sa formation, obtenir le titre de praticien hospitalier et rester aux côtés de son patron. Si ce jeune homme, qui est pratiquement l’un des seuls de cet âge-là sur Paris à pratiquer des greffes de foie, sait qu’on lui interdira de quitter l’hôpital au bout de trois ans, il ira directement dans le privé.
Ainsi, mes chers collègues, en optant pour un tel dispositif, vous privez le secteur public d’hommes et de femmes de grande qualité, qui iront directement dans le secteur privé. Ne faites surtout pas cela : c’est dangereux ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)