M. Jacques Legendre. Très bien !
M. Christian Demuynck, rapporteur. Enfin, pour améliorer l’accès des jeunes à la culture, la mission commune d’information souhaiterait que soit mise en place une maison numérique de la jeunesse et de la culture, qui serait, en fait, un site officiel de téléchargement illimité de contenus culturels libres de droits ou dont les droits seraient payés par l’État.
Le dispositif de la gratuité dans les musées pourrait être étendu de manière expérimentale aux entrées dans les théâtres nationaux.
Tels sont, mes chers collègues, les principaux sujets que nous avons évoqués au cours de cette mission ; ils ne sont bien entendu pas exhaustifs. Comme l’a indiqué Mme la présidente de la mission, nous allons poursuivre nos travaux, notamment pour ce qui concerne l’autonomie des jeunes.
À ce stade de mon intervention, je tiens à remercier M. le président de la commission des affaires sociales d’avoir accepté d’interrompre l’examen du projet de loi portant réforme de l’hôpital et relatif aux patients, à la santé et aux territoires pour débattre de cette question importante. (Mme Gisèle Printz applaudit.)
Par ailleurs, je veux rendre hommage au travail et à l’investissement de deux anciens ministres sur cette question, à savoir Gérard Larcher et Jacques Legendre, que je remercie par ailleurs pour leurs suggestions particulièrement intéressantes.
Je remercie également tous les membres de la mission. L’ambiance fut conviviale : même si nous n’étions pas forcément en accord sur toutes les questions, nous avons appris à nous connaître, et je suis persuadé que nous parviendrons, dans les semaines à venir, à trouver des solutions sur l’autonomie. (Applaudissements sur les travées de l’UMP, de l’Union centriste et du RDSE, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste.)
Point de vue des groupes politiques
Mme la présidente. Dans la suite du débat, la parole est aux orateurs des groupes.
La parole est à Mme Christiane Demontès, pour le groupe socialiste.
Mme Christiane Demontès. Madame la présidente, monsieur le haut-commissaire, madame la présidente de la mission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je veux dire d’emblée ma satisfaction – et celle des membres de mon groupe – d’avoir participé à la mission commune d’information sur la politique en faveur des jeunes et rencontré, durant deux mois, des interlocuteurs très différents, mais tous concernés par la tranche d’âge des 16-25 ans, qui ont tant de difficultés à s’intégrer dans notre société, car ils peinent à s’insérer professionnellement. Ainsi, sur les 8,18 millions de jeunes concernés, seuls 26 % pensent que « leur avenir est prometteur », contre 60 % au Danemark !
Nos débats ont été riches et diversifiés. Il nous incombe maintenant d’en tirer des conclusions et de formuler des propositions pour vous permettre, monsieur le haut-commissaire d’avancer sur cette question.
Je centrerai mon propos sur le volet « éducation et orientation » ; mon collègue Martial Bourquin interviendra tout à l’heure sur le volet « emploi et autonomie des jeunes ».
Ma première remarque sera pour regretter de ne pas avoir rencontré suffisamment d’interlocuteurs de l’éducation nationale. Même si ce sont les 16-25 ans qui sont concernés, nous nous sommes rendu compte, tout au long de cette mission, que beaucoup se joue en amont.
En caricaturant à peine, je dirais que tout se passe comme si l’éducation nationale avait peu à voir avec les difficultés de nos 16-25 ans. Pourtant, les difficultés d’une partie d’entre eux apparaissent très tôt. Ce qui se joue dès les premières années de la scolarité est très fortement déterminé par les conditions de vie de la famille.
Aujourd’hui, je le rappelle, et M. le haut-commissaire aux solidarités actives contre la pauvreté le sait bien, près de 6,7 millions de personnes vivent en dessous du seuil de pauvreté dans notre pays. Cet accroissement de la pauvreté a bien sûr des conséquences sur la réussite scolaire des enfants.
M. le rapporteur rappelle d’ailleurs que, contrairement aux principes fondateurs de l’école républicaine, l’origine sociale et les diplômes des parents sont déterminants pour l’avenir de leurs enfants.
On ne peut pas se contenter de déplorer la sortie massive du système scolaire de 150 000 jeunes sans qualification chaque année, soit 20 % de la population des sortants du système éducatif, sans exiger une réelle réflexion de l’éducation nationale sur ce sujet.
En cela, notre mission a un petit goût d’inachevé. Qui plus est, comment ne pas s’interroger, comme l’a fait devant nous l’ancien ministre de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, M. Luc Ferry, aujourd’hui président délégué du Conseil d’analyse de la société au sein du Comité d’orientation du Centre d’analyse stratégique, sur les conséquences néfastes du non-remplacement de 30 000 enseignants qui prennent leur retraite et sur la suppression programmée des réseaux d’aides spécialisées aux élèves en difficulté, les RASED ? Selon les propres termes de M. Luc Ferry, « la réforme du primaire est calamiteuse » !
Mmes Maryvonne Blondin et Gisèle Printz. Eh oui !
Mme Christiane Demontès. Voilà pour les remarques générales.
Je voudrais maintenant revenir sur cinq des nombreux points qui ont été examinés, et tenter de faire quelques propositions.
Si, comme vous l’avez dit, monsieur le rapporteur, on ne peut expliquer l’échec scolaire qu’au prix d’une démarche pluridisciplinaire, la problématique de l’apprentissage de la lecture occupe une place toute particulière.
En effet, 80 % des enfants qui n’ont pas appris à lire au cours préparatoire n’apprendront jamais. Ce premier échec scolaire est dramatique pour la suite. Par conséquent, il faut changer les choses dès l’école primaire et même dès le cours préparatoire.
Monsieur le rapporteur, la mission propose un dédoublement des classes de cours préparatoire pour les modules de lecture. Selon nous, il faut aller encore plus loin. Dès cette classe, les groupes ne doivent pas être supérieurs à douze élèves pour l’apprentissage de la lecture.
Mais le nombre d’enfants n’est pas seul déterminant. La formation des professeurs des écoles est aussi indispensable. Formation initiale, bien sûr, pour laquelle nous réclamons le maintien des IUFM – c’est un point important –, mais aussi formation continue sous la responsabilité des inspecteurs de l’éducation nationale et avec le soutien de tous ceux qui sont regroupés au sein des RASED : les psychologues scolaires, les rééducateurs psychopédagogiques et les rééducateurs en psychomotricité.
Mme Maryvonne Blondin. Voilà !
Mme Christiane Demontès. Cette obligation de l’apprentissage de la lecture ne mérite pas des réductions budgétaires, mais bien plutôt des priorités budgétaires.
Comme cela est souligné dans le rapport au sujet du déterminisme social, il y va « des principes fondateurs de l’école républicaine » !
J’en viens au deuxième point et à une deuxième proposition.
L’une des difficultés de notre système scolaire réside dans ce que je qualifierais de « tout ou rien ». En effet, avec l’obtention d’un diplôme, on a tout, mais, en cas d’échec à l’examen ou au passage dans la classe supérieure, on n’a rien ! Il faut trouver les moyens de sortir de cette dichotomie.
L’Uniopss, qui est à l’origine de contributions au débat tout à fait intéressantes sur l’emploi des jeunes, dit fort justement : « L’accès à l’emploi des jeunes passe [...] par une formation initiale achevée, ayant permis d’acquérir les savoirs de base ».
Mettons donc en place à partir du collège et tout au long de la scolarité un système semestriel, voire trimestriel, à l’issue duquel chaque élève pourra valider ses acquis scolaires, ses compétences professionnelles pour ceux qui suivent une formation professionnelle.
Le troisième point concerne la formation professionnelle initiale sous statut scolaire, qui est aujourd’hui très dévalorisée, à la fois par les acteurs économiques et les acteurs du système scolaire eux-mêmes. Elle est tellement dévalorisée que nombreux sont les élèves qui suivent cette filière par défaut !
En lien avec les conseils régionaux, en charge des lycées et de la formation professionnelle, ne pourrait-on regrouper au sein des mêmes établissements la formation professionnelle – qui permet d’acquérir un CAP, un BEP, un bac professionnel –, la formation technologique – qui prépare au bac technologique –, la formation générale – qui conduit au bac général – et – pourquoi pas ? – la formation par apprentissage ?
Les établissements ne seraient ainsi plus stigmatisés et, par voie de conséquence, les élèves de ces filières non plus. Qui plus est, cela freinerait sans doute le développement d’un « territorialisme » qui met les établissements en concurrence, favorise la désectorisation et pénalise les élèves, notamment ceux qui sont d’origine modeste.
À ce sujet, le bac professionnel en trois ans nous paraît extrêmement dangereux.
Mme Maryvonne Blondin. Eh oui !
Mme Christiane Demontès. Créé pour permettre aux élèves qui ont besoin de plus de temps pour apprendre d’accéder à un niveau de formation supérieur, ce diplôme professionnel n’était jusqu’à présent accessible qu’aux élèves titulaires du BEP, voire du CAP. Alors que le Gouvernement parle de « revalorisation de l’enseignement professionnel », comment imaginer qu’un élève qui a besoin de quatre ans de formation réussira en trois ans, sans diplôme intermédiaire ? Que deviendront ceux qui ne le réussiront pas ? Disposeront-ils d’un niveau reconnu ? N’y a-t-il pas une volonté de supprimer les BEP pour ne laisser que les bacs pro en trois ans et quelques CAP ?
Gageons que la fermeture massive, partout en France, de sections de CAP et de BEP sera lourde de conséquences, y compris sur l’accroissement du nombre de jeunes qui quittent le système scolaire sans qualification. Voilà encore un bel exemple du système de « tout ou rien » que je dénonçais tout à l’heure.
J’en arrive au quatrième point. Toujours sur le plan régional, je pense qu’il faut aussi réinventer de nouvelles formes d’internats, de résidences lycéennes, pour les jeunes qui souhaitent suivre des formations qui ne sont pas dispensées à proximité du domicile de leurs parents, et ceux qui ne bénéficient pas chez eux des conditions nécessaires à leur réussite scolaire. Ce ne serait que la traduction dans les faits de l’égalité républicaine et de la justice sociale, ainsi que de l’exercice du droit d’accès à la formation souhaitée.
Enfin, le cinquième et dernier point, qui est important, concerne l’orientation. Si un thème fait l’unanimité contre lui dans tous les débats, c’est bien celui-là !
Pour résumer, on peut parler d’un « système d’orientation actuellement très défaillant ». La difficulté réside dans le flou qui définit l’orientation. Qui en porte la responsabilité ? Le chef d’établissement, le conseiller d’orientation, le jeune et ses parents, le monde économique ? L’orientation est à la fois un choix personnel, une demande, satisfaite ou non, d’affectation dans une formation, un choix de métiers... Ce n’est bien évidemment pas un processus linéaire.
Le sujet est difficile, mais essentiel. Nous proposons de créer dans les régions un service public de l’orientation, voire de l’orientation et de l’emploi, qui serait chargé d’aider les jeunes dans la connaissance de soi, la connaissance des métiers, la connaissance des formations.
Lien entre l’école et l’entreprise, il serait chargé d’organiser les stages en entreprise des élèves et des enseignants, le passage entre la sortie de la formation et l’entrée dans l’emploi, et le regroupement à l’échelle du territoire de l’ensemble des professionnels de l’orientation et de l’emploi. La formation de ces professionnels, objet de beaucoup de critiques, serait pluridisciplinaire. Elle pourrait être commune aux actuels conseillers d’orientation, aux conseillers professionnels de Pôle emploi, et aux conseillers en insertion professionnelle des missions locales.
M. Jacques Legendre. C’est juste !
Mme Christiane Demontès. Relevons le défi avec ces quelques propositions qui ont pour objectif de résoudre les difficultés auxquelles se heurtent trop souvent les jeunes dans les domaines de l’orientation, de la formation et, bien sûr, de l’emploi.
Soyons certains d’une chose : si ces réformes ont parfois un coût – et, à ce sujet, nous avons apprécié les propos de M. le rapporteur, qui a osé lever un tabou sur le bouclier fiscal ! –, elles ont avant tout pour objectif un investissement sur l’homme et son avenir, en l’occurrence sur notre jeunesse, et donc sur notre devenir collectif ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly, pour le groupe Union centriste.
Mme Catherine Morin-Desailly. Madame la présidente, monsieur le haut-commissaire, mes chers collègues, l’image d’une jeunesse insouciante, pleine d’espoir et de confiance dans l’avenir est une image d’Épinal en ce début de XXIe siècle ! Les jeunes d’aujourd’hui sont pessimistes et se sentent abandonnés. Les chiffres sont accablants. Le fameux ascenseur social républicain hoquette sans arrêt.
À vrai dire, la question n’est ni récente, ni propre à la France, même si, comme nous avons pu le constater lors des travaux de la mission commune d’information sur la politique en faveur des jeunes, la situation apparaît plus inquiétante dans notre pays qu’ailleurs.
Le problème est structurel, même si, déjà fragilisée, la jeunesse prend de plein fouet les conséquences de la crise, ce qui amplifie les problèmes existants.
Depuis une trentaine d’années, des politiques ont été mises en œuvre. Devenues illisibles, elles manquent de cohérence, sont inégalement dotées et s’avèrent peu efficaces. Il était temps de saisir à bras-le-corps ce sujet ; la nomination au mois de janvier dernier d’un haut-commissaire à la jeunesse est un signe fort.
La mission a abordé de nombreuses thématiques : éducation, orientation, emploi, logement, revenus, santé, loisirs, vie associative. Le sujet de la famille mériterait d’être aussi approfondi dans les semaines à venir.
Intervenant en mon nom et en celui de mon collègue Jean-Léonce Dupont – nous représentons le groupe de l’Union centriste au sein de la mission –, je m’attacherai à développer trois points qui, selon moi, sont constitutifs de la construction et de l’épanouissement d’un jeune : l’éducation et la formation, l’insertion professionnelle et les pratiques culturelles et sportives.
En 1995, Tony blair avait défini ses priorités : éducation, éducation, éducation. Son opposant conservateur avait répliqué, non sans humour, que ses priorités étaient les mêmes, mais ... dans un ordre différent ! (Sourires.)
L’éducation est en effet la clé de voûte. Beaucoup se joue à l’école, où se forgent les apprentissages fondamentaux. Aussi faut-il garantir à tous les enfants la poursuite d’études dans des conditions optimales, avec une attention particulière pour les acquis au cours préparatoire.
Sachant que, depuis des années, 20 % d’une classe d’âge sort du système éducatif sans diplôme ni qualification, et un taux de chômage chroniquement élevé, il faut poser les vraies questions.
Regardons les choses en face ! Malgré un budget qui a augmenté de 23 % en dix ans, les enquêtes internationales nous placent légèrement au-dessous de la moyenne, très loin derrière la Finlande, qui est en tête. La réussite des jeunes n’est donc pas, comme nous l’entendons trop souvent, uniquement une question de moyens.
Notre système éducatif, avouons-le, est souvent bridé par des conservatismes. Il faut avoir de l’aptitude scolaire une approche moins académique, plus souple, plus complète, et reconnaissant à l’élève un droit à l’erreur. La grande mission de l’école est de veiller à ce que soient acquis non seulement les savoirs définis par le socle commun des connaissances, mais également le savoir-faire – l’acquis d’une technique particulière – et le savoir-être – la relation à soi et aux autres.
À l’école, comme au sein de l’entreprise, des administrations, dans le monde du sport, des arts et de la culture, il faut promouvoir les talents, faire bénéficier la collectivité de la diversité des intelligences et des sensibilités. Mais la France souffre d’un système de hiérarchisation des formes d’intelligence qui privilégie l’intelligence abstraite.
Des jeunes de mon département, épanouis aujourd’hui dans une formation professionnelle agricole, ont tous dénoncé la pression qu’ils ont subie lors de leur orientation de la part des professeurs, qui, au vu de leurs résultats, les encourageaient à poursuivre dans la filière générale.
Les filières courtes, l’enseignement professionnel et l’apprentissage, bien que prometteurs sur le marché du travail, continuent de pâtir d’une mauvaise image. Le travail de revalorisation effectué depuis quelques années est à poursuivre absolument, tant auprès des familles que des enseignants eux-mêmes, ainsi que la réflexion sur une réforme des lycées inchangés depuis 1975.
J’en viens à une autre question, celle de l’orientation et de son organisation, que ce soit à l’école ou à l’université.
La multiplication des structures et des interlocuteurs, le manque de lisibilité, sont autant de difficultés qui font que les jeunes ont du mal à s’y retrouver. Résultat : près de 60 % d’entre eux ne terminent pas les études qu’ils ont commencées à l’université !
Et que dire de l’orientation fondée sur des stéréotypes dont les filles sont les premières victimes ? À elles les études littéraires ou paramédicales ; à eux les études scientifiques et techniques ! Le service public de l’orientation préconisé dans le rapport de mission, garant de la connaissance concrète du monde du travail, s’avère donc indispensable.
Les difficultés d’orientation sont accrues par le décalage existant entre la représentation que les jeunes se font du monde du travail et la réalité de celui-ci. Cela implique de généraliser les stages réguliers et obligatoires tout au long de la scolarité et de la formation. Car il faut savoir qu’un étudiant en sciences humaines peut passer cinq années sur les bancs de la faculté sans jamais être obligé de faire des stages !
Le rapprochement entre l’entreprise, d’une part, l’école et l’université, d’autre part, est donc indispensable. On l’a dit, ces deux univers sont trop cloisonnés, et toutes les auditions nous l’ont confirmé.
C’est donc une véritable révolution culturelle qui doit s’accomplir, tant du côté des enseignants que de celui des employeurs. En effet, ces derniers ont, eux aussi, un rôle à jouer ; cela fait partie de leur responsabilité sociale.
En matière d’éducation, on observe une méfiance générale envers toute démarche pragmatique, à laquelle on préfère trop souvent les grands principes. Mais les bons sentiments transformés en slogan – « 80% de réussite au bac » – ainsi que le rêve du collège unique ont fait, nous l’avons vu, la preuve de leur échec.
Il faut bien l’avouer, la phobie générale à l’égard de toute orientation précoce, voire de toute orientation et de toute sélection ont conduit des jeunes dans des impasses. Pourquoi laisser des dizaines de milliers d’étudiants s’engouffrer dans des filières qui ne conduisent nulle part ?
En dehors de certaines d’entre elles – médecine, droit ou encore pharmacie –, les filières universitaires longues offrent trop peu de débouchés par rapport au nombre d’étudiants. Ces derniers sont donc confrontés à une concurrence très forte. Cela veut dire, chaque année, 80 000 jeunes quittant l’université sans avoir obtenu de diplôme.
La loi relative aux libertés et responsabilités des universités, ou loi LRU, a été une première étape dans la réforme de l’enseignement supérieur ; cette réforme, il faut la poursuivre. À cet égard, des chantiers ont été ouverts, portant notamment sur l’insertion professionnelle, les bourses et le logement étudiant.
Le deuxième point que je souhaiterais aborder concerne la question de l’insertion professionnelle, qui revêt une acuité particulière en ces temps de crise où le chômage des jeunes atteint des sommets.
L’insertion des jeunes dans l’emploi est devenue incertaine, lente et chaotique ; elle subit davantage les fluctuations de la conjoncture. Cela fait trente ans que la question préoccupe les gouvernements. Depuis 1977, date à laquelle, je le rappelle, le taux de chômage des moins de vingt-cinq ans était de 11,3 %, contre 5,3 % pour les autres catégories, bien des mesures incitant les entreprises à prendre des jeunes en échange d’exonérations de charges se sont succédé, sous différentes appellations. Hélas ! ces politiques n’ont pas toujours eu le succès escompté.
La difficulté à être embauché s’explique également par différentes raisons, qui parfois se cumulent : le manque de diplôme – même si les diplômes ne constituent plus un rempart contre le chômage, contrairement à ce qui se passait dans les années soixante-dix –, l’inadéquation entre la formation et le marché du travail, mais aussi le manque d’expérience. Cela confirme l’absolue nécessité des stages et des immersions régulières, qui permettent aux jeunes non seulement de mieux s’orienter, mais encore d’acquérir la fameuse première expérience.
Les mutations du marché du travail et des métiers doivent, par ailleurs, être mieux anticipées. Parfois, on ne peut être que frappé par l’inadéquation entre les offres et les demandes d’emploi.
Ceux qui, par bonheur, ont réussi à franchir le cap de l’embauche sont confrontés à une deuxième difficulté, celle des contrats précaires – CDD, intérim, temps partiel –, qui ne leur permettent pas de vivre correctement, de devenir pleinement autonomes et ainsi de pouvoir se projeter dans l’avenir.
Un certain nombre de jeunes vivent au-dessous du seuil de pauvreté. Le revenu de solidarité active, mis en place à partir du 1er juin, ne concerne pas les jeunes qui vivent des ruptures dans leur parcours professionnel. On peut le regretter.
Au sein de la mission commune d’information, l’idée d’instaurer une « allocation jeune » a été émise. S’il convient, selon nous, de distinguer ce qui est souhaitable de ce qui est possible, cette question de l’autonomie financière des jeunes mérite d’être approfondie.
Le troisième et dernier point que j’aborderai concerne le risque qu’il y a à voir grandir, dans la jeunesse, compte tenu des difficultés qu’elle rencontre, le repli sur soi et le sentiment d’inutilité. Plus que jamais, dans un monde où l’individualisme se développe et fragilise la cohésion sociale, la vie associative, qui ouvre aussi à la vie citoyenne, de même que les pratiques sportives et culturelles pour tous – mais en particulier pour les jeunes – doivent être facilitées.
On ne saurait trop le répéter : de l’école à l’université, dès le plus jeune âge, la pratique d’activités physiques et la sensibilisation aux arts et à la culture participent de l’équilibre et de l’épanouissement des individus.
Rendre les musées et les théâtres gratuits, comme le propose notre mission commune d’information, serait certes une mesure intéressante, mais elle suppose, pour être pleinement bénéfique, qu’en amont dans la vie des jeunes on se soit attaché, à travers des dispositifs appropriés, à les familiariser à la culture, à éveiller leur goût et leur curiosité.
Ainsi, l’effort doit porter non seulement sur l’école, mais aussi sur l’université, où, à la différence de ce que l’on constate dans d’autres pays, l’offre reste malheureusement disparate et insuffisante. À cet égard, j’ai souhaité qu’une étude sur les pratiques culturelles à l’université soit réalisée dans le cadre de notre mission commune d’information, car la culture est, comme le sport, un outil de socialisation indispensable au moment où l’on construit sa personnalité et où l’on doit s’ouvrir au monde et aux autres.
Aujourd’hui, les jeunes vivent la culture essentiellement sur le Net ; elle n’est plus forcément associée à un lieu – théâtre, musée ou cinéma – ou à des supports réels, comme les livres ou les disques. D’ici à quelques années, ces nouveaux comportements seront ceux de quasiment toute la population. Territoires réels et territoires virtuels de la culture sont désormais intrinsèquement liés. Aussi, à côté des industries culturelles, les pouvoirs publics doivent s’emparer de ces champs nouveaux, car, si la culture c’est la création, la découverte, l’innovation, c’est aussi la transmission de nos patrimoines et de nos valeurs. Or il convient d’assurer cette transmission.
On a déjà eu l’occasion de le dire lors de précédents débats : il faut veiller à ce que les nouveaux supports de diffusion de la culture disposent d’une offre riche et « multi-supports » de qualité.
Pour finir, je souhaiterais dire quelques mots sur le rôle des collectivités territoriales, que notre Haute Assemblée a notamment pour mission de représenter. Si la jeunesse doit être abordée de façon transversale au niveau de l’État, il doit en aller de même au niveau local : elle mériterait de se voir dédier une délégation à part entière dans les collectivités.
Par ailleurs, celles-ci, comme les entreprises, doivent veiller à accueillir les jeunes. Comme au niveau central, une mobilisation de tous les acteurs concernés sur nos territoires est indispensable. Or il n’existe actuellement aucune réelle coordination des politiques liées à la jeunesse. Il n’y a que des instances qui, le plus souvent, travaillent parallèlement : les services de la ville, les associations, les instances de l’éducation nationale, les parents, les entreprises, le milieu associatif. Qui, mieux que le maire, peut fédérer tous ces acteurs ? Il rencontre en effet au quotidien ses jeunes administrés.
L’objectif, quel que soit le niveau d’intervention, est d’extirper les racines de l’échec en trouvant pour chacun le parcours qui le mènera à la réussite et en l’aidant à trouver sa voie d’accès à l’autonomie.
La jeunesse constitue la force de demain. C’est donc un investissement incontournable, qui concerne, rappelons-le, 8,2 millions de nos concitoyens dont nous avons la responsabilité. Gardons toujours à l’esprit que, selon le mot d’un de nos illustres prédécesseurs, Victor Hugo, « la jeunesse est le sourire de l’avenir ». (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste, de l’UMP, du RDSE et du groupe socialiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-François Voguet, pour le groupe CRC-SPG.
M. Jean-François Voguet. Madame la présidente, monsieur le haut-commissaire, mes chers collègues, en participant à cette mission commune d’information, nous souhaitions favoriser l’émergence de nouvelles politiques publiques pour répondre enfin à l’ensemble des problèmes des jeunes de notre pays, dont la situation sociale n’a cessé de se dégrader depuis trente ans et qui, pour nombre d’entre eux, subissent une stigmatisation permanente.
Depuis de nombreuses années, les jeunes sont plutôt oubliés par l’action publique. Pourtant, la situation qui est faite à notre jeunesse, nous la connaissons tous !
Les problèmes qui enflamment régulièrement nos villes nous montrent la désespérance de beaucoup de jeunes. Tenter d’y remédier suppose des réformes touchant tous les compartiments de leur vie, en vue de les accompagner sur le chemin de l’autonomie. Ces réformes doivent être aussi audacieuses qu’ambitieuses : l’heure n’est plus aux petits ajustements qui, au nom du pragmatisme prévalant ces derniers temps, permettent au mieux de maintenir entre deux eaux les populations qui se noient, mais ne les autorisent jamais à rejoindre la rive d’une existence apaisée.
Aussi demandons-nous des engagements forts de la nation, inscrits dans la durée, assortis d’importants moyens et qui instituent de nouveaux droits pour tous les jeunes. C’est une vraie mobilisation qu’il faut déclarer, monsieur le haut-commissaire. La jeunesse doit devenir une cause nationale !
Voilà pourquoi je vous proposais, dès notre première rencontre, d’inscrire vos projets et les travaux de notre mission commune d’information dans la perspective d’une loi d’orientation pour un engagement national en faveur de l’autonomie des jeunes, loi que nous appelons de nos vœux. Pour l’instant, vous n’avez pas souscrit à cette demande.
Nous ne pouvons, dès lors, que regretter que notre mission commune d’information se soit bornée à n’examiner que certains aspects des problèmes posés, et seulement à partir des pistes ouvertes par vos déclarations, monsieur le haut-commissaire. En ne proposant que des adaptations aux politiques actuelles, notre mission commune d’information se contente de continuer dans des voies qui n’ont pas fait la preuve de leur efficacité.
C’est pourquoi nous considérons que, malgré la pertinence de l’approche choisie pour notre étude, fondée sur des auditions et des débats, de très nombreux aspects ne sont pas abordés dans le rapport et que de très nombreuses pistes, bien qu’elles aient été ouvertes, ont été insuffisamment explorées.
Si nous approuvons évidemment certaines des propositions, d’autres nous semblent trop timides et d’autres encore, dangereuses.
Nous regrettons, tout particulièrement, que l’ensemble des questions d’éducation ne soient pas traitées dans leur globalité, alors qu’elles sont au cœur des problèmes rencontrés.
Nous ne pouvons pas non plus nous satisfaire d’un ensemble de propositions qui ne visent qu’à rapprocher le monde de l’entreprise et celui l’enseignement. Sans nier, bien sûr, la nécessité d’une telle relation, non plus que caractère indispensable d’une revalorisation des filières professionnelles, nous estimons que le fait de privilégier cette seule piste de réflexion ouvre la voie à un assujettissement renforcé de notre système éducatif au monde de l’entreprise.
De plus, cette perspective ignore l’objectif fondamental qui devrait être celui de notre service public d’enseignement, à savoir la transmission des connaissances et l’épanouissement de toutes les capacités. Par le fait même, elle nous en éloigne toujours plus. C’est cette action éducative qu’il nous faut pourtant renforcer, à rebours des politiques actuelles de restriction des moyens et de suppression de postes.
Nous pourrions alors repenser les contenus et la pédagogie pour parvenir à la réussite de tous, dans le cadre d’un projet éducatif global passant par l’accompagnement, le soutien et la valorisation de chacun.
En ce qui concerne l’insertion et l’emploi, nous savons tous que les jeunes sont les premières victimes de notre système économique, qui privilégie les dividendes au détriment de l’emploi et de l’innovation.
C’est donc par des mesures réelles de revalorisation du travail, par des investissements authentiquement productifs et par la reconnaissance de tous les diplômes que notre jeunesse trouvera la voie de l’emploi.
Cependant, les jeunes se trouvent confrontés à une série de problèmes spécifiques qu’il nous faut résoudre.
Depuis trente ans, de façon insidieuse, l’idée que le travail des jeunes possède une moindre valeur s’est répandue dans notre société, se légitimant elle-même au fil des « mesurettes » qui se sont succédé. On en finirait par s’interroger sur leur capacité à exercer convenablement une activité professionnelle, alors que leur niveau de formation s’est élevé !
Ainsi, notre société impose aux jeunes une véritable course d’obstacles, leur fait subir un insupportable « bizutage » social en les contraignant, pendant des années, aux petits boulots, à de multiples compléments de formation ou d’adaptation à l’emploi, à des stages et autres contrats spécifiques peu rémunérés ; elle leur réserve également les emplois précaires.
Dès lors, toute mesure allant à l’encontre des règles favorisant la flexibilité et la baisse du coût du travail renforcerait l’insertion professionnelle des jeunes.
Quant aux aides et primes diverses en faveur des entreprises, qui se sont développées au cours des dernières décennies, elles n’ont pas permis d’endiguer le chômage massif et la précarisation des jeunes. Elles doivent donc être réorientées vers le soutien à des formations réellement qualifiantes, à l’insertion et aux véritables emplois en CDI et à temps plein. Dans ce cadre, l’ensemble des pouvoirs publics doivent être mobilisés.
Pour les jeunes éloignés de la formation et de l’emploi, il faut renforcer les politiques publiques d’accompagnement en faveur de leur insertion sociale et professionnelle par un suivi plus personnalisé et inscrit dans la durée.
Plus généralement, nous soutenons certaines propositions de notre mission commune d’information visant à améliorer les conditions de vie de la jeunesse, telle l’attribution d’un dixième mois de bourse, mais nous regrettons qu’elles se bornent à envisager de refondre l’ensemble des dispositifs d’aides, sans proposer d’aller résolument vers la création d’un revenu pour l’autonomie des jeunes, proposition que nous portons avec force pour accompagner leurs efforts de formation, d’insertion et de recherche d’emploi.
Nous le regrettons d’autant plus que, loin de promouvoir cette solidarité active, notre mission commune d’information propose d’endetter les jeunes avant même qu’ils ne disposent d’un revenu !
Certes, notre proposition d’un revenu d’autonomie nécessite la mobilisation d’importants moyens financiers. Nous en avons d’ailleurs discuté lors de notre dernière réunion. Qu’il me soit cependant permis de rappeler ici que gouverner, c’est faire des choix. Pour exonérer d’impôts les plus riches, vous avez trouvé des moyens considérables ! Et je ne parle pas seulement du bouclier fiscal ; j’ai aussi en tête, évidemment, toutes les niches fiscales, qui représentent plusieurs dizaines de milliards. Il suffirait d’en réduire le nombre pour mettre en place cette allocation.
Du reste, ces sommes attribuées aux jeunes viendraient non pas augmenter les capitaux spéculatifs qui nous font tant de mal, mais enrichir notre économie. C’est donc un investissement durable que nous proposons.
Cette question du pouvoir d’achat est essentielle au regard de l’autonomie que doivent acquérir les jeunes. Elle est à la base de bon nombre des difficultés qu’ils rencontrent dans le domaine du logement, de la santé, de l’accès à la culture et aux loisirs ; elle conditionne aussi leurs possibilités de déplacements et de détente.
C’est pourquoi nous soutenons toutes les mesures tendant à améliorer la situation dans ces domaines, notamment par l’institution de droits nouveaux, dont la mise en œuvre doit reposer sur la mobilisation non seulement des collectivités locales, mais aussi des pouvoirs publics, notamment en matière de logement et de transport.
Pour ce qui concerne la citoyenneté, nous ne pouvons nous satisfaire des propositions qui sont mises en avant. Nous considérons que de nouvelles étapes doivent être franchies pour permettre l’expression des jeunes, favoriser leur prise de responsabilité, valoriser leur rôle dans notre société et faire en sorte que leurs droits soient mieux respectés.
Enfin, à propos de la création d’un éventuel service civique, nous sommes, pour notre part, favorables à un service national de solidarité largement ouvert à tous les jeunes. Ses missions et ses conditions d’exercice, mais aussi sa rémunération devront être attractives, afin que des dizaines de milliers de jeunes fassent le choix de s’y engager, ce qui permettrait, à terme, de le généraliser.
Mes chers collègues, après ces remarques, ces critiques et ces contre-propositions, vous ne serez pas étonnés que, tout en saluant le travail réalisé par cette mission, en particulier par sa présidente et son rapporteur, entourés de fonctionnaires des commissions, dont je tiens à saluer la compétence, notre groupe ne soit pas favorable à ses conclusions.
Nous restons cependant disponibles pour engager de vraies réformes, qui transformeraient, enfin, la vie de la jeunesse de notre pays ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)