Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Legendre, pour le groupe UMP.
M. Jacques Legendre. Madame la présidente, monsieur le haut-commissaire, mes chers collègues, le malaise des jeunes n’est pas l’apanage de notre époque.
Lors de son audition devant la commission des affaires culturelles, le 6 mai dernier, Luc Ferry avait sans doute raison d’introduire son propos en faisant observer que la situation générale des jeunes pouvait paraître meilleure que celle des générations précédentes, confrontées au pire des maux : la guerre.
Au moment où nous débattons de ce sujet, j’ai également à l’esprit la célèbre formule de Paul Nizan, qui fut tué durant les combats de 1940 : « J’avais vingt ans. Je ne laisserai personne dire que c’est le plus bel âge de la vie. » C’est par ces mots que s’ouvre Aden Arabie, livre paru en 1932.
Pour autant, pouvons-nous considérer que la situation des jeunes de notre époque est satisfaisante ? Si nous les questionnons, nous apprenons qu’ils ont peur pour leur avenir, qu’ils sont inquiets et qu’ils rencontrent des difficultés pour entrer dans la vie active.
Notre propre génération a sans doute eu plus de chance. En effet, la guerre d’Algérie était derrière nous et la France connaissait un important développement économique. Notre seul problème était de réussir nos études : nous ne connaissions pas l’angoisse du chômage, sachant qu’une bonne formation permettait à coup sûr d’avoir un emploi intéressant.
Nous qui avons eu cette chance, nous avons le devoir de faire le maximum pour les jeunes d’aujourd’hui. Ces derniers doivent avoir confiance en l’avenir, ce qui n’est malheureusement pas le cas à l’heure actuelle.
Nous nous glorifions souvent de notre titre de champion d’Europe de la natalité. Certes, nous avons des jeunes en nombre, mais nous ne leur permettons pas d’entrer dans la vie active avec confiance. Si nous ne remédions pas à une telle situation, nous aurons été injustes à leur égard et n’aurons pas rendu service à notre pays.
En tant que président de la commission des affaires culturelles du Sénat, je suis particulièrement sensible à ce problème. C’est pourquoi j’ai tenu à en traiter à plusieurs reprises, notamment en commettant, avec d’autres collègues, deux rapports d’information, l’un portant sur ce « délit d’initié » que constitue parfois l’accès aux classes préparatoires aux grandes écoles, l’autre sur le baccalauréat, qu’il soit général, technologique ou professionnel. Nous avions en particulier montré que la réussite à cet examen suscite des frustrations à la hauteur des espoirs qu’il peut faire naître, notamment chez tous ceux dont les parents ne sont pas eux-mêmes bacheliers, car il ne leur permet finalement pas toujours d’obtenir dans la société la place qu’il est censé leur garantir.
Cela dit, je me félicite des avancées récentes en matière de décloisonnement de l’orientation et de l’action interministérielle. Le délégué interministériel à l’orientation nous a présenté la très récente instruction interministérielle du 22 avril 2009 relative à la prévention du décrochage scolaire et à l’accompagnement des jeunes sortant sans diplôme du système scolaire. Si les mesures en question vont dans le bon sens, encore faudra-t-il s’assurer qu’elles seront bien appliquées sur le terrain...
Le 24 avril dernier, alors que nous travaillions, au sein de la mission commune d’information, sur ces questions, le Président de la République a annoncé un important plan de soutien à l’emploi des jeunes ; nous nous en réjouissons.
Mes chers collègues, vous savez l’importance qui s’attache aux filières professionnelles et aux formations en alternance. Voilà vingt-neuf ans, alors que j’étais secrétaire d’État chargé de la formation professionnelle, au cours des débats parlementaires qui ont conduit à l’adoption de la première loi sur l’alternance, à savoir la loi du 12 juillet 1980 relative aux formations professionnelles alternées, j’avais dressé – qu’on me pardonne de me citer moi-même ! – le constat suivant : « Sur les 650 000 jeunes qui arrivent chaque année sur le marché du travail, 200 000 ont une formation générale relativement faible et sont dépourvus de qualification professionnelle. » Je soulignais alors « l’impression de tourner en rond pour qui ne peut trouver un emploi faute d’expérience, et qui ne peut en acquérir puisqu’il n’a pas encore pu travailler ».
Mes chers collègues, si je n’avais pas indiqué l’époque à laquelle ces propos ont été tenus, je me demande si vous n’auriez pas eu l’impression qu’ils décrivaient la situation actuelle ! Pourtant, de nombreuses décisions sont intervenues depuis lors, et les moyens ont été substantiellement renforcés.
La loi du 12 juillet 1980 visait à systématiser le recours à la pédagogie nouvelle que constituait l’alternance, destinée à permettre aux jeunes d’acquérir à la fois une qualification et une expérience. Considérée comme une mauvaise loi, elle a été abrogée en 1981, mais fort heureusement reprise à partir de 1983. Aujourd’hui, nous pouvons en faire le constat : sur toutes nos travées, nous avons fait quelques progrès !
Actuellement, à l’issue de la scolarité obligatoire, c’est-à-dire en fin de troisième, près de 40 % des élèves – cette part est stable depuis dix ans – s’engagent dans la voie professionnelle, soit sous statut scolaire soit sous contrat d’apprentissage. Il convient de rattacher à ces deux filières d’alternance les contrats de professionnalisation, ouverts à tous les jeunes de seize à vingt-cinq ans ainsi qu’aux demandeurs d’emplois âgés de vingt-six ans qui relèvent de la formation professionnelle.
La mission a formulé d’importantes propositions en faveur des jeunes apprentis, en vue notamment d’aligner leur statut sur celui des étudiants. Nous souhaitons aussi que des aides au logement et à la mobilité géographique permettent aux jeunes qui le désirent de s’engager dans cette voie sans être freinés par des obstacles matériels et financiers.
Les jeunes qui ont bénéficié d’une formation en alternance obtiennent, je le rappelle, d’excellents résultats en termes d’insertion professionnelle – et c’est bien cela qui compte ! – puisque 80 % d’entre eux trouvent un emploi durable en moins d’un an. Selon moi, il convient donc, tout particulièrement en cette période de crise, de poursuivre nos efforts dans ce domaine.
Mme Catherine Troendle. Très bien !
M. Jacques Legendre. Bien entendu, les entreprises doivent se mobiliser, et j’ai insisté pour que cela soit clairement affirmé dans le rapport de la mission commune d’information. Il est en effet de la responsabilité citoyenne des entreprises de s’engager à accueillir des jeunes et de contribuer à leur formation. Si notre système éducatif n’est pas sans défaut, il ne peut toutefois se substituer aux employeurs, qui sont évidemment les plus à même de transmettre les connaissances et compétences concrètes de leurs métiers, en perpétuelle évolution.
Mme Raymonde Le Texier, présidente de la mission commune d’information. Absolument !
M. Jacques Legendre. En revanche, le rapport le dit bien, il appartient à l’école d’identifier et de valoriser tous les potentiels des jeunes : les connaissances théoriques, à l’évidence, mais aussi les savoir-faire et le savoir-être.
Je me souviens avoir entendu certains, au cours d’un débat, proclamer que l’entreprise n’avait pas de rôle à jouer dans l’éducation et la formation. Or, on s’en rend bien compte aujourd’hui, les entreprises n’ont jamais cherché à jouer un rôle dans le domaine de la formation des jeunes.
M. Alain Gournac. Absolument !
M. Jacques Legendre. Au contraire, en France, les entrepreneurs souhaitent avoir des jeunes formés aux tâches de production, alors que, dans d’autres pays – je pense notamment à l’Allemagne –, il leur semble normal de former les jeunes aux exigences des métiers. Selon moi, la vérité se situe entre ces deux conceptions.
J’évoquerai rapidement un sujet qui a fait débat au sein de la mission d’information : faut-il orienter les jeunes vers les métiers dits « en tension » ?
Soyons clairs : personne ne s’est exprimé, au sein de la mission, pour l’orientation forcée de quiconque. En revanche, il paraît de bon sens de prendre en considération – sans être taxé, comme j’ai pu l’entendre, d’« adéquationnisme » ! – l’inadéquation entre les offres et les demandes d’emploi. Peut-on continuer à former plus de 50 % des psychologues européens – je n’ai rien contre les psychologues, mais cela fait tout de même beaucoup ! – et ne pas s’interroger sur les 100 000 projets de recrutement recensés en 2009 qui peinent à trouver preneurs, même en cette période de crise économique ?
Bien entendu, les professionnels en question doivent aussi s’interroger et découvrir pour quelles raisons leurs métiers n’attirent pas les jeunes. Mais il n’est pas inutile de rappeler aux jeunes l’existence des secteurs qui recrutent. Le devoir de la formation est de préparer à l’emploi dans les métiers où les embauches sont avérées.
Peut-on laisser 150 000 élèves sortir chaque année du système scolaire sans aucun diplôme ni certification – je disais la même chose il y a trente ans : c’est grave ! – et, le plus souvent, avec un sombre avenir pour tout horizon, et ne pas penser que certains d’entre eux pourraient trouver leur voie dans ces secteurs d’activité ?
Bon sens et pragmatisme doivent prévaloir à cet égard. Les propositions de la mission commune d’information s’orientent dans cette direction et c’est pourquoi elles me paraissent très raisonnables. Nous avons souhaité mettre les jeunes au centre des dispositifs et leur redonner confiance. Puissent nos propositions être entendues, monsieur le haut-commissaire ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP, de l’Union centriste, du RDSE et du groupe socialiste.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Françoise Laborde, pour le groupe du RDSE.
Mme Françoise Laborde. Madame la présidente, monsieur le haut-commissaire, mes chers collègues, avant d’entrer dans le vif du sujet, permettez-moi de souligner la densité et la richesse des travaux de notre mission commune d’information sur la politique en faveur des jeunes. Je tiens à remercier Mme la présidente Raymonde Le Texier et M. le rapporteur Christian Demuynck d’avoir mené avec brio cette étude passionnante, malgré la brièveté des délais.
Il relève de notre responsabilité de parlementaires de garder toujours à l’esprit cette préoccupation lorsque nous légiférons : quels arbitrages notre société veut-elle et doit-elle faire en faveur des jeunes ? Quel sens les mesures législatives que nous votons, ou ne votons pas, ont-elles pour les générations futures ?
Par nature, ces questionnements ont un caractère transversal. Ils sont restés, tout au long des travaux de la mission commune d’information, au centre de nos réflexions sur la mise en place de nouveaux outils en faveur des jeunes.
En effet, dans la crise profonde que nous traversons, ces derniers sont, avec les seniors, en première ligne face à l’effondrement du marché du travail. Déjà, les chiffres du chômage évoqués pour cette année annoncent un taux record d’un jeune sur quatre sans emploi. Pour noircir encore le tableau, je rappellerai que 49 % de ceux qui ont la chance de travailler occupent un emploi précaire. On observe la paupérisation et la précarisation de toute une classe d’âge sur laquelle devrait, au contraire, reposer l’élan de notre pays.
Dans ce contexte, l’éducation et la formation sont la clé des dispositifs en faveur des jeunes. Toute politique digne de ce nom ne doit pas se limiter aux seules questions d’emploi et d’employabilité : il convient de prendre aussi en compte la santé, l’aide sociale, le logement, ainsi que l’accès à la culture et au sport.
Au terme de la très large consultation qu’il nous a été possible de mener, de nombreuses propositions concrètes ont été esquissées. Mais, avant d’aller plus loin, permettez-moi de vous faire part de ma perplexité et de ma très vive inquiétude face aux moyens insuffisants que le Gouvernement a consacrés aux budgets de l’enseignement scolaire et de l’enseignement supérieur dans la loi de finances de 2009. Ces choix budgétaires consacrent l’exclusion des 150 000 jeunes qui sortent chaque année du système scolaire sans diplôme.
Monsieur le haut-commissaire, comment redonner espoir aux générations futures en appliquant une politique de pénurie de moyens ?
Cette contradiction ayant été soulignée, je souhaite évoquer les grands axes susceptibles, selon moi, de donner un nouvel élan aux jeunes générations.
En premier lieu, il est urgent de dédramatiser l’orientation, tout en fournissant une meilleure information aux jeunes.
Je suis convaincue que l’initiation à la connaissance du monde du travail doit être conçue comme un nouveau module d’enseignement consacré à la découverte de l’éventail des possibles. L’enseignement de cette nouvelle matière à part entière, qui doit commencer avant que n’interviennent les premières orientations vers l’enseignement général ou professionnel, pourrait être prodigué selon un rythme mensuel en fin de primaire et hebdomadaire au collège. Il pourrait être assorti d’un bilan annuel qui serait, tout au long de la scolarité et jusqu’aux débuts de la vie active, réalisé avec un conseiller d’orientation. Cela imposerait évidemment de recruter davantage de conseillers, eux-mêmes bien formés.
Pour que l’orientation soit vécue non plus comme un choix négatif ou subi, mais comme une chance, le rôle de l’enseignant est de la dédramatiser dès le plus jeune âge, auprès des jeunes et de leurs familles. C’est pourquoi cette nouvelle thématique devrait également être intégrée à la formation des enseignants au moyen de stages en entreprise leur permettant de parfaire leur connaissance du monde du travail.
La découverte du monde du travail, telle qu’elle est conçue aujourd’hui en classe de troisième, me paraît très insuffisante. Elle se résume à un stage d’une semaine qui, dans le meilleur des cas, confirme ou infirme une vocation naissante. Le plus souvent, il s’agit d’une simple formalité administrative sans autre lien avec le projet personnel du jeune que sa capacité – ou plutôt celle de son entourage – à « trouver un stage ». Cela manque terriblement de sens et d’ambition !
Pour autant, je ne voudrais pas donner l’impression de chercher à formater les élèves suivant la seule logique de la demande de l’entreprise, notamment celle des secteurs en tension.
Il serait réducteur de limiter la connaissance en matière d’orientation professionnelle aux seuls secteurs d’activité qui recrutent. Il est en revanche nécessaire de l’ouvrir à la grande diversité des métiers. Comment ? Tout simplement en donnant à chaque jeune la possibilité de découvrir, tout au long de sa scolarité, les cursus qui l’attirent le plus, afin qu’il cerne mieux ses propres goûts, ses chances de réussite, les débouchés professionnels de telle ou telle formation et les moyens à mettre en œuvre pour atteindre ses objectifs.
Certes, cet effort pour améliorer l’orientation n’empêchera pas les erreurs de parcours, mais il devrait sérieusement restreindre l’absence de motivation, les désillusions et les abandons de filières, que ce soit à l’université ou dans l’enseignement professionnel.
Afin d’orienter les vocations vers les métiers émergents, il serait aussi très utile d’engager une revalorisation statutaire des professions concernées ; je pense, en particulier, aux métiers de la culture, du sport, de l’animation ou encore des services à la personne.
En second lieu, il conviendrait de redorer l’image de l’apprentissage et de l’enseignement professionnel. La filière technique continue d’apparaître comme une sanction de l’échec. Elle est pourtant porteuse d’espoir, car elle a un fort potentiel, notamment grâce à l’alternance. Elle n’interdit en rien l’excellence professionnelle ni l’épanouissement personnel, bien au contraire. Les jeunes qui s’engagent dans cette voie peuvent s’assumer financièrement et débuter une vie d’adulte autonome.
Pour parvenir à rendre ces filières plus attractives, les allers-retours entre la formation et l’emploi doivent être facilités tout au long du parcours professionnel, sous forme de capitalisation des acquis et de modules, si petits soient-ils. Ce droit à tâtonner et à se former, s’il était élargi, pourrait renforcer l’implication du jeune et sa confiance envers les dispositifs de validation des acquis de l’expérience.
Ainsi, les dispositifs des écoles de la seconde chance, qui ont accueilli 5 000 personnes en 2008, doivent être généralisés. Ils ont fait leurs preuves et sont d’autant plus importants qu’ils s’adressent aux jeunes les moins qualifiés.
La réforme du bac professionnel a, elle aussi, été évoquée durant nos travaux. Ma conviction est que cette troisième année obligatoire n’est pas pertinente, car elle exclut les élèves qui sont le plus en difficulté. Il est préférable que le jeune obtienne un premier module en deux ans, puis le complète, immédiatement ou après une période de travail pendant laquelle il aura pu mesurer, tout à la fois, la pertinence de son choix professionnel et la nécessité de compléter sa formation dans un domaine précis s’y rattachant.
Je rappelle à cette occasion que la formation continue constitue un droit accessible au salarié tout au long de sa carrière. Encore faut-il l’encourager à en bénéficier !
Je souhaiterais également aborder la mise en place d’une allocation d’autonomie. Ce concept, intéressant si l’on envisage la refonte de l’ensemble des dispositifs d’aide financière existants, suppose toutefois une réelle ambition.
II faut se rendre à l’évidence : l’attribution d’une allocation, qu’il s’agisse d’un prêt à taux zéro ou de l’allongement d’un mois de la durée du versement des bourses étudiantes, ne suffira pas à ralentir la paupérisation de nos jeunes. Surtout, elle n’encouragera pas leur désir de formation.
Pour éviter l’écueil de l’assistanat, cette allocation pourrait être conditionnée au suivi d’un cursus qualifiant. Accompagné d’un dispositif de tutorat, ce cursus permettrait de replacer le jeune sans qualification dans une logique de projet, de réussite et de confiance en l’avenir. En envoyant ce signe fort, notre société montrerait que, loin d’abandonner les plus jeunes au bord du chemin, elle entend leur donner le temps et les moyens de se former et d’acquérir des compétences.
En ce qui concerne la santé, il ressort des auditions que, par manque de moyens, les jeunes négligent la prévention et s’exposent à des problèmes chroniques. C’est pourquoi je soutiens la proposition, évoquée dans le rapport, de mettre en place, pour tous les jeunes, des outils de type chèque-santé ou visite médicale annuelle gratuite.
Mme la présidente. Veuillez conclure, ma chère collègue.
Mme Françoise Laborde. Parmi les nombreuses questions qui mériteraient encore d’être développées, je me contenterai donc d’aborder celle de l’accès à la culture et au sport pour tous, que nous n’avons pas traitée, faute de temps. Dans ce domaine, de nombreuses initiatives ont déjà été prises, notamment grâce aux collectivités territoriales. Il est aussi envisagé d’évaluer le succès de certaines mesures engagées par l’État, telles que la gratuité d’accès aux musées pour les moins de vingt-six ans.
Pour ma part, comme tous les membres du groupe du RDSE, je m’interroge sur les moyens qui seront déployés pour traduire dans la législation les pistes tracées par notre mission.
La deuxième partie de nos travaux devra valider les mesures financières à mettre en œuvre afin d’améliorer les conditions de vie de notre jeunesse. C’est une noble ambition ; c’est aussi un devoir pour la représentation nationale. Car n’oublions pas ces mots très justes et d’une grande actualité de l’écrivain Georges Bernanos : « Quand la jeunesse se refroidit, le reste du monde claque des dents. » (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, du groupe socialiste et de l’Union centriste, ainsi que sur plusieurs travées de l’UMP.)
Mme la présidente. La parole est à M. Martial Bourquin, pour le groupe socialiste.
M. Martial Bourquin. Madame la présidente, monsieur le haut-commissaire, mes chers collègues, j’ai rejoint les rangs des membres de cette mission commune d’information avec une forte attente : que l’on puisse dégager quelques mesures pour mettre un terme à l’exception française d’un taux de chômage des jeunes deux fois supérieur à la moyenne nationale.
Comme mes collègues qui se sont exprimés précédemment, je tiens à adresser mes félicitations à la présidente et au rapporteur de la mission pour la qualité des travaux qui ont été menés.
Deux mois après le début des auditions, je viens devant vous avec la même obsession et, je dois l’avouer, avec un certain nombre de craintes.
Mon propos s’articulera autour de trois remarques relatives à l’accès des jeunes à l’emploi.
La première concerne l’apprentissage. Dans sa première mouture, le rapport de la mission – déjà très médiatisé avant même d’avoir été soumis à la représentation nationale et évalué – consacrait de très nombreuses pages au récent discours du Président de la République sur ce sujet.
L’apprentissage constitue une filière d’excellence efficace, qu’il faut davantage valoriser sans pour autant la dénaturer. À cet égard, je m’inquiète d’une montée en puissance trop rapide qui serait sans lien avec les entreprises ou avec les possibilités d’orientation privilégiée des jeunes concernés. L’apprentissage doit rester une formation d’excellence. Prenons garde de ne pas la galvauder.
Deux autres écueils sont à éviter : d’une part, un effet d’aubaine pour des entreprises qui n’auront pas la capacité en si peu de temps d’accueillir des jeunes et de leur dispenser une formation de qualité, mais bénéficieront d’une main-d’œuvre sous-payée ; d’autre part, une tentative du Gouvernement et de l’État de se dégager de leurs responsabilités. Nous savons que les régions ont en charge l’apprentissage et que, au fil des années, de nombreuses compétences leur ont été transférées sans compensation financière. Nous savons aussi que le produit de la taxe d’apprentissage ne couvre pas l’ensemble des dépenses liées à l’apprentissage.
Le taux de rupture des contrats d’apprentissage est déjà très élevé et, si nous nous contentons d’une approche quantitative, sans nous préoccuper de la qualité de l’apprentissage, nous courrons au-devant de déboires importants.
L’État, et c’est là ma deuxième remarque, doit prendre toute sa part de responsabilité dans ce combat pour l’emploi des jeunes.
Tout en émettant des réserves, le rapporteur a affirmé que la mission n’était pas opposée au recrutement éventuel de jeunes dans le secteur non marchand. Le secrétaire d’État à l’emploi a fait, lui aussi, lors de son audition par la mission, part de sa non-hostilité.
En ce qui me concerne, je serai plus précis encore : il s’agit d’une proposition phare que les sénateurs socialistes soutiennent sans ambiguïté et qu’ils voudraient voir se concrétiser le plus vite possible. Mais y a-t-il une réelle volonté politique de mettre en œuvre cette préconisation ?
Monsieur le haut-commissaire, plusieurs faits me font douter que l’emploi des jeunes soit aujourd’hui une priorité.
En premier lieu, la défiscalisation des heures supplémentaires coûte environ 4,3 milliards d’euros à l’État et empêche environ 90 000 personnes de rentrer sur le marché du travail, tout en alourdissant très sensiblement les comptes de la sécurité sociale.
M. Jacques Mahéas. Très juste !
M. Martial Bourquin. Avec cette somme, nous aurions, tenez-vous bien, les moyens de créer 300 000 emplois-jeunes !
M. Jacques Mahéas. Tout à fait !
M. Martial Bourquin. Ce rapport, même s’il n’y consacre que quelques lignes, reconnaît certains mérites au dispositif qui a permis l’insertion professionnelle et sociale de 350 000 jeunes. Nous croyons qu’il est tout à fait souhaitable de se servir de cette expérience pour améliorer la qualité des tutorats et des formations et pour relancer le dispositif.
En deuxième lieu, j’évoquerai la révision générale des politiques publiques, la RGPP. Depuis 2007, plus de 100 000 postes ont disparu de la fonction publique. Des emplois occupés par des seniors n’ont pas été remplacés. Là encore, cette réserve d’emplois fait cruellement défaut à nos territoires. Elle aurait pu être pour partie proposée à des jeunes peinant à s’insérer aujourd’hui, d’autant que d’autres propositions phares du rapport, comme le dédoublement des classes de CP ou la création d’un service public de l’orientation, que nous soutenons, nécessitent des femmes et des hommes qualifiés.
M. Jacques Mahéas. C’est évident !
Mme Sylvie Goy-Chavent. À condition qu’ils soient vraiment qualifiés !
M. Martial Bourquin. Chers collègues, monsieur le haut-commissaire, monsieur le rapporteur, nous ne sommes pas avares de propositions et nous espérons que l’urgence et, parfois, la gravité de la situation vous conduiront à les examiner de près.
Nous proposons que, dès maintenant, soient recrutés et formés 100 000 emplois-jeunes dans le secteur non marchand, ce qui aurait des effets immédiats sur la croissance et la consommation.
Nous proposons également la création d’un service public de l’orientation, assorti de la formation et du recrutement de conseillers d’orientation.
Avec quels moyens ? me direz-vous. Et je sais que l’application de l’article 40 de la Constitution suscite régulièrement des discussions dans notre assemblée. L’UNEDIC vient d’annoncer 600 000 chômeurs de plus en 2009. Ne croyez-vous pas qu’il est temps de mettre un terme à la défiscalisation des heures supplémentaires et à la RGPP ? Nos concitoyens, en particulier les plus jeunes, n’ont pas à faire les frais d’un entêtement devenu intenable. En pleine période de récession, avec des centaines de milliers de chômeurs supplémentaires, c’est un non-sens de continuer à défiscaliser les heures supplémentaires !
Mme Sylvie Goy-Chavent. Cela n’a rien à voir !
M. Martial Bourquin. Bien sûr que si ! C’est directement lié ! Lorsqu’une entreprise licencie des salariés et renvoie des centaines d’intérimaires tout en continuant à recourir aux heures supplémentaires, il y a quelque chose qui ne va pas ! Et les intéressés ressentent cela comme une profonde injustice ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Mme Éliane Assassi. Exactement !
Mme Raymonde Le Texier, présidente de la mission commune d’information. C’est logique !
M. Martial Bourquin. En troisième lieu, ce rapport fait la part belle à une théorie sur le papier très séduisante : celle des métiers « en tension ». D’un côté, des secteurs économiques peinent à trouver des candidats à l’emploi durable ; de l’autre, des jeunes n’arrivent pas à trouver du travail. La tentation est forte de rapprocher les deux pour que ces jeunes s’orientent massivement et mécaniquement vers ces secteurs demandeurs de main-d’œuvre.
Je souhaite que nous brisions les tabous. Tout à l’heure, vous en avez levé un, monsieur le rapporteur, et je vous en sais gré. Ne pourrait-on pas prolonger cette expérience intéressante ? Pourquoi ces métiers ne sont-ils pas suffisamment attractifs ? Pourquoi les jeunes ne se dirigent-ils pas davantage vers ces filières demandeuses ?
À ce titre, je regrette vivement que le rapport passe sous silence le fait que les entreprises confrontées à des difficultés de recrutement ont également la responsabilité, si elles souhaitent fidéliser leurs employés, de rendre plus attractifs les métiers concernés. Certaines d’entre elles – n’hésitons pas à le dire, puisque nous brisons les tabous – proposent des salaires insuffisants et des conditions de travail pénibles, recourent massivement à la précarité, n’assurent aucun tutorat ni aucune formation réelle, ne prennent pas en compte les difficultés de logement ou de transport. Et elles se plaignent ensuite de ne trouver personne !
La Fédération nationale des travaux publics a commencé à se pencher sur ce problème et a engagé, avec un certain succès, des mesures concrètes pour fidéliser ses employés. Nous devons encourager d’autres fédérations à suivre cet exemple.
Dans quelque temps, nous aurons à débattre de la mise en œuvre de la TVA à 5,5 % dans la restauration, qui est un secteur sous tension. J’y vois l’occasion de conditionner la diminution de la TVA à un véritable engagement des entreprises à revaloriser les rémunérations et les conditions de travail de leurs employés, et à contribuer ainsi à rendre plus attractifs des métiers qui, s’ils sont passionnants, nécessitent une forte technicité.
Je suggère que l’État et les filières de la restauration signent une charte en faveur de l’emploi et de la formation des jeunes. J’aurais aimé que le rapport définisse comme prioritaire la nécessité de poser des contreparties fortes à la mise en place de la TVA à 5,5 % dans ce secteur. Le Gouvernement ne peut pas manquer une telle occasion de passer du discours aux actes.
Mes chers collègues, le taux de chômage des jeunes de seize à vingt-cinq ans est passé en peu de temps à 21,2 % et 600 000 jeunes vont entrer en septembre sur le marché du travail. Les perspectives qui s’ouvrent à eux sont terriblement sombres. Dans certains quartiers sensibles, nous devons en être conscients, la situation est désespérante. Nombre de jeunes ont le sentiment de n’avoir aucun avenir.
Dans un sondage récent, 51 % des personnes interrogées déclaraient ne pas avoir confiance dans la jeunesse. Ce sont pourtant ces jeunes qui constituent l’avenir de notre société et qui contribueront, par leur travail, à assurer demain le financement des retraites et à alimenter la croissance, qui nous fait cruellement défaut aujourd’hui.
Mes chers collègues, notre responsabilité est grande. Comme la présidente Raymonde Le Texier l’a justement rappelé, notre mission ne fait que commencer. Je suis de plus en plus convaincu qu’il faut faire de l’emploi des jeunes une véritable urgence nationale, pas seulement dans les discours, mais aussi dans les actes. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste. – Mme Sylvie Goy-Chavent applaudit également.)