compte rendu intégral
Présidence de Mme Catherine Tasca
vice-présidente
Secrétaires :
Mme Michelle Demessine,
M. Jean-Paul Virapoullé.
1
Procès-verbal
Mme la présidente. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Journée mensuelle réservée aux groupes de l'opposition et aux groupes minoritaires
Mme la présidente. Mes chers collègues, nous abordons notre troisième journée mensuelle réservée aux groupes de l’opposition et aux groupes minoritaires en application des nouvelles dispositions du dernier alinéa de l’article 48 de la Constitution entrées en vigueur le 1er mars.
3
Contribution exceptionnelle de solidarité des entreprises
Rejet d'une proposition de loi
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi visant à créer une contribution exceptionnelle de solidarité des entreprises ayant réalisé des bénéfices records, présentée par MM. François Rebsamen, Jean-Pierre Bel et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, (nos 363 et 437, 2008-2009).
Dans la discussion générale, la parole est à M. François Rebsamen, auteur de la proposition de loi.
M. François Rebsamen. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, permettez-moi tout d’abord de remercier ceux qui sont présents ici, en nombre, ce matin, …
M. Jean Arthuis, rapporteur de la commission des finances. Les places sont chères ! (Sourires.)
M. François Rebsamen. … au premier rang desquels mes collègues du groupe socialiste.
La proposition de loi que nous vous présentons s’inscrit dans la continuité des réflexions menées par le groupe socialiste à l’occasion de différents débats.
Elle a pour objectif, à l’article 1er, d’instaurer une contribution exceptionnelle de solidarité à l’égard des grandes entreprises qui ont dégagé, en 2008, des bénéfices au moins supérieurs de 10 % à ceux de 2007.
Elle tend, à l’article 2, à moduler l’impôt sur les sociétés en fonction du « comportement » de l’entreprise en matière de réinvestissement des bénéfices dégagés. Pour simplifier, disons qu’il pourrait s’agir d’une sorte de bonus-malus.
Elle vise, à l’article 3, à créer une contribution complémentaire à l’égard des entreprises « pétrolières ».
Enfin, elle prévoit, à l’article 4, ce qui ne vous surprendra pas, mes chers collègues, de supprimer des dispositifs de la loi en faveur du travail, de l’emploi et du pouvoir d’achat, dite TEPA, qui grèvent dangereusement les finances publiques.
M. François Marc. Exact !
M. François Rebsamen. La situation, nous la connaissons : les recettes de l’État sont en chute libre, …
M. Jean Arthuis, rapporteur. N’exagérons rien !
M. François Rebsamen. … les rentrées de l’impôt sur les sociétés ont fondu de 11 milliards d’euros au cours du premier trimestre de 2009. À cet égard, le Premier président de la Cour des comptes le rappelait hier encore, les recettes nettes de l’impôt sur les sociétés ont connu, dès 2008, un recul sensible sous l’effet de l’augmentation des dégrèvements et autres remboursements, ce qui représente plus de 20 % de l’impôt sur les sociétés brut.
M. François Marc. Eh oui !
M. François Rebsamen. Cet effondrement, associé aux nombreux cadeaux fiscaux accordés aux ménages les plus favorisés et à une situation économique très préoccupante, creuse plus encore le déficit de l’État, qui est déjà colossal. Rappelons-le, la dernière loi de finances rectificative a prévu un déficit de plus de 5,6 % du produit intérieur brut, soit 104 milliards d’euros. Lorsque les moins-values de recettes fiscales seront connues, ce déficit va encore augmenter. Ne nous voilons pas la face ! Plus le déficit sera important, plus les conditions de la reprise seront difficiles !
Nous considérons, et nous ne sommes sans doute pas les seuls, que l’État doit retrouver la capacité financière d’intervenir. Comme les membres du groupe socialiste et nos collègues de gauche l’ont déjà rappelé, le Gouvernement ne doit pas, par dogmatisme, s’entêter à maintenir des mesures fiscales socialement injustes et économiquement inefficaces. Nous devons rechercher de nouvelles voies.
Les mesures proposées aujourd’hui visent à obtenir de la part des grands groupes français des contributions significatives afin d’assurer une partie du financement de mesures de lutte anticrise, en s’appuyant sur le principe de solidarité nationale. Elles pourraient aussi corriger les effets peu adaptés au contexte de crise du « bouclier fiscal », abonder le fonds stratégique d’investissement ou soutenir les PME sous-traitantes. Les pistes sont donc nombreuses, même si, nous le savons bien, on ne peut réellement affecter, le cas échéant, les produits de cette contribution.
Du côté de l’emploi, la situation est également très préoccupante, voire dramatique. L’UNEDIC prévoit plus de 630 000 chômeurs supplémentaires et la destruction de 600 000 emplois en 2009. Sur la période 2009-2010, près de un million d’emplois seraient supprimés ! On mesure ainsi l’ampleur du traumatisme pour toutes les familles qui rencontrent de telles difficultés. C’est pourquoi notre proposition de loi pourrait constituer un début de solution.
La contribution sur les sociétés que nous prévoyons à l’article 1er avait déjà été mise en œuvre par le Gouvernement Jospin et elle avait bien conservé son caractère exceptionnel. Je veux donc rassurer tous ceux qui pensent que « toute taxe dérogatoire et exceptionnelle est suspecte et serait contraire aux principes de stabilité et de prévisibilité de l’impôt ».
M. Jean Arthuis, rapporteur. Eh oui, hélas !
M. François Rebsamen. Je vois que vous vous êtes reconnu, monsieur le rapporteur.
De plus, la mesure prévue à l’article 1er n’est pas une taxe, c’est une contribution temporaire. Cette subtilité sémantique a son importance.
M. Jean Arthuis, rapporteur. Remboursable ?
M. François Rebsamen. Hier encore, Mme Bachelot-Narquin écartait l’idée d’une « taxe », mais évoquait celle d’une « contribution ». Par ailleurs, en 2005, le ministre des finances de l’époque avait appelé les acteurs du secteur pétrolier à se comporter en « entreprises citoyennes » face à l’envolée des prix du pétrole, attendant de leur part « des propositions concrètes et tangibles », faute de quoi, il n’excluait pas « la possibilité de soumettre au vote des députés » – et des sénateurs aurait-il dû ajouter – « une taxe exceptionnelle correspondant à une situation exceptionnelle ».
M. François Marc. Ils l’ont dit, nous le faisons !
M. François Rebsamen. Je ne vois donc pas pourquoi on nous opposerait aujourd’hui la dangerosité de mesures dérogatoires que le ministre des finances avait lui-même envisagées en 2005.
Il s’agit donc d’une contribution exceptionnelle à l’effort national, affectée au budget global de l’État, et qui pourrait redonner des marges de manœuvre au Gouvernement. En outre, rien ne permet de croire que son caractère ponctuel serait dangereux.
Les grands groupes « éligibles » à cette contribution sont GDF-Suez, dont les bénéfices ont augmenté de 13 % en 2008 – nous nous en félicitons –, Total, qui a enregistré des bénéfices de 14 %, ou Lagardère, qui a dégagé 11 % de bénéfices. Je le répète, nous ne sommes pas contre les bénéfices ; nous sommes contre la façon dont ils sont utilisés.
Venons-en à Total, dont j’ai parlé à plusieurs reprises dans cet hémicycle, et je ne suis d’ailleurs pas le seul. Le géant pétrolier, tout en annonçant 555 suppressions d’emplois, que son P-DG qualifie d’« ajustement progressif des effectifs », sans oublier la mise en chômage partiel de 6 000 salariés dans sa filiale Hutchinson, procède à des rachats d’actions et octroie à ses dirigeants plus de 5,4 milliards d’euros de dividendes. D’ailleurs, j’entendais hier encore l’un d’eux se féliciter d’échapper au paiement de l’impôt grâce aux niches fiscales et aux retraites chapeau. En tout cas, pour l’instant !
Nous ne nous satisfaisons pas de l’annonce faite par ce groupe d’abonder de 50 millions d’euros sur cinq ans le fonds d’expérimentation pour les jeunes. Après un rapide calcul, j’ai constaté que cela représentait 0,072% des bénéfices de 2008. Cette enveloppe ou cette participation volontaire, qui a été décidée unilatéralement par le groupe à la suite de l’annonce de la suppression de 555 postes, ne se suffit pas à elle seule !
Nous le répétons encore une fois, c’est au Parlement de décider du principe d’une participation financière aux efforts nationaux à l’occasion du plan de relance. C’est à lui de s’exprimer sur le bien-fondé de la création d’une contribution exceptionnelle de solidarité des grandes entreprises !
L’arme fiscale doit être une arme anticrise et l’outil absolument indispensable de la solidarité, sans creuser davantage les déficits et faire porter aux générations futures une dette encore et toujours plus lourde. Nous n’héritons pas la dette de nos parents, mais nous la léguons assurément à nos enfants.
Lors d’un récent débat, un de nos collègues déclarait qu’il y avait seulement deux solutions pour obtenir des contributions significatives de la part des grands groupes français.
La première, contraignante, consiste à instituer une contribution additionnelle exceptionnelle. C’est l’objet des articles 1er et 3 de notre proposition de loi.
La seconde, partenariale, réside dans des dispositifs d’incitation fiscale. C’est ce que nous essayons de faire avec le « bonus malus » fiscal prévu à l’article 2. D’ailleurs, nous sommes prêts, si c’est nécessaire pour faire adopter cette disposition, à nous montrer ouverts aux modifications que M. le président de la commission des finances pourrait nous suggérer.
Un tel système de « bonus malus » correspond à des propositions que nous avons déjà formulées dans cet hémicycle en vue d’une meilleure répartition des profits. À cette occasion, M. le ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique avait affirmé que cela méritait d’être « approfondi ». Il s’était engagé à consulter le Trésor et la direction de la législation fiscale pour avoir leur expertise sur le sujet. Il nous avait également indiqué que nous aurions un rendez-vous lorsqu’il disposerait d’éléments d’information suffisants, peut-être lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2010. Nous, nous proposons d’avoir ce débat dès à présent.
Selon nous – je parle des membres du groupe socialiste et, d’une manière plus générale, de l’ensemble des sénateurs de gauche –, il est impératif d’adresser des signes de justice aux citoyens, aux consommateurs, aux ménages, aux contribuables ou aux petites et moyennes entreprises, qui subissent lourdement, parfois doublement – je fais référence à la situation observée en 2008, avec une hausse à la fois des prix et du chômage – les effets de la crise, alors qu’on assiste parallèlement au versement incongru de parachutes dorés, de retraites chapeau et de dividendes mirifiques ! C’est, en quelque sorte, une double peine qui est imposée à nos concitoyens, régulièrement « nargués » et agacés par les millions d’euros de dividendes reversés et d’autres super-revenus annoncés.
Les entreprises visées par la présente proposition de loi ont les moyens d’être mises à contribution. Elles ont été largement bénéficiaires en 2008 – j’aurai l’occasion d’y revenir –, même si elles ont enregistré une baisse de leurs bénéfices en 2009.
M. Jean Arthuis, rapporteur. Cela tombe mal !
M. François Rebsamen. Pas du tout ! Au premier trimestre, les bénéfices dégagés par certains grands groupes – je pense une nouvelle fois à Total – se chiffrent, et c’est tant mieux, en milliards d’euros,…
M. Jean Arthuis, rapporteur. Oui, mais ils sont déjà imposés à l’étranger !
M. François Rebsamen. … et ils vont continuer à progresser, notamment en raison de la hausse du prix du pétrole, qui est appelé à atteindre de nouveaux sommets.
C’est pourquoi nous voulons maintenir une logique vertueuse et mettre un terme à cette politique de maximisation des profits et de retour aux seuls actionnaires, politique d’ailleurs jumelée en 2008 – nous verrons si c’est toujours le cas en 2009 – à une hausse des prix subie par les consommateurs, qu’il s’agisse des ménages ou des petites et moyennes entreprises. Ainsi, nous avons dû attendre le mois d’avril pour voir le prix du gaz baisser, alors que la période de chauffe a touché tous nos concitoyens pendant l’hiver avec des prix maximisés !
Nous proposons donc de faire face à de telles stratégies d’optimisation développées par les grandes firmes et, vous le savez très bien, monsieur le président de la commission des finances, par leur armada d’experts financiers.
M. le ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique a renoncé à une réforme qui aurait pu contribuer à améliorer le rendement de l’impôt sur les sociétés, ce qui semble nécessaire au vu des rapports de la Cour des comptes. Il s’agit de lutter contre d’ingénieux montages fiscaux que même les juristes de la direction générale des impôts qualifient « d’abus de droit ». À mon sens, la technique qui consiste à exploiter toutes les finesses des procédures légales pour réduire l’addition payée par l’entreprise doit être combattue.
Madame la secrétaire d’État, nous constatons que le Gouvernement recule aujourd'hui sur le contrôle des « prix de transfert », technique permettant à une société de faire transiter sa production par un pays à la fiscalité plus avantageuse. Au même moment – quelle ironie ! –, le président des États-Unis entend, lui, vérifier que les entreprises paient bien leurs impôts à l’État fédéral. Je rappelle que les bénéfices des sociétés américaines sont imposés à hauteur de 35 %. Ce chiffre est à comparer à notre impôt sur les sociétés, dont le taux est de 33 % et dont les recettes sont régulièrement amputées du fait des différentes niches fiscales qui existent. Selon le secrétaire au trésor américain, certaines grandes sociétés recourent à des stratégies de défiscalisation et d’évasion fiscale, alors même que des millions de familles travaillent dur et que les petites entreprises paient, elles, leur part.
En outre, la croissance des entreprises concernées ne s’est pas nécessairement traduite – pourtant, on aurait au moins pu en attendre cela ! – par une hausse proportionnelle des investissements productifs. Et l’explosion des profits financiers au détriment de l’investissement dans le capital productif s’est également souvent accompagnée d’une dérive exponentielle des plus hautes rémunérations. Au cours de ces dernières années, les rémunérations supérieures à 200 000 euros annuels – c’est tout de même un seuil qui permet de vivre convenablement… – n’ont eu de cesse d’augmenter dans la masse salariale, alors même que les salaires des travailleurs de ces entreprises étaient comprimés.
Dès lors, l’argument selon lequel une telle contribution réduirait la capacité d’investissement des entreprises concernées et pénaliserait ce que d’aucuns qualifient, parfois à juste titre, de « fleurons de l’économie française » ne tient pas. Idem pour l’objection selon laquelle les résultats de certaines entreprises au premier trimestre seraient moins bons. D’ailleurs, les bénéfices enregistrés par certaines entreprises, comme Total, en 2008 constituaient des records qui seront difficiles à dépasser.
En outre, et je souhaite insister sur ce point, ces « moins bons résultats » ponctuels ne peuvent pas constituer un argument valable, puisque le Gouvernement demande lui-même une participation ponctuelle à des entreprises publiques dans le cadre du plan de relance. Or des entreprises publiques moins bénéficiaires en 2008 – c’est le cas d’EDF, qui a réalisé 40 % de bénéfices en moins cette année-là – ont bien été mises à contribution.
Si Total annonce des bénéfices en baisse pour le premier trimestre de l’année 2009, d’autres entreprises, par exemple GDF-Suez, sans doute en raison de sa politique des prix, ont continué de progresser, ce dont je me réjouis. À mon sens, de tels résultats justifient l’article 1er de notre proposition de loi.
Mme la présidente. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. François Rebsamen. J’en viens à ma conclusion, madame la présidente.
Le Gouvernement américain a récemment annoncé l’abrogation de plusieurs niches fiscales, qui coûtent des centaines de milliards de dollars, afin de mettre fin à tels allégements.
Par conséquent, on ne peut pas, me semble-t-il, nous opposer l’argument, que nous avons déjà entendu à de nombreuses reprises, du risque de délocalisation.
L’entreprise Total a besoin de la puissance diplomatique de la France pour s’implanter à l’étranger. D’ailleurs, elle serait bien inspirée de regarder à deux fois avant de s’installer dans certains pays, comme la Birmanie !
Nos propositions ne sont donc pas de nature à fragiliser la situation des entités qui résistent le mieux à la crise.
Heureusement, il reste quelques entreprises publiques pour financer le plan de relance, puisque, comme je l’ai déjà indiqué, le Gouvernement ne dégage pas de nouvelles marges de manœuvre !
Après avoir mentionné EDF, je souhaite faire référence à la SNCF et à la RATP, qui ont été mises à contribution à hauteur respectivement de 300 millions d’euros et de 500 millions d’euros. Nous le voyons bien, il y a là deux poids deux mesures. Nous voulons optimiser les chances de diminuer ce déficit, qui est particulièrement important.
Voilà quelques années, M. Gérard Mestrallet, qui n’était pas encore à la tête de GDF-Suez, mais qui co-présidait la commission « fiscalité » de l’Institut de l’entreprise, écrivait : « L’optimisation fiscale est une pratique aussi ancienne que la fiscalité elle-même ; il est clair, en revanche, que ses techniques tendent à se complexifier…
M. Jean Arthuis, rapporteur. C’est évident !
M. François Rebsamen. … à mesure que progresse la mondialisation des échanges et que s’intensifie la concurrence fiscale internationale. »
En d’autres termes, la complexification du système fiscal est liée non pas aux nouveaux dispositifs que nous proposons, mais bien à la mondialisation des échanges. Pour notre part, nous essayons d’y répondre.
De notre point de vue, et je me permets de le souligner ici, les collectivités locales, qui contribuent à l’investissement public à hauteur de 75 %, ne doivent pas être les seules à servir de parachutes à la crise. Nous pensons que des mesures justes et efficaces s’imposent.
La présente proposition de loi a pour objectif de répondre à une situation de crise exceptionnelle – nous sommes d'accord sur l’analyse –, face à laquelle l’État doit agir pour aider les plus faibles et permettre à l’économie de repartir le moment venu.
À mon sens, c’est justement pour éviter que des débats de cette nature ne ressurgissent que certains, dont des premiers ministres, avaient déjà proposé des taxations, voire des sur-taxations temporaires. Certaines, comme le dispositif institué par M. Juppé, ont duré, duré ! D’autres, comme celle qui a été mise en place par le gouvernement Jospin, n’ont duré que le temps de la promesse. (Sourires.)
Refuser les propositions que nous formulons aujourd'hui, ce serait, me semble-t-il, faire preuve d’un dogmatisme idéologique dont les Français n’ont que faire en cette situation de crise. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation, rapporteur. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, notre Haute Assemblée est invitée ce matin à se prononcer sur une proposition de loi, déposée par nos collègues du groupe socialiste, dont l’objectif est d’augmenter la contribution fiscale de certaines entreprises réalisant actuellement des bénéfices « records », afin de financer les mesures nécessaires pour faire face à la crise. François Rebsamen vient de tenter de nous faire partager ses convictions.
M. Daniel Raoul. Il n’a pas tenté ! Il y est parvenu !
M. Jean Arthuis, rapporteur. Cher collègue, je tiens à vous dire au préalable que mon propos se veut à l’abri de tout dogmatisme. Votre proposition témoigne d’une préoccupation légitime.
M. Daniel Raoul. Cela commence bien !
M. Jean Arthuis, rapporteur. Je souhaite saluer votre intention et y rendre hommage.
La dégradation des finances publiques résulte à la fois d’une baisse des recettes fiscales et d’une augmentation des besoins de financement. La présente proposition de loi, qui comporte quatre articles, a notamment pour conséquence de majorer, sous certaines conditions, l’impôt sur les sociétés.
Oui, votre intention est bonne. Il faut tout mettre en œuvre pour retrouver l’équilibre de nos finances publiques.
Je souhaite rappeler, à titre liminaire, que la France connaît d’ores et déjà un des taux nominaux d’impôt sur les sociétés les plus élevés d’Europe et que, à ce titre, la commission des finances rappelle régulièrement la nécessité d’envisager une réforme de cet impôt, fondée sur une diminution du taux et un élargissement de l’assiette, par abrogation des multiples niches, dérogations et exonérations spécifiques, …
M. François Marc. Et la fraude !
M. Jean Arthuis, rapporteur. … qui font sans doute le bonheur d’un certain nombre d’experts en optimisation fiscale.
Donc, vous le voyez, madame la secrétaire d'État, notre commission est attachée à la simplification et à la clarté. Elle prône l’abaissement des taux pour accroître l’attractivité du territoire français et l’élargissement de l’assiette.
Sur la base de ce constat, la proposition de l’alourdissement de fiscalité sur certaines entreprises faite par François Rebsamen apparaît – malheureusement, car l’objectif est excellent – particulièrement contre-productive et fondamentalement inefficace pour au moins trois raisons.
Premièrement, la proposition aggrave la dégradation de la compétitivité de la France et accroît le risque de délocalisation d’activités, d’emplois et d’assiette fiscale, ce qui, dans la période actuelle, mes chers collègues, apparaît particulièrement « dangereux ».
Madame la secrétaire d'État, n’est-il pas vrai que les grands groupes français investissent à l’étranger dans la période que nous traversons ? Peut-être pourrez-vous nous apporter quelques précisions à ce sujet.
En se focalisant sur les entreprises bénéficiaires, la proposition de loi qui nous est soumise fragilise, à court terme, une activité économique déjà affaiblie.
Je rappelle que notre commission s’est félicitée, lors de l’examen de la dernière loi de finance rectificative, que le Gouvernement ne procède à aucun ajustement pour compenser les moins-values fiscales attendues, soutenant ainsi indirectement l’activité par le jeu des stabilisateurs automatiques.
Dans la même ligne, notre commission a appelé à un moratoire fiscal pendant l’année 2009. Le grand rendez-vous des initiatives fiscales et des innovations aura lieu à l’automne, au moment de la discussion du projet de loi de finances initiale pour 2010.
La proposition de loi fragilise également, à long terme, une compétitivité qui nécessite d’être maintenue, voire renforcée, afin de réussir la sortie de crise et, tout spécialement, l’après-crise.
Il s’agit, notamment, de conserver sur notre territoire les entreprises dynamiques. Or, si la fiscalité n’explique pas, à elle seule, la localisation des activités, elle en est un facteur décisif, convenons-en.
Deuxièmement, les mesures proposées ajouteraient de la complexité à un système fiscal d’ores et déjà peu lisible ; c’est peu dire !
Ainsi devrait-on distinguer non seulement les entreprises dont le chiffre d’affaires est inférieur à 7,63 millions d’euros et dont l’impôt sur les sociétés est supérieur à 763 000 euros, mais aussi les entreprises qui ne sont pas des PME au sens communautaire, mais qui réalisent des bénéfices dont la croissance annuelle est supérieure à 10 %, les entreprises qui réinvestissent leurs profits, celles qui distribuent leurs profits, celles qui appartiennent au secteur pétrolier et les autres ; j’arrête là ma liste ! Mon cher collègue, vous donnez du grain à moudre à tous les optimisateurs !
Ces microrégimes, qui se superposeraient à l’ensemble des niches fiscales, sont contraires à la position de notre commission, qui milite depuis plusieurs années pour un dispositif simple, fondé sur une assiette élargie et un taux d’imposition abaissé.
Troisièmement, les dispositions proposées ont une efficacité pour le moins incertaine.
La proposition de loi a pour objectif, notamment, d’accroître l’effort de contribution fiscale de certaines sociétés et d’inciter ces entreprises à renforcer leurs fonds propres.
Toutefois, les modalités retenues par cette proposition de loi pour atteindre ces objectifs apparaissent particulièrement discutables.
En premier lieu, on peut s’interroger sur le nombre de redevables de la contribution exceptionnelle de solidarité en 2010. Cette contribution concerne des entreprises qui réalisent des bénéfices en hausse de plus de 10 % par rapport à l’exercice précédent.
Vous avez évoqué, François Rebsamen, les résultats de 2008. Mais ce sont les résultats de 2009 qui seraient concernés par votre proposition de loi si elle était adoptée. Or les premiers résultats du premier trimestre de 2009, publiés par certaines grandes entreprises françaises, sont décevants. Le nombre d’entreprises qui seront en mesure d’afficher des bénéfices à deux chiffres pour l’année 2009 risque d’être malheureusement très réduit, convenons-en. Si tel était le cas, la mesure aurait non seulement le tort de présenter les inconvénients que je viens d’indiquer, mais aussi celui de ne pas apporter de recettes supplémentaires à l’État. Par conséquent, ayant affiché une magnifique intention, vous ne vous donneriez pas les moyens de la servir.
En second lieu, la proposition de modulation de l’impôt sur les sociétés en fonction de la politique de distribution des bénéfices des entreprises, si intéressante soit-elle, ne paraît permettre ni un renforcement significatif des fonds propres des entreprises ni une augmentation de recettes fiscales.
La mesure proposée à l’article 2 repose sur la distinction entre profits distribués et profits investis, c’est-à-dire soit mis en réserve, soit incorporés en capital. Le taux de l’impôt sur les sociétés serait majoré de 10 % dès lors que l’entreprise distribue plus de 60 % de ses bénéfices imposables.
À cet égard, je veux souligner que le bénéfice imposable est non pas le bénéfice susceptible d’être distribué ou mis en réserve, mais le bénéfice avant déduction de l’impôt sur les sociétés. Or l’impôt sur les sociétés peut être supérieur à 60 % du bénéfice comptable, parce que certaines dépenses ne sont pas fiscalement déductibles. Par conséquent, à mon avis, la référence au bénéfice imposable nous entraîne dans l’erreur.
Ce dispositif serait particulièrement opportun si la distinction entre profits investis et profits distribués avait un sens pour le plus grand nombre des entreprises établies sur notre territoire, mais tel n’est pas le cas. Comme le souligne le rapport Cotis, le nombre d’entreprises qui distribuent des dividendes est in fine restreint : en 2006, 16,4 % des PME ont distribué des dividendes, cette proportion étant de 30,6 % pour les entreprises de taille intermédiaire et de 41 % pour les grandes entreprises.
En outre, ce dispositif serait intéressant si ses modalités d’application revêtaient un caractère incitatif pour les entreprises potentiellement concernées. Or la référence au bénéfice imposable, c’est-à-dire avant soustraction de l’impôt sur les sociétés, compte tenu des éléments non déductibles du bénéfice comptable, conduit à un dispositif non opérationnel : en effet, très rares seraient les sociétés à dépasser un taux de distribution supérieur à 60 % dans les conditions de la proposition de loi, car cela signifierait qu’elles distribuent la quasi-totalité de leur résultat net.
L’examen des taux de distribution des grandes entreprises françaises montre, à ce titre, que la mesure proposée n’aurait pas l’impact souhaité, puisque la moyenne du taux de distribution des entreprises privées du CAC 40 – taux calculé, selon l’usage, par le ratio entre le montant des dividendes nets et le bénéfice net – était, en 2007, de 40,56 %, soit un taux d’environ 27 %, si l’on prend comme dénominateur le bénéfice imposable. On est bien loin de vos 60 %, mon cher collègue !
Au vu de la proposition de loi, les entreprises bénéficieraient de facto d’une minoration du taux d’impôt sur les sociétés sans avoir pour autant à changer leur politique de distribution.
Par ailleurs, l’actionnaire peut avoir intérêt à ne pas percevoir de dividendes, la mise en réserve de l’intégralité du bénéfice ayant pour conséquence d’augmenter la valeur de ses titres. Il peut être plus intéressant pour l’actionnaire de voir la valeur du titre augmenter plutôt que de percevoir un dividende ; s’il a besoin d’un peu de liquidités, il lui suffit de mettre sur le marché les quelques actions dont le prix de cession lui apportera les ressources dont il a besoin.
En conclusion, la modulation de l’impôt sur les sociétés en fonction de la politique de distribution n’apparaît pas comme le vecteur adéquat pour renforcer les fonds propres des entreprises, notamment les petites et moyennes entreprises.
À ce sujet, j’estime que la consolidation du capital des PME passe davantage par une modification du dispositif de réduction d’impôt de solidarité sur la fortune et je vous renvoie à ma proposition de loi, …