M. le président. La parole est à M. Gérard Le Cam.
M. Gérard Le Cam. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je remplace mon ami Bernard Vera, empêché au dernier moment de participer à ce débat. Aussi, je vous prie de bien vouloir l’excuser.
La promesse faite au MEDEF par Nicolas Sarkozy de supprimer la taxe professionnelle paraît avoir quelques difficultés à être mise en œuvre. Dans le discours présidentiel comme dans celui des parlementaires de la majorité, le terme « suppression » semble d’ailleurs avoir été « supprimé ». C’est donc une « modification », même pas une réforme, qui semble devoir être appliquée à la taxe professionnelle.
Chacun connaît les données du problème : pour que l’État se retrouve avec 8 milliards d’euros de taxe professionnelle à prendre en charge pour le bénéfice des entreprises, ce qui représente moins d’un demi-point de PIB, lequel est en récession, il faut jouer sur des masses financières de 22 milliards à 26 milliards d’euros.
Passons rapidement sur l’usine à gaz que constitue l’opération. Entre la suppression de l’allégement transitoire, l’impact sur le plafonnement de la valeur ajoutée, les effets indirects sur le produit théorique de l’impôt sur les sociétés et la réaffectation du produit de la cotisation minimale, il est difficile de s’y retrouver. C’est d’autant plus difficile que, d’une collectivité territoriale à l’autre, en fonction des composantes mêmes de la taxe professionnelle, ces différentes mesures n’auront évidemment pas les mêmes effets.
Pensez simplement, mes chers collègues, aux communes de banlieue bénéficiaires de la dotation de solidarité urbaine, où les entreprises assujetties à la taxe professionnelle ne paient que la cotisation minimale et ne versent donc rien, ou presque, en tout cas directement, aux communes concernées.
La « modification » de la taxe professionnelle impose donc, pour le coup, que l’on envisage tous les cas de figure et que l’on se garde de traduire en bloc ses effets, sans tenir compte de simulations précises et diverses du fait même de l’hétérogénéité des situations. Car, qui dit modification de la taxe professionnelle dit aussi, par effet de système, interrogation sur la péréquation, qui demeure pour l’heure un vœu pieux, et modification des critères de répartition de certaines dotations budgétaires dont l’attribution dépend de la réalité des capacités fiscales.
L’autre versant des problèmes posés par l’inconsciente et idéologique promesse sarkozyenne est celui de la fiscalité de « substitution » qui risque d’être mise en œuvre. En effet, il semble bien qu’il faille renoncer, avant longtemps, à tout allégement des prélèvements obligatoires ! Alors, en ce moment, ça cogite, ça carbure et, si nous en étions à rire, je dirai ça carbone…
La commission des finances de l’Assemblée nationale parle de relever aux alentours de 40 % le taux de l’impôt sur les sociétés, au moins de manière provisoire, pour compenser la « modification », en attendant, par exemple, que la taxe carbone, destinée à déplacer encore un peu plus la fiscalité de l’entreprise vers le consommateur final, c’est-à-dire vers la grande masse anonyme des contribuables « obligés », fasse consensus.
Quelle belle idée que de vouloir contenter, en modifiant la taxe professionnelle et en instaurant la taxe carbone, à la fois le MEDEF, toujours peu enclin à demander aux entreprises d’être citoyennes, et les écologistes, dont un certain nombre sont partisans de la culpabilisation générale des individus au regard de la pollution.
Pour ce qui nous concerne, nous sommes extrêmement réservés sur la taxe carbone et nous sommes partisans d’une autre réforme de la taxe professionnelle. Cela étant, je ne vais pas vous parler très longtemps de la taxe carbone. Pour nous, elle peut être vue comme une légitimation du droit à polluer, sous couvert d’une taxe qui, entrant dans le prix de vente final des produits, sera in fine payée par le consommateur tout aussi final. Mais le débat reste ouvert, bien entendu !
Sur la modification de la taxe professionnelle, nous pensons que la réforme doit se fixer un double objectif : renforcer l’égalité de traitement entre les assujettis, c’est-à-dire les entreprises – nous sommes loin du compte de ce point de vue – et renforcer les outils de péréquation.
La taxation des actifs financiers serait, à notre avis, un moyen d’y parvenir. Ma collègue Marie-France Beaufils a rappelé dans son intervention liminaire comment le développement de ces actifs avait été priorisé par les grands groupes depuis vingt ans.
Comme cette taxation ne peut être localisée ailleurs que dans le bilan des entreprises, elle doit devenir l’outil de financement de la péréquation, y compris, en tant que de besoin, de l’allégement ultérieur de l’imposition des autres éléments d’assiette de la taxe.
Enfin, notons que nous sommes également, comme l’Association des maires de France, très attachés au lien entre taxe professionnelle et territoire. Même si la taxe professionnelle constitue l’instrument fiscal privilégié de la coopération intercommunale, elle ne saurait, comme d’aucuns le proposent, devenir la recette fiscale dédiée de tel ou tel échelon de collectivité. Aussi rejetons-nous par avance toute réforme faisant disparaître la taxe professionnelle des ressources des départements, comme cela semble avoir été envisagé un temps, au motif que la compétence sociale primordiale des départements pouvait être prise en compte par partage de recettes fiscales de l’État.
Tels sont les points que je comptais évoquer dans cette intervention. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Fourcade.
M. Jean-Pierre Fourcade. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous débattons cet après-midi d’un sujet très important pour l’ensemble de nos collectivités. À ce stade du débat, je me bornerai donc à faire trois constats et une proposition précise.
Premièrement, lors de sa création, la taxe professionnelle reposait sur trois piliers et un petit strapontin. Les piliers étaient la valeur foncière, les salaires, l’équipement et les biens mobiliers ; le strapontin était les cotisations versées par les professions libérales, les agents commerciaux et un certain nombre de petites entreprises.
La part « salaires » représentait un peu plus du tiers de l’assiette de la taxe professionnelle et les équipements et les biens mobiliers de 42 % à 43 %. En 1998, au moment où a été supprimée la part salaires, tout le poids de la taxe professionnelle s’est donc reporté sur l’équipement et les biens mobiliers. J’ai écrit à cette époque que nous assistions à la fin de la taxe professionnelle, car il était impossible de conserver dans le cadre d’une mondialisation qui se développait un mécanisme fondé essentiellement sur ces éléments.
Deuxièmement, l’imbrication de nos collectivités et la nécessité d’apporter de la transparence nous poussent à la spécialisation des impôts. La logique voudrait donc que l’on aboutisse à une fiscalité pour les collectivités de proximité que sont les communes et les groupements de communes, à une autre pour les départements et à une troisième pour les régions et les chambres de commerce et d’industrie, que j’assimile aux régions, puisque, ne l’oublions pas, elles prélèvent à peu près 1,5 milliard d’euros de ressources sur la taxe professionnelle.
Enfin, troisièmement, je ne crois pas que l’on puisse expliquer aux entreprises françaises qu’on supprime la taxe professionnelle et qu’on instaure une cotisation minimale sur la valeur ajoutée reconstituant les bases de l’ancienne taxe professionnelle, à savoir les valeurs locatives, les salaires, les équipements et les biens mobiliers. Je ne suis donc pas favorable à cette fameuse théorie développée par beaucoup selon laquelle le taux minimal de taxation de la valeur ajoutée pourrait rapporter plusieurs milliards d’euros. En effet, les investisseurs, qu’ils soient Français ou étrangers, auront toujours la crainte que ce taux minimal ne cesse d’augmenter. Il suffit de penser à l’impôt sur le revenu de M. Caillaux, dont on a parlé tout à l’heure. On risque donc de reconstituer un système dangereux pour nos entreprises.
Voilà pourquoi je propose la spécialisation.
La nouvelle taxe perçue par les communes et les intercommunalités, que l’on n’appellera plus « taxe professionnelle » – trouver un nouveau nom sera également l’objet de la concertation – devra continuer à comporter trois éléments : la taxe sur le foncier des entreprises installées sur leur territoire, qui est localisable et qui crée un lien direct entre les besoins de la collectivité et l’entreprise ; la cotisation nationale de péréquation que prélève l’État, qui représente 1 milliard d’euros ; les recettes prélevées sur les cotisations des agents commerciaux et des professions libérales.
La dizaine de milliards d’euros que cela représente ne suffirait pas à compenser la suppression de la taxe professionnelle. C’est pourquoi il faudrait ajouter d’autres recettes en reversant intégralement la taxe d’habitation et la taxe foncière, par exemple, mais bien sûr en actualisant la valeur locative afin que les impôts locaux soient établis sur les bases d’aujourd’hui et non sur celles de 1970. Ce serait ainsi une manière de rétablir un peu plus de justice entre les différentes collectivités.
Au niveau des départements, que faire ? Je constate que l’État prélève une ressource fiscale, à savoir la taxe sur les salaires, dont le volume est à peu près comparable à ce que les départements reçoivent en matière de taxe professionnelle, soit à peu près 9 milliards d’euros. Cette taxe sur les salaires pourrait être affectée aux départements, car son élasticité est beaucoup plus grande que celle de la taxe intérieure sur les produits pétroliers ou de la taxe sur les conventions d’assurance. Les départements ayant une activité sociale très importante, il est logique qu’ils reçoivent le produit d’une taxe dont l’ordre de grandeur est comparable à la perte qu’ils subiront.
En outre, le moment est, me semble-t-il, venu d’affecter le produit d’un panier de ressources fiscales prélevées sur la TVA, l’impôt sur les sociétés et l’impôt sur le revenu aux régions et aux chambres de commerce et d’industrie. En effet, la réforme des chambres consulaires à venir concernera les chambres régionales et il y a vingt-six régions. Concrètement, il pourrait s’agir d’un pacte triennal. En nous inspirant des pratiques en vigueur en Allemagne ou dans certains pays scandinaves, comme le Danemark ou la Finlande, nous pourrions trouver un système de partage permettant aux grandes collectivités locales de disposer d’un certain nombre de ressources.
Néanmoins, cela supposerait que deux conditions soient remplies. D’une part, il faut un pacte entre l’État et les collectivités concernées, afin de déterminer les modalités de la répartition. D’autre part, les produits qui seront versés aux régions et aux chambres consulaires devront être indexés sur l’évolution des recettes fiscales de l’État.
Je souhaite formuler deux observations complémentaires.
La première concerne la péréquation. À mon sens, le fait de n’avoir pas limité, au moment de l’institution de la taxe professionnelle, les gains d’un certain nombre d’entreprises qui ont bénéficié de la réforme a été une erreur.
Parmi les 2,6 millions d’assujettis à la patente passés à la taxe professionnelle, 2 millions ont bénéficié de très fortes baisses – nous n’en avons jamais entendu parler ! –, 300 000 ont dû payer autant qu’avant l’entrée en vigueur de la réforme et 300 000 ont été assez lourdement surtaxés !
Si un mécanisme d’écrêtement avait été mis en place à ce moment-là, nous aurions pu établir une véritable péréquation et faire jouer un certain nombre de dispositifs de stabilisation. Cela nous aurait permis d’éviter les inconvénients que nous avons connus et qui ont conduit à des réformes successives sur les bases, les taux, les plafonds ou les verrouillages divers.
Je pense donc qu’il faut une péréquation entre les collectivités locales de proximité. Elle pourrait être assurée par un fonds national de péréquation chargé de s’assurer qu’aucune collectivité ne reçoive plus que son dû et que la répartition s’effectue sous l’égide du Comité des finances locales. Celui-ci s’occupe déjà de l’ensemble des dotations de péréquation au sein de la dotation globale de fonctionnement.
Deuxième observation, nos entreprises, notamment les entreprises industrielles, que nous avons évoquées juste avant ce débat, doivent affronter une compétition économique mondiale, ainsi qu’une compétition fiscale au sein de l’Union européenne.
Il me semblerait donc dangereux, au moment où nous commençons à discuter des perspectives de reprise, de nous lancer dans des augmentations d’impôts, qu’il s’agisse de l’impôt sur les sociétés ou d’autres prélèvements obligatoires. La seule exception concerne la taxe carbone, mais il nous faudra au moins deux ou trois ans pour la mettre en place et pour trouver une assiette indiscutable.
En résumé, il faut diminuer au moins de moitié le poids de la taxe professionnelle sur les entreprises, supprimer toute taxation sur les investissements, instituer un mécanisme de spécialisation qui conserverait une taxe liée à l’activité économique dans les collectivités de proximité, enfin garantir le financement des départements, des régions et des chambres consulaires. Ainsi, nous aurions un système simple, lisible et susceptible d’améliorer la compétitivité de nos entreprises – c’est bien l’objectif –, sans remettre en cause l’ensemble des regroupements intercommunaux mis en œuvre depuis quelques années et sans traumatiser l’ensemble de nos collectivités locales. (Applaudissements sur les travées de l’UMP ainsi que sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat.
M. Pierre-Yves Collombat. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, deux projets de loi relatifs aux collectivités locales – le premier concerne la réforme du paysage institutionnel et le second la suppression de la taxe professionnelle – sont en gestation. Ils ne peuvent pas être séparés.
Une réforme institutionnelle, même judicieuse, qui serait accompagnée d’une stérilisation des ressources des collectivités locales serait inacceptable pour ces dernières. Elle serait donc vouée à l’échec.
Or, toutes « chapelles » confondues, les élus locaux sont inquiets. En effet, ils mesurent la capacité d’influence des groupes de pression patronaux sur le Gouvernement, pour qui « supprimer » la taxe professionnelle signifie non pas remplacer l’impôt assis sur l’activité économique, mais le faire disparaître. Supprimer, c’est supprimer. Comme tout principe idéologique, celui-ci est d’application absolue.
Mme Parisot propose en toute simplicité aux collectivités locales de « travailler sur des gains de productivité et l’optimisation de leur gestion d’un certain type de dépenses, celles de fonctionnement, pour compenser la suppression de la taxe professionnelle » !
Mais ce n’est pas dans les provocations du MEDEF que réside la source principale d’inquiétude des élus locaux. À l’exception de Mme Parisot, tout le monde sait bien que la perte d’en moyenne un peu plus de 40 % des ressources des collectivités et de l’essentiel des ressources de leurs groupements devra être compensée. Même le Gouvernement le sait – cela a été indiqué tout à l’heure –, et vous nous le confirmerez peut-être dans quelques instants, monsieur le secrétaire d’État.
Le principal motif d’inquiétude des élus locaux procède du constat que, dans le discours dominant, réforme institutionnelle et réforme de la fiscalité des collectivités locales visent clairement le même objectif. Il s’agit de réaliser des économies au nom de la réduction des « prélèvements obligatoires » et des « critères de convergence de Maastricht », en un mot du catéchisme libéral qui tient lieu de prothèse mentale à tout ce qui compte dans ce pays depuis une trentaine d’années !
Les rapports des poissons pilotes de la réforme et la campagne médiatique en cours développent le même thème : « les élus locaux jettent l’argent du contribuable par la fenêtre et c’est par pur corporatisme qu’ils renâclent aux changements » !
Pour parvenir au résultat, deux voies ont été ouvertes.
La première, assez routinière, passe par la suppression ou, à défaut, par le dépérissement d’un échelon administratif, par la réduction du nombre de collectivités ou de leurs regroupements, par la constitution de grandes collectivités concentrant les compétences de plusieurs et par la suppression de la compétence générale des départements et des régions…
Une telle voie risquant d’être peu roulante, un chemin de contournement a été ouvert. Il s’agira de brider l’ardeur dépensière des collectivités, en fixant une norme annuelle de dépense nationale, sur le modèle des dépenses de santé. À cet égard, je vous renvoie au rapport Balladur. D’ailleurs, j’ai noté que notre collègue Charles Guené l’avait repris sous une autre forme.
La deuxième possibilité, celle dont on parle aujourd'hui, consiste à stériliser les ressources des collectivités locales. Il s’agit de remplacer tout ou partie de la taxe professionnelle par des dotations ou des impôts moins dynamiques, comme la taxe intérieure de consommation sur les produits pétroliers, la TIPP, la taxe spéciale sur les contrats d’assurance, la TSCA, ou la taxe carbone, qui, par construction, a vocation à rapporter de moins en moins, en tout cas si elle est efficace.
Voilà qui nous amène au cœur du problème : par quoi faut-il remplacer la taxe professionnelle ?
Chacun s’accorde à dire que la taxe professionnelle est un « impôt imbécile ». Cela étant, même si tout le monde partage le diagnostic, personne n’a encore remplacé cette taxe par un impôt plus intelligent, comme celui qui est proposé dans le rapport Fouquet et, une fois n’est pas coutume, par le rapport Balladur.
Notre collègue Yves Krattinger a énuméré tout à l’heure les principaux avantages techniques et a évoqué les points essentiels d’un possible accord. Je n’y reviendrai donc pas. Je l’avoue, j’ai écouté avec beaucoup d’intérêt les propositions formulées par notre collègue Jean-Pierre Fourcade. Je regrette que nous n’ayons pas plus de temps pour en discuter. Mais il y a tout de même des propositions sur lesquelles nous pourrions, me semble-t-il, parvenir à un accord ou à un compromis.
Vous l’aurez compris, pour beaucoup d’élus, l’essentiel est que ce nouveau prélèvement assure aux collectivités locales une réelle autonomie fiscale, car c’est la forme la plus aboutie de l’autonomie financière.
S’il est tout à fait positif de remplacer une taxe dont la collectivité ne peut pas faire varier le taux, remplacer une taxe dont elle peut faire varier le taux par un impôt d’État serait une régression pour l’autonomie locale. Et remplacer un véritable impôt par une dotation est encore pire.
Je pense notamment à la dernière proposition que nous avons pu découvrir dans la presse. Il est proposé de remplacer une partie, voire la totalité, de la taxe professionnelle par une fraction de l’impôt sur les sociétés. À terme, cela finira comme la part « salaires » de la taxe professionnelle, c'est-à-dire en dotation d’État.
Enfin, je m’adresserai aux experts ès économies et aux prédicateurs de la productivité, en concluant sur un truisme dont la portée semble leur avoir échappé. Les dépenses des collectivités locales et de l’État sont également des salaires, donc du pouvoir d'achat. C’est autant de débouchés pour les entreprises et de perspectives d’emplois.
Monsieur le secrétaire d’État, qu’aura-t-on gagné quand on aura stérilisé la ressource qui a, jusque-là, permis aux collectivités locales d’assurer les trois quarts de l’investissement public en maintenant un niveau d’endettement quasi constant depuis un peu plus de vingt-cinq ans ? Qu’aura-t-on gagné, à part un droit d’entrée au purgatoire de Maastricht pour la France et ses millions de chômeurs et de sous-employés, d’ailleurs en augmentation ?
Le problème auquel nous sommes confrontés est essentiel pour les collectivités locales, mais pas seulement pour elles. La question fondamentale est de savoir quel rôle on veut leur faire jouer dans la dynamique économique de notre pays. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à M. Claude Biwer.
M. Claude Biwer. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, annoncée voilà quelques mois par le Président de la République, la réforme, voire la disparition de la taxe professionnelle a suscité de grands espoirs chez les dirigeants d’entreprise, mais également – il faut bien le dire – une certaine inquiétude chez les élus locaux.
De grands espoirs chez les chefs d’entreprise, car ils sont bien placés pour savoir combien cet impôt, à l’origine fondé sur les salaires et les investissements, était antiéconomique et pénalisait la compétitivité de leurs entreprises, même s’ils se demandent par quoi et quand cette taxe sera remplacée.
Une certaine inquiétude chez les élus locaux, parce que, même si le Gouvernement a pris l’engagement que cette perte de recettes serait intégralement compensée par l’État, ils craignent, instruits par l’expérience, que cette compensation ne soit pas totale et, surtout, progressive et ne se traduise une fois de plus par une réduction de leur autonomie fiscale. Ils se posent aussi la question du remboursement des dettes contractées par les collectivités locales, afin d’investir pour l’économie et l’emploi. Cela repose essentiellement sur les recettes de taxe professionnelle.
Il faut bien le dire, pour l’heure, nous ne savons pas exactement quels seront l’ampleur et le calendrier de la réforme. Tout au plus avons-nous appris que celle-ci pourrait être progressive et se traduire dans la loi de finances pour 2010 par un dégrèvement de taxe professionnelle sur les équipements et biens mobiliers et que s’ensuivrait une période de transition de deux ou trois ans, afin de préparer un nouveau schéma de financement des collectivités territoriales.
Ainsi donc, la disparition de la taxe professionnelle serait actée avant que l’on ne connaisse plus précisément les compensations appliquées. Un tel calendrier n’est ni souhaitable ni soutenable.
Il faut quand même s’en souvenir, la taxe professionnelle représente une ressource essentielle pour les communes, les communautés de communes, les communautés d’agglomération et les communautés urbaines, les départements et les régions, soit 44 % du produit des quatre taxes directes locales et 17 % des recettes réelles de fonctionnement.
Par ailleurs, la taxe professionnelle constitue une recette dynamique et stable, mais également une source importante de flexibilité fiscale permettant aux collectivités territoriales d’ajuster le niveau de leurs recettes et de leurs dépenses.
Or, comme l’a fait observer à juste titre une agence de notation des collectivités territoriales, les ressources envisagées pour remplacer la taxe professionnelle incluraient à la fois des dotations budgétaires et le transfert de recettes fiscales existantes, qui seraient moins dynamiques que la taxe professionnelle et dont les collectivités ne pourraient pas, ou pourraient très peu, modifier la base ou le taux d’imposition.
Ces ressources de substitution réduiraient donc considérablement la marge de manœuvre fiscale des collectivités locales. Ainsi, les taxes modifiables pourraient ne plus représenter que 24 % des recettes de fonctionnement des régions, contre 38 % aujourd’hui et 19 % de celles des départements, contre 34 % à ce jour.
Cette agence de notation conclut que la suppression de la taxe professionnelle pourrait affecter la solvabilité des collectivités territoriales, ce qui pourrait avoir des conséquences néfastes sur leur future capacité d’endettement et d’investissement.
Dans un esprit de modernité, nous ne sommes pas a priori hostiles à la suppression de cette taxe, mais nous nous étonnons qu’une telle annonce ait pu être faite alors que, manifestement, ses conséquences n’avaient pas été correctement mesurées.
Cela étant dit, si le projet de loi de finances pour 2010 doit acter cette suppression, il faut impérativement que, dans le même temps, la représentation nationale ait à statuer sur les recettes de substitution.
Notre collègue Jean-Pierre Fourcade a bien cerné ce problème et a fait des propositions concrètes, sur lesquelles nous aurons l’occasion – j’en suis sûr – de revenir.
Par ailleurs, parmi les recettes de substitution, il faut absolument que les exécutifs des collectivités territoriales puissent disposer d’une marge de manœuvre, sinon leur autonomie fiscale ne sera plus qu’un vague souvenir.
Enfin, même si l’on comprend les préoccupations des entreprises, surtout à un moment où elles souffrent terriblement, l’idée de mettre en place un impôt économique local, avancée par les associations d’élus et combinant, par exemple, le foncier et la production des entreprises, ne doit pas être totalement écartée ; elle doit être étudiée sérieusement avec ses avantages et ses inconvénients, en concertation avec les chefs d’entreprise et les collectivités territoriales elles-mêmes.
J’ajoute qu’il me paraît souhaitable non pas de figer à un moment donné la compensation de la suppression de la taxe professionnelle, mais de continuer à encourager les collectivités territoriales à investir pour l’emploi.
En effet, sans ce retour, qui permettra d’assurer les financements dans l’avenir, les collectivités territoriales ne consentiront plus les efforts utiles pour favoriser l’essor économique.
Or sans recherche et sans approche industrielle comme savent le faire les élus territoriaux, il n’existe pas de solution industrielle, donc pas d’investissement pour l’avenir et, par conséquent, pas d’emplois.
Telles sont les observations que je souhaitais formuler sur cette réforme très importante, qui engage l’avenir de nos entreprises et de nos collectivités territoriales.
Nous attendons des réponses précises, voire des propositions, et nous souhaitons qu’une réflexion soit lancée sur ce sujet dès que possible, à laquelle nous pourrions participer le cas échéant. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et sur de nombreuses travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Luc Chatel, secrétaire d'État chargé de l'industrie et de la consommation. Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous prie tout d’abord d’excuser Christine Lagarde, retenue, qui m’a chargé de la représenter dans le cadre de la discussion de cette question orale avec débat sur la réforme de la taxe professionnelle.
Nous avons passé tout à l’heure deux heures à évoquer la situation de notre industrie, notamment sa perte de compétitivité. Comment reconstituer, dans notre pays, un territoire sur lequel il fait bon investir, travailler, innover et produire ? La suppression de la taxe professionnelle constitue une réponse précise à cette situation.
Depuis 1975 – date de sa création, monsieur Fourcade –, la taxe professionnelle a été modifiée par soixante-huit textes de loi.
Ce seul chiffre suffit, me semble-t-il, à nous convaincre de la nécessité de rebattre complètement les cartes. C’est un prélèvement dont les effets pervers ont justifié des modifications législatives permanentes et ont conduit tous les gouvernements, de gauche comme de droite, à s’emparer de la question, mais sans jamais vraiment y apporter de réponse définitive.
Le temps des atermoiements est révolu. Aujourd’hui, le Gouvernement est décidé à franchir un pas historique. L’époque n’est plus aux rafistolages permanents. Il s’agit désormais d’affirmer haut et fort que la taxe professionnelle ne doit plus peser sur les épaules de nos entreprises industrielles et pénaliser directement leur compétitivité.
Nous l’avons vu dans la mise en place du pacte pour l’automobile, quand on compare la chaîne de valeur d’une automobile produite en France avec celle d’une automobile construite, par exemple, en Europe de l’Est, on s’aperçoit combien la taxe professionnelle est un poids pour la production française. La taxe professionnelle représente, à elle seule, un tiers du différentiel de coût de production existant entre des usines françaises et des usines d’Europe de l’Est.
En outre, il faut bien avoir en tête que la taxe professionnelle ne pèse pas seulement sur les producteurs finals que sont les constructeurs automobiles. En effet, plus de la moitié de la taxe est à la charge des équipementiers, des sous-traitants, qui sont aujourd’hui dans la situation difficile que l’on connaît.
Avec le recul de plus de trente années dont nous disposons aujourd'hui, nous constatons que, en maintenant la taxe professionnelle, nous avons pénalisé non pas les grands actionnaires ni les grands patrons, mais les salariés, les ouvriers et nos territoires.
Il s’agit désormais d’achever définitivement la réforme de la taxe professionnelle.
Comme vous l’avez rappelé, mesdames, messieurs les sénateurs, en 2004 et 2005, Jean-François Copé, alors ministre délégué au budget et à la réforme de l'État, avait mis en place deux dispositifs importants : un plafond à 3,5 % de la valeur ajoutée et le ticket modérateur, puisque les collectivités ne perçoivent désormais le produit des hausses de taxe professionnelle que pour la part correspondant aux entreprises non plafonnées.
Pour soutenir l’activité en cette période de crise, le Président de la République a d’abord décidé, en octobre dernier, que les investissements productifs effectués avant le 31 décembre 2009 seraient entièrement exonérés de la taxe professionnelle.
Nous travaillons désormais à la suppression de cette taxe pour l’année 2010.
Cette suppression concernera tous les investissements productifs, appelés « équipements et bien mobiliers », qui représentent 80 % du produit actuel de la taxe. Cette imposition des facteurs de production pénalise gravement notre économie et, naturellement, d’abord notre industrie.
Mesdames, messieurs les sénateurs, cette réforme se fera avec le souci de préserver résolument les finances locales.
Je suis moi-même maire d’une commune et, à ce titre, je mesure bien l’importance de la taxe professionnelle pour les collectivités locales. Je connais les questions et les angoisses que ce sujet peut faire naître.
Ce n’est d’ailleurs pas la taxe professionnelle en tant que telle qui peut faire débat. Chacun est conscient, je crois, – et vous l’avez évoqué – de ses limites. La vraie question pour les élus est surtout d’obtenir la garantie que des ressources de substitution seront trouvées. Cette garantie, je la confirme aujourd’hui. Le Premier ministre en a donné l’assurance de longue date : chaque euro de recette sera compensé dans le cadre de cette réforme.
La réforme de la taxe professionnelle nécessitera de trouver pour les collectivités un montant total de 23 milliards d’euros : 22 milliards d’euros pour les collectivités locales et 1 milliard d’euros pour les chambres consulaires.
Aujourd’hui, la recette de la taxe professionnelle s’élève à près de 30 milliards d’euros au profit des collectivités et des chambres consulaires. Le poids de la taxe professionnelle pesant sur les entreprises est d’environ 25 milliards d’euros. L’État finance le solde : prise en charge des exonérations, dégrèvements successifs, plafonnement à la valeur ajoutée.
Il est donc souhaitable que nous sortions de l’ambiguïté actuelle où, à force de dégrèvements, l’État se retrouve de facto le premier contributeur local de la taxe professionnelle. En effet, l’État a contribué, au titre des dégrèvements, à plus de 9 milliards d’euros en 2007.
Cependant, cette prise en charge va mécaniquement diminuer, car moins d’entreprises atteindront le plafond. Dans le même temps, la cotisation minimale, correspondant à 1,5 % de la valeur ajoutée et que l’État perçoit au titre des frais de recouvrement, est amenée, par un jeu de vases communicants, à augmenter sensiblement.
Demain, avec la suppression de la taxe sur la totalité des investissements productifs, et une fois pris en compte l’impôt sur les sociétés, 8 milliards d’euros de moins pèseront sur les investissements productifs des entreprises. C’est cet allégement qui a été évoqué par le Président de la République en février dernier. Naturellement, il faudra faire en sorte de trouver le moyen de gérer ce manque à gagner pour les finances publiques de notre pays.
Si l’on taxe l’investissement et le travail, le travail et l’investissement iront ailleurs. C’est alors la taxe professionnelle qui disparaîtra : il n’y aura plus d’assiette, plus de base et, donc, plus de matière à taxer. Telle est la raison pour laquelle nous devons, mesdames, messieurs les sénateurs, être très attentifs au choix que nous ferons de l’assiette pour un nouvel impôt économique local.
Ce qui vient tout de suite à l’esprit – et vous l’avez évoqué –, c’est l’existant : l’assiette foncière ou la valeur ajoutée. On peut aussi imaginer de taxer spécifiquement certaines assiettes, comme les pylônes, qui ont été évoqués par certains – mais la taxe existe déjà –, ou les éoliennes.
Quatre principes devront guider la réforme des finances locales et de la taxe professionnelle.
Le premier, c’est le maintien du niveau de ressources pour chaque collectivité. C’est un engagement du Premier ministre, comme je viens de l’indiquer.
Le deuxième principe, c’est le maintien d’un lien fiscal entre les activités économiques et leur territoire. Ce point est essentiel.
Le troisième principe, c’est le maintien d’un équilibre entre entreprises et ménages.
Enfin, le quatrième et dernier principe, c’est le respect du principe d’autonomie financière des collectivités territoriales.
Le principe de la compensation intégrale a été garanti, lui, par la règle constitutionnelle de 2003, qui dispose que l’autonomie fiscale des collectivités ne peut pas descendre en dessous d’un certain seuil.
S’agissant des ressources qui pourront être données aux collectivités en compensation, je ne peux vous préciser aujourd’hui leur nature exacte, compte tenu de l’état d’avancement du dossier. La concertation est totalement ouverte, et je vous remercie les uns et les autres pour vos contributions. Je peux néanmoins vous affirmer que le montant total sera le même avant et après la réforme. C’est bien là l’essentiel !
Les pistes de compensation sont multiples : un transfert de ressources fiscales alimentant aujourd’hui le budget de l’État, l’utilisation de dotations budgétaires ou bien l’augmentation ou la création de taxes locales. D’autres pistes de compensation des collectivités concernent le transfert de ressources fiscales actuelles d’État : la taxe sur les conventions d’assurance, la taxe intérieure sur les produits pétroliers, ou encore le relèvement des bases foncières et l’affectation de la cotisation minimale sur la valeur ajoutée aujourd’hui perçue par l’État.
L’objectif est de mettre en place des taxes locales sectorielles, qui bénéficient aux collectivités et permettent d’éviter les effets d’aubaine dont certaines entreprises pourraient profiter. Les travaux sont en cours sur ce sujet ; les hypothèses de compensation des collectivités ne sont pas figées. Vous le voyez, mesdames, messieurs les sénateurs, toutes les hypothèses sont actuellement à l’étude.
Mais l’une des propositions du Gouvernement consiste à dire que, quel que soit le rythme de suppression des investissements productifs de l’assiette de la taxe professionnelle – en un an, en trois ans, voire davantage –, les collectivités voient leurs ressources financières mises en place dès 2011. L’État jouerait alors le rôle de chambre de compensation.
Mesdames, messieurs les sénateurs, la réforme continuera à se faire en concertation avec le Parlement.
Après la remise du rapport Balladur au Président de la République le 5 mars dernier, la Conférence nationale des exécutifs, réunie le 26 mars 2009, a permis de lancer la seconde étape de la concertation. Celle-ci conduira à l’élaboration d’un schéma de compensation des collectivités dans le cadre de la réforme de la taxe professionnelle et nous permettra de mener à bien une réforme globale de la fiscalité locale.
Le Premier ministre a également demandé au ministre de l’économie, de l’industrie et de l’emploi, Christine Lagarde, d’engager une nouvelle phase de concertation avec les élus et les entreprises, afin de les associer pleinement, en amont, à l’ensemble des travaux préparatoires à cette réforme.
Christine Lagarde et Michèle Alliot-Marie ont rencontré les représentants des associations d’élus, une première fois, le 10 avril dernier, puis le 27 mai à Bercy, et les organisations représentant les entreprises, le 22 avril dernier, pour leur présenter des pistes possibles de compensation.
D’autres réunions sont prévues à la fin du mois. Le 29 juin, les ministres concernés rencontreront, une nouvelle fois, les organisations représentant les entreprises et les associations d’élus, afin de leur préciser davantage l’architecture de cette réforme et les propositions du Gouvernement.
Cette concertation, le Gouvernement la mène également en liaison étroite avec le Parlement. Je tiens à vous en remercier, mesdames et messieurs les sénateurs. Je remercie les présidents des commissions des finances de l’Assemblée nationale et du Sénat. Je remercie surtout le groupe de six parlementaires de la majorité et de l’opposition qui sont impliqués sur ce dossier. Il s’agit de M. Gilles Carrez, rapporteur général du budget à l’Assemblée nationale, des députés Marc Laffineur et Jean-Pierre Balligand, ainsi que des sénateurs Charles Guené, Edmond Hervé et Albéric de Montgolfier.
Le Premier ministre a, enfin, rappelé que l’objectif du Gouvernement, après avoir engagé la concertation la plus large possible, est la mise au point d’un projet de loi d’ici à l’été sur le volet institutionnel afin qu’il soit examiné par le Parlement à l’automne.
La partie financière sera, quant à elle, présentée au Parlement lors du prochain projet de loi de finances. Cela suppose aussi qu’un projet soit prêt avant l’été. Comme vous pouvez le constater, nous travaillons dans un délai contraint. Nous avons l’intention de présenter le projet du Gouvernement dans le cadre du projet de loi de finances pour 2010.
Vous le voyez, mesdames, messieurs les sénateurs, nous nous saisissons de cette crise pour en faire une opportunité de modernisation et de changement.
Nous avons débattu tout à l’heure de la situation de l’industrie dans notre pays. La suppression de la taxe professionnelle sera indiscutablement un gage de compétitivité et d’attractivité pour notre territoire en matière industrielle.
Avec cette réforme, nous voulons donner aux collectivités les moyens de leurs politiques et rendre la fiscalité de notre pays plus simple et, surtout, plus favorable à l’investissement, donc à l’emploi. (M. Yvon Collin s’exclame.)
La concertation se poursuit dans un climat de confiance, et je tiens à vous en remercier.
Naturellement, ce débat l’a montré, bien des interrogations restent ouvertes. Le Gouvernement formulera, le moment venu, ses propositions, et nous viendrons les défendre devant vous.
La volonté d’aboutir est partagée par l’État, les collectivités locales et les entreprises, car la prise de conscience du caractère nécessaire de cette réforme est générale, comme notre débat l’a démontré tout à l’heure.
Je vous remercie encore une fois, mesdames, messieurs les sénateurs, de votre contribution à cette réforme importante pour la compétitivité de l’économie française. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)