M. le président. La parole est à M. David Assouline.
M. David Assouline. Ma question s’adresse à Frédéric Mitterrand, au tout nouveau ministre comme à l’homme de culture, à l’homme de toutes les cultures. J’attends avec plaisir une réponse sincère et non conventionnelle. (Exclamations sur les travées de l’UMP.)
Monsieur le ministre, vous qui n’aviez pas hésité, au mois d’octobre 2001, en votre qualité de président de la commission d’avance sur recettes du cinéma français, à apporter votre soutien à une grève au Centre national de la cinématographie, le CNC, comprenez-vous aujourd'hui les raisons qui ont poussé les salariés de RFI à cesser le travail pendant deux mois pour protester contre une restructuration d’une rare brutalité ? (Exclamations ironiques sur les travées de l’UMP.)
Après soixante jours d’interruptions régulières de l’antenne, le personnel de RFI n’a toujours pas été entendu et six programmes en langue étrangère – notamment en allemand et en polonais –, ainsi que 206 postes, soit 20 % de l’effectif de la radio, doivent toujours disparaître.
Mais, au-delà de RFI, serez-vous sensible, en tant qu’ancien directeur des programmes de ce formidable outil de promotion de la francophonie qu’est TV5 Monde, au sort que réserve la majorité à une autre voix essentielle de la France dans le monde, l’AFP, promise à la privatisation ?
Par ailleurs, vous qui dénonciez en 1990, dans un geste fort, en direct, devant huit millions de téléspectateurs, la paupérisation du service public, laisserez-vous résorber les 50 millions d’euros de déficit qu’aura accumulés France Télévisions en 2010 par la suppression de 500 emplois sur les 900 départs à la retraite prévus d’ici à 2012 ?
Vous qui avez quitté TF1 avec fracas en 1988, en affirmant, avec des mots d’une rare violence – mais l’époque a changé ! – « ils n’aiment ni les noirs, ni les Arabes, ni les pédés, ni les gens de gauche. Autant dire que je n’avais pas beaucoup d’avenir », aujourd’hui, en votre qualité de ministre, vous engagez-vous à agir pour que le service public reste au moins un lieu où la diversité et l’indépendance soient garanties et pas celui où l’on aime d’abord et toujours le président Sarkozy ? (Protestations sur les travées de l’UMP.)
M. Dominique Braye. Provocation !
M. David Assouline. Allez-vous fermer les yeux devant la véritable catastrophe démocratique…
M. Dominique Braye. La question !
M. David Assouline. … que constitue la mise sous tutelle politique de notre télévision, illustrée par la scandaleuse et complaisante valorisation du Président de la République sur les antennes audiovisuelles les 13 et 14 juillet,…
M. Alain Gournac. Donneur de leçons !
M. David Assouline. … alors que l’opposition n’avait pas le droit à la parole ?
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. David Assouline. Agirez-vous pour garantir la pérennité des actuelles éditions locales de France 3, auxquelles les Français sont très attachés, comme l’indépendance des rédactions nationales des antennes de France Télévisions ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Frédéric Mitterrand, ministre de la culture et de la communication. Monsieur Assouline, votre question, à épisodes, comporte un certain nombre de citations datant de ma « carrière » antérieure. Aujourd’hui, ce n’est pas tout à fait la même personne qui est devant vous ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l’UMP.- Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
M. Dominique Braye. Qui plus est des citations sorties de leur contexte !
M. Frédéric Mitterrand, ministre. De surcroît, ces citations sont effectivement en partie sorties de leur contexte.
Cependant, je suis très sensible à votre volonté de reconstituer un destin dans son intégralité. Vous savez à quel point de telles préoccupations me sont chères. (Sourires.)
Pour ce qui concerne RFI, la réforme en cours vise non pas à éteindre une chaîne à laquelle tous les Français se doivent d’être attachés, comme vous avez l’air de le soupçonner, mais, au contraire, à la redéployer. Certaines zones couvertes par RFI méritent ce redéploiement, notamment celles dans lesquelles sont en usage des langues vernaculaires comme l’haoussa ou le swahili, encore insuffisamment pratiquées. En revanche, RFI, par le biais de ses émissions en langue arabe, collabore désormais de manière beaucoup plus intensive avec France 24 et TV5 Monde.
Cette réforme entraîne évidemment une réduction des effectifs – vous avez évoqué la suppression de 206 emplois – qui se déroulera conformément à un plan que nous avons voulu le plus juste possible, comme nous le faisons toujours. Par ailleurs, 34 nouveaux emplois vont être dégagés de manière à faciliter l’adaptation de RFI au numérique.
En vérité, la chaîne RFI a été abandonnée pendant longtemps. Comme toujours en pareil cas, ce sont les salariés qui payent la facture.
M. Alain Gournac. Eh oui !
M. Dominique Braye. Les socialistes !
M. Frédéric Mitterrand, ministre. Pour ce qui concerne maintenant le service public, pour y avoir travaillé pendant très longtemps, j’en connais toutes les qualités et toute l’importance. Croyez bien que mon appui au service public est constant.
M. le président. Monsieur le ministre, il ne vous reste plus que quelques secondes pour conclure !
M. Frédéric Mitterrand, ministre. D’ailleurs, une réponse vous a été donnée hier soir, avec la diffusion en prime time, grâce à la suppression de la publicité, de l’opéra La Traviata, regardé par 1,2 million de téléspectateurs. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
problèmes concernant le conseil supérieur de la magistrature
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ma question s'adresse à Mme le ministre d'État, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés.
Mon intervention porte sur les rapports entre l’exécutif et la justice.
M. Marc Robert, procureur général de Riom, a été muté d’office à la Cour de cassation. Le Conseil supérieur de la magistrature, le CSM, avait donné un avis défavorable à cette mutation, mais, le 23 juin, un décret du Président de la République procédait à la nomination de M. Robert « vu l’avis du Conseil supérieur de la magistrature du 4 juin 2009. ».
Or, lors de la réunion du 4 juin, Mme Dati, alors garde des sceaux, avait retiré sa proposition de mutation de l’ordre du jour, alors que M. Ouart, conseiller du Président de la République, était intervenu contre ce retrait.
Les conditions de cette mutation suscitent beaucoup d’émoi.
En effet, le décret de nomination paraît notoirement irrégulier, puisqu’il a été pris sans que l’avis du CSM, qui doit être explicite, ait été rendu. En tout cas, le procès-verbal n’a pas été communiqué.
Je constate que M. Robert lui-même conteste la légalité du décret et a saisi le Conseil d’État. Les syndicats de magistrats se sont d’ailleurs joints à sa requête.
Cette affaire constitue une atteinte extrêmement grave à l’institution judiciaire et au principe de séparation des pouvoirs.
J’ajoute que votre injonction à l’avocat général de Paris pour qu’il fasse appel du verdict de la cour d’assises dans l’affaire Fofana,…
M. Michel Houel. C’est un assassin !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. … contrairement à ce que ce magistrat envisageait apparemment, renforce notre inquiétude.
Avec une telle injonction, les politiques qui, bien évidemment, ne participent pas au procès, interviennent directement en faveur de l’une des parties, ce qui ouvre la voie à toutes les dérives.
Madame le ministre d’État, je veux vous poser deux questions.
Premièrement, entendez-vous faire appel de toutes les décisions de justice qui ne seraient pas conformes aux réquisitions des avocats généraux ? Si tel n’est pas le cas, et je peux d’ores et déjà le constater, quels seront vos critères ?
Deuxièmement, ce type d’affaires intervenant en plein débat sur la suppression du juge d’instruction et l’indépendance du parquet et coïncidant avec la présentation en conseil des ministres du projet de loi organique réformant le Conseil supérieur de la magistrature, qu’entendez-vous faire pour sortir le CSM de la crise dans laquelle vous le plongez ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à Mme le ministre d'État.
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés. Madame Borvo Cohen-Seat, je vous remercie de cette double question.
Pour ce qui concerne le cas de M. Robert, dès ma prise de fonctions, j’ai reçu les présidents des trois formations du Conseil supérieur de la magistrature, ainsi que les membres de la formation « parquet » du CSM. J’ai fait part aux uns et aux autres de ma volonté de travailler avec eux en toute transparence, en toute confiance, dans le respect des institutions, de la Constitution ainsi que des lois organiques.
M. Alain Gournac. Voilà !
M. Didier Boulaud. Cela nous rassure ! Il était temps !
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État. Hier, le CSM s’est réuni en ma présence. Assistaient à cette réunion les trois membres du Conseil qui, à la suite de l’affaire, s’étaient retirés. C’est une première marque de la confiance retrouvée.
Comme je l’ai indiqué à cette occasion à mes interlocuteurs, parce qu’un recours a été formé devant le Conseil d’État, c’est à cette juridiction, et à elle seule, de se prononcer.
M. Alain Gournac. Très bien !
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État. Sur l’affaire Fofana, et l’appel que j’ai fait interjeter, madame le sénateur, mes critères sont et seront toujours les mêmes : l’intérêt de la société et la paix publique.
Quand j’ai constaté que, du fait des procédures, les condamnations prononcées aboutiraient à la remise en liberté, d’ici à quelques mois, de certaines des personnes les plus engagées dans cet assassinat, qui se trouveraient donc de nouveau libres dans les quartiers et sur les lieux mêmes où les faits ont été commis, il m’a semblé qu’un problème se posait, qui n’avait peut-être pas suffisamment été pris en compte.
Je ne juge pas à la place de la Cour ; je demande simplement que l’on revoie le dossier à la lumière de cette considération.
En effet, je sais ce qui se passe dans un certain nombre de quartiers, que je suis attentivement, et je suis très préoccupée par la montée et la banalisation de la violence.
M. Didier Boulaud. Que fait donc Sarkozy depuis sept ans ?
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État. Remettre très rapidement en liberté des personnes qui ont commis un acte d’une telle barbarie, ce serait adresser un bien mauvais signal à tous ceux qui banalisent la violence. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l’UMP.)
De plus, le risque est grand que les victimes n’aient plus alors confiance en nos institutions et cherchent à se faire justice elles-mêmes.
Dès lors, en tant que garde des sceaux, j’ai estimé en conscience que l’intérêt de la société comme la paix publique exigeaient de demander au procureur général de faire appel. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
M. Jean-Marc Todeschini. Supprimez donc les jurés !
M. le président. La parole est à Mme Monique Papon.
Mme Monique Papon. Ma question s'adresse à Mme la secrétaire d'État chargée de l'écologie.
Madame la secrétaire d'État, je souhaite vous interroger sur le Grenelle de la mer lancé en avril dernier.
En effet, au regard de l’importance des enjeux maritimes, il est indispensable de mettre en œuvre une stratégie nationale pour la mer et le littoral qui s’inscrive pleinement dans une perspective de développement durable.
Dans la continuité du processus de concertation que le ministère a su mettre en place au cours de ces deux dernières années, des groupes de travail ont été constitués, qui ont abouti à des tables rondes finales réunissant les représentants des organisations composant les cinq collèges du Grenelle de la mer.
Par ailleurs, des « Grenelle de la mer régionaux » ont permis aux territoires de contribuer activement à ces débats.
Dix-huit régions, parmi lesquelles dix sont des régions littorales, ont ainsi pu faire partager leurs observations en cohérence avec la réalité du terrain. Ce fut en particulier le cas en juin dernier à Pornic, en Loire-Atlantique.
Le Grenelle de la mer a achevé hier sa troisième étape, celle de la négociation et des arbitrages collectifs, avec la tenue des tables rondes finales réunissant les cinq collèges.
Enfin, le Président de la République (Exclamations ironiques sur les travées du groupe socialiste.) s’est rendu aujourd’hui au Havre afin de présenter la politique maritime de notre pays, ce qui témoigne de son entière implication dans les thématiques portées par le Grenelle de la mer.
Madame la secrétaire d'État, pouvez-vous nous éclairer sur cette étape décisive et sur les avancées majeures qui se dégagent de ces mois de débat ? Vous est-il possible de nous indiquer la façon dont vous entendez poursuivre ce projet indispensable à l’avenir de la planète ? (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Chantal Jouanno, secrétaire d'État chargée de l'écologie. Madame la sénatrice, je vous remercie de votre question.
Comme vous l’avez indiqué, Jean-Louis Borloo, Bruno Le Maire, Dominique Bussereau et moi-même étions présents ce matin au Havre pour assister à la présentation par le Président de la République de ses ambitions pour la politique maritime de la France.
Le chef de l’État a confirmé que notre pays devait, grâce au Grenelle de la mer, corriger un oubli historique, celui de son destin maritime.
Et quand nous évoquons un « oubli historique », il ne s’agit pas de mots : savez-vous, mesdames, messieurs les sénateurs, qu’il n'y a même pas aujourd'hui d’ambassadeur français accrédité auprès de l’Organisation maritime internationale ? (Exclamations amusées sur les travées du groupe socialiste.)
M. Didier Boulaud. Ce n’est pourtant pas difficile à trouver ! Aucun ministre à la retraite ne veut s’en charger ? Mme Boutin, par exemple…
Mme Chantal Jouanno, secrétaire d'État. Or nous avons une responsabilité particulière dans ce domaine : nous possédons le deuxième domaine public maritime mondial, qui représente vingt fois la surface de la France.
Loin d’être vide, ce domaine constitue un potentiel énergétique et alimentaire considérable, en même temps, bien entendu, qu’une richesse en termes de biodiversité.
Le Président de la République a fait siennes les conclusions du Grenelle de la mer, qui ont trouvé leur aboutissement précisément hier et qui ont confirmé la nécessité de protéger la mer pour l’homme, notamment afin que les pêcheurs puissent poursuivre leur activité.
Aussi a-t-il été décidé que 20 % de nos eaux seraient classées « aires marines protégées » et que les pêcheurs seraient les premières sentinelles de la mer. Bruno Le Maire a d'ailleurs confié une mission à M. Louis Le Pensec afin de définir les conditions d’une pêche en haute mer.
Par ailleurs, le Président de la République a confirmé que la France devait être leader pour les énergies marines.
Mme Chantal Jouanno, secrétaire d'État. Vous le savez, mesdames, messieurs les sénateurs, les énergies marines représentent un immense potentiel. Elles pourraient produire pas moins de 6 000 mégawatts d’ici à 2020, soit l’équivalent d’au moins 3 000 éoliennes…
Sachez aussi que le Président de la République a souhaité renforcer l’action de l’État en mer, en définissant une fonction de garde-côte à la française, afin de mieux lutter contre les pollutions.
Il s'agit d’une importante rupture dans nos politiques : la mer est désormais reconnue comme notre avenir ; la haute mer est considérée non plus comme une zone de non-droit, mais comme le bien commun de l’humanité.
La volonté de poursuivre le Grenelle de la mer était partagée par l’ensemble des acteurs, qui se sont enfin parlé, qui ont cherché à rapprocher leurs positions et qui souhaitent continuer leur action, au sein des comités opérationnels et à l’occasion d’un futur conseil interministériel de la mer.
La France doit assurer pleinement la responsabilité d’un domaine public maritime qui, je le répète, est le deuxième du monde ; vous voyez, mesdames, messieurs les sénateurs, ce que cela peut représenter !
La mer est notre avenir. Elle représente un immense potentiel et une ressource gigantesque dont il est temps, aujourd'hui, que nous prenions en compte la dimension politique. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
iran
M. le président. La parole est à Mme Dominique Voynet.
Mme Dominique Voynet. Ma question s'adresse à M. le ministre des affaires étrangères et européennes.
Les électeurs iraniens ont massivement participé à l’élection présidentielle du 12 juin.
Mahmoud Ahmadinejad, soutenu par le Guide suprême de la révolution et par les fractions les plus conservatrices de la République islamique, a été proclamé vainqueur.
Les soupçons de fraude massive, corroborés par de nombreuses observations directes, ont été écartés sans ménagement par le Guide suprême, qui a réaffirmé, après un simulacre de recomptage des voix, son soutien au président sortant.
Les candidats réformateurs, en faveur desquels la volonté populaire s’était clairement exprimée, ont contesté très fermement l’action du pouvoir. Pendant plusieurs semaines, le peuple iranien a manifesté son indignation et sa colère dans les rues de Téhéran et des autres grandes villes du pays.
« Où est mon vote ? », tel était le cri de ralliement des manifestants, qui ne toléraient pas que l’une des seules libertés qui leur étaient octroyées soit ainsi piétinée.
Des manifestants ont été blessés, tués parfois. Des opposants ont été arrêtés, maltraités, torturés, et ils continuent de l’être.
Les arrestations sont massives, la répression brutale. Elle touche les Iraniens, mais également les journalistes et les touristes étrangers, comme en témoigne l’arrestation arbitraire et révoltante de Clotilde Reiss, cette jeune étudiante française passionnée d’Iran qui est en prison depuis quinze jours.
En quelques semaines, l’Iran a été bousculé et le régime a été si contesté par le peuple que plus rien, probablement, ne sera comme avant.
La légitimité des dirigeants est en effet doublement écornée : ils ont perdu leur légitimité démocratique par la fraude ; ils ont perdu leur légitimité religieuse quand Ali Khamenei a exposé son autorité de guide pour justifier cette fraude.
Dans une situation si incertaine, la responsabilité de la France et de l’Europe n’en est que plus grande encore.
Monsieur le ministre, quelle sera la position de la France dans les prochaines semaines ? Reconnaîtra-t-elle le président iranien, qui n’est pas mal élu, mais non élu ? Exigera-t-elle la libération sans condition des milliers de personnes arrêtées ces dernières semaines, comme y invitent ce matin, dans le quotidien Libération, des dizaines de militants, d’artistes et d’intellectuels solidaires du peuple iranien ?
Enfin, monsieur le ministre, j’ai une autre question, un peu plus complexe, au regard des mutations à l’œuvre en Iran et dans la société iranienne.
Puisque nous sommes d’accord, je l’espère, pour réaffirmer avec force que la « guerre des civilisations » est une vision erronée de l’histoire ; puisque nous sommes favorables au renforcement des relations d’amitié et de reconnaissance mutuelle entre l’Orient et l’Occident, entre les mondes d’histoire judéo-chrétienne et les mondes d’histoire arabo-musulmane ; puisque ces idées, sans naïveté, doivent s’incarner dans des options stratégiques, dans des décisions politiques courageuses et dans une vision historique forte ; puisque nous sommes d’accord sur tous ces points, comment expliquez-vous, monsieur le ministre, que la France soit si réticente à envisager l’adhésion d’un autre grand pays de culture et d’histoire musulmanes au sein de l’Union européenne (Protestations sur les travées de l’UMP), alors que, manifestement, nous n’avons rien d’autre à lui reprocher que d’être, justement, un pays musulman ?
M. Dominique Braye. Nous mélangeons tout !
M. Rémy Pointereau. La question !
Mme Dominique Voynet. Est-ce là, monsieur le ministre, la meilleure façon d’honorer un islam laïcisé, démocratique et pluraliste, comme l’espère, à cor et à cri, le peuple iranien ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes. Madame la sénatrice, vous avez posé au moins deux questions, qui ne se ressemblent guère et dont je dirais même qu’elles n’ont aucun rapport entre elles !
M. Josselin de Rohan. C’est sûr !
M. Bernard Kouchner, ministre. Toute la première partie de votre intervention, qui décrivait les tragiques et multiples répressions des manifestations en Iran, juste après l’annonce des résultats officiels du scrutin, était juste.
Il y a eu une réaction très spontanée de centaines de milliers, sinon de millions de personnes – personne ne les a comptées, en tout cas pas nous, malheureusement – et nous avons vu ce spectacle effrayant des arrestations et des nombreux morts.
S’y ajoute le cas de Clotilde Reiss. Cette jeune française qui, comme vous le savez, mesdames, messieurs les sénateurs, enseignait à l’université d’Ispahan, a été arrêtée le 1er juillet dernier. Elle est encore détenue aujourd'hui, ce qui n’est pas acceptable et exige une action concertée des pays européens, qui a déjà commencé, d'ailleurs.
Malgré une première visite de notre ambassadeur - une deuxième étant prévue samedi prochain, si tout se passe bien, du moins aussi bien que cela peut se passer -, malgré des contacts téléphoniques qui nous rassurent sur la santé et l’état psychologique de Clotilde Reiss, nous ne pouvons accepter qu’une innocente soit emprisonnée (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Aussi, nous faisons tout pour qu’elle soit libérée, à travers le G8 et l’Union européenne ; les Vingt-Sept ont d'ailleurs manifesté, à deux reprises, leur réaction spontanée sur ce sujet.
Que pouvons-nous faire d’autre ? Les vingt-sept États de l’Union européenne, y compris la France, ont chacun convoqué leur ambassadeur d’Iran, et nous nous apprêtons, même si nous ne souhaitons pas y être obligés, à réagir de façon extrêmement violente sur ce dossier à chaque fois que nous en aurons l’occasion.
Toutefois, je vous le rappelle, le Gouvernement iranien a arrêté entre-temps une employée franco-iranienne de notre ambassade à Téhéran qui, heureusement, a été relâchée. Nous devons donc mesurer nos effets, parce que nous voulons obtenir la libération de Clotilde Reiss.
Madame la sénatrice, vous affirmez dans le même temps qu’il ne faut pas reconnaître le régime ainsi « issu des urnes ». Je crains hélas, que celui-ci ne soit pas le premier qui, en se maintenant, doive être reconnu…
Il y a eu, bien sûr, une contestation de l’élection, qui était forte et que nous avons ressentie politiquement, psychologiquement et même presque physiquement, compte tenu de notre affection pour ce peuple. Toutefois, si tout le monde en Iran proclame l’élection d’un président, il serait bien inutile et contre-productif d’aller, seuls, dans le sens contraire.
En revanche, nous pouvons soutenir le mouvement de contestation, multiplier les contacts avec lui, continuer à nous opposer à la politique menée par le régime iranien en matière d’énergie atomique, comme nous l’avons fait d'ailleurs avant que cela ne nous soit imposé.
Je vous le rappelle, nous avons maintenu les contacts directs avec les dirigeants iraniens, nous les avons maintes fois rencontrés. Moi-même je téléphone tous les deux jours à mon homologue à Téhéran pour faire pression afin que Mlle Reiss soit libérée. Cette attitude est la bonne pour le moment, me semble-t-il.
Quant à votre seconde question, permettez-moi de ne pas la mélanger avec la première ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)