Mme Nicole Bricq. Ce n’est pas une consolation !
M. Eric Woerth, ministre. Intéressez-vous aux débats sur les finances publiques dans les autres pays européens : vous verrez que ce sont les mêmes qu’en France !
Même l’Allemagne a annoncé qu’elle ne pourrait revenir sous les trois points de PIB de déficit qu’en 2013 au mieux, voire en 2014.
Vous l’aurez compris, nous voulons que la France sorte de la crise plus grande et plus forte qu’elle n’y est entrée. Dans cette perspective, nous restons fidèles à ce que nous sommes et à ce que nous voulons.
Nous sommes convaincus que, si le renouveau de l’État doit passer aussi par une logique défensive, conjoncturelle, cette logique ne doit surtout pas éclipser, bien au contraire, notre devoir d’anticipation. La priorité, c’est évidemment de préparer l’avenir, c’est de poursuivre la modernisation de l’État et de convertir ou de reconvertir le modèle économique français.
Ce sont les réformes d’aujourd’hui qui créeront la croissance de demain et le pouvoir d’achat d’après-demain.
Contre la démagogie, contre la facilité, nous tiendrons donc bon sur les réformes, en particulier - j’en prends l’engagement - dans le domaine de la maîtrise de nos dépenses publiques.
À terme, il me semble en effet impossible de laisser perdurer une situation dans laquelle plus de un euro sur deux de richesse produite dans ce pays passe par la sphère publique. Revenir sous 50 points de PIB de dépenses publiques - hors relance et effets de la crise -, c’est trouver environ 60 milliards d’euros d’économies. Telle est l’ampleur exacte de notre déficit structurel.
Mesdames, messieurs les sénateurs, maîtriser la dépense est bien la voie à suivre pour durablement réduire nos déficits. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des finances.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je m’exprime en cet instant à la fois comme remplaçant du rapporteur général de la commission des finances et comme président de la commission. Par conséquent, je vais bénéficier d’un double crédit de temps – soit deux fois dix minutes –, comme je m’empresse de le préciser à ceux qui seraient impatients. (Sourires.)
Notre séance d’aujourd’hui nous permet de débattre des grandes orientations des finances publiques, la loi organique relative aux lois de finances l’a prévu, l’a programmé, et je m’en réjouis. Ainsi, nous pouvons entendre les contributions respectives de la commission des affaires sociales et de la commission des finances, et nous sommes heureux de pouvoir en débattre avec le ministre chargé de l’ensemble des comptes publics.
Nous débattons aujourd'hui sur la base du rapport que le Gouvernement nous a transmis relatif à l’évolution de l’économie nationale et des finances publiques.
Mes chers collègues, je n’ai pas vraiment trouvé dans ce document la « description des grandes orientations de [notre] politique économique et budgétaire au regard des engagements européens de la France », pour reprendre les termes de la LOLF. Au fond, ce n’est peut-être pas plus mal, car, même si la France fait toujours l’objet d’une procédure pour déficit excessif, de tels développements auraient pu paraître artificiels, voire tout bonnement irréels.
En effet, lorsque l’on extrait des documents préparatoires les principaux chiffres, le vertige saisit : un déficit des administrations publiques de 7 % ou 7,5 % du PIB, c’est deux fois plus que le maximum autorisé par nos engagements européens et trois points de plus que l’objectif que nous avons voté en février dans la loi de programmation des finances publiques !
Pour l’État, le Gouvernement envisage un déficit de l’ordre de 130 milliards d’euros en 2009 et en 2010, contre 56 milliards d’euros en 2008.
Côté recettes, celles de l’impôt sur les sociétés, qui rapporte théoriquement à l’État environ un cinquième de ses ressources fiscales annuelles, soit une cinquantaine de milliards d’euros, le produit sera divisé par deux cette année ! C’est une moins-value de 25 milliards d’euros.
Dernier exemple pour illustrer la profondeur de la crise, on constate un déficit de 20 milliards d’euros du régime général de la sécurité sociale, alors même que 27 milliards d’euros ont été transférés l’année dernière à la CADES, la Caisse d’amortissement de la dette sociale !
L’addition des deux déficits, 130 milliards d’euros pour l’État et 20 milliards d’euros pour la protection sociale, nous amène, mes chers collègues, à un total de 150 milliards d’euros !
Dans la tourmente, il nous faut un cap, un horizon au-delà de la préparation des textes financiers de l’automne. Nous devons évaluer l’impact durable de la crise une fois l’onde de choc passée, et nous demander quelle conduite tenir dans la situation nouvelle qui nous attend.
Mes réflexions me conduisent toujours vers les deux mêmes constats.
Premièrement, avec la crise, notre pays s’appauvrit. La question est de savoir comment on peut inverser la tendance et retrouver compétitivité et attractivité.
Deuxièmement, le poids de la dette risque d’asphyxier nos finances publiques. Comment retrouver des marges de manœuvre ?
La thématique de la dette a beaucoup occupé nos travaux préparatoires, mais, lorsque son montant dépasse les 1000 milliards d’euros, lorsque la perspective d’une France qui vivrait durablement avec un endettement stabilisé autour de 100 % du PIB n’est plus un scénario de science-fiction, il n’est pas étonnant que les parlementaires s’intéressent de plus près encore à son mode de financement.
Lorsque la dette atteint un tel volume, sans que cela – miracle de « l’insoutenable légèreté de la dette publique » – provoque la moindre tension sur le niveau des dépenses, il est légitime que nous recherchions les instruments qui permettraient une plus grande pédagogie sur les conséquences de l’endettement.
Je veux le souligner, ces préoccupations ont été partagées par les membres de la commission des finances bien au-delà des limites de la majorité sénatoriale.
Sans refaire le débat que nous avons eu hier à l’occasion de l’examen des amendements portant sur le projet de loi de règlement, je veux réaffirmer ici ma conviction qu’il faut assumer les conséquences de ses choix.
Nous avons fait le choix collectif, depuis 1975, de dépenser chaque année un montant supérieur à celui des recettes. Je rappelle que le dernier budget présenté en équilibre par un ministre des finances l’a été, à l’époque, par Jean-Pierre Fourcade !
M. Jean-Pierre Chevènement. Bravo !
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Il faut assumer les conséquences d’un tel choix.
J’ai la faiblesse de penser que les termes du débat sont un peu faussés. Notre système de financement de la dette favorise la préférence pour le présent et anesthésie l’opinion en repoussant l’heure des vraies décisions.
M. Jean-Pierre Chevènement. C’est vrai !
M. Jean-Jacques Jégou. Eh oui !
M. Jean-Pierre Fourcade. C’est la roue perpétuelle !
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Plus on repousse cette heure, plus les décisions seront difficiles à prendre.
C’est pourquoi j’ai la conviction qu’il convient, d’une manière ou d’une autre, de faire peser sur les dépenses du budget général le poids de l’amortissement du capital de la dette de l’État à raison, pourquoi pas ? de 2 % par an, c'est-à-dire l’amortissement de la dette en cinquante ans par tranche annuelle de 20 milliards d’euros.
Mes chers collègues, je citerai un exemple : la loi de finances rectificative pour 2007 a réglé le problème du service annexe de la dette de la SNCF. Le gouvernement précédent avait eu l’idée fantastique, pour désendetter la SNCF, de sortir une partie de la dette et de la placer dans un satellite n’apparaissant dans aucun compte public : de la pure magie !
L’État s’était engagé à verser chaque année une dotation dont le montant correspondait à l’annuité, capital plus intérêts, soit à peu près 677 millions d’euros.
En 2007, vous êtes chargé du dossier, monsieur le ministre, et vous prenez la décision qu’il fallait prendre, à savoir la reprise par l’État de la dette de la SNCF.
En 2008, bonne affaire, les intérêts sont repris, mais pas le capital. Autrement dit, sur les 677 millions d’euros de charges constatés en 2007, soit 400 millions d’euros au titre des intérêts et 277 millions d’euros au titre de l’amortissement du capital, on ne retrouve plus, en 2008, que les seuls intérêts !
C’est dire combien de tels procédés peuvent paraître anesthésiants et combien il est nécessaire de trouver, monsieur le ministre, les moyens de pratiquer une bonne pédagogie.
Avant de clore ce chapitre, il me faut vous remercier, monsieur le ministre, des engagements que vous avez pris hier en matière d’information du Parlement sur la politique de financement de l’État. Aujourd’hui, si le Parlement a conquis ses galons d’interlocuteur incontournable en matière de gestion budgétaire, il reste, convenons-en, un acteur plus marginal de la politique de financement de l’État.
La LOLF a posé les premiers jalons en prévoyant un vote sur le tableau de financement et sur la variation de la dette à plus d’un an. Mais quelle est la portée effective de ce vote ? Monsieur le ministre, j’ai consulté, sur le site internet de l’Agence France Trésor, la rubrique consacrée aux textes de référence. On y trouve une entrée « Loi organique relative aux lois de finances » qui fournit une liste des articles de la LOLF concernant l’Agence France Trésor, soit les articles 10, 19, 22, 25 et 26.
Curieusement, l’article 34, qui vise spécifiquement la première partie de la loi de finances initiale, avec l’autorisation des emprunts, et qui fixe le plafond de la variation de dette nette à plus d’un an, n’est pas mentionné. Est-ce un oubli ou un acte manqué ? Le rapporteur général, qui a lu Kundera, aurait peut-être parlé de plaisanterie !
Au-delà de l’anecdote, il faut remédier au déséquilibre institutionnel qui apparaîtrait s’il y avait durablement contradiction entre l’intérêt financier du pays, servi avec talent par l’Agence France Trésor et qui la conduit à privilégier le financement à moins d’un an, et la portée du vote de la représentation nationale, qui a trait à la variation nette de la dette à plus d’un an. Votre proposition, monsieur le ministre, va dans le bon sens, et nous tenons à vous en remercier.
Mes chers collègues, l’obsession de la lutte contre l’endettement n’est pas une lubie ou une tocade. Elle vient de la conscience aiguë qu’a la commission des finances des menaces que la dette fait peser sur notre modèle social en nous contraignant à sacrifier au service de la dette une part importante des dépenses de transfert, auxquelles les Français sont attachés, et une part tout aussi importante des dépenses d’investissement, si nécessaires à la préparation de notre avenir.
Lorsque le produit de l’impôt sur le revenu ne suffit plus à payer la charge de la dette, on ne peut que s’inquiéter de notre capacité financière à relever les défis qui sont devant nous.
M. Alain Vasselle, rapporteur général de la commission des affaires sociales. C’est vrai !
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Or ces défis sont immenses. La crise cause à notre pays des dommages irréparables. Sur ce point, monsieur le ministre, je rappelle que, selon les calculs de la commission des finances du Sénat, la perte potentielle de PIB pourrait atteindre 5 points.
Le Gouvernement a révisé à la baisse son estimation du taux de croissance potentiel, le ramenant de 2,2 % à 1,75 %.
De fait, nos perspectives de croissance sont inférieures à la moyenne de la zone euro. L’Allemagne, qui subit en 2009 une récession près de deux fois plus sévère que la nôtre, retrouverait la croissance dès le début de 2010.
Après la crise, notre pays ne sera plus le même que ce qu’il était encore l’année dernière. Nous devons malheureusement anticiper un nouveau « coup de torchon » sur les entreprises productrices de biens et de services ainsi que sur l’économie. Il y aura de nouvelles délocalisations, des industries auront disparu, le chômage sera plus élevé, la population sera plus âgée, certains comportements économiques seront peut-être transformés.
Le potentiel de croissance ne sera malheureusement sans doute pas ce qu’il était avant le déclenchement de la crise.
Cependant, notre pays, vous l’avez rappelé, monsieur le ministre, a la capacité d’absorber les effets de ces mutations profondes, à condition que l’on y voie clair sur la voie à suivre et que l’on prenne les décisions structurelles qui, en rendant possible ce qui est souhaitable, permettront de reconstituer notre croissance potentielle.
Je vois quatre domaines dans lesquels nous avons besoin de prendre des décisions courageuses.
Le premier domaine est la maîtrise des dépenses.
Le Gouvernement confirme qu’il tiendra bon sur la stabilisation en volume des dépenses dans le cadre d’enveloppes pluriannuelles qui, conformément à la loi de programmation des finances publiques pour les années 2009 à 2012, offrent de la visibilité aux gestionnaires de crédits. Il projette le non-remplacement d’un départ en retraite sur deux dans la fonction publique. Il annonce une deuxième phase de la révision générale des politiques publiques.
Je forme le vœu que cette deuxième phase soit très ambitieuse, car, du fait de notre niveau d’endettement, nous ne pourrons plus longtemps nous satisfaire d’une stabilisation en volume des dépenses : nous devrons nous fixer l’objectif d’une stabilisation en valeur.
Il faudra une réforme administrative profonde pour parvenir à stabiliser les dépenses en valeur tout en maintenant les exigences d’un service public de qualité. Il faudra un effort de l’ensemble de la sphère publique. En l’état actuel des prévisions, le besoin de financement des administrations publiques resterait, en 2012, compris entre 5 % et 7 % du PIB.
Évidemment, en période de récession, il convient avant tout de s’assurer que la machine économique continue de fonctionner. Le plan de soutien au financement de l’économie joue ce rôle en assurant que le crédit continue d’être distribué.
La relance budgétaire a aussi les effets positifs que l’on attend, surtout lorsqu’elle prend la forme de dépenses non récurrentes et qu’elle sert au financement d’infrastructures dont la réalisation est de nature à redresser notre taux de croissance potentiel.
Le plan de relance engagé depuis la fin de l’année dernière produira ses effets en 2009 et en 2010. L’injection dans l’économie des sommes prélevées au titre de l’emprunt national prendra alors sans doute le relais.
S’agissant de cet emprunt, vous savez, monsieur le ministre, que la commission des finances a des idées sur la façon dont il pourrait être souscrit et rémunéré. Nous serons heureux de vous les faire partager !
Nous pensons, notamment, qu’il faudrait, pour que cet emprunt ait du sens, qu’il soit l’expression d’une nation désireuse de renverser les tendances et d’accepter, sans doute, un taux d’intérêt inférieur au taux du marché, faute de quoi l’emprunt sera probablement assez banal.
Le deuxième domaine dans lequel une action structurelle doit être engagée est la réforme territoriale, qui nous occupera à l’automne. Elle doit, selon moi, s’accompagner d’une réforme de l’État déconcentré.
J’appelle, à ce sujet, votre attention sur la treizième des vingt propositions contenues dans le rapport Balladur, passée trop inaperçue à mon avis, qui préconise de supprimer les services déconcentrés dans les domaines où les compétences sont exercées non plus par l’État, mais par les collectivités territoriales.
Sur le plan économique, il est indispensable de préserver la capacité d’investissement des collectivités territoriales, qui sont le poumon de l’investissement public.
En préparation de ce débat, nous avons auditionné le ministre chargé de la mise en œuvre du plan de relance, M. Devedjian. J’ai cru comprendre qu’il appelait à une forme de pérennisation de la mesure de versement anticipé des attributions au titre du Fonds de compensation pour la TVA. Il n’est pas douteux que les collectivités territoriales, qui assument les trois quarts de l’investissement public, participent à la relance, que 2009 ne suffira pas et qu’il faudra soutenir cet effort également en 2010.
En 2009, les collectivités auront perçu les versements du Fonds de compensation pour la TVA au titre de deux années, 2007 et 2008. Peut-être pourront-elles percevoir en 2010 les recettes pour 2009 et 2010 ? Nous aurons l’occasion d’en reparler à l’automne.
Le troisième domaine est la protection sociale. Mme Dini et M. Vasselle en parleront mieux que moi. La commission des finances évoque les dépenses sociales dans son rapport, où elle aborde, notamment, la question du déficit de la branche vieillesse, les effets attendus de la réforme de l’hôpital ou encore les enjeux de la prise en charge de la dépendance.
Cependant, il ne faut pas éluder la question du mode de financement de ces dépenses. Les cotisations sociales sont des « droits de douanes à l’envers » qui, par exemple, fragilisent les efforts que nous déployons par ailleurs pour améliorer la compétitivité des petites et moyennes entreprises, ainsi que celle du travail.
Cette situation, monsieur le ministre, ne peut pas durer. Il n’y a pas de fatalité à ce que le financement de la protection sociale – famille et santé – soit un obstacle à notre compétitivité et à notre attractivité, sinon, mes chers collègues, comment retrouverons-nous notre potentiel de croissance ?
Cela me conduit au quatrième domaine que je souhaitais évoquer et qui est le vrai sujet, celui dont dépendent à la fois notre capacité à endiguer la spirale de la dette et la restauration de notre compétitivité, je veux parler des prélèvements obligatoires.
Notre pays dispose de nombreux atouts. Les agences de notation lui conservent leur confiance en relevant la diversification de son économie et son « leadership mondial », mesuré par le nombre de ses grandes entreprises. Mais les grandes entreprises participent peu à la croissance du PIB ici, en France.
Notre pays fait partie des quatre ou cinq « champions » de l’Union européenne en termes de poids des prélèvements obligatoires, derrière la Suède, le Danemark et la Belgique.
Au-delà du niveau des prélèvements, nous devons restaurer la cohérence de notre système fiscal pour le mettre au service de la compétitivité de notre pays. Nous réfléchissons à un « triptyque » qui permettrait d’aller dans ce sens en remettant à plat l’impôt sur le revenu, l’impôt sur la fortune et le bouclier fiscal.
Plus largement, nos choix collectifs changent, leur mode de financement doit s’adapter.
À cet égard, je veux saluer le travail du groupe de réflexion présidé par Fabienne Keller au sein de la commission des finances, dont le rapport doit, à mon avis, servir désormais de référence préalable à toute réflexion sur la fiscalité écologique.
Je note, en tout cas, que la notion de « sécurisation des recettes » fait son chemin, même si elle n’est pas encore une règle absolue, pour le bonheur des restaurateurs, par exemple… À titre personnel, je regrette que l’on ait abaissé la TVA de 19,6 % à 5,5 %.
Il faudra, en tout état de cause, que cette règle de sécurisation trouve à s’appliquer lors de la réforme de la taxe professionnelle.
À terme, nous arriverons, j’en suis sûr, à rendre obsolète la distinction entre les impôts qui reposeraient sur les ménages et ceux qui seraient à la charge des entreprises. En effet, in fine, seuls les ménages, qu’ils soient contribuables, consommateurs, salariés ou épargnants, supportent le poids de la fiscalité. Si nous voulons éviter que les phénomènes de délocalisation ne se prolongent encore, rendant ainsi plus difficile le rétablissement de notre potentiel de croissance, il nous faut ouvrir ce débat devant l’opinion publique en vue de faire émerger les solutions d’avenir et d’engager des réformes en profondeur.
Nous retrouverons tous ces sujets à l’automne, en particulier lors du débat sur les prélèvements obligatoires et de la discussion de la première partie du projet de loi de finances. Je voulais les évoquer dès aujourd’hui car la stratégie économique de notre pays, dont les finances publiques constituent une composante importante, doit être globale. En dépenses comme en recettes, l’heure n’est plus aux rustines ni aux colmatages, elle est aux décisions qui engagent résolument notre avenir.
Vous nous avez dit, monsieur le ministre, que vous espériez que la France sorte plus grande et plus forte de cette crise qui l’affecte depuis maintenant plus d’un an. Nous vous soutenons pour qu’il en soit ainsi. Pour cela, nous devrons faire œuvre de pédagogues, afin que la lucidité s’impose à tous les esprits et que l’on se prépare aux réformes. Pour que celles-ci aboutissent, nous devrons faire preuve à la fois de courage et d’esprit de justice ! (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP.)
M. le président. La parole est à Mme la présidente de la commission des affaires sociales.
Mme Muguette Dini, présidente de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le débat d’orientation des finances publiques prend place cette année dans un contexte que je n’hésite pas à qualifier de particulièrement préoccupant pour les finances sociales. Ma première intervention dans cet hémicycle en tant que présidente de la commission des affaires sociales sera donc empreinte d’une certaine gravité.
Notre débat d’aujourd’hui me paraît en effet crucial : il s’agit de déterminer les meilleures orientations possible pour nos finances publiques et sociales compte tenu d’une situation extrêmement dégradée – un déficit de 20 milliards d’euros pour le régime général en 2009 et d’environ 30 milliards d’euros en 2010 – et de perspectives encore très incertaines pour les années suivantes. Certes, la crise explique une partie de nos difficultés. Mais, au total, il faut surtout retenir qu’une dégradation d’une telle ampleur est inédite pour notre pays. Elle signifie que, n’ayant pas réussi à résorber un déficit d’environ 10 milliards d’euros par an depuis 2004, nous devrons bientôt faire face à un socle de déficit annuel de l’ordre de 30 milliards d’euros. Un tel changement d’échelle est sans précédent pour nos comptes sociaux. Ni les discours ni les recettes du passé ne pourront nous permettre d’y porter remède. Il y a pourtant urgence, car notre système de protection sociale ne pourra survivre à de tels déficits.
Nous avons souvent dit dans cet hémicycle, en particulier à l’occasion de ce rendez-vous annuel sur les perspectives des finances publiques, qu’il fallait cesser de reporter les dépenses d’aujourd’hui sur les générations de demain !
M. Jean-Jacques Jégou. Eh oui !
Mme Muguette Dini, présidente de la commission des affaires sociales. Or nous n’avons jamais dépassé le stade de l’incantation ni traduit par de réelles mesures d’assainissement ce que nous pensions constituer un engagement. Nous ne pouvons donc plus nous contenter de décisions ponctuelles, que ce soit pour nous permettre de revenir à l’équilibre – un immense défi à soi seul ! – ou, plus encore, pour faire face à l’enjeu que constitue le vieillissement de la population. Celui-ci, vous le savez, est bien réel : en matière de retraites, de santé et de dépendance, il pourrait se traduire par au moins trois points de PIB de dépenses supplémentaires d’ici à 2050.
Je vous présenterai les principaux éléments du diagnostic établi par la commission des affaires sociales. Alain Vasselle, nouveau rapporteur général de cette dernière, mais déjà rapporteur-président de la mission d’évaluation et de contrôle de la sécurité sociale, la MECSS, et expert éprouvé et reconnu des comptes sociaux, vous décrira tout à l’heure les conditions que la commission des affaires sociales estime indispensables pour parvenir à un vrai retour à l’équilibre.
Où en sommes-nous aujourd’hui ? La commission des comptes de la sécurité sociale a publié les chiffres définitifs pour 2008 : le déficit du régime général s’est finalement élevé à 10,2 milliards d’euros, en phase avec les dernières prévisions. Les recettes de la sécurité sociale sont restées relativement dynamiques, le ralentissement économique n’ayant commencé à produire ses effets qu’en toute fin d’année.
La branche maladie a poursuivi son redressement avec un déficit ramené de 11,6 milliards d’euros en 2004 à 4,4 milliards d’euros. La réduction très importante de ce dernier est un résultat positif incontestable, surtout si l’on songe que les dépenses de santé, par nature extrêmement dynamiques, progressent toujours à un rythme supérieur à celui de la richesse nationale.
En revanche, la branche vieillesse a vu son déficit se creuser fortement pour atteindre 5,6 milliards d’euros sous l’effet à la fois du départ à la retraite des générations du baby-boom et de la poursuite des départs en retraite anticipée pour carrière longue.
Pour 2009, la situation est tout autre, puisque le déficit du régime général devrait doubler et s’établir, selon les dernières prévisions, à 20,1 milliards d’euros. Si l’on y ajoute le déficit du Fonds de solidarité vieillesse, le FSV, ce montant pourrait même atteindre 22,2 milliards d’euros.
L’essentiel de cette évolution est dû à l’arrêt brutal de la croissance des recettes, alors que celles-ci progressaient régulièrement au cours des dernières années : les cotisations sociales devraient ainsi stagner en 2009, et les recettes de la contribution sociale généralisée, ou CSG, diminuer.
Ce constat inspire deux réflexions à la commission des affaires sociales.
Premièrement, nous avions exprimé notre scepticisme quant aux hypothèses économiques très volontaristes qui sous-tendaient la loi de financement de la sécurité sociale pour 2009. Je ne prendrai qu’un exemple : le projet de loi tablait sur une croissance de la masse salariale de 2,75 % ; or, celle-ci devrait diminuer de 1,25 %. Il y aurait donc, au minimum, quatre points d’écart entre la prévision et la réalité, ce qui bouleverse naturellement les équilibres initiaux.
Deuxièmement, la commission s’interroge sur l’absence de projet de loi de financement de la sécurité sociale rectificatif. N’aurait-il pas été justifié de demander au Parlement de prendre acte, à défaut de mesures correctrices, de la caducité totale des équilibres votés en fin d’année dernière ? Je souligne au passage que, dans le même temps, pas moins de deux collectifs ont été votés en matière budgétaire...
Quoi qu’il en soit, ces pertes de recettes font s’effondrer les comptes de chacune des branches – elles affichent désormais toutes un déficit –, malgré une croissance des dépenses relativement maîtrisée. La branche maladie pourrait ainsi connaître un déficit de 9,4 milliards d’euros, la branche vieillesse de 7,7 milliards d’euros, la branche famille de 2,6 milliards d’euros et la branche accidents du travail–maladies professionnelles de 0,3 milliard d’euros.
Pour la branche maladie, je vous rappelle que le comité d’alerte du 29 mai 2009 n’a pas constaté de dérapage de l’objectif national de dépenses d’assurance maladie, l’ONDAM. Il a seulement noté un dépassement de l’ordre de 300 à 500 millions d’euros. Il a mis en exergue la progression dynamique des indemnités journalières et des frais de transport, ainsi que le retard pris sur certaines mesures d’économie, comme les baisses de tarifs ou de médicaments, la limitation du nombre de séances de soins paramédicaux, l’encadrement des transports sanitaires par taxis ou l’augmentation du ticket modérateur en cas de non-respect du parcours de soins. La commission des affaires sociales estime que tout doit être fait pour corriger cette situation et pour revenir à un respect strict de l’ONDAM pour 2009.
Pour la branche vieillesse, je note un motif de satisfaction : la maîtrise des charges liées aux départs en retraite anticipée grâce à un meilleur encadrement de cette mesure. En revanche, le FSV, qui avait retrouvé une situation excédentaire en 2007 et en 2008, renoue avec un déficit massif en 2009 – de l’ordre de 2,1 milliards d’euros –, sous l’effet de l’augmentation du chômage et du transfert d’une partie de ses ressources vers la Caisse d’amortissement de la dette sociale, la CADES. Alain Vasselle vous fera part de la position de la commission des affaires sociales sur ces « tuyauteries » qui, si elles apportent une solution à un instant donné, constituent rarement de bonnes réponses à moyen terme, ainsi que nous l’avons trop souvent constaté.
S’agissant de 2010, nous disposons encore de trop peu d’éléments. Les premières prévisions font état d’un déficit du régime général s’élevant à environ 30 milliards d’euros, chiffre évidemment considérable, sans précédent et, je n’hésite pas à le dire, très inquiétant. Ce rapide tableau des comptes sociaux montre en effet l’ampleur des difficultés à résoudre et donne la mesure du chemin à parcourir non plus pour revenir à l’équilibre, mais simplement pour stabiliser nos déficits.
À cet égard, monsieur le ministre, nous regrettons – nous l’avions malheureusement déjà souligné les années précédentes – que le document préparatoire au débat d’aujourd’hui soit aussi succinct s’agissant des finances sociales. En particulier, il ne mentionne toujours pas la trajectoire pluriannuelle détaillée de l’évolution de l’ONDAM, comme le prévoit pourtant la loi organique relative aux lois de financement de la sécurité sociale. C’est dommage, car la définition d’objectifs clairs que tous pourraient s’approprier est désormais une priorité : c’est à cette seule condition que les modalités concrètes de leur respect pourront ensuite être déterminées.
Vous nous apportez néanmoins l’assurance que la nouvelle discipline issue de la loi de programmation des finances publiques en matière de recettes et de niches sociales sera respectée. Nous le souhaitons vivement, car nous éprouvons à nouveau quelques inquiétudes quant à cette nécessité, affirmée depuis longtemps par la commission des affaires sociales.
À ce sujet, permettez-moi, monsieur le ministre, de formuler deux séries de remarques.
En premier lieu, la commission des affaires sociales présente régulièrement des propositions raisonnables et concrètes trop souvent écartées par le Gouvernement. J’en veux pour preuve notre vote d’il y a trois ans pour taxer les stock-options ou celui d’il y a deux ans pour instituer une flat tax sur les niches sociales. Dans les deux cas, vous nous avez contraints à revenir sur ces dispositions pour, un an après, les proposer vous-même dans le cadre des lois de financement de la sécurité sociale. Nous avons perdu, au passage, une année... M. le rapporteur général de la commission des affaires sociales va à nouveau vous présenter aujourd’hui un certain nombre de mesures que je souhaite voir retenues dans le cadre de la préparation de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2010.
En second lieu, permettez-moi de vous redire combien il nous paraît important que le Parlement soit pleinement et parfaitement informé sur la situation des finances sociales. À cet égard, je renouvelle des demandes plusieurs fois formulées par la commission des affaires sociales : un chiffrage précis de l’incidence de toutes les mesures nouvelles envisagées, ce qui exige d’enrichir l’exposé des motifs ainsi que l’annexe 9 du projet de loi de financement de la sécurité sociale ; un cadrage pluriannuel plus étayé, avec des scénarios d’évolution plus solidement établis à partir d’hypothèses crédibles et différenciées. Nous devons disposer d’éléments aussi transparents et précis que ceux qui sont désormais disponibles en matière de loi de finances.
En conclusion, je voudrais insister sur le caractère stratégique de l’année 2010. Des décisions majeures, peut-être douloureuses, devront être prises pour inverser les tendances actuelles et pour permettre, dans un premier temps, une stabilisation de nos déficits, puis, dans un deuxième temps – c’est ce que nous espérons –, un retour à l’équilibre à moyen terme de nos comptes sociaux.
Nous ne pouvons plus repousser encore les échéances. Je souhaite que, dès le prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale, les décisions du Gouvernement traitent réellement et en profondeur l’ensemble des questions qu’Alain Vasselle et moi-même évoquons aujourd’hui devant vous. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP.)