M. le président. Je vous remercie, monsieur le ministre.
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures vingt, est reprise à seize heures trente-cinq, sous la présidence de M. Roger Romani.)
PRÉSIDENCE DE M. Roger Romani
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
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Souhaits de bienvenue à une délégation parlementaire de Taïwan
M. le président. Mes chers collègues, j’ai le très grand plaisir de saluer, au nom du Sénat, la présence dans nos tribunes d’une délégation du groupe d’amitié parlementaire Taïwan-France, conduite par sa présidente, Mme Li-Huan Yang.
Cette délégation est accompagnée par notre collègue Monique Papon, présidente du groupe d’information et d’échanges Sénat - République de Chine-Taïwan.
Nous sommes très sensibles à l’intérêt et à la sympathie que nos hôtes témoignent à notre institution.
Je leur souhaite la plus cordiale bienvenue et je forme des vœux pour que leur séjour en France contribue à améliorer les liens qui nous unissent. Pour cela, nous faisons confiance à Mme Monique Papon ! (Mmes et MM. les membres du Gouvernement ainsi que Mmes et MM. les sénateurs se lèvent et applaudissent.)
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Rappel au règlement
M. le président. La parole est à M. Thierry Foucaud, pour un rappel au règlement.
M. Thierry Foucaud. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, mon intervention se fonde sur les dispositions de l’article 36, alinéa 3, de notre règlement, relatif à l’organisation de nos travaux.
Alors même que nous allons entamer un débat sur l’orientation des finances publiques pour 2010, on nous annonce une nouvelle diminution du taux de rémunération du livret A, qui passerait de 1,75 % à 1,25 % dès le 1er août prochain.
Le Gouvernement, en s’appuyant sur les dispositions du code monétaire et financier, prétend d’ailleurs qu’il adresse un bon signe à l’épargne populaire car la stricte application de la formule prévue par le code aurait dû conduire à réduire plus encore le taux de rémunération du livret A et le porter à 0,25 % !
Mais, à la vérité, un an après l’adoption de la loi de modernisation de l’économie – on ne sait pas, d’ailleurs, ce que sont devenues les promesses de croissance dont elle était porteuse –, qui comportait, entre autres mesures, la banalisation du livret A, cela fait deux fois que la rémunération de ce produit d’épargne populaire est réduite.
Nul doute que l’opération menée contre le livret A, dont la centralisation de la collecte au bénéfice de la construction de logements sociaux est de moins en moins garantie, vise à créer un appel d’air vers de nouveaux produits appelés à connaître un certain succès cet automne, tels l’« emprunt Sarkozy », dont ni le montant, ni les conditions de rémunération ne nous sont pour le moment connus !
Nul doute que les banques, pour le moment peu collectrices du livret A, vont vite trouver, avec ce nouveau produit financier, de quoi réorienter l’épargne des ménages et celle de leurs clients et déposants !
Une telle situation est d’ailleurs porteuse de récession économique car elle met clairement en cause l’équilibre de nombreuses opérations de construction ou de réhabilitation de logements.
De fait, le Gouvernement se montre bien plus empressé à réduire le taux du livret A, dont le rendement est inférieur, par exemple, à la progression du CAC 40, notamment si l’on se réfère aux trois dernières séances de la Bourse, qu’à légiférer sur les stock-options ou sur la rémunération des dirigeants des banques, y compris celles qui ont passé convention avec l’État, ou à lutter contre la spéculation financière et la fraude fiscale qui continuent de grever lourdement le budget de l’État.
Le Gouvernement, avec le recours immodéré aux bons du Trésor sur formule, c’est-à-dire de très court terme, comme nous l’avons vu hier, offre d’ailleurs à certains épargnants bien informés les moyens de réaliser rapidement de fructueuses opérations de placement.
Cela méritait d’être souligné, mes chers collègues, alors même que notre ordre du jour nous appelle aujourd’hui à débattre de l’orientation des finances publiques.
M. le président. Je vous donne acte de votre rappel au règlement, mon cher collègue.
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Orientation des finances publiques pour 2010
Débat sur une déclaration du Gouvernement
M. le président. L’ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement, suivie d’un débat, sur l’orientation des finances publiques pour 2010.
La parole est à M. le ministre.
M. Eric Woerth, ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l'État. Monsieur le président, madame la présidente de la commission des affaires sociales, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le président de la commission de la culture, monsieur le rapporteur général de la commission des affaires sociales, mesdames, messieurs les sénateurs, avec la crise, la mission régulatrice de l’État vient de reprendre une vigueur nouvelle.
Jamais, en effet, la politique budgétaire n’a été autant au cœur du débat public ; jamais elle n’a été autant sollicitée. Chacun perçoit désormais que le séisme économique mondial actuel constitue tout à la fois un risque et, même si nous ne l’avons pas choisi, une chance.
Le risque serait de voir, à la suite de cette crise financière, se multiplier d’autres crises, à la manière de poupées gigognes. Le risque serait surtout, derrière cet enchaînement diffus et dangereux, de voir se propager une mentalité de retrait, ainsi qu’une tendance à se défausser de l’intérêt collectif sur les générations futures.
La chance, c’est de comprendre que cette période, avec son lot de bouleversements, peut être l’occasion de moderniser la France et de permettre à notre pays de conquérir une puissance économique digne de ses talents.
Les choix budgétaires que nous arrêterons dans les semaines et les mois qui viennent peuvent se révéler fondateurs.
Or nous sommes fermement décidés à préparer l’avenir et à utiliser encore plus cette période de difficultés pour développer les capacités de notre pays, en ne nous contentant pas d’essayer de le préserver.
Préparer l’avenir, c’est d’abord sortir de la crise.
Préparer l’avenir, c’est évidemment amplifier la lutte contre nos déficits structurels et poursuivre nos efforts pour faire de la France une démocratie financière moderne.
Préparer l’avenir, c’est enfin identifier les domaines stratégiques dans lesquels nous devons investir pour mettre la France à l’heure du monde.
Aujourd’hui, en matière budgétaire, il serait aussi irresponsable d’en appeler à une politique de resserrement immédiat qu’à un assouplissement permanent.
Notre crédibilité va reposer tout à la fois sur notre capacité à savoir dépenser dans les secteurs qui permettront à la France de conforter sa place dans le concert des nations les plus performantes et sur notre aptitude à tenir le cap de la raison économique.
Durant trente-cinq ans, nous avons produit du déficit. Si nous voulons rester crédibles sur le long terme, nous ne pouvons plus nous permettre le moindre relâchement dans notre volonté de maîtriser nos dépenses publiques.
Dépenser à bon escient, au bon endroit, tout en restant rigoureux et responsables vis-à-vis des générations futures, ce n’est pas hors d’atteinte.
Pour assainir nos finances publiques, encore faut-il faire des choix précis et concrets, sur le plan tant des politiques publiques que de la gestion publique. Il doit s’agir de vrais choix, et non d’un simple élagage aléatoire cumulant tous les inconvénients, notamment une faible efficacité budgétaire et le risque d’entraîner une paralysie décourageante pour les administrations.
De vrais choix, mesdames, messieurs les sénateurs : voilà qui nous ramène à la politique dans sa fonction et sa pratique véritables.
Vous vous souvenez peut-être que, dès 2007, j’avais pris soin de présenter le budget en privilégiant, dans sa construction, les dépenses d’avenir.
Aujourd’hui, c’est bien l’ensemble de la dépense publique que nous voulons orienter vers l’avenir.
Mais avant d’aller plus loin dans mon propos, mesdames, messieurs les sénateurs, je commencerai par faire le point de l’année en cours.
Si les déficits se creusent – nous l’avons souligné hier lors de l'examen du projet de loi de règlement –, c’est bien en raison de la crise, mais c’est tout à la fois le coût de la crise et le prix de la relance. Telle est l’idée qui mériterait d’être gardée à l’esprit, s’il ne fallait qu’en retenir une seule.
Le déficit public atteindrait 7 à 7,5 points de PIB en 2009. Cette dégradation d’un peu moins de 4 points de PIB d’une année sur l’autre, c’est la facture de la crise sous l’action conjuguée de la baisse énorme des recettes et, bien évidemment, du coût inhérent aux mesures de relance elles-mêmes.
Notre prévision de baisse du PIB, identique à celle de l’INSEE, est de 3 %, soit près de 5 % en deçà de notre croissance potentielle. En temps normal, l’effet de baisse de l’activité se traduirait donc par une hausse des déficits non pas de 4 points de PIB, mais d’un peu moins de 2,5 points. Or, précisément, nous ne sommes pas en temps normal et les recettes fiscales se replient en fait bien plus vite que le PIB, en raison d’une élasticité beaucoup plus importante.
Prenons l’exemple des recettes d’impôt sur les sociétés. Alors qu’elles ont atteint 50 milliards d'euros l’année dernière, elles retomberaient brutalement cette année, oscillant entre 20 et 25 milliards d'euros, soit une baisse supérieure à 50 %.
Cette « sur-réaction » à la baisse de certaines recettes par rapport à l’activité explique un peu moins de 1 point de PIB de déficit. Il nous faudra, bien sûr, en analyser les raisons dans les mois à venir.
Concernant l’impôt sur les sociétés, je crois pouvoir d’ores et déjà confirmer une intuition que j’avais avancée dès le début de la crise, à savoir que l’IS pâtit non seulement de la baisse des résultats d’exploitation des sociétés, mais évidemment aussi de celle de leurs résultats financiers.
La réalité est là : nombre d’entreprises ont passé des provisions pour dépréciation de leur portefeuille de participation financières, ce qui réduit leur résultat fiscal. C’est donc la chute brutale du prix des actifs financiers concomitante au ralentissement de l’activité qui explique, en grande partie, cette sur-réaction. Finalement, la baisse du produit de l'impôt sur les sociétés est beaucoup plus rapide que celle du PIB.
À ce jeu des stabilisateurs automatiques, qui est sans précédent par son ampleur, s’ajoute naturellement le coût budgétaire des mesures de relance, pour environ 0,75 point de PIB.
Cette dégradation de près de 4 points de PIB s’explique donc bien intégralement par l’effet mécanique de la récession, avec la « sur-réactivité » de la diminution des recettes fiscales et l'augmentation d’un certain nombre de stabilisateurs, notamment celle des dépenses sociales.
À l’inverse, M. le président de la commission des finances le notait hier à cette tribune, les dépenses ordinaires, en d’autres termes, les dépenses « hors crise », pour employer une expression qui tend à entrer dans le langage courant, sont parfaitement maîtrisées : les dépenses de l’État hors relance sont contenues au niveau voté par le Parlement ; l’objectif national de dépenses d’assurance maladie sera, cette année, pour la première fois depuis 1997, respecté ou quasi respecté.
Le déficit de l’État atteindrait 125 à 130 milliards d'euros en comptabilité budgétaire, au sein duquel le déficit « hors crise », c'est-à-dire le déficit structurel, représenterait un peu plus de 40 milliards d'euros, contre environ 85 milliards d'euros pour le déficit dû à la crise, c’est-à-dire les deux tiers. Il faut noter qu’une partie du déficit, autour de 15 milliards d'euros, ne pèse pas sur le déficit « maastrichtien » – tout cela est certes compliqué, mais le fait de disposer d’indicateurs au niveau européen permet les comparaisons avec nos voisins –, notamment les prêts au secteur automobile ou les fonds versés au Fonds stratégique d’investissement.
Sur le montant total du déficit du régime général de la sécurité sociale, de l’ordre de 20 milliards d'euros, 10 milliards d'euros doivent être directement imputés à la crise.
À ce stade, il est sans doute utile d’indiquer ce qui se passe au-delà de nos frontières.
L’Espagne vient de réactualiser ses prévisions de déficit à 9,5 points de PIB cette année. D’après les dernières prévisions de l’OCDE, les États-Unis passeraient en 2009 à plus de 10 points de PIB, probablement 12 points, et le Royaume-Uni connaîtrait également un déficit proche des 12 points. Même le déficit allemand, qui est inférieur au déficit français, se dégrade au même rythme que le nôtre, c'est-à-dire, je le répète, de 4 points de PIB en 2009.
Chez nous, le déficit public serait globalement stable en 2009 et en 2010, l’amélioration du déficit budgétaire étant malheureusement compensée par la poursuite en 2010 de la dégradation des comptes sociaux.
Mesdames, messieurs les sénateurs, le déficit budgétaire se réduirait donc en 2010.
Les recettes de l’État se rétabliraient quelque peu avec le retour – modeste – de la croissance, et l’amorce du retour de recettes d’impôt sur les sociétés à un niveau moins atypique.
De plus, pour une large part, les dépenses de relance disparaîtraient : elles seraient ramenées à 3,5 milliards d'euros. La maîtrise des dépenses « hors relance » se poursuivra, puisque celles-ci respecteront la norme « zéro volume », malgré la révision à la baisse de l’inflation. Ces dépenses hors relance progresseront donc de 1,2 %.
Je tiens à souligner le rôle majeur que la loi de programmation des finances publiques pour les années 2009 à 2012 a eu dans le cadre de l’élaboration du budget 2010. J’ai pu, avec mes collègues, et sous l’autorité du Premier ministre, concentrer mon attention sur les budgets qui étaient les plus concernés par la crise et ses impacts macroéconomiques.
Plusieurs budgets ont d’ailleurs été revus à la hausse. C’est le cas notamment de l’emploi – ce n’est pas une surprise ! –, pour faire face à la montée du chômage, mais aussi d’un certain nombre de dotations sociales, compte tenu du nombre de leurs bénéficiaires. Le prélèvement sur recettes au profit de l’Union européenne augmente également, mais cela s’explique justement parce que notre situation économique s’est relativement moins dégradée que celle de nos partenaires !
À l’inverse, la révision à la baisse de l’inflation a conduit à réduire certaines dépenses, parmi lesquelles figurent les pensions, qui sont indexées, les charges de la dette, ou encore, la défense, laquelle, faisant l’objet d’une programmation en euros constants, subit les aléas de l’inflation. La baisse des taux d’intérêt a en outre allégé la charge de la dette.
Pour la plupart des autres budgets, les modifications ont été marginales par rapport à la loi de programmation. Cela prouve que ma volonté de mener, avec vous, la discussion et le vote de cette loi pluriannuelle jusqu’à son terme se justifiait bel et bien, malgré les incertitudes économiques.
Je veux le redire, cette loi de programmation des finances publiques pour les années 2009 à 2012 a toute son importance : elle représente, au fond, l’une des rares boussoles à notre disposition dans le domaine des finances publiques, dans un monde terriblement incertain.
Par ailleurs, nous poursuivons évidemment la politique dite du « 1 sur 2 », à savoir le non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite, avec des réductions d’effectifs atteignant 34 000 emplois équivalents temps plein en 2010.
Toutefois, comme je le disais, l’amélioration du déficit budgétaire serait compensée par la poursuite de la dégradation des comptes sociaux. En effet, le recul de la masse salariale de 0,5 % en 2010 pèserait de nouveau sur les recettes du régime général, des régimes complémentaires de retraite et de l’UNEDIC.
Au total, le déficit s’établirait de nouveau en 2010 entre 7 et 7,5 points de PIB.
On ne peut évidemment pas s’en réjouir, c’est le moins que l’on puisse dire, mais ces déficits sont, face à la crise, la traduction très concrète du rôle d’amortisseur social de la politique budgétaire.
En particulier, selon l’INSEE, le pouvoir d’achat des transferts sociaux devrait croître de 4,8 % en 2009. Il faut l’avoir en tête, c’est deux fois la moyenne de ces vingt-cinq dernières années ! Voilà qui, je l’espère, mettra finalement un terme aux passes d’armes quelque peu dépassées auxquelles nous avons assisté ces derniers mois entre les tenants de la relance par la consommation et ceux de la relance par l’investissement.
Cette dynamique des transferts aux ménages, c’est notre système social qui joue à plein pendant la crise. C’est aussi l’action du Gouvernement, qui ne perd pas de vue qu’une société avancée se doit d’être solidaire. Il faut le dire, jusqu’au plus haut du sommet de l’État, nous sommes convaincus qu’il faut apporter plus de justice sociale à ceux qui sont touchés directement par la crise. Nous le faisons et continuerons à le faire, parce que, à nos yeux, c’est un devoir autant qu’un bénéfice pour le pays tout entier.
Plus de justice sociale, c’est, par exemple, l’augmentation du minimum vieillesse et de l’allocation aux adultes handicapés, c’est la prime exceptionnelle de fin d’année, la prime de solidarité active et c’est, bien sûr, depuis le 1er juillet dernier, le versement du revenu de solidarité active, nouveau venu dans notre paysage social.
Naturellement, il existe d’autres urgences, en particulier le soutien à l’investissement et à la trésorerie des entreprises, pour préserver au mieux notre appareil productif.
Mon collègue Patrick Devedjian et moi-même avons mis en place le plan de relance dans toutes ses composantes : les lois ont été votées, les primes versées, les crédits d’impôt restitués, les chantiers engagés, les dispositifs d’aide à l’emploi activés. Aucun autre pays n’a agi aussi vite et aussi fort.
Aujourd’hui, il ne se trouve guère d’observateurs objectifs pour critiquer le plan de relance. Au contraire, le FMI et l’OCDE en saluent à la fois le ciblage et le calibrage.
La question qui nous préoccupe à présent est donc plutôt de savoir ce que nous faisons à partir de là pour préparer l’après-crise tout en poursuivant notre effort pour sortir de la crise. Tout le monde reconnaît l’incertitude du calendrier de la reprise. Quelle sera sa force après une telle récession ? Comment évolueront les prix des actifs ? Qu’escompter comme croissance potentielle au lendemain d’une telle bourrasque ?
Je voudrais m’arrêter un instant, comme le fait M. le rapporteur général dans son rapport, sur la question de l’évolution de la croissance potentielle, sujet majeur pour les années à venir.
La crise révèle que le potentiel de croissance de la France et, surtout, du monde était, à l’évidence, surévalué. Il y avait bien un excès de demande dû à des bulles – bulles d’endettement privé des ménages, bulles immobilières –, bien d’autres, d’ailleurs, ayant explosé par le passé. Nous avons donc révisé à la baisse l’évaluation de la croissance potentielle, qui passe ainsi d’un peu plus de 2 % à environ 1,75 %.
Mesdames, messieurs les sénateurs, faut-il aller plus loin et dire que le terrain perdu dans la crise ne sera jamais reconquis ?
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Hélas…
M. Eric Woerth, ministre. Les Anglais l’ont fait. Cependant, notre situation est, me semble-t-il, en bien des points différente. Nous avons moins d’endettement des ménages, moins de prêts risqués, moins de bulle immobilière, notre secteur financier n’est pas surdimensionné par rapport aux autres secteurs de notre économie, enfin, par le jeu des stabilisateurs économiques automatiques et de dispositifs comme le chômage partiel, nous avons mieux conservé le « capital humain » de notre économie.
Je vous le concède volontiers, cela prendra du temps, mais nous mettons tout en œuvre pour reconquérir le terrain perdu.
Le Conseil européen des 18 et 19 juin a intégré cette dimension d’incertitude dans son approche : le redressement des finances publiques doit se faire au rythme de la reprise de l’activité.
Il faudra continuer à mener une politique budgétaire souple et éminemment réactive. Tel a été mon mot d’ordre jusqu’ici, afin d’ajuster au mieux le rythme d’assainissement des finances publiques. Ne l’oublions pas, à vouloir consolider trop tôt, au milieu des années quatre-vingt-dix, après quelques rares signes positifs, le Japon avait tué sa croissance pour dix ans, en montant notamment les taux de TVA de façon prématurée.
Ce sont les grandes orientations de l’après-crise que le Président de la République a indiquées dans son discours devant le Congrès et que le Premier Ministre a eu l’occasion de préciser lors d’un séminaire gouvernemental qui s’est tenu il y a une quinzaine de jours.
Dans cette situation inédite, plusieurs conditions doivent être respectées.
Premièrement, pour réussir l’assainissement des finances publiques, il convient de conserver aux mesures de relance leur caractère temporaire. Le Gouvernement s’y est engagé, car il s’agit de ne pas répéter une erreur qui a été trop souvent commise dans le passé.
Deuxièmement, une hausse des prélèvements obligatoires est exclue. C’est une condition sine qua non et en aucun cas un a priori idéologique. L’augmentation des prélèvements obligatoires dans un pays où ceux-ci représentent déjà 43 points de PIB est tout bonnement inenvisageable quand ce même ratio avoisine les 37 points en Allemagne et au Royaume-Uni, voire moins de 30 points aux États-Unis. Oui, mesdames, messieurs les sénateurs, c’est tout bonnement inenvisageable, sous peine d’obérer la compétitivité et la croissance potentielle françaises et de peser, in fine, sur la soutenabilité des finances publiques.
Comme vous le savez, nous avons défini une stratégie en trois axes pour nos finances publiques : sécuriser les recettes ; réduire le poids de la dépense courante ; investir massivement dans les projets d’avenir. Si la presse n’en retient souvent que le troisième, les trois objectifs ont à mes yeux la même importance, car ils sont indissociables.
Nous aurons ainsi un vrai débat dans les semaines et les mois à venir sur notre capacité à investir dans les projets d’avenir.
Il faut donc sécuriser les recettes. Afin de compenser les pertes de recettes dues à la dégradation de l’activité, le surcroît de recettes qui interviendra au rythme de la reprise sera intégralement consacré à la réduction du déficit.
La lutte contre les déficits structurels doit être évidemment poursuivie. Depuis deux ans, tout est mis en œuvre pour infléchir drastiquement la dépense courante. Même si la crise l’a occulté, nous avons tout de même obtenu un certain succès. L’effort sera d’autant plus soutenu aujourd’hui que le Président de la République vient de nous appeler à mettre les bouchées doubles en la matière.
Soyons clairs : la dépense courante, pour moi, ce ne sont pas seulement les gommes et les crayons, loin de là ; j’en ai une vision extensive, qui inclut notamment les dépenses d’intervention et celles des opérateurs. Sinon, rien ne fonctionne !
La méthode que nous avons utilisée jusqu’à maintenant a porté ses fruits - nous avons contenu la dépense publique à moins de 1 % en euros constants l’année dernière -, mais elle ne suffira pas face aux défis qui nous attendent, compte tenu notamment de l’ampleur du champ auquel il faut s’attaquer. Il faut donc l’élargir et la renforcer.
Avec l’aide du Parlement, dans la lignée des États généraux de la dépense publique, une identification systématique de toutes les dépenses inutiles sera, encore une fois, réalisée.
La réforme de l’administration sera poursuivie.
La réforme des collectivités locales sera menée à bien, notamment sur la répartition des compétences, afin que tous les échelons administratifs contribuent plus efficacement au redressement des finances publiques.
Toutes les options envisageables pour la réforme des retraites seront examinées, avec des décisions en 2010.
La maîtrise des dépenses de santé sera quant à elle amplifiée : l’ONDAM peut être, selon moi, ramené à 3 % dès 2010 compte tenu de la baisse de l’inflation ; nous allons travailler en ce sens avec Roselyne Bachelot- Narquin pour le projet de loi de financement de la sécurité sociale à venir.
Les niches sociales feront l’objet d’un examen systématique. Leur montant global s’élève à 42 milliards d’euros : 33 milliards d’exonérations de cotisations sociales, 9 milliards d’exemptions d’assiette diverses.
Depuis deux ans, nous avons agi sur deux leviers : nous avons rationalisé plusieurs dispositifs d’exonérations peu efficients et mis à contribution les stock-options, les « parachutes dorés », ainsi que l’intéressement et la participation au financement de la sécurité sociale. J’entends poursuivre et accentuer cette action dans le PLFSS 2010, notamment sur les « retraites chapeaux ».
Je vais également conduire un examen aussi critique des dépenses fiscales dans les mois qui viennent. Nous avons déjà travaillé sur deux axes, en réduisant certaines niches spécifiques et en instaurant le plafonnement global.
Je souhaite poursuivre sur ces deux voies : continuer de questionner certains dispositifs dont la pertinence et l’efficacité ne sont franchement pas avérées ; réfléchir aussi à une manière plus transversale de réduire le poids de la dépense fiscale globale.
Si aucune niche prise isolément n’est illégitime, il faut bien dire que le véritable dédale que constituent les niches fiscales ou sociales, sans parler des débats infernaux qu’elles suscitent entre les uns et les autres, devient difficilement gérable pour les finances publiques. Il faut donc, là aussi, redoubler d’effort et certainement inventer de nouvelles méthodes.
Avec la sécurisation des recettes et la réduction des dépenses courantes, le troisième pilier de la stratégie présentée par le Président de la République consiste à réorienter de manière résolue la dépense publique vers des projets d’avenir.
Le débat s’est curieusement focalisé sur les modalités de l’emprunt. À mon sens, c’est un point assez accessoire. L’emprunt n’est qu’un moyen, une modalité, et pas une fin en soi.
Le but ultime, c’est bien le redéploiement de nos dépenses vers les projets d’avenir. Ces projets seront financés par un emprunt dédié, qui donc ne pourra financer que des projets d’avenir prioritaires et clairement identifiés. Alain Juppé et Michel Rocard y travaillent. Aucune fongibilité ne sera possible avec le financement de la dépense courante, dont l’objectif est évidemment l’équilibre.
J’ajoute que nous imposerons, et c’est crucial, de rendre compte régulièrement sur les dépenses ainsi financées, et d’apporter la preuve qu’elles ont un intérêt et un rendement important pour les générations futures.
Ce processus pourrait d’ailleurs débuter, soit par une loi de finance rectificative, soit, le cas échéant, par un mini-débat d’orientation budgétaire au début de 2010, puisqu’en fin de compte il vous reviendra à vous, représentants de la nation, de trancher à la fois sur les priorités et sur les modalités de l’emprunt.
Permettez-moi de revenir sur la définition même des dépenses d’avenir.
Leur nature est, de fait, très variée : il peut s’agir d’engagements financiers pour soutenir des entreprises dans des secteurs de pointe, d’investissements physiques dans de nouvelles technologies, ou encore de certains investissements en capital humain, comme l’enseignement supérieur ou la recherche. Toutes ont évidemment une légitimité en termes d’avenir.
Mais, à mon sens, l’emprunt étant, par définition, une opération ponctuelle, la raison devrait nous engager à ne financer par l’emprunt que des dépenses non récurrentes. Cela ne préjuge en rien, naturellement, du montant et des modalités de l’emprunt. Des dépenses, même d’avenir, qui se renouvellent chaque année ont vocation à être financées par des recettes qui se renouvellent également.
Par ailleurs, je le disais en introduction, pour être efficace, il faut faire des choix. D’où le préalable de la grande consultation qui commence pour pouvoir choisir et hiérarchiser nos priorités nationales, tant il est vrai, mesdames, messieurs les sénateurs, que l’on ne peut pas tout traiter sur le même plan.
À la demande du Premier ministre, cette consultation devra déboucher dans la première quinzaine de novembre sur des projets forts et structurants, mais en nombre restreint. Ils devront apporter la preuve qu’ils ont une rentabilité financière et socio-économique élevée et devront associer le plus possible des cofinanceurs externes pour démultiplier les efforts de l’État.
L’enjeu, c’est donc bien de parvenir à faire le tri dans les dépenses publiques. En tant que ministre du budget, je tiens à souligner que je ferai preuve de la même détermination dans l’identification des dépenses les plus productives pour notre pays que dans la suppression, déjà entamée, de celles qui ne sont pas ou plus efficaces.
Ces réformes permettront de réorienter l’effort public vers les dépenses d’avenir, la progression de l’ensemble des dépenses publiques restant limitée à environ 1 % par an en volume sur l’ensemble de la dépense publique, c’est-à-dire sur quelque 1 000 milliards d’euros.
En ce qui concerne l’évolution globale de nos finances publiques à l’horizon 2011, on peut raisonnablement miser sur une reprise de la croissance plus forte, et, surtout, sur des recettes plus dynamiques lors de la reprise de l’activité.
Je prends à nouveau l’exemple de l’impôt sur les sociétés : passer du niveau 2009, c'est-à-dire de 20 à 25 milliards d’euros, pour simplement retrouver le niveau de 2007- 2008, c'est-à-dire 50 milliards d’euros, soit 100 % de plus, cela permet déjà de retrouver plus de un point de PIB, et ce sans augmentation d’impôt, juste par la reprise de l’activité et le retour du prix des actifs à une valeur plus en rapport avec leurs fondamentaux.
Entre la maîtrise de la dépense et ce dynamisme des recettes, on peut ainsi espérer une amélioration du déficit public de l’ordre de deux points de PIB en deux ans, à moitié par les recettes et à moitié par la dépense. Nous irons plus vite si la croissance est plus forte, mais l’important, c’est bien de marquer une inflexion forte par la dépense.
Donc, nous misons sur deux points de PIB en deux ans à partir de la reprise, à moitié financés par une augmentation des recettes et à moitié financés par une diminution des dépenses, soit 20 milliards d’euros au titre de la maîtrise de la dépense, ce qui n’est pas mince.
Selon les informations actuellement disponibles, nous ne pourrons donc revenir à trois points de PIB de déficit en 2012 sans un rebond extrêmement fort de la croissance, qui ne peut être exclu, mais que l’on ne peut prendre comme référence dans un débat d’orientation budgétaire.
La dette atteindrait 88 points de PIB à l’horizon 2012. C’est un niveau très élevé, mais qui resterait encore inférieur à celui que connaissent déjà actuellement plusieurs de nos partenaires.
Dire tout cela, ce n’est pas renoncer au pacte de stabilité, c’est prendre en compte la réalité des effets de la crise. Nous conservons l’esprit du pacte : nous ferons le meilleur effort d’assainissement possible des finances publiques, sans casser le retour de la croissance et tout en préparant la croissance de demain, pour retourner au plus vite sous les trois points de PIB, et réduire la dette. Dans leur quasi-totalité les pays européens sont confrontés à la même situation.