M. le président. La parole est à M. Thierry Foucaud.
M. Thierry Foucaud. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce débat d’orientation, que nous engageons dans un contexte particulièrement contraint, est le second volet de notre diptyque annuel sur les finances publiques, après la discussion du projet de loi de règlement.
Les orientations de fond mises en œuvre ces dernières années ne doivent pour l’instant pas être modifiées, particulièrement dans le cadre du projet de loi de finances pour 2010 : la norme de progression de la dépense publique et les choix d’évolution des recettes fiscales, que l’on retrouve notamment dans la loi TEPA, doivent rester inchangés.
Le paquet fiscal, dont nous avons déjà dit tout le bien que nous en pensions, continuera à fonctionner, malgré la crise et la détérioration sensible des comptes publics.
Quant à la norme de dépense, c’est encore une fois au travers d’une nouvelle saignée d’emplois publics qu’elle sera tenue coûte que coûte. Il est par ailleurs fort probable que quelques judicieuses mesures législatives ou réglementaires viendront comprimer autant que possible la croissance des dépenses sociales.
Tout cela doit évidemment permettre de prendre en charge le coût grandissant et toujours plus préoccupant de la dette. Celle-ci agit de plus en plus comme un redoutable poids mort dans les comptes publics, en tout cas comme une contrainte qui va sérieusement mettre en question toute politique de réduction des déficits, toute politique fiscale et toute politique budgétaire originale pour quelques années.
Chers collègues de la majorité, vous pouvez fort bien manifester votre inquiétude devant la croissance de cette dette publique, mais vous ne parviendrez pas à nous faire oublier deux éléments.
Premier élément, la dette publique est une bonne affaire et un placement satisfaisant pour une certaine épargne, qui n’est pas toujours celle des ménages les plus modestes ou des petites et moyennes entreprises.
Parler de dette publique en oubliant un peu vite qu’une bonne part de celle-ci est souscrite par des résidents – ménages, compagnies d’assurance et autres structures de même nature –, c’est en effet mentir délibérément aux Françaises et aux Français.
Second élément, il y a bien évidemment plusieurs manières de faire croître et embellir la dette publique. Celle qui est aujourd’hui à l’œuvre consiste, pour l’essentiel, à gager le prix des réductions de recettes fiscales décidées politiquement par l’émission de nouveaux titres de dette publique.
Dans les faits, cela n’apporte absolument rien au développement économique et social de la nation, les initiatives privées ainsi libérées de l’impôt ne se mobilisant apparemment pas pour se substituer à l’intervention publique.
Si nous nous endettions pour réaliser les infrastructures de transport dont nous avons besoin, pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, relier les territoires et favoriser le développement harmonieux de l’ensemble des bassins de vie de notre pays, cela pourrait se comprendre.
Si nous choisissions de nous endetter pour renforcer l’équipement éducatif du pays, pour développer le logement social ou pour répondre aux nécessités de l’égalité d’accès aux soins, cela pourrait aussi se comprendre.
Mais tel n’est pas le cas ! Nous nous endettons pour payer la facture des cadeaux fiscaux, l’importation de la récession américaine, celle qui découle de choix de gestion d’entreprises françaises de moins en moins responsabilisées. En un mot, c’est un « mal-endettement » de l’État qui se développe.
La même observation vaut d’ailleurs pour la sécurité sociale, victime d’une sensible réduction de ses recettes du fait de l’accroissement du chômage, et pour laquelle, là encore, la logique favorable aux revendications corporatistes de certains syndicats de médecins a été, en dépit du bon sens, prise en compte.
Quant aux prestations servies par les régimes de retraite, comme par l’assurance maladie, elles ont continué de subir les effets des choix inscrits dans les lois de financement de la sécurité sociale.
Cette situation n’a toutefois pas empêché la Cour des comptes de ne pas valider les comptes de l’assurance vieillesse, comme ceux de l’assurance maladie, au motif de leur absence de sincérité.
Ce cadre général, qui demande toujours plus au contribuable ou à l’assuré social modeste – plus de cotisations et d’impôts, pour moins de service en retour –, est, une fois encore, celui qui sera fixé par le Gouvernement dans les prochaines loi de finances et loi de financement de la sécurité sociale.
Le cadre est d’autant plus contraint que plusieurs annonces ont déjà été faites quant à l’évolution de nos prélèvements.
La croissance de 0,5 % prévue pour 2010, croissance qui relève, de notre point de vue, de l’incantation, est d’ores et déjà consommée. Il faut tout à la fois supporter les effets du paquet fiscal de 2007, la réduction de la TVA sur la restauration et la réforme de la taxe professionnelle.
A contrario, a été annoncée la création d’une taxe carbone, sur laquelle nous avons une position très simple : nous sommes contre ce qui contribuera, une fois encore, à extraire une partie de l’impôt du lieu de création des richesses, c’est-à-dire l’entreprise, et à taxer une consommation déjà largement obérée par un grand nombre de taxes et de droits divers.
La fiscalité environnementale rapporte déjà aujourd’hui quelque 50 milliards d’euros. Mais la plus importante recette de cette fiscalité, c’est-à-dire la taxe intérieure sur les produits pétroliers, ou TIPP, ne sert aucunement la cause écologique : elle est reversée soit au budget général, soit aux collectivités locales pour leur permettre de faire face aux charges transférées au titre de la décentralisation.
Nous sommes partisans d’une rénovation de notre système de prélèvements fiscaux : il faudrait par exemple s’interroger sur le bien-fondé de la prise en charge par les collectivités des compétences transférées depuis la décentralisation « à la sauce Raffarin », mais également prévoir le transfert d’autres recettes fiscales pour favoriser cette éventuelle prise en charge.
Pourquoi ne pas décider dès 2010 de cette orientation nécessaire au retour à la cohérence et à l’équilibre des dépenses publiques ? Pourquoi ne pas faire de la collecte de la TIPP le moyen d’alimenter un fonds d’investissement écologique permettant, par exemple, de faciliter le financement des travaux pour rendre les logements anciens moins gourmands en énergie ou de développer la recherche sur l’utilisation d’alternative aux carburants pétroliers ?
Pour le moment, si nous nous en tenons à ce qui figure dans la presse, la taxe carbone, au motif de favoriser la préservation de l’environnement, risque avant tout de servir, d’une part, à compenser la réforme de la taxe professionnelle et, d’autre part, à augmenter le prix de l’essence et du chauffage pour les ménages les plus modestes. Cela revient à accroître les défauts inhérents à notre système de prélèvements obligatoires, qui sont trop fondés sur des dispositions régressives, pénalisant lourdement les plus modestes au bénéfice des plus aisés et des grandes entreprises.
Selon nous, une réorientation des finances publiques doit participer de ce nécessaire examen de l’état des lieux, de la mise en cause des choix fiscaux et sociaux adoptés ces dernières années et de la valorisation de choix budgétaires plus conformes à l’intérêt général.
Nous l’avons vu, l’état des lieux est particulièrement préoccupant : de 125 à 130 milliards d’euros de déficit en 2009 et sans doute pas beaucoup moins en 2010. Dans le rapport annexé, il est indiqué que le déficit public devrait encore atteindre de 7 à 7,5 points de PIB en 2010 et qu’il ne devrait baisser que d’un point en 2011 et d’un autre point en 2012.
En clair, nous devrions atteindre en 2012 un magnifique taux de déficit de 5,5 %, bien au-delà des limites autorisées par l’Union économique et monétaire, et un niveau de dette publique proche des 90 % du PIB.
Cette situation – faut-il le dire ? – justifie pleinement qu’on réfléchisse à la mise en place d’un emprunt obligatoire pour les entreprises comme pour les ménages les plus aisés, emprunt dont nous souhaiterions ici caractériser certains principes.
Une telle initiative ne serait pas nouvelle puisque le gouvernement de M. Mauroy, auquel participait M. Delors, avait fait adopter en 1983 un projet de loi d’habilitation, d’ailleurs rejeté par le Sénat de l’époque à la suite des conclusions du rapport de notre ancien collègue Maurice Blin. C’est sur la base de ce texte, devenu la loi du 22 avril 1983, qu’avait été prise l’ordonnance du 30 avril 1983 relative à l’émission d’un emprunt obligatoire.
Cet emprunt, souscrit auprès des contribuables de l’impôt sur les grandes fortunes et des ménages acquittant les plus importantes cotisations d’impôt sur le revenu, était assorti d’un taux actuariel de 11 % – l’inflation était à l’époque d’une autre nature qu’aujourd’hui ! –, et sa durée de remboursement avait été fixée à trois ans.
Compte tenu de la situation, nous devrions nous orienter vers les mêmes caractéristiques, à une nuance près : l’inflation devrait conduire à mettre en œuvre un emprunt obligatoire à taux nul ou quasi nul.
Nous devons également nous pencher sur la question de la dette des entreprises publiques, puisque la controverse née de la situation d’EDF semble bel et bien montrer la nécessité de pousser la réflexion sur le sujet.
Les entreprises publiques sont endettées, parfois de manière importante, et ne sont pas véritablement en situation de faire face aux exigences du développement futur de leur activité.
Il est manifeste que nous devons réfléchir à la mise en œuvre d’une vaste opération d’échange de titres de dette, transformant en dette complémentaire de l’État la dette des entreprises publiques, et permettant de délivrer ces dernières du fardeau de leurs charges financières.
Dans le même ordre d’idées, permettez-moi d’évoquer les problématiques européennes. Il est plus que temps que la Banque centrale européenne, plutôt que de délivrer des bons et des mauvais points aux élèves de la « classe euro », prenne une initiative forte pour aider au développement de chacun des pays de l’Union européenne.
La Banque centrale européenne, jouissant de la position dont elle bénéficie au regard des marchés financiers, doit souscrire un emprunt destiné, entre autres, à faire face aux dépenses d’infrastructure et d’équipement nécessaires à la cohésion du projet européen, singulièrement en matière d’infrastructures ferroviaires, d’infrastructures de transport ou de développement de l’économie numérique.
Il faut que M. Trichet mette enfin au service des États de l’Union européenne les moyens d’un développement économique peu coûteux, en levant ces ressources pour permettre aux États de mettre en œuvre leurs choix politiques.
Revue générale de la dépense fiscale, remise en question des choix opérés depuis 2007, emprunt obligatoire et gestion active de la dette publique : voilà quelques-unes des orientations que nous devrions privilégier.
Et il ne faut pas oublier la question de l’avenir de notre système de sécurité sociale, sur lequel plusieurs orateurs sont intervenus.
D’aucuns pourront toujours gloser sur l’allongement de la durée nécessaire pour ouvrir droit à la retraite ou sur la faiblesse du taux d’emploi des seniors ; mais en réalité, il faut le dire, les comptes sociaux sont aujourd'hui dans le rouge ! Tout comme les comptes de l’État, ils pâtissent de l’insuffisance des recettes liée à la dégradation de la situation économique.
En parallèle, les comptes de l’assurance chômage sont particulièrement dégradés.
Pour répondre à ces problèmes, le Gouvernement a conçu différentes solutions.
D’une part, il a fait adopter un projet de loi portant réforme de l’hôpital et relatif aux patients, à la santé et aux territoires, qui va conduire à la dégradation du service rendu, pour des économies de bout de chandelle.
D’autre part, il va tenter, avec le texte sur le devenir de la formation professionnelle, de faire main basse sur l’argent des salariés – celui de leurs cotisations – pour financer son propre désengagement en matière de préservation de l’emploi productif.
Avec un gouvernement qui a mis en place un fonds de soutien au secteur automobile payant les plans sociaux et un fonds stratégique d’investissement pour alimenter les opérations spéculatives de quelques entreprises, il faut s’attendre au pire !
Dans le champ de la protection sociale, il est temps que l’on s’interroge une bonne fois pour toutes sur les politiques d’allégement de cotisations sociales et leurs effets pervers, de la même manière qu’il faudra sans doute un jour prendre les mesures qui s’imposent contre les professionnels de médecine refusant les bénéficiaires de la CMU.
Tels sont tous les points que nous souhaitions ici soulever, en regrettant par avance – faut-il le répéter ? – que les choix désastreux ayant conduit les finances publiques au plus mal ne soient pas remis en cause. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Aymeri de Montesquiou.
M. Aymeri de Montesquiou. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les finances publiques, sujet complexe et technique, prennent, avec la crise internationale, une dimension politique essentielle. Ainsi, depuis plus de six mois, les débats budgétaires ne cessent de se succéder. Entre les rendez-vous traditionnels et ceux qui sont imposés par les turbulences de la crise, nous avons examiné pas moins de quatre projets de loi de finances rectificative depuis novembre dernier !
Aujourd’hui, nous tentons de préparer un budget pour 2010 dans un contexte d’une difficulté inconnue. En effet, jamais l’état de nos finances publiques n’a été aussi dégradé. Dans cette situation préoccupante, considérant la très faible visibilité à court, à moyen et à long terme, il est particulièrement ardu d’apporter des réponses.
La situation est particulièrement délicate, puisque, pour la première fois depuis 1945, notre pays devrait connaître cette année une croissance négative de 3 %. Espérons que cette dernière se hissera à 0,5 % en 2010. Compte tenu de tels déficits et de la baisse très forte des recettes fiscales, les marges de manœuvre du prochain exercice budgétaire seront quasi inexistantes. De plus, à la crise conjoncturelle se juxtapose une crise structurelle où un État boursouflé s’épuise à cacher son incapacité à s’adapter à un contexte mondial nouveau, tout en gérant une société conservatrice.
La cause principale de la crise est un endettement accéléré sur les dix dernières années. M. le rapporteur général, employant une image poétique qui souligne d’ailleurs l’apathie des gouvernements successifs, a évoqué le « monde étrange des déficits sans pleurs ». Dire que nous sommes le troisième État le plus endetté de la zone euro, avec une dette publique qui risque de se stabiliser à près de 100 points de PIB et un déficit public supérieur à 7 points de PIB, me semblerait cependant plus approprié pour décrire la réalité. Toujours est-il que le désendettement des acteurs économiques prendra beaucoup de temps.
L’État réalise des efforts, mais il est condamné à en faire encore davantage. L’effort ciblé et temporaire mis rapidement en place s’illustre par le plan de relance engagé par la France. Celui-ci est judicieusement axé sur les investissements. Néanmoins, quand serons-nous en mesure d’avoir un retour sur ceux-ci ? Contrairement à nos voisins, mais à l’instar de la Grande-Bretagne, nous avons orienté ce plan essentiellement sur l’année 2009. Les résultats en seront-ils plus rapidement perceptibles ?
Nous connaissons la difficulté de votre tâche, monsieur le ministre. Votre choix de privilégier l’investissement plutôt que la consommation fut de toute évidence le bon, malgré la forte augmentation du chômage.
La consommation se tient en raison des divers garde-fous sociaux et des différentes allocations que vous avez accordées aux ménages les plus fragiles. Au-delà de l’aspect social, celles-ci leur ont permis – espérons-le pour une majorité d’entre eux – de ne pas sombrer dans un découragement contagieux. Compte tenu de la forte propension de nos compatriotes à épargner – la Chine mise à part, la France constitue une exception dans l’économie mondiale avec un taux d’épargne de 15 % –, les ménages font face relativement bien à la crise. La TVA liée à la consommation représente 61 % de cette recette et résiste donc bien.
Il n’en va pas de même pour les recettes résultant de l’activité économique. Pour maintenir celle-ci, vous ne pouviez pas faire beaucoup plus que garantir les dépôts des ménages auprès des banques et inciter ces dernières, grâce à l’action des médiateurs, à tenir des lignes de crédit aux entreprises.
Les entreprises françaises sont en effet en mauvais état : elles perdent de leur compétitivité, elles suppriment des emplois et contribuent deux fois moins aux recettes de l’État dans le cadre de l’impôt sur les sociétés, dont les rentrées ont diminué de plus de 50 % en un an. On estime la baisse de leurs investissements à 9,4 % en 2009 et à 1,2 % en 2010 avec une chute de l’ordre d’un tiers des achats de logements neufs par les ménages.
La situation financière des collectivités est également en dégradation constante : à la fin de 2008, le déficit de ces dernières a atteint 7,5 milliards d’euros avec un endettement global de 113 milliards d’euros. Ce montant est certes faible en regard de l’endettement de l’État, qui s’élève à plus de 1 000 milliards d’euros. Néanmoins, avec le déficit des collectivités territoriales, c’est aussi l’endettement de la France qui augmente.
Le Premier président de la Cour des comptes a indiqué que la dette des administrations publiques locales représente environ 10 % de la dette publique. L’état des finances locales est d’autant plus inquiétant que, en 2008, nous avons assisté à une augmentation des dépenses et à un tassement des recettes de fonctionnement.
Les collectivités subissent d’importantes pertes de recettes en raison du ralentissement de l’activité immobilière, qui vient fortement réduire les droits de mutation – de 30 % à 40 % dans certains départements –, entraînant une sérieuse diminution des recettes. Quelle sera la situation à la fin de 2009 ? L’activité sur le marché immobilier restant faible, les droits de mutation le seront tout autant. Les recettes des collectivités diminueront et leurs dépenses sociales, qui concernent au premier plan les départements, exploseront.
La prochaine réforme de la taxe professionnelle, bien que souhaitée par les entreprises, doit impérativement faire l’objet d’une juste et intégrale compensation financière pour les collectivités territoriales. Dans ce domaine, le Sénat devra jouer son rôle. La compensation sera bien sûr versée par l’État, ce qui implique de trouver de nouvelles ressources évolutives sans porter atteinte au principe d’autonomie financière des collectivités.
Dans ce contexte de déficit, la question centrale reste donc celle des recettes fiscales. Comme je le soulignais hier, il est urgent de relancer leur dynamique, tant par les entreprises que par les ménages, sans alourdir l’impôt. Or nous avons fort peu de gisements de ressources. Le plus important reste celui des niches fiscales. Il en existe plus de 400 et nous évaluons le manque à gagner entre 50 et 70 milliards d’euros. Dans la mise en place de dispositions tendant à plafonner certaines de ces exceptions fiscales, un grand pas a été franchi l’année dernière avec la loi de finances pour 2009. Pour 2010, cette piste doit être poursuivie. Peut-on imaginer que l’on en récupère 50 % d’ici à la fin de la législature ?
Je dirai maintenant un mot de la fonction publique dans le cadre de la révision générale des politiques publiques, la RGPP. On estime l’économie réalisée avec le non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux à près de un milliard d’euros annuel, somme à laquelle s’ajoutent les dépenses de fonctionnement inhérentes aux postes. Je rappelle à nouveau les propos du Président de la République qui soulignait que l’État, en France, dépensait proportionnellement 150 milliards d’euros de plus que l’Allemagne sans que les citoyens s’en trouvent mieux servis.
Nous ne sommes pas un îlot de déficit dans un monde prospère. Les États-Unis ont des déficits publics situés entre 10 % et 13 % de leur PIB et l’épargne des ménages y est nulle, comme en Grande-Bretagne où l’épargne des entreprises est souvent négative.
Avec Jean de La Fontaine, je dirai : « Ils ne mourraient pas tous, mais tous étaient frappés » ! Un chômage dépassant les 10 %, une perte de recettes fiscales de 30 milliards d’euros, des droits de mutation en baisse de plus de 30 %... J’arrête là cette énumération. Ce paysage cataclysmique touche aujourd’hui tous les acteurs économiques, mais, demain, ces chiffres peuvent être inversés.
Soyons optimistes pour l’évolution de la crise. Imaginons que, en 2012, elle soit derrière nous et que les entreprises voient leurs carnets de commandes remplis, que l’immobilier soit relancé et que les droits de mutation suivent par conséquent, que les collectivités aillent mieux, que les Français consomment. Mais qu’en sera-t-il de l’État ? Comment fera-t-il face à une dette qui dépassera sans doute 80 % du PIB et à une charge induite augmentant en proportion ?
Le budget prépare l’avenir, mais pas uniquement à court terme. Le plan de relance s’inscrit dans le court, le moyen et le long terme. Monsieur le ministre, comment préparez-vous la sortie de crise ? Quand pouvons-nous escompter réintégrer les critères de Maastricht ? Y aura-t-il une action concertée des pays de la zone euro ? Y aura-t-il une initiative européenne ?
Toutes ces interrogations ont trait au moyen terme, mais on ne peut imaginer que les mesures prises aujourd’hui se résument à un sauve-qui-peut ; elles s’inscrivent dans le temps.
Suivons donc le conseil de Raymond Barre : « Un avenir, cela se façonne, un avenir cela se veut. » Demain se prépare aujourd’hui ! C’est en tout cas la certitude partagée par tous les membres du groupe du RDSE. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP.)
M. Jean-Jacques Jégou. Bravo !
M. le président. La parole est à M. François Marc.
M. François Marc. Monsieur le ministre, que nous réserve l’année 2010 sur le plan économique et financier ? Vos pronostics ne sont pas faits pour nous rassurer.
Vous avez parlé d’un taux de croissance terriblement comprimé. J’ai cru comprendre que la France serait moins réactive que l’Allemagne.
Vous avez évoqué un déficit de 130 milliards d’euros en 2009 et en 2010, sans oublier les 30 milliards d’euros de déficit des comptes sociaux, ce qui représente donc une somme gigantesque.
Vous avez aussi dit que la dette, dont le taux est aujourd’hui de 70 %, atteindra rapidement 80 %, voire 86 % en 2010, puis très vite 100 %. Si nous continuons sur le même rythme, nous serons à 130 % en 2020.
M. le président de la commission des finances a parlé de « vertige », d’ « asphyxie », et il a souligné à quel point la politique de communication du Gouvernement anesthésiait l’opinion. Nous partageons bien sûr cette façon de voir, même si nous souhaitons aller plus loin que lui dans l’analyse des responsabilités politiques.
De fait, la crise systémique apparue dans un premier temps dans la sphère bancaire frappe désormais tous les secteurs économiques. Notre inquiétude se porte évidemment sur la question du pouvoir d’achat et du chômage.
Nous n’oublions pas non plus la question vitale de l’environnement et du climat, qui impose de placer la conduite des politiques publiques, et donc de leurs financements, sous le signe du développement durable. Peut-on à cet égard parler de développement durable lorsqu’on laisse filer l’endettement comme le fait le Gouvernement ? Assurément non, mais j’y reviendrai.
C’est donc dans une situation tendue à l’extrême que s’inscrit la préparation du budget pour 2010. Le rapporteur général, Philippe Marini, parle ainsi de « la France en état d’apesanteur financière ».
Pourtant, malgré les risques qui pèsent sur l’avenir, et non content de poursuivre une politique budgétaire dangereuse, le Gouvernement s’autorise à lancer des réformes hasardeuses dont l’impréparation le dispute à la démagogie. Il en va ainsi de la réforme territoriale, dont nous avons bien compris qu’elle a surtout vocation à renforcer le poids du parti présidentiel. C’est également le cas de la suppression de la taxe professionnelle, qui conduira inévitablement à l’étouffement financier des collectivités locales.
Complètement désarçonné par la crise financière, le Gouvernement abuse des effets d’annonce, comme, par exemple, le « grand emprunt » annoncé à Versailles par le chef de l’État sans qu’il y ait eu au préalable la moindre réflexion sur le montant, le taux, la durée et encore moins l’usage ! À ce jour, une chose est sûre : faute d’avoir clairement expliqué aux Français le sens de cet emprunt, le Gouvernement l’a d’ores et déjà rendu impopulaire à 82 % de nos concitoyens, si l’on en croit un récent sondage.
Monsieur le ministre, en 2010, la situation économique et financière sera très difficile en France comme dans la plupart des autres grands pays ; chacun ici en convient. Il est incontestable que les marges de manœuvre seront très étroites pour les gouvernants. Raison de plus pour veiller à appliquer la bonne politique au bon moment de manière à préparer au mieux l’avenir de notre pays ! À cet égard, je suis véritablement inquiet ! En effet, comme beaucoup de mes collègues sénateurs, de tous bords d’ailleurs, j’ai le sentiment que la politique de recette conduite en France depuis 2002 mène à une véritable catastrophe !
Nous avons le sentiment, monsieur le ministre, que vous vous trompez lourdement dans votre politique fiscale. J’aimerais ici vous le démontrer, de façon à vous convaincre de changer profondément vos orientations budgétaires pour 2010. En effet, l’état calamiteux de nos finances publiques provient fondamentalement non pas seulement de la crise mais aussi, en grande partie, de votre mauvaise politique de recettes.
La Cour des comptes ne dit d’ailleurs pas autre chose. Dans son rapport sur l’exécution du budget 2008, la juridiction financière insiste sur le fait que la dégradation des comptes publics n’a été provoquée qu’à la marge par la crise, qui représente seulement 4 milliards d'euros de moins-values fiscales, alors que le Gouvernement a accordé, dans le même temps, 7,8 milliards d'euros de nouveaux cadeaux fiscaux pour la seule année 2008.
Ces cadeaux fiscaux, cumulés à ceux des années précédentes, portent le montant total des dégrèvements et remboursements d’impôt à 92,2 milliards d'euros ! Ce chiffre, qui paraît presque incroyable, fait véritablement froid dans le dos !
Il est vrai que cette stratégie n’est pas nouvelle. Nous l’avons vu apparaître dès 2002, avec le gouvernement Raffarin, avant d’être poursuivie par M. de Villepin, notamment au travers de son fameux « bouclier fiscal ».
Les effets néfastes étaient tels que, à peine M. Sarkozy élu, Mme Lagarde appelait de ses vœux un plan de rigueur, avant d’être tancée par l’Élysée. Puis ce fut au tour de M. Fillon d’indiquer que les caisses de l’État étaient vides et que la France était en « faillite ». Malheureusement, ce constat lucide ne l’a pas empêché d’appliquer les consignes de l’Élysée, tout en accentuant les choix de ses prédécesseurs ; la loi TEPA et son paquet fiscal, adoptés en 2007, ont ainsi coûté au budget général 3,3 milliards d'euros en 2008.
Ces mesures ne sont pas seulement dispendieuses, elles portent aussi, à nos yeux, gravement atteinte au principe de progressivité de l’impôt.
Rappelons en effet que la loi TEPA a introduit une quasi-suppression des droits de succession, l’exonération d’impôt sur le revenu des heures supplémentaires, la déduction de 75 % du montant de l’ISF pour certains investisseurs et, pour couronner le tout, elle a abaissé le bouclier fiscal à 50% ! Ajoutez-y des restitutions d’impôt sur les sociétés et de TVA, coûtant au total 9,5 milliards d'euros en 2008, et vous obtenez une situation explosive au profit des contribuables favorisés.
Dans son rapport de juin 2009, la Cour des comptes pointe « un mouvement ancien d’allégements fiscaux ». Les magistrats de la rue Cambon relèvent en effet que la baisse des impôts de l’État depuis quatre ans a contribué à accroître le déficit de 39 milliards d'euros en 2009. Pis, le déficit structurel s’aggravera en 2010 à cause de la baisse de la TVA sur la restauration, qui coûtera au moins 2,5 milliards d'euros,…