M. Michel Sergent. Eh oui !
M. François Marc. …à laquelle s’ajoutera une charge résiduelle d’au moins 6 milliards d'euros due à la future compensation de la taxe professionnelle.
Lors de son audition au Sénat, M. Séguin estimait qu’il était urgent de trouver 70 milliards d'euros d’économies pour endiguer le déficit structurel. Nul doute que ces 39 milliards d'euros gaspillés indûment y contribueraient efficacement !
Il est aussi possible de chercher du côté des niches fiscales, car ces exonérations, déductions ou réductions diverses occupent aujourd'hui une place considérable dans les politiques publiques. Leur nombre a été estimé en 2008 à 483, soit un manque-à-gagner pour l’État de 73 milliards d'euros, ou 27 % des dépenses et 21 % des recettes fiscales. La perte de recettes qu’elles génèrent s’élève au total à 3,8 % du PIB. Or, malgré les critiques unanimes, une quinzaine de niches fiscales sont créées chaque année.
Si l’on additionne les 39 milliards d'euros d’allégements et les 73 milliards d'euros de niches fiscales, mes chers collègues, on aboutit à un total de 112 milliards d'euros, que l’on peut aisément rapprocher du déficit annoncé pour 2009. C’est un chiffre effrayant à lui seul, et le constat est accablant.
Néanmoins, il y a plus grave, me semble-t-il. En effet, si la politique menée par le Gouvernement avait un sens sur le plan économique, si elle était efficace et produisait des effets positifs, nous pourrions, même en désaccord sur la perception des choses, convenir de ses bienfaits. Mais en l’occurrence, c’est loin d’être le cas, car cette politique fondée sur un a priori idéologique, sur une certaine doctrine de l’offre, révèle ses limites.
Quelles intentions et quelle stratégie nous a-t-on annoncées ? Depuis 2003, on nous disait qu’il fallait moderniser l’État devenu impotent, baisser les prélèvements pour libérer les énergies, attirer les investisseurs afin de retrouver le chemin de la croissance. Le Gouvernement affirmait que la politique fiscale et sociale de la France était un fardeau pénalisant et qu’il fallait mettre fin à l’exode des capitaux pour une fiscalité attrayante.
Cette promesse faite par M. Sarkozy devant l’université d’été du MEDEF en 2007 est sans doute le péché originel de toute la politique économique menée depuis deux ans. Ce que l’un de nos collègues, sur les travées de l’UMP, qualifiait de « cocktail gagnant » s’est conclu par un échec cuisant qui n’a aucunement rendu plus compétitif le territoire national.
Ces baisses d’impôt avaient vocation à améliorer la croissance. Qu’en est-il aujourd'hui ? Les choses sont simples : le taux de croissance de la France, qui était au début des années 2000 supérieur à la moyenne européenne, est aujourd'hui inférieur à celle-ci. Les baisses d’impôt n’ont donc pas du tout produit les effets escomptés.
À ce sujet, une étude récente sur le comportement des contribuables dits « à fort potentiel économique », autrement dit les riches, montre que ceux-ci orientent leurs placements vers la rente – livrets, assurance-vie, immobilier – plutôt que vers l’investissement productif, forcément risqué. Un quotidien économique ne titrait-il pas récemment, monsieur le ministre : « Même les riches ont "le blues" » ? Ces derniers ne croient en effet plus à la politique économique du Gouvernement.
Le deuxième objectif visé était de rendre de la compétitivité à notre pays. « La France a une situation calamiteuse sur le plan fiscal, nous disait-on ; il faut attirer les investissements et empêcher que ne fuient à l’étranger un certain nombre d’investisseurs ».
À vrai dire, si l’on se fie aux études comparatives internationales – la dernière en date, celle d’Ernst & Young présentée récemment en commission des finances, l’établit clairement –, la fiscalité n’est en rien un argument dissuasif pour l’investissement et les choix d’implantation des investisseurs.
La situation est donc catastrophique, avec un déficit considérable, et le Gouvernement s’échine à poursuivre une politique qui ne produit pas les effets annoncés !
La situation de la dette mérite que l’on s’y penche sérieusement. En vingt-cinq ans, elle n’a cessé de croître, à l’exception d’une courte embellie de 1997 à 2002, quand la gauche gouvernait. À ce rythme, la dette devrait atteindre 86 % en 2010, puis 100 %, voire 130 % en 2020. Actuellement, un montant équivalent au produit de l’impôt sur le revenu est avalé par le remboursement des intérêts, qui représente 2 000 euros par actif ! Il faudra bientôt parler non plus d’effet boule-de-neige, mais d’un risque d’avalanche de niveau 5 !
Cette dette, aussi pharaonique soit-elle, aurait pu servir à préparer la France du XXIe siècle par des investissements dans les infrastructures utiles, dans la connaissance, la recherche et l’innovation. Malheureusement, le sous-investissement récurrent dans ces domaines mine les fondations du pays, notamment l’industrie et l’enseignement supérieur. Et ce n’est pas votre plan de relance qui a changé cet état de fait !
La dette provoque aussi des tensions sur la trésorerie de l’État, obligé de se financer sur les marchés.
Nous savons tous que cette situation dans laquelle vous avez mis la France depuis 2002 est impossible à tenir. Il faudra tôt ou tard relever les prélèvements obligatoires et réduire les dépenses. Deux voies s’offrent à vous : ou bien vous abrogez les privilèges consentis à quelques-uns, ou bien vous lancez un plan de rigueur en cassant le service public et la protection sociale.
Pour notre part, nous pensons que le plus urgent est de retrouver une politique de recettes conforme à l’idéal républicain de solidarité, en réhabilitant l’impôt progressif. Monsieur le ministre, vous êtes en quelque sorte au pied du mur : vous devez changer au plus vite de cap pour ne pas entrer dans les manuels d’histoire comme le ministre d’un gouvernement ayant causé la banqueroute de notre pays ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Mme Brigitte Bout. Oh ! là ! là !
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Fourcade.
M. Jean-Pierre Fourcade. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, n’oublions pas que nous traversons une crise profonde ! Dans une telle situation, la définition d’une ligne claire pour orienter les finances publiques est d’autant plus nécessaire que l’année 2009 va connaître un recul historique de notre produit intérieur brut, associé à un déficit budgétaire de l’ordre de 7 % du PIB et à un endettement record dépassant 1 400 milliards d’euros.
Monsieur le ministre, vous avez précisé, avec l’honnêteté et le talent qui vous caractérisent, les perspectives de l’année prochaine.
Je voudrais rappeler, notamment à MM. Marc et Foucaud que je viens d’écouter avec intérêt, que le Président de la République, dans le discours qu’il a prononcé à Versailles, a clairement reconnu que la France avait un problème de finances publiques.
Mme Nathalie Goulet. Ah !
Mme Nicole Bricq. Il était temps de le reconnaître !
M. Jean-Pierre Fourcade. Il a esquissé la théorie des trois déficits : le mauvais déficit qu’il faut ramener à zéro ; le déficit conjoncturel qu’il faudra résorber en y consacrant l’intégralité des recettes de la croissance ; enfin, le déficit qui finance les dépenses d’avenir. À cet égard, il a annoncé le lancement d’un emprunt affecté exclusivement à des priorités stratégiques que plusieurs commissions vont déterminer.
J’approuve ce discours ainsi que le recours à un emprunt, mais celui-ci ne peut être une simple addition à la dette actuelle. Mes chers collègues, cet emprunt doit marquer une rupture, et c’est dans cette perspective que s’inscrit mon intervention. J’estime en effet qu’il n’est pas possible de laisser dériver plus longtemps les finances publiques de notre pays et que nous devons donner dès le budget de 2010un signal à tous ceux qui nous observent.
S’il est facile d’expliquer pourquoi il faut entreprendre de réduire le déficit budgétaire, il sera plus difficile d’expliquer comment nous devons le faire. Je vais m’y employer.
Pourquoi faut-il réduire le déficit des finances publiques ? Pour trois raisons.
D’abord, les déficits de l’État et de la sécurité sociale engendrent un endettement public qui va, cette année, atteindre 80 % du PIB et nécessitent une charge financière de l’ordre de 50 milliards d’euros, soit l’équivalent de l’impôt sur le revenu. Cette charge, déjà lourde en période de taux de crédit relativement faibles, risque de devenir insupportable si les taux augmentent. De plus, n’oublions pas que près de 10 % de la dette de l’État est portée par des obligations du Trésor indexées sur l’inflation. Nous avons mesuré en 2008, à concurrence de plusieurs milliards d’euros, les conséquences de cette indexation.
Ensuite, ce déficit chronique détériore nos relations avec nos partenaires de l’euro et risque de remettre en cause l’euro lui-même. Certes, le danger n’est pas encore perceptible, car le marché financier international accueille favorablement nos emprunts à court, à moyen et à long terme ; mais la Cour des comptes, dans son rapport, évoque le risque d’explosion de la dette. Chacun se souvient de la crise financière de l’année dernière : tout peut arriver très vite dans le cas d’une crise financière et les marchés peuvent se fermer sans préavis.
Enfin, et c’est la raison qui me paraît la plus importante, la mauvaise situation de nos finances publiques et plus particulièrement le déficit du régime général de la sécurité sociale, longuement évoqué par Mme Dini et M. Vasselle, créent une divergence grave avec notre principal partenaire européen, l’Allemagne. Le bon fonctionnement du couple franco-allemand est, on le sait, nécessaire à la poursuite de la construction européenne. Or, le gouvernement allemand vient de s’engager avant les élections – c’est courageux de sa part – dans la voie d’une réduction programmée de son déficit budgétaire : 6 % du PIB en 2010, 5 % en 2011 et 4 % en 2012.
Il n’est donc pas envisageable d’accroître la dette actuelle avec un grand emprunt national sans mettre à profit cette émission pour entamer, nous aussi, une réduction programmée de notre déficit, en préalable à la stabilisation de l’endettement. Il nous faudra bien nous résoudre à engager une telle réduction dès que la crise économique sera en voie de résorption.
J’en viens à ma seconde question, la plus difficile : comment amorcer la réduction du déficit dès 2010 ?
M. Jean-Jacques Jégou. Tout un programme !
M. Jean-Pierre Fourcade. Je ne sous-estime pas, monsieur le ministre, les efforts entrepris par le Gouvernement depuis le début de la crise : réduction des effectifs de la fonction publique – décision courageuse, contestée par tout le monde –, maîtrise de la croissance des dépenses de l’État – contestée par tous ceux qui dépensent –, révision générale des politiques publiques – révision qui n’a pas encore porté tous ses fruits –, diversification des modalités de financement du Trésor. Je n’aurai garde de proposer des impôts supplémentaires, à l’exception toutefois de la contribution climat-énergie.
Toutefois, mes chers collègues, je suis quelque peu perturbé par le fait que, alors qu’on nous dit que tout le monde doit consentir les efforts nécessaires pour sortir de la crise, seuls les travailleurs privés d’emploi et les jeunes dans l’impossibilité d’en trouver un supportent aujourd'hui les conséquences de cette crise. Nos autres concitoyens se contentent de les observer, parfois avec compassion, souvent avec indifférence, comme si le retour de la croissance à partir de 2011 devait nous dispenser de tout effort et de toute réforme.
Monsieur le ministre, alors que, dans son rapport préalable à notre débat, la Cour des comptes prévoit que le déficit public sera encore supérieur à 6 % du PIB en 2012, il me paraît possible d’engager dès maintenant un processus de réduction du déficit analogue à celui que nos voisins d’outre-Rhin mettent en œuvre. Ce dernier vise, en taillant dans les dépenses inutiles ou répétitives, à faire passer leur déficit public de 7 % du PIB en 2009 à 4 % en 2012.
Trois secteurs doivent faire l’objet de soins particuliers. Le premier est celui des dégrèvements – le budget le plus important de l’État –, qui représentent 90 milliards d’euros, soit 73 milliards d’euros pour l’État et 17 milliards d’euros pour les collectivités locales. Le deuxième secteur est celui des dépenses fiscales, soit 69 milliards d’euros. Enfin, le troisième secteur est celui des allégements de charges sociales, à hauteur de quelque 40 milliards d’euros. L’ensemble de ces secteurs représente au total une masse de l’ordre de 200 milliards d’euros.
L’objectif pour 2010 est d’économiser 20 milliards d’euros, soit un point de PIB, le fameux point qui nous permettrait de réduire le déficit de 7 % à 6 % du PIB.
Les exemples de ce qui pourrait être entrepris sont nombreux, mais je me contenterai de n’en citer que quelques-uns, monsieur le ministre.
Certains programmes d’allégements fiscaux pourraient être suspendus (Mme Nicole Bricq s’exclame.), par exemple les dépenses fiscales du programme « Épargne », qui représentent un manque à gagner de 5,8 milliards d’euros en 2008.
Le seuil d’exonération en matière d’allégements de charges sociales pourrait être réduit. L’abaisser à 1,4 SMIC ou à 1,3 SMIC rapporterait de 6 milliards à 7 milliards d’euros.
On pourrait également développer le financement de la dette en jouant davantage sur le court terme, comme nous l’avons vu hier, …
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Eh oui !
M. Jean-Pierre Fourcade. … ce qui représenterait un gain de 2 milliards à 3 milliards d’euros.
On pourrait aussi, à l’occasion de l’emprunt national de 20 milliards, 30 milliards ou 40 milliards d’euros que l’État s’apprête à lancer pour financer les priorités d’avenir, ressusciter l’activité de la Caisse de la dette publique, organisme qui ne sert pas à grand-chose aujourd'hui – mais loin de moi l’idée d’attaquer ses honorables membres ! Cette caisse pourrait porter cet emprunt, le produit de la taxe climat-énergie pouvant lui être affecté pour l’amortir. Ce serait là une bonne façon d’utiliser le produit de cette taxe.
Mme Nicole Bricq. L’argument est simpliste !
M. Jean-Pierre Fourcade. Par ailleurs, l’examen des dégrèvements et des niches fiscales et sociales nous permettrait sans doute de gagner un autre point de PIB en 2011, lorsque les recettes fiscales seront de nouveau plus solides et permettront de réduire un peu le déficit.
Si vous persévérez dans la maîtrise de la dépense, comme vous nous en avez donné l’assurance, monsieur le ministre, et si vous fixez des plafonds à l’ensemble des administrations dans une loi pluriannuelle, nous pourrons alors gagner un point en 2011 et un point en 2012.
Parviendrons-nous à revenir à un déficit de 3 % du PIB en 2013 ? Nul ne peut le savoir aujourd'hui. Cela dépendra de la conjoncture. Je ne pense pas que l’on puisse réduire le déficit de plus de 1 % du PIB par an, mais nous devons nous y efforcer, afin d’envoyer ainsi un signal à nos partenaires et de nous engager dans la voie de la stabilisation de notre endettement.
Il ne s’agit là bien évidemment que de pistes de réflexion. Il conviendra ensuite, avec le président et les membres de la commission des finances, d’examiner chacune de ces niches sociales et fiscales, ainsi que chacun des dégrèvements.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Évidemment !
M. Jean-Pierre Fourcade. En conclusion, monsieur le ministre, comme l’a rappelé tout à l’heure M. le président de la commission des finances, j’ai été le dernier ministre de l’économie et des finances à présenter un budget en équilibre, celui de 1975.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Quel bonheur !
M. Jean-Pierre Fourcade. Je rappelle que, cette année-là, la dette publique représentait 13 % du PIB.
M. Jean-Jacques Jégou. Autres temps, autres mœurs !
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Eh oui !
M. Jean-Pierre Fourcade. Je m’étais alors fait tancer très vivement par Fernand Icart, alors président de la commission des finances de l’Assemblée nationale – il fut d’ailleurs mon successeur au ministère de l’équipement et de l’aménagement du territoire –, qui trouvait dramatique que la dette de l’État passe de 9 % à 13 % du PIB ! (Sourires.) C’était à l’époque une critique très sévère. Les temps ont changé !
Monsieur le ministre, loin de moi l’intention de sous-estimer la qualité du travail que vous effectuez, l’honnêteté avec laquelle vous traitez ces différents sujets et l’effort que vous faites pour tenter de résorber notre déficit, qui représente un poids considérable ; mais je me dois de dire clairement dès aujourd'hui que je ne pourrai pas voter le projet de loi de finances pour 2010 s’il ne marque pas le début de la réduction du déficit et donc de l’endettement de notre pays.
Mme Nicole Bricq. On s’en souviendra !
M. Jean-Pierre Fourcade. Le moment est venu d’agir. Je pense qu’un certain nombre de mes collègues partagent mon sentiment : nous ne pouvons plus nous laisser aller à la dérive ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. François Rebsamen.
M. François Rebsamen. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je viens d’écouter avec intérêt M. Jean-Pierre Fourcade. Mais, mon cher collègue, cessez donc de voter tous les jours des diminutions de nos ressources fiscales, car c’est bien à cela que nous sommes confrontés !
Le Sénat siège aujourd’hui en session extraordinaire– c’est une pratique devenue habituelle pour notre assemblée – pour débattre des orientations des finances publiques pour 2010.
Il est une autre habitude, monsieur le ministre : nous débattons bien sûr sans connaître toutes les conséquences budgétaires des décisions des conseillers du Président de la République ! Peut-être d’ailleurs ne les connaissez-vous pas encore vous-même ? C’est le tonneau des Danaïdes !
Est-il besoin de rappeler que nous avions élaboré voilà à peine sept mois un projet de loi de finances pour 2009 alors même que le Président de la République annonçait de façon concomitante un plan de relance aux conséquences forcément réelles pour les finances publiques ?
Aujourd’hui, nous débattons des orientations des finances publiques pour l’année 2010 alors même que les modalités de la révision de la fiscalité locale ne sont pas actées et que l’on ne connaît rien du projet de grand emprunt national annoncé en grande pompe à Versailles par le Président de la République.
Le Premier président de la Cour des comptes, lors de son audition le 24 juin dernier, avouait n’avoir aucune information sur le montant, les modalités ou la destination de ce grand emprunt, que le Président de la République lui-même avait pourtant écarté quelques mois auparavant. Comprenne qui pourra !
Les Français – cela fera plaisir au président de la commission des finances – sont, si l’on en croit le baromètre BVA-Les Échos, bien plus informés qu’on ne le pense sur l’état de nos finances publiques. Près de 55 % d’entre eux ne soutiennent pas le lancement en 2010 d’un grand emprunt national pour financer les dépenses dites « d’avenir ». Ils ont bien compris que cet emprunt n’avait pour autre vocation que de différer après 2012 un certain nombre de mesures nécessaires !
Mme Nicole Bricq. Il s’agit de faire diversion !
M. François Rebsamen. Il s’agit en effet de faire diversion.
La communication politique du Président de la République et du Gouvernement a beau se déployer comme jamais, nous savons bien que, depuis plusieurs années – cela a été déjà dit par nombre de nos collègues, notamment François Marc –, la baisse de la fiscalité des ménages les plus aisés – grâce à la multiplication des niches fiscales, conjuguée à de nouvelles mesures, telles la réduction du taux de TVA sur la restauration ou la suppression annoncée de la taxe professionnelle – diminue les ressources fiscales de l’État et augmente l’effet de ciseau entre les recettes et les dépenses.
Le Premier président de la Cour des comptes estime ainsi que l’adoption de la loi en faveur du travail, de l’emploi et du pouvoir d’achat et le dégrèvement actuel de la taxe professionnelle – je ne parle pas du dégrèvement à venir – ont entraîné une diminution des ressources publiques de près de 10 milliards d’euros.
Aujourd’hui, alors même que la crise sévit, que le taux de chômage enfle, les collectivités locales assument, aux côtés de l’État, un double rôle, celui d’investisseur public et celui d’amortisseur social.
Il n’est pas loin le temps – un an à peine – où le Gouvernement ne cessait de pointer du doigt les dépenses des collectivités locales, qu’il accusait d’être les seules responsables des déficits. Depuis qu’il a pris conscience de la crise qui frappe notre pays, le Gouvernement a redécouvert le caractère vertueux de leurs dépenses d’investissement – elles représentent, comme chacun le sait, près de 75 % de l’investissement public total – et a signé avec près de 20 000 d’entre elles, dans le cadre du pacte de relance, une convention portant augmentation de leurs investissements en contrepartie d’un remboursement anticipé de TVA.
À cet égard, il est regrettable qu’aucune mesure d’encouragement à l’investissement n’ait été mise en œuvre en faveur des établissements publics de coopération intercommunale, les EPCI – la commission des finances avait pourtant fait des propositions en ce sens –, alors qu’ils sont bien souvent aujourd’hui les relais de nos communes en matière d’investissement public local.
Les EPCI à taxe professionnelle unique, les départements et les régions ont récemment appris par le Président de la République que la taxe professionnelle serait supprimée à la fin de l’année 2009 – ils ne savent toujours pas aujourd'hui par quoi elle sera remplacée –, ce qui creusera encore le déficit de l’État, déjà qualifié par tous d’abyssal, de 10 milliards ou 11 milliards d’euros supplémentaires, nul ne le sait exactement.
Avouez, mes chers collègues, que ces éléments sont de nature à inquiéter les excellents gestionnaires que sont dans leur très vaste majorité les élus locaux. Dans une période où, crise oblige, les collectivités locales ont besoin de visibilité pour investir de manière soutenue, c’est là, selon moi, une rupture du pacte de confiance qui doit les unir à l’État. Et je n’évoquerai pas, car ce n’est pas le moment, le souhait du Président de la République de diviser par deux le nombre d’élus départementaux et régionaux, ce qui ajoute encore à la confusion.
Quand on sait la bonne image que les Français ont de leurs élus locaux, quand on sait à quel point l’excellence de ces derniers est reconnue par nos concitoyens, qui apprécient leur proximité et l’efficacité des politiques menées et des services offerts, je souhaite bien du plaisir à ceux qui défendront une réforme que l’on ne peut que qualifier d’électoraliste et de populiste !
Nous pensons que les collectivités locales sont de meilleures gestionnaires que l’État, qu’elles investissent plus dans les domaines de compétences transférées, comme on l’a vu, par exemple, avec les lycées, les collèges et les TER. Nous ne laisserons donc personne les disqualifier, comme on a tenté de le faire en les accusant d’augmenter les impôts et les dettes.
D’ailleurs, c’est vers ces mêmes collectivités locales que les Français se tournent en dernier recours lorsque tout va mal. Les fonds d’aide des conseils généraux ou les secours apportés par les centres communaux d’action sociale, ou CCAS, jouent un rôle d’amortisseur social.
Par conséquent, nous ne pouvons pas, me semble-t-il, supprimer la taxe professionnelle sans jeter les bases – c’est le cas de le dire – d’une fiscalité locale plus juste et d’une véritable autonomie fiscale.
Les transferts de compétences n’étant que partiellement compensés, la croissance des dépenses locales est plus forte que celle des dépenses de l’État. Cela se traduit par un déplacement de pression fiscale de l’État vers les collectivités locales. Se pose donc la question de la réforme des impôts locaux attendue depuis des années.
Monsieur le ministre, lorsque je vous avais interrogé sur la réforme des bases, vous m’aviez indiqué qu’une concertation était engagée, en liaison avec la suppression de la taxe professionnelle. Nous voulons savoir où cela en est aujourd'hui.
Par comparaison avec d’autres réformes extrêmement coûteuses pour les finances publiques, notamment la baisse de la TVA sur la restauration, l’effort de péréquation du Gouvernement est dérisoire. En exerçant une contrainte sur l’évolution de la DGF – la norme de croissance de l’enveloppe globale des dotations est chaque année plus restrictive –, l’État se défausse de ses responsabilités en la matière.
Chacun le comprend, les collectivités locales ont besoin de recettes dynamiques, mais également de prévisibilité financière et de lisibilité. Or cette exigence n’est plus satisfaite aujourd'hui. Il est donc temps, me semble-t-il, que le Gouvernement cesse de considérer les finances locales comme une variable d’ajustement du budget de l’État.
Faute d’une prise de conscience de l’ampleur des difficultés, la crise des collectivités risque de venir aggraver la situation économique nationale soit par une hausse obligatoire ou inéluctable des impôts locaux et de l’endettement, soit par une panne de l’investissement local.
Comment dès lors réinstaurer une véritable confiance ? Nous pensons que l’État serait bien inspiré de s’appuyer sur le dynamisme local, au lieu de l’étouffer. Ne pas aggraver la situation pour 2010 relèverait du bon sens, et l’améliorer serait conforme à l’intérêt national.
À mon sens, le Gouvernement devrait comprendre que la concertation avec les collectivités locales est un bienfait, et non une contrainte. En effet, au lieu de « travailler plus pour gagner plus », les Français devront bientôt « payer plus pour rembourser plus » ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Jégou.
M. Jean-Jacques Jégou. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le débat d’orientation budgétaire pour 2010 nous amène à examiner l’état actuel de nos finances publiques, ainsi que les perspectives à venir et les orientations du Gouvernement.
Le Premier président de la Cour des comptes a présenté devant la commission des finances des perspectives inquiétantes non seulement pour les finances publiques et sociales, mais également pour la croissance de demain et la sortie de crise.
Ce débat est aussi l’occasion de nous assurer que la politique budgétaire suivie par le Gouvernement prépare notre pays à sortir de la crise : elle doit non seulement accompagner la reprise, mais également favoriser la croissance de long terme tout en consolidant la « soutenabilité » de nos finances publiques.
Certes, personne ne peut nier que nous vivons une situation exceptionnelle, la pire crise économique depuis la libération, avec une récession de près de 3 % en 2009. Mais ayons l’honnêteté de reconnaître que la situation de nos comptes publics était dégradée avant même que la crise ne produise ses effets ! La Cour des comptes, qui réclame justement un effort de vérité accru sur l’état de nos finances publiques, vient d’établir clairement que nous assistons à une accélération de la dégradation des déficits depuis 2007. Ainsi, le déficit de l’État s’est aggravé en 2007, alors que la croissance était de 2,3 %, et il a augmenté de 47 % en 2008. La crise n’explique donc pas à elle seule l’aggravation des déficits.
Nous devrions regarder courageusement nos propres insuffisances. Nous payons aujourd’hui le laxisme budgétaire dont les gouvernements successifs ont fait preuve depuis des années. Et nous le payons cher, car notre pays, en entrant dans la crise avec des comptes dégradés, n’a pas pu consacrer autant de moyens que ses voisins aux actions du plan de relance.
S’agissant des perspectives budgétaires pour 2010, personne ne sait vraiment aujourd’hui quel sera l’état de l’économie mondiale et quelles seront les répercussions de la crise mondiale à cette date. Pour ma part, je pense que nous devons nous attendre à une sortie de crise lente.
L’hypothèse de croissance retenue par le Gouvernement pour construire le budget pour 2010, c'est-à-dire 0,5 %, doit nous inciter à la prudence sur le niveau des recettes fiscales pour l’année prochaine. Celles-ci sont en forte baisse, en recul de 20 % au 30 avril dernier par rapport à la même période en 2008, alors que le volume des dépenses reste stable.
Monsieur le ministre, notre débat a lieu dans un contexte incertain, comme vous l’avez d’ailleurs vous-même reconnu. Où en est le projet du Gouvernement de suppression de la taxe professionnelle, qu’il faudra bien compenser ? Quid de la taxe carbone, qu’un membre éminent du Gouvernement veut déjà rembourser aux Français sous la forme de « chèques verts » ? Voilà autant de recettes incertaines pour le budget 2010. Dans ces conditions, il est illusoire d’imaginer réduire le déficit.
En effet, Philippe Séguin, a fait une description détaillée et alarmiste, mais malheureusement réaliste, de la situation des comptes de l’État. Le déficit budgétaire « tangente » les 140 milliards d’euros, soit 7,5% du PIB, et la dette atteint 1 327 milliards d’euros, ce qui représentera 80 % du PIB à la fin de l’année 2010.
La situation des comptes sociaux est tout aussi préoccupante, puisque l’on prévoit 25 milliards, voire 30 milliards d’euros de déficit pour 2009. Nous devons nous attendre à ce que ce dernier se creuse encore davantage : l’aggravation du chômage et la contraction de la masse salariale qui en découle réduiront de fait les recettes, alors que les dépenses augmenteront.
Il s’agit malheureusement non pas d’un déficit conjoncturel, mais bien d’une insuffisance de recettes structurelles de nos dépenses sociales, que ce soit en matière de santé ou de vieillesse. Je ne m’étendrai pas sur le sujet, Mme Dini, présidente de la commission des affaires sociales, et M. Alain Vasselle, rapporteur général de la commission des affaires sociales, ayant été très clairs.