M. Jean-Pierre Sueur. … et pour les compensations, ou plutôt les non-compensations, qui s’appliqueront à un nombre important de salariés qui seraient incités à travailler le dimanche.
Ensuite, monsieur le ministre, je voudrais revenir sur certaines de vos déclarations. J’ai promis à un habitant de mon département, qui m’a écrit, de vous poser la question. Intervenant sur une station de radio, voilà quelques jours, vous avez déclaré que la gauche avait un problème avec le travail.
M. Jean-Pierre Sueur. La lecture des débats qui ont eu lieu dans cet hémicycle et à l’Assemblée nationale depuis quelques décennies montre bien qui défend les travailleurs et les salariés dans ce pays ! (Bravo ! sur les travées du groupe socialiste.)
M. Nicolas About. Vous n’avez pas le monopole du cœur !
M. Jean-Pierre Sueur. En outre, monsieur le ministre, je m’interroge sur la cohérence intellectuelle de vos diverses prises de position.
Vous avez cru devoir soutenir, lorsque vous étiez ministre de l’éducation nationale, une disposition qui a eu pour effet de réduire le temps scolaire. Les enfants, dans les écoles élémentaires de notre pays, ont moins d’heures de cours qu’auparavant, et vous nous avez dit que c’était une bonne chose. Certes, un soutien est organisé.
Il est vrai que l’école le samedi est une question de société, mais les solutions ne manquent pas pour que les enfants bénéficient d’autant d’heures de scolarité que précédemment. Pour ceux qui n’ont pas l’environnement familial des familles aisées, qui vivent dans des familles en difficulté, l’école et elle seule, vous le savez très bien, permet la promotion sociale.
Quelle est la cohérence d’un ministre qui soutenait hier que les élèves ne devaient absolument pas travailler le samedi et qui affirme, quelques mois plus tard, que les adultes doivent travailler le dimanche en plus grand nombre ? Quelle est la logique, monsieur le ministre ? Quel est votre rapport au travail ? Que pensez-vous réellement ? Ne défendez-vous pas, dans l’incohérence intellectuelle la plus totale, des choses qui n’ont pas de rapport les unes avec les autres ?
Si, en définitive, vous voulez banaliser le fait que les parents travaillent du matin au soir le dimanche, en quoi est-ce un projet de société digne d’être défendu ?
L’histoire nous enseigne que toutes les civilisations, toutes les sociétés humanistes ont respecté un certain nombre de rythmes.
M. Jean Desessard. C’est vrai !
M. Jean-Pierre Sueur. Or qu’advient-il avec ce texte, monsieur le ministre ? Vous mettez en cause des rythmes de la société, de la vie familiale et de la vie individuelle. Le repos dominical, c’est une manière de concevoir la société, la vie, le travail.
Finalement, et peut-être est-ce là la cohérence, vous dérégulez. Il faut, selon vous, pouvoir travailler tout le temps, sans aucune règle, sans respecter de rythmes. Vous transposez le modèle de la folie financière à l’organisation du temps ! Réfléchissez bien, monsieur le ministre, à tout ce que cela induit. Il serait beaucoup plus sage, en effet, d’en revenir à des principes sains, clairs, à la loi de 1906 et à une certaine conception du « vivre-ensemble » dans notre pays. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Yves Daudigny, sur l'article.
M. Yves Daudigny. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, faut-il encore prendre la parole dans ce débat tant tout ce qui devait être dit à l’encontre de cette malheureuse proposition de loi l’a été excellemment, et d’ailleurs sur diverses travées ? Eh bien ! oui, il est nécessaire, voire indispensable de continuer à prendre la parole pour ramener à la raison, à la sagesse.
Ont été exposées par toutes les études et analyses dont nous pouvions disposer les conséquences négatives attendues de l’extension de l’ouverture dominicale sur l’emploi et les conditions de travail, sur notre économie, sur notre environnement, sur nos structures sociales et sur notre mode de vie.
M. Roland Courteau. Ils restent sourds !
M. Yves Daudigny. Il est tout de même extraordinaire, mes chers collègues, qu’une partie d’entre vous décide sciemment d’ignorer ces données objectives ! On s’interroge nécessairement sur le dogmatisme qui inspire ce choix aveugle. Le refus par la commission des affaires sociales de la moindre modification de ce texte, même rédactionnelle, le confirme malheureusement.
Il est certain qu’à reporter la suite de l’examen de ce texte à la rentrée, vous risqueriez, madame le rapporteur, de recevoir finalement ces lettres de salariés que vous vous étonniez n’avoir pas reçues. Vous en aviez déduit que les premiers concernés par cette réforme n’y étaient pas défavorables. Changeriez-vous alors d’avis ? Je crains que non !
Mme Isabelle Debré, rapporteur de la commission des affaires sociales. Ne parlez pas en mon nom !
M. Yves Daudigny. C’est pourquoi, à l’ouverture de l’examen de l’article 2, il me paraît d’autant plus nécessaire de rendre hommage à celles et ceux de nos collègues qui ont eu le courage et l’honnêteté de tenir compte de la réalité, de la vie telle qu’elle est au quotidien, hors de ces murs protégés. Ceux-là n’ont vraisemblablement pas oublié une règle fondamentale, qui mériterait d’être gravée au fronton de cet hémicycle et relue avant chaque vote : « Tu patere legem quam ipse fecisti » ; en d’autres termes : « tu te soumettras à la règle que tu as créée » !
Mes chers collègues, ce texte n’est pas un projet parlementaire et n’est pas le vôtre : c’est une promesse de campagne dont nous n’avons pas à être comptables, mais dont les Français, et en particulier les plus fragiles d’entre eux, si cette proposition de loi était adoptée ainsi, en catimini et en force, supporteraient les conséquences néfastes. Ces méthodes ne sont pas les nôtres, celles d’un Parlement croupion qui se contenterait d’avaliser.
Cette proposition de loi et la manière dont « on » prétend la faire passer est dangereuse et fait montre de mépris : mépris du Parlement qui serait soumis à l’ordre du « conforme » ; mépris des salariés qui devront – car ils ne pourront bien évidemment pas refuser, vous le savez parfaitement – travailler « de droit » le dimanche, sans majoration de salaire ni compensation.
La seule réelle preuve de bonne foi des tenants de cette proposition serait l’adoption d’amendements visant, en particulier, à assurer une juste compensation à tous les salariés appelés à travailler le dimanche. À défaut, nous aurions la confirmation de ce double mépris. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Caffet, sur l’article.
M. Jean-Pierre Caffet. Je n’évoquerai pas, à ce stade de la discussion, la situation parisienne ; j’y reviendrai ultérieurement, au détour d’un amendement. Cela dit, je tiens à déclarer d’emblée que je partage pleinement le point de vue que vient d’exposer notre collègue Marie-Thérèse Hermange.
Monsieur le ministre, je vous ai écouté avec beaucoup d’attention depuis hier et j’ai eu le sentiment que vous tentiez de convaincre une partie de votre majorité. Vous n’y étiez que partiellement parvenu à l’Assemblée nationale et vous serez obligé, jusqu’à la fin de nos débats, de réitérer cet exercice difficile.
Tous vos propos tentent d’ailleurs de limiter la portée de ce texte, qu’il s’agisse de sa portée géographique – seuls trois PUCE seraient finalement concernés – ou du nombre de salariés concernés : 200 000, avez-vous dit.
Quoi qu’il en soit, les propos que vous avez tenus jusqu’à présent ne nous ont guère rassurés. Nous ne voyons aucune raison objective, fondée, à modifier la législation existante. Dans ces conditions, nous sommes bien obligés de nous poser plusieurs questions. Pourquoi devons-nous examiner ce texte, maintenant, et en procédure accélérée ? Plus fondamentalement, la société française a-t-elle aujourd’hui un problème majeur avec le travail du dimanche ? Nous pensons que non !
Près de sept millions de salariés français travaillent déjà le dimanche, mais toutes les dérogations qui ont été accumulées au fil du temps, monsieur le ministre, chers collègues de la majorité, étaient justifiées par l’intérêt général.
Il est normal que les hôpitaux fonctionnent et que la sécurité des Français soit assurée par les forces de police le dimanche. Il n’est pas extravagant que, dans un certain nombre de territoires touristiques, les commerces puissent ouvrir le dimanche. Mais aujourd'hui, monsieur le ministre, vous franchissez un pas supplémentaire considérable ! Avec ce texte, ce n’est pas seulement une « brèche » que vous ouvrez, comme l’ont déclaré certains orateurs de la majorité ; c’est une digue que vous faites sauter, et ce de manière complètement aveugle.
M. Roland Courteau. Eh oui !
M. Jean-Pierre Caffet. Vous ne disposez d’aucune étude sérieuse, fondée et objective qui légitimerait la modification de cette législation. Il aurait en effet fallu réaliser des études d’impact sur les volets économique, social, sociétal, environnemental.
Monsieur le ministre, vous légiférez en aveugle, je le répète, et c’est pourquoi nous sommes inquiets. Comme ils ont été nombreux à le dire, au sein même de votre majorité, ce texte, même si vous vous en défendez, va entraîner la banalisation, voire la généralisation du travail le dimanche, et vous en ignorez totalement les conséquences potentielles.
Vous allez instaurer de nouvelles inégalités, à la fois territoriales et entre les salariés ; vous allez créer des difficultés aux commerces de proximité, notamment dans les centres-villes, et exercer une pression sur les collectivités locales pour qu’elles assurent le fonctionnement de certains services publics le dimanche. Et la liste des effets pervers de ce changement de législation est loin d’être exhaustive !
Monsieur le ministre, comme nous ne voyons pas de raison évidente à cette modification législative, il doit bien se trouver quelque raison cachée. Pour ma part, j’en vois principalement une : c’est l’idéologie, je dirais même le dogmatisme idéologique (Sourires sur les travées de l’UMP.), qui a irrigué la campagne présidentielle et « illuminé » le début du quinquennat du Président de la République.
Souvenez-vous, c’était l’époque du rapport Attali, où l’on nous expliquait qu’il fallait tout déréglementer et déréguler pour augmenter la croissance, y compris la profession de taxi ; on sait ce qu’il en est advenu… Le Président de la République déclarait qu’il appliquerait toutes les mesures contenues dans le rapport Attali. Votre prédécesseur, Xavier Bertrand, accordait une interview extravagante au quotidien Les Échos, en janvier 2008, dans laquelle il expliquait que l’ouverture des magasins le dimanche permettrait de gagner un jour de croissance supplémentaire. Comme si l’argent dépensé le dimanche allait réapparaître miraculeusement dans le portefeuille du consommateur le lundi ! C’est absurde !
M. Nicolas About. Ce ne sont pas les mêmes ! Le lundi, les touristes sont repartis !
M. Jean-Pierre Caffet. Monsieur le ministre, nous sommes très inquiets ! Nous sommes intimement convaincus que seule la crise vous conduit aujourd'hui, par vos propos, à édulcorer cette proposition de loi, à en minimiser la portée. En réalité, c’est bien un dogmatisme idéologique qui la sous-tend.
Il s’agit soit d’un texte de circonstance visant à légaliser certaines pratiques illégales, soit d’un texte de complaisance particulièrement coupable envers le Président de la République, qui fait le contraire de ce qu’il dit. En tout état de cause, il ne sert pas l’intérêt général. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. François Patriat, sur l’article.
M. François Patriat. L’affluence dans l’hémicycle un 22 juillet témoigne à la fois de l’importance du sujet et de notre volonté de le démontrer.
En ce qui me concerne, je reviendrai sur deux points : d’une part, la confiscation de l’histoire, évoquée par Raymonde Le Texier et Roland Courteau, et, d’autre part, le cynisme qui préside à nos débats.
Si je parle de confiscation de l’histoire, c’est parce que j’ai eu la chance de connaître pendant une grande partie de ma vie un homme qui s’appelait Pierre Meunier : il avait été le secrétaire de Pierre Cot, le bras droit de Jean Moulin et le secrétaire général du Conseil national de la Résistance, puis député et élu local. Sa famille avait été décimée à Buchenwald.
Peu de temps avant sa disparition, il m’avait signifié son attachement politique et sociétal aux valeurs du Conseil national de la résistance qui étaient fondées sur le progrès social, mais le vrai, sur l’humanisme, sur la générosité et sur l’équité. Le dernier message qu’il m’a adressé – c’était en 1996 – fut le suivant : « Tant que tu feras de la politique, tant que tu seras en responsabilité, essaie de veiller, avec nos amis, aux acquis du Conseil national de la résistance ».
M. Roland Courteau. Bien dit !
M. François Patriat. J’en viens au cynisme que traduit cette proposition de loi, monsieur le ministre, et ce à plus d’un titre.
Tout d’abord, le fait que nous siégions un 22 juillet, en pleine période estivale, montre que le Gouvernement tente de faire passer ce texte en catimini, alors que ses effets sociaux seront très importants.
M. Nicolas About. C’est une promesse qui avait été faite pendant la campagne présidentielle !
M. François Patriat. Ensuite, confondre le progrès social et le progrès dit « économique », pour ne pas dire financier, c’est leurrer les Français !
M. Roland Courteau. Très bien !
M. François Patriat. Le travail le dimanche doit être volontaire et rémunéré. J’ai eu la chance, dans ma vie professionnelle, à l’instar de certains collègues, d’exercer un métier qui m’obligeait à travailler le dimanche, le jour de Pâques ou de Noël, mais je le faisais essentiellement sur la base du volontariat et avec le sentiment de rendre un service au public. Or l’ouverture des commerces le dimanche, ce n’est pas le service au public ! (Marques d’approbation sur les travées du groupe socialiste.) Le service au public, ce sont les services hospitaliers, les services médicaux, les services d’urgence, pas les services commerciaux ! Il y a là un véritable leurre.
C’est encore faire preuve de cynisme que d’instaurer la notion de commune d’intérêt touristique sans aucune concertation, ni avec les Français – ce que je peux concevoir – ni avec les professionnels. La Confédération générale des petites et moyennes entreprises, la CGPME, qui représente les artisans et les petits commerçants, se demande comment ceux-ci pourront résister.
Qu’adviendra-t-il si, désormais, les activités dominicales consistent non plus à rendre visite à sa famille, à se réunir entre amis, à faire du sport ou à se consacrer à sa vie spirituelle, mais à aller dans telle ou telle grande surface pour y faire ses achats, et ce au détriment des commerces de proximité ?
Ce texte est injuste et, par certains côtés, cynique. Des députés de la majorité ont eu le courage de le dire à l’Assemblée nationale, monsieur le ministre, parce qu’ils mesurent aujourd'hui l’impact social et humain que ce dispositif aura demain.
Enfin, autre preuve de cynisme, vous dites que la fermeture des magasins le dimanche aura lieu à treize heures au lieu de midi. La mère de famille caissière dans un magasin qui finissait à midi pouvait retrouver sa famille et ses enfants pour déjeuner. Désormais, elle les rejoindra à quatorze heures ou quinze heures, mais qu’importe puisque le commerce y gagnera !
M. Alain Gournac. C’est nul !
M. François Patriat. Mes chers collègues, c’est simplement un peu d’humanisme, de réalisme et de bonheur pour les Français que nous défendons ici. Je vous invite donc à ne pas soutenir cette proposition de loi. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE. – Exclamations sur les travées de l’UMP.)
M. Éric Doligé. Démagogie !
M. le président. La parole est à M. Nicolas About, sur l’article.
M. Nicolas About. Pardonnez-moi d’intervenir, monsieur le président, alors que je n’étais pas inscrit sur l’article, mais il se trouve que j’ai été amicalement mis en cause par ma collègue Annie Jarraud-Vergnolle, qui a beaucoup de talent, comme chacun le sait. Elle a déclaré que mon soutien à ce texte était mou et conditionnel. Ma collègue me connaît pourtant bien et elle sait que je n’ai pas l’habitude de faire les choses à moitié. (Sourires.) « Tout ce qui est excessif est insignifiant » !
Nous avons parcouru presque toute l’histoire de France à l’occasion de l’examen de ce texte, qui respecte l’ordre et l’équilibre. (Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. Roland Courteau. L’ordre établi !
M. Nicolas About. Contrairement à ce que certains de nos collègues députés ou sénateurs laissent croire, il ne s’agit pas d’un moyen de régulariser les délinquants.
M. Roland Courteau. Mais si !
M. Nicolas About. Ce texte est simplement l’occasion de prendre en compte l’évolution de la société française. Il est normal…
M. Roland Courteau. …de revenir en arrière !
M. Nicolas About. … de suivre le mouvement, même si je sais que c’est difficile pour un certain nombre d’entre nous, car les parlementaires sont souvent à la traîne. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
Si les plaintes déposées auprès des juridictions n’ont pas abouti à mettre fin à certaines situations, c’est parce que, manifestement, notre société a bougé. Nous avons donc le devoir, dans la mesure où ces changements de société reposent sur des évolutions respectueuses de l’homme et des valeurs fondamentales, de les accompagner.
Je tiens à dire à Mme Jarraud-Vergnolle que je soutiens avec force et conviction le texte qui nous est soumis,…
M. Robert del Picchia. Bravo !
M. Alain Gournac. Très bien !
M. Nicolas About. …car il ne bouleverse en rien les situations actuelles, pas plus qu’il ne modifie la rémunération différente du travail dominical. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
Vous invoquiez la Résistance voilà deux minutes, alors que nous ne faisons que corriger les difficultés rencontrées dans les sites de Plan-de-Campagne et d’Éragny en régularisant la situation ! (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP. - Vives exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Mme Raymonde Le Texier. Ah ! Voilà !
M. Nicolas About. Je n’ai jamais dit le contraire !
Mme Annie David. Vous prétendiez le contraire il y a deux minutes !
M. Nicolas About. Chers collègues de l’opposition, vous avez souvent été à la pointe de combats qui visaient, eux aussi, à régulariser des situations, simplement parce que ce n’était que justice, par exemple en matière d’avortement. (Vives protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG – Bravo ! et applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
Mme Odette Terrade. C’est scandaleux !
M. Nicolas About. Alors, ne dites pas que les parlementaires ne remplissent pas leur mission lorsqu’ils font en sorte que soient régularisées des situations qui doivent l’être. (Nouvelles protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Mme Odette Terrade. Cette comparaison est insupportable !
M. Nicolas About. Vous nous avez reproché de vouloir régulariser des situations ! Eh bien ! effectivement, nous le faisons ! C’est la grandeur du Parlement que d’assumer un certain nombre de changements lorsque la société l’exige.
Madame Jarraud-Vergnolle, il y aura toujours des balades entre copains, des petits verres au comptoir, et les bons parfums de la forêt ! (Bravo ! et vifs applaudissements sur les travées de l’UMP. – Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Mme Raymonde Le Texier. Ne pourrait-on rappeler à ce médecin de formation que si on a légalisé l’avortement, c’est parce que des milliers de femmes, des mères de famille, mouraient dans des conditions épouvantables ?
M. le président. La parole est à M. Jacky Le Menn, sur l’article. (Protestations et marques d’impatience sur les travées de l’UMP.)
M. Éric Doligé. Nous allons être obligés de travailler dimanche…
M. Jacky Le Menn. Monsieur le président, il serait bon que ce débat, qui vaut la peine d’être conduit jusqu’à son terme, se déroule dans le calme. Certaines comparaisons, telle celle qui vient d’être faite avec le droit à l’avortement, sont regrettables, et d’autant plus lorsqu’elles sont le fait d’un praticien hospitalier. (M. Nicolas About s’exclame.)
Mme Raymonde Le Texier. On voit que ce ne sont pas les hommes qui y laissent leur vie !
M. Jacky Le Menn. Mes chers collègues, peut-on profiter d’un texte visant à rendre légal un comportement illégal comme celui des commerçants de Plan-de-Campagne pour faire adopter, contre l’avis et la conscience d’une bonne partie des députés et des sénateurs, une loi qui impacte l’ensemble de la société ? Tel est en tout cas le pari qui est fait sous l’autorité du Président Nicolas Sarkozy, partisan convaincu de l’ouverture des grandes surfaces le dimanche et de l’extension à toutes les activités professionnelles du travail dominical.
Ce n’est pas nous qui le disons : ce sont les soixante députés de la majorité présidentielle opposés à cette initiative, qui le déclarent dans la tribune publiée dans Le Figaro du 21 novembre 2008. Permettez-moi, mes chers collègues, de citer des extraits de cette tribune : « Chacun sent très bien que l’ouverture des commerces le dimanche est un “pied dans la porte” – c’est une figure des psychosociologues – en vue d’une ouverture générale de l’activité professionnelle. Qu’en sera-t-il alors de toutes les activités dominicales, non seulement des cultes, mais également les activités sportives, associatives, familiales ? N’est-il pas préférable de limiter la consommation pour préserver ces moments de fraternité qui donnent à la vie son sens ? […] »
« L’homme contemporain est-il uniquement un individu consommateur ou est-il encore l’animal social que définissait Aristote ? […] Si l’homme se construit par les relations qu’il tisse avec ses semblables, posons-nous la question de maintenir un jour de la semaine en vue de faciliter cette construction ».
M. Roland Courteau. Voilà !
M. Jacky Le Menn. Nous pourrions aussi vous rappeler, mes chers collègues, les tribunes de Mgr Barbarin ou de Mgr Vingt-Trois qui, eux, n’ont pas changé d’avis.
Ainsi, Mgr Vingt-Trois déclarait dans Les Échos le 6 novembre 2008 : « Ce serait une mesure supplémentaire dans la déstructuration de notre vie collective, qui ne toucherait pas seulement les chrétiens. Le dimanche est aussi le jour d’une vie familiale plus intense et plus riche. Comment peut-on souhaiter que le tissu familial soit plus riche et plus structurant pour la vie sociale si chacun des membres de la famille est retenu ailleurs par son travail ? Est-il normal que, pour gagner honnêtement sa vie, on soit invité à renoncer à la qualité de la vie ? »
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Jacky Le Menn. Enfin, je terminerai par une citation qui interroge puissamment les fondements de la philosophie du Président Nicolas Sarkozy : « Gagner plus doit-il devenir le principal objectif de l’existence ? » (Non ! sur les travées du groupe socialiste.)
Il n’est pas un mot des propos que je viens de vous citer avec lequel nous soyons en désaccord, mes amis et moi. Cela montre que le débat actuel va bien au-delà de la défense des intérêts de telle ou telle catégorie et des sensibilités politiques qui explicitent les clivages partisans habituels.
Si l’attention du public s’est focalisée sur cette question, ce n’est pas par hasard : chacun mesure bien, à la place qu’il occupe dans la société, les conséquences que cette loi risque d’avoir pour soi ou pour ses proches, quoi qu’on en dise et quoi que j’ai pu entendre affirmer hier ou ce matin. Il s’agit non pas d’une réforme, mais d’une mutation qui avance masquée ; ayons le courage de le reconnaître !
Permettez-moi de revenir sur cette phrase à l’ironie toute épiscopale de Mgr Vingt-Trois : « Gagner plus doit-il devenir le principal objectif de l’existence ? ». Non, nous en sommes d’accord ! Cependant, gagner plus est aujourd’hui, hélas ! la principale nécessité – au sens de l’état de nécessité – pour trop de gens qui n’arrivent pas à boucler leurs fins de mois soit parce qu’ils sont à temps partiel subi, soit parce que leur contrat est précaire, soit parce que ce sont des travailleurs pauvres ou des chômeurs ; ce sont les premiers visés par ce texte. Peut-être parviendront-ils à gagner un tout petit peu plus en sacrifiant leur dimanche, leur vie privée, familiale et sociale, mais il est moralement impardonnable d’utiliser leur pauvreté pour les conduire à ce sacrifice…
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Jacky Le Menn. …et pour déstructurer, au seul profit des plus riches, d’abord leur vie familiale et sociale, puis celle de toute la société.
Je conclurai en disant qu’il aurait été sans doute plus opportun et plus urgent de commencer par mettre de l’ordre dans les 180 dérogations existantes et d’imposer la loi à ceux qui la bafouent ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Mme Raymonde Le Texier. C’est évident !
M. le président. Je suis saisi de trois amendements identiques.
L'amendement n° 5 est présenté par M. Lardeux.
L'amendement n° 79 est présenté par Mmes David, Hoarau et Pasquet, MM. Autain, Fischer et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche.
L'amendement n° 135 rectifié est présenté par MM. Fortassin, Mézard, Collin, Alfonsi, Baylet et Chevènement, Mmes Escoffier et Laborde et MM. Milhau, Tropeano, Vall et Vendasi.
Ces trois amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à M. André Lardeux, pour présenter l’amendement n° 5.
M. André Lardeux. Je souhaite, après ce que nous venons d’entendre, que nos débats se déroulent dans la sérénité. Nos différences sur ce sujet sont légitimes et il est parfaitement normal que tous ceux qui le veulent puissent exprimer leur point de vue. Néanmoins, comme nous y a invités Marie-Thérèse Hermange tout à l’heure, il serait bon que nous pratiquions l’attention à l’autre ; nos débats y gagneraient en clarté et, surtout, en rapidité !
L’amendement n° 5 vise à supprimer l’article 2, en cohérence avec les positions que j’ai prises hier au cours de la discussion générale.
Cet article comporte un ensemble de dispositions qui entraîneront un changement de fonctionnement de la société, ainsi qu’une déstabilisation supplémentaire de la vie de famille, alors que de nombreuses études démontrent que trop d'enfants ne passent pas assez de temps avec leurs parents.
L’article 2 sera également à l’origine de ce qui pourrait apparaître comme une véritable usine à gaz. Il créera en effet au moins huit catégories de travailleurs le dimanche, en dehors de ceux qui travaillent de façon indépendante : les salariés de l’alimentaire, qui travaillent déjà le dimanche matin ; les salariés des 180 professions soumises au régime normal du droit du travail parce qu’elles s’exercent forcément le dimanche ; ceux qui subissent éventuellement les cinq dimanches du maire ; ceux des communes et des zones touristiques où le travail dominical s’exerce de plein droit ; les salariés soumis au régime des cinq dimanches avec salaire doublé travaillant dans une commune touristique où s’appliquerait le régime de base ; les salariés des zones qualifiées « PUCE », volontaires paraît-il, payés double et avec repos compensateur ; les salariés soumis au régime d’Alsace-Lorraine – j’y suis personnellement très attaché – pour des raisons historiques et qui ne doit pas être modifié, ce qui prouve que l’on peut avoir de la considération et de l’intérêt pour ce régime, même si l’on n’est pas de cette région ; enfin, les salariés de l’agglomération lyonnaise, peut-être pour rappeler son passé d’ancienne capitale des Gaules.
Cela va multiplier les difficultés juridico-sociales sur le plan tant du principe d’égalité, selon le côté de la rue où l’on se situera, que de la concurrence.
Je refuse que la seule lumière émise par notre société s’apparente à l’enseigne d’une galerie marchande !
Le message de notre société risque de se résumer de plus en plus à l’injonction de consommer, porteuse, comme l’a dit un philosophe, de notre propre vide.
Nous devenons prisonniers d’une rationalité à courte vue qui valorise l’immédiateté et déconstruit les structures de médiation, notamment la famille. Cela gagne déjà les corps intermédiaires. Je prends le pari que la dernière victime d’une économie plongée dans la déraison sera l’État lui-même.
Nous avons tous besoin d’un « supplément d’âme » et non pas de régulation marchande ni d’argent. Le triomphe de l’individualisme absolutisé nous laissera un jour comme des sans domicile fixe sur le plan moral.
Notre société a tout simplement besoin d’un peu d’humanité. Je ne pense pas que ce texte aille dans ce sens. C’est pourquoi je propose la suppression de l’article 2. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)