M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Chevènement.
M. Jean-Pierre Chevènement. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, c’est un fait nouveau que le Président de la République s’exprime lui-même sur le lycée. Et c’est un fait heureux, tant il est vrai que les 2,2 millions de lycéens représentent une part importante de l’avenir de la France.
La réforme dont le Président de la République a tracé les grandes lignes est ce qui reste du projet de lycée modulaire imaginé par votre prédécesseur ; c’est dire, entre nous, qu’il ne reste pas grand-chose… Je souhaite qu’à travers la concertation dont vous êtes chargé, monsieur le ministre, vous puissiez donner à cette réforme la substance qui lui manque.
Je m’étonne tout d’abord que le Président de la République n’ait pas évoqué, dans son discours, les besoins du pays, sinon au détour d’une phrase, et comme par raccroc, à propos de la réforme de la section du bac technologique « sciences et techniques industrielles », ou STI.
Il y aurait pourtant beaucoup à dire sur la baisse constante du nombre d’étudiants inscrits dans les filières scientifiques de nos universités. Dans la compétition mondiale, où les pays asiatiques forment toujours plus d’ingénieurs, de techniciens, de chercheurs, c’est une grave lacune ! Le handicap qui en résulte pour le pays, du fait de la mauvaise orientation des élèves et des étudiants vers des filières sans débouchés, n’en sera pas corrigé.
Le Président de la République vous a chargé, monsieur le ministre, de poursuivre la consultation ; je souhaite que vous le fassiez avec le souci républicain de l’intérêt général, avec la volonté de former les citoyens et les producteurs ; j’entends par là les ouvriers qualifiés, les techniciens, les ingénieurs, les chercheurs dont a besoin un pays moderne, pleinement engagé dans la compétition mondiale.
Lorsque, en 1984, j’avais défini, dans une perspective de démocratisation, un objectif de 80 % de jeunes atteignant le niveau du bac – et non, madame Morin-Desailly, obtenant le bac –, car nous en étions à l’époque à 40 %, lorsque j’avais revalorisé l’enseignement professionnel, en créant les bacs pro, et régionalisé la construction ainsi que l’équipement des lycées, je m’étais tourné vers une société d’études, filiale de la Caisse des dépôts et consignations, qui a produit une étude prévisionnelle de ce que pourrait être la structure de la population active de la France en l’an 2000.
Quand on veut parler du lycée, c’est ainsi qu’il faut réfléchir : en partant des intérêts du pays.
Je relève une seconde contradiction dans le discours du Président de la République : il déclare vouloir préserver l’excellence, le niveau d’exigence, mais, en même temps, s’étonne, voire s’indigne, du nombre de redoublements au lycée, du fait que 35 000 lycéens, à la fin de la terminale, n’ont pas le bac et, enfin, que 80 000 bacheliers n’obtiennent pas un diplôme d’enseignement supérieur.
Mais il n’aura échappé à personne que, à le suivre dans son raisonnement, il faudrait donner le bac à tout le monde et un diplôme d’enseignement supérieur à tous les bacheliers ! C’est le principe même de l’élitisme républicain que le Président de la République met en cause, un principe qui vise à la fois à la démocratisation des études et au maintien de l’exigence intellectuelle et de la qualité de l’enseignement.
Rappelons le mot d’Henri Wallon, à la Libération : « L’école républicaine a pour but la promotion de tous et la sélection des meilleurs. » La sélection est dans la nature des choses ; le problème est de savoir si elle se fait sur des critères démocratiques.
Le Président de la République pointe à juste titre l’inégalité des chances selon l’origine sociale. Mais croyez-vous qu’on corrigera cette inégalité par un abaissement de l’exigence ? L’école ne peut corriger à elle seule l’inégalité sociale, sauf à prendre le risque de la démagogie et de l’égalitarisme niveleur. Il faut alors, et dans tous les domaines de l’action politique, une énergie républicaine que je ne discerne pas toujours dans les choix du Gouvernement, notamment en matière fiscale.
On peut certes améliorer l’orientation, mais je ne crois pas qu’on puisse instituer une orientation permanente et efficace, avec des stages passerelles et des remises à niveau pendant les vacances. Étendre la seconde dite « de détermination » à la classe de première risque de casser les filières de deux ans, qui permettent un certain approfondissement des matières. À l’évidence, une classe de terminale spécialisée ne suffit pas.
Prélever deux heures sur les horaires de cours pour un soutien des élèves en difficulté alors que baisse le nombre de postes de professeur, c’est aller au-devant du « lycée light » qu’on a reproché à votre prédécesseur.
On ne compensera pas non plus la baisse du nombre de professeurs de langues vivantes par le recrutement d’assistants parmi les étudiants étrangers.
Le Président de la République déclare vouloir casser la hiérarchie imposée des voies et des séries. L’intention est louable, mais ne faisons pas de la série S le bouc émissaire de ce qui ne va pas au lycée ! Elle est justement ce qui marche ! Certes, elle a le grave défaut d’attirer les bons élèves… Mais que faut-il faire de ces bons élèves ? C’est pour vous un véritable casse-tête, monsieur le ministre ! On a l’impression que, si vous n’aviez que des cancres, votre tâche en serait facilitée. (Sourires.)
Vous suggérez, à juste titre, qu’il y ait de bons élèves partout, et d’abord dans la filière littéraire, la fameuse série L. Je vous approuve : la revalorisation de la série littéraire est une bonne chose. Je l’avais moi-même prévue en 1986, dans la réforme des lycées que mon successeur a malheureusement suspendue.
Vous voulez y introduire des langues étrangères, du droit, un enseignement culturel et artistique. À la bonne heure ! Mais où sont les moyens ? Surtout, vous oubliez le grec et le latin, qui sont au cœur de notre langue, de notre culture, de notre civilisation ! L’apprentissage des langues anciennes est la base même de toute revalorisation de la série L. On ne peut pas imaginer un professeur de français qui ne sache pas le latin !
M. Adrien Gouteyron. Très bien ! Je suis ravi d’entendre cela !
M. Jean-Pierre Chevènement. Par ailleurs, vous évoquez la réforme de la filière technologique, mais seulement à travers la filière STI. Vous proposez de réserver des places pour les élèves de cette section dans les IUT et les BTS. Sur quelles bases ? Ne risquez-vous pas de porter atteinte au principe du concours ? Y aura-t-il au moins deux concours séparés ? Au passage, je vous ferai observer que les IUT offrent de moins en moins des formations courtes et sont de plus en plus une voie d’acheminement vers des études longues.
L’enjeu de la formation d’un plus grand nombre de scientifiques et d’ingénieurs est crucial pour le pays. Vouloir atteindre cet objectif à travers la réforme de la seule section STI est pour le moins réducteur. C’est l’ensemble de la filière technologique et de la filière professionnelle qui mérite votre sollicitude.
La généralisation du bac pro en trois ans ne suffit pas pour revaloriser le lycée professionnel. D’abord, il faudrait l’évaluer, ce qui, et pour cause, n’a pas encore été fait. Il faut des moyens en hommes et en matériels, et ce n’est pas avec une « cagnotte scolaire » qu’on luttera contre l’absentéisme des élèves. Soit dit en passant, cette cagnotte serait la négation même des principes de l’école républicaine. Monsieur le ministre, mettez donc un terme à ces expérimentations hasardeuses !
Je suis surpris que le mot « région » ne figure pas dans le discours présidentiel, alors même que ce sont les régions qui construisent, qui recrutent les personnels techniques, les laborantins, etc. (Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe socialiste.) Si vous voulez revaloriser la filière technologique et professionnelle, vous ne pouvez le faire qu’avec le concours des régions ! Il faudrait alors réunir l’ensemble de celles-ci pour définir en commun un plan ambitieux de développement et de modernisation de ces filières.
Le Président de la République dit souvent une chose et son contraire…
M. le président. Il n’est pas le seul ! (Sourires.)
M. Jean-Pierre Chevènement. C’est vrai ! Ne l’accablons pas ! (Nouveaux sourires.)
Au demeurant, cela vous facilitera la tâche, monsieur le ministre. Je vous souhaite très sincèrement, parce qu’il y va de l’avenir de notre jeunesse et du pays tout entier, de tenir les deux bouts de la chaîne : d’un côté, le souci de la démocratisation ; de l’autre, le maintien de l’exigence de qualité et de niveau.
Notre lycée ne fonctionne pas si mal. Il faut certes le réformer, mais de manière intelligente. On ne peut d’ailleurs pas agir autrement avec des systèmes complexes. Il est trop simple d’opposer, comme le font certains, la conquête de l’autonomie, sixième axe de la réforme, à l’encadrement trop pesant dont nous aurions hérité.
Je m’étonne au passage que le discours du Président de la République soit muet sur la violence scolaire. Jack Lang a relevé que les propositions de Nicolas Sarkozy s’inscrivaient dans le droit fil de la réforme du lycée de 1992 et de celle de 2000, qu’il avait lui-même conduites. On ne saurait mieux dire !
En conclusion, je dirai que la conquête de l’autonomie sera d’autant plus aisée que seront maintenus des cadres solides. La conquête de l’autonomie passe par celle du savoir, il faut le répéter, et ce sont les enfants des classes les moins favorisées qui, vous le savez, monsieur le ministre, ont le plus besoin d’une école structurée, sûre de ses valeurs. La transmission des savoirs, dont la parfaite maîtrise fonde l’autorité du maître, passe par un bon encadrement. C’est la meilleure garantie d’un lycée qui marche, à Clichy-sous-Bois comme à Neuilly.
Mme Françoise Laborde. C’est vrai !
M. Jean-Pierre Chevènement. Monsieur le ministre, ne vous laissez pas égarer par des comparaisons statistiques trompeuses sur le nombre d’heures de cours dispensées dans d’autres pays aux élèves de quinze ans. Chaque système éducatif a sa spécificité. Il n’est pas souhaitable de réduire le nombre des heures de cours au lycée, car ce n’est pas en travaillant moins que nos lycéens apprendront mieux ! (Applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à M. Gérard Longuet.
M. Gérard Longuet. Monsieur le président, mes chers collègues, ce débat, souhaité par M. Legendre, président de la commission de la culture, et animé par M. Jean-Claude Carle, répond à la volonté du Président de la République de vous confier, monsieur le ministre, le soin de relancer la réflexion sur le fonctionnement des lycées.
Le groupe de l’UMP soutient sans réserve cette excellente démarche et adhère pour l’essentiel aux propos de M. Carle.
Je souhaite attirer votre attention sur un sujet qui, pour être ponctuel, n’est pas pour autant dénué d’importance. Je veux parler de la gouvernance des établissements, tant il est vrai que l’éducation nationale ne peut pas et ne doit pas être une fédération de classes ; elle doit être un système d’établissements responsables, suivant directement les élèves pour les conduire à la plus grande réussite possible compte tenu de leurs talents et, surtout, de leur implication.
Nous devons donc reconstruire ces établissements. C’est d’ailleurs le sens des très nombreuses mesures que vous proposez, monsieur le ministre, et que vous aurez à expliquer tout au long des prochaines semaines.
Je suis convaincu qu’il vous faut réfléchir et sur les responsabilités propres du chef d’établissement et sur l’autorité de gouvernance des établissements que sont les conseils d’administration.
Lors de la discussion du texte qui allait devenir la loi d’orientation et de programme pour l’avenir de l’école, du 23 avril 2005, présenté par François Fillon, nous avions fait adopter, à l’article 39, le principe d’une expérimentation afin que les conseils d’administration des lycées – beaucoup d’entre nous y ont siégé en qualité de représentant de leur région – cessent d’être des réunions pléthoriques, aux ordres du jour chargés, traitant interminablement de questions subalternes et ne s’attaquant que très rarement aux sujets de fond, c’est-à-dire le projet d’établissement, la réussite des élèves et les moyens de l’obtenir.
Cet article autorisait, à titre expérimental, les lycées d’enseignement général, technologique et professionnel, à se doter d’un conseil d'administration à l’image de ceux des lycées agricoles de l’État, par exemple. Ces conseils d’administration, plus restreints, largement ouverts sur la vie professionnelle et tournés vers les élus, laissent naturellement une place aux enseignants, aux techniciens, aux ouvriers de service et aux parents d’élèves, mais permettent de distinguer les fonctions de chef d’établissement et de président de conseil d’administration. Ainsi, le directeur d’établissement d’enseignement agricole ne se trouve pas dans la situation équivoque qui est celle du proviseur de lycée, à la fois chef d’établissement et représentant de l’administration, et qui ne lui permet pas de mobiliser tous les moyens nécessaires pour bâtir le projet d’établissement et le faire partager.
Monsieur le ministre, envisagez-vous, non pas de remettre en cause ce qui existe, mais d’exploiter les possibilités ouvertes par l’article 39 de la loi du 23 avril 2005 ?
En effet, un lycée doit être un établissement inséré dans le bassin de vie. Certains établissements sont les dépositaires d’une tradition, d’une histoire plus ou moins longue, remontant parfois à Napoléon, voire plus loin dans le temps. D’autres sont récents, mais ont su trouver leur chemin et leur identité.
Dans la région lorraine, que je connais mieux que d’autres, des lycées anciens sont implantés dans de grandes métropoles universitaires. En partenariat avec l’université, nous avons offert à des lycées sans passé historique des perspectives nouvelles d’association avec de grandes écoles. Avec M. Richard Descoings, directeur de Sciences Po Paris, nous avons été les premiers à encourager les établissements d’enseignement secondaire sans réelle tradition, souvent héritiers d’anciens centres d’enseignement professionnels transformés en lycées professionnels, à élaborer des projets d’établissement permettant aux élèves qui le pouvaient d’accéder à la voie de la réussite qu’est l’enseignement supérieur.
Monsieur le ministre, vous n’annoncez pas, et vous avez raison, de grands changements en matière de gouvernance. Mais ne considérez-vous pas qu’il serait intéressant d’exploiter les possibilités ouvertes par la loi de 2005 et qui, manifestement, n’ont pas fait à ce jour le début du commencement d’une application ?
J’en viens au rôle du chef d’établissement. Un proviseur d’établissement public n’est pas et ne sera jamais un directeur d’établissement privé. À titre personnel, je m’en réjouis, car la dignité du proviseur tient au fait qu’il ne choisit ni ses élèves ni ses enseignants. Il assume une fonction de service public qui consiste à donner toutes leurs chances à tous les élèves de son bassin de recrutement, sans recours à la sélection élitiste qui, certes, permet d’obtenir des pourcentages spectaculaires de réussite au baccalauréat, mais qui trahit aussi en partie la vocation de l’enseignement public d’éduquer tous les élèves, y compris les cas les plus difficiles.
M. Jacques Legendre, président de la commission de la culture. Très bien !
M. Gérard Longuet. De la même façon, il ne choisit pas ses enseignants : il fait avec ceux qu’il a.
Ce n’est pas parce qu’il est privé de la double liberté de choisir ses élèves et ses enseignants que le proviseur ne doit pas disposer de responsabilités plus larges lui permettant, sous l’autorité d’un président de conseil d'administration, de mettre en œuvre un projet d’établissement. Pour y parvenir, il doit, selon moi, viser deux objectifs et disposer de certains moyens.
Le premier objectif, c’est, bien entendu, l’élaboration et la mise en œuvre du projet d’établissement. À cette fin, il doit réfléchir à la place de son établissement dans l’environnement humain au sein duquel il est implanté. Le projet ne sera pas le même pour un lycée de banlieue d’une grande agglomération, pour le lycée napoléonien traditionnel d’une petite préfecture ou pour un grand lycée parisien, qui a du reste ses lettres de noblesse et dont il serait absurde de diminuer la performance et le caractère certes quelque peu élitiste. Mais après tout, réjouissons-nous, avec Jean-Pierre Chevènement, qu’il y ait de très bons élèves et donnons-leur la chance de réussir !
Le second objectif, que vous évoquez très clairement, monsieur le ministre, dans le sillage du message délivré par le Président de la République, c’est le suivi individualisé des élèves. Il y a là quelque chose de tout à fait nouveau : c’est un saut qualitatif considérable, qui a été rendu possible dans les collèges et dans l’enseignement primaire par la loi de 2005 et que vous vous proposez d’étendre aux lycées.
La dialectique du maître et de sa classe laisse la place à un établissement qui suit des élèves, ce qui est bien différent.
Dans la dialectique du maître et de la classe, le proviseur n’est qu’une interface administrative. Il dispose certes d’un beau bureau, mais il n’est là que pour veiller à l’application des circulaires, pour faire face au « harcèlement textuel » dont il est, paraît-il, l’objet. (Sourires.) Il ne doit surtout s’occuper ni de pédagogie ni de l’action des enseignants dans leurs classes, ceux-ci parlant d’ailleurs de leurs classes et non pas de leurs élèves.
Il faut modifier ce mode de fonctionnement. C’est ce que vous proposez, monsieur le ministre, et nous y sommes favorables. Il appartient au proviseur, et derrière lui à l’administration de l’établissement, d’aller à la rencontre des élèves, de les connaître, de les suivre tout au long des trois années, au minimum, pendant lesquelles ils fréquenteront le lycée et de répondre d’une façon appropriée et personnalisée à leurs demandes.
Cela suppose des moyens. Le premier de ces moyens réside dans la libéralisation de la dotation globale horaire. Et contrairement à ce qu’a dit un autre intervenant, cette libéralisation ne nuira pas à l’égalité ; elle permettra, au contraire, d’offrir un enseignement plus adapté aux besoins d’élèves vivant dans des milieux différents, avec des expériences familiales différentes, voire, particulièrement dans les grandes agglomérations, des origines nationales différentes. L’enseignement doit s’adapter aux besoins des élèves, c’est une évidence.
Un deuxième moyen consiste à établir des liens avec l’enseignement supérieur. Cette mission revient au chef d’établissement. La force du lycée – et c'est la raison pour laquelle les régions sont fondées à être des partenaires de l’État –, c’est de préparer à la formation professionnelle d’insertion, à l’enseignement supérieur, long ou court. Bref, les lycées sont tournés vers l’avenir.
Les chefs d’établissement doivent donc établir des liens avec les formations post-lycée, qu’elles se déroulent au sein d’un lycée– les BTS, par exemple – ou dans une université. Cela suppose une organisation, donc un responsable. Cette responsabilité ne peut pas être exercée par les professeurs. Elle ne peut être assumée que par la direction de l’établissement, au service de tous les élèves et dans la perspective de partenariats dont la responsabilité incombe, non pas aux enseignants, mais bien à l’établissement.
Un troisième moyen passe par l’ouverture des lycées. Lorsque l’on gère un livret de compétences, il faut suivre l’élève non seulement à l’intérieur mais aussi à l’extérieur du lycée. Il faut, bien sûr en accord avec lui, connaître ses activités culturelles, sportives, associatives, afin de mieux cerner, étoffer et consolider l’image de sa personnalité. Cette responsabilité incombe aux chefs d’établissement.
Je vais m’arrêter là, car j’ai largement dépassé le temps qui m’était imparti, mais le sujet le mérite.
Je conclurai sur une idée très simple. La direction d’un établissement ne doit pas se réduire à la fatalité inéluctable d’assurer l’interface administrative entre le rectorat et les communautés éducatives au sens large. Nous devons concevoir des directions qui assurent le pilotage d’un projet mobilisant l’ensemble de la communauté éducative, à savoir les enseignants, les élèves et leurs parents. Pour y parvenir, il faut un capitaine dans le navire, c’est-à-dire une direction. C’était le sens des possibilités d’expérimentation ouvertes par la loi de 2005, qui mériteraient de passer au stade de la concrétisation. (Applaudissements sur les travées de l’UMP, ainsi que sur certaines travées de l’Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Ivan Renar.
M. Ivan Renar. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il y a une fois de plus un paradoxe entre le constat du chef de l’État sur le sort, « scandaleux », réservé à l’éducation culturelle et artistique dans notre système scolaire et les moyens mis en œuvre en faveur de cette action.
Il est pourtant déterminant de renforcer la place de l’éducation artistique et culturelle, en particulier au lycée. De nombreuses études, outre l’expérience de terrain, ont démontré toute son efficacité dans la réussite de l’ensemble des élèves. Elles ont également mis en lumière que l’art apprend à apprendre, développe le potentiel de chaque élève et facilite la compréhension d’un monde de plus en plus complexe, tout en forgeant son libre arbitre.
J’ai toujours plaidé en faveur de l’enseignement de l’histoire des arts à l’école, mais il s’agit dans mon esprit non pas seulement d’un enseignement transversal, mais surtout d’un enseignement à part entière, avec des enseignants spécifiquement formés. Or, si le ministre de la culture a récemment regretté l’absence d’une agrégation d’histoire de l’art, il faut savoir qu’il n’existe même pas de CAPES pour cette matière !
Par ailleurs, un enseignement de l’histoire des arts ne saurait remplacer la pratique et le contact direct avec la création et les artistes. Tant mieux si les partenariats entre les lycées et les institutions culturelles de leur région sont enfin systématisés ! Mais avec quels moyens ? Certes, il n’est plus question de supprimer les dispositifs d’éducation artistique et culturelle, mais leurs crédits sont diminués, ce qui revient au même.
Des metteurs en scène, des comédiens, des chorégraphes, des plasticiens, des musiciens proposent des actions remarquables et passionnantes. Cette présence des artistes au lycée est fondamentale et doit être renforcée, ce qui passe par des financements d’État pérennes, mais aussi par l’harmonisation du statut et la rémunération des artistes intervenants, mise à mal par la remise en cause du régime des intermittents du spectacle. On ne répétera jamais assez que ce qui coûte cher, c’est non pas la culture, mais bien l’absence de culture !
La démocratisation culturelle est un chantier permanent qu’il faut sans cesse approfondir, et le lycée a un rôle-clé à jouer en la matière.
Face à l’uniformisation et à la standardisation d’une culture marchande mondialisée du divertissement, dont la jeunesse est la première cible, la République doit se donner les moyens pour que l’offre artistique et culturelle publique ne soit plus réservée à 15 % de la population mais s’adresse à tous les citoyens, surtout à ceux qui en sont le plus éloignés. C’est une question de justice sociale, de solidarité, d’égalité des citoyens et de respect du droit à la culture pour tous.
C’est pourquoi, si je salue la volonté du chef de l’État que soient retransmises dans chaque lycée les « premières » de la création théâtrale, musicale et lyrique financée grâce au soutien public, je m’interroge : où, quand, comment et dans quelles conditions ? L’État ne va-t-il pas, encore une fois de plus, se défausser sur les collectivités locales ? De plus, une retransmission ne remplace pas la magie du spectacle vivant. C’est bien à l’épreuve du feu qu’on se brûle, c’est bien l’expérience vécue qui fait naître le désir d’art. La retransmission de la création peut être un outil pédagogique, mais elle ne peut se substituer à l’irremplaçable émotion de l’« éternel présent » qu’est la représentation, événement unique et insaisissable.
Comme son nom l’indique, le spectacle vivant, cela se vit. C’est même vital !
Malgré les quelques mesures proposées, l’éducation artistique et culturelle reste particulièrement fragile et semble condamnée à ne constituer que la variable d’ajustement des politiques éducatives, alors qu’elle est au centre de la vie, de l’humain, des connaissances ! C’est pourquoi l’éducation artistique et culturelle au lycée ne doit plus être à part, ni être optionnelle, ni reposer uniquement sur la bonne volonté de quelques professeurs ou chefs d’établissement passionnés.
Cela suppose que l’éducation artistique et culturelle relève dorénavant d’une véritable politique nationale dans la durée. Et il s’agit bien de réclamer plus d’État non « pour diriger l’art, mais pour mieux le servir », ainsi que l’a très bien formulé André Malraux. C’est une condition nécessaire pour que personne n’en soit écarté.
Certes, les emplois du temps des lycéens sont déjà bien remplis, mais l’éducation artistique leur permet de gagner du temps dans le beau et difficile « métier de vivre » Elle développe l’imaginaire, l’intelligence sensible et la créativité dont chacun est porteur. Et nous savons bien que, à diplôme égal, c’est la culture générale et la capacité à symboliser le monde qui fait la différence dans l’obtention d’un emploi. Comme le formule si bien Edgar Morin, « la culture, c’est ce qui relie les savoirs et les féconde ». Et je rejoins Pascal : « L’homme est fait pour penser, c’est toute sa dignité. »
La création, par France Télévisions, d’une vidéothèque en ligne de films classiques à usage des lycées va dans le bon sens. Face à la montée en puissance de la culture de l’écran, l’éducation nationale a l’impérieux devoir de former les jeunes à l’image et au tri des informations, comme à leur appréhension critique.
En outre, si les technologies sont aujourd’hui un passage obligé dans l’accès aux connaissances, la dimension humaine, humaniste et humanisante de leur appropriation doit primer sur la technique.
Il n’est pas difficile de partager le constat selon lequel il y a urgence à revaloriser les filières littéraires, les « humanités », pour reprendre ce terme qui les définit si bien, d’autant que la lecture est en net recul, comme le démontre la dernière étude sur les pratiques culturelles des Français à l’ère numérique.
Pour autant, il ne faut pas oublier que les jeunes se détournent des filières scientifiques après le baccalauréat et que l’on peut même parler de désaffection massive. C’est pourquoi, s’il est essentiel de revaloriser les séries littéraires et technologiques, il est parallèlement indispensable de renforcer la place de la culture scientifique pour tous.
La lutte contre l’illettrisme scientifique est fondamentale. C’est plus que jamais un enjeu crucial pour peser sur les choix environnementaux, éthiques, sociaux et industriels qui résultent des avancées scientifiques elles-mêmes, d’autant que les sciences et les techniques sont de plus en plus présentes dans notre quotidien et se trouvent au cœur des grands débats de société, qu’il s’agisse du réchauffement climatique, de l’avenir de l’énergie nucléaire, de l’alimentation, des organismes génétiquement modifiés, des biotechnologies, des nanotechnologies, etc.
Il est donc important de démocratiser l’accès à la culture scientifique, car c’est aussi un enjeu de la démocratie et de la citoyenneté. Il n’y a pas de démocratie sans généralisation et partage des savoirs, sans citoyens éclairés.
L’art et la culture sont des armes de construction massive, qui nous apportent chaque jour de nouvelles raisons d’édifier non pas le meilleur des mondes, mais un monde meilleur.
Alors que la France adhère à l’objectif stratégique de Lisbonne visant à faire de l’Union européenne « l’économie de la connaissance la plus dynamique du monde d’ici à 2010 », je déplore le décalage permanent entre les déclarations et les actes, entre l’affichage et les moyens qui ne suivent pas. C’est incompréhensible, alors même que l’intelligence est la première ressource de notre pays, qui l’oublie malheureusement trop souvent ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)